Muscler l`imagination, stimuler l`intelligence

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Muscler l`imagination, stimuler l`intelligence
Muscler l’imagination, stimuler l’intelligence
Chantal Dulibine
«Travaillez, prenez de la peine…C’est le fonds qui manque le moins » (Fables V, 9).
La Fontaine) a beau nous assurer que le travail ne risque jamais de nous décevoir…que faire
quand on constate que les élèves se ruent sur Internet pour trouver les corrigés, que les
familles achètent des prestations à domicile, que les devoirs à la maison sont bâclés et
indigents,etc ? Comment faire face à ces pratiques déplorables ?
Je voudrais exposer quelques activités susceptibles de donner du sens au travail personnel,
hors temps et hors espace scolaire, que je persiste à trouver plus qu’indispensable, car il fonde
une perception juste de la réalité du labeur intellectuel, de ses temps de latence et de ses joies
productives. Dans les exemples présentés, il s’agit de faire prendre conscience à l’élève que la
production remise au professeur n’est pas le dernier mot du travail, et que les progrès passent
par un travail de réflexion et d’autonomisation, seul ou à plusieurs, antérieur ou postérieur à la
tâche. L’élève pourra ainsi considérer que son travail a un vrai destinataire très intéressé, le
correcteur, mais qu’il n’est pas seulement destiné aux beaux yeux de l’enseignant, car il est un
vecteur de son identité de sujet pensant et créant.
À propos de l’écriture dite « d’invention »
Ce type de sujet, tel qu’il est proposé au bac depuis 2002, est contesté par certains professeurs
de Lettres qui trouvent que son apparente facilité n’en fait pas un sujet équivalent aux deux
autres sujets canoniques du bac : le commentaire et la dissertation. Sans entamer ici un débat
qui mènerait à interroger plus largement les positions en présence, il me semble, à l’usage,
pertinent de demander systématiquement aux élèves qui choisissent ce sujet de fournir, en
parallèle avec leur copie, des remarques sur le processus de leur travail, dans une analyse
organisée autour de ces questions rituelles :
1. Dans ce travail de création littéraire, quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
2. Donnez des exemples de vos hésitations éventuelles, et de ce qui a justifié votre choix final
3- Pour nourrir votre écriture, et muscler votre imagination, pensez-vous avoir utilisé, voire
pastiché ou parodié,des documents et des modèles littéraires ? Où avez-vous cherché des
sources d’inspiration? (dans la séquence faite en cours, dans votre manuel, dans d’autres
ressources, cf annales, Internet ?) Et dans quelle zone de votre devoir en voit-on les traces ?
4. Dans votre devoir, qu’est-ce que vous jugez cette fois particulièrement réussi ? Y a-t-il des
éléments qui font votre fierté, vous ont fait plaisir ?
NB : Avez-vous relu avant d’écrire, les cours qui précédaient ce devoir (avec leur cohorte de
textes et d’images), vos devoirs depuis le début de l’année,…et les consignes et contraintes
données pour ce devoir (ex : la grille de lecture donnée pour les commentaires, la relecture du
devoir à voix haute, la fiche d’évaluation...)
Je précise qu’une part de ma note (jusqu’à 4 points sur 20…) est affectée à ce commentaire,
d’abord pour que l’élève ne s’y soustraie pas, ensuite parce que cette activité réflexive permet
d’influer en amont sur la qualité de la production, enfin parce que cette démarche mobilise
des compétences d’analyse, de rédaction et d’organisation aussi nobles que dans les autres
sujets de bac. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi les autorités n’ont pas inclus cet additif
réflexif dans la définition de l’ épreuve. Un élève peut ne pas avoir réussi intégralement sa
production écrite mais avoir intelligemment perçu la culture, les techniques à mettre en
œuvre, et envisagé finement la problématique de l’écrit demandé.
Exemple en Première ES :
Sujet : Rédigez une fable dont le héros sera un élève qui ne prépare pas suffisamment le bac
de Français et « vend la peau de l’ours », etc…Les personnages seront des animaux, votre
fable sera disposée en vers ( trente maximum) parmi lesquels vous écrirez quatre alexandrins
consécutifs sur deux rimes –vous encadrerez cette zone de votre texte. Vous vous inspirerez
de votre expérience de la vie et de votre culture personnelle, des fables vues en classe, et de la
fiche méthodologique sur l’analyse d’une fable, notamment de sa structure et de ses
ingrédients.
