Brice Couturier : «Pour prévenir les attentats, inspirons-nous

Transcription

Brice Couturier : «Pour prévenir les attentats, inspirons-nous
Brice Couturier : «Pour prévenir les
attentats, inspirons-nous de ce qui
réussit en Israël»
Des policiers israéliens patrouillent devant la porte de Damas à Jérusalem, en février 2016.
– Crédits photo : Oded Balilty/AP
Par BRICE COUTURIER
TRIBUNE – Le terrorisme islamiste a causé davantage de morts en Europe
occidentale qu’en Israël en 2016. Adoptons les techniques de prévention des
attentats qui ont fait leurs preuves dans l’État hébreu, argumente le
journaliste.
L’attentat qui vient d’endeuiller Berlin fait songer à une phrase de George
Orwell, écrite dans un autre contexte: «Nous combattons des hommes à
l’intelligence vive et maléfique et le temps presse…» (Le Lion et la
Licorne). Lutter contre le terrorisme islamiste est difficile. Ses adeptes
n’ont aucun frein moral, quand nous sommes entravés par des sentiments de
culpabilité – aggravés par les «idiots utiles de l’islamisme», pour qui les
violents sont des victimes. C’est pourquoi ce combat sera long et souvent
décourageant. Mais ce n’est pas en chantant des chansons sur l’amour et en
proclamant notre désir de paix que nous viendrons à bout de ceux qui ont juré
la perte de tout ce qui fait notre désir de vivre. Avec de tels ennemis, il
n’y a pas d’espace pour la négociation et le compromis, dans la mesure où
leur but est notre soumission.
Nous gagnerions à nous inspirer des pays qui ont été contraints de prendre de
l’avance. Israël jouit d’un triste privilège: c’est généralement sur son sol
qu’apparaissent les innovations en matière de terrorisme. Ainsi, les attaques
à la voiture, ou au camion-bélier, telle que celle qui vient d’endeuiller
Berlin, y ont été très fréquentes en 2015, un peu moins en 2016, alors
qu’elles faisaient leur apparition chez nous, à l’occasion de la fête
nationale. Si on en dénombre une cinquantaine en deux ans, elles ont fait
moins de victimes que le seul attentat de la promenade des Anglais, à Nice.
C’est qu’Israël a aussi une longueur d’avance sur les moyens de défendre sa
population.
Israël a fait de la sécurité, par nécessité géostratégique, sa priorité.
Qu’ils soient de droite ou de gauche, ses dirigeants ont toujours
considéré qu’entre le droit à la vie privée et le droit à la vie tout
court, c’était le second qu’il fallait privilégier
Pendant longtemps, nos médias ont refusé tout parallèle entre les attentats
perpétrés là-bas et ceux qui désormais et de plus en plus souvent, nous
frappent ici. «Ça n’a rien à voir!», me lançaient mes collègues, indignés,
lorsque j’essayais d’attirer leur attention sur la similitude des moyens
employés, comme sur leurs motivations. À présent, les mêmes feignent de
déplorer une «israélisation» des politiques de sécurité en Europe
occidentale. Le «modèle israélien» nous entraînerait vers le «toutsécuritaire», au détriment des libertés individuelles et du respect de la vie
privée. La lutte contre le terrorisme nous aveuglerait, nous empêchant de
traiter «les causes du terrorisme». S’agirait-il, dans notre cas, des
«territoires occupés» du 93?
La préparation d’un attentat implique la constitution d’une chaîne assez
complexe, chaîne qui présente toujours un maillon faible. C’est sur
l’identification de ce maillon faible qu’il est le plus efficace de
travailler
L’État juif a fait de la sécurité, par nécessité géostratégique, sa priorité.
