Revisiting Time, Le point de non retour - FRAC Nord

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Revisiting Time, Le point de non retour - FRAC Nord
Revisiting Time, Le point de non retour
Une exposition du FRAC Nord-Pas de Calais
La Plate-Forme
67/69 rue Henry Terquem
59140 Dunkerque
Deimantas Narkevicius,
Disapearance of a Tribe, 2005
©Ok Kyung Yoon
23-09-2011>04-12-2011
L’EXPOSITION
A travers une sélection d’œuvres de la collection du FRAC Nord-Pas de Calais, Irène
Aristizabal, commissaire invitée dans le cadre de la troisième édition de la bourse H+F
Curatorial Grant, explore la question du point de non retour.
Les œuvres présentées témoignent de tournants temporels qui transforment radicalement le
cours des évènements à venir et qui de ce fait ont eu ou auront une incidence sur le futur.
Des évènements qui ont changé ou bouleversé le cours de l’Histoire ou d’histoires
individuelles et personnelles.
L’exposition présente des œuvres de Manon de Boer, Rodney Graham, Ray Johnson, Scott
King, Gianni Motti, Deimantas Narkevicius, Cady Noland, Christodopoulos Panayiotou,
Raymond Pettibon ainsi que des nouvelles productions par Louise Hervé & Chloé Maillet,
Oriol Vilanova et Damien Roach.
Une publication et des événements enrichiront le projet de manière à présenter une
approche discursive à la notion de point de non retour et aux problématiques de l’écriture de
l’histoire.
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la présentation du TOME #3 (catalogue raisonné de la
collection) qui fera l’objet d’expositions à Boulogne/mer, Calais, Dunkerque et le Touquet.
L’exposition Revisiting Time permet d’aborder à différents niveaux les notions de la
construction de l’Histoire et des histoires.
LES THEMATIQUES
 L’événement
Loin d’être descriptifs, certains artistes s’appuient directement sur des événements
historiques pour réaliser une œuvre. Ils interrogent alors la capacité de l’art à figurer un
événement qui bouscule le court de l’histoire.
Les événements choisis par les artistes sont parfois infimes, anecdotiques, et peuvent
pourtant influer le court de l’Histoire.
Les œuvres de l’exposition :
- Scott King, The Rolling Stones, 12 September 1969, Altamont Raceway, Livermore, USA,
1999
Impression sur papier
152x100cm
Collection FRAC Nord-Pas de Calais
Scott King figure par un pictogramme la foule présente au concert des Rolling Stones :
l’énergie est canalisée, maîtrisée, chaque individu est signifié par un point. L’événement
majeur que représente cette sérigraphie reste invisible. Tout comme personne n’a réagi au
court de ce concert quand un des spectateurs noir a été frappé à mort, Scott King propose
une uniformisation des individus : la réduction formelle de la foule à des points noirs de
même taille, de même espacement tend à évacuer toute impression humaine de cette
représentation.
- Gianni Motti, Revendications
1986 – 1996
Photographies, papier
Dimensions variables
Collection FRAC Nord-Pas de Calais
Gianni Motti revendique la paternité des tremblements de terre qui ont frappé la Californie et
la région Rhône Alpes, ainsi que l’explosion de la navette Challenger dans les années 1980.
- Manon De Boer, Attica
2008
Film 16 mm noir & blanc, son mono, 10’
Collection FRAC Nord-Pas de Calais
Manon De Boer prend comme point de départ de son film le soulèvement de la prison de
New York en 1971. Les prisonniers qui réclamaient des conditions de détention plus
humaines et respectueuses ont pris en otage plusieurs gardiens. L’ordre a été lancé de
donner l’assaut, la prise de la prison par les forces de l’ordre a entraîné la mort de
nombreuses personnes, prisonniers comme gardiens. Cet événement traumatique est
important dans l’histoire personnelle des survivants qui l’ont vécue, tout autant que pour
l’histoire de l’avancée des droits des prisonniers aux Etats Unis.
Le choix du sujet est une preuve de l’engagement de l’artiste.
- Ray Johnson, A Two-Year-Old Girl Choked to Death Today on an Easter Egg, April 1968,
S.M.S. 2
Avril 1968
Impression en 2 tons sur papier photographique
27,3x16,7 cm
Collection FRAC Nord-Pas de Calais
L’artiste américain, représentant du Mail Art utilise un fait divers comme point de départ de
son travail. Une histoire personnelle est ici bouleversée par cet événement qui peut paraitre
mineur au regard de l’Histoire universelle, mais marquera à tout jamais la famille à qui cela
est arrivé.
