les zouaves les chasseurs a pied - alger-50

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les zouaves les chasseurs a pied - alger-50
LES ZOUAVES
ET
LES CHASSEURS A PIED
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professionnelles ou de diffusion.
LES ZOUAVES
ET
LES CHASSEURS A PIED
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ESQ UISSES H ISTORIQ UES
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PARIS. — TYP. SIMON RAÇON ET COMP., RUE D’ERF URTH,
1.
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PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS
RUE VIVIENNE ,
2
BIS
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1855
Les Éditeurs se réservent tous droits de traduction et de reproduction.
PRÉFACE
PRÉFACE
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Ces esquisses, car elles ne méritent pas
d'autre nom, ont été insérées dans la Revue des Deux Mondes 1 .
venir
et
n'avaient
sans
Tracées de sou-
documents
d'autre
objet
officiels,
que
de
elles
rappeler
quelques faits qui ne sont pas générale1
Livraisons des 15 Mars et 1er avril 1855.
4
PRÉFACE.
PRÉFACE.
ment connus ou qui ont pu être oubliés.
les actions auxquelles se rattache leur nom,
Tout
il aurait fallu plus d'un volume; l'espace
le
monde
a
entendu
prononcer
le
nom des zouaves et des chasseurs à pied;
et
personne
également. Mais, lorsque
n'ignore
que
ces
deux
cor ps,
les
matériaux
nous
5
auraient
notre
manqué
organisa-
malgré leur création récente, sont déjà il-
tion militaire est pour l'Europe un juste
lustrés par plus d'un brillant exploit; mais
objet d'admiration, il nous a paru que rien
on ne sait pas aussi bien quelle fut leur
de ce qui pouvait jeter quelque lumière
origine, et quelques-uns des traits, parti-
sur cette organisation même n'était sans
culiers qui les distinguent ont pu échapper
intérêt; et, au moment où tous les yeux,
à bien des esprits. C'est, cette lacune que,
tous les cœurs, suivent avec émotion notre
pour une très-faible partie, nous avons es-
brave armée d'Orient, nous avons espéré
sayé de combler.
qu'une simple ébauche, un modeste hom-
Avons-nous besoin de dire que nous n’avons pas prétendu faire une histoire complète des zouaves ni des chasseurs ? Pour
raconter
tous
leurs
faits
d'armes
toutes
mage rendu à cette armée, aurait un certain mérite d'opportunité.
L'accueil bienveillant qui a été fait aux
articles. de la Revue des Deux Mondes nous
6
PRÉFACE.
PRÉFACE.
décide à les reproduire. Nous le répétons :
la famille qui n'ait compté un frère, un
on ne trouvera pas ici une histoire de la
parent, un ami, parmi nos soldats d'Afri-
guerre d'Afrique; nous tenons pour établi
que ? Quel est le, foyer où l'on n'ait écouté
que le lecteur est initié au caractère et aux
avec émotion quelque récit animé, quelque
principaux événements de cette guerre, à
souvenir de bivac ? Et, parmi ceux qui
l'aspect et aux mœurs du pays, et qu'il
ouvrent quelquefois un livre ou même un
connaît un peu déjà les hommes et les
journal, combien en est-il dont la mémoire
choses 1 . Avec la composition essentiellement
n'ait pas conser vé l'empreinte encore fraî-
nationale
che
de
notre
armée,
quelle
est
de
quelque
épisode
7
dramatique,
de
quelque piquant tableau ? Le lecteur nous
1
A ceux qui voudraient se bien rendre compte de la
suite des événements accomplis en Afrique depuis 1830,
nous recommanderons les Annales algériennes, ouvrage
fort remarquable, dont l ’auteur, M. Pellissier, vient de
donner une seconde édition, continuée jusqu'à 1854. Les
Études de M. le général Daumas, d'autres travaux encore, jettent aussi beaucoup de jour sur les mœurs et les
traditions arabes.
permettra donc de le ramener, sans plus
de préambule, vers cette seconde France,
l'Algérie,
patrie
10 avril 1855.
militaire
des
zouaves.
LES
ZOUAVES
I
LES ZOUAVES
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Au mois d'août 1830, le général Clauzel
prit le commandement, de l'armée d’Afrique.
La mission dont il était chargé, n'était ni facile à remplir, ni même bien clairement définie. Le gouvernement sorti de la Révolution de
juillet n'avait pas refusé le legs glorieux de la
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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Restauration, mais il en était quelque peu em-
mée fut considérablement réduit; mais le nom
barrassé. Si le sentiment national repoussait
seul du général appelé à remplacer le maréchal
l'idée d'abandonner Alger, c'était une sorte
de Bourmont indiquait assez que le commande-
d'instinct plutôt qu'une résolution mûrement
ment de l'armée d'Afrique restait une mission
réfléchie qui liait la France à sa nouvelle con-
sérieuse et importante.
quête. Nul ne se rendait compte des difficultés
Le général Clausel se trouvait donc à la tête
ni même du but de l'entreprise, et si l'on eût
d'une armée réduite, sans instructions bien
alors, en face de l'Europe menaçante, proposé
précises, entouré d'intrigues et de sollicitations
de conquérir par les armes ce vaste empire que
diverses, ayant devant lui un pays inconnu, à
la France possède aujourdhui au delà de la
peine décrit par quelques voyageurs oubliés, et
Méditerranée, les esprits les plus aventureux
une population plus inconnue encore, sauvage
eussent reculé. On tenait bien à conser ver Al-
et belliqueuse, mais habituée à recevoir ses lois
ger; mais personne n’eût voulu accorder les
d'Alger, et que la chute du dey plongeait dans
moyens de soumettre la Régence, et c'était ce-
l'anarchie. Pour comble d'embarras, on avait
pendant une conséquence inévitable du renver-
chassé tous les Turcs, objet du respect séculaire
sement des autorités turques. Les mesures pri-
des Arabes, habitués à les commander et à les
ses par le gouvernement répondaient à cette
combattre, et qui n'eussent pas mieux demandé
double tendance des esprits : l'effectif de l'ar-
que de ser vir fidèlement leurs vainqueurs. Cette
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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expulsion. des Turcs a été sévèrement jugée; au-
taillons qui reçurent le nom de zouaves, en arabe
jourd'hui il faut reconnaître que, quel qu'en
zouaoua.
fûtt le principe, les conséquences en ont été heu-
Les Zouaoua sont une tribu ou plutôt une
reuses ; forcés d'agir sans intermédiaires sur
,confédération de tribus kabyles qui habitent
les populations indigènes, nous avons pu sor-
les gorges les plus reculées du Jurjura, race
tir de l'ornière où se traînent les sociétés mu-
d'hommes fiers, intrépides, laborieux, dont la
sulmanes, et le gouvernement des Arabes,
soumission aux Turcs ne fuit, jamais que nomi-
exercé par des officiers français, a déjà donné
nale, mais fort connus à Alger, où les appelait
des résultats qu'il n'eût jamais été permis d'es-
sans cesse le besoin d'échanger leurs huiles et
pérer du système turc. Alors néanmoins, dans
les produits de leur grossière industrie contre
les derniers mois de 1830, les inconvénients
les denrées qui manquaient à leurs pauvres
momentanés de la mesure se faisaient seuls sen-
montagnes. Comme ils avaient la réputation
tir, et le général Clausel, pour y remédier en
d'être les meilleurs fantassins de la Régence, et
partie, comme aussi pour augmenter l'effectif
que dans certaines circonstances ils avaient loué
de ses troupes, prescrivit l'organisation de corps
leurs services militaires aux princes barbares-
d'infanterie et de cavalerie indigènes. Un arrêté
ques, leur nom fut donné à la nouvelle milice.
du 1 er octobre 1830, approuvé par une ordon-
Celle-ci cependant reçut dans ses rangs tous les
nance royale du 21 mars 1831, , créa deux ba-
indigènes, sans distinction d'origine, monta-
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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gnards ou hommes de la plaine, ouvriers des
rageux, que n'attiraient ni l'appât d'une solde
villes on laboureurs, Kabyles, Arabes ou Cou-
plus forte, ni l'espoir de garnisons commodes,
louglis ; mais il leur fallait des chefs. Des offi-
et qui, sans être arrêtés par l'incertitude de la
ciers et sous-officiers français furent chargés de
récompense, affrontaient gaiement une vie toute
les instruire et de les commander. C'étaient des
de privations, de rudes travaux, de périls con-
volontaires comme notre armée en fournira
stants. Le commandement du premier batail-
toujours,
les uns déjà rompus au ser vice de
lon fut donné, à un officier d'état-major distin-
l'infanterie comme Levaillant 1, d'autres enga-
gué, M. Maumet. Le deuxième bataillon, formé
gés d'hier comme Vergé 2 , d'anciens philhel-
peu après, fut confié au capitaine du génie
lènes comme Mollière 3, des officiers d'armes spé-
Duvivier, qu'un caractère ferme, un esprit ré-
ciales comme Lamoricière, tous hommes pleins
fléchi et des travaux remarquables 1 signalaient
de jeunesse et d'énergie, désintéressés, cou-
déjà à l'attention de ses chers. Comme le recrutement des indigènes n'était pas très-actif,
1
Le général de division Charles Levaillant, commandant aujourd'hui la cinquième division de l'armée d'Orient.
2
3
Aujourd'hui général de brigade.
Mort en revenant du siège de Rome, où il avait gagné ses étoiles après avoir été un des plus brillants colonels de l'armée.
comme il eût d'ailleurs été, dangereux de laisser
1
Le général Duvivier1 , mort à Paris au mois de, juin
1848 des suites de ses blessures, avait publié, avant 1830,
une Étude intéressante sur les guerres de la succession
d'Espagne.
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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le cadre français isolé au milieu d'hommes qui
chef l'emmenait avec lui à la première expédi-
ne pouvaient inspirer une entière confiance, et
tion de Medeah. Les zouaves reçurent le bap-
dont la langue était encore ignorée de tous leurs
tême du feu au col de Mouzaïa, que plusieurs
chefs, on jugea utile d'enrôler des Européens
fois ils devaient arroser de leur sang et illus-
dans les zouaves. Les premiers volontaires de la
trer par leur valeur. Ils restèrent ensuite deux
Charte, que le gouvernement avait dirigés
mois à Medeah, où le général Clausel s'était
sur l'Afrique, y furent incorporés : on y reçut
décidé à laisser une petite garnison de Fran-
aussi quelques étrangers ; mais bientôt, le nom-
çais, et d'indigènes. Il est difficile de se figurer
bre des uns et des autres s'étant singulièrement
ce qu'il fallut de courage, d'industrie et de ré-
accru, les Européens non français furent orga-
signation aux premiers détachements laissés
nisés en légion étrangère, et les nouveaux dé-
dans les camps ou places de l'intérieur de l'Al-
tachements qui arrivaient de la capitale for-
gérie, sans cesse devant l'ennemi, veillant et
mèrent le 67 e de ligne. Cependant on peut dire
combattant nuit et jour, ne quittant le fusil que
que le noyau des zouaves fut composé d'enfants
pour prendre la pioche, forcés de tout créer,
de Paris et d'indigènes des environs d'Alger.
réduits aux derniers expédients pour vivre,
Six semaines à peine s'étaient écoulées de-
sans nouvelles, sans consolations d'aucun genre.
puis l'arrêté de création de la nouvelle troupe,
A Medeah, en 1830, les souffrances furent peut-
que déjà elle tenait la campagne; le général en
être un peu moins vives que durant les occu-
20
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
21
pations postérieures, parce qu'une partie de la
d'un grenadier de l'île d'Elbe Peraguey 1, dont
population était restée dans la ville. Cependant
la tête grise avait si longtemps été entourée du
c'était encore une rude épreuve, et les zouaves
respect de ses jeunes camarades.
la supportèrent vaillamment. La place fut sou-
Medeah fut évacué par les troupes françaises
vent attaquée; ils étaient toujours aux avant-
au commencement de 1831; mais, au mois de
postes. Un de leurs capitaines fut tué près de
juin de la même année, le général Berthezène
la ferme du Bey. C'est le premier sur la liste des
y conduisit une partie de l'armée pour appuyer
officiers zouaves tués en Afrique, longue et glo-
l'autorité du faible bey que nous y avions éta-
rieuse liste qui rappelle les plus illustres souve-
bli. Au retour de cette expédition, l'arrière-
nirs de l'ancienne et de la nouvelle France, où
garde fut attaquée avec fureur, comme elle des-
un fils du due d'Harcourt 1, qui avait porté le sac
cendait du col de Mouzaïa. Les troupes étaient
et le mousquet, figure à côté d'un Bessières 2 et
fatiguées par une longue marche de nuit, épuisées par une chaleur accablante; la colonne
1
Tué en 1840; il venait d'être nommé sous-lieutenant.
s'était allongée sur un étroit sentier de monta-
2
Neveu du maréchal due d'Istrie, tué à l'assaut de
Laghouat en 1852. Un de ses frères avait déjà été
tué en Afrique. Le capitaine Bessières a été amèrement
regretté de tous ceux qui avaient pu apprécier son noble
caractère et son admirable courage Dans son ancien régiment, le 17 e léger, on disait souvent « brave comme
Bessières. »
1
Tué en 1845. Il était alors chef de bataillon.
