étude de cas Monsieur K

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étude de cas Monsieur K
Etude de cas – formation Capacité de gériatrie
Monsieur K âgé de 78 ans, retraité de la SNCF, vit dans un établissement de long séjour depuis 1994.
Il est sous tutelle de sa fille unique depuis le décès de son épouse il y a 10 ans. Sa fille vit à 500km de
l’établissement de long séjour et elle vient le voir 2 fois par mois.
Monsieur K présente une maladie de Parkinson très évoluée diagnostiquée en 1989. Une
grabatisation apparue progressivement le confine au lit ou au fauteuil depuis 2 ans. Il présente, par
ailleurs, une détérioration cognitive sévère ne permettant plus d’établir une communication, ainsi
qu’une hypertonie importante avec des membres inférieurs en flexion à 90 degrés et des membres
supérieurs en hyper flexion qui rendent la mobilisation et la position au fauteuil douloureuses.
Ses antécédents médicaux sont une hypertension artérielle traitée et équilibrée depuis 1983 et une
cholécystectomie.
En juillet 2010 :
• des troubles de la déglutition nécessitent la pose d’une GPE. Il existe déjà des signes cliniques et
biologiques de dénutrition avancée. Malgré la nutrition entérale les signes de dénutrition
persistent en raison de la difficulté d’avoir un apport calorique suffisant par nutrition entérale. En
effet, le régime normo-calorique est à l’origine de régurgitations ayant entraîné deux
pneumopathies d’inhalation qui ont pu être traitées par antibiothérapie. Chaque tentative
d’apport calorique suffisant s’est soldée par des diarrhées obligeant à réduire la vitesse
d’administration de l’alimentation entérale par la sonde de gastrostomie.
• des troubles trophiques cutanés situées aux deux talons, aux genoux, et au grand trochanter
droit apparaissent peu à peu. Ils font l’objet de soins appropriés mais se développent tout de
même en se surinfectant régulièrement et conduisent l’équipe du centre de long séjour à
demander un avis chirurgical en octobre 2010.
Le caractère très délabrant de ces escarres dans le contexte très évolué de la maladie neurologique
de monsieur K conduit le chirurgien à proposer une prise en charge symptomatique (pansement et
soins locaux) sans intervention.
• Plusieurs épisodes infectieux à point de départ cutané (les escarres) sont traités par la suite. A
chaque épisode, une antibiothérapie efficace est mise en place après des prélèvements
bactériologiques.
Le 24 février 2011, monsieur K est hospitalisé dans un contexte de nouvelle aggravation de ses
escarres avec colonisation par des germes anaérobies et début de gangrène du membre inférieur
gauche
Dans ce contexte où la vie de cet homme peut-être en jeu, une amputation gauche à mi-cuisse est
proposée par le chirurgien en accord avec sa fille. Ce qui motive cette proposition, c’est la crainte
que monsieur K puisse mourir de l’évolution septique.
En raison de l’état clinique de monsieur K, une réunion pluridisciplinaire est programmée au sein du
service afin de décider de la conduite à tenir dans la situation de monsieur K.
QUESTIONS
1/Quelles analyses faites-vous de la situation ?
2/Que proposez-vous ? Argumentez vos positions (niveau prudentiel, niveau déontologique, niveau
réflexif)
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Pistes de réponses
Ce qui suit n’est donné qu’à titre indicatif. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Dans
un premier temps, l’important est de s’interroger, d’analyser, de construire sa pensée,
d’argumenter et de discuter.
