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Délinquance et mobilité résidentielle Denis Fougère* Francis Kramarz** Julien Pouget*** Notre étude se propose de quantifier l’effet causal de la délinquance subie par les ménages sur leur probabilité de déménagement. Plus précisément, nous analysons simultanément les deux phénomènes, délinquance subie par le ménage et déménagement, en tenant compte de l’endogénéité potentielle de la victimation, mais aussi de celle de la localisation initiale du ménage dans l’espace des communes. Les données utilisées proviennent des enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages (EPCVM) réalisées par l’INSEE entre 1997 et 2002. Ces données ont été enrichies par nos soins de variables provenant du recensement général de la population de 1999 et des déclarations annuelles de données sociales (DADS). Nos résultats montrent que les ménages de revenu moyen ou élevé partent plus à la suite d’une atteinte à leurs biens (cambriolage ou vol de véhicule). Mais ils déménagent moins que les plus pauvres à la suite d’une agression physique contre l’un de leurs membres. CRIME AND HOUSEHOLD MOBILITY Our study is concerned with the estimation of the causal effect of household victimization on household mobility. More precisely, we analyze both processes (victimization and mobility) by taking into account potential endogeneity of household victimization, but also potential endogeneity of household initial geographical localization. Data that we use come from surveys on household living conditions (enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages) collected by INSEE (Paris) between 1997 and 2002. These data are matched with local environment variables that come from the 1999 French Census and from the 1996 DADS (déclarations annuelles de données sociales) data set on wages. Our results show that medium- and high-income households are more likely to move after a burglary or a car theft (i.e. they are more sensitive to property crime), while low-income households are more likely to move when at least one of their members has been assaulted (i.e. they are more sensitive to violent crime). Classification JEL : J19, K19, R23. * CNRS, CREST-INSEE, CEPR et IZA. ** CREST-INSEE, CEPR et IZA. *** INSEE, CREST et IZA. Nous tenons à remercier pour leurs remarques et suggestions Michel Glaude, Louis Hotte, David Margolis, Antonio Merlo, Philippe Robert, Sébastian Roché, Alain Trannoy, Yves Zenou, ainsi que les participants au séminaire préparatoire à la publication de ce numéro spécial de la Revue économique (École normale supérieure, Paris, 26 et 27 janvier 2004), au séminaire Recherche de l’INSEE du 12 février 2004 et à la Conférence « On crime and conflict » organisée par le CEPR à Marseille les 8 et 9 octobre 2004. Les commentaires d’un rapporteur anonyme de la Revue nous ont permis d’améliorer significativement la qualité de cet article. Nous restons bien évidemment responsables des erreurs et insuffisances qui subsistent. 313 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique « The feelings of many of the respondents in our study were summed up by a 33-year-old married mother of three from a very poor West-Side neighborhood: If you live in an area in your neighborhood where you have people that don’t work, don’t have no means of support, you know, don’t have no jobs, who’re gonna break into your house to steal what you have, to sell to get them some money, then you can’t live in a neighborhood and try to concentrate on tryin’ to get ahead, then you get to work and you have to worry if somebody’s breakin’ into your house or not. So, you know, it’s best to try to move in a decent area, to live in a community with people that works. » William Julius WILSON (When Work Disappears) Notre article se propose de quantifier l’effet causal de la délinquance subie par les ménages sur leur probabilité de déménagement. En ce sens, il prolonge et complète l’étude réalisée par Levitt et Cullen [1999], qui essayaient de mesurer les effets de la délinquance sur la mobilité résidentielle aux États-Unis à l’aide de données agrégées, mais qui ne disposaient pas pour cela d’observations individuelles sur les atteintes (aux biens ou aux personnes) directement subies par les ménages. Dans notre article, nous analysons simultanément les deux phénomènes, délinquance subie par le ménage et le déménagement, en tenant compte de l’endogénéité potentielle de la victimation, mais aussi de celle de la localisation initiale du ménage dans l’espace des communes (« pauvres », « riches » ou « intermédiaires » selon notre classification fondée sur la distribution des rémunérations salariales dans la commune du logement). La question posée et l’approche suivie distinguent notre étude de la plupart des travaux microéconométriques sur la délinquance. En effet, l’analyse économétrique de la délinquance a été longtemps, et reste encore aujourd’hui, largement dominée par l’approche beckérienne (Becker [1968]). Celle-ci postule la rationalité économique de l’individu supposé pouvoir choisir, sur la base d’une comparaison des coûts et des bénéfices, entre une activité légale (le travail salarié) ou illégale (la délinquance). Selon Becker, cette décision dépend certes des préférences et des capacités de chaque individu, mais surtout des caractéristiques du contexte économique qui conditionne les possibilités de gain mais aussi les risques d’échec dans chacune de ces deux activités. Ainsi, des salaires peu élevés où un fort taux de chômage devrait pousser l’individu à commettre des actes délictueux, alors qu’à l’inverse des sanctions pénales ou un contrôle policier plus étroit devrait l’en dissuader. Pour se justifier, cette argumentation a pendant longtemps utilisé les corrélations entre certaines variables agrégées (par exemple, le taux de délinquance et le niveau du chômage constatés à un moment donné) sans être pour autant capable d’interpréter ces corrélations comme des relations causales1. Des analyses économétriques plus récentes, exploitant des séries plus longues et des données d’observation plus riches, ont pu, grâce à la méthodologie de l’économétrie des panels et des variables instrumentales, confirmer statistiquement l’existence des déterminismes postulés par Becker et les économistes qui ont repris et développé son analyse théorique (comme Ehrlich [1973]). Certains de ces travaux ont, par exemple, examiné les effets du renforcement des forces de police ou des 1. Sur ce point, voir les études étrangères citées par Hugues Lagrange ([2003], p. 67-75). 314 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget sanctions pénales à l’égard des jeunes délinquants aux États-Unis (Levitt [1997 et 1998]). Pour la plupart, toutefois, les études récentes se sont efforcées de mesurer avec une plus grande précision les liens entre le niveau des inégalités de revenus, ou celui du taux de chômage, et le taux de délinquance (Gould, Weinberg et Mustard [2002] ; Machin et Meghir [2000] ; Entorf et Spengler [2000] ; Fougère, Kramarz et Pouget [2003], ces quatre études portant respectivement sur les ÉtatsUnis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France)1. Certains chercheurs ont cependant souligné que le modèle beckérien tend à sous-estimer l’insécurité qui sévit dans les plus grandes villes, particulièrement aux États-Unis où la criminalité est bien identifiée comme un phénomène typiquement urbain : en 1993, les villes de plus de 500 000 habitants avaient un taux de criminalité quatre fois supérieur à celui des villes de moins de 50 000 habitants, et sept fois supérieur à celui des zones rurales. Ces économistes se sont alors proposés d’expliquer les fortes variations spatiales et temporelles de la délinquance à partir des recherches récentes sur les interactions sociales. Ces travaux font l’hypothèse que l’utilité d’un agent économique dépend non seulement de ses décisions mais aussi de celles des autres agents, ce qui est caractéristique dans la théorie économique de la présence d’une externalité, qui peut être positive ou négative selon qu’elle écarte ou rapproche celui qui la subit de son optimum individuel. Appliquée à la délinquance, cette approche se révèle capable par exemple d’expliquer, mieux que ne le fait une approche économique classique en termes de comparaison de coûts et de bénéfices, la forte variabilité géographique et temporelle des taux de délinquance. Glaeser, Sacerdote et Scheinkman [1996] montrent que cette hypothèse se vérifie particulièrement pour les atteintes aux biens, notamment celles commises par les hommes les plus jeunes, mais moins dans le cas des crimes les plus violents, qui seraient davantage le fait de décisions purement individuelles. Sans aller jusqu’à construire et estimer un modèle avec interactions sociales, nous mettons en évidence dans cette étude les effets de la délinquance sur la mobilité résidentielle des ménages qui ont subi dans le passé proche des atteintes aux biens ou aux personnes. Nous présentons pour cela les résultats d’une étude économétrique conduite à partir des enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages (EPCVM) de l’INSEE. Ces enquêtes recueillent des informations sur les caractéristiques socio-économiques d’environ 8 000 ménages interrogés, mais aussi sur leur cadre de vie, la qualité de leur voisinage et les actes délictueux dont ils ont pu être victimes. L’enquête est réalisée deux fois, à un an d’intervalle, auprès du même ménage. Elle permet ainsi de savoir si un ménage a quitté le logement qu’il occupait l’année précédente. Nos résultats montrent que les ménages de revenu moyen ou élevé partent plus à la suite d’une atteinte à leurs biens (cambriolage ou vol de véhicule). Mais 1. L’étude conduite par Fougère, Kramarz et Pouget [2003] est, à notre connaissance, la première à évaluer l’effet causal du niveau du taux de chômage des jeunes sur le nombre de délits enregistrés dans chaque département français au cours de la dernière décennie. Le modèle statistique sur lequel s’appuie cette étude, identique en cela aux modèles des trois études étrangères citées, est un modèle de panel à effets fixes, dans lequel le taux de chômage, variable explicative du niveau de la délinquance enregistrée, est traité comme une variable endogène. Les variables instrumentales, dont la validité et l’exogénéité sont acceptées sur la base de procédures usuelles (tests de Sargan et de HollySargan), sont les évolutions départementales des taux d’emploi dans les principaux secteurs d’activité économique. 