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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gnes ; l'officier qui commandait à l'arrière-
mée se ralliait, sans avoir abandonné un tro-
garde tombe blessé, et ses soldats, isolés, sans
phée à l'ennemi.
chef, entourés par l'ennemi, reculent en désor-
La retraite de Medeah fit le plus grand hon-
dre, lorsque le commandant Duvivier, voyant
neur aux zouaves et leur donna droit de cité
le péril qui menace l'armée, accourt avec le
dans l'armée française. Dans toutes les affaires
deuxième bataillon de zouaves. Les indigènes
où ïls furent engagés ensuite, ils soutinrent di-
poussent leur cri de guerre; les volontaires de
gnement la réputation qu’ils avaient gagnée
la Charte, qui portaient encore la blouse gau-
dans ce combat ; mais l'hostilité chaque jour
loise, entonnent la Marseillaise, et tous ensem-
plus vive des indigènes, la formation du 67 e de
ble tombent sur les Kabyles, dont ils arrêtent
ligne et de la légion étrangère rendaient leur
la poursuite par cette remise de main inatten-
recrutement difficile : on ne put compléter le
due.
deuxième bataillon, et un arrêté du général en
Pendant tout le reste du j our, D uvivier
chef réunit les deux en un seul. L'ordonnance
couvrit la retraite secondé par d'intelligents
royale du 7 mars 1833 fixe le nombre des com-
officiers, maître de lui-même et de sa troupe,
pagnies à dix, huit françaises et deux indigè-
il se reploya de mamelons en mamelons, éche-
nes; il devait y avoir douze soldats français dans
lonnant ses compagnies, disputant le terrain,
chaque compagnie indigène Cependant un ac-
et arriva ainsi à la ferme de Mouzaïa où l'armée
cident grave avait forcé le commandant Maumet
24
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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à rentrer en France; Duvivier avait été appelé
temps qui n'était pas consacré, au travail se pas-
à Bougie. Le commandement des zouaves avec le
sait à perfectionner l'instruction militaire. Des
grade de chef de bataillon fut donné au capi-
courses continuelles dans le Sahel, dans la
taine de Lamoricière, qui, entré dans le corps
Mitidja, dans les premières gorges de l'Atlas,
à sa formation, s'était plusieurs fois signalé
de fréquents combats, rompaient la monotonie
par sa valeur et ses qualités militaires, et qui,
de la vie du camp. Chaque jour était marqué
chargé récemment d'organiser le premier bu-
par un progrès; chaque jour, les zouaves deve-
reau arabe, avait montré dans ces fonctions
naient plus industrieux, plus disciplinés, plus
difficiles une connaissance déjà assez complète
aguerris; ils apprirent à marcher vite et long-
de la langue et des mœurs des indigènes, un.
temps, à porter sans fatigue le poids de plusieurs
esprit très-prompt , beaucoup d'audace et de
jours de vivres, à manœuvrer avec précision, à
prudence, beaucoup de finesse et de loyauté,
combattre avec intelligence. L'uniforme et l'é-
avec une infatigable ardeur.
quipement furent réglés et perfectionnés; l'un
On avait pris le parti de faire camper les
et l'autre sont si populaires aujourd'hui, si con-
troupes dans les environs d'Alger. Le poste de
nus en France et en Europe, que ce serait peine
Dely-Ibrahim avait été assigné aux zouaves : ils
perdue de les décrire. C'est le costume oriental
y créèrent seuls tous les établissements ; maçons,
sous les couleurs de l'infanterie française, mais
terrassiers, forgerons, ils suffisaient à tout. Le
avec quelques modifications qu'un ceil exercé
26
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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aperçoit tout de suite, et qui, sans rien ôter à la
tal, c'était la régularité, la propreté de la tenue
grâce et à l'originalité des vêtements, en ont
des zouaves. Aucun soin de détail n'y était né-
fait le costume le plus leste et le mieux entendu,
gligé. Ces soins peuvent paraître souvent mi-
je crois, qu'ait jamais porté homme de guerre.
nutieux et puérils à la garnison; mais à la
Précieux pour les climats chauds, laissant les
guerre ils sont comme le symbole de la disci-
articulations libres, ne gênant ni la respiration
pline, et influent plus qu'on ne le pense sur la
ni les mouvements, il protège bien le soldat
santé et le bon esprit du soldat. En somme, les
contre les brusques changements de tempéra-
zouaves, tout en conser vant cette intelligence
ture, et se prête facilement à toutes les addi-
individuelle qu'on remarque habituellement
tions que peut rendre nécessaires un froid plus
vif et plus constant. Il n'est pas jusqu'au turban, en apparence si incommode, qui n'ait son
utilité, tantôt laissé flottant sur la nuque, qu'il
abrite du soleil, tantôt employé comme cachenez, tantôt enfin, si la campagne est longue, s'en
allant par pièces réparer les brèches de la veste
et de la culotte. Ce qui n'avait rien d'orien-
1
Les officiers seuls avaient conser vé un uniforme eu-
ropéen d'une élégante austérité. Pour être revêtu convenablement par des officiers, le costume oriental aurait dû
être riche, fort coûteux, et assez difficile à porter sans
échapper au ridicule. On y renonça avec raison; seulement
quelques officiers, lorsqu'ils étaient en route, échangeaient
leur képi contre ce chaud bonnet de laine rouge que les
Turcs appellent fez et les Arabes chechia. M. de Lamoricière n'était connu dans la province d'Alger que sous le
nom de Bou-Chechia (le père au bonnet), comme il le
fut plus tard dans la province d'Oran sous celui de BouAraoua (le père au bâton).
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
29
dans les troupes irrégulières, tout en restant de
Le maréchal Clausel revint en Afrique en 1835.
véritables enfants de Paris par leur verve et leur
Homme de guerre de premier ordre, il reconnut
gaieté, eurent bientôt toute la solidité, toute la
aussitôt toutes les qualités acquises par le corps
précision du plus brillant régiment. Honneur
qu'il pouvait justement s'enorgueillir d'avoir
au digne chef qui a su obtenir un pareil résul-
créé. Il voulut emmener les zouaves dans la
tat, et qui a fait des zouaves ce qu'ils sont au-
province d'Oran, où il allait entreprendre une
jourd'hui ! Honneur aux soldats qui surent si
série d'opérations plus importantes que toutes
bien le comprendre, aux officiers qui l'ont si
celles qui s'étaient succédé depuis 1830, opé-
bien secondé, et qui presque tous aujourd'hui,
rations parfaitement conçues et non moins bien
s'ils ont échappé aux périls de la guerre, sont
exécutées. Le maréchal Clausel avait admira-
parvenus aux premiers grades de l'armée 1 !
blement compris la stratégie et la tactique qui
convenaient à l'Algérie. Avec une armée plus
Voici les noms de quelques-uns de nos généraux qui
ont été officiers de compagnie ou même sous-officiers dans
les zouaves : Levaillant, Ladmirault, Maissiat, Barral (tué
en Afrique), Drolenvaux (prit sa retraite, bien jeune encore, après la Révolution de février, interrompant ainsi
volontairement une carrière des plus brillantes), Blangini
(mort en Afrique), Mollière (mort en 1849), Dautemarre,
Répond, Bosc, Bisson, Gardarens, Bourbaki, Vergé.
1
nombreuse et mieux munie, avec un peu moins
de confiance dans la rare habileté qu'il déployait sur le terrain, un peu plus de suite et
d'application à profiter de ses succès militaires,
il eût obtenu des résultats plus complets. Toujours est-il que les zouaves et leurs chefs reçu-
30
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
31
rent plus d'une bonne leçon de guerre en ser-
le maréchal, qui connaissait le terrain, avait
vant sous les ordres de celui qui avait sauvé
mieux choisi son point d'attaque. Les zouaves
l'armée française après le désastre des Arapi-
furent chargés d'enlever les crêtes qui domi-
les, et qui sut conduire la retraite de Constan-
nent la route, et dont l'occupation fait tomber
tine. Dans l'expédition de Mascara, ils combat-
toutes les défenses du col. Malgré les horribles
tirent sous les yeux du duc d'Orléans, qui ne
difficultés du terrain, ils s'acquittèrent glorieu-
manqua pas de les apprécier à leur juste va-
sement de leur mission, et n'acquirent pas moins
leur. A peine le prince royal était-il de retour
d'honneur à défendre ensuite contre l'achar-
à Paris, qu'une ordonnance du roi constitua le
nement des kabyles les positions qu'ils leur
régiment à deux bataillons de six compagnies
avaient si vaillamment arrachées. Cependant
chacun, mais pouvant être portées à dix. M. de
le maréchal les laissa aux environs d'Alger,
Lamoricière en conser vait le commandement
quand il partit pour Bone; croyant avoir réuni
avec le grade de lieutenant-colonel.
sur ce dernier point des forces suffisantes, se
Revenus dans la province d'Alger au com-
faisant peut-être illusion sur la facilité de l'en-
mencement de 1836, les zouaves suivirent le
treprise où il allait s'engager, il craignait aussi
gouverneur général sur le théâtre de leurs pre-
de dégarnir le centre de nos possessions. Les
miers exploits. Le col de Mouzaïa fut encore
zouaves ne firent pas partie de la première ex-
plus énergiquement défendu qu'en 1830; mais
pédition de Constantine. L'année suivante, un
32
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
33
de leurs bataillons marchait à l'avant-garde sous
l'esprit de corps, mais orgueil sans péril dans
les ordres du due de Nemours, non pour
une armée où il n'existe pas de priviléges, am-
venger l'honneur de nos armes, qui certes était
bition qui n'est avide que de labeurs et de dan-
sauf, mais pour réparer par un succès éclatant
gers. Pendant l'établissement des batteries, on
l'échec de 1836.
les vit en plein jour, sous le feu de la place, re-
Le siège de Constantine est un des plus beaux
lever et traîner jusqu’au sommet du Mansourah
fleurons de la couronne guerrière des zouaves.
les pièces de vingt-quatre que, dans la nuit,
Ils y trouvèrent à côté d'eux de dignes rivaux,
les chevaux de l'artillerie n'avaient pu arracher
soit dans ces armes spéciales qui ont toujours
à la boue. Le jour de l'assaut, ils obtinrent
au service de la patrie un trésor de courage non
l'insigne honneur de marcher en tête de la pre-
moins que de science, soit dans les régiments
mière colonne. Tous ceux qui ont parcouru les
aguerris dont le général Damrémont avait com-
galeries de Versailles se rappellent le saisissant
posé son infanterie. Si dans cette noble lutte il
tableau d'Horace Vernet : Lamoricière au som-
ne fût pas possible aux zouaves de se montrer
met de la brèche, où il allait disparaître bien-
plus vaillants que leurs émules, ils ne négli-
tôt, dans un nuage de fumée et de poussière au
gèrent rien pour accaparer la plus grosse part
milieu d'une effroyable explosion; à côté de lui,
de gloire. Jamais peut-être ils ne se montrèrent
le commandant Vieus, du génie, escaladant le
plus animés de l'orgueil et de l'ambition de
pan du mur sur lequel il allait être frappé à
34
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
35
mort, et déployant pour la dernière fois cette
dernier vestige du gouvernement turc avait dis-
force athlétique qui, au début de sa carrière,
paru . Une période de paix relative commençait.
