N°2. Carnets de débourrage de deux jeunes chevaux. Une classe

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N°2. Carnets de débourrage de deux jeunes chevaux. Une classe
N°2. Carnets de débourrage de deux jeunes chevaux.
Une classe maternelle pas drôle…
Ouvrage précédent :
N° 1. Un instructeur, pour quoi faire ?
Ouvrages suivants :
N° 3. Au secours, j’ai peur !
N° 4. Comment ne pas faire tourner son cheval "en bourrique" ?
N° 5. Les assouplissements ; en long, en large et de travers. Les transitions.
N° 6. Pousser ou retenir ? Il faut choisir. La mise en main et le ramener.
N° 7. Plein les mains ou devant les jambes ? Le perfectionnement de l'équilibre.
Le reculer…
N° 8. Pourquoi marcher droit à cheval ? La rectitude, le rassembler.
N° 9. Pourquoi résoudre nos problèmes alors qu'il est possible de
continuer ainsi ? Pédagogie.
N° 10. Vos difficultés équestres : questions - réponses.
Ecrit en Haute-Savoie, par Jean Pierre GUIOTAT.
Textes enregistrés sous le numéro Y 6537 à la Société des Gens de Lettres.
N°2 – Carnets de débourrage.
Travail prévu pour une durée de six semaines.
Galopin
Selle Français, 3 ans et demi, 1m.70, 650 kilos.
Père : Pompon Rouge ( S. F. )
Mère : Nadia ( S. F. ) par Fakir du Linon ( S. F. )
Axel
Selle Français, 3 ans et demi, 1m.63, 480 kilos.
Père : Adoré des Ptious ( S.F. )
Mère : Kréole ( S.F. ) par Vert Bois ( P.S. Angl. )
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Suivi par la reprise en main d’une jument
et de son poulain turbulent...
Land Farme V
Hanovrienne, baie, 4 ans, 1m.66, 550 kilos.
Père : Ramiro ( Holstein )
Mère : Land Farm III ( KWPN ) par Freiherr ( Oldenburg )
Pépito
Oldenburg, 4 mois, bai foncé,
Père : Ferro ( KWPN )
Mère : Land Farm V ( KWPN ) par Ramiro ( Holstein )
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N°2 – Carnets de débourrage.
Remerciements.
Je dédie ces manuscrits, en premier lieu, à mes parents qui, après une
ferme résistance durant toute mon enfance, ne se sont plus opposés pour que
je m'approche enfin des chevaux à partir de mon indépendance en fin
d'adolescence.
Je dois également de très grands remerciements à Madame Lena
Léonardsson pour ses talents de dessinatrice, de graphiste et l'énorme travail
de qualité qu'elle a accompli devant son ordinateur. Il m'est impossible de lui
exprimer ici toute ma gratitude pour sa générosité, sa confiance et son
inlassable ténacité dans ses recherches. Elle a su reprendre mes croquis en
leur apportant la touche professionnelle qui leur manquait. Pour son aide
précieuse dans l'installation de mon site, je remercie également Gilbert Saint
qui m'a souvent secouru lorsque je m'étais égaré dans des méandres
informatiques.
En second, je tiens à remercier mes élèves en Côte d'Or, MidiPyrénées, Puy de Dôme, Haute-Marne, région parisienne, Haute-Savoie et en
Suisse ; ainsi que mes étudiants en Europe, au Canada et aux USA. Nous
avons souvent passés, et nous passons encore, de bons moments ensemble ;
je tiens à leur exprimer ma gratitude car c'est principalement par leur
intermédiaire que je ressens toujours une volonté pugnace de comprendre
leurs problèmes. En cherchant des solutions à leurs difficultés, je m'attache à
résoudre quelques unes des lacunes laissées béantes depuis leurs formations
initiales. Je profite de ces pages afin de leur témoigner ma grande
reconnaissance pour ce qu'ils ont pu m'apprendre.
A tout seigneur, tout honneur ; je rends un vibrant hommage aux huit
cent quarante et un chevaux qui sont passés "sous ma selle" depuis mes
débuts, jusqu'à maintenant. (Nombre calculé à partir de notes collationnées
au cours de quarante deux ans de pratique) Chacun d'eux m'a rendu heureux.
Que les jours fussent ensoleillés ou rigoureux, les uns et les autres furent des
compagnons précieux. Leur présence m’a toujours été indispensable ; elle
m'a beaucoup apporté. Leur courage et leur abnégation m'ont fréquemment
ému ; parfois plus que je ne pourrais l'écrire. Leurs conditions de travail m'a
souvent conduit à m'opposer à quelques esprits bornés ne connaissant rien
des nécessités équestres. En défendant leur cause, je ne me suis pas fait que
des amis… Mais, mes prises de positions, souvent exprimées seul contre
tous, ne m'ont jamais fait baisser les bras ; aujourd'hui, encore moins qu'hier.
Jean Pierre GUIOTAT.
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N°2 – Carnets de débourrage.
Introduction
A la suite de l’étude des différents facteurs qui entourent la pratique
de l’équitation concernant le triptyque indispensable pour une
progression classique et approfondie – à savoir : le cheval, son
cavalier et l’enseignant – je vous propose de suivre les difficultés et
les dures nécessités d’un débourrage pendant six semaines de
formation, à raison de cinq séances hebdomadaires.