- L’I.I.I.I. (Louise Hervé et Chloé Maillet), Du plus petit étonnement peut naitre l’amour
2011
Livret, objets trouvés, tissu brodé, étagère, performance
Dimensions variables
Production spécifique
Les deux artistes françaises ne conservent de l’Histoire que les anecdotes (cf.l’effet
papillon). L’Histoire racontée par des artistes est passée par le prisme des choix subjectifs,
de la mémoire personnelle de celui qui raconte.
 L’interprétation
Une image peut raconter plusieurs histoires.
Le texte et l’image ne coïncident plus pour donner du sens, les mots s’ajoutent aux images
mais participent plus à brouiller le message plutôt qu’à se faire explicatifs.
Il s’agit là des techniques utilisées par les images de propagande pour faire dire aux images
un message orienté, manipulateur.
Les œuvres de l’exposition :
- Raymond Pettibon, No Title (A wish upon)
1991
Encre de Chine et encres de couleur sur papier
34x26,7 cm
Collection FRAC Nord-Pas de Calais
- Ray Johnson
- Scott King
- Manon de Boer propose une relecture d’un événement précis. Suite au soulèvement de
1971, de nombreux artistes se sont approprié l’événement, un poème a notamment été
rédigé à partir de témoignages, puis un compositeur a mis ce poème en musique. Manon De
Boer propose ici un troisième niveau d’interprétation : les musiciens réinterprètent le
morceau, elle les filme dans un mouvement continu.
 La continuité
Le choix peut être aussi de présenter l’Histoire comme une succession d’événements qui se
superposent par strates. On assiste à la lente évolution d’une culture en marche par le biais
de médiums particuliers : succession de diapositives, film à partir de photographies.
Les œuvres de l’exposition :
- Christodoulos Panayioutou, Neverland
2008
80 diapositives
Collection FRAC Nord-Pas de Calais
L’artiste nous présente par une succession d’images banales, sans qualité esthétique
particulière, l’occidentalisation de Chypre au moment de son entrée dans l’Union
Européenne.
- Deimantas Narkevicius, Disappearance of a Tribe
2005
Film Béta SP, transféré sur DVD, noir & blanc, son, 10’
Collection FRAC Nord-Pas de Calais / H+F Collection
L’artiste lithuanien s’interroge sur les évolutions majeures de son pays après l’effondrement
du bloc soviétique qui pourtant restent imperceptibles à l’échelle de la famille de l’artiste. Les
photographies sont celles de son père, elles sont documentaires dans le sens où il s’agit de
réelles images d’archives personnelles, mais elles présentent une image différente de ce
que le sens commun pourrait attendre de la transition politique après la chute du rideau de
fer.
- Louise Hervé et Chloé Maillet
L’installation des artistes présente une suite d’événements qui s’enchaînent selon une
chronologie fluctuante. Les liens entre les événements sont brodés de manière très délicate
et peu scientifique.
- Oriol Vilanova, Avec le temps
2011
Texte
Production spécifique pour la publication
Oriol Vilanova met en évidence les choix subjectifs qui président à l’écriture de l’histoire :
quels événements sont conservés dans la chronologie finale qui écrit l’Histoire? Si le point
de vue change géographiquement, l’histoire n’est pas racontée de la même manière
(exemple ici : histoire racontée du point de vue de l’Argentine)
 Le geste de l’artiste
- Louise Hervé et Chloé Maillet
Les recherches des 2 artistes se développent selon différents niveaux, une même
thématique va se décliner en installations, performances, publications, films…
Informations sur le site internet des artistes : http://www.iiiiassociation.org/
Voir aussi le dossier pédagogique du Centre Georges Pompidou, Paris : « Qu’est ce que la
performance ? »
http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Performance/index.html
- Oriol Vilanova, Le Décor
2011
Matériaux divers (affiches de l’Internationale Situationniste, édition originale de La Société du
Spectacle, Guy Debord)
Dimensions variables
Production spécifique
Relecture de l’Internationale Situationniste. L’artiste choisit la dernière grande avant-garde
du XXème siècle et propose par son geste de faire table rase du passé. Il efface les mots du
texte de Guy Debord, froisse et jette une affiche de l’Internationale Situationniste, en
retourne une autre contre le mur, laissant apparaître le texte à l’envers. Ces objets sont issus
de sa collection personnelle, il leur porte un véritable attachement, si bien que le geste de
froisser, jeter, effacer est pour l’artiste difficile et vécu douloureusement. Ces 3 gestes
témoignent de 3 niveaux différents du renoncement : l’effacement des mots sur la publication
est totale, irréversible, alors que les affiches peuvent encore être réhabilitées, récupérées.