le 18 juin 1815, avait enfoncé la porte de la
Tandis que dans l'est nos généraux et nos offi-
Haye-Sainte; à ses pieds, le capitaine Gardarens
ciers, s'essayaient à administrer directement un
tombé blessé au pied du drapeau qu'il avait
vaste territoire et une nombreuse population
planté sur la brèche et qu'il tient encore em-
indigène, à l'ouest et au centre une autre ex-
brassé; un peu plus bas, l'héroïque colonel
périence était tentée; on allait chercher à créer
Combes du 47 e, et tant d'autres braves que le
des établissements, une société européenne à
peintre n'a connus que par les regrets de leurs
côté d'une société arabe organisée par le génie
camarades ! La gloire se paye cher : le petit
d'Abd-el-Kader, et se gouvernant elle-même
bataillon de zouaves fût plus que décimé dans
polir la première fois depuis plusieurs siècles. Le
ce meurtrier assaut; plusieurs officiers étaient
maréchal Valée conduisait ces deux entreprises
restés morts sur la brèche; les autres, presque
avec la sagacité et la persévérance qu'il appor-
jusqu'au dernier, étaient ou grièvement bles-
tait aux travaux de la paix comme à ceux de la
sés, ou horriblement brûlés par l'explosion.
guerre. L'occupation du mince territoire que
La prise de Constantine est le dernier épi-
nous nous étions réser vé aux environs d'Alger
sode de la première époque des guerres d'Afri-
fût complétée. P lacés aux avant-postes, les
que; le traité de la Tafna était conclu, et le
zouaves recommencèrent à Coleah l'œuvre
36
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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qu'ils avaient déjà accomplie à Dely-Ibrahim;
digne chef de cette brave troupe, le capitaine
c’étaient des abris à créer, des constructions à
du génie Cavaignac, qui avait fait preuve, dans
faire, des routes à ouvrir, des desséchements à
ce commandement, de vertus militaires du pre-
exécuter : campagne pacifique, mais rude, et,
mier ordre, et qui, faute de vacance dans les
sous un climat souvent insalubre, presque aussi
zouaves, fut promu peu après au commande-
meurtrière que le combat. Le régiment d'ail-
ment du deuxième bataillon dAfrique.
leurs était beau et nombreux ; le recrutement
Cependant la paix n'était pas sérieuse, et la
des indigènes était facile, et les débris du
trêve ne pouvait être longue. Tout le système
bataillon du Méchouar, incorporés dans les
créé par Abd-el-Kader reposait sur la guerre
zouaves, leur avaient fourni un contingent plus
sainte; c'est la guerre qui justifiait aux yeux
choisi que nombreux de soldats français. Ce
des Arabes les sacrifices d'argent et d'hommes
bataillon était une troupe de volontaires que
qu'il leur demandait, l'obéissance passive qu'il
le Maréchal Clausel avait laissés dans le Mé-
exigeait. Sous peine de voir son autorité mé-
chouar ou citadelle de Tlemcen en 1836, et qui
connue et remplacée par l'anarchie qu'il avait
venaient d'en sortir à la paix, après avoir dé-
fait cesser, il devait nous combattre. Il s'y dé-
ployé un courage et une résignation admirables,
cida quand il ne pouvait plus reculer. Dans le
que ne stimulait même pas l'espoir de la récom-
courant de l'année 1839, des symptômes alar-
pense. Nous aurons à reparler plus tard du
mants se manifestèrent dans nos corps indi-
38
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
gènes ; ils n'avaient fias échappé au vigilant
rieuse pour les zouaves, mais le régiment en
colonel des zouaves : il savait que plusieurs de
sortit comme retrempé ; la proportion des
ses soldats assistaient secrètement à des prédi-
Français y fut plus forte, et ce ne fut certes pas
cations passionnées. Enfin l'orage éclata à la
un mal. A l'annonce du renouvellement des
fin de l'année. La place de Coleah et l'honneur
hostilités, les volontaires y avaient afflué, les
du régiment étaient en trop bonnes mains pour
uns ayant déjà servi, d'autres jeunes soldats,
que l'une ou l'autre pussent courir le moindre
mais pleins d'ardeur. Encadrés dans un corps
risque; mais, à l'appel de celui que les Arabes
d'officiers et de sous-officiers accomplis, ils
considéraient comme un prophète encore plus
étaient bien vite en état de faire un excellent
que comme un sultan, bon nombre des soldats
service, en sorte que les deux bataillons repri-
indigènes, même des plus anciens, et qui
rent la campagne aussi nombreux et meilleurs
avaient brûlé plus d'une cartouche à notre
que jamais.
service, désertèrent et furent porter dans les
39
Après un hiver pénible consacré à rétablir
rangs de l'ennemi l'instruction militaire que
nous leur avions donnée 1. Ce fut une crise se-
1
On les retrouvait à la tête des soldats d'Abd-el-Kader
jusqu'au fond de la province de Constantine. Dans un
combat livré en 1844, sur les pentes sud de l'Aurès (com-
bat où le capitaine Espinasse, aujourd'hui général, aide
de camp de l'empereur, fut atteint de quatre coups de
feu), c'était encore un ancien zouave qui commandait les
Kabyles et défendait avec intelligence, leur position principale.
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LES ZOUAVES.
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41
un peu de sécurité dans notre territoire, à en
nue et contenue par les rouges 1 de l'émir,
chasser l'ennemi, à dégager et à ravitailler nos
inondant la plaine; chaque passage de mon-
places, l'armée, considérablement renforcée,
tagne défendu par l’infanterie régulière et par
envahit à son tour le vrai pays arabe, celui
des milliers de Kabyles. Les zouaves ne man-
qu'occupaient les tribus, où Abd-el-Kader com-
quèrent pas une course, pas un combat, et
mandait en maître. Le duc d'Orléans était à la
toutes les fois qu'il y avait une position à en-
tète de la première division, les zouaves en fai-
lever, un effort à faire, les notes retentissan-
saient partie. Au mois de juin 1840, trois des
tes de leur marche bien connue se mêlaient
principales bases d'opération de l'ennemi lui
aux sons entraînants de la charge 2. Que d'é-
avaient été enlevées; nos troupes occupaient
Cherchell, Medeah et Miliana. Nous ne saurions
raconter ici tous les combats livrés durant cette
sanglante campagne, dans la Mitidja au col de
Mouzaïa au pied du Chenouan, dans la vallée
du Chéliff, sur l'Ouamri, au Gontas : chaque
jour marqué par un engagement, chaque pouce
de terrain disputé ; la cavalerie de toutes les
tribus des provinces d'Alger et d'Oran, soute-
C'était le nom donné par les soldats à la cavalerie régulière d'Abd-el-Kader, entièrement vêtue de rouge.
2
Quoique les zouaves aient inventé bien des choses en
Afrique, ils ne furent pas cependant les premiers à accompagner de leurs clairons la marche de nuit de leurs tambours. La marche de nuit d'un régiment est une certaine
batterie de tambour, différente pour chaque corps, qui
permet aux soldats de retrouver leur drapeau au milieu
de la nuit, ou de savoir si un signal donné par les caisses
s'adresse à eux ou à un autre corps. La marche de nuit
1
42
LES ZOUAVES.
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43
pisodes glorieux ou touchants marquèrent pour
saute le premier dans une redoute que défen-
eux cette période ! Nous citerons au hasard. Un
daient les réguliers, et tombe mort, frappé de
matin, c'était le jour de l'assaut du col, des dé-
plusieurs balles. Un autre jour, le capitaine
pêches arrivent de France; elles annonçaient
Gautrin, tué peu après à la tête du deuxième ba-
des promotions. Un jeune sergent de zouaves,
taillon d'Afrique se faisait amputer deux doigts
Giovanelli, était nommé sous-lieutenant; tout
sur le champ de bataille sans quitter le com-
le régiment lui fait fête; le colonel envoie son
mandement de sa compagnie. Et comment ou-
sac aux mulets et lui confie une section. Gio-
blier ces zouaves envoyés dans la chaude jour-
vanelli, joyeux de faire baptiser son épaulette,
du 2 e léger fut la première qui fuit mise en musique, et
les brillants ser vices de cet intrépide régiment la rendirent bientôt populaire dans l’armée. Ceux qui ont assisté
au combat du col de Mouzaïa, en 1840, se rappellent encore aujourd'hui avec émotion le moment où, la colonne
du général Duvivier, chargée d'enlever le pic principal,
ayant disparu dans le brouillard, on entendit au milieu
d'une effroyable fusillade la marche du 2 e léger. Le bruit
des tambours et des clairons qui montait au milieu de la
nuée apprenait seul que nul obstacle n'arrêtait nos sol-
dats. Le 2 e léger était alors commandé par le colonel Changarnier, et sans faire tort aux zouaves ou aux autres corps,
on peut dire que c'est sur lui que porta le principal effort
de la journée ; son héroïque chef avait, cette fois comme
tant d'autres, échappé miraculeusement à la mort que
personne ne bravait plus que lui; huit balles avaient déchiré ses habits et ses épaulettes; pas une ne l'avait atteint ! L'exemple du 2 e léger fut bientôt suivi par tous les
régiments de l'armée d'Afrique, Chacun eut sa marche,
qui devint comme une espèce d'air national du corps, et
que l'on mettait quelque orgueil à faire sonner dans les
moments les plus périlleux.
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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née du 20 mai pour soutenir le 17 e léger,
gnault 1 et Renault 2, également promus, avaient
écrasant à coups de pierres, faute de cartou-
succédé le lieutenant-colonel Cavaignac, les
ches, les réguliers d'Abd-el-Kader, puis saluant
commandants Leflô 3, et Saint-Arnaud 4.
de leurs acclamations les débris du 17 e que
Si l'armée avait eu à élire le colonel des
ralliait le colonel Bedeau, couvert de glorieuses
zouaves, son choix fût certainement tombé sur
blessures, après une retraite qui n'avait été
celui que le roi venait de nommer. L'héroïque
qu'une charge continuelle !
défenseur du Méchouar de Tlemcen montrait
Le retour de la chaleur n'amena aucun re-
depuis deux ans, dans le commandement diffi-
pos pour les troupes; l'été et l'automne se
cile du deuxième bataillon d'Afrique, toutes les
passèrent à ravitailler les places que nous
qualités d'un excellent chef de corps, et tous
occupions, opération aussi difficile et aussi
ceux qui l'avaient vu à l’œuvre admiraient son
meurtrière que l'avait été la conquête. Le plomb
caractère énergique, son esprit plein de res-
de l'ennemi, le climat, les fatigues incessantes
éclaircissaient les rangs des zouaves, et de
justes récompenses leur enlevaient encore bien
des officiers. L'état-major fut renouvelé. Au
colonel Lamoricière, nommé officier général,
à ses dignes seconds, les chefs de bataillon Re-
1
Tué à Paris, colonel du 48 e , en juin 1848. C'était le
second colonel tué à la tête de ce brave régiment. Une
balle kabyle lui avait enlevé le colonel Leblond en 1842.
2
Aujourd'hui général de division.
3
Aujourd'hui général dé brigade en retraite.
4
Mort en Crimée maréchal de France, après la belle
victoire de l'Alma.
