Place stratégique des transports en Afrique

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Place stratégique des transports en Afrique
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DOSSIER
l’essor de l’Afrique : entre opportunités et convoitises
auteur
arnaud fortin
la place stratégique
des transports en afrique
l
la place stratégique des transports en afrique
Le transport, par son influence sur la circulation
des hommes et des marchandises, a joué un rôle
majeur dans les grandes mutations économiques, dans la globalisation des échanges et l’interdépendance des économies. En Afrique, son
développement est lié à l’aspect protéiforme du
continent, aux déséquilibres des populations, à
la disparité économique des régions et à sa multimodalité (maritime, aérien, routier, ferroviaire).
Relever le défi du désenclavement régional
impose à l’Afrique de consolider le tissu existant,
qui demeure encore fragile.
Le transport a rythmé l’histoire
récente de l’Afrique. L’islamisation de l’Afrique du Nord, les
grandes découvertes, la colonisation sont autant de témoignages
des ruptures ou des mutations du
continent. Le transport a accompagné les migrations des populations et modifié le commerce,
le « passage de la Caravane à la
Caravelle » étant l’événement le
plus marquant. Les puissances
maritimes européennes, par l’apparition des comptoirs et la victoire du maritime sur les cara­
vanes terrestres, ont fait basculer
le cœur économique et politique
du continent vers les océans. Le
littoral subsaharien atlantique,
jusque-là marginal dans l’histoire
du continent, est devenu en quelques années le pôle économique
et politique de l’Afrique. Depuis
ce jour, le transport maritime
n’a cessé de s’étendre, régnant
en maître dans ces régions et
sur l’ensemble de ce continent.
Le transport en Afrique, encore
plus qu’ailleurs, est soumis aux
aléas climatiques et aux risques
de pénuries de produits (banane,
cacao, café…). Il est victime de la
volatilité des prix, des déséquilibres des flux entrées et sorties,
de la saturation des réseaux, du
coût du carburant et des services, sans oublier la piraterie, les
freins administratifs et les changements réglementaires qui mettent à mal les flux de transport.
De l’influence
du canal de Suez
Alors que l’Afrique commençait
à profiter, dès le XIXe siècle, de
sa situation géostratégique au
carrefour des lignes maritimes
est-ouest, le canal de Suez inauguré en 1869, ouvrant la voie
directe entre l’Europe et l’Asie,
a privé l’Afrique d’une position
commerciale dans les flux mondiaux. Les gains en termes de
transport étaient tels qu’une
ARNAUD FORTIN,
ASSOCIÉ ET FONDATEUR
D’EUROCIF, conseil en
stratégie et finance depuis 2005.
Il a débuté sa carrière en banque
d’affaires, avant de rejoindre,
en 1996, le cabinet de conseil
Eurogroup en qualité de
consultant en stratégie. En 2000,
il participe à la création du bureau
d’analyse financière d’Axfin,
devenu Consors, puis prend
en charge un secteur d’analyse
buy side chez Aurel Leven en 2001.
Arnaud Fortin est titulaire
d’un DESS de finance, diplômé
du CFAF, membre de la SFAF
et de l’Aacif.
convention a été signée en 1888
(Constantinople) pour garantir
l’ouverture du canal, en temps
de guerre comme en temps de
paix, à tout navire de commerce
ou de guerre, sans distinction de
pavillon. La recrudescence des
actes de piraterie dans le golfe
d’Aden depuis 2007 a néanmoins montré que le transport
par le cap de Bonne-Espérance
constituait une alternative pour
les chargeurs et armateurs, préférant emprunter la route plus
longue, plus coûteuse mais aussi
plus sûre au large de l’Afrique du
Sud.
Le trafic maritime mondial a
doublé en quinze ans, passant de
4 à 8 milliards de tonnes transportées. Ce transport distingue
trois modes de conditionnement :
roulier, vrac et conteneur. Le
premier mode, roulier ou charges roulantes, est notamment
utilisé pour les liaisons entre
l’Afrique du Nord et l’Europe.
avril mai juin 2010 analyse financière n° 35
Il offre un transit time rapide
grâce à une manutention légère
et exige peu d’investissements
dans les ports. Le transport de
vracs solides (minerais, céréales,
bois…) ou liquides (hydrocarbures) est, quant à lui, largement
répandu sur le littoral africain
pour les besoins alimentaires et
l’export de matières premières et
de produits énergétiques. Enfin,
le mode « conteneur », déjà largement répandu dans le monde, est
en voie de s’imposer en Afrique.
Ses avantages logistiques sont
multiples : stockage et conditionnement optimisés, marchan­
dises sécurisées, coûts compétitifs. La tendance est d’ailleurs
à l’augmentation de la taille des
navires porte-conteneurs, mais
ce transport nécessite en contrepartie des investissements élevés en infrastructures (portiques, grues) et les ports, qui ne
sont pas encore équipés, doivent
faire face à des contraintes techniques de tirant d’eau.
