Place stratégique des transports en Afrique
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Place stratégique des transports en Afrique
34 DOSSIER l’essor de l’Afrique : entre opportunités et convoitises auteur arnaud fortin la place stratégique des transports en afrique l la place stratégique des transports en afrique Le transport, par son influence sur la circulation des hommes et des marchandises, a joué un rôle majeur dans les grandes mutations économiques, dans la globalisation des échanges et l’interdépendance des économies. En Afrique, son développement est lié à l’aspect protéiforme du continent, aux déséquilibres des populations, à la disparité économique des régions et à sa multimodalité (maritime, aérien, routier, ferroviaire). Relever le défi du désenclavement régional impose à l’Afrique de consolider le tissu existant, qui demeure encore fragile. Le transport a rythmé l’histoire récente de l’Afrique. L’islamisation de l’Afrique du Nord, les grandes découvertes, la colonisation sont autant de témoignages des ruptures ou des mutations du continent. Le transport a accompagné les migrations des populations et modifié le commerce, le « passage de la Caravane à la Caravelle » étant l’événement le plus marquant. Les puissances maritimes européennes, par l’apparition des comptoirs et la victoire du maritime sur les cara vanes terrestres, ont fait basculer le cœur économique et politique du continent vers les océans. Le littoral subsaharien atlantique, jusque-là marginal dans l’histoire du continent, est devenu en quelques années le pôle économique et politique de l’Afrique. Depuis ce jour, le transport maritime n’a cessé de s’étendre, régnant en maître dans ces régions et sur l’ensemble de ce continent. Le transport en Afrique, encore plus qu’ailleurs, est soumis aux aléas climatiques et aux risques de pénuries de produits (banane, cacao, café…). Il est victime de la volatilité des prix, des déséquilibres des flux entrées et sorties, de la saturation des réseaux, du coût du carburant et des services, sans oublier la piraterie, les freins administratifs et les changements réglementaires qui mettent à mal les flux de transport. De l’influence du canal de Suez Alors que l’Afrique commençait à profiter, dès le XIXe siècle, de sa situation géostratégique au carrefour des lignes maritimes est-ouest, le canal de Suez inauguré en 1869, ouvrant la voie directe entre l’Europe et l’Asie, a privé l’Afrique d’une position commerciale dans les flux mondiaux. Les gains en termes de transport étaient tels qu’une ARNAUD FORTIN, ASSOCIÉ ET FONDATEUR D’EUROCIF, conseil en stratégie et finance depuis 2005. Il a débuté sa carrière en banque d’affaires, avant de rejoindre, en 1996, le cabinet de conseil Eurogroup en qualité de consultant en stratégie. En 2000, il participe à la création du bureau d’analyse financière d’Axfin, devenu Consors, puis prend en charge un secteur d’analyse buy side chez Aurel Leven en 2001. Arnaud Fortin est titulaire d’un DESS de finance, diplômé du CFAF, membre de la SFAF et de l’Aacif. convention a été signée en 1888 (Constantinople) pour garantir l’ouverture du canal, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon. La recrudescence des actes de piraterie dans le golfe d’Aden depuis 2007 a néanmoins montré que le transport par le cap de Bonne-Espérance constituait une alternative pour les chargeurs et armateurs, préférant emprunter la route plus longue, plus coûteuse mais aussi plus sûre au large de l’Afrique du Sud. Le trafic maritime mondial a doublé en quinze ans, passant de 4 à 8 milliards de tonnes transportées. Ce transport distingue trois modes de conditionnement : roulier, vrac et conteneur. Le premier mode, roulier ou charges roulantes, est notamment utilisé pour les liaisons entre l’Afrique du Nord et l’Europe. avril mai juin 2010 analyse financière n° 35 Il offre un transit time rapide grâce à une manutention légère et exige peu d’investissements dans les ports. Le transport de vracs solides (minerais, céréales, bois…) ou liquides (hydrocarbures) est, quant à lui, largement répandu sur le littoral africain pour les besoins alimentaires et l’export de matières premières et de produits énergétiques. Enfin, le mode « conteneur », déjà largement répandu dans le monde, est en voie de s’imposer en Afrique. Ses avantages logistiques sont multiples : stockage et conditionnement optimisés, marchan dises sécurisées, coûts compétitifs. La tendance est d’ailleurs à l’augmentation de la taille des navires porte-conteneurs, mais ce transport nécessite en contrepartie des investissements élevés en infrastructures (portiques, grues) et les ports, qui ne sont pas encore équipés, doivent faire face à des contraintes techniques de tirant d’eau. Émergence des liens commerciaux entre l’Afrique et l’Asie Grâce aux conteneurs, les produits asiatiques arrivent en masse sur le continent africain, en particulier