Extraits des commentaires : « J’ai essayé de souligner au maximum la structure narrative,
avec la situation initiale puis l’élément perturbateur (l’examinateur-boa), ensuite il y a un long
échange entre eux, et le dénouement est tragique…Pourquoi un koala ? Parce qu’il est gentil
et qu’il a besoin de beaucoup de repos comme les adolescents….J’ai fait une recherche sur le
paon dans la mythologie…J’ai axé mon personnage sur la recherche du bonheur, et j’ai eu du
mal à faire une fin tragique…J’ai voulu trop vite introduire un contraste entre le vieil aigle en
train de dormir et le jeune faucon qui s’agite…Je me suis rendu compte que je n’avais
introduit aucun discours direct….Je me suis rendu compte que j’avais besoin de mots plus que
d’idées, j’ai donc lu des fables en vrac en notant les mots qui me plaisaient….Je ne sais pas si
cela se voit, mais j’ai aimé faire ce travail : j’ai passé des heures à supprimer des syllabes et à
en rajouter ; j’ai même essayé de faire un enjambement avec rejet…Je crois avoir essayé de
faire des assonances dans les premières lignes… Mes temps concordent avec ceux du Loup et
l’Agneau… J’ai cherché des animaux dont le combat soit déséquilibré…Fallait-il mettre aux
prises le jour du bac deux animaux de même race ? ( question évidemment de très grand
intérêt pour la situation réelle élève/examinateur !…) Pour la morale, j’ai cherché des
maximes : je me suis inspiré de celles de Chamfort et La Rochefoucauld… J’avais d’abord
écrit une autre morale, plus prosaïque, mais je me suis dit que cela ne donnait plus aucune
place à la pensée du lecteur ; j’ai donc supprimé ma morale, mon texte s’en trouva (sic)
allégé, aéré, et laissant une chute plus ouverte…
On le voit : les élèves s’interrogent ainsi sur l’inscription dans un genre de référence, le
rythme de la narration, le vocabulaire, le registre, le propos à tenir sur le monde, la place du
lecteur : peut-on demander davantage en Première ? D’autre part, ces remarques permettent
au correcteur de formuler des consignes de réécriture personnalisées.
Les commentaires réflexifs
Le jour même où les élèves rendent leurs copies, parfois, je distribue illico un corrigé aux
élèves et leur demande (individuellement ou par groupe) une évaluation écrite des écarts
qu’ils constatent entre ce corrigé et leur devoir, tandis qu’ils ont encore leur copie sous les
yeux, et en tête un souvenir assez frais de leur travail à la maison.
Cet écho rédigé apporte des informations précieuses sur les représentations et le degré de
lucidité des élèves. Certains se trompent sur eux-mêmes (surestimés ou dévalorisés), ou sur le
produit attendu ; ils révèlent par exemple une hantise mal placée d’en « écrire trop » (!) dans
leurs devoirs ; ils constatent ne pas avoir fait de lien avec les activités préparatoires en classe,
avoir écrit avec trop d’implicite, évaluent leur travail à l’aune du temps passé, croient à
l’ « inspiration » ou pensent devoir être « originaux » (c’est-à-dire ignorer volontairement
tous les acquis du cours !)
Ce texte de commentaire rétrospectif permet ensuite un dialogue plus concret avec l’élève et
sa famille sur les performances scolaires. Il aiguise le regard de l’élève sur son écrit et lui
permet, de comprendre sa note - devenue dès lors pensable - et appréhendée de façon plus
distanciée qu’au cruel moment de réception de la copie corrigée.
Exemple de devoir donné en Seconde : pour initier à la dissertation, après plusieurs lectures
cursives et étude d’un groupement de textes sur ce que prédisent les romans d’anticipation sur
l’éducation future des enfants.
Sujet : La science-fiction vise-t-elle à nous alarmer ou à nous divertir ?