Émergence des liens
commerciaux entre
l’Afrique et l’Asie
Grâce aux conteneurs, les produits asiatiques arrivent en
masse sur le continent africain,
en particulier en Afrique subsaharienne. En effet, au sud, les
routes maritimes qui partaient
d’Asie vers l’Europe avec escale
dans les ports africains sont
remplacées par les lignes courtes et directes entre ports asiatiques et africains pour un « troc »
de produits finis contre matières
énergétiques et produits de base.
Au nord, le transport entre l’Eu-
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rope et l’Afrique du Nord reste
porteur grâce à une proximité
géographique, un transit time
réduit, des accords commerciaux
pour des économies en croissance. Le Maghreb reste ancré
à l’Europe dans son commerce
mais on peut se demander pour
combien de temps, car l’émergence des ports de transbordement sert avant tout les produits
d’origine lointaine, pour ne pas
dire asiatiques.
Des institutions
et des groupes
privés intéressés
L’Afrique est en construction,
les pays africains multiplient les
projets (ponts et chaussées, programmes portuaires et aéroportuaires), souvent avec l’appui des
bailleurs de fonds internationaux
européens (Banque européenne
d’investissement, BEI) et même
français, (Agence française
de développement, AFD). Les
besoins sont importants, notamment en Afrique subsaharienne
pour le désenclavement des
régions. En Afrique du Nord, des
progrès sont notables, les projets fleurissent grâce aux investissements directs étrangers,
aux subventions et partenariats
publics privés, alors qu’au Sud,
un certain retard est à déplorer.
Un maillon clé
dans le transport du
gaz et du pétrole
L’Afrique est l’une des places
énergétiques du XXIe siècle. Elle
possède sa propre zone de production sur le littoral atlantique
(Angola, Nigéria, Côte-d’Ivoire,
L’ouverture
du canal
de Suez, en
1869, a privé
l’Afrique
d’une position
commerciale
dans les flux
mondiaux.
Aujourd’hui,
avec la
recrudescence
des actes de
piraterie dans
le golfe d’Aden,
la route du
cap de BonneEspérance,
plus longue,
plus coûteuse
mais aussi
plus sûre,
redevient une
alternative
pour les
chargeurs et
armateurs.
Gabon) ainsi qu’en Afrique du
Nord (Algérie, Libye, Égypte),
région interconnectée à l’Europe
par ses réseaux de pipelines et
gazoducs. Le pétrole et ses produits représentent plus du tiers
du transport maritime mondial.
L’Égypte est sur le lieu de passage du pétrole du Golfe persique. Le canal de Suez est une
voie limitée en termes de gabarit
(navire Suezmax(1)), c’est donc
le Suez-Mediterranean Pipeline qui assure le transport. Sur
mer, c’est des côtes occidentales d’Afrique que le pétrole
remonte ou des ports d’Afrique
du Nord, après avoir parcouru le
vaste réseau d’oléoducs (plus de
16 000 km en Algérie), véritable
système veineux au service de
ces économies.
Quant au gaz, son transport
international est assuré par des
liens fixes sous-marins transméditerranéens. Deux réseaux algériens coexistent, l’un remonte
vers l’Espagne via le Maroc (le
Gazoduc Maghreb-Europe), le
second vers l’Italie via la Tunisie (le Enrico Mattei, anciennement Transmed), un troisième
s’achève (Medgaz). Deux autres
sont en projet, le Trans Sahara
Gas Pipeline – connu sous le nom
de Nigal – qui reliera sur plus de
4 000 km le Niger à l’Algérie et le
Galsi, qui reliera l’Algérie à l’Italie via cette fois la Sardaigne.
D’où l’importance géostratégique de ces régions dans l’ordre
mondial.
Le développement de l’Afrique
passe par les transports. En effet,
l’Afrique doit relever les défis du
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désenclavement des régions, par
la mise en place d’infrastructures de transport, et consolider
ce tissu fragile, mais le matériel
de transport est importé et reste
cher. Les gouvernements tentent
d’attirer les investisseurs par
la constitution de pôles économiques régionaux, à l’exemple
de Tanger et Casablanca dans
l’automobile, sur la côte occidentale avec les accords de montage
de bus passagers et de camions.
Alors que l’Afrique accède enfin
pour une part de sa population
aux transports, elle se voit imposer des contraintes internationales d’efficacité économique,
technique et environnementale
(le transport étant l’un des principaux émetteurs de gaz à effet
de serre et de particules fines)
qui pourraient compliquer son
développement. Cependant, les
échanges semblent s’inscrire
dans une logique de codéveloppement avec les pays matures,
qui permettra in fine aux transporteurs d’équilibrer leurs flux
import-export et aux pays africains d’assurer leur propre avenir. Espérons-le ! M
(1) Les navires Suezmax sont ceux pouvant
passer par le canal de Suez. Il s’agit de
navires trop gros pour passer par d’autres
canaux importants comme celui de Panama. On parle de Suezmax surtout pour les
pétroliers, les porte-conteneurs et les vraquiers. Les navires trop grands pour passer
par le canal de Suez sont appelés Capsize ;
ils passent par le Cap de Bonne-Espérance.
Source : Wikipedia.
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