Qu’ils soient de droite ou de gauche, ses dirigeants ont toujours considéré
qu’entre le droit à la vie privée et le droit à la vie tout court, c’était le
second qu’il fallait privilégier. Une idée guère populaire en Europe, à voir
les refus opposés, durant des années, par le Parlement européen à la mise en
place d’un PNR (Passenger Name Record) européen. Ce système est utilisé avec
succès depuis des années par les États-Unis, afin de repérer les personnes
présentant un risque.
Les Israéliens estiment qu’il vaut mieux prévenir un attentat plutôt que
d’avoir à intervenir une fois qu’il est lancé. Or, grâce notamment à
Internet, les informations disponibles sont surabondantes. Le tout est de
savoir les utiliser à bon escient. Une bonne prévention passe par le
croisement d’un très grand nombre d’informations et l’utilisation
d’algorithmes aptes à repérer les signaux d’alerte. Chez nous, les services
chargés de domaines tels que la lutte contre l’évasion fiscale, le
blanchiment d’argent sale, le grand banditisme et le terrorisme, trop
spécialisés et disséminés, échangent insuffisamment leurs tuyaux.
Protection des témoins
La préparation d’un attentat implique la constitution d’une chaîne assez
complexe – depuis le recrutement jusqu’à l’acte lui-même -, chaîne qui
présente toujours un maillon faible (par exemple le transport, ou
l’hébergement). C’est sur l’identification de ce maillon faible qu’il est le
plus efficace de travailler. On se souvient de l’«affaire Sonia», cette mère
de famille qui, hébergeant la cousine d’Abdelhamid Abaaoud, a identifié et
signalé à la police la présence de ce dernier dans la planque de Saint-Denis.
C’est grâce à elle que les autres attentats projetés par Abaaoud ont pu être
évités. Le livre qu’elle a récemment publié, Témoin (Robert Laffont),
constitue un témoignage accablant sur le terrible abandon où l’a laissée la
justice française. La protection des témoins, qui doit aller jusqu’au
changement d’identité et à l’exfiltration, est, là encore, une méthode
israélienne dont nous pourrions nous inspirer.
On peut légitimement s’interroger sur l’efficacité des déploiements
militaires et policiers armés dans les lieux publics en France
Israël est une «start-up nation» qui s’est beaucoup spécialisée dans la
cybersécurité. Plutôt que de soumettre toute une population à des contrôles
tatillons et généralement inutiles, il est bien plus efficace de déceler,
dans une foule, un comportement inhabituel, une contenance anormale. Les
caméras de vidéosurveillance constituent, à cet égard, un excellent outil de
prévention, à condition d’être observées et analysées par des personnes
formées à déceler de tels comportements. Amedy Coulibaly a visité
l’hypermarché casher de la porte de Vincennes à plusieurs reprises,
inspectant les lieux sans rien acheter. Un tel agissement aurait dû alerter.
C’est la population tout entière qui doit aussi être habituée à déceler ce
type de comportement. Le port d’un ample blouson en plein été, d’un lourd sac
à dos dans un lieu public, l’évitement systématique des caméras de
surveillance doivent éveiller l’attention.
Enfin, on peut légitimement s’interroger sur l’efficacité des déploiements
militaires et policiers armés dans les lieux publics en France. Les
personnels qui patrouillent dans nos gares ne sont pas formés à neutraliser
un individu dangereux dans un lieu très fréquenté. On ne voit pas de
militaires armés à l’aéroport Ben Gourion. Mais les spécialistes croient
savoir que des tireurs d’élite de la police sont de garde dans des caches
bien situées dans l’aéroport, prêts à intervenir en cas de tentative
d’attentat.
Malgré une situation géostratégique bien plus exposée que la nôtre, Israël
compte, cette année, bien moins de victimes du terrorisme que l’Europe
occidentale. Voilà qui devrait nous faire réfléchir.
* Brice Couturier présente chaque matin «Le Tour du monde des idées» sur
France Culture.
Source :© Le Figaro Premium – Brice Couturier : «Pour prévenir les
attentats, inspirons-nous de ce qui réussit en Israël»