- Gianni Motti
Par ses revendications, l’artiste se fait démiurge, l’idée de l’œuvre a plus de poids que sa
réalisation (cf. Marcel Duchamps et les Ready made).
LES VISITES/ATELIERS
Chaque visite – atelier peut être construite en collaboration avec l’équipe enseignante, afin
de s’adapter à votre projet pédagogique.
 Les visites simples
Les visites de l’exposition privilégient l’approche dialoguée autour des œuvres.
Elles sont adaptées au niveau des élèves.
Les artistes ne sont pas des journalistes ni des historiens, leur manière d’aborder l’histoire
est donc subjective et passe par l’expérience de l’émotion.
 Les visites - ateliers autour du récit
En abordant quelques œuvres de l’exposition, les visites-ateliers autour du récit invitent à
questionner la narration, l’interprétation d’un événement, la manière dont on construit
l’Histoire et les histoires.
« L’histoire en images»
Recréer une narration à partir d’images et d’éléments de textes. Faire raconter l’histoire
obtenue par un autre élève. Comment l’histoire est elle comprise par l’autre ?
« Et si… »
« Le nez de Cléopâtre : s’il eut été plus court, toute la face de la terre aurait changé. » (B.
Pascal, « Pensées », 1670.)
Visite uchronique, improvisation théâtrale.
En partant d’une œuvre d’art comme point de rupture, inventer l’avant ou l’après de
l’événement
« Une image peut raconter plusieurs histoires »
A partir de planches de bandes dessinées dont on a retiré le texte, les élèves sont invités à
réinventer l’histoire. Une même image peut donc être interprétée différemment, et raconter
plusieurs histoires.
Visites gratuites sur réservation
Informations pratiques, réservations :
Sylvianne Lathuilière
Chargée de médiation
+33 (0)3 28 65 84 23
[email protected]
www.fracnpdc.fr
FICHE PEDAGOGIQUE / THEMATIQUE
Revisiting time. Le point de non retour
« L’œuvre, la mémoire et l’art »
On peut penser le temps comme une succession de moments objectifs (calculés en
seconde, minutes, heures, jours, années) et qui s'écoulent invariablement dans le même
sens (comme le temps des montres) mais c'est sans compter sur la mémoire qui est
« impressionnée » par des événements qui font rupture et marquent des différences, des
heurts et des aspérités dans cette succession.
Etre témoin de ces ruptures, être accidenté, hanté par des moments de cassures et
de discontinuité, c'est cela le « temps » pour un individu. Cela nous indique que la
succession des secondes est habitée autrement que par des mesures mathématiques
identiques ou des événements historiques collectifs mais par des résonances subjectives,
des sources souterraines, des traumas, des répétitions, des fixations, des traces internes,
des obsessions, des blancs, des expériences intimes.
Pour la mémoire, le rapport au temps n'est pas le produit d'une ligne continue mais il
fait surgir la figure du labyrinthe, figure interne au sujet, compacte et obscur, sur fond de
laquelle surgit toujours la difficulté de rencontrer sa propre obscurité (c'est dans cette
obscurité que le sujet est lui-même). Le labyrinthe met en œuvre 3 choses : le fil de la
mémoire, l'épreuve des rencontres traumatiques, la nécessité de revenir de l'ombre vers la
lumière. La mémoire n'est pas mesurable dans le temps, elle n'est ni une capacité de
stockage, ni une faculté de manipulation des données, elle n'est pas une machine
programmable.
La mémoire objecte à tout cela, elle n'obéit à aucune commande, pas même au sujet
qui la porte en lui, elle est tout au contraire une forme de résistance à la commande, la
mémoire objecte à l'effacement et à la dissolution, à ce qui se passe et ce qui s'est passé.
Elle maintient en vie un ensemble de traces destinées à l'effacement. Il faut imaginer le
combat de la mémoire et de l'oubli, à quel point il est inégal de se souvenir alors que tout est
destiné à disparaître, et qu'en fin de compte la responsabilité de la mémoire est la
responsabilité d'une solitude qui se retrouve en position de sauver un monde dont elle, et
seulement elle, aurait la charge.
Et, si la vie est l'ensemble de toutes les forces qui résistent à l'oubli, la mémoire c'est
la vie. Elle se construit dans un récit, elle se densifie dans un témoignage ou dans une
œuvre. Sauver un monde, construire un récit, inventer une objection à l'effacement, c'est
cela la mémoire. Lorsqu'un artiste constitue une œuvre, il n'est pas historien, il n'est pas
journaliste, il n'est pas descriptif ou explicatif, il crée un acte. Cet acte aura une épaisseur.
L'œuvre est un condensé de significations dont on doit débrouiller les fils, expliquer la
situation, l'origine, la démarche, l'intention. Chaque œuvre a besoin d'être mise en situation,
elle appartient au style d'un artiste, à son « rapport au monde », à son regard, il faut la
restituer dans un récit pour lui rendre sa cohérence. Mais, l'œuvre reste toujours opaque en
elle-même, toujours singulière, toujours condensée et donc toujours une expérience
déconcertante. Elle s'adresse à l'émotion et c'est l'émotion qui reste au final le plus important
et qui permet ou non de réaliser une rencontre.
C'est la raison pour laquelle la rencontre d'une œuvre peut prendre beaucoup de
temps. La densité de la mémoire déposée est comme la lumière d'une étoile : elle doit
voyager dans le temps pour nous parvenir.
FICHE PEDAGOGIQUE / ARTISTE
Gianni Motti
1958, Sondrio (Italie)
Gianni Motti est un artiste interventionniste, il crée quoi ? Des « interventions », simplement
des actes, des attitudes, des situations. Il refuse de créer des œuvres matérielles avec
intention artistique. Pas d'œuvre au sens traditionnel du terme, pas d'œuvres pour le marché
de l'art.
L'une de ses spécialités est l'infiltration :
- infiltration à l'Onu, sous la bannière « Indonésie »
- manifestation télépathique à Bogota
- campagne présidentielle américaine
- infiltration dans une équipe de football
- dans un meeting
Il infiltre, il se confond avec le milieu qu'il infiltre et devient aux yeux de tous un acteur naturel
du cérémonial, en réalité il est tout simplement en train de le parodier.
Le rôle de l'art : une forme d'élégance du détournement
Introduire de la rupture dans un monde réglé
Cette rupture est humoristique, poétique, politique
Souvent son intervention passe inaperçue, repérée après l'événement.
Mais pas toujours :
A Bogota en 1997 : il transforme sa dernière œuvre (séance de psychanalyse) en séance de
transmission de pensée et apparaît devant le palais présidentiel avec pour mot d'ordre :
Samper pizano démission ! Il est repéré par les services de l'ordre et doit quitter le pays
dans la plus grande urgence.
Lors que tremblement de terre en Rhône-Alpes en 1994, sa revendication est directement
enregistrée par les médias qui diffusent sa photo en même temps que l'annonce du
tremblement de terre
La revendication du tremblement de terre est une appropriation provocatrice.
Motti est un spécialiste de l'appropriation provocatrice, son but est de produire de l'ironie, du
dérangement, de l'absurde, du spectacle.
Ses motivations sont multiples. Lorsqu'il revendique le tremblement de terre de Californie en
1992
Parce qu'il ironise sur l'omnipotence de l'artiste et tourne en dérision le pouvoir de création.
Mais sa revendication du tremblement de terre de Rhône-Alpes s'accompagne de cette
phrase. L'artiste revendique le phénomène naturel qui « secoue les hommes et les
consciences, tout comme l'art ».
Motti revendique aussi les catastrophes techniques (Challanger 1996).
Il joue le rôle d'un charlatan passager bonimenteur qui se glisse dans les médias pour
produire du dérisoire, il prend la posture du cynique, c'est à dire de l'incroyance et de l'ironie
mais sur un versant plus poétique que philosophique : il s'agit d'introduire de la liberté et de
l'humour dans le devenir réglé du monde, faire jaillir de la perplexité dans un regard amusé,
produire de l'absurde.
Qu'est-ce qui est art ici ? Le dispositif visuel bien sûr mais pas seulement, on est aux limites
du matériel, l'artiste ne produit pas d'œuvre pour le marché. L'art est donc une production de
subjectivité, une subjectivité subversive, poétique, invraisemblable contre les rouages des
discours et des machines institutionnelles, par exemple celle des lourdes machines du
spectacle et de la télévision.
Motti sépare subjectivité de l'art et œuvres. C'est la photo d'un journal qui authentifie ses
performances et la réussite de son action. De même c'est le graphe d'une machine, un
oscillographe, qui est exposé et non une œuvre personnelle. Cela signifie que c'est la
subjectivité de l'artiste elle-même qui est art, pure production immatérielle. L’artiste Ben dit
par ailleurs que l'art réside déjà dans l'attitude et dans l'intention.