Commentaires réflexifs : « Je pense avoir raté ma dissertation et avoir entre quatre et sept :
mon devoir manquait d’arguments et d’exemples concrets. Le peu d’arguments qu’il y avaient
(sic) n’étaient pas développés et, comme le dit le corrigé « un argument non développé est
perdu ! … »... J’ai pensé à utiliser l’article du Monde que vous avez mis au CDI… Mes idées
sont trop floues et je n’ai pas exploité tous les textes du corpus … Je n’ai pas le même point
de vue que vous … Avant d’avoir le corrigé, je pensais avoir la moyenne, maintenant je vois
qu’il me manquait beaucoup d’arguments, je me suis contentée de deux.. Mon introduction
me semble réglementaire…J’ai cité tous les livres vus en classe, mais j’ai peut-être fait un
devoir trop long…J’ai oublié de reformuler le sujet…J’ai fait des transitions et des miniintro…je vois que je n’ai fait que citer des titres au lieu de développer sur le contenu des
livres… Je pense donc maintenant avoir tout au plus onze, ce que je comprends mais qui me
déçoit…J’ai relu le cours et je suis allé vérifier dans un livre contenant des Fiches pour le
Français… Au devoir précédent, j’étais déçue, vexée, humiliée, brisée par la note, larmes,
colère, haine, je suis passée par tous les stades, j’ai l’impression d’avoir eu une note sur la
forme et non sur le contenu… Je n’ai pas assez bien expliqué que ce qui alarme c’est ce qui
est vraisemblable, c’est maintenant que je trouve cette formule ... Je me suis trop amusée en
vacances et j’ai fait mon devoir la veille au soir… »
Par ailleurs, je demande à certains élèves de se constituer une « feuille de maladie », où ils
recopient en février, s’ils en ont le courage, les remarques que je fais dans leurs copies
(qualités que je code en vert, problèmes que je note en rouge) ; ils peuvent ainsi calculer la
fréquence de certaines erreurs et se débarrasser des plus simples.
Entraînements nécessaires
Trop souvent, les élèves ont à réaliser hors de la classe la totalité des tâches nécessaires à
une production élaborée : alors, peinant devant la complexité, ils pratiquent la fuite en avant,
en se jetant dans la rédaction immédiate au brouillon, intégralement recopié ensuite. Il me
semble donc de plus en plus nécessaire d’entraîner les élèves à des travaux partiels, par
exemple à programmer leurs écrits, à savoir construire des plans détaillés…
À cette fin, on peut leur donner des plans non terminés, à compléter. On peut aussi leur
fournir des arguments et des exemples en désordre et leur demander de les affecter à deux ou
trois thèses : ce sont des exercices classiques. On peut aussi, dans une démarche inverse,
parfois plus efficace, leur donner des produits finis, des corrigés rédigés (trouvés dans les
annales ou -mieux- faits maison…), et leur demander d’en extraire le plan détaillé.
On peut aussi demander des productions écrites dont le corrigé ne figure nulle part : ce peut
être de rédiger la fable d’un personnage de théâtre1, exercice on ne peut plus structurant et
rigoureux, et énoncer à la suite, outre l’évocation rituelle des difficultés rencontrées, ce que
voir sur cette notion Coups de théâtre en classe entière, ouvrage publié par le CRDP de Grenoble. Critique
parue sur le site des Cahiers pédagogiques http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=1850
1
cet exercice apporte à la compréhension du personnage et de la stratégie d’écriture du
dramaturge.
On peut aussi demander à un groupe de produire une note d’intention, quand le travail préparé
hors de la classe aboutit à des productions créatives, comme un essai de mise en scène, un
écrit poétique ou une affiche.
Contre la paresse, on peut inventer d’assez utiles garde-fous et des consignes alléchantes.
Mais il n’est pas du tout aisé d’aider le travail personnel des élèves « faibles et de bonne
volonté » : assurer la confiance en soi ; muscler l’imagination ; stimuler l’intelligence, la
capacité à créer du lien entre des idées, entre des exemples, entre soi et autrui, entre son
identité du moment et la posture scolaire attendue.
Cependant il ne faut pas renoncer à offrir aux élèves des occasions de solitude face à un
travail à faire, angoisses inéluctables, mais fécondes une fois qu’on a pu vivre la joie d’être
devenu l’auteur d’un texte, fût-il de devoir....
Chantal Dulibine
Professeur de Lettres au lycée Claude Monet, Paris XIIIe
Cahiers Pédagogiques 468, As-tu fait tes devoirs, décembre 08.