315 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique ils déménagent moins que les plus pauvres à la suite d’une agression contre un (au moins) de leurs membres. Ces résultats sont obtenus à l’aide de modèles à équations simultanées dans lesquels la localisation initiale du ménage dans une commune « pauvre », le fait d’avoir été victime et le départ du logement sont des variables endogènes. La première section rappelle les principaux résultats des études antérieures, pour l’essentiel nord-américaines, consacrées au sujet. La seconde section présente les données que nous utilisons. La troisième section expose les principaux résultats de notre étude. LES RÉSULTATS DES ÉTUDES NORD-AMÉRICAINES Plusieurs études nord-américaines ont par le passé essayé de quantifier les liens entre insécurité, criminalité et mobilité résidentielle. Pour ce faire, elles ont tenté d’évaluer l’impact du niveau de la délinquance sur les choix résidentiels et plus précisément sur le dépeuplement des villes les plus touchées par la criminalité. La plupart de ces analyses régressent des mesures agrégées de la dépopulation sur le niveau de la criminalité et de la délinquance, et concluent que, toutes choses égales par ailleurs, les villes qui se dépeuplent le plus sont celles qui sont davantage affectées par la criminalité (Frey [1979] ; Katzman [1980] ; Grubb [1982] ; Sampson et Woolredge [1986] ; Dugan [1999]). Levitt et Cullen [1999] ont ré-examiné cette question en tentant d’y répondre avec des arguments économétriques plus rigoureux, malgré le caractère très agrégé des données à leur disposition. En premier lieu, ils choisissent d’analyser l’impact non pas du taux de criminalité, mais de son évolution sur le dépeuplement urbain. En effet, si le niveau de criminalité peut initialement affecter les choix de résidence, on peut en revanche supposer que c’est l’évolution de la criminalité qui est la plus à même d’expliquer les décisions de déménager. Ils estiment leur modèle sur un panel de villes américaines, en contrôlant par un certain nombre de variables démographiques et économiques (notamment la structure par âge, par origine ethnique, le taux de chômage et le revenu moyen), et évaluent qu’à chaque acte de délinquance supplémentaire, on peut associer le départ d’un habitant. Néanmoins, cette approche ne permet pas de conclure rigoureusement quant au sens de la causalité : en effet, il est possible que les augmentations conjointes de la criminalité et du dépeuplement urbain soient le fait d’un même troisième facteur, non pris en compte dans la modélisation. C’est pourquoi Levitt et Cullen estiment sur le même panel de villes américaines un modèle à variables instrumentales. Il s’agit alors de construire une variable susceptible d’affecter le taux de criminalité mais pas le dépeuplement urbain. Levitt et Cullen se proposent d’utiliser comme instruments des caractéristiques du système judiciaire, notamment le taux moyen d’emprisonnement par crime. Leur estimation par variables instrumentales confirme l’impact du taux de criminalité sur le dépeuplement des villes américaines. Enfin, Levitt et Cullen cherchent à caractériser plus finement les catégories de population les plus susceptibles de quitter les villes à cause de l’augmentation de la délinquance et de la criminalité urbaines. Pour cela, ils disposent uniquement de données en coupe (agrégées et individuelles). Dans un premier temps, ils régressent les taux de migration de différentes catégories de la population sur les caractéristiques démographiques et économiques de chaque ville, ainsi que 316 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget sur l’évolution du taux de criminalité. Dans un second temps, ce sont les décisions de chaque ménage qui sont analysées de la sorte. Les deux types de régression montrent que ce sont les ménages les plus aisés et ceux qui comprennent des enfants qui sont les plus sensibles à l’augmentation de la délinquance urbaine. La fuite des ménages les plus favorisés peut être vue comme une externalité négative susceptible d’entraîner une concentration de la pauvreté dans les centres urbains, et, par suite, une nouvelle augmentation de la criminalité. LES DONNÉES UTILISÉES Les criminologues ont depuis longtemps souligné les difficultés rencontrées pour mesurer le plus rigoureusement possible le niveau et l’évolution de la délinquance. En France, depuis quelques années, les interrogations quant à la fiabilité des différentes sources statistiques font même partie intégrante du débat public. Sans entrer dans ce débat, nous souhaitons éclairer le lecteur en lui présentant les différentes sources que nous avons utilisées ainsi que quelques statistiques descriptives. Les enquêtes de victimation de l’INSEE Il faut préciser qu’historiquement la criminalité et la délinquance ont d’abord été mesurées à partir des comptes rendus chiffrés de l’activité des services judiciaires, puis, un peu plus en amont, de celle de la police. Ces comptes rendus ne reflètent que les actes qui ont fait l’objet d’une plainte ou dont les autorités se sont saisies : ils permettent donc de dresser un tableau partiel de la délinquance et de la criminalité et de leurs évolutions à court terme. On considère par contre que la mesure des évolutions à plus long terme peut être affectée par des modifications dans le fonctionnement des institutions policières ou pénales, et par des changements dans la propension des victimes à porter plainte. Les enquêtes de victimation présentent l’avantage de recueillir des informations qui se situent bien en amont du processus de prise en charge des délits par les institutions policières et judiciaires : elle permettent donc d’estimer l’importance des victimations non enregistrées par les pouvoirs publics. Elles fournissent en outre des informations précieuses sur les caractéristiques socio-démographiques des victimes et sur les comportements induits par la victimation et plus généralement par les peurs engendrées par le sentiment d’insécurité. Néanmoins, ces enquêtes, difficiles à élaborer, présupposent que les victimes sont capables d’y répondre (ce qui exclut, par exemple, les homicides). De ce fait, elles sont surtout relatives aux agressions et aux vols. Les données recueillies peuvent être également affectées par un certain nombre de biais (dus à des oublis, à des mauvaises datations des faits, ou bien à des réticences à répondre). Les enquêtes de victimation que nous utilisons sont issues du dispositif des enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages (EPCVM), mis en place par l’INSEE à partir de 1996 et qui donne lieu depuis cette date à trois enquêtes par an. En particulier, l’enquête de janvier, utilisée ici, traite des questions de la qualité de l’habitat et du voisinage, des équipements collectifs et de l’insécurité (voir 317 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique Dumartin et Taché [2001]). L’enquête est mise en œuvre sur un échantillon d’environ 8 000 logements, et fournit alors des résultats sur un peu moins de 6 000 ménages effectivement répondants. À partir de 1997, deux ensembles d’informations sont collectés, au niveau « ménage » et au niveau « personne répondante ». Dans tous les ménages où vivent moins de quatre personnes de 15 ans et plus, toutes ces personnes sont interrogées. Dans les ménages de quatre personnes de 15 ans et plus, trois personnes sont tirées au sort pour être interrogées (ont été retenues les trois personnes de 15 ans et plus nées le plus tôt dans l’année, c’est-à-dire celles dont le mois de naissance est le plus proche de janvier). Les occupants d’un logement donné sont interrogés deux années de suite à la même date : l’échantillon de logements est renouvelé par moitié tous les ans. Cela permet de construire des panels de deux années consécutives. Si un ménage a quitté le logement entre ces deux années, les nouveaux occupants du logement sont interrogés, mais le fichier final précise que ces occupants ne sont pas les mêmes que ceux interrogés dans l’enquête précédente : on en déduit alors le déménagement des occupants initiaux. Cette information n’est néanmoins disponible que pour les années 1998, 1999, 2001 et 2002 : nous avons donc utilisé dans notre étude