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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sources, et ce courage qui, pour être calme
jours dispos, parfaitement en mesure de re-
toujours, ne laissait pas d'être entraînant. Les
prendre la campagne. Le régiment le suivit sur'
nouveaux chefs de bataillon, jeunes d’âge quoi-
l'Atlas et dans la vallée du Chéliff, où il trouva
que vieux de ser vices, étaient comptés tous deux
l'occasion de remporter de si brillants avan-
parmi les plus brillants capitaines de voltigeurs
tages. Un soldat de la trempe du général Bu-
de l'armée. De nombreux enrôlements com-
geaud ne pouvait manquer d'apprécier les
blaient les vides faits par la guerre, et les sous-
zouaves. Il voulut les emmener lorsqu'il se
officiers instruits, intrépides, ne manquaient
rendit, au mois de mai, dans la province d'O-
pas pour remplir les vacances du corps d'of-
ran. Cependant il consentit à en laisser un ba-
ficiers.
taillon au général Baraguey-d'Hilliers qui avait
Lorsque le général Bugeaud débarqua à AI-
aussi des opérations importantes à conduire
ger au commencement de 1841, il n'y trouva
dans la province d'Alger. Les zouaves concou-
pas les zouaves. Ils avaient passé l'hiver aux
rurent ainsi, sur plusieurs points, à la plupart
avant-postes, à Medeah, où, grâce à leur indus-
des actions remarquables de la campagne de
trie, à l'expérience et à la vigilante intelligence
1841.
de leur chef, ils surent alléger les privations
La guerre d’Afrique prenait de grandes pro-
d'un blocus absolu. Le gouverneur général alla
portions; la chimère de l'occupation restreinte
les relever au mois d'avril , et les trouva tou-
était abandonnée. Le gouvernement s'était dé-
48
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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cidé à renverser l'édifice d'Abd-el-Kader; les
démontré que si l'action des officiers français
Chambres lui en avaient fourni largement les
sur des populations ou des soldats arabes était
moyens, et un capitaine illustre, secondé par
des plus salutaires sous tous les rapports, le
d'habiles lieutenants, poursuivait cette vérita-
mélange des soldats des deux races donnait des
ble conquête de l'Algérie avec autant de bon-
résultats moins satisfaisants. Ils prenaient un
heur que d'esprit de suite et d'activité. Des
peu des vices des uns et des autres, sans échan-
renforts de tous genres furent envoyés au gou-
ger leurs qualités. Et puis, le soldat en Afrique
verneur général, et dans cet accroissement de
a deux devoirs : le combat et le travail; il était
ressources les zouaves ne furent pas oubliés.
difficile d'obtenir le second des indigènes, et
Une ordonnance royale du 8 septembre 1841
l'on ne pouvait, dans une même troupe, forcer
porta le régiment à trois bataillons, et lui con-
le chrétien à prendre la pioche en présence du
stitua un état-major complet, semblable à celui
musulman oisif. On jugea donc à propos de
de tous les régiments d'infanterie. Une seule
créer, sous le nom de tirailleurs indigènes,
compagnie par bataillon pouvait recevoir les
des corps spéciaux d'infanterie, où les Fran-
indigènes; encore ceux-ci y figuraient-ils en
çais n’occupent qu'une partie des emplois
petit nombre, et n'y étaient-ils conser vés, en
d'officiers et de sous-officiers. Ces bataillons,
quelque sorte, que pour justifier le nom et l'uni-
commandés par des chefs habiles, intrépi-
forme particulier du corps. L'expérience avait
des, versés dans la connaissance de la langue
50
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
51
arabe 1 , ont montré, après des vicissitudes
hordes vagabondes et insaisissables. Dans les
diverses, et montrent aujourd'hui en Crimée
provinces d'Alger et d'Oran, la situation stra-
qu'ils sont les dignes frères cadets des zouaves.
tégique améliorée donnait déjà d'importants
A peine le régiment, ainsi accru et recon-
résultats. A l'occupation de Medeah et de Mi-
stitué, avait-il reçu le drapeau qui lui avait
liana s'était ajoutée celle de Mascara et de
été envoyé par le roi, que ses trois bataillons
Tlemcen, et ces places, mieux approvisionnées,
se séparèrent pour aller ser vir dans chacune
devenaient la base d'opérations incessantes. Les
des trois provinces. La guerre, en effet, était
principaux points de ce qu'on est convenu
partout. Si la puissance d'Abd-el-Kader n'a-
d'appeler la ligne du Tell étaient en notre pou-
vait fait qu'effleurer la province de Constan-
voir : nous avions détruit les établissements
tine, et si une partie des tribus y acceptaient
créés par Abd-el-Kader à la lisière du désert, à
déjà le principe de notre autorité, il restait ce-
Saïda, à Tiaret, à Boghar, à Thaza; mais nous
pendant à transformer ce principe en fait, à le
n'avions encore obtenu des tribus aucun acte
faire respecter, à châtier et à combattre des tri-
de soumission. Le pays se vidait à notre appro-
bus kabyles sauvages et belliqueuses, ou des
che, et nous n'y trouvions que des combattants.
Pour réduire ces populations, pour les frapper
1
Parmi lesquels nous citerons les généraux Bosquet,
Thomas, Vergé, Bourbaki.
dans leurs intérêts matériels, il fallait être plus
mobile que les nomades, plus agile que les Ka-
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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byles, plus fort et plus valeureux que tous.
ner par un brillant succès, tandis que bien d'au-
Enfin, dans le courant de 1842, tant d'efforts
tres peut-être eussent été heureux d'en ramener
commencèrent à porter leurs fruits; un grand
les débris de leur colonne. Il y a eu sans doute
nombre de tribus posèrent les armes. A partir
des actions plus importantes en Afrique, il n'y
de ce moment, nous cessâmes d'être aux prises
a pas eu de journée où chefs et soldats aient
avec l'Algérie tout entière; mais l'hostilité des
montré plus d'audace, de sang-froid et d'intel-
tribus qui continuaient à résister n'en fut que
ligence. Le premier bataillon de zouaves, con-
plus vive. La guerre s'envenimait en prenant le
duit par son colonel, prit une part glorieuse
caractère d'une guerre civile, et ce redouble-
au combat de l'Oued-Foddah. Là tombèrent le
ment de haine et d'ardeur donna lieu à de san-
capitaine Magagnosc, vieux soldat qui, parti
glants combats. Au mois de septembre 1842,
d'Afrique avec la croix d'officier, venait d'y re-
au moment où la vallée du Chéliff venait d'être
tourner volontairement, non par ambition, mais
pacifiée, le général Changarnier soutint tout près
par goût pour les nobles émotions de la guerre;
de ce fleuve, dans les gorges de l'Ouar-Senis,
le lieutenant Laplanche, sorti tout récemment
une des luttes les plus longues et les plus diffi-
de l'école d'état-major, fils d'une pauvre fa-
ciles qu'aient enregistrées nos annales d'Afri-
mille, devant à son seul mérite la bourse que
que. Elle dura sans relâche pendant trente-six
lui avait donnée le duc d'Orléans, et qui, après
heures et le général Changarnier sut la termi-
avoir, passé le premier tous ses examens, avait
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LES ZOUAVES.
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obtenu , comme faveur, de ser vir dans les
trement avides, devait leur faire trouver le joug
zouaves; — et tant d'autres qu’il faudrait tous
étranger moins odieux qu'à d'autres peuples,
nommer !...
cependant la mobilité du caractère arabe, l'a-
Lorsque le cheval sauvage des pampas a long-
version du musulman pour le chrétien étaient
temps résisté au gaucho qui le premier lui a
des causes suffisantes de troubles et d'insurrec-
mis un mors et une selle, il commence à trot-
tions. Qu'était-ce donc lorsque Abd-el-Kader
ter, et semble ainsi reconnaître qu'il a un maî-
était encore là, disposant de forces importantes,
tre. Mais gare au cavalier qui, se fiant à ce
craint et respecté de tous, encore obéi de beau-
premier symptôme d'obéissance, négligerait
coup, et redoublant d'énergie et d'activité dans
d'être sur ses gardes, et ne continuerait pas
le malheur ! Sur bien des points, même parmi
énergiquement l'éducation de sa rude mon-
les tribus qui avaient fait acte de soumission,
ture ! La situation de notre armée en Algérie,
les hommes « de grande tente, » les chefs de
après les premières soumissions, était à peu
famille, doutant encore de l'issue de la lutte,
près semblable à celle du gaucho dont le che-
s'étaient tenus à l'écart et n'avaient député vers
val vient de trotter pour la première fois. Les
nous que leurs cadets ou des hommes obscurs.
tribus avaient reconnu l'autorité de la France;
Aussi fallait-il s'attendre à une prise d'armes
mais si l'habitude d'obéir depuis des siècles à
prochaine; elle, suivit de très-près la première
des maîtres bien autrement sévères, bien au-
pacification. Il fallut protéger les tribus restées
56
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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fidèles contre les agressions des insoumis, re-
facile qu'elle ne l'était réellement, et cependant
pousser les attaques d'Abd-el-Kader et de ses
le bataillon qui revenait à Alger avait soutenu
khalifas, aller les chercher et les combattre
un combat fort vif près de Ghelma, et y avait
jusque dans leurs plus sûrs asiles, au fond des
même perdu son chef.
montagnes les plus escarpées ou sur les pla-
La guerre continuait donc sans relâche. Les
teaux du désert, en un mot achever la conquête
zouaves furent représentés par un ou deux de
et l'affermir; car on ne scinde pas la domina-
leurs bataillons dans la plupart des actions im-
tion d'un pays . Aussi les troupes restaient-elles,
portantes dès campagmes de 1843 et 1844 :
constamment en marche et sous les armes. Le
combats acharnés contre les Kabyles, longues
maréchal Bugeaud, préoccupé à bon droit de ter-
marches dans le désert, charges de cavalerie
miner avant tout la lutte contre Abd-el-Kader,
repoussées; au Jurjura, dans l'Ouar-Senis, chez
cédant aussi aux justes représentations du chef
les Beni-Menasser, à la prise de la Smalah, dans
de corps qui se plaignait de voir son régiment en-
les beaux combats livrés par le général Bedeau
tièrement disséminé, fit revenir à Alger le ba-
à la cavalerie marocaine, et enfin à cette mé-
taillon de zouaves, qui, depuis près d'un an,
morable bataille d'Isly, qui rappelle à la fois et
était dans la province de l'est. Peut-être aussi
la journée des Pyramides et les combats de Ma-
le maréchal regardait-il la tâche du comman-
rius contre les Cimbres. On les retrouvait par-
dant de la province de Constantine comme plus
tout avec leurs gros bataillons toujours nom-
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LES ZOUAVES.
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breux, toujours bien commandés, leur tenue
dressent, les feux s'allument comme par en-
martiale et soignée, leurs fanfares éclatantes,
chantement. Les cor vées vont à la distribution
la même solidité, le même élan.
des vivres, des cartouches; les hommes de cui-
Voyez-les approcher du bivac; quelques
sine sont à l'œuvre; d'autres coupent du bois,
hommes sortent des rangs et courent à la
car il en faut faire provision pour la nuit; d'au-
source voisine pour remplir les bidons d'es-
très fourbissent leurs armes; d'autres encore
couade avant que l'eau ait été troublée par le
réparent leurs effets avec cette inévitable trousse
piétinement des chevaux et des mulets. Les
du soldat français qui d'abord faisait sourire,
fagots ont été faits d'avance et surmontent déjà
dit-on, nos alliés en Crimée. Cependant la
les sacs. La halte sonne, le bataillon s'arrête et
aligne sur la position qui lui est assignée; la
compagnie de grand'garde, est seule en avant.
Tandis que les officiers supérieurs vont placer
les postes eux-mêmes, les faisceaux se forment
sur le front de bandière, les petites tentes 1 se
1
Voici encore une invention qui avait été promptement adoptée par les zouaves, mais qui n'est pas de leur
fait. Ce sont des soldats du 17 e léger qui les premiers eu-
rent l'idée de découdre, leurs sacs de campement et d'en
faire des abris, en les réunissant deux par deux avec des
ficelles que soutenaient des bâtons. L'expérience ayant
réussi, le colonel Bedeau, avec cet esprit d'ordre qu'il
apportait à tout, rigularisa ce mode d'abri, et le fit
adopter à son régiment. Les autres corps ne tardèrent
pas à suivre cet heureux exemple. Le transport des
grandes tentes ayant été depuis longtemps reconnu impraticable, dans des opérations rapides, sur un vaste échiqiuer, on comprend facilement quelles ressources présentent ces tentes-abris.