J’ai choisi de relater l’un de mes derniers débourrages dans ma
région de Haute-Savoie parce qu’il offre la particularité d’être
entrepris avec deux sujets très différents. Situation assez rare qui
permettra de distinguer les stratégies nuancées qui seront entreprises
dans le cadre d’une méthode adaptée.
L’intérêt de cette rédaction, en dehors de la description progressive
de chaque phase, c’est le développement des variantes qu’elle relate.
La formation de ces deux jeunes chevaux concerne des modèles
morphologiques très différents ; mais surtout, se sont des caractères
préoccupants car ils ont subi des influences psychologiques
traumatisantes qui poseront bien des difficultés. Elles obligeront le
technicien à une adaptation constante et à une recherche permanente
en vue du but à atteindre.
Nous entreprendrons ce débourrage risqué au sein d’installations
privées en cours de construction ; ceci compliquera davantage un
travail qui n’allait pas de soi au départ ! De fait, les perturbations
importantes dues aux travaux multiplieront les incidences, déjà
suffisamment marquées, sur le comportement des poulains.
L’objectif final d’un débourrage est d’obtenir qu’un jeune cheval
soit en confiance avec son éducateur pour qu’il puisse, un jour, le faire
passer du pas aux allures supérieures quand il veut et où il veut, pour
ensuite, venir s’arrêter à l’endroit qu’il aura choisi en utilisant des
aides simples. A la fin de cette formation, ce jeune esprit doit pouvoir
être transmis à n’importe quel bon cavalier dans le cas d’une vente
éventuelle.
Cette éducation élémentaire en douceur et “uniformisée” permet
tout naturellement d’être perfectionnée ensuite, par un dressage sur le
plat, quelle que soit l’orientation choisie par son futur cavalier.
Ainsi, éternellement d’actualité, le vieux proverbe qui suit sera une
fois de plus adapté à cette situation délicate. L’observation de son
application nous évitera bien des déconvenues si l’on sait comprendre
son message universel :
A jeune cavalier, cheval d’expérience ;
à jeune cheval, cavalier d’expérience...
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N°2 – Carnets de débourrage.
Avant de développer, jour après jour, les différentes étapes de ce carnet de débourrage, il me
faut préciser, par quelques éléments explicatifs, la situation, les conditions de travail et ce dont je
disposais comme renseignements sur les chevaux à entreprendre.
En me basant sur la progression habituelle d’un débourrage "normal", j’ai proposé la durée
de cette entreprise à six semaines.
Les chevaux sont en box avec une section de parc attenant. Pour des raisons
comportementales (!), Galopin doit être logé en compagnie d’une vielle jument (!). Une carrière en
sable est située en contrebas, à cent mètres des écuries.
Cette carrière a la “particularité” inappropriée d’être ceinturée sur deux de ses côtés (à un
mètre de la lice), par un bâtiment contigu en construction, environnée continuellement par des
ouvriers affairés et des engins perturbants ! Cette construction, de plusieurs niveaux dont un étage
en contrebas, présente des fenêtres et des soupiraux au niveau du sol (!) qui sont obturés
momentanément par du plastique translucide. Cette structure devrait accueillir, plus tard, d'autres
écuries et des installations annexes.
Sur l’autre demi périmètre se trouve une butte en surplomb, sur laquelle a été construite une
maisonnette de gardiennage à vingt mètres de là et, sur le dernier côté, un second bâtiment contient
un garage de véhicules et d’engins divers, avec un atelier de réparation fréquenté assidûment... On
constate qu'alentour, il y a tout ce qu'il faut pour déconcentrer des chevaux !
Le chemin d’accès allant des écuries à la carrière descend en épingle à cheveux. D’un côté,
il longe un espace fermé contenant un couple d’oies et quelques dindonneaux, tous très expressifs ;
de l’autre, une fumière s’évertue à éliminer son contenu en se consumant laborieusement.
Fiche de renseignements sur :
- Axel, cheval malin... Se laisse attraper difficilement, teste son monde,
beaucoup d’influx nerveux. D’un tempérament calculateur et
dissimulateur, il sait profiter de toutes les opportunités pour s’amuser au
dépend de celui qui s’occupe de lui. Il a déjà botté sa propriétaire plusieurs
fois...
- Galopin, cheval délicat à aborder ; à été maltraité et mal suivi avant
d’être acheté à l’âge d’un an. Ne connaît pas grand chose des relations
sociales avec l’homme ; il n’est absolument pas en confiance et craint tous
phénomènes extérieurs... Son modèle très imposant ne facilitera pas les
choses compte tenu du contexte avoisinant très perturbant et
mouvementé en permanence.
Ce tour d’horizon effectué, il s’avère que les conditions de travail seront compliquées par
“l’originalité” des chevaux à éduquer. De surcroît, elles seront aggravées par une surface
d’évolution de conception impropre, suggérant des résultats très aléatoires avant d’avoir commencé.
Pour toutes ces raisons, il m'a semblé préférable de m'adjoindre une collaboratrice.
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N°2 – Carnets de débourrage.
28 juillet. Séance n° 1, avec la collaboration de Carole.
Rôle de chacun :
Carole sera celle de nous deux qui récompensera.