l’ensemble des ménages interrogés deux années consécutives (19971998, 1998-1999, 2000-2001, 2001-2002) ; les variables analysées étant toujours celles de la première année, la seconde servant exclusivement à nous renseigner sur la mobilité résidentielle du ménage. L’échantillon de panel comprend initialement 9 885 ménages de toutes tailles. En janvier de chaque année, l’enquête fournit des informations sur les actes de délinquance dont ont été victimes les ménages et les individus durant les deux années précédentes. Les ménages sont interrogés sur la sécurité de leur logement et de leur véhicule, tandis que les individus sont interrogés sur les agressions et les vols dont ils ont pu être victimes (en dehors des cambriolages et des vols de voiture). Par exemple, en janvier 2002, les questions posées aux ménages étaient les suivantes : « Votre logement a-t-il été cambriolé en 2000 ou 2001 ? » « En 2000 et 2001, avez-vous été victime d’un vol de voiture ou d’objet se trouvant dans une voiture du ménage ? » Quant aux individus, on leur posait en 2002 ces deux questions : « En 2000 ou 2001, avez-vous été victime personnellement de vols en dehors des cambriolages et des vols de voiture (par exemple vol de sac à main, de portefeuille, dans un lieu public ou sur le lieu de travail) ? » « En 2000 ou 2001, avez-vous été personnellement victime d’agressions ou d’actes de violence ; y compris de la part de personnes que vous connaissiez » ? Pour toutes ces questions, les modalités de réponses sont les suivantes : 1. Oui, en 2000 et 2001. 2. Oui, en 2000. 318 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget 3. Oui, en 2001. 4. Non. 5. Ne sait pas. sauf pour la question concernant les agressions, pour laquelle la modalité « Refuse de répondre » a été ajoutée. Dans le cadre de notre étude, nous considérons qu’un ménage ou une personne a été victime si il (ou elle) a répondu à ces questions par une des trois premières modalités. Au niveau des ménages, nous agrégeons également les deux types de victimation mesurés, en construisant une variable « ménage victime » si celui-ci a été cambriolé ou bien a été victime d’un vol concernant son véhicule. De même, pour les seuls ménages dont tous les individus ont été interrogés, nous repérons les ménages dont au moins un des membres a été victime d’un vol ou d’une agression. Les enquêtes sur les conditions de vie nous fournissent bien évidemment des informations démographiques et économiques sur les ménages, dont notamment la nationalité de la « personne de référence », le niveau de vie et la composition de chaque ménage. Le niveau de vie du ménage est calculé comme le revenu du ménage par unité de consommation. Les ménages enquêtés ont été ventilés entre quatre classes dont les bornes sont les quartiles de niveau de vie de l’ensemble des ménages interrogés à toutes les enquêtes (et pas seulement de ceux retenus pour constituer nos panels empilés). Le type de ménage permet d’avoir des informations croisées sur la composition et l’âge de la personne de référence du ménage. Dans notre analyse, nous distinguons ainsi, parmi les personnes seules et les couples sans enfants, ceux dont la personne de référence a moins de 59 ans ou plus de 60 ans. Nous distinguons également les couples avec enfants selon que le ménage correspondant comprend ou non plus de trois personnes âgées de 15 ans et plus, ainsi que les familles monoparentales. Les variables utilisées sont toujours celles de la première enquête, notamment l’information relative aux caractéristiques du ménage (type de ménage, niveau de revenu) et aux actes de délinquance dont celui-ci ou ses membres pris individuellement ont été victimes. La seconde enquête sert exclusivement à observer la mobilité résidentielle du ménage. Les données sur les contextes locaux Afin d’enrichir ces statistiques de délinquance par les caractéristiques du contexte local, nous avons utilisé un certain nombre de données administratives ou d’enquête disponibles au niveau des départements et des communes. Au niveau des communes, le recensement de la population de 1999 nous fournit la structure de la population par âge et par nationalité. Nous avons ainsi construit la part des jeunes de 10 à 19 ans dans la population de la commune, ainsi que la part des étrangers. Nous disposons également du nombre d’actifs et du nombre de chômeurs par commune, ce qui nous permet de calculer des taux de chômage communaux. Les variables concernant le niveau de richesse relatif des différentes communes ont été calculées à partir des déclarations annuelles de données 319 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique sociales (DADS), disponibles facilement à ce niveau pour l’année 1996. Il s’agit donc d’utiliser les distributions de salaires dans le secteur privé et semi-public pour construire des indicateurs de pauvreté et de richesse des communes. Ce choix peut être discutable dans la mesure où ces indicateurs ne prennent pas en compte l’ensemble des revenus. Néanmoins, ils donnent une indication approchée des distributions des niveaux de vie dans une commune, dans la mesure où l’on considère ici des effectifs et des salaires mesurés au lieu de résidence (et non pas au lieu de travail). Le graphique 1 représente la distribution des salaires en 1996 pour tous les salariés travaillant dans les secteurs privé et semi-public. À partir de cette distribution, trois indicatrices ont été créées : une commune est considérée comme « pauvre » si les postes rémunérés moins de 90 000 FF par an représentent plus de 50 % du total des postes. Elle est considérée comme « riche » si les postes rémunérés plus de 100 000 FF par an représentent plus de 50 % du total des postes. Et enfin, l’indicatrice d’inégalité concerne les communes dont les postes rémunérés moins de 70 000 FF par an représentent plus de 18 % du total des postes et dont les postes rémunérés plus de 150 000 FF par an représentent plus de 18 % du total des postes1. Graphique 1. Distribution des salaires en 1996 3 000 000 2 500 000 2 000 000 Effectifs en Équivalents - Temps Complet 1 500 000 1 000 000 500 000 0 < 40 000 40 000FF 50 000 FF 50 00060 000 FF 60 00070 000 FF 70 000- 80 000- 90 000- 100 000- 120 000- 150 000- 200 000> 80 000 90 000 100 000 120 000 150 000 200 000 300 000 300 000 FF FF FF FF FF FF FF FF Champ : tous salariés (secteurs privé et semi-public temps complet ou partiel) Unité : nombre de postes rémunérés dans l’année, équivalents temps complet Source : DADS [1996]. 1. Nous avons considéré qu’une commune est « inégalitaire » lorsque les salaires y sont distribués de sorte qu’approximativement un tiers d’entre eux est situé aux deux extrêmes de la distribution, en faisant l’hypothèse que la répartition de ce tiers est symétrique. Ceci implique que la moitié de ce tiers (soit approximativement 18 %) est située plus bas que la borne minimale des classes de salaires répertoriées dans la base de données locales de l’INSEE (soit FF 70 000), l’autre moitié étant située plus haut que la borne maximale de ces classes (soit FF 150 000). Rappelons que la base de données locales de l’INSEE ne contient qu’une information sur la fréquence par classe des salaires observés dans les DADS, commune par commune (cf. graphique 1). Ce choix nous amène à situer environ 8,5 % des ménages de notre échantillon dans ce type de commune (cf. tableau 1). Si nous avions choisi de placer 45 ou 50 % des salaires aux deux extrêmes de la distribution, nous aurions certes produit une caractérisation plus forte de l’« inégalité », mais nous aurions classifié in fine beaucoup moins de ménages dans les communes « inégalitaires ». Si nous avions à l’inverse réparti seulement 20 ou 25 % des salaires à ces deux extrêmes de la distribution, nous aurions probablement produit une caractérisation jugée trop peu consensuelle de l’« inégalité ». 320 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget L’échantillon Le déménagement étant une décision du ménage dans son entier, nous avons en conséquence utilisé l’information collectée au niveau du ménage, en particulier celle relative aux atteintes à ses biens (cambriolages au domicile, vols de et dans les véhicules), mais aussi l’information agrégée collectée auprès de chacun de ses membres (en particulier les agressions contre les personnes et les vols d’effets personnels), pour autant que cette information concerne l’ensemble des personnes du ménage ayant 15 ans et plus1. En raison de la procédure aléatoire d’interrogation des personnes appartenant à un ménage, l’information relative aux individus n’est exhaustive que pour les ménages d’au plus trois personnes de 15 ans et plus. Pour éviter le problème d’erreur de mesure inhérent à cette procédure de sondage, nous avons limité une partie de notre étude (celle dans laquelle nous estimons des modèles probit trivariés) aux ménages d’au plus trois personnes. Cette restriction de champ conduit vraisemblablement à une surestimation des possibilités de déménagement, qui sont plus grandes pour des ménages de taille plus faible, comme le suggère le tableau 1 dans lequel nous reportons quelques statistiques descriptives pour l’échantillon dans son ensemble, mais aussi pour le sous-échantillon des ménages d’au plus trois personnes de 15 ans et plus. Une autre méthode eût consisté à réaliser l’analyse au niveau des individus, en faisant l’hypothèse que ceux-ci constituent des