L`identité de la femme juive

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L`identité de la femme juive
L’identité
de la femme
juive
ÉLIETTE ABÉCASSIS
LA FEMME JUIVE EST EXONÉRÉE DE LA PLUPART DES LOIS QUI ENCADRENT LA VIE
de l’homme juif ; notamment celles concernant la prière et la communion (Bar Mitsva).
Lors de la cérémonie du mariage, le contrat (kétouba) n’est pas signé par la femme, même
s’il a pour objet de protéger les droits de la femme en cas de mariage et en cas de divorce.
Cette absence d’obligation, ainsi que celle de l’inscription de la loi dans la chair (circoncision), pose une question cruciale : l’identité de la femme juive est-elle moins affirmée
que celle de l’homme juif ? Si ce n’est pas le rite symbolique permettant l’entrée dans
l’alliance (Bar Mitsva), ou encore le signe visible de son appartenance (kippa ou circoncision), qu’est-ce qui permet de fonder l’identité de la femme juive ?
Il semble que si l’homme juif, depuis sa naissance, est pris dans un réseau de lois qui
structurent son identité à chaque moment de sa vie, pour la femme juive, il en va tout
autrement. Bien entendu, il y a un lot de lois communes, essentielles, que la femme est
tenue de respecter, comme manger cacher, ne pas travailler ni créer le jour du shabbat,
respecter les fêtes et faire les jeûnes prescrits.
À cela il faut ajouter que c’est par la femme que se transmet le judaïsme. Selon la loi
en effet, est juif ou juive toute personne ayant une mère juive, même si le père n’est pas
juif. La matrilinéarité du judaïsme donne à la femme un rôle prépondérant dans sa transmission, rôle que l’homme n’a pas, même s’il est porteur du nom. En ce sens, on peut
dire que c’est la femme qui donne l’identité juive.
Cependant, la femme est dispensée d’un lot quotidien de lois qui structurent la vie de
l’homme juif, comme l’étude ou la prière. À ce niveau, c’est comme si l’on considérait
que la femme juive, en tant que femme, pouvait se passer de la loi. Or l’on sait combien
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la loi est fondamentale dans le judaïsme, qui est une orthopraxie, plus qu’une orthodoxie.
Si ce n’est pas la loi, qu’est-ce qui permet de définir l’identité de la femme juive ?
Circoncision, communion : voilà deux rites initiatiques qui marquent un passage définitif d’un état à un autre, qui fondent une identité. Or ces rites sont ceux de l’homme. La
femme, elle, en est dispensée : non pas privée, mais dispensée. Cela se conçoit aisément
pour la circoncision, mais moins pour la communion : la femme juive peut-elle s’en passer, ou en est-elle exclue ? Et pour quelle raison ?
Il existe deux types de lois dont la femme juive est exonérée :
1. Celles qu’elle n’est pas tenue d’accomplir, mais qu’elle peut faire, si elle le désire.
Par exemple, la femme juive n’est pas tenue de porter un couvre-chef (kippa), ou encore,
elle n’est pas tenue de faire la prière ni d’aller à la synagogue, mais elle peut le faire, elle
en a le droit, non le devoir, à l’inverse de l’homme. Aucune cérémonie n’est prévue pour
marquer la naissance d’une fille ni son entrée dans l’alliance, mais il n’est pas interdit
de faire une fête pour marquer cet événement.
2. Celles dont la femme juive est privée : par exemple, elle n’a pas le droit de lire la
Torah dans certaines périodes. Ceci renvoie au type de lois qui sont spécifiques à la
femme, et dont nous verrons en détail l’objet.
Concernant la femme, il existe trois commandements qui lui sont spécifiques : l’allumage des bougies lors du shabbat, le prélèvement de la Halla (un morceau de pain) lors
de la fabrication du pain, et les lois dites « de la pureté », concernant la sexualité. Les
deux premières lois ne sont pas tant des lois que des coutumes : l’homme peut aussi les
accomplir. En revanche, les « lois de pureté » sont fondamentales et spécifiques à la
femme.
De même que les lois sur le travail, sur la prière, ou sur l’étude, sont spécifiques aux
hommes, les « lois de la pureté » ne s’adressent qu’aux femmes, même si ces lois régissent
la sexualité du couple. Essentiellement : lorsqu’une femme est en période de menstruation, il lui est interdit d’avoir des relations sexuelles. Selon la loi, cette période se prolonge
sept jours après la fin des menstruations. Cette loi est complexe d’application, car il faut,
pour définir le moment précis de la fin des menstruations, et de la fin de la période
1. Niddah signifie
« inapte », sans
jugement de valeur.
faussement traduite comme « impure 1 », procéder à une vérification quotidienne. Il y a,
dans ces lois de la femme, dites « lois de Niddah », toute une codification précise, presque
médicale, au cours des sept jours, pendant lesquels la femme doit s’inspecter, et au bout
desquels elle doit s’immerger dans le Mikvé, bain rituel.
Quel est le sens de ces lois ? Est-il est possible qu’elles viennent définir l’identité de
la femme juive ?
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On peut tout d’abord se demander s’il ne s’agit pas là d’une introduction de la notion
de temps dans la structuration de l’identité de la femme juive : en effet, la femme doit
compter chaque mois sept jours après la fin des menstruations, chaque jour étant marqué
par une recherche (Bédikah) le matin et le soir, qui semble correspondre à la prière pour
l’homme, qui a lieu le matin et le soir. De plus, ces « lois de la pureté » peuvent être aussi
vues comme une introduction du marquage de la chair tel que celui de la circoncision,
puisqu’il s’agit bien d’une inspection de l’organe sexuel tout comme la circoncision avait
marqué l’organe sexuel masculin. On peut donc penser que ces lois, qui s’appliquent
spécifiquement aux femmes, sont le pendant des lois fondamentales qui s’appliquent aux
hommes.
Cependant, il faut remarquer que les « lois de la pureté » semblent être faites pour la
relation sexuelle, c’est-à-dire qu’elles sont faites en fonction des hommes. Qu’en est-il des
lois pour les hommes ? Sont-elles faites pour permettre la relation aux femmes ? On peut
dire que oui, dans le cas précis de la circoncision, par exemple, qui a un lien direct avec
la sexualité. Les « lois de Niddah » sont, tout comme la circoncision, une manière de
retrait de la femme par rapport à l’homme, retrait qui est la condition de possibilité de
la relation. Citons le rabbi Meir, dans le traité Niddah, 31b : « Pourquoi la Torah demande
qu’une femme niddah soit inapte pour sept jours de plus ? demande-t-il. Parce que son
mari pourrait s’ennuyer avec elle et se fatiguer d’elle. » Donc, selon la Torah, « elle sera
rituellement impure pour sept jours, ainsi elle sera aussi désirable pour son mari que
lorsqu’elle est entrée sous le dais nuptial ».
Les « lois de la pureté » ont pour conséquence la séparation physique du couple, qui
est aussi séparation psychologique : selon la stricte observation de la loi, la femme n’a
pas le droit de toucher son mari, c’est-à-dire qu’elle ne dort pas dans le même lit, qu’elle
ne peut pas lui tendre de la nourriture, etc., et ceci, jusqu’au dernier jour, où elle
s’immerge dans le Mikvé, le bassin d’eau de pluie, pour être purifiée afin d’être apte à
avoir des relations sexuelles. « L’un des grands dangers du mariage est l’ennui sexuel,
explique Tehilla Abramov, dans The secret of jewish femininity 2. » L’objet des « lois de
2. Targum Press.
Niddah » a pour conséquence de permettre la pérennité de la relation sexuelle du couple,
mise en danger par l’habitude.
Mais si tel est le cas, il est clair que les « lois de Niddah » ne définissent pas l’identité
de la femme juive, mais l’identité du couple juif, dans son souci de longévité, d’harmonie et de pérennité de l’amour. Les « lois de Niddah » ne sont pas des lois de la femme.
Les lois sur la femme juive sont en rapport avec la sexualité, donc avec l’homme : ce
sont, en fait, des lois de l’homme. Car c’est l’homme qui n’a pas le droit d’avoir de
rapports avec sa femme, plus que l’inverse : la loi ne devrait pas porter sur la femme
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mais sur l’homme. Elle donne la responsabilité à la femme de surveiller le temps pour
l’homme.
Qu’est-ce à dire ?
Il ne faut pas comprendre pour autant que la femme juive n’a pas de droits. Par
exemple : la femme juive a le droit de divorcer. La femme juive a le droit d’avoir des
rapports sexuels. Ce droit est inaliénable, puisqu’elle peut l’utiliser comme motif de
divorce. Il faut rappeler encore que la femme juive a le droit de prier et d’étudier, mais
qu’elle n’en a pas le devoir, et que c’est par elle que se transmet le judaïsme.
En somme, il faut comprendre que la femme juive n’a pas de loi pour structurer son
identité en tant que femme. Dans son couple, elle rencontre la loi qui structure la relation
conjugale. En tant qu’être humain également, elle rencontre la loi qui structure son univers, mais en tant que femme, elle ne rencontre pas de loi.
Or, lorsqu’une femme rencontre une loi dans un univers religieux, si cette loi s’applique à la femme en tant que femme, il est probable que ce sera une loi de discrimination.
Porter un foulard, se couvrir la tête, par analogie au port obligatoire de la kippa, n’a pas
du tout le même sens pour la femme que l’homme se couvrant la tête, puisque l’on cherche
à cacher le visage de la femme. L’exemple le plus frappant est la circoncision, qui pour
la femme devient excision.
La dérive d’une religion se fait toujours par rapport à la femme, à l’enfermement de
la femme dans des lois qui la contraignent, car ce sont des lois faites par les hommes
pour les hommes qui les appliquent aux femmes. En matière de religion, l’imposition de
la loi pour l’homme est structurante, alors que, pour la femme, elle est aliénante. L’homme
qui impose la loi sur la femme, impose sa loi : de même qu’il se couvre la tête, il lui
couvrira la tête, de même qu’il est circoncis, il la circoncira. Il ne fera que lui imposer la
loi de l’homme, loi de castration symbolique et d’entrée dans le monde de l’autre, qui est
bien évidemment inadapté pour la femme.
L’homme juif est contraint par la loi qui définit son identité à chaque moment de sa
vie. La femme juive est libre en tant que femme, juive en tant qu’être humain ayant choisi
de se donner des lois. Il en va de même pour la circoncision et pour la communion. De
même que la femme n’a pas besoin de circoncision car elle n’a pas de prépuce à enlever,
elle n’a pas besoin de rite de passage à l’âge adulte car elle y passe naturellement, par
la loi de la nature. La communion (Bar Mitsva) reviendrait à lui faire accomplir un acte
symbolique d’entrée dans l’âge adulte, qui serait pour elle aussi inutile que la circoncision
l’est pour la femme qui n’a pas de prépuce.
Autrement dit, l’homme juif a besoin de la loi pour être homme. Dès la naissance,
lorsqu’il est circoncis, à l’adolescence lorsqu’il doit faire preuve d’un savoir devant tous
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(Bar Mitsva), au mariage lorsqu’il signe le contrat qui l’engage à prendre soin financièrement de sa femme en cas de divorce. Mais la femme juive n’a pas besoin de la loi pour
être femme. Toute loi qui tendrait à s’imposer sur sa dimension féminine viendrait la
réduire, la résoudre. La femme juive est une femme libre. Elle naît libre de la loi, elle
grandit libre de la loi, elle se marie tout aussi libre. La loi serait pour elle un pléonasme,
puisque la femme naît circoncise, qu’elle grandit par le changement de son corps, et
qu’elle enfante.
Les modèles de femme juive dans la Bible ne tendent-ils pas à montrer cette liberté ?
Sarah, enceinte à l’âge de la vieillesse, Rébecca, changeant l’identité de ses fils devant
son mari aveugle, Esther, mariée à un roi perse, dont le courage et la force permettent
la survie du peuple juif, mais aussi Judith, la séductrice guerrière qui se donne à l’ennemi
Holopherne pour lui arracher la tête, Myriam, la prophétesse qui désobéit à la loi des
Égyptiens pour cacher son frère Moïse, et enfin et surtout Ève, la première femme, qui
invente la liberté en se libérant de la loi, ne montrent-elles pas que la femme a un rôle
actif et décisif concernant la loi ? Tous ces exemples montrent que le pouvoir de l’enfantement et de la transmission de l’identité juive donne à la femme un rôle politique prépondérant.
On retrouve dans l’idée de la femme juive que ce n’est pas la loi d’une société ou
d’une religion qui fait la femme. Qu’elle dise que la femme doive être couverte de la tête
aux pieds, ou qu’elle dise que la femme doit être mince et musclée, cette loi qui dicte ce
que doit être une femme ne peut que l’anéantir, la brimer, l’annihiler. Cette loi dira,
dictera ce qu’une femme doit être : elle inventera la mode pour l’encercler dans la féminité
qu’elle définit, ou elle lui voilera le visage. La seule loi qui peut structurer l’identité d’une
femme est la sienne, dans la conquête de sa liberté.
En conclusion, on peut dire que la femme juive n’est pas. Elle ne le devient pas non
plus. La femme juive n’existe pas. Elle est femme, et il se trouve qu’elle est aussi juive,
mais cela n’a rien à voir. Si les deux choses étaient liées, le judaïsme ne serait qu’une
religion.
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