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soupe a été vite faite; on n'y a pas mis la
dis que les camarades de tente s'endorment en-
viande de distribution, destinée à bouillir toute
tre leurs deux couvertes, la grand’garde change
la nuit pour ne figurer qu' au repas de la diane.
de place en silence, car sa position aurait pu
La soupe du soir se fait avec des oignons, du
être, reconnue. Le factionnaire qu'on voyait au
lard, un peu de pain blanc, s'il en reste, ou, si
haut de cette colline a disparu ; mais suivez
l'ordinaire est à sec, elle se fait au café, c'est-à-
l'officier de garde dans sa ronde, et, malgré
dire que le café liquide est rempli de poussière
l'obscurité, il vous fera distinguer, sur la pente
de biscuit et transformé en une sorte de pâte
même de cette colline, un zouave couché à plat
qui ne serait peut-être pas du goût de tout le
ventre, tout près du sommet qui le cache, l'œil
monde, mais qui est tonique et nourrissante;
au guet, le doigt sur la détente. Un feu est allu-
ou bien encore le chasseur, le pêcheur de l'es-
mé au milieu de ce sentier qui traverse un bois,
couade, ont pourvu la gamelle qui d'un lièvre,
et qu'un petit poste occupait pendant le jour;
qui d'une tortue, qui d'une brochette de pois-
mais le poste n'est plus là. Cependant le ma-
sons; nous ne parlons pas de certains mets suc-
raudeur, l'ennemi qui s'approche du camp pour
culents savourés parfois en cachette, une poule,
tenter un vol ou une surprise, s'éloigne avec
un chevreau, dont l'origine n'est pas toujours
précaution de cette flamme autour de laquelle,
très-orthodoxe. La soupe est mangée ;on a fumé
il suppose les Français endormis; il se jette
la dernière pipe, chanté le joyeux refrain. Tan-
dans le bois, et il y tombe sous les baïonnettes
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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des zouaves embusqués, qui le frappent sans
main à sa tête, et reconnaît qu'il était coiffé
bruit, afin de ne pas fermer le piège et de ne
comme le roi d'Yvetot de Béranger. Il demande
pas signaler leur présence aux compagnons de
aussitôt sa casquette, et mille voix de répéter :
leur victime.
« La casquette, la casquette du maréchal ! » Or
Une nuit, une seule nuit, leur vigilance fut
cette casquette, un peu originale, excitait de-
en défaut, et les réguliers de l'émir se glissant
puis longtemps l'attention des soldats. Le len-
au milieu de leurs postes, vinrent faire sur le
demain, quand les clairons sonnèrent la mar-
camp une décharge meurtrière. Le feu fut un
che, le bataillon de zouaves les accompagna,
moment si vif, que nos soldats surpris hési-
chantant en chœur :
taient à se relever; il fallut que les officiers leur
As -tu vu
donnassent l'exemple. Le maréchal Bugeaud
La casquette,
était arrivé des premiers; deux hommes qu'il
La casquette ?
avait saisis de sa vigoureuse main tombent
As-tu vu
frappés à mort. Bientôt cependant l'ordre se ré-
La casquette
Du père Bugeaud ?
tablit, les zouaves s'élancent et repoussent l'ennemi. Le combat achevé, le maréchal s'aper-
Depuis ce temps, la fanfare de la marche ne
çut, à la lueur des feux du bivac, que tout le
s'appela plus que la Casquette, et le maréchal,
monde souriait en le regardant : il porte la
qui racontait volontiers cette anecdote, disait
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LES ZOUAVES.
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souvent au clairon de piquet : « Sonne la Cas-
Ceux qui dans une même campagne les avaient
quette. »
vus, au mois de mars, marcher six semaines
Le jour a donc reparu; la colonne se remet
dans les boues et dans les neiges du Jurjura,
en marche. Sommes-nous au mais de juin ou
souvent sans autre chaussure que des frag-
de juillet ? fait-on une halte de quelques mi-
ments de peau de bœuf retenus par des ficelles,
nutes ? Les turbans et les ceintures, jetés sur les
souvent sans autres vivres que le blé des silos,
faisceaux : abritent les zouaves du soleil sans les
réveiller par leurs chants une brigade que le
soustraire au souffle vivifiant de la brise. La
froid avait engourdie, et qui laissait dix-sept
pluie tombe-t-elle à torrents ? Protégé par son
hommes morts sous la neige, — puis le lende-
collet à capuchon et par les larges plis de sa
main, la grêle les fouettant au visage, aborder
culotte, le zouave défie longtemps l'humidité
à la baïonnette les positions des Kabyles; — et
pénétrante. Il faut bien savoir se garantir et de
qui deux mois plus tard les revoyaient, après
l'été et de l'hiver. Le climat avait cessé d'être un
une marche de trente lieues franchies en trente -
auxiliaire pour les Arabes. Nos troupes, mieux
six heures, sans eau, par le vent du désert,
organisées, plus endurcies, bravaient mainte-
marche si dure que le sang colorait leurs
nant la grande chaleur comme les intempéries.
guêtres blanches, défiler devant le bivac des
C'étaient toujours les zouaves qui apprenaient
chasseurs d'Afrique en sifflant les fanfares de la
aux nouveaux venus à tout supporter gaiement.
cavalerie, comme pour railler les chevaux fati-
66
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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gués et se venger de ce que leurs rivaux de
toujours quelque temps d'apprentissage pour
gloire avaient chargé et battu l'ennemi sans
qu'un régiment fût rompu à tous les détails de
eux; — ceux qui avaient eu le bonheur de les voir
la guerre et du métier. Puis, lorsqu'il était bien
ainsi à l’œuvre, toujours braves, toujours prêts,
formé, lorsque, parmi les généraux, c'était à
toujours soumis, ceux-là se disaient tout bas
qui l'aurait sous ses ordres, son tour venait de
(car les zouaves n'avaient encore battu que les
rentrer en France; il faisait place à d'autres
Arabes), mais avec une conviction profonde,
plus novices et qui avaient besoin de s'aguer-
ces paroles que toute l'Europe répète aujour-
rir. Seuls, les zouaves étaient toujours là; en
d'hui : « Ce sont les premiers soldats du
eux se personnifiait, en quelque sorte, la tradi-
monde ! »
tion de l'armée d'Afrique. Un régiment pou-
Et nous ne voulons pas dire que nul corps
vait-il citer cinq, dix affaires brillantes ? les
de notre infanterie ait à recevoir de personne
zouaves répondaient par vingt ou trente. Leurs
des leçons de courage : nous pourrions citer
cadres, renouvelés par la mort et par l'avance-
plus d'un régiment, plus d'un bataillon, dont
ment, étaient toujours alertes. Un officier se fa-
le numéro avait acquis en Afrique une réputa-
tiguait il ? il trouvait facilement à permuter. De
tion presque égale à celle des zouaves, et qui
parfaites traditions de ser vice se conser vaient
avait tout leur savoir-faire, soit pour le com-
parmi les sous-officiers. Sans priviléges, sans
bat, soit pour la vie de bivac; mais il fallait
modifications à la loi de recrutement, le con-
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LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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tingent annuel se trouvait formé de, telle sorte
juste et de l'injuste ne sont pas toujours très-
que le corps n'avait presque jamais de conscrits
complètes, et le fruit défendu n'est pas sans at-
à instruire et se recrutait sans cesse de vieux
trait pour eux. Les zouaves se trouvaient-ils en
soldats. Les officiers supérieurs étaient choisis
pays enn emi, sur un territoire abandonné de
avec un soin tout particulier. C'étaient le plus
ses habitants après une énergique défense ? sac
souvent des officiers déjà signalés par leurs
au dos, le fusil à la main, la bouche encore
services en Afrique, quelques-uns même dans le
noire de poudre, ils avaient bien vite tout re-
corps, toujours des hommes distingués par un
mué, tout fouillé; rien n'échappait à leur œil
remarquable ensemble de qualités militaires. Il
scrutateur : vêtements, poules, provisions de
en fallait en effet de très-diverses pour comman-
tout genre, gâteaux de figues, grandes jarres
der aux zouaves, car ils ont aussi leurs imper-
pleines d'huile, tout était porté à leur bivac,
fections. Les hommes qui embrassent par goût
et ils tiraient parti de tout. La propriété même
la profession des armes, sans avoir l'espoir d'en
du gouvernement n'était pas toujours respec-
faire une carrière bien brillante, ont en géné-
tée. Un jour, le maréchal Bugeaud, après une
ral le caractère aventureux, des habitudes un
des premières razzias exécutées sous ses ordres,
peu ardentes. Après de longues privations, ils
venait d'examiner, avec une certaine satisfac-
résistent rarement aux séductions du caba-
tion d'éleveur émérite, le beau troupeau de
ret; ils aiment à gaspiller. Leurs notions du
moutons qui avait à peine été livré à l'admi-
70
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
71
nistration. de la guerre ; il était allé se reposer
qui venait d'être atteinte après avoir longtemps
dans sa tente, lorsque son oreille fut frappée de
suivi la fortune d'Abd-el-Kader. l'avant-garde
certains bêlements significatifs. Il sort en toute
était partie à quatre heures du matin, et bien
hâte, il voit les zouaves répandus au milieu du
qu'on fût en plaine, à sept heures, les derniè-
troupeau, et, malgré les efforts de la garde, trai-
res familles n'avaient pas encore quitté le bi-
tant les moutons à la façon d'Agnelet dans
vac. Il fallait faire onze lieues pour trouver
l'Avocat Patelin. Le maréchal ne se contient
de l'eau, Ce jour-là, les zouaves furent comme
pas, et le voilà courant en chemise, l'épée à la
des sœurs de charité, partageant leur biscuit
main, dominant le tumulte de sa voix de sten-
avec les malheureux que la fatigue ou la cha-
tor; les zouaves disparaissent, mais avec leur
leur accablait, et, quand leur peau de boue
proie. Cependant une perquisition faite dans
était vide, renversant une brebis ou une chèvre
leur bivac ne donne aucun résultat : personne
pour approcher de ses mamelles les lèvres des-
ne manque à l'appel, personne n'avait vu de
séchées d'un pauvre enfant abandonné par sa
moutons. Le père Bugeaud fut forcé d'en
mère. Quand ils campèrent à la nuit close, on
rire.
ne voyait sur leurs sacs ni poule ni tortue;
Un autre jour, les zouaves étaient d'arrière-
mais ils ramenaient des femmes, des enfants,
garde; la colonne dont ils faisaient partie ra-
des vieillards dont ils avaient sauvé la vie. Ah !
menait dans le Tell une population immense
de pareils hommes sont bons autant qu'ils sont,
72
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
73
braves. Mais il faut savoir lutter contre leurs
heureusement traversé l'épreuve de plusieurs
mauvais instincts et développer leurs senti-
commandements séparés 1.
ments généreux; il faut, pour les conduire, un
C'est ainsi commandé que le régiment de
mélange de fermeté et d'affection, une disci-
zouaves rentra en ligne quand une insurrection
pline sévère, mais dont on sache à l'occasion
générale embrasa de nouveau toute l'Algérie
détendre certains ressorts. Il leur faut des chefs
en 1845. Tandis qu'un bataillon soutenait, près
en qui ils aient confiance, qu'ils puissent aimer,
des frontières du Maroc, le premier effort de la
respecter, et même craindre un peu. Tels sont
lutte, les deux autres parcouraient la province
ceux qui ont toujours été à la tête des zouaves.
d'Alger en tous sens. L'année 1846 commença
Le colonel Cavaignac, continuant sa brillante
sans qu'ils eussent pris aucun repos. Au mois
carrière, avait quitté le corps par avancement au
d'avril de cette année, après six mois de mar-
mois d'octobre 1844. Il fut remplacé par un des
ches el de combats, le premier bataillon de
sur vivants de l'assaut de Constantine, le
colonel Ladmirault 1, bien connu dans le corps,
où il avait ser vi comme capitaine avec la plus
grande distinction, et qui depuis avait très-
1
Aujourd'hui général de division.
1
Parmi les officiers supérieurs qui ont figuré durant
cette période à la tête des zouaves, nous citerons encore
les lieutenants-colonels Despinoy, mort en Afrique; de
Chasseloup-Laubat et Bouat, aujourd'hui généraux de divison ; les chefs de bataillon Dautemarre, Gardarens, Espinasse aujourd'hui généraux de brigade Tarbouriech,
mort en Crimée colonel zouaves.