Je serai celui qui fera travailler et qui sera chargé
de “ faire les gros yeux ” en cas de nécessité...
Programme : approche psychologique.
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
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ƒ
ƒ
ƒ
1)
2)
3)
4)
5)
6)
7)
8)
"Capturer" le cheval et mettre le licol,
Sortir le cheval du box pour le conduire aux abords.
L’attacher avec, en intermédiaire, une ficelle entre l’anneau et la longe,
Pansage et pose de protections,
Mise en place du caveçon,
Sortir en main en direction de la carrière,
Reconnaissance du terrain,
Essayer de tourner à la longe. Récompenser beaucoup !
Résultats :
Galopin : nous savions d’entrée qu’avec son tempérament inquiet et tourmenté, ça ne serait
pas “de la tarte” ; pourtant, le premier point n’a posé aucun problème (à l’étonnement de sa
propriétaire qui suivait les événements avec curiosité). En revanche, pour sortir des écuries et
gagner le local de pansage, ce fut du sport... Il ne voulait pas quitter son coin habituel ! Les points 3,
4, et 5, rien de particulier à signaler, tout le monde est encore vivant !
Pour sortir et tenter de descendre le chemin en direction de la carrière... grosses
complications et énormes défenses. Pendant une demi-heure, avec patience, j’ai tenu le choc en face
d’une masse qui voulait à chaque instant faire brutalement demi-tour, se pointait de manière très
impressionnante à la limite du renversement et se bloquait ensuite dans une immobilité surprenante,
momentanément insensible à n’importe quelles sollicitations.
Enfin parvenu jusqu’à proximité de la carrière, nouveau blocage. Après de nombreuses
tentatives épuisantes, demi-tour et direction les écuries ; ça suffisait amplement pour ce jour là...
Conclusion : Ce cheval présente une forme d’immobilisme qui se rapproche
dangereusement d’un vice rédhibitoire rendant un cheval impropre à la pratique équestre. Des
antécédents traumatisants l’ont certainement perturbé pour présenter cet état ; ou alors, on ne m’a
pas tout dit ! Je décide de poursuivre, sachant qu’il va falloir user de temps, de calme et de patience
en essayant de ne pas prendre trop de risques. Ce sera certainement difficile et un peu dangereux
mais je veux quand même tenter le coup. J’ai déjà eu affaire une fois à un cheval qui manifestait ce
comportement ; il s’appelait ÉLAN et je m’en étais assez bien sorti...
Axel : Les huit points ont été accomplis sans difficulté.
Conclusion : cheval malin. Sa tendance à tester son monde s’est vérifiée ; aujourd’hui, il a
trouvé un écho inhabituel ! A suivre...
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N°2 – Carnets de débourrage.
29 juillet. Séance n° 2
Galopin : approche différente pour tenter de franchir le chemin en direction de la carrière ;
les encouragements à l’aide de sucre utilisé la veille sont remplacés par des granulés apparemment
mieux appréciés. En vain ! Le parcours a duré autant de temps et fut entrecoupé d’immobilités
inquiètes, de défenses brutales difficilement contenues et de pointés impressionnants. Chaque
avancée de quelques mètres était encouragée de caresses, de mots doux, de récompenses, de
sollicitations en poussant au derrière ! (Gros travail de Carole et prises de risques osées compte tenu
de la disproportion des morphologies respectives... et du danger potentiel.)
Au bout de notre chemin de croix, nous sommes arrivés devant la carrière, déjà
complètement épuisés. Nouvelle station interminable à l’entrée, entrecoupée de débordements
habituels et de valses hésitations éprouvantes pour nos nerfs... Enfin, après avoir effectué des
simulacres d’entrée... (J’y vais, je n’y vais pas, et puis aller, je me lance, oh ! non... Maman j’ai
peur…) il se lance soudain à l’intérieur et foule d’un trot vainqueur le sable clair, neuf et trop
brillant sous le dur soleil. Dûment récompensé après cette pénible victoire, je l’ai laissé prendre
connaissance avec les lieux en me contentant de vagues cercles au bout de ma longe au trot.
Souvent bousculé, je l’ai néanmoins encouragé à poursuivre ses investigations dans le secret espoir
qu’elles seront utiles dans l’avenir...
Pour sortir, ce fut beaucoup plus rapide et violent. J’ai eu beaucoup de mal à l’empêcher de
rentrer tout droit aux écuries. Contenu avec difficulté, je me suis imposé de le faire revenir quelques
pas en retournant vers la carrière (ce qui me semble la meilleure des sanctions) Ouf ! Les points 6 et
7 ont enfin été réalisés.
Conclusion : après chaque défense, Galopin semble stupéfié, assommé. On dirait qu’il
éprouve la nécessité de se cramponner des quatre pieds au sol, comme le ferait un passager malade
accroché au bastingage sur le pont d’un bateau malmené dans la tempête... Après quelques instants
d’immobilité totale, il paraît reprendre conscience pendant qu’une faible part de volonté semble
retrouver le dessus. La gourmandise aidant, avec le bruit attractif des granulés dans le seau, il
accepte finalement de dépasser son malaise et tente à nouveau une avancée... puis le cycle
recommence. Le doute s’installe quant à la réalisation de ce débourrage.