1. Quelles analyses faites-vous de la situation ?
•
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•
•
•
•
Maladie de Parkinson très évoluée sans aucune perspective d’amélioration clinique
La gangrène est une infection grave engageant le pronostic vital
Echec du traitement des escarres
Echec de l’alimentation entérale (dénutrition)
Un état grabataire depuis 2ans
Une hypertonie des membres inférieurs et une hyper flexion des membres supérieurs qui
ne sont pas traitées
•
Une mobilisation et une position assise douloureuses non traitées
•
Une détérioration cognitive sévère ne permettant plus d’établir une communication
•
Des troubles de la déglutition qui ont nécessité la pose d’une GPE
•
Des pneumopathies d’inhalation qui obligent à réduire le débit de l’alimentation entérale
=> un apport calorique insuffisant ce qui ne permet pas de corriger la dénutrition
•
Escarres multiples en lien avec sa dénutrition et son immobilité se surinfectent
régulièrement malgré les traitements et aboutissent à une gangrène de la jambe gauche
•
Impossibilité pour monsieur K de donner son consentement
•
Une réunion pluridisciplinaire est programmée dans le service face à la proposition de
l’amputation
•
Une fille unique qui est sa tutrice s’en remet à la décision du chirurgien
2. Que proposez-vous ? Argumentez vos positions (selon P Ricœur : les 3 niveaux du
jugement médical (niveau prudentiel, niveau déontologique, niveau réflexif))
2.1) Abstention chirurgicale
Niveau prudentiel :
• Monsieur K est en fin de vie : Parkinson très évolué, grabataire, démence évoluée,,
dénutrition sévère et impossibilité d’apport calorique suffisant
• Aucune perspective d’amélioration car la gangrène pourrait se développer sur le membre
inférieur droit de la même façon après l’amputation à gauche (on n’irait sans doute pas
jusqu’à l’amputer de la deuxième jambe pour tenter de le faire vivre à tout prix !)
• Risque pour le patient de mourir pendant l’intervention
• Risque de mourir de complications en raison de son état infectieux
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•
•
•
Risque d’augmenter les douleurs (post chirurgicales et membre fantôme) et la souffrance
de monsieur K qui ne peut pas comprendre (du fait de la démence) pourquoi on l’ampute
On dispose des traitements efficaces pour contrôler les deux symptômes qu’on redoute
ici : la douleur et les mauvaises odeurs
Risque de sentiment de culpabilité pour la fille de voir son père amputé mourir des suites
opératoires
Niveau déontologique :
Un acte de soins ne doit pas être poursuivi s’il constitue une obstination déraisonnable.
Lorsqu’il apparaît inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien
artificiel de la vie, il peut être suspendu ou ne pas être entrepris : loi du 22 avril 2005
Niveau réflexif :
• Monsieur K est en fin de vie compte tenu de l’évolution de sa maladie et des
nombreuses complications il n’y a pas de perspectives d’évolution favorable.
• L’objectif des traitements en fin de vie ne peut pas favoriser l’inconfort : L’alimentation
est source d’inconfort : le bénéfice d’envisager une autre voix est moindre que
d’envisager un arrêt des apports liquidien et nutritionnel
• Le principe de non malfaisance doit être évoqué si le traitement peut précipiter le
décès du malade et à fortiori si ce traitement est mutilant : L’amputation risque de
précipiter sa mort dans des conditions d’inconfort majeur et de complications
• Le travail des soignants est d’apporter des soins de confort afin de garantir la meilleure
qualité de vie jusqu’à la mort...
• Le travail des soignants n’a pas pour seule visée le soutien du processus du vivant. Il
doit s’articuler avec le respect de l’autre qui doit être considéré toujours comme une
fin et jamais comme un moyen (interdit d’instrumentaliser l’autre)
2.2) En faveur de l’amputation
Niveau prudentiel :
• Le traitement standard (Evidence Based of Medecine) de la gangrène est l’amputation
• Les rétractions des membres inférieurs et la spasticité pourraient-être traitées afin
d’améliorer sa mise au fauteuil
• La dénutrition corrigée par une alimentation parentérale sur voie centrale améliorerait
l’état des escarres et contribuerait à diminuer l’infection
Niveau déontologique
• Monsieur K n’a pas rédigé de directives anticipées
Niveau réflexif :
• Le travail des soignants est de soutenir, autant que faire se peut, le processus du
vivant. C’est le mandat que leur donne la société.
• Permettre à sa fille que pouvoir passer du temps avec son père
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2/Que proposez-vous ? Argumentez vos positions (autre méthodologie) selon
Beauchamp et Childress : Principes d’éthique biomédicale
Analyse de la situation selon les grands principes éthiques :
2.1 Le principe d’autonomie
Le malade présente ici des troubles cognitifs sévères empêchant toute communication depuis
plusieurs années et ne permettant pas de recueillir son consentement.
Cet homme n’a jamais rédigé de directives anticipées, ni désigné de personne de confiance.
Il est sous la tutelle de sa fille unique. Il n’a plus d’autres proches.
Sa fille doit être interrogée afin de savoir comment son père aurait pu se positionner dans cette
situation. Qui était-il ? A-t-il exprimé à un quelconque moment de son existence, un avis concernant
sa santé, ses souhaits en cas de dépendance, de maladies graves, ou de survenue d’un handicap suite
à un accident… ?
En tant que proche du malade, elle déclare ne pas savoir que faire dans cette situation dramatique et
déclare au chirurgien lui faire confiance.
2.2 Le principe de bienfaisance :
Au nom de ce principe, nous pourrions être tentés de réfléchir à une prise en charge ambitieuse mais
lourde du fait de l’inconfort manifeste de cet homme en lien avec les conséquences de sa maladie
neurodégénérative :
• L’hypertonie et la spasticité ne semblent pas prises en charge de manière optimale si l’on en
croit l’examen clinique et notamment les positions de flexion des membres. Il n’est pas
possible d’obtenir l’extension. Ceci est forcément à l’origine de difficultés pour le lever mais
aussi pour l’assoir au fauteuil (ce qui peut laisser supposer que d’ores et déjà ou à court
terme cet homme restera au lit en permanence).
• L’atteinte neurologique évoluée, et ses conséquences sur l’appareil locomoteur sont à
l’origine de douleurs nociceptives aux points d’appui, au niveau des escarres, mais aussi au
niveau des articulations du fait des rétractions tendineuses et ligamentaires. Ceci oblige à la
mise en place de traitement antalgique adapté pour une action purement symptomatique
en plus de l’optimisation du traitement anti spastique ayant à la fois une action sur
l’étiologie de la douleur mais aussi pouvant favoriser les mobilisations de cet homme.
• On ne peut exclure ici la présence de douleurs neuropathiques d’origine centrale. Il
conviendra donc de les rechercher, de les évaluer et de les traiter d‘un point de vue
symptomatique avec un traitement spécifique. Nous connaissons les limites de l’efficacité
de ces traitements, il ne faut donc pas perdre de vue que la mise en place d’un traitement
contre ces douleurs neuropathiques ne signifie en aucun cas que le malade sera soulagé.
• L’apport calorique est ici totalement insatisfaisant puisque la finalité d’une alimentation
entérale ne peut pas être de favoriser la dénutrition du malade en le mettant au régime
amaigrissant du fait du déficit calorique. En conséquence, il convient de réfléchir à l’intérêt
qu’il peut y avoir à donner un traitement tel que celui-ci de manière non optimale, c'est-àN BECOULET – centre de soins palliatifs – CHU Besançon [Texte]
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dire aggravant le pronostic du malade en contribuant à l’aggravation de sa dénutrition et
donc au développement des escarres. Par ailleurs et jusqu’à preuve du contraire, l’affection
dont est atteint cet homme ne provoque pas d’anorexie (contrairement par exemple à un
cancer très évolué au-delà de toute ressource thérapeutique spécifique), donc il est
probable que ce régime hypocalorique favorise la sensation de faim. Là aussi, il semble que
la finalité d’une alimentation entérale ne peut pas être d’affamer le malade.
Dans le contexte d’aggravation de l’état nutritionnel du malade malgré l’alimentation
entérale qui ne peut être administrée de manière optimale, il ne nous semble pas possible
de ne pas réfléchir aux objectifs réels de celle-ci de manière à la poursuivre de manière
optimale, si elle semble indispensable (on peut imaginer que la pose d’une sonde de
jéjunostomie pourrait permettre un apport calorique quantitativement plus satisfaisant), ou
éventuellement à l’arrêter si l’on considère qu’on s’inscrit ici dans un contexte d’obstination
déraisonnable. Dans ce cas, le pendant de toute limitation thérapeutique, c’est la gestion
adaptée des symptômes difficiles.
On ne saurait trop insister sur le fait que les escarres chez cet homme sont la résultante
d’une sous-alimentation associée à un défaut de soins de nursing (puisqu’il n’y a pas
d’artériopathie). Par ailleurs c’est le caractère très délabrant de ceux-ci associé à la
dénutrition sévère qui a contre-indiqué le curage chirurgical en juillet 2010.
•
La légitimité du traitement par antibiotiques des surinfections des escarres pendant de si
longs mois n’est pas sans poser problème dès lors qu’on n’envisage aucun traitement
étiologique des escarres. En effet on imagine assez facilement que non seulement nous ne
serons pas efficaces, mais nous participerons à favoriser l’émergence de souches
bactériennes résistantes aux antibiotiques. Le traitement antibiotique peut participer à
prolonger la vie du malade en évitant une complication infectieuse grave comme un choc
septique. Il nous semble que, dans le contexte clinique de Monsieur K, ce traitement n’est
éthiquement recevable que si l’on est engagé à soulager les douleurs physiques de cet
homme. En effet la finalité d’un traitement antibiotique ne peut pas être de prolonger la
souffrance du malade.
•
Un malade qui présente une maladie de Parkinson qui évolue depuis dix-sept ans avec une
grabatisation, des troubles de déglutition ne permettant aucun apport alimentaire par voie
orale, et une démence évoluée, un état de dénutrition sévère, est un malade en fin de vie.
Certes il ne s’agit pas forcément d’une fin de vie imminente des lors qu’il n’y a pas de
complications récurrentes. Il nous semble cependant fondamental d’identifier ceci, si l’on
veut pouvoir réfléchir à la situation de cet homme vulnérable et ceci afin de favoriser
l’émergence de la moins mauvaise décision.
•
L’âge civil relativement peu avancé de ce malade (par rapport à l’espérance de vie des
français ou plutôt par rapport à l’âge moyen des malades de gériatrie) ne nous semble pas
être ici un critère déterminant tant l’âge physiologique est plus élevé ici.
2.3 Le principe de non malfaisance :
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La sévérité de l’état septique de Monsieur K, associé au caractère évolué de la maladie de Parkinson
incite à la prudence. La situation clinique de cet homme évoque celle d’un funambule sur un fil du
fait de sa grande fragilité. Cela incite à penser qu’une amputation peut être un traitement lourd pour
cet homme : ce traitement peut être disproportionné des lors que le risque de décès péri opératoire
est élevé.
Le problème de réaliser l’amputation du membre inférieur gauche chez cet homme, réside dans le
fait qu’il existe une probabilité élevée de ne pas régler le problème infectieux. En effet, il semble très
probable que les germes anaérobies présents du côté gauche puissent se développer et coloniser le
membre inférieur droit du fait de la présence d’escarres à ce niveau. Dans ce cas il semble impossible
de prendre la décision de réaliser l’amputation du membre inférieur gauche indépendamment de la
réalisation d’une éventuelle amputation du membre inférieur droit, si toutefois, la gangrène venait à
se développer du côté droit.
Dans ce cas bien entendu le risque de décès est encore plus élevé, et il apparaît très irrespectueux de
cet homme que de vouloir l’amputer d’un membre, voire de deux membres, dans ce contexte où au
final, il est en fin de vie.
L’abstention d’un tel traitement parce qu’il est disproportionné suppose la mise en place de soins
dits de confort. Dans cette situation, où la gangrène va très probablement entraîner le décès de cet
homme, il s’agit notamment de traiter les douleurs insuffisamment prises en charge à ce jour ainsi
que de réaliser des pansements dont l’objectif sera centré uniquement sur le confort. En cas de
gangrène humide, le décès survient fréquemment en sept à dix jours dans un contexte de troubles
de la conscience.
2.4 Du point de vue du principe de justice :
Dans un système de santé contraint financièrement, il est de la responsabilité des médecins de
prendre en compte le caractère épuisable de la ressource. Cela ne doit pas inciter à proposer un
traitement « à l’économie », mais au contraire proposer un traitement d’emblée optimal (afin
d’éviter à la fois une perte de chance pour le malade, mais aussi des dépenses supplémentaires pour
le système de santé). Il est par compte éthiquement inopportun de proposer un traitement inutile
car l’argent de cette dépense inutile ne sera pas disponible pour un autre malade qui en aura besoin.
3/ Conclusion - proposition:
Dans cette situation, il nous semble éthiquement acceptable de laisser mourir cet homme (sans
réaliser d’amputation) des complications septiques conséquence de l’évolution terminale de sa
maladie de Parkinson et ceci d’autant plus qu’il n’y a pas de difficulté majeure à traiter
symptomatiquement l’inconfort de cet homme.
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