74
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
75
zouaves venait de rentrer à Blidah, couvert des
lorsqu'il apprit que cette troupe d'un aspect si
plus glorieux haillons, lorsque le grand-duc
original, pourtant si compacte et si bien pa-
Constantin, fils de l'empereur Nicolas, débar-
quetée, était rentrée la veille et avait fait six
qué la veille à Alger, témoigna le désir de voir
lieues le matin, quand enfin il sut que ces hom-
cette troupe, dont la renommée était déjà par-
mes à l'air si martial et si robuste ne connais-
venue jusqu'à Pétersbourg. Dans la nuit, les
saient, depuis six mois, d'autre lit que la terre
zouaves reçurent leurs uniformes neufs. Le len-
et d'autre toit que le ciel ! Nous pensons que le
demain, à neuf heures, ils étaient à Bouffarik,
grand-duc Constantin emporta de cette revue
attendant le jeune prince. Lorsque celui-ci, en
des impressions que la campagne de Crimée
descendant de voiture, les aperçut en bataille
n'aura sans doute pas effacées.
dans une verte prairie, flanqués de deux esca-
En 1847, le maréchal Bugeaud. quitta l'Algé-
drons de spahis, il ne put dissimuler un mou-
rie, la laissant pacifiée et presque entièrement
veinent de surprise. Le site d'ailleurs était char-
conquise. La soumission d'Abd-el-Kader, qui ar-
mant : la Mitidja était dans tout l'éclat de sa
riva peu après, fut comme le couronnement de
parure du printemps, et aucun nuage ne trou-
l'œuvre : elle consolidait la paix. La tranquil-
blait l'harmonie des belles lignes de l'Atlas;
lité dont jouissait le pays permit au gouverneur
mais le grand-duc n'avait d'veux que pour les
général de rassembler les trois bataillons de
zouaves; et quel ne fut pas son étonnement
zouaves, qui n'avaient, pas été réunis depuis la re-
76
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
77
composition du régiment en 1842 ils faisaient
destinée à agir sur un point quelconque de la
partie de la réserve qui s'organisait dans les envi-
Méditerranée; le mouvement, pouvait même
rons d'Alger. La création de cette réserve, rendue
s’opérer avec tout le secret désirable et avec
possible par les derniers événements, permettait
toutes les apparences d'un simple changement
de réduire considérablement l'effectif de l'armée :
de garnison.
il suffisait de troupes bien moins nombreuses
Le gouvernement, provisoire fût le premier à
pour occuper les provinces, pourvu qu’on pût
profiter de cette situation. L'Afrique lui fournit
porter rapidement, à l'aide de bateaux à va-
le noyau de l'armée des Alpes. Nul doute qu'il
peur, des forces imposantes sur tout point où
n'eût appelé aussi les zouaves, si la guerre avait
une insurrection aurait éclaté. D'ailleurs, un
éclaté sur le Pô ou sur le Rhin; mais la répu-
nouvel horizon semblait s'ouvrir devant l'armée
blique ne fut ni attaquée ni agressive, et, les,
d'Afrique. Les régiments maintenus en Algérie
zouaves restèrent en Afrique. Ils avaient changé
y pouvaient être toujours utilement employés,
de chefs. En des derniers colonels nommés par
soit à exécuter de grands travaux, soit à éten-
le gouvernement de Juillet, M. Canrobert,
dre notre domination, soit enfin à réprimer des
venait de remplacer le général Ladmirault; il
troubles qu'il était prudent de prévoir; mais ils
était impossible de faire un plus heureux choix.
pouvaient aussi fournir à la mère patrie les
Le colonel Canrobert avait commencé sa car-
premiers et les meilleurs éléments d'une armée
rière africaine sous les auspices d'un de nos
78
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
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plus vaillants soldats, le colonel Combes, qu'il
occupait un poste important et de création assez
accompagnait comme adjudant-major lors de
récente, appelé Aumale, situé à la naissance
sa mort glorieuse à l'assaut de Constantine.
du grand plateau qui s'étend à l'est du Jurjura,
Depuis, à la tête d'un bataillon de chasseurs ou
C'était une des régions de l'Algérie où la sou-
chargé de diriger les cercles de Tenès et de
mission était la plus précaire et la moins com-
Batna, il avait acquis l'habitude du commande-
plète. Aussi les zouaves avaient-ils eu de nom-
ment, livré de beaux combats, mérité la répu-
breuses courses à faire dans les montagnes et
tation d'un des meilleurs officiers de l'armée.
plusieurs combats à livrer, lorsque, vers la fin
Son lieutenant-colonel, M. de Grandchamp,
de 1849, des événements importants qui s'ac-
portait sur son visage noblement mutilé la trace
complissaient dans le sud de la province de
de ses ser vices 1. Le régiment, toujours réuni,
Constantine les y tirent appeler en toute hâte.
Une insurrection aussi folle qu'inattendue avait
1
Capitaine de voltigeurs au 24 e de ligne, M. de Grandchamp fut laissé comme mort dans un combat où un bataillon de cet excellent régiment fut presque entièrement
détruit. Il était tellement défiguré par ses blessures, que
les Arabes négligèrent de lui couper la tête. Ayant encore
sa connaissance, mais hors d'état de remuer ou de parler, M. de Grandchamp subit l'affreux supplice de servir de
billot à plus de quarante de ses camarades décapités
embrasé tout le Ziban, et l'oasis de Zaatcha tenait depuis quelque temps en échec toute une
division de l'armée. Les zouaves arrivèrent desur son corps. Sauvé miraculeusement, il put se guérir, et
depuis il a toujours ser vi de la manière la plus active. Il
est aujourd'hui officier général.
80
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
81
vant la place avec les premiers renforts. On
de Bout-Zian et le dénoùment sanglant de ce
connaît les péripéties émouvantes de ce siège
drame terrible. Dans ce siége si long et si diffi-
mémorable 1 ; on n'a pas oublié cette colonne
cile, conduit avec tant de persévérance par le
qui traverse rapidement le désert portant le
général Herbillon, quatre-vingts officiers et plus
choléra dans ses flancs, ces soldats dont l'épi-
de neuf cents soldats avaient été atteints par le
démie, les privations de tout genre, une
ré-
feu de l'ennemi. Ce succès si cruellement acheté
sistance désespérée, n'ont pu abattre l'énergie,
ne fut pas encore le signal du repos pour les
rassemblant tout leur courage pour un dernier
troupes qui l'avaient obtenu. Les zouaves suivi-
et décisif assaut; le colonel Canrobert arrivant
rent leur vaillant chef sur les pentes de l’Aures,
le premier sur la brèche, cheminant à travers
et terminèrent brillamment la campagne au
un dédale de ruelles, échappant par miracle à
cœur de l'hiver par la prise de Narah. Rentrés
la mort qui frappe tout autour de lui ; l'effort
à Aumale, placés sous les ordres d’un nouveau
suprême du commandant Lavarande pour for-
colonel, M. d'Aurelle 1, digne successeur de ses
cer le dernier réduit des défenseurs ; la mort
illustres devanciers, les zouaves furent deux
ans aux prises avec la confédération kabyle qui
1
Un des combattants de Zaatcha, le capitaine Charles Bocher a retracé, dans un récit intéressant, les principaux épisodes de ce siège. Voir la Revue des Deux
Mondes du 1 er avril 1850.
1
Aujourd'hui général de brigade et employé en Crimée.
82
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
83
leur avait donné son nom, et prirent part
fectées à l'Algérie, on y retenait plus aisé-
à toutes les opérations dirigées dans la val-
ment les officiers et les soldats auxquels ce
lée de l'Oued-Sahel, et dans le pâté de mon-
climat et ce genre de vie convenaient, ou qui
tagnes connu sous le nom de la Grande-Ka-
pouvaient y rendre des ser vices particuliers; on
bylie.
diminuait les inconvénients ou même le péril
Leurs ser vices étaient si constamment bons,
des réductions d'effectif, on facilitait le novi-
si constamment utiles, que le gouvernement se
ciat des régiments envoyés de l'intérieur. Sans
décida à augmenter leur nombre. Un décret du
doute il y avait une mesure à garder. Les zoua-
13 février 1852 donna une nouvelle organisa-
ves, devenus trop nombreux, auraient perdu
tion au corps des zouaves; il devait y avoir
leur esprit de corps; les qualités qui leur sont
trois régiments de trois bataillons chacun. Les
propres se seraient effacées. Les troupes qui
trois bataillons existant devaient ser vir de noyau
servent la France sur les deux rives de la Médi-
aux nouveaux régiments qui étaient répartis
terranée ne doivent l'aire qu'une seule et même
entre les trois provinces de l’Algérie. Il fut plus
armée; bien des raisons le démontrent. Le ser-
tard décidé qu'ils, seraient armés de fusils
vice en Afrique n'est pas sans utilité et sans
rayés.
enseignements pour nos régiments de ligne.
Ces dispositions étaient bonnes. En accrois-
Enfin notre position en Algérie a son impor-
sant le nombre des troupes spécialement af-
tance stratégique pour de grandes opérations,
84
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
85
même hors d'Afrique; l'armée que la France
leurs. En le donnant aux zouaves, on doublait
y entretient n'est pas perdue pour elle; ce
l'efficacité de leurs ser vices.
qui se passe aujourd'hui le prouve assez. Mais,
L'expérience, ce juge souverain, ne tarda pas
nous le répétons, le décret du 15 février 1852
à prononcer. Dans l'année même, un beau fait
ne paraît pas avoir altéré les proportions qu'il
d'armes fut le début des nouveaux régiments.
importait de ne pas troubler. Il fut d'ailleurs
La guerre, qui depuis six ans avait cessé d’être
habilement exécuté; de vieux zouaves, d'an-
générale, se ranimait encore quelquefois, nous
ciens Africains, fournirent presque tout le per-
l’avons déjà vu, dans la Kabylie ou dans le dé-
sonnel des cadres, et le recrutement fut bien
sert; les montagnards comptaient sur leur nom-
fait. Quant à la modification introduite dans
bre, sur leurs forêts et leurs rochers, les gens
l'armement, elle était des plus heureuses. Le
du sud sur la difficulté des distances et des vi-
fusil rayé, produit des épreuves qui depuis
vres, et sur les obstacles sérieux que présentent
vingt ans se succèdent à V incennes dans le
leurs oasis, très-boisées aussi, coupées de ca-
polygone et en Afrique devant l’ennemi, unit
naux et de digues. — Des chériffs, des agita-
la justesse la plus parfaite à la plus redoutable
teurs subalternes exploitaient souvent le goût
portée; il se charge aussi facilement que le fusil
d'indépendance des premiers, la légèreté des se-
de munition; il a son calibre, son poids; il peut
conds, la crédulité de tous. Vers la fin de 1852
être aussi bien employé en ligne qu’en tirail-
Î2,un de ces chériffs parvint à insurger la ville de
86
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
Laghouat, oasis considérable située à plus de
attendait. Au mois de mars 1854, ils quittaient
quatre-vingts lieues d'Alger, et qui fut bientôt
l'Algérie, pleins d'enthousiasme; ils apparte-
remplie d'aventuriers de toute sorte; il y fut
naient à l'armée d'Orient ! Nos vieilles bandes
promptement attaqué par nos troupes. Le siège
africaines allaient se trouver en face de cette ar-
présentait beaucoup d'analogie avec celui de
mée qui nous avait si chaudement disputé les
Zaatcha, quoique peut-être avec des difficultés
champs de bataille d'Eylau et de la Moskova, à
moindres; mais la rare vigueur du général Pélis-
côté de cette infanterie anglaise dont nous avions
sier mit bientôt fin à la résistance. Un double as-
souvent éprouvé à nos dépens l'inébranlable so-
saut, parfaitement combiné, nous rendit maîtres
lidité. Ceux qui les connaissaient voyaient par-
de la place. Les 1 er et 2 e de zouaves eurent la
tir avec anxiété, mais avec une pleine confiance
plus grande part dans l'honneur et dans les
dans leur valeur, dans leur patriotisme, dans
pertes de la journée; huit officiers et cent vingt-
leurs traditions; cette confiance n'a pas été
trois hommes étaient hors de combat dans les
trompée. Il n'y a aujourd'hui dans toute l'Eu-
deux régiments, et un de leurs capitaines,
rope qu'un cri d'admiration pour l'armée fran-
M. Menouvrier-Defresne, était entré le premier
çaise. L'organisation de nos états-majors, de
dans la ville. C'étaient toujours les zouaves de
nos cadres, de nos ser vices administratifs,
Constantine et de Zaatcha.
notre mode d'avancement, de recrutement,
Mais une épreuve bien autrement décisive les
87
toutes nos lois, toutes nos institutions militaires
88
LES ZOUAVES.
LES ZOUAVES.
ont frappé les esprits par leur sagesse et leur
au plus épais de la colonne russe . . . . . Mais nous
harmonie, et tous les corps de notre armée ont
avons rempli notre tâche; à d'autres reviendra
noblement rempli leur tâche; courage, patience,
l'honneur de raconter cette guerre qui bientôt
industrie, ténacité, aucune vertu guerrière ne
peut-être appartiendra à l'histoire; car le mo-
leur a manqué. Et les zouaves ! quel Français
ment approche, nous l'espérons, où le drapeau
peut lire sans joie et sans orgueil ce qu'en disent
des zouaves, qui a flotté le premier sur ha brè-
les correspondances anglaises, soit qu'elles les
che de Constantine, de Zaatcha et de Laghouat,
suivent « grimpant comme des chats » sur la fa-
sera planté sur les murs de Sébastopol.
laise de l'Alma, soit qu'elles nous les montrent
« bondissant comme des panthères » dans les
broussailles d'Inkermann ! De quels hourras furent-ils salués par les gardes de la reine quand
cette héroïque brigade, épuisée par sa magnifique défense, vit apparaître dans le brouillard
« le vêtement bien connu des troupes algériennes 1 » A peine les avait-on aperçus quils étaient
1
« The well known garment of the algerine troops. »
—————————
89
LES
CHASSEUR A PIED
II
LES CHASSEURS A PIED
—
—
—
—
—
—
—
L'histoire des chasseurs à pied ne saurait
présenter le même genre d'intérêt que celle des
zouaves. Rien de fortuit dans leur création,
rien d'imprévu dans leur destinée, rien d’étrange dans leur uniforme. Nous ne trouvons
pas là cette singularité d’une troupe qui, desti-
94
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
95
née il se recruter d'Algériens, appelée d'un nom
rement technique; nous ne voulons que ra-
arabe, vêtue à la turque, finit par devenir es-
conter; — mais pour reproduire clairement, ce
sentiellenent et uniquement française, et porte
que nous avons pu recueillir, pour expliquer,
aujourd'hui en Orient le costume que les Turcs
entre autres choses, ce qu'il y a de neuf et d’es-
ont quitté; mais nos bataillons de chasseurs
sentiel dans l'armement de nos chasseurs, il
ont une originalité d'une autre sorte, et leur
nous faudra entrer dans quelques détails et
réputation aussi est faite Nous allons essayer
aller prendre nos origines un peu loin.
d'indiquer quel l'ut l'objet de cette création,
Nous ne remonterons pourtant pas jusqu'à
quelles causes l’ont amenée, quels caractères
l'invention de la poudre, — et nous épargne-
particuliers la distinguent des créations analo-
rons au lecteur la description des machines de
gues qui l'ont précédée en France et hors de
guerre qui furent les premières armes a feu
France, quelles découvertes l'ont rendue pos-
portatives; c'est là le nom qu'on donne à tout
sible ou en ont accru l'importance, enfin les
engin qui, porté et manié par un homme, est
résultats qu’elle a déjà produits et ceux qu’on
destiné à lancer des projectiles mus par l'in-
en peut attendre encore. Hâtons-nous de le dire,
flammation de la poudre. Nous dirons seule-
nous n'avons avons ni droit ni la prétention d'é-
ment que, malgré l’anathème de Bayard et les
crire une leçon d'art militaire; aussi tâcherons-
sarcasmes de l’Arioste, ces armes étaient déjà
nous d'éviter tout ce qui pourrait paraître pu-
très-répandues au milieu du seizième siècle, et
96
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
97
jouaient un rôle important sur les champs de
était supérieur; ils avaient adopté le mousquet,
bataille. C'est aux Espagnols qu'appar tient
et Iét.it la première arme à feu qu'un homme
l'honneur d'en avoir rendu l'emploi plus facile,
pût manier facilement, charger avec rapidité et
plus régulier, plus général. Les Espagnols ont
tirer avec une certaine justesse, chacun de leurs
été pendant plus de cent ans les maîtres dans
tercios renfermait une proportion fixe et assez
l'art de la guerre; leur puissance avait com-
élevée de mousquetaires.
mencé à décliner, qu'ils conser vaient encore
Les bons résultats que les Espagnols tiraient
leur supériorité militaire, et, depuis la bataille
de l'organisation et de l'armement perfection-
de Cerisoles, gagnée par le comte d'Enghien en
nés de leur infanterie n'échappèrent pas aux ca-
1544, jusqu'à la mémorable victoire de Ro-
pitaines français; un d'eux surtout, le duc Fran-
croy, remportée en 1643 par un héros de la
çois de Guise, chercha à en faire son profit;
même race et du même nom, ils eurent l'avant
c'est à lui que nous devons la première ébau-
tage sur nous dans toutes les affaires rangées.
che de l'organisation régimentaire calquée sur
Leurs généraux étaient plus instruits et for-
celle des tercios, et, dans plus d'une rencontre
niaient une vérilable école; seuls alors ils fai-
avec les huguenots, les nombreux arquebusiers,
saient de la stratégie. Leur organisation était
parfaitement exercés, que comptaient nos vieil-
meilleure, et, les célèbres tercios devaient ser vir
les bandes de Picardie et de Piémont, assurèrent
de modèle aux régiments. Leur armement
l'avantage
aux
armées
catholiques.
Dans
98
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
99
le parti contraire, un jeune général qui devait
l'emploi dans la cavalerie, à tel point que le
devenir un grand roi, doué de cet instinct créa-
rôle de cette arme en fut dénaturé; pendant
teur, de ce génie qui peut s'appliquer ait gou-
longtemps, la cavalerie oublia que sa force ré-
vernement comme à la guerre, et qui, lorsqu'il
sidait dans les pointes de ses sabres, dans l’élan
est tempéré par le bon sens, petit donner aux
des hommes et dans la vitesse des chevaux.
peuples la gloire et le bonheur, Henri IV, avait
La plupart des grands capitaines marquaient
mis un soin tout particulier à augmenter le
ainsi leur passage par un progrès dans l'arme-
nombre et la qualité de ses arquebusiers ; sou-
ment de leur infanterie. Un des plus redouta-
vent il en sut faire un emploi aussi neuf qu'heu-
bles ennemis de la puissance espagnole, Mau-
reux A la bataille de Coutras, il les répartit
rice de Nassau, ingénieur et tacticien habile,
par groupes de vingt-cinq au milieu de ses esca-
disposa le premier l'infanterie de manière à
drons de cavalerie; quand la gendarmerie royale
combiner l'usage simultané du mousquet et
s'avança pour les charger, elle essuya à l'impro-
de la pique; avant lui, l’arme à feu ne ser vait
viste une salve meurtrière de ces arquebusiers
qu'aux tirailleurs; il commença à l'employer
de l'estrier, et l'ébranlement qu'elle en reçut
en ligne. Cette réforme cependant ne fut qu'é-
donna le succès aux protestants. Henri IV poussa
bauchée par le général hollandais; il était ré-
même trop loin sa passion pour les armes à
servé à Gustave-Adolphe de l’accomplir. Tandis
feu ; il en multiplia le nombre et en exagéra
qu'il exécutait une série d'opérations militaires
100
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
telles que le monde n'en avait pas vues depuis
soldat se ser vait pour charger son arme. Gus-
César, il créait une artillerie mobile, et donnait
tave-Adolphe est le fondateur de la science mo-
au feu de son infanterie une efficacité qu'on
derne des batailles. Pour la stratégie, pour les
n'avait pas obtenue avant lui. Aux lourdes ma-
grandes combinaisons de la guerre, il fut le dis-
chines de guerre que des bœufs amenaient sur
ciple et l'émule des maîtres de l'antiquité; car si
le champ de bataille, et qui y restaient immo-
cette « partie divine
biles, paralysées par le moindre mouvement
inaccessible à tant d'esprits, si l'histoire peut
1
101
» de l'art militaire est
des armées, il substitua des canons légers,
attelés de chevaux, suivant dans leurs manœuvres les fantassins et les cavaliers. Il avait
trouvé l'infanterie formée en épais bataillons;
il la disposa en ligue longues, où le rang des
mousquetaires était soutenu de plusieurs rangs
de piquiers, et qui, tout en couvrant de plomb
une vaste étendue de terrain, présentaient
encore a l'ennemi un front hérissé de fer. Soigneux des détails, il remplaça pair la cartouche et la giberne l'outillage incommode dont le
1
« Achille était fils d'une déesse et d'un mortel : c'est
l'image de génie de la guerre. La partie divine, c'est tout
ce qui dérive des considérations morales, » à etc. (Mémoires de
Napoléon, t. V.) « Les principes de la guerre
sont ceux qui ont dirigé les grands capitaines dont l'histoire a transmis les hauts faits : Alexandre, Annibal, César, Gustave-Adolphe, Turenne, le prince Eugène, Frédéric le Grand... Voulez-vous savoir comment se donnent
les batailles : lisez, méditez les relations des cent cinquante batailles de ces grands capitaines; lisez, relisez
l'histoire de leurs quatre-vingt-huit campagnes; c'est le
seul moyen de surprendre les secrets de l'art. » (I bid..
t. II.)
102
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
103
compter ceux qui ont su la comprendre et sur-
affaire de politique ou de guerre, son avis fut
tout l'appliquer, ses principes et ses règles n'en
toujours lumineux et juste. Parmi les nombreux
sont pas moins les mêmes dans tous les âges;
mémoires de sa main déposés dans les archives
au contraire, l'introduction des armes à feu
de la guerre et dans celles de nos places fortes, il
exigeait une tactique toute nouvelle : c'est le
en est peu qui ne contiennent quelque trait de gé-
héros suédois qui l'inventa.
nie, et ses utopies mêmes sont marquées du sceau
La vérité, est longtemps à se faire jour. L'exem-
de son intelligence supérieure et de son cœur ex-
ple si concluant donné par Gustave-Adolphe ne
cellent. L'art de l'intgénieur fut porté par lui à un
fut, pendant bien des années, qu'imparfaite-
tel degré de perfection, qu'il a fait peu de pro-
ment suivi. Nos illustres généraux du dix
grès depuis, et c'est Vauban qui décida Louis XIV
septième siècle modifièrent peu l'ancienne for-
à remplacer la pique et le mousquet par une seule
mation de l'infanterie; cependant c'est sous le
arme, à la fois d'hast et de jet, le fusil à baïon-
règne du grand roi que fut consommée la révo-
nette. Le régiment des fusiliers du roi, depuis
lution commencée par Maurice de Nassau et si
Royal-Artillerie, fut le premier corps qui en fut
heureusement continuée par l’armée suédoise.
muni (1670), et en 1705 l'armée française re-
Ce résultat est dû à Vauban. Aucune étude, au-
nonça définitivement à la pique. Malgré quel-
cune question n'était étrangère à cet esprit émi-
ques échecs essuyés par l'infanterie ainsi armée,
nent; chaque fois qu'il fut consulté
malgré les regrets de Puységur et de quelques
sur une
104
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
105
autres, le fusil fût bientôt adopté dans toute
craint moins l'humidité, et rend l'inflammation
l'Europe, et les succès du grand Frédéric don-
de la charge plus rapide et plus sûre. Le fusil
nèrent à cette transformation décisive la der-
de munition est solide, peu compliqué, d'un
nière sanction. Frédéric avait repris et perfec-
entretien facile; surmonté de la baïonnette, il
tionné les idées de Gustave-Adolphe; il posa,
fournit une pique d'une longueur suffisante ; sa
pour la formation et les manœuvres des troupes
portée est étendue; à de petites distances, il ne
à pied, des règles qui sont encore suivies au-
manque pas d'une certaine justesse. C'est une
jourd'hui, et, depuis, nul n'a contesté que la
arme parfaitement convenable pour le soldat
principale force de l'infanterie ne fût dans son
qui combat en ligne, et « la meilleure machine de
feu et dans ses jambes.
guerre qui ait été inventée par les hommes 1.»
Notre fusil actuel ne diffère de celui dont on
Mais les plus belles créations de l'homme,
se servait dans la guerre de Sept Ans que par
si l'on peut parler ainsi d'un instrument de
une fabrication plus soignée et des modifica-
mort, ont toujours leurs imperfections, et plus
tions de détail. La plus importante de toutes
on se ser vait du fusil, plus on remarquait les
a été le changement apporté au mode d'in-
inconvénients qu'il pouvait présenter. On s'a-
flammation de la charge de poudre : la pla-
perçut bientôt que, répondant aux principaux
tine à silex a été remplacée en 1840 par
une platine à percussion qui est plus simple,
1
Napoléon.
106
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
besoins de la tactique moderne, le fusil était
l ’inflammation de la poudre, il va frappant
insuffisant dans certaines circonstances de la
contre la parois du canon, et reçoit ainsi un
petite guerre, et que, pour des troupes légères,
double mouvement : l'un, doscillation, crois-
il était désirable de trouver une arme dont le
sant à mesure que la balle s'éloigne de son point
tir présentât moins d'incertitude. On recher-
de départ, peut l’entraîner assez loin du but
cha les causes de cette incertitude, et on
qu'elle devait atteindre; l'autre, de rotation,
trouva que toutes ne dépendaient pas de l'igno-
produit le même résultat, s'il n'a pas été im-
rance ou de la maladresse des hommes, de
primé irrégulièrement, et si son centre ne se
l'état des munitions ou de l'arme et qu'il en
trouve pas sur le prolongement de l'axe du
était d'inhérentes à la construction même de
canon.
l'arme et du projectile. Voici quelles étaient
les principales :
107
C'est donc à diminuer le mouvement d'oscillation qu'on appelle battements ou plus habi-
Pour que le fusil puisse se charger rapide-
tuellement vent de la balle, et à régulariser son
ment avec une simple baguette, et surtout pour
mouvement de rotation, que s'appliquèrent les
continuer à s'en ser vir après avoir tiré plusieurs
efforts du constructeurs d'armes. Deux décou-
coups, il faut que le calibre de la balle soit plus
vertes, probablement dues au hasard, servaient
petit que le diamètre intérieur du canon. Il en
de base à leurs expériences. Dans quelques-unes
résulte que quand le projectile ut chassé par
du premières armes à feu portatives, le canon
108
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
109
se séparait en deux parties: l'une, plus courte,
cette disposition, dont le premier objet paraît
formait une espèce de chambre où l'on plaçait
avoir été de diminuer l'encrassement, eut pour
la charge et le projectile; l'autre, plus longue,
résultat de permettre l'emploi de balles d'un
s'adaptait à la première quand celle-ci avait reçu
calibre plus fort, qu'on enfonçait à coups de
la charge, et servait à diriger la balle au début de
maillet, à l'aide d'une baguette plus lourde, et
sa course. On revint à ce procédé, que l'on réus-
qui s'emboîtaient dans les rayures : c’est ce
sit à perfectionner : il permet, on le conçoit fa-
qu'on appelle les chargements à balles forcées;
cilement, un chargement plus prompt et plus
on obtint ainsi la suppression du vent. L'idée
exact, ainsi que l'emploi de projectiles dont le
vint plus tard, on ne sait comment, de donner
diamètre se rapproche beaucoup de celui du
une forme courbe à ces rayures et de les prati-
canon; mais on n'a pas encore trouvé le moyen
quer en hélices, au lieu de les creuser en lignes
de construire une arme à culasse brisée qui pré-
droites, comme on l'avait fait d'abord; on re-
sente toutes les conditions de simplicité et de
connut que ces rayures en hélices imprimaient
solidité exigées avant tout des armes de guerre.
à la balle forcée un mouvement de rotation nor-
On tira meilleur parti d'une autre découverte.
mal. Les deux principales causes de l'incerti-
Dès les dernières années du quinzième siècle,
tude du tir se trouvaient donc neutralisées, et
on avait fabriqué des canons d'arquebuse dans
l’on obtint des armes ainsi construites et char-
l'intérieur desquels on avait creusé des rayures;
gées une justesse très-supérieure à celle que
110
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
111
peuvent donner les armes à canon lisse, char-
tesse était loin de compenser de semblables
gées avec la balle libre.
imperfections; le fusil conser vait l'avantage.
On se demandera comment cette supériorité,
Cependant, même dans ces conditions, les
une fois constatée, ne fut pas suivie d'une trans-
armes rayées, employées dans une proportion
formation immédiate de l'armement. C'est que
restreinte, pouvaient rendre certains ser vices
les armes rayées présentaient pour la guerre de
et avaient leur place dans l'armement d'un
graves inconvénients : on ne pouvait ni s'en
grand état militaire. En France, dès la seconde
servir convenablement comme pique, ni faire
moitié du dix-septième siècle, on en munit quel-
feu sans danger dans les rangs à cause de la lon-
ques corps de cavalerie légère qu'on appelait
gueur réduite qu'il fallait donner au canon;
carabins : de là le nom de carabines; c'est du
le chargement était lent, compliqué, exigeait
moins l'étymologie le plus généralement accep-
un outillage de maillet, de poire à poudre, de
tée. Mais les carabines avaient surtout été
calepin, qui s'égarait ou se détruisait facile-
promptement adoptées par les chasseurs; elles
ment; enfin, pour conser ver la justesse, il fal-
s'étaient répandues dans les pays de monta-
lait que la balle reçût une vitesse initiale moins
gnes : les Suisses, les Tyroliens, s'en ser vaient
grande, il fallait une charge de poudre plus
contre les chamois, et s'exerçaient au tir dans
faible, et la portée était sensiblement réduite.
des réunions qui sont encore aujourd'hui des
Pour des troupes de ligne, la supériorité de jus-
fêtes nationales. Le gouvernement autrichien
112
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
113
fut le premier à profiter de ce goût de certaines
succès par les armées les plus régulières, mais
populations pour les armes de précision : il or-
qui permet aussi au soldat de compenser par
ganisa des bataillons de chasseurs tyroliens ex-
l'intelligence ce qui manque à son instruction.
clusivement destinés au ser vice de troupes lé-
Frappés de l'aptitude de nos hommes à ce genre
gères, et ces partisans firent assez de mal aux
de combat, les comités, de la Convention qui
Prussiens pour que le grand Frédéric se vît forcé
présidait à la reorganisation de l'armée dé-
d'avoir, lui aussi, son bataillon de chasseurs
crétèrent la formation des demi-brigades d'in-
armés de carabines. Des corps de même espèce
fanterie légère; les hommes d'élite devaient être
furent créés en France dans le courant du dix-
munis d'armes de précision et reçurent le nom
huitième siècle sous des noms divers, mais avec
de carabiniers. La carabine de 1793 est le pre-
des durées éphémères; quelques-uns cepen-
mier modèle de cette espèce qui ait été régulière-
dant, la légion de Grassin entre autres, acqui-
ment employé en France.
rent une belle réputation. La Révolution sur-
Mais les inconvénients jusqu'alors inhérents
vint. Nos phalanges républicaines brillaient
à cette nature d'armes, le défaut de règle pour
surtout par leur valeur et leur enthousiasme;
leur tir, d'instruction spéciale chez les hommes
leur tactique n'était, pas toujours assez métho-
auxquels on les confiait, les firent bientôt
dique ; les attaques se faisaient le plus souvent
tomber en discrédit. Aussi disparurent-elles
en tirailleurs, ordre qui peut être employé avec
complètement de nos rangs, et lorsque Napo-
114
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
115
léon fit remettre en état l'armement fort délabré
nadiers; c'est une de ses plus belles créations
de nos troupes, la carabine ne fut pas comprise
militaires.
parmi les armes en ser vice. Les régiments d’in-
Le principe posé par Napoléon était juste;
fanterie, légère furent maintenus; leurs compa-
mais quelque respect qu'en de semblables ma-
gnies d'élite conser vèrent le nom de carabi-
tières on doive professer pour les opinions
niers; il y eut même dans la garde impériale des
d'un tel homme, il est permis de dire qu'il en
régiments de chasseurs, de tirailleurs, de flan-
exagéra l'application. Sans doute il était digne
queurs; mais aucun de ces corps n'était distin-
de son génie d'établir que tout régiment d'in-
gué ni par un armement spécial ni par une
fanterie doit savoir s'éclairer, se garder, com-
instruction particulière. L'empereur voulait
battre en tirailleurs; mais il était vrai aussi,
que l'armement et l'instruction de l'infanterie
même avec les armes existant alors, que, dans
fussent uniformes, et que tous les régiments
certaines circonstances de la guerre, pour atta-
fussent également aptes au ser vice de troupes
quer ou défendre une ferme, un bois, un vil-
de ligne et à celui de troupes légères. Afin de
lage, un ouvrage de fortification, pour inquiéter
faciliter l’exécution de sa volonté, il se borna à
une troupe en marche, décimer un état-major,
faire réunir en compagnies de voltigeurs les
et dans bien d'autres cas, la présence d'un cer-
hommes les plus lestes et les plus intelligents
tain nombre de partisans munis de carabines
que leur petite taille empêchait, de devenir gre-
de précision pouvait être d'un grand secours.
116
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
117
Aussi les gouvernements étrangers, satisfaits
et d'un général non moins instruit qu'habile.
des ser vices que leurs corps spéciaux de troupes
Sauf quelques erreurs qui étaient moins son fait
légères avaient rendus pendant la guerre, les
que le résultat des circonstances, son adminis-
conservèrent après la paix, les perfectionnèrent
tration fut des plus fécondes; nous lui devons les
et en accrurent le nombre. On en trouvait, sous
bases de nos plus belles institutions militaires,
des noms divers, en Angleterre, en Autriche,
constamment perfectionnées et développées de-
en Prusse, en Russie, et même chez des puis-
puis lors, les lois d'avancement et de recrute-
sances secondaires, le Piémont, la Suisse, la
ment, la création du corps d'état-major. A
Suède. En France, après les désastres de 1815,
côté de l'infanterie de ligne organisée en lé-
la réorganisation de l’armée avait été confiée à
gions, il avait prescrit la formation de batail-
un homme éminent, le maréchal Gouvion Saint-
lons de chasseurs qui devaient avoir un équipe-
Cyr; longtemps investi des commandements
ment particulier; mais cette mesure ne fut ni
les plus importants, ayant beaucoup combattu,
complètement ni heureusement exécutée : ces
beaucoup médité sur la guerre, qu'il savait ex-
bataillons partagèrent le sort des légions dépar-
pliquer aussi bien qu'il avait su la faire, il appor-
tementales, et disparurent avec elles pour faire
tait à l'exécution de cette tâche difficile le dévoue-
place à nos régiments actuels. Ceux d'infante-
ment d'un patriote, les lumières d'un esprit juste,
rie légère, dont plusieurs illustrèrent leur an-
éclairé, libéral, l'expérience d'un vieux soldat
cien numéro, ont conser vé leur nom jusqu'à
118
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
119
une époque toute récente; ils n'étaient distin-
chambre d'un diamètre plus petit; la charge
gués de l'infanterie de ligne que par une légère
de poudre versée à la bouche allait remplir cette
différence d'uniforme et par quelques autres
chambre; la balle, semblable à celle qui eût
détails, ainsi que par les dénominations de ca-
été employée dans un canon lisse, s'introdui-
rabiniers et de chasseurs, substituées à celles
sait aussi facilement et venait s'appuyer sur le
de grenadiers et de fusiliers.
ressaut formé par la chambre, où, sans l'aide
Ainsi les armes rayées continuaient d'être
d'un maillet, il suffisait d'une baguette à tête
proscrites de nos rangs, et, bien que ce fût peut-
un peu lourde pour la forcer en trois coups et
être avec d'assez justes raisons, beaucoup de
lui faire prendre l'empreinte des rayures. Le
militaires persistaient à regretter que nous ne
chargement de la carabine devenait aussi prompt
pussions rien opposer à certains corps spéciaux
et
des armées étrangères, lorsque la découverte
fusil; l'outillage compliqué disparaissait en
d'un ancien officier de la garde royale, M. Del-
grande partie. Le premier pas était fait dans la
vigne, vint faire disparaître un des principaux
voie qui devait conduire à trouver la véritable
inconvénients jusqu'alors inhérents aux ca-
arme rayée de guerre, et l'honneur en revient
rabines. M. Delvigne, s'étant bien rendu
incontestablement à M. Delvigne. Néanmoins
compte des propriétés du plomb, imagina de
son procédé présentait au début d'assez grandes
disposer au fond d'un canon carabiné une
imperfections, dont la plus grave était, d’enle-
presