La Séance du mois OSS 117 Rio ne répond plus

Transcription

La Séance du mois OSS 117 Rio ne répond plus
La Séance
du mois
Avril 2009
Histoire
Première ES/L, Terminales gales
OSS 117 Rio ne répond plus
de Michel Hazanavicius (2006)
OSS 117 Le Caire nid d’espions est désormais bien connu des cinéphiles pour son hommage amusé aux
films des années 1950. Il se révèle également un outil très efficace pour faire comprendre aux élèves de
Première ES/L et de Terminale générale certains aspects de leur programme : non seulement l’état de
l’Egypte en 1955 (date du déroulement des faits), qui amène à la question de l’émancipation du tiers
monde (en particulier à travers l’étude de la crise de Suez), mais aussi les relations entre les puissances
occidentales et les pays colonisés ou à peine décolonisés ; le personnage d’OSS 117 est également très
révélateur de l’état d’esprit des Français au lendemain de la Seconde guerre mondiale et de leur mémoire
de ces événements tragiques.
Ainsi, Le Caire nid d’espions est une excellente voie d’accès aux chapitres « La colonisation européenne et
le système colonial », « Le tiers monde : indépendances, contestation de l’ordre mondial, diversification »,
« La guerre froide 1947-1991 » et, pour les Terminales L/ES, « Bilan et mémoires de la Seconde guerre
mondiale ».
On tirera particulièrement profit du visionnage des séquences suivantes :
- La scène d’ouverture en noir et blanc, qui montre OSS 117 aux prises avec un nazi durant la Seconde
guerre mondiale, et durant laquelle le héros lui arrache les plans du V2 : le mythe de la France résistante
trouve ici sa pleine illustration.
- Le dialogue durant lequel Armand Lesignac, le supérieur d’OSS 117, confie à celui-ci sa mission : on y voit
à quel point l’Egypte est alors la caisse de résonance d’intérêts divergents, aussi bien anglais et français
qu’américains et soviétiques – mais également égyptiens, avec la pression du roi d’Egypte déchu, Farouk
Ier, et celle de groupes islamiques clandestins.
- L’excursion au canal de Suez : le dialogue entre OSS 117 et Larmina dans la voiture puis devant le canal
montrent à la fois le sentiment de supériorité français face à un tiers monde qui, lui, conteste de plus en plus
la domination post-coloniale des pays occidentaux.
- La réunion des Aigles de Kheops dans une arrière salle du café Fondouk : le discours de l’imam y est représentatif de la position anti-occidentale du mouvement islamiste des Frères musulmans, qui se développe
secrètement à l’époque en Egypte.
- Le dialogue entre OSS 117 et Gilbert Plantieux, fonctionnaire de l’ambassade française au Caire, est quant
à lui révélateur de l’aveuglement français face aux mouvements de décolonisation.
Questionnaire
1. [Pour les Terminale L/ES] Quelle image de la France vis-à-vis des nazis donne la première
scène du film ? Est-ce conforme à ce que vous savez de cette période ? Pourquoi présenter les
événements de cette manière en 1955 ?
2. L’Egypte est-elle un pays réellement indépendant en 1955 ? Nuancez bien votre réponse à
l’aide de vos connaissances et de remarques puisées dans le film.
3. Quel lieu en Egypte, vu et évoqué dans le film, constitue un enjeu particulièrement crucial en
1955 ? Pourquoi ?
4. Qui est le Raïs mentionné à plusieurs reprises dans le film ? En quoi a-t-il une importance majeure pour l’histoire de l’époque ? Quel lien a-t-il avec le roi Farouk, dont la nièce, la princesse Al
Tarouk, représente les intérêts dans le film ?
5. Quelle attitude a OSS 117 vis-à-vis des Egyptiens du film ? (pensez à Slimane, à Larmina ou
encore au porteur de l’hôtel). En quoi cette attitude peut-elle être reliée à la mentalité coloniale?
6. Quels conflits coloniaux sont évoqués lors de la conversation entre le fonctionnaire de l’ambassade française au Caire et OSS 117 ? Reconstituez le contexte dans ces pays en 1955, et
tirez-en une conclusion sur l’état de l’empire colonial français à cette date.
7. Que pressent-on quant à l’évolution de l’attitude de l’Egypte vis-à-vis des puissances européennes à travers les diverses réflexions des personnages du film (Larmina, Slimane, le gouverneur égyptien etc.) ? Quel événement ce film annonce-t-il, et avec quelles conséquences pour la
France et la Grande-Bretagne ?
8. A quel mouvement d’origine égyptienne actif depuis le début du XXe siècle peut faire penser
l’organisation secrète des Aigles de Khéops, vue à plusieurs reprises dans le film ? Justifiez bien
votre réponse.
La Séance du mois 2
Dossier documentaire
L’Egypte de Nasser, un pays en voie de modernisation et d’émancipation
L’Egypte du Caire nid d’espions est un pays en pleine transformation depuis qu’il est gouverné par Gamal
Abdel Nasser, appelé à plusieurs reprises le Raïs (« chef » en arabe) dans le film.
Cet officier a participé au renversement du régime du roi Farouk par le coup d’Etat de juillet 1952, sous la
direction du général Néguib, et à la fondation de la République égyptienne le 18 juin 1953. A la suite de ce
coup d’Etat, Farouk Ier est exilé en Italie. Il y complote pour revenir au pouvoir – ce qui est visible par le rôle
de la nièce de Farouk dans le film, la princesse Al Tarouk qu’OSS 117 rencontre d’abord à Rome, puis en
Egypte.
Au moment du film, l’Egypte s’est déjà lancée dans une ambitieuse politique de développement (comme
l’apprend OSS 117 lors de sa conversation avec un membre du gouvernement égyptien). La construction du
barrage d’Assouan, prévue dès 1952, doit permettre d’assurer la production d’électricité nécessaire à l’industrialisation ainsi que le lancement d’un vaste programme d’irrigation afin de développer l’agriculture.
De plus, Nasser est alors seul à la tête de l’Etat : il s’est débarrassé de Néguib au printemps 1954 en l’accusant d’appartenir au mouvement des Frères musulmans. En mettant fin au pluralisme politique, Nasser
s’aliène donc, entre autres, ce mouvement islamique.
Le mouvement des Frères musulmans
Les « Aigles de Kheops » auxquels OSS 117 se heurte à plusieurs reprises sont une organisation secrète
imaginaire…ou presque, car on ne peut s’empêcher de la rapprocher des Frères musulmans, dont la position est alors assez similaire à celle de l’organisation fictive.
Rappelons que le mouvement des Frères musulmans a été créé en 1928 par Hassan Al Banna, justement
en Egypte. Tout comme les Aigles de Kheops dénoncent les insultes à l’Islam et souhaitent prendre les armes pour défendre Allah, ce mouvement souhaite instaurer la charia dans les pays musulmans. Ainsi le
serment que tout membre des Frères musulmans doit prononcer est-il profondément marqué par la religion :
« Je m’engage envers Dieu, le Très Haut, le Très Grand, à adhérer fermement au message des Frères musulmans, à combattre pour lui, à vivre selon les règles de ses membres, à avoir entièrement confiance dans
son chef et à obéir totalement en toute circonstance, heureuse ou malheureuse. » Le chef des Frères, le
Guide général, requiert une obéissance inconditionnelle pour lutter contre le mouvement de laïcisation
qui touche notamment l’Egypte, et contre l’emprise occidentale qui s’accompagne du pillage des richesses
locales – ce que l’Imam des Aigles de Kheops souligne dans le film lors de son discours au café Fondouk.
En 1946, le mouvement islamiste regroupe plusieurs centaines de milliers d’adhérents mais depuis 1954, il
a dû passer dans la clandestinité : l’organisation, assimilée à un groupe politique par Nasser, est dissoute
en janvier et devient l’objet d’une forte répression à la suite d’une tentative d’assassinat contre le président
égyptien en octobre de la même année. Cette interdiction du mouvement, à laquelle fait écho la réunion secrète des Aigles de Kheops dans OSS 117 Le Caire nid d’espions, est en fait dûe à l’opposition des Frères
musulmans à l’exercice sans partage du pouvoir par Nasser. Le Raïs mène en effet une politique autoritaire
aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, dont une des manifestations les plus célèbres est la nationalisation du canal de Suez.
Le canal de Suez, enjeu économique et stratégique mondial
Juste après qu’OSS 117 soit arrivé sur le territoire égyptien, sa secrétaire Larmina El Akmar Betouche l’amène voir le canal de Suez. Ce lieu est en effet un enjeu économique et stratégique de première importance, aussi bien pour l’Egypte que pour le monde contemporain.
Comme le rappelle Larmina, le canal a été creusé 86 ans plus tôt, soit en 1869 sous l’impulsion de Napoléon
III et de l’entrepreneur Ferdinand de Lesseps. Si le statut du canal ne devient international qu’en 1888, une
Compagnie universelle du canal maritime de Suez est fondée dès 1869, dont les actions sont en grande
partie rachetées à l’Egypte par la Grande-Bretagne en 1875 ; c’est ce à quoi fait allusion Larmina quand elle
affirme que « la compagnie qui le gère est en majorité anglaise ».
Or cette voie maritime est d’une importance capitale : reliant la Méditerranée (Port-Saïd) à la mer Rouge
La Séance du mois 3
(Suez) et donc voie d’accès directe entre l’Europe et l’Asie-Océanie, elle constitue un enjeu économique et
stratégique gigantesque pour les puissances coloniales et leurs possessions outre-mer ainsi que pour le
commerce mondial de manière générale.
Or, au début des années 1950, le canal est l’objet de tensions croissantes ; en 1951, une lutte armée s’est
développée autour de celui-ci, contre la présence coloniale. Toutefois, l’occupation militaire de l’Egypte par
la Grande-Bretagne instaurée en 1882 a, elle, pris fin en 1954 soit un an auparavant (ce dont Larmina ne
semble pas très au fait puisqu’elle parle d’une « occupation anglaise »…). De manière générale, l’influence
européenne en Egypte est contestée, comme le manifestent dans le film les nombreuses réflexions des
populations locales. Ces réflexions préfigurent la mise à mal de la domination franco-britannique en Egypte
un an plus tard, par la nationalisation du canal de Suez.
En effet, Nasser recherchant des financements pour armer l’Egypte et construire le barrage d’Assouan, il
s’adresse aux Etats-Unis, puis à l’URSS et enfin à la Grande-Bretagne – selon une politique de bascule entre les deux blocs de la Guerre Froide. A la suite du refus de ces trois pays, Nasser nationalisera le canal
le 26 juillet 1956. Les Français et Britanniques réagiront en mettant sur pied une intervention militaire très
importante, engagée en octobre avec l’appui d’Israël – qui a besoin du canal pour assurer son transport maritime. Les occidentaux remporteront une écrasante victoire militaire entre le 29 octobre et le 6 novembre
1956…mais essuieront un grave échec diplomatique, les Etats-Unis et l’URSS condamnant cette opération européenne jugée d’un autre temps et, par le biais des injonctions de l’O.N.U., obligeant la France et
la Grande-Bretagne à se retirer. En ceci, l’épisode sera révélateur d’un aveuglement de l’Europe face aux
revendications du tiers monde.
« La déchéance de l’Europe » (Marc Ferro)
Le formidable manque de recul de la France face à la détermination des Egyptiens à mettre fin à la domination européenne est sensible dans plusieurs scènes du film.
Il est visible dans Le Caire nid d’espions que la France de René Coty pense toujours, en 1955, jouer un rôle
majeur au Moyen-Orient, alors même que la crise de Suez se profile. OSS 117 n’est-il pas chargé, au début
du film, « de conforter la position de la France, instaurer la paix en Egypte et au Proche Orient » ? La scène
finale n’est-elle pas également symptomatique de cet aveuglement, quand le supérieur d’OSS 117 félicite
celui-ci du succès de sa mission et affirme que l’Egypte entre dans une ère de paix alors même qu’un journal
titre « Attentat au Caire ; Nasser décrète l’état d’urgence ; inquiétude des USA et de la Grande-Bretagne ;
l’URSS rappelle son ambassadeur, Israël mobilise » – prodrome de la crise de Suez qui aura lieu un an plus
tard ?
Le Caire nid d’espions fait bien comprendre, à sa manière, l’anachronisme du comportement de la France
(comme de la Grande-Bretagne) en Egypte. Le manque de lucidité des protagonistes français du film fait
écho à la « diplomatie de la canonnière » longtemps pratiquée par les puissances occidentales, désormais devenue inacceptable dans un monde de l’après-Seconde guerre mondiale où les Etats-Unis, l’URSS
comme l’ONU soutiennent les mouvements anti-impérialistes tandis que 29 Etats africains et asiatiques
s’unissent contre le colonialisme lors de la Conférence de Bandung (avril 1955). D’ailleurs, à la suite de la
crise de Suez, la France et même la Grande-Bretagne devront abandonner leurs prétentions à jouer un rôle
majeur au Moyen-Orient et y passer la relève aux Américains face aux Soviétiques – ce que l’on appellera la
« doctrine Eisenhower ». En plein cœur de la Guerre Froide qui oppose Etats-Unis et URSS depuis 1947,
il n’est pas de place pour une politique internationale autonome des pays européens, qui se retrouvent au
rang de puissances secondaires ; à l’inverse, le tiers monde découvre alors sa capacité de décision dans le
jeu des relations internationales.
Ainsi Le Caire nid d’espions traite-t-il aussi bien de la déchéance de l’Europe que de l’émergence d’un
tiers monde renforcé par les mouvements de décolonisation.
Le crépuscule de l’Empire colonial français
L’émergence du tiers monde est particulièrement sensible à travers les mouvements d’émancipation des
peuples colonisés, qui apparaissent en filigrane dans les dialogues du film.
Car la crise de Suez ne fait que confirmer un repli colonial déjà amorcé pour la France. En 1955, comme
le signale le fonctionnaire de l’ambassade française au Caire à OSS 117, se produit une « agitation ici [en
Egypte], au Maroc, en Algérie, en Tunisie… ». Rappelons en effet que dans les deux protectorats que sont le
Maroc et la Tunisie, des partis d’indépendance existent dès avant la Seconde Guerre mondiale : le parti de
La Séance du mois 4
l’Istiqlal au Maroc, le Néo-Destour de Habib Bourguiba en Tunisie. Or, après la guerre, la France a alterné
entre négociations et mesures répressives, par exemple en exilant le sultan du Maroc Mohammed Ben Youssef, ou en emprisonnant Bourguiba. Mais la situation change en 1954, quand Pierre Mendès France devient
président du Conseil en France car celui-ci est favorable à l’indépendance de ces deux protectorats – ce qu’il
affirme lors du discours de Carthage sur l’autonomie interne de la Tunisie le 31 juillet 1954. La voie vers
l’indépendance des deux pays est désormais ouverte ; elle sera effective en 1956.
Le diplomate du film évoque aussi à juste titre l’agitation en Algérie. L’insurrection de ce pays a éclaté le
1er novembre 1954, jour où Ahmed Ben Bella et des nationalistes radicaux lancent 70 attentats sur tout le
territoire. Cet élément déclencheur de la guerre d’Algérie, surnommé la Toussaint rouge, constitue également l’acte de naissance du Front de Libération Nationale qui mènera finalement, à l’issue de huit terribles
années de guerre, à l’indépendance algérienne.
Enfin, le diplomate dialoguant avec OSS 117 évoque la « défaite de Diên Biên Phu » qui a eu lieu le 7 mai
1954. La France y a effet été vaincue par les troupes du Viêt-minh après 54 jours de siège ; à la suite de
cette défaite, les accords de Genève sont signés en juillet. La IVe République a donc perdu l’Indochine – ce
à quoi les personnages du Le Caire nid d’espions ne semblent pas se résoudre.
Une France encore colonialiste face aux revendications indépendantistes
Il est remarquable que dans Le Caire nid d’espions, OSS 117 réplique à l’ambassadeur de son pays que « la
France va vite reprendre le dessus et gardera ses colonies. ». En ceci, la réflexion du personnage est tout à
fait révélatrice de l’état d’esprit des Français dans les années 1950. Alors que les mouvements nationalistes deviennent de plus en plus vindicatifs, la population de métropole s’est attachée à son empire : débouché
naturel des produits français durant la crise des années 1930, réservoir de soldats lors de la Seconde guerre
mondiale, les possessions coloniales sont désormais perçues comme un facteur essentiel de la puissance nationale. C’est ainsi qu’OSS et l’ambassadeur trinquent « A notre empire colonial ».
De manière générale, l’attitude d’Hubert Bonisseur de la Bath en Egypte est symbolique des relations
de la France avec les colonies – et donc de l’absence de prise en compte des revendications indigènes.
OSS 117 fait montre à de nombreuses reprises d’une attitude paternaliste, voire condescendante avec les
Egyptiens, en particulier son employé Slimane à qui il parle de façon infantilisante et à qui il donne une photographie du président du Conseil français, René Coty. Tout ceci rappelle que la colonisation s’est en grande
partie fondée sur le sentiment de devoir apporter la « civilisation » aux peuples des autres continents, que
l’on pensait en retard sur l’Occident – devoir appelé « le fardeau de l’homme blanc » par le poète Rudyard
Kipling en 1899. Ainsi ce complexe de supériorité repose-t-il parfois sur de bons sentiments et la certitude
que la culture et les institutions politiques européennes (la République pour la France) sont les meilleures du
monde ; qu’il faut en faire bénéficier les peuples des autres continents, quitte à ignorer, voire nier la civilisation des populations colonisées (ce dont OSS 117 fait la démonstration par son ignorance absolue du passé
de l’Egypte et de sa culture actuelle).
Au-delà de l’histoire des mentalités, cette approche de la colonisation explique également l’immobilisme
politique de la France face aux revendications indépendantistes. La phrase finale d’OSS 117 est pleinement
symptomatique de cette attitude : en déclarant que les Occidentaux sont fort appréciés partout, « à condition qu’ils y mettent un peu du leur », le héros de fiction manifeste le fait que la France a longtemps cru qu’il
suffirait de quelques concessions pour satisfaire les indigènes : face aux revendication d’indépendance de
l’Indochine au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le général De Gaulle se contente de donner davantage de pouvoir aux élites locales ; en Algérie, le statut de 1947 met en place une Assemblée algérienne
et donne donc pour la première fois le droit de vote aux musulmans – mais les députés européens y sont
représentés à part égale avec les autochtones…ce qui ne peut satisfaire les mouvements indépendantistes,
qui se radicalisent.
Or on ne peut comprendre l’attachement profond de la France des années 1950 à son empire sans rappeler
le contexte très proche de la Seconde guerre mondiale, d’ailleurs fréquemment évoqué dans le film.
Un monde encore marqué par la Seconde guerre mondiale
La France de 1955 est encore traumatisée par son effondrement en 1940. Elle ne souhaite donc pas subir
une nouvelle défaite : puissance affaiblie, elle compte bien sur ses colonies pour se maintenir parmi les plus
grands. Ce n’est donc pas un hasard si Le Caire nid d’espions s’ouvre sur une scène située durant la Seconde guerre mondiale et durant laquelle OSS 117 parvient à arracher les plans du V2 à un nazi… révision
La Séance du mois 5
de l’Histoire tout à fait dans la lignée de la construction d’un mythe de la France résistante voulu par le
général De Gaulle après la Libération, afin de forger une nouvelle unité nationale. Lorsque l’espion français
Jack Jefferson affirme, dans la scène d’ouverture, qu’il ne cèdera « jamais devant la barbarie », il alimente
l’idée, prégnante en 1955, d’une France éternelle, unie face au fascisme, et pour laquelle Vichy est « nul et
non avenu » (De Gaulle). Rappelons qu’il faudra attendre les années 1970 pour que ce mythe de la Résistance soit ébranlé, entre autres par Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls (1971) et La France de Vichy de
Robert O. Paxton (1973).
Car en 1955, la Seconde guerre mondiale est encore très proche. Cela est particulièrement visible dans
Le Caire nid d’espions, où figure un groupe de nazis cachés dans une pyramide de Gizeh. Le film se fonde
ici sur un fait avéré, à savoir l’exfiltration de nombreux nationaux-socialistes au Moyen Orient à la fin
de la guerre. En dehors de l’Amérique latine particulièrement accueillante pour certains criminels fascistes,
l’Egypte a en effet également été un refuge pour environ 6 000 nazis, dont l’installation fut encouragée par
Nasser pour des raisons à la fois financières et idéologiques : la propagande antijuive et antisioniste du Raïs
s’est nourrie de la collaboration de ces criminels, dont certains, comme Johann von Leers, se convertissent
à l’Islam, d’autres traduisent Mein Kampf en arabe, ou d’autres encore travaillent dans les forces de sécurité
égyptienne. Le personnage de Loktar, membre du groupuscule néo-nazi dans Le Caire nid d’espions, s’inscrit donc tout à fait dans cette convergence des idéaux de certains Egyptiens et de l’Allemagne nazie.
Conclusion
Finalement, la naïveté d’OSS 117 – déclenchant aussi bien l’agacement que l’attendrissement du spectateur – traduit pleinement l’attitude de la France et de l’Occident en général face au tournant politique que
représentent les années 1950 dans l’histoire mondiale. Le Caire nid d’espions n’est donc pas simplement un
pastiche des films des années 1950 : c’est aussi (et surtout ?) un film dont certains effets comiques reposent
sur le recul qu’un spectateur informé a aujourd’hui sur les faits historiques de l’époque.
Crédits
Dossier réalisé par Hélène Chauvineau, professeur d’Histoire
au lycée Jean Zay d’Aulnay-sous-bois
pour le site Zérodeconduite.net
Tous droits réservés.
La Séance du mois 6

Documents pareils