gianni motti - D+T Project Gallery

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gianni motti - D+T Project Gallery
GIANNI MOTTI
La Grande Illusion
21 april – 19 May
Opening 20 April 6–10 pm
La première fois que j’ai rencontré Gianni Motti, c’était lors d’une séance de psychothérapie. L’artiste
recevait dans son cabinet genevois (Psy-Room, 1994). Je m’épanchais sur mes soucis de programmation.
Je venais de co-fonder un centre d’art (le CAN à Neuchâtel) et je traversais cette période de doute que
tout jeune curateur connaît lorsqu’il s’agit d’établir un programme sur une année. Je ne me souviens plus
ce que je lui ai raconté mais je sais que je suis ressorti de cette séance avec l’intime conviction que le
CAN devait absolument commencer sa programmation avec une exposition personnelle de Gianni Motti.
Six mois avant l’exposition, l’artiste ne répond plus. Il demeure introuvable. Il a quitté son domicile sans
laisser d’adresse. Trois mois avant le vernissage, je reçois enfin une note de sa part : « Je travaille pour
l’exposition. » Une semaine avant l’échéance, j’apprends que l’artiste sillonne le pays depuis plusieurs
mois en tant qu’assistant du fameux illusionniste Mister R.G. Par chance, la tournée se termine à
Neuchâtel… au CAN. Le soir du vernissage, le public médusé assiste à un spectacle où l’artiste se fait
découper en rondelles, transpercer par une herse, flamber la tête, disloquer le corps. Il disparaît et
apparaît à volonté, il flotte dans le airs, sans aucun effort.
Gianni Motti documente rarement ses performances. Si un vidéaste est dans la salle et filme : tant mieux.
Lorsqu’il se fait passer pour un joueur de l’équipe de football Neuchâtel Xamax, il demande un cliché au
photographe de presse. Lors de ses funérailles dans un cimetière espagnol, ce sont les fidèles de l’église
qui immortalisent l’événement. Et quand il prend la parole en tant que représentant de l’Indonésie au
Nation Unie, la photographie est prise par un délégué argentin Il ne ressemble ainsi guère à ces « artistesperformer », qui documentent consciencieusement chacune de leur action par une série de films, de
photos et de textes expliquant le contexte de leur œuvre.
A l’occasion de son exposition à la Galerie D+T Project, l’artiste montre pour la première fois la totalité des
documents vidéos réalisés il y a dix-sept ans avec Mister R.G. Chaque vidéo se réfère à un « tour » ou
plutôt à une « illusion » particulière. A l’évidence, l’artiste ne se fait pas découper en morceau ou
transpercer, il en donne simplement l’illusion. On le sait, toute œuvre d’art naît d’une illusion : pour être
vue en tant que telle, l’œuvre doit en effet fournir au spectateur les clefs nécessaires à sa transfiguration
d’objet ordinaire en objet esthétique. Mais comme dans tout tour de magie, cette illusion est généralement
occultée. On ne voit que le spectacle, rarement son dispositif.
On se rappelle que les vaillantes figures du Body Art s’imposaient contrition, pénitence, mortification,
flagellation, macération... Vito Acconci s’infligeait des morsures. Chris Burden demandait à son assistant
de le jeter en bas d’un escalier à coup de pied ou de lui tirer une balle de 22 long rifle dans le bras
gauche. Gina Pane s’entaillait le visage avec une lame de rasoir puis se maquillait avec son sang, léchait
des débris de verre, intégrait des aliments avariés et s’enfonçait des épines de roses dans le bras.
Marqués à jamais dans leur chair, les corps suppliciés de ces artistes évoquent les figures de martyres
morts pour la bonne cause.
“Laurent, serrez ma haire avec ma discipline” clamait le Tartufe de Molière. Réfutant toute tentation
d’héroïsme, Gianni Motti pourrait répondre aux martyrs de salon : « Mourir pour l’art, oui, mais de mort
lente »
Marc-Olivier Wahler, Avril 2012

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