Je subodore une atteinte névrotique profonde pouvant remettre en cause un débourrage
classique. Je ne vois qu’une seule chance de contourner un tel blocage : c’est l’application de la
douceur et de la patience, seuls gages permettant peut-être de rétablir un jour la confiance...
Axel : développement des points 7 et 8. Premières demandes sérieuses à main droite et
rapprochement de la piste près des lices malgré les bruits ambiants et l’agitation des travaux...
Conclusion : les estimations précédentes sont confirmées ; mais, s’il n’a pas présenté de
réactions vindicatives, je devine qu’Axel est du genre à dissimuler... Gare lorsque l’orage se
déchaînera !
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N°2 – Carnets de débourrage.
31 juillet, séance n° 3.
Galopin : points 1, 2, 3, 4, et 5, R. A. S. Point n° 6 : les deux tiers du parcours en direction
de la carrière se sont effectués avec bonne volonté et allant... En revanche, les trente derniers mètres
présentèrent encore des hésitations ; les atermoiements et autres blocages se sont succédés.
Ce jour là, j’avais décidé que nous ne l’aiderions pas en lui mâchant le travail, comme
jusqu’alors pendant les essais précédents lorsque Carole osait le pousser par l’arrière... Je voulais
que ma volonté parvienne à “convaincre” celle de ce cheval jusqu’à ce qu’il effectue une
“participation minimum”, même infime, afin qu’elle aboutisse, avec patience et obstination, à une
acceptation déterminante. Ce n’est qu’avec l’aide précieuse du seau de granulés que nous n’avons
mis... qu’un quart d’heure pour entrer dans la carrière !
Dans l’hypothèse optimiste ou Galopin aurait accepté de rentrer directement dans l’enceinte
de travail, j’avais prévu de commencer à établir un code relationnel par l’intermédiaire duquel,
ensuite, je pouvais envisager de m’appuyer pour le faire travailler. Ce résultat inespéré étant acquis
lorsque l’animal fut dans la carrière, j’ai donc pu mettre en application ce que j’avais élaboré pour
me faire comprendre dans “ce cas” particulier... A l’arrêt, j’ai commencé par le caresser avec la
chambrière sur toutes les parties du corps afin de repérer par des tapotements aimables quels étaient
les endroits les plus sensibles afin de pouvoir déclencher, sans affolement, le mouvement en avant.
Bien que confus, le résultat faisait ressortir deux endroits qui semblaient convenir. Le côté
du garrot (pas très pratique d’utilisation) et le passage de sangle (beaucoup plus accessible).
Quoiqu’il en soit, j’ai été surpris de pouvoir lui faire effectuer des cercles au pas, au trot et au galop
sans trop de difficultés, même à main droite ! Après le galop, le retour au pas est obtenu à la voix
dans des délais assez raisonnables.
A la suite de ce résultat inespéré, récompensé largement, nous avons réalisé une sortie
presque ordonnée sans que je sois décollé de terre sur cinq mètres, comme la fois précédente...
Conclusion : un processus mental semble prendre forme dans un brouillard épais mais avec
de petits progrès. Nous allons donc persévérer avec vigilance et détermination.
Axel : une nouveauté est au programme pour cette troisième leçon. Il s’agit d’ajouter un
élément à la liste initiale ; je le placerai en 5 b. Il consiste à installer le tapis de selle en mettant en
place un surfaix de dressage. Entreprise effectuée avec circonspection mais sans réaction...
En carrière, Axel a accepté d’être comprimé progressivement par la pression de la sangle ;
ce contact inhabituel a naturellement provoqué des bonds mais ils furent atténués par des mises en
avant à chaque réaction. A noter plusieurs tentatives de demi-tours systématiquement interrompus
et renvoyés sur la trajectoire initiale. Nous avons terminé la séance après le pas, le trot et le galop
aux deux mains par des cercles à main droite dans les quatre angles, notamment côté sortie où il
présente une réaction craintive qui le porte à basculer vivement à l’intérieur du cercle (endroit
réservé au longeur et à ses pieds...) Pour pallier ce déséquilibre, il fallut réagir en faisant osciller
horizontalement la longe, intervention complétée par une chambrière attentive en direction de
l’avant-main pour l’inciter à partir en avant plutôt que de se jeter en dedans, dans mes bras ou sur
mes pieds.
Conclusion : ça avance.
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1er. août, séance n° 4.
Galopin : toujours les mêmes problèmes en approchant l’entrée de la carrière. L’attente d’un
effort de bonne volonté venant de sa part semble utopique ! Il est resté un temps interminable à
tergiverser devant le sable à taper du devant et du derrière, faisant un pas en avant et reculant
aussitôt de deux... Constatant que la douceur et la caresse n’arrivaient à rien, j’ai confié la longe à
Carole et je suis allé derrière lui (loin derrière !) muni de la chambrière... Sans avoir à exercer de
menaces, il est entré ! Après, il me restait peu de temps à lui consacrer pour reprendre les exercices
commencés la veille.
Conclusions : ça ne s’arrange pas, nous faisons du sur place.
Axel : apparition d’une inflammation au niveau de l’auge, sur les deux bords du maxillaire
inférieur au passage de l’attache du caveçon. Ceci exclu momentanément le travail à la longe.
Impromptu, je change mon programme pour une séance de travail en liberté avec licol, tapis de
selle et surfaix de dressage. Pour réaliser ce travail en liberté aux trois allures avec changements de
direction commandés, nous nous répartissons à trois sur une ligne oblique près de la ligne du
milieu.
Conclusion : bons résultats, sans sursauts à la pression de la sangle (comme la veille). Aux
abords, premières tentatives de mobilisation des hanches des deux côtés. Peu de résultats, à
poursuivre. L’inflammation osseuse au niveau de l’auge est préoccupante car il est rare de voir ce
genre de réaction à la pression d’une simple attache de caveçon... Ceci dénoterait-il une fragilité
particulière ? A voir...
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2 août, séance n° 5.
Galopin : compte tenu des problèmes de la veille, j’ai décidé d’utiliser la mince acquisition
de sensibilisation à la chambrière et d’en faire usage.
En descendant en carrière, chaque tentative de comportement rétif était contrée par le touché de la
chambrière avant même l’immobilité du cheval. Ainsi, pour la première fois, nous sommes rentrés
directement dans la carrière en un temps record !
Au travail en longe, il n’y a plus que quelques échappements brutaux et de rares essais de
demi-tours (pendant une des bousculades, j’ai à déplorer pour la seconde fois, l’écrasement de mon
autre pied). Pour prévenir les réactions causées par des perturbations extérieures, les oscillations
horizontales de la longe ne suffisent pas à l’empêcher de se jeter à l’intérieur du cercle. J’observe
quelques foulées au galop semblant se dérouler assez régulièrement... Tout n’est donc pas si
sombre ! En récompense, je décide de lui accorder quelques instant de liberté pour tester son
comportement sur la piste. La reconnaissance initiatique effectuée péniblement en main le long de
la lice révèle aussi, dans cette circonstance, que le voisinage ambiant avec les bâtiments tout
proches, leurs ouvertures béantes et inquiétantes, leurs bruits suspects et les ombres qui vont et
viennent, tout ce remue-ménage ne va pas faciliter des difficultés déjà suffisamment importantes.
Le retour aux écuries se serait bien passé s’il n’avait été perturbé par le passage et le déchargement
d’un chariot tracté qui barrait partiellement notre chemin...
Conclusion : il n’y a pas de quoi être vraiment pessimiste mais le terme d’optimisme me
semble tout à fait inadapté dans la situation actuelle. Aux abords, les tentatives de mobilisations des
hanches ne donnent absolument rien, à part un énervement grandissant.
Axel : aux abords, l’agitation et les bruits du déchargement de foin à proximité, ont sans
doute provoqué une réaction du cheval qui a tiré au renard... Préventivement, la mise en place d’une
ficelle intermédiaire entre l’anneau d’attache et la longe, a permis en cédant immédiatement, de
limiter les conséquences. Axel n’a pas recommencé, mais il y a lieu d’être vigilant.
Pour laisser l’inflammation se résorber tant qu’un caveçon à sa mesure et plus confortable
ne sera pas trouvé, je continue la progression en essayant de poursuivre le travail avec un simple
licol... bien que, dans cette leçon, le surfaix ait fait place à la selle. Tant bien que mal, nous
parvenons à décrire des sortes de cercles à la longe dans les quatre angles, surtout du côté sortie qui
reste problématique.
L’obéissance à la voix est maintenant satisfaisante, j’obtiens assez correctement les retours
au pas et les arrêts. La mobilisation des hanches mérite encore de l’entraînement...
Conclusion : on avance bien malgré tout ; la semaine prochaine, j’envisage d’aborder la
question de l’embouchure avec les problèmes de la mise en place du mors. Sur le chemin du retour,
aucun trouble en passant à côté de la remorque tractée avec ses mouvements divers et ses bruits
insolites. Pourtant, à chaque instant, je me méfie de cette eau qui dort...
Observations : bonne collaboration technique avec Carole depuis le début de cette
entreprise. Le sable de la carrière a été égalisé et passé au rouleau mais sans être suffisamment
arrosé. Le sol est très profond, donc très pénible pour nous qui devons évoluer d’un bout à l’autre
de la piste en enfonçant dans un sable très inégal. Si c’est pénible pour nous, j’imagine que ça doit
l’être tout autant pour les chevaux... Il apparaît que ce sable réclame un arrosage important au lieu
d’être superficiellement humecté afin de pouvoir conserver davantage de tenue pour offrir une
cohésion suffisante sous les foulées des chevaux.
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4 août, séance n° 6
Galopin : il m’a fallu prendre la mesure thoracique de ce cheval pour commander une autre
sangle à sa taille, celle qu’on m’avait donnée ne correspondait vraiment pas ! J’en ai profité pour
tester gentiment sa sensibilité à la pression... pas d’explosion... Aller, une autre fois pour voir... pas
de réaction, tant mieux.
La descente en carrière s’est déroulée directement jusqu’au milieu de la piste ; je n’ose
chanter victoire ! Est-ce que nous tiendrions le bon bout ? Le travail à la longe lui-même laisse
apparaître un peu plus de signaux reconnus et bien interprétés, dûment récompensés. Plus de
problèmes à main droite... encore récompensés, comme vous pouvez l’imaginer !