unités statistiques indépendantes : ceci est à l’évidence une hypothèse peu admissible, que nous n’avons donc pas retenue. La solution la plus satisfaisante consisterait à traiter simultanément l’information au niveau du ménage et les observations relatives aux individus membres du ménage à l’aide d’un modèle multi-niveaux, incorporant un effet aléatoire spécifique au ménage et des effets individuels corrélés entre eux mais aussi à cet aléa « ménage ». Cette modélisation sera estimée dans le cadre d’un travail ultérieur. Le tableau 1 met en évidence les ressemblances, mais aussi les différences, entre les deux échantillons (l’échantillon total et le sous-échantillon des seuls ménages comprenant au plus trois personnes de 15 ans et plus). Imposer la restriction de champ revient à réduire l’échantillon de 9 885 à 7 433 ménages, les ménages comprenant plus de quatre personnes de 15 ans et plus représentant 23 % de l’échantillon initial. Cette restriction ne modifie que très peu la structure de localisation des ménages. Elle modifie légèrement la structure des niveaux de revenu, ceux-ci étant un peu plus élevés dans le sous-échantillon des ménages comprenant plus de trois personnes âgées de 15 ans et plus2. La fréquence de 1. Malheureusement, les enquêtes EPCVM ne contiennent aucune information sur les violences subies par les enfants de moins de 15 ans. Cette omission est regrettable, car il est probable que ces violences incitent fortement au déménagement (à ce propos, les chiffres rendus publics par le ministère de l’Éducation nationale font état d’une nette augmentation des violences scolaires depuis le dernier trimestre de l’année 2003 ; cf. le journal Le Monde, édition du 5 juin 2004, p. 13). De ce fait, notre étude sous-estime vraisemblablement l’effet de la délinquance sur le départ du logement. 2. Le lecteur remarquera que l’échantillon initial est uniformément réparti dans les quatre classes de revenu (par unité de consommation), bien que les limites des quartiles aient été construites à partir de l’ensemble des ménages interrogés au sein du dispositif d’enquêtes EPCVM, et non à partir des seuls 9 885 ménages observés dans les panels empilés. Cette constatation donne à penser que le passage de la coupe transversale au panel ne modifie pas significativement la composition des ménages observés. Il n’en va pas tout à fait de même lorsqu’on restreint le champ aux seuls ménages de plus de trois personnes de 15 ans et plus (cf. tableau 1). 321 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique ménages victimes de l’un ou l’autre type de délit est plus élevée dans l’échantillon global, ceci signifiant que les ménages de plus grande taille sont plus soumis à ce type de risque. Enfin, comme nous pouvions l’anticiper, la fréquence des déménagements est plus élevée dans le sous-échantillon, que les déménagements surviennent ou non après une atteinte aux biens ou une agression sur les personnes. Tableau 1. Statistiques descriptives de l’échantillon (fréquences en %) Caractéristiques des ménages Ensemble Sous-échantillon des de l’échantillon ménages d’au plus (tous les ménages) 3 personnes de 15 ans et plus Type de ménage Personne seule de moins de 59 ans .................. 12,50 16,63 Personne seule de plus de 60 ans ...................... 13,19 17,54 Couple sans enfant dont la personne de référence a moins de 59 ans ......................... 12,64 16,69 Couple sans enfant dont la personne de référence a plus de 60 ans ............................ 16,20 21,51 Couple avec enfants mais ménage avec moins de 3 personnes de 15 ans et plus ........................... 13,67 17,61 Ménage avec plus de 4 personnes de 15 ans et plus ................................................................... 23,00 0,00 Famille monoparentale ..................................... 7,39 8,18 Autre type de ménage ....................................... 1,41 1,84 Revenu par unité de consommation 1er quartile ......................................................... 24,58 22,51 2nd quartile ........................................................ 25,08 23,84 3e quartile .......................................................... 24,84 25,68 4e quartile .......................................................... 25,50 27,97 Ménages dans commune « pauvre » ................. 44,49 45,25 Ménages dans commune « riche » ................... 24,94 24,05 Ménages dans commune ni « riche », ni « pauvre » ......................................................... 30,57 30,70 Ménages dans commune « inégalitaire » ......... 8,35 8,58 Localisation Victimation Atteintes aux biens seulement .......................... 10,23 9,63 Atteintes aux personnes seulement ................... 13,44 11,77 Atteintes aux biens et aux personnes ................ 3,80 3,34 Non victimes ..................................................... 72,53 75,26 Ménages ayant déménagé ................................. 7,24 7,94 Parmi ceux qui n’ont pas été victimes .............. 6,51 6,95 Parmi ceux qui ont été victimes ....................... 9,17 10,93 Effectif .............................................................. 9 885 7 433 Déménagement Source : INSEE, Enquêtes EPCVM, 1997-2002. 322 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget Dans chacun des deux échantillons, la proportion de ménages ayant déménagé parmi ceux ayant été victimes d’au moins l’un des deux types de délits recensés est approximativement une fois et demi supérieure à la proportion de ménages ayant déménagé parmi ceux n’ayant été pas été victimes1. En raison notamment des biais de composition, il est difficile d’interpréter cet écart positif comme l’effet causal de la délinquance subie sur le déménagement. Dans la suite de notre article, nous voulons savoir si cet effet apparent résiste à une analyse du type « toutes choses observables et non observables par ailleurs ». Pour cela, nous essayons notamment de tenir compte de l’endogénéité potentielle de la victimation, et au-delà de celle de la localisation du ménage dans une commune « pauvre ». Cela suppose bien évidemment que nous puissions estimer des modèles à équations simultanées dans lesquels les variables expliquées sont qualitatives (se localiser ou non dans une commune pauvre, être ou non victime, déménager ou non) et les résidus des différentes équations sont potentiellement corrélés. LES PRINCIPAUX RÉSULTATS En première analyse, nous estimons des modèles probits dans lesquels le fait d’avoir ou non déménagé (variable prenant respectivement les valeurs 1 et 0) est expliqué par plusieurs caractéristiques du ménage et du contexte local, mais aussi par le fait que le ménage ait subi ou non une atteinte aux biens (cette variable prend la valeur 1 s’il a été victime d’un cambriolage ou d’un vol de ou dans son automobile, 0 sinon), et qu’au moins l’un de ses membres âgé de 15 ans et plus ait subi ou non une agression ou un vol d’effets personnels. Les tableaux 2a (pour l’ensemble des ménages) et 2b (pour les seuls ménages d’au plus trois personnes) reportent les résultats des coefficients de ces modèles probits dans lesquels la localisation initiale du ménage et la victimation sont supposées exogènes. Le lecteur remarquera que la restriction de champ aux ménages de plus de trois personnes de 15 ans et plus a généralement pour effet d’amplifier et de rendre statistiquement plus significatifs les coefficients qui sont positifs dans le cadre de l’analyse sur l’ensemble de l’échantillon. Comme nous l’avons souligné plus haut, ceci résulte du fait que le déménagement est plus facile pour des ménages de taille moyenne plus faible. Ceci dit, les grandes lignes de l’analyse restent les mêmes pour les deux échantillons (échantillon total et sous-échantillon des ménages de plus de trois personnes de 15 ans et plus). Ces grandes lignes sont les suivantes : • un ménage victime de l’un ou l’autre des types de délits (atteinte aux biens ou agressions contre les personnes) déménage plus probablement (colonne 1 des tableaux 2a et 2b), 1. Remarquons que la proportion de ménages observés ici comme ayant déménagé après avoir subi une atteinte aux biens ou une agression contre les personnes correspond à une élasticité vraisemblablement très inférieure à celle estimée par Levitt et Cullen [1999] à partir de statistiques agrégées, puisque ceux-ci concluent que dans les grandes villes des États-Unis, chaque nouvel acte de délinquance enregistré est associé au départ d’une personne hors de l’agglomération. Dans notre échantillon, ceci n’est pas manifestement le cas puisque seuls 9,17 % des ménages victimes d’atteintes à leurs biens ou d’agressions contre l’un au moins de leurs membres ont déménagé dans les deux années qui ont suivi l’acte délictueux. Pour espérer se rapprocher de l’estimation de Levitt et Cullen, il eût fallu que cette proportion fût beaucoup plus élevée. 323 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique Tableau 2a. Probabilité de déménager (tous les ménages) Victime (ménage ou individu) .......................... Col. 1 Col. 2 Col. 3 Col. 4 Coeff. Coeff. Coeff. Coeff. 0,0833 0,1794 (0,0437) (0,0835) Victime (ménage ou individu) dans ménage de revenu moyen ............................................... – 0,2034 Victime (ménage ou individu) dans ménage de revenu assez élevé ........................................ – 0,0714 Victime (ménage ou individu) dans ménage de revenu élevé ................................................. – 0,1223 (0,1233) (0,1182) (0,1178) Victime individuelle ......................................... 0,0621 (0,0504) 0,3054 (0,0912) Victime individuelle dans ménage de revenu moyen ................................................................ – 0,4354 Victime individuelle dans ménage de revenu assez élevé ......................................................... – 0,3353 Victime individuelle dans ménage de revenu élevé .................................................................. – 0,2925 (0,1454) (0,1375) (0,1333) Victime (niveau ménage) .................................. 0,0906 – 0,2286 (0,0541) (0,1332) Victime (niveau ménage) et ménage de revenu moyen ................................................................ (0,1750) Victime (niveau ménage) et ménage de revenu assez élevé ......................................................... (0,1653) Victime (niveau ménage) et ménage de revenu élevé .................................................................. (0,1649) 0,3102 0,5026 0,3651 Effet marginal moyen : • de l’un au moins des deux types de victimation 1,10 % – ménages de faible revenu ............................ 2,77 % – ménages de revenu moyen .......................... 0,56 % – ménages de revenu élevé ............................. 0,70 % • des agressions contre les individus ................. 0,81 % – ménages de faible revenu ............................ 5,14 % – ménages de revenu moyen .......................... – 0,91 % – ménages de revenu élevé ............................. • des atteintes aux biens .................................... 0,15 % 1,20 % – ménages de faible revenu ............................ – 2,72 % – ménages de revenu moyen .......................... 2,49 % – ménages de revenu élevé ............................. 1,75 % • des deux types de délits .................................. 2,11 % – ménages de faible revenu ............................ 1,12 % – ménages de revenu moyen .......................... 1,42 % – ménages de revenu élevé ............................. 1,94 % Seuls les coefficients associés à la victimation sont indiqués ici. Les écarts types sont notés entre parenthèses. Source : INSEE, Enquête « EPCVM », 1997-2002. Nombre d’observations : 9 885. Un ménage est victime s’il a subi une atteinte aux biens. Une personne est victime si elle a subi une agression. La variable endogène est égale à 1 quand le ménage n’est plus dans le logement à la seconde interrogation. Les régressions incluent une constante, des indicatrices de composition du ménage et d’âge de la personne de référence, de niveau de revenu du ménage en interaction avec le niveau des salaires de la commune d’habitation, ainsi que la nationalité de la personne de référence. Le modèle est estimé par maximum de vraisemblance. 324 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget Tableau 2b. Probabilité de déménager (ménages d’au plus trois personnes) Victime (ménage ou individu) .......................... Col. 1 Col. 2 Col. 3 Col. 4 Coeff. Coeff. Coeff. Coeff. 0,1300 (0,0505) 0,2134 (0,1003) Victime (ménage ou individu) dans ménage de revenu moyen ............................................... – 0,1149 Victime (ménage ou individu) dans ménage de revenu assez élevé ........................................ – 0,0576 Victime (ménage ou individu) dans ménage de revenu élevé ................................................. – 0,1672 (0,1451) (0,1398) (0,1352) Victime individuelle .......................................... 0,0785 (0,0592) 0,3209 (0,1108) Victime individuelle dans ménage de revenu moyen ................................................................ – 0,3895 Victime individuelle dans ménage de revenu assez élevé ......................................................... – 0,2479 Victime individuelle dans ménage de revenu élevé .................................................................. – 0,3886 (0,1738) (0,1630) (0,1561) Victime (niveau ménage) .................................. 0,1406 – 0,1779 (0,0621) (0,1594) Victime (niveau ménage) et ménage de revenu moyen ................................................................ (0,2058) Victime (niveau ménage) et ménage de revenu assez élevé ......................................................... (0,1970) Victime (niveau ménage) et ménage de revenu élevé .................................................................. (0,1911) 0,3645 0,3980 0,3843 Effet marginal moyen : • de l’un au moins des deux types de victimation 1,84 % – ménages de faible revenu ............................ 3,65 % – ménages de revenu moyen .......................... 1,75 % – ménages de revenu élevé ............................. 0,60 % • des agressions contre les individus ................. 1,08 % – ménages de faible revenu ............................ 5,90 % – ménages de revenu moyen .......................... 0,05 % – ménages de revenu élevé ............................. • des atteintes aux biens .................................... – 0,80 % 2,01 % – ménages de faible revenu ............................ – 2,43 % – ménages de revenu moyen .......................... 2,88 % – ménages de revenu élevé ............................. 2,93 % • des deux types de victimation ......................... 3,29 % – ménages de faible revenu ............................ 2,38 % – ménages de revenu moyen .......................... 2,97 % – ménages de revenu élevé ............................. 1,88 % Seuls les coefficients associés à la victimation sont indiqués ici. Les écarts types sont notés entre parenthèses. Source : INSEE, Enquêtes « EPCVM », 1997-2002. Nombre d’observations : 7 433. Une observation est un ménage d’au plus trois personnes de 15 ans et plus. Un ménage est victime s’il a subi une atteinte aux biens. Une personne est victime si elle a subi une agression. La variable endogène est égale à 1 quand le ménage n’est plus dans le logement à la seconde interrogation. Les régressions incluent une constante, des indicatrices de composition du ménage et d’âge de la personne de référence, de niveau de revenu du ménage en interaction avec le niveau des salaires de la commune d’habitation, ainsi que la nationalité de la personne de référence. Le modèle est estimé par maximum de vraisemblance. 325 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique • l’effet de la victimation apparaît sans lien avec le revenu du ménage dans le cas où les types de délit, agression contre les biens ou contre les personnes, ne sont pas différenciés (colonne 2 des tableaux 2a et 2b) ; • en revanche, lorsque les types de délit sont distingués, le départ du logement apparaît comme plus corrélé aux atteintes aux biens qu’aux agressions contre les personnes (colonne 3 des tableaux 2a et 2b), • enfin, lorsqu’on considère les effets des deux types de délit en association avec les niveaux de revenu des ménages, le déménagement suite à une atteinte aux biens semble être facilité par le niveau de revenu, mais les ménages les plus pauvres apparaissent comme plus sensibles aux agressions contre les personnes (colonne 4). Par ailleurs, les estimations des coefficients associés aux covariables autres que la victimation1 montrent que : • les couples les plus âgés, les couples mariés et les familles monoparentales déménagent moins ; • la fréquence des déménagements est plus élevée dans les communes de grande taille et dans celles dans lesquelles la dispersion des rémunérations est élevée ; • les ménages les plus riches (quatrième quartile de revenu) déménagent moins lorsqu’ils habitent des communes « riches » ; • ceux dont le revenu appartient au troisième quartile de la distribution des revenus (par unité de consommation) déménagent moins lorsqu’ils résident dans des communes « intermédiaires » en termes de rémunérations salariales. Le bas des tableaux 2a et 2b présente les effets marginaux moyens de la victimation sur le déménagement (dans ces calculs, nous distinguons les cas où le ménage a été victime de l’un au moins des deux types de victimation, de l’un ou l’autre des deux types de victimation, et des deux types simultanément)2. Dans chacun des cas, notons Vi la variable dichotomique qui vaut 1 si le ménage i ( i = 1, …, n ) de l’échantillon a été victime (0 sinon), Di la variable dichotomique qui vaut 1 si ce ménage déménage (0 sinon), et Xi les caractéristiques du 1. Afin de ne pas allonger l’article, les estimations de ces coefficients ne sont pas reportées ici ; elles sont disponibles auprès des auteurs. Ces autres régresseurs sont des indicatrices de composition du ménage croisées avec l’âge de la personne de référence (personne seule de moins de 59 ans, personne seule de plus de 60 ans, couple sans enfants dont la personne de référence a moins de 59 ans, couple sans enfants dont la personne de référence a plus de 60 ans, couple avec un enfant, famille monoparentale), des indicatrices de niveau de revenu du ménage croisées avec le niveau de vie de la commune de référence (quartile de revenu par unité de consommation croisé avec le fait que le ménage vit dans une commune « pauvre », « riche », ou ni « riche », ni « pauvre »), l’origine nationale de la personne de référence (communauté européenne, pays d’Europe de l’Est, Maghreb, autres pays d’Afrique), l’indicatrice d’inégalité des salaires dans la commune, la taille de la commune, le taux de chômage communal, la proportion de jeunes de 10 à 19 ans dans la commune, la proportion d’étrangers dans la commune. 2. Les écarts types de ces effets marginaux n’ont pas été estimés faute de temps. Pour estimer ces grandeurs, il eût fallu mettre en œuvre des procédures de bootstrap pour chacun des modèles estimés. La demande qui nous a été faite d’estimer les effets marginaux moyens de la victimation sur le déménagement nous est parvenue très tardivement dans le processus de révision du manuscrit. De ce fait, il ne nous a pas été possible d’y répondre complètement en estimant également les écartstypes des effets marginaux moyens. 326 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget ménage et de son environnement. L’effet marginal de la victimation pour le ménage i est égal à : ∆ i = Pr ( D i = 1 V i = 1, X i ) – Pr ( D i = 1 V i = 0, X i ) L’effet marginal moyen est alors estimé comme la moyenne de ces ∆i sur l’ensemble de l’échantillon (i.e. pour l’ensemble des ménages) ou sur un souséchantillon particulier (par exemple, pour les ménages de faible revenu). Les effets marginaux moyens estimés sur l’ensemble de l’échantillon sont plus faibles que ceux estimés sur le sous-échantillon des ménages comprenant au plus trois personnes de 15 ans et plus. Ils font apparaître que l’effet marginal moyen des agressions individuelles sur la décision de déménager est bien plus élevé pour les ménages à faible revenu, sachant qu’il est quasi nul pour les autres types de ménage. À l’opposé, l’effet marginal moyen des atteintes aux biens est plus élevé pour les ménages de revenu moyen1 ou élevé. Il est à signaler que l’effet marginal moyen des atteintes aux biens est négatif pour les ménages de faible revenu, probablement parce que dans leur cas, une atteinte aux biens grève significativement leur revenu et donc leur possibilité de déménagement. Les résultats relatifs aux effets de la victimation sur le déménagement sontils confirmés lorsqu’on tient compte de l’éventuelle endogénéité de la localisation initiale du ménage et de sa victimation, c’est-à-dire lorsqu’on fait l’hypothèse que localisation et victimation du ménage dépendent elles-mêmes non seulement de variables exogènes caractéristiques du ménage et du contexte local, mais aussi de termes aléatoires potentiellement corrélés avec le résidu de l’équation probit de déménagement ? Ces corrélations peuvent être justifiées de plusieurs façons : – les ménages dont les membres sont plus (respectivement, moins) prudents, ou ont une aversion au risque plus (respectivement, moins) élevée, seraient simultanément moins (respectivement, plus) exposés aux cambriolages et aux agressions, et plus (respectivement, moins) susceptibles de déménager ; l’attitude face au risque, variable omise dans notre analyse, pourrait donc expliquer la corrélation négative entre les résidus des équations probit relatives à la victimation et au déménagement ; – les ménages plus enclins à s’installer dans une commune « pauvre », toutes choses observables égales par ailleurs, pourraient avoir une propension différente au déménagement ; si par exemple certains de ces ménages étaient caractérisés par des instabilités diverses (professionnelles ou affectives), ils seraient dans le même temps plus enclins à s’installer dans des communes « pauvres » à bas salaires et à les quitter dès que leurs conditions de vie instables les conduisent, ou plus exactement les contraignent, à choisir une autre résidence ; de ce fait, il serait tout à fait possible d’observer une corrélation positive entre les résidus des équations probit relatives à la localisation et au déménagement. Comme habituellement, l’absence de prise en compte de ces corrélations, dans le cas où celles-ci sont significativement différentes de zéro, peut biaiser 1. Dans cet exercice, les ménages de revenu moyen sont définis comme ceux dont le revenu par unité de consommation appartient au second ou au troisième quartile de la distribution des revenus (par u.c.). 327 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique les estimations des coefficients des variables de victimation dans l’équation de déménagement. En tenir compte à l’aide d’un modèle (causal) à équations simultanées a donc un double intérêt : il est ainsi possible d’établir, par l’inférence statistique, un jugement sur l’existence de ces corrélations, mais, plus important encore, l’estimation de ce modèle multivarié permet de confirmer ou de moduler, une fois les corrélations potentielles prises en compte, les résultats du probit univarié. Le modèle à équations simultanées a également le mérite de produire, en plus de l’estimation de l’effet causal de la victimation sur le déménagement, l’estimation conjointe des effets de plusieurs variables d’intérêt sur la probabilité de victimation. Pour tester l’éventuelle endogénéité de la localisation initiale du ménage et de sa victimation, nous avons tout d’abord essayé d’estimer un modèle à quatre équations probits simultanées par la technique du maximum de vraisemblance simulé. Les quatre variables expliquées sont en ce cas : la localisation initiale dans une commune classée comme « pauvre » selon le critère retenu, le fait que le ménage ait été victime d’un cambriolage ou d’un vol de véhicule au cours des deux années précédant la première enquête, le fait qu’au moins un individu de 15 ans et plus du ménage ait subi une agression dans le même intervalle, et, enfin, le fait que le ménage ait déménagé entre les dates des deux enquêtes. Malheureusement, aucune des tentatives menées en ce sens n’a débouché sur une convergence de l’algorithme d’optimisation. Face à ces difficultés, nous nous sommes limités à l’estimation de deux modèles à trois équations probits simultanées. Dans le premier modèle, nous expliquons simultanément la localisation initiale du ménage dans une commune « pauvre », le fait que le ménage ait été victime d’au moins une atteinte aux biens (cambriolage ou vol de la voiture), et le déménagement. Dans le second, nous expliquons simultanément la localisation initiale du ménage dans une commune « pauvre », le fait que l’un au moins de ses membres âgés de 15 ans et plus a été victime d’une agression, et le déménagement. Des estimations intermédiaires ayant montré que le coefficient de corrélation entre les résidus des équations des deux types de délits (atteintes aux biens et agressions contre les personnes) est non significativement différent de zéro1, et donc que ces deux types de délits frappent indépendamment les ménages, nous avons recouru à l’estimation de deux modèles probits trivariés. Leur estimation n’a pu être obtenue que sur le sous-échantillon des ménages comprenant au plus trois personnes âgées de 15 ans et plus. Les résultats reproduits ci-après doivent donc être interprétés avec la réserve émise plus haut, à savoir que, dans cette catégorie de ménages, les possibilités de déménagement sont vraisemblablement plus grandes. En comparant la quatrième colonne du tableau 2b et les troisièmes colonnes des tableaux 3 et 4, le lecteur pourra toutefois vérifier que l’ordre de grandeur et le signe des coefficients associés aux variables de victimation dans l’équation de déménagement de cette catégorie ne sont pas modifiés après prise en compte des corrélations entre les résidus des trois équations. En raison du rôle causal que l’on souhaite faire jouer à la victimation, supposée affecter la probabilité de déménagement, l’identification des modèles 1. Ce résultat est obtenu dans le cadre de l’estimation de probits bivariés (victimation du ménage et victimation individuelle), mais aussi de probits trivariés (victimation du ménage, victimation individuelle et déménagement). 328 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget probits doit reposer sur l’exclusion dans l’équation de déménagement de variables explicatives intervenant dans l’équation de localisation initiale et dans l’équation de victimation. L’enquête ne fournissant pas de variables susceptibles de jouer clairement le rôle d’instruments valides (par exemple, une réforme pertinente pour notre sujet d’étude, survenue au cours de la période d’observation), nous avons eu recours à des tests directionnels nous conduisant à exclure de l’équation de déménagement des variables qui s’y étaient révélées statistiquement non significatives1. Ainsi figure dans l’équation de localisation, mais pas dans l’équation de déménagement, la variable indicatrice des couples jeunes, qui affecte positivement la localisation initiale dans une commune « pauvre » mais pas le déménagement. Par ailleurs, sont incluses dans l’équation de victimation, mais pas dans celle de déménagement, la proportion d’adolescents et le taux de chômage dans la commune (mesurés à l’aide du recensement de 1999), ces deux variables accroissant de manière significative la probabilité d’être victime, mais étant sans effet sur le déménagement. Les résultats des estimations des deux modèles probits trivariés sont contenus dans les tableaux 3 et 4. Les estimations des coefficients des modèles probits trivariés confirment que les ménages de revenu moyen ou élevé partent plus à la suite d’une atteinte aux biens (cf. colonne 3 du tableau 3)2. Mais ils déménagent moins que les plus pauvres à la suite d’une agression contre un (au moins) de leurs membres (cf. colonne 3 du tableau 4). Les effets marginaux moyens de l’un ou l’autre type de victimation estimés pour les trois catégories de ménage (définies par le niveau de revenu, faible, moyen ou élevé) sont plus élevés que dans le cas des probits simples (cf. tableau 2b). Ils le sont particulièrement dans le cas des agressions contre les personnes, et plus particulièrement encore dans ce cas, pour les ménages de faible revenu (cf. bas du tableau 4). Pour cette catégorie de ménages, le modèle probit trivarié conduit à une valeur estimée de l’effet marginal moyen qui est presque deux fois et demi celle du cas univarié. Expliquer ce dernier résultat, notamment en essayant de tenir compte de la gravité des agressions physiques ou du préjudice financier, des caractéristiques des personnes agressées (âge, sexe) et en croisant les effets du revenu du ménage et du contexte local (commune, ou quartier, pauvre ou riche), est toutefois difficile, en raison de la faiblesse des effectifs des cellules obtenues après croisement. L’examen de quelques statistiques descriptives, calculées sur la totalité de l’échantillon (soit 65 000 personnes), révèle toutefois que, si les individus appartenant aux ménages les plus pauvres ne subissent pas plus fréquemment des agressions graves, entraînant de longs arrêts de travail, ils sont relativement plus nombreux à connaître leur agresseur (tableau 5). Bien évidemment, la relation entre la connaissance de l’agresseur et le déménagement mériterait d’être validée à l’aide de données plus nombreuses que celles utilisées dans cet article. 1. Pour être plus précis, rappelons que la méthode des tests directionnels consiste à mettre tous les instruments potentiels dans les équations auxiliaires et à les introduire un par un dans l’équation d’intérêt, en en retranchant tous ceux qui n’y sont pas statistiquement significatifs. 2. Dans les estimations reportées dans les tableaux 3 et 4, nous avons agrégé les deux quartiles centraux pour créer la modalité « revenu moyen », la référence étant un revenu appartenant au premier quartile de la distribution des revenus. 329 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique Tableau 3. Localisation (dans une commune pauvre), victimation au niveau du ménage, et déménagement Col. 1 Constante .................................... Nationalité Communauté européenne ........... Pays de l’Est ............................... Maghreb ...................................... Autres pays d’Afrique ................ Autres ......................................... Type de ménage Personne seule de moins de 59 ans Couple sans enfants dont la pers. de réf. a moins de 59 ans ............ Couple sans enfants dont la pers. de réf. a plus de 60 ans ............... Couple, 1 enfant ......................... Famille monoparentale ............... Autres ......................................... Situation matrimoniale Femme célibataire ...................... Homme célibataire ..................... Marié .......................................... Revenu Revenu moyen ............................ Revenu assez élevé ..................... Revenu élevé .............................. Revenu moyen dans commune pauvre ......................................... Revenu assez élevé dans commune pauvre ......................................... Revenu élevé dans commune pauvre ......................................... Revenu faible dans commune moyenne ..................................... Revenu moyen dans commune moyenne ..................................... Revenu assez élevé dans commune moyenne ..................................... Revenu élevé dans commune moyenne ..................................... Revenu faible dans commune riche ............................................ Revenu moyen dans commune riche ............................................ Revenu assez élevé dans commune riche ............................................ Revenu élevé dans commune riche ............................................ Commune pauvre ....................... Commune riche .......................... Ménage victime .......................... Ménage victime (avec revenu moyen) ........................................ Col. 2 Col. 3 Victimation Localisation dans Déménagement (Ménage) une commune pauvre Coeff. Std. Err Coeff. Std. Err Coeff. Std. Err – 2,5401 (0,2175) 0,0401 (0,0567) – 1,6723 (0,1311) – 0,1873 – 0,3204 – 0,3261 – 0,3725 – 0,5814 (0,1389) (0,4059) (0,2094) (0,3954) (0,5315) – 0,4776 0,0295 – 0,4318 – 0,9200 – 1,4369 (0,1021) – 0,1823 (0,1498) (0,2600) 0,5721 (0,3855) (0,1552) – 0,3578 (0,2264) (0,3279) – 0,2255 (0,3867) (0,4897) – 0,4873 (0,0652) 0,2232 (0,0615) – 0,5199 (0,1063) 0,0535 (0,0547) 0,1338 (0,0681) – 0,4485 (0,1191) – 0,4193 (0,0592) 0,2920 0,0834 0,0907 (0,0717) – 0,0055 0,1341 (0,0758) (0,0729) (0,0726) (0,1201) – 0,1768 – 0,4489 – 0,3449 – 0,3757 (0,0689) (0,0847) (0,1595) (0,1478) – 0,2134 (0,0750) 0,0767 (0,0694) 0,0287 (0,0510) – 0,3311 (0,0710) 0,1653 (0,0625) – 0,1679 (0,0437) 0,2904 (0,0601) – 0,3428 (0,0435) 0,3568 (0,0600) – 0,6359 (0,0440) – 0,1399 (0,0888) – 0,2319 (0,0948) – 0,3981 (0,1084) 1,1144 (0,3295) 0,8022 (0,3409) 0,5928 (0,3243) 0,5759 (0,2728) 0,9938 (0,3578) 1,0259 (0,3166) 0,6592 (0,3220) 0,4516 (0,2844) – 0,0653 (0,0517) 0,1630 (0,0562) – 0,1414 (0,5602) 0,3283 (0,1728) 330 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget Ménage victime (avec revenu élevé) ......................................... Taille de la commune ................ 0,0475 Inégalité au sein de la commune 0,0692 Taux de chômage communal ..... 2,4098 Part d’étrangers dans la commune – 0,0690 Part d’adolescents dans la 4,0897 commune ................................... Corrélation entre localisation (dans une commune pauvre) et déménagement .............................. Corrélation entre victimation (niveau ménage) et déménagement ........................... Effet marginal moyen des atteintes aux biens du ménage : – sur le déménagement des ménages à faible revenu ........... – sur le déménagement des ménages à revenu moyen ........... – sur le déménagement des ménages à revenu élevé ............. 0,3242 (0,1847) 0,0457 (0,0134) 0,1151 (0,0695) (0,0131) (0,0708) (0,5091) (0,5295) – 0,3285 (0,4996) (0,9756) 0,5940 (0,1910) – 0,0030 (0,2760) – 2,64 % 3,44 % 3,35 % Modèle estimé par maximum de vraisemblance. Log-vraisemblance moyenne : – 1.2832. Source : INSEE, Enquête « EPCVM ». Nombre d’observations : 7 433. Tableau 4. Localisation (dans commune pauvre), victimisation au niveau individuel, et déménagement Col. 1 Col. 2 Victime Localisation dans individuelle une commune pauvre Coeff. Std. Err. Coeff. Std. Err. Constante ................................... – 2,0348 (0,2085) Nationalité Communauté européenne .......... Pays de l’Est .............................. Maghreb ..................................... Autres pays d’Afrique ............... Autres ........................................ – 0,0836 – 0,2857 – 0,3669 0,0681 – 0,0972 (0,1232) (0,3266) (0,1916) (0,3168) (0,3983) Col. 3 Déménagement Coeff. Std. Err. 0,0378 (0,0565) – 1,7103 (0,1283) – 0,4773 0,0314 – 0,4334 – 0,9248 – 1,4427 (0,1021) – 0,1961 (0,1442) (0,2634) 0,6009 (0,3486) (0,1559) – 0,3251 (0,2242) (0,3333) – 0,2791 (0,3636) (0,4899) Type de ménage Personne seule de plus de 60 ans Couple sans enfants dont la pers. de réf. a moins de 59 ans ........... Couple sans enfants dont la pers. de réf. a plus de 60 ans .............. Couple avec un enfant ............... Famille monoparentale .............. Autres ........................................ Situation matrimoniale Femme célibataire ..................... – 0,5312 (0,0628) 0,0592 (0,0522) – 0,4988 (0,0582) 0,2258 (0,0615) – 0,4779 (0,0976) 0,1378 (0,0682) 0,2951 (0,0758) – 0,4010 (0,1083) 0,0865 (0,0728) – 0,1630 (0,0675) 0,2066 (0,0662) – 0,0031 (0,0725) – 0,4768 (0,0848) 0,1378 (0,1202) – 0,3419 (0,1597) – 0,1863 (0,0704) Homme célibataire .................... Marié ......................................... 0,0819 (0,0691) 0,0281 (0,0510) – 0.3349 (0,0692) 331 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique Revenu Revenu moyen ............................ – 0,0751 (0,0589) – 0,1684 (0,0438) Revenu assez élevé ..................... – 0,0210 (0,0568) – 0,3434 (0,0435) Revenu élevé .............................. 0,0708 (0,0563) – 0,6366 (0,0441) Revenu moyen dans commune pauvre ......................................... – 0.0666 (0,0874) Revenu assez élevé dans commune pauvre ......................................... – 0,1530 (0,0902) Revenu élevé dans commune pauvre – 0,3160 (0,1018) Revenu faible dans commune moyenne ..................................... 1,1095 (0,3091) Revenu moyen dans commune moyenne ..................................... 0,9132 (0,3095) Revenu assez élevé dans commune moyenne ..................................... 0,6966 (0,2975) Revenu élevé dans commune moyenne ..................................... 0,6905 (0,2481) Revenu faible dans commune riche 0,9797 (0,3378) Revenu moyen dans commune riche 1,1217 (0,2885) Revenu assez élevé dans commune riche ............................................ 0,7615 (0,2945) Revenu élevé dans commune riche 0,5619 (0,2600) Commune pauvre ....................... – 0,0795 (0,0502) Commune riche .......................... 0,0590 (0,0552) Victime individuelle ................... 0,6420 (0,4613) Victime individuelle (ménage à revenu moyen) ......................... – 0,2414 (0,1286) Victime individuelle (ménage à revenu élevé) ............................ – 0,3178 (0,1405) Taille de la commune ................. 0,0806 (0,0123) 0,0385 (0,0137) Inégalité au sein de la commune 0,0666 (0,0687) 0,1107 (0,0674) Taux de chômage communal ...... – 0,0561 (0,4954) Part d’étrangers dans la commune 0,8134 (0,4548) Part d’adolescents dans la commune ........................ 2,6845 (0,9472) Corrélation entre localisation (dans une commune pauvre) et déménagement Corrélation entre victimation et déménagement ........................ – 0,3708 (0,4897) 0,6130 (0,1730) – 0,1990 (0,2450) Effet marginal moyen des agressions contre les individus : – sur le déménagement des ménages à faible revenu ....... 14,9 % – sur le déménagement des ménages à revenu moyen ..... 8,15 % – sur le déménagement des ménages à revenu élevé ....... 6,37 % Modèle estimé par maximum de vraisemblance. Log-vraisemblance moyenne : – 1.3174. Source : INSEE, Enquête « EPCVM ». Nombre d’observations : 7 433. 332 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget Tableau 5. Proportion d’agressions ayant entraîné des arrêts de travail (en fonction du revenu du ménage) (en %) Classe de revenu er nd e 3 quartile 4 quartile 7,4 6,3 7,4 5,1 1 semaine ou moins ..................................... 56,3 46,2 59,1 49,1 Entre 1 semaine et 1 mois ........................... 31,0 34,6 28,8 34,0 Plus d’un mois ............................................. 12,7 19,2 12,1 17,0 Victimes connaissant l’agresseur ............... 50,8 39,2 35,3 32,0 Agressions suivies d’un arrêt de travail ..... 1 quartile 2 quartile e Durée de l’arrêt de travail Source : INSEE, Enquête « EPCVM », 1997-2002. Nombre d'observations : 65 000. Par ailleurs, les estimations des coefficients montrent que la probabilité d’un cambriolage ou d’un vol de véhicule augmente avec le niveau de revenu du ménage, la taille de la commune, son taux de chômage et la proportion d’adolescents qui y résident. Elle est plus élevée dans les communes « riches » mais elle est plus faible pour les ménages âgés et les femmes célibataires (cf. colonne 1 du tableau 3). La probabilité qu’une personne au moins dans le ménage déclare avoir été agressée est sans relation avec le revenu du ménage, la « richesse » de la commune ou son taux de chômage. C’est malgré tout une fonction croissante de la taille de la commune et de la proportion d’adolescents qui y résident. Elle est moins élevée pour les personnes appartenant à des ménages âgés, et plus élevée pour les personnes appartenant à un couple jeune (sans ou avec enfant) ou à un ménage monoparental (cf. colonne 1 du tableau 4). Les célibataires, les couples jeunes, les ménages les plus riches, mais aussi les étrangers, résident moins fréquemment dans les communes « pauvres » (cf. colonnes 2 des tableaux 3 et 4). Pour l’essentiel seuls sont corrélés (positivement) les résidus des équations de localisation initiale et de déménagement (cf. tableaux 3 et 4)1. CONCLUSION Notre étude avait pour objectif de quantifier l’effet causal de la délinquance subie par les ménages sur leur probabilité de déménagement. Elle prolonge et précise celle réalisée par Levitt et Cullen [1999] qui ont quantifié les effets de la délinquance sur la mobilité résidentielle aux États-Unis à l’aide de données agrégées. Nos résultats, obtenus à l’aide des données des enquêtes de l’INSEE sur les conditions de vie des ménages montrent que : 1. La probabilité d’une atteinte aux biens du ménage (cambriolage ou vol de véhicule) augmente avec le niveau de revenu du ménage, la taille de la commune, son taux de chômage et la proportion d’adolescents qui y résident. Elle est plus élevée dans les communes « riches » ; 1. Les modèles dans lesquels la corrélation entre localisation initiale et victimation était également introduite n’ont pu être estimés. Il nous a fallu contraindre cette corrélation à être nulle pour atteindre la convergence. 333 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Revue économique 2. La probabilité qu’une personne au moins dans le ménage déclare avoir été agressée est sans relation avec le revenu du ménage, la « richesse » de la commune ou son taux de chômage. C’est malgré tout une fonction croissante de la taille de la commune et de la proportion d’adolescents qui y résident. Elle est moins élevée pour les personnes appartenant à des ménages âgés, et plus élevée pour les personnes appartenant à un couple jeune ou à un ménage monoparental ; 3. L’intensité des déménagements consécutifs à des atteintes aux biens ou aux personnes est inférieure à celle reportée par Levitt et Cullen [1999] qui estiment qu’aux États-Unis, chaque nouvel acte de délinquance enregistré est associé au départ d’une personne hors de l’agglomération ; il se peut que cette différence tienne à la moindre fluidité du marché du logement en France ; 4. Les ménages de revenu moyen ou élevé déménagent plus fréquemment à la suite d’une atteinte aux biens. Mais ils déménagent moins que les plus pauvres à la suite d’une agression contre un (au moins) de leurs membres. Ce dernier résultat est quelque peu inattendu. Les statistiques descriptives calculées sur la totalité de l’échantillon (soit 65 000 personnes) révèlent toutefois que les individus appartenant aux ménages les plus pauvres connaissent plus souvent leur agresseur que les personnes appartenant à des ménages plus riches. Victimes de délinquants qui sont vraisemblablement leurs voisins, exposés de ce fait à des violences physiques ou verbales répétées, privés de la protection des forces de police, les ménages les plus pauvres victimes de la délinquance échapperaient à leurs agresseurs par le biais de cette « mobilité inquiète » qu’évoque Marx1 ; ils espéreraient ainsi accéder à des zones d’habitation pas forcément plus aisées, mais peut-être moins dangereuses car plus laborieuses. La jeune femme américaine interrogée par William Julius Wilson en 1996, et dont les propos sont repris au début de cet article, le dit fort bien : « Mieux vaut déménager pour s’installer dans un quartier décent et vivre au sein d’une communauté de personnes qui ont un travail. » Il reste malgré tout une hypothèse à valider, celle concernant la relation entre le revenu moyen de la commune de résidence et le niveau de revenu des ménages qui la quittent après avoir été victimes de délinquants. Cette question est importante car elle est au centre de l’analyse des phénomènes de ghettoïsation. Dans les quartiers défavorisés, la délinquance pourrait expliquer, en relation étroite avec d’autres phénomènes (fuite des entreprises et des commerces vers les centres des villes et dans les zones dédiées aux activités industrielles et commerciales, désengagement des services publics, diminution de la qualité des établissements scolaires, etc.)2, le départ des classes moyennes et même de certains 1. « Le criminel suscite cette tension et cette mobilité inquiète sans lesquelles l’aiguillon de la concurrence lui-même s’émousserait » (Marx, Matériaux pour « l’économie », dans Œuvres, tome II, p. 399). 2. Ces phénomènes et leurs conséquences néfastes sur la ségrégation urbaine sont bien décrits dans un rapport récent du Conseil d’analyse économique (Fitoussi, Laurent et Maurice [2004]), qui, entre autres mérites, plaide pour la mise en place d’une politique publique volontariste en faveur des quartiers et des zones de relégation sociale. Il est évident que dans l’esprit des auteurs de ce rapport, comme dans le nôtre, les instruments d’une telle politique doivent impérativement compléter toute action publique visant à rétablir la sécurité des habitants de ces quartiers. Si la puissance publique oubliait ce que sont les causes sociales et économiques de la délinquance, sa politique sécuritaire serait à terme condamnée à l’échec. 334 Revue économique — vol. 56, N° 2, mars 2005, p. 313-336 Denis Fougère, Francis Kramarz, Julien Pouget ménages modestes. Une étude statistique rigoureuse permettrait peut-être de valider l’hypothèse de Jacques Donzelot, selon qui « les pauvres relégués en périphérie constituent une « menace » pour les moins pauvres, en termes de sécurité pour leur personne et leurs biens », ces derniers voulant « à tout prix quitter la périphérie pour fuir les effets négatifs de la promiscuité avec ceux qui s’y trouvent relégués » (Donzelot [2003]). Ce type de résultat permettrait également d’interpeller les partisans de la mixité sociale en leur rappelant que celleci ne se décrète pas. La mobilité résidentielle et la structure sociale de l’espace géographique, qui est le produit de cette mobilité, sont des processus endogènes1. La définition et la mise en place de dispositifs d’incitations ou d’interventions permettant de limiter la ségrégation urbaine passent par la mise en évidence préalable des logiques qui la déterminent. En ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, il convient de ne pas confondre les causes et leurs effets. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BECKER G. S. [1968], « Crime and Punishment: An Economic Approach », Journal of Political Economy, 76, p. 169-217. DONZELOT J. [2003], « Les nouvelles inégalités et la fragmentation territoriale », Esprit, 299, p. 132-157. DUGAN L. [1999], « The Effect of Criminal Victimization on a Household’s Moving Decision », Criminology, 37, p. 903-930. DUMARTIN S. et TACHÉ C. 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