en Afrique subsaharienne. En effet, au sud, les routes maritimes qui partaient d’Asie vers l’Europe avec escale dans les ports africains sont remplacées par les lignes courtes et directes entre ports asiatiques et africains pour un « troc » de produits finis contre matières énergétiques et produits de base. Au nord, le transport entre l’Eu- DOSSIER l’essor de l’Afrique : entre opportunités et convoitises auteur la place stratégique des transports en afrique arnaud fortin rope et l’Afrique du Nord reste porteur grâce à une proximité géographique, un transit time réduit, des accords commerciaux pour des économies en croissance. Le Maghreb reste ancré à l’Europe dans son commerce mais on peut se demander pour combien de temps, car l’émergence des ports de transbordement sert avant tout les produits d’origine lointaine, pour ne pas dire asiatiques. Des institutions et des groupes privés intéressés L’Afrique est en construction, les pays africains multiplient les projets (ponts et chaussées, programmes portuaires et aéroportuaires), souvent avec l’appui des bailleurs de fonds internationaux européens (Banque européenne d’investissement, BEI) et même français, (Agence française de développement, AFD). Les besoins sont importants, notamment en Afrique subsaharienne pour le désenclavement des régions. En Afrique du Nord, des progrès sont notables, les projets fleurissent grâce aux investissements directs étrangers, aux subventions et partenariats publics privés, alors qu’au Sud, un certain retard est à déplorer. Un maillon clé dans le transport du gaz et du pétrole L’Afrique est l’une des places énergétiques du XXIe siècle. Elle possède sa propre zone de production sur le littoral atlantique (Angola, Nigéria, Côte-d’Ivoire, L’ouverture du canal de Suez, en 1869, a privé l’Afrique d’une position commerciale dans les flux mondiaux. Aujourd’hui, avec la recrudescence des actes de piraterie dans le golfe d’Aden, la route du cap de BonneEspérance, plus longue, plus coûteuse mais aussi plus sûre, redevient une alternative pour les chargeurs et armateurs. Gabon) ainsi qu’en Afrique du Nord (Algérie, Libye, Égypte), région interconnectée à l’Europe par ses réseaux de pipelines et gazoducs. Le pétrole et ses produits représentent plus du tiers du transport maritime mondial. L’Égypte est sur le lieu de passage du pétrole du Golfe persique. Le canal de Suez est une voie limitée en termes de gabarit (navire Suezmax(1)), c’est donc le Suez-Mediterranean Pipeline qui assure le transport. Sur mer, c’est des côtes occidentales d’Afrique que le pétrole remonte ou des ports d’Afrique du Nord, après avoir parcouru le vaste réseau d’oléoducs (plus de 16 000 km en Algérie), véritable système veineux au service de ces économies. Quant au gaz, son transport international est assuré par des liens fixes sous-marins transméditerranéens. Deux réseaux algériens coexistent, l’un remonte vers l’Espagne via le Maroc (le Gazoduc Maghreb-Europe), le second vers l’Italie via la Tunisie (le Enrico Mattei, anciennement Transmed), un troisième s’achève (Medgaz). Deux autres sont en projet, le Trans Sahara Gas Pipeline – connu sous le nom de Nigal – qui reliera sur plus de 4 000 km le Niger à l’Algérie et le Galsi, qui reliera l’Algérie à l’Italie via cette fois la Sardaigne. D’où l’importance géostratégique de ces régions dans l’ordre mondial. Le développement de l’Afrique passe par les transports. En effet, l’Afrique doit relever les défis du avril mai juin 2010 analyse financière n° 35 désenclavement des régions, par la mise en place d’infrastructures de transport, et consolider ce tissu fragile, mais le matériel de transport est importé et reste cher. Les gouvernements tentent d’attirer les investisseurs par la constitution de pôles économiques régionaux, à l’exemple de Tanger et Casablanca dans l’automobile, sur la côte occidentale avec les accords de montage de bus passagers et de camions. Alors que l’Afrique accède enfin pour une part de sa population aux transports, elle se voit imposer des contraintes internationales d’efficacité économique, technique et environnementale (le transport étant l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre et de particules fines) qui pourraient compliquer son développement. Cependant, les échanges semblent s’inscrire dans une logique de codéveloppement avec les pays matures, qui permettra in fine aux transporteurs d’équilibrer leurs flux import-export et aux pays africains d’assurer leur propre avenir. Espérons-le ! M (1) Les navires Suezmax sont ceux pouvant passer par le canal de Suez. Il s’agit de navires trop gros pour passer par d’autres canaux importants comme celui de Panama. On parle de Suezmax surtout pour les pétroliers, les porte-conteneurs et les vraquiers. Les navires trop grands pour passer par le canal de Suez sont appelés Capsize ; ils passent par le Cap de Bonne-Espérance. Source : Wikipedia. 35