Conclusion : les trois allures sont demandées et obtenues ; les ralentissements et les retours
au pas jusqu’à l’arrêt sont demandés à la voix. Ils nécessitent parfois le renfort et l’emploi du
caveçon. Demain, une étape décisive s’annonce !
Axel : Après le point 5, à la suite duquel j’ai ajouté le 5 b, il me faut passer au 5 c. A savoir,
l’ouverture de la bouche pour laquelle il avait été préparé et exercé pendant les leçons précédentes.
L’introduction du mors et la mise en place du filet n’ont pas posé de difficultés ; sans caveçon, je
laisse encore le licol pour fixer la longe et épargner ainsi la fraîcheur de la bouche de ce jeune
cheval. Il ne comprendrait pas le traitement sévère et soudain sur sa bouche si j'attachais la longe
directement sur le mors. Laquelle ne pourrait manquer d'accuser violemment les tensions et les
secousses de la longe dans le cas d’une fuite, hélas plus que probable... Combien de jeunes chevaux
restent traumatisés à vie par des maladresses de ce genre – voir même des brutalités – et n’acceptent
plus jamais qu’on prenne contact avec leur bouche (même chose avec la tête ou les oreilles) sans
qu’un “kamikaze” de service parvienne, avec des ruses de Sioux, à rétablir une confiance très
fragile...
Avec Axel, je peux, désormais, ouvrir seul les portes d’accès à l’entrée de la carrière et les
refermer derrière nous sans qu’il saute en l’air. Au travail, nous revoyons les cercles dans les
angles, avec toujours des difficultés ; elles paraissent dues à la présence impressionnante d’une
grosse pelleteuse en activité à proximité... Il nous faut bien du courage de part et d’autre, pour
essayer de marcher droit sur la piste avant d’être obligé de récupérer les choses sur un cercle afin de
rétablir ce qui s’est soudainement dégradé. Quelques rares réussites sont à mentionner ; celles-ci ont
été évidemment récompensées comme il se doit.
Conclusion : il semble que la préparation soit maintenant suffisante pour tenter de réaliser le
travail du montoir ; à condition que nous puissions bénéficier d'un moment de calme...
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5 août, leçon n° 7.
Galopin : après le curage des pieds et le pansage, j’ai voulu vérifier si le surfaix de
couverture choisi pour habituer ce cheval à la sangle (et ensuite à la selle) correspondait bien à son
vaste tour de poitrine. Et bien non ! Il manquait encore vingt bons centimètres... L’intendance,
représentée par la propriétaire du cheval, avait vraiment des problèmes avec le matériel... Le test de
préparation à la selle n’était donc pas réalisable, alors nous sommes allés réviser tous les éléments
précédents avec, en prime, les frayeurs de la pelleteuse qu’il fallait surmonter, car elle était toujours
en action non loin de là. Dans ces circonstances peu ordinaires, il faut se dépenser avec obstination
et encourager chaque bonne volonté au risque de se faire bousculer et monter une fois de plus sur
les pieds...
A juste titre, on pourrait se demander, pour quelles raisons je n’entreprenais pas une
démarche autoritaire afin de faire cesser ce tohu-bohu et tous les va-et-vient permanents ?
Évidemment, des bruits et des mouvements constants sont loin d’apporter la sérénité qu’on peut
souhaiter dans un travail de ce genre. Je sais bien que, d’ordinaire, on recherche généralement un
calme monacal qui soit propice à la concentration pour que le jeune cheval ne soit pas distrait par le
moindre prétexte. Personnellement, tant que ça ne dépasse pas la mesure, je suis d’un avis contraire.
J’ai tendance à penser – bien que la tâche soit plus difficile et comporte quelques inconvénients –
que le jeune cheval doit s’habituer très tôt aux mouvements divers de son environnement. Sauf si le
sujet en question relève plus d’une thérapeutique adaptée que d’un débourrage conventionnel,
comment espérer une discipline prudente, dès qu’on sera en présence d’un élément perturbateur, si
un cheval “normal” n’y a pas été accoutumé dès le départ ?
En s’y prenant de bonne heure, dans le calme et la bonne volonté, on se ménage bien des
économies d’efforts et de temps perdu à lutter contre des défenses qui ont la fâcheuse tendance à
s’installer et à s’enraciner dans des habitudes qui deviennent comportementales et indélébiles, si
elles n’ont pas été abordées assez tôt.
Néanmoins, j’en suis bien d’accord, il ne faut pas pousser le bouchon trop loin et, comme le
disait les anciens : « il est inutile de forcer le cheval à lécher le rouleau à vapeur ! » (sorte d’ancêtre
de notre rouleau compresseur moderne qui, à l’époque, crachait et expulsait fumées et vapeurs en
étant chargé de compacter les pierres qui comblaient les trous de nos routes défoncées par les
bolides du temps jadis.) On imagine aisément la tête des chevaux en se retrouvant confronté à un
engin pareil !
En ce qui concerne le débourrage de Galopin et d’Axel, en plus de leurs problèmes
respectifs, je reconnais que nous dépassions trop souvent le seuil de tolérance dans ce domaine et
qu’il nous fallait prendre trop de risques. En l'occurrence, deux options se présentaient à moi. Je
pouvais déclarer qu’au nom de la sécurité, les conditions de travail n’étaient pas compatibles avec
la formation de jeunes chevaux et je tirais ma révérence ; ou bien je composais avec l’adversité, en
espérant un peu de compréhension au niveau des échéances avec ces messieurs du bâtiment, en
implorant surtout les bonnes grâces de Saint Georges...
De plus, je dois avouer que je m’étais piqué au jeu ; cette situation était devenue pour moi
une sorte de défi. C’est pourquoi je voulais voir, malgré quelques tracas, jusqu’à quel point je
pouvais faire avancer ces deux chevaux (vraiment pas communs) dans les conditions peu ordinaires
décrites jusqu’ici. Alors, en accord avec Carole, nous avons décidé de continuer.
Conclusion : confirmation des commandements à la voix pour passer d’une allure à l’autre.
Les huit points de base sont acquis ; il nous faut maintenant avancer ! Première prise de contact
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N°2 – Carnets de débourrage.
avec la douche... Comme pour pas mal de choses, ce pauvre cheval ne connaît rien ; pas davantage
les bienfaits de la douche. Nous avons vraiment l’impression d’avoir affaire à une “personnalité”
qui serait restée cloîtrée des années au fond d’une cave sans voir quoi que ce soit du monde qui
l’entoure... Le contact fut fraîchement apprécié comme on peut s’en douter. Le mince filet d’eau
pourtant utilisé fut accueilli à chaque fois par de violentes ruades ; les charges en avant ou en arrière
étaient impressionnantes de brutalité. Parce qu’elles émanaient d’une masse de six cents cinquante
kilos, elles étaient à l’extrême limite d’un risque grave pour notre sécurité. Le robinet fut fermé sans
trop tarder. A revoir...
Axel : la révision du travail précédent confirme que ce cheval est apte à franchir le cap
déterminant du montoir.
En conséquence, avec Carole, nous répétons l’approche de cette phase. Elle a sa jambe
gauche en appui sur mon bras droit pendant qu’elle-même se soutient avec ses deux bras sur la base
de l’encolure et le pommeau de la selle. En recherchant un maximum de calme et de stabilité, je lui
demande ensuite de répéter plusieurs fois le mouvement de la jambe droite en direction de la selle
qu’elle devra enjamber dès que le cheval y sera accoutumé. Nous recommençons ce simulacre
jusqu’à obtenir une sorte d’indifférence. Bien que ne faisant pas une seule grimace, je vois qu’Axel
ne nous quitte pas de l'œil...
Après avoir effectué ses multiples répétitions, je dépose enfin ma cavalière dans la selle sans
aucune réaction pendant qu’Axel suit les opérations d’un regard faussement désintéressé !
Le cheval restant calme. Après l’avoir récompensé comme il se doit, j’aide Carole à mettre
pied-à-terre. Pas de réaction, c’est impeccable. Nous repartons au pas sur le cercle, ma cavalière
restant au côté du cheval. A la suite de cet essai positif, nous entreprenons aussitôt une seconde
tentative tout aussi réussie que la précédente. En vertu du principe qu’on n’est jamais content et
qu’il en faut toujours un peu plus... je demande à Axel de faire ses premiers pas en longe avec sa
cavalière sur son dos.
C’est un moment délicat car, de l’immobilité où il se trouve, un cheval à ce niveau n’a pas
encore conscience de l’état de déséquilibre qu’il va ressentir dès qu’il se mettra en marche. En effet,
de l’aisance qui était la sienne jusqu’alors quand il folâtrait joyeusement dans son parc, maîtrisant
instinctivement son équilibre, même dans les mouvements acrobatiques, à cet instant il risque d’en
être autrement avec le poids de sa cavalière (poids très relatif, compte tenu d’une ligne
irréprochable !) dont, néanmoins, il pourrait éprouver soudainement la gêne en l’exprimant
violemment par le genre de comportement que nous avons tous en mémoire. Si cela se produit, c’est
probablement que j’aurai été un peu trop vite et que la confiance n’aura pas été suffisamment
établie. Une réaction violente serait préjudiciable pour la suite du débourrage car elle soulignera une
défense contre ce que nous lui demandons et il en restera certainement une trace pour la suite de
son éducation...
Avec Axel, rien de tout ça. Comme s’il avait fait cela toute sa vie, il se mit au pas gentiment
à la demande et, peu après, répondit à ma voix pour s’arrêter. Normalement, j’aurais dû m’en tenir
là et m’estimer heureux et satisfait de ce très bon résultat, mais en fonction du principe précité, j’ai
redemandé le départ au pas. Comme le précédent, le message fut parfaitement traduit et exécuté par
ce cheval qui fut longuement caressé et légitimement récompensé. D’aucuns auraient su s’en tenir
là ! Personnellement, j’ai voulu aller encore un cran plus loin en ouvrant les portes moi-même, le
cheval toujours en main, avec sa cavalière en selle, confortablement installée... puis, finalement,
oser rentrer aux écuries par le chemin habituel !
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Bien sûr, cette témérité comportait quelques risques mais, compte tenu du comportement et
de l’attitude coopérative du cheval, j’ai estimé pouvoir dépasser le programme initial. Cette
estimation se fondait sur le sentiment que la performance qui nous avait été révélée, ne constituait
pas vraiment une difficulté largement surmontée par ce cheval et qu’il pouvait faire beaucoup
plus... Le problème c’était de savoir ce qu’il pouvait accepter et jusqu’où il pouvait aller ! Pour
expliquer la raison qui m’a porté à dépasser le programme à ce point, je me suis basé sur le
comportement du cheval qui, je l’ai déjà mentionné auparavant, est intelligent, malin et
dissimulateur. J’ai eu le sentiment qu’Axel ne serait pas en difficulté dans cette étape, qu’il ne
mettrait pas vraiment Carole en danger et qu’il se réservait pour d’autres moments plus délicats...
Dans un autre ordre d’idée, j’ai vu en ce cheval, le comportement d’un jeune enfant qui aurait
parfaitement assimilé l’alphabet ânonné par un frère aîné, que le bambin reproduirait facilement
devant des parents interloqués. La mise pied-à-terre fut une formalité devant les écuries. Axel dut, à
son tour, subir l’initiation de la douche sans vraiment apprécier, mais lui au moins, sans violence.
Conclusion : A) La leçon de ce jour marque une étape décisive et positive sur la future
carrière de ce cheval (si tout se déroule normalement), ceci dans le calme, la douceur, la fermeté et
la volonté. Eléments essentiels pour une éducation progressive dans la confiance et la discipline.
B) Dorénavant, on ajoutera au harnachement un collier d’encolure bien utile pour la cavalière, au
cas où... C) A noter une sensibilité des pieds lorsque le cheval monté est rentré sur le chemin
caillouteux en direction des écuries. Il sera judicieux de commander le maréchal-ferrant pour
bientôt.
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6 août, leçon n° 8.
Galopin : encore des essais d’habillage pour un caveçon, une sangle, un surfaix adapté pour
sa taille extra large ; essayages qui auraient dû être réglés depuis belle lurette... Enfin, nous passons
au travail proprement dit avec une obéissance plus prononcée sur les voltes dans les angles qui
posent des problèmes d’inquiétudes et de frayeurs soudaines à cause d’une ombre, d’un bruit, d’un
ouvrier apparaissant soudainement à quelques distances de là ; ce ne sont pas les occasions qui
manquent. En dehors de ces perturbations dont je me passerais volontiers, je note de bons résultats
dans l’interprétation des commandements de la voix. La seconde partie a été effectuée dans le
même travail mais après avoir mis en place un surfaix de dressage (à sa taille) progressivement
serré sans que le serrement ne provoque chez lui la réaction habituelle en bonds divers et autres
sauts de moutons...
Conclusion : surprenante cette tolérance ! Retour à l’écurie avec, comme la veille, le
passage à la douche qui provoqua les mêmes violences péniblement contenues.
Axel : toujours des difficultés pour mettre en place un caveçon qui lui convienne sans
affecter une sensibilité de contact peu commune au niveau de la peau et du maxillaire inférieur
laissant apparaître une réaction osseuse importante.
Enfin prêt et harnaché, la détente en carrière s’est déroulée sans trop de sursauts ; elle fut
suivie par l’épreuve du montoir parfaitement tolérée. La mise au pas avec sa cavalière s’est
déroulée avec bonne volonté et obéissance. L’arrêt est obtenu sans problème à plusieurs reprises.
Pour redémarrer, j’ajoute le frémissement du bas de la jambe de Carole que je mobilise moi-même
en l’associant au commandement de ma voix ; au bout de trois essais Axel a parfaitement enregistré
cette nouveauté.
Puisque tout a l’air de fonctionner correctement, il me faut envisager les premières tentatives
de départ au trot avec les mêmes risques de déséquilibre soudain, donc de désordres possibles. La
première tentative est demandée par le code habituel mais, en plus, je reste aux côtés du cheval en
trottant pour l’encourager à me suivre ; ce qu’il fit docilement sans se faire prier durant une dizaine
de foulées. Après ce premier essai volontaire, il revînt au pas à la commande. Cet excellent résultat
fut récompensé directement par sa cavalière du haut de sa selle.
Nous étions au pas tranquillement, lorsque tout a soudainement basculé. Un bruit de camion,
un mouvement quelconque d’un ouvrier alentour ? Axel s’est brusquement emporté au galop !
Cette réaction courante chez un jeune cheval pouvait être stoppée aussitôt puisque j’avais à
ma disposition un code et des interventions patiemment inculquées qui me permettaient de contenir
automatiquement cette fuite en avant. Par ailleurs, du côté de ma cavalière, j’avais pleine confiance
dans les qualités de son assiette. Le temps que je récupère le fugitif, je savais qu’elle ne se serait pas
départie de son calme et d’une certaine solidité.
Donc, par réflexe, j’interviens dans la seconde avec les aides et le code utilisé d’ordinaire.
Malheureusement, au même instant, je perçois un flottement tout à fait inhabituel au bout de mes
doigts sur ma longe... En essayant de ramener le plaisantin à la raison et à l’obéissance, je constate
que l’anneau d’attache métallique du caveçon s’était rompu ! Axel se trouvait en liberté avec sa
cavalière en fâcheuse posture, emportée dans la carrière au galop dans une série de sauts de mouton
jusqu’à ce qu’elle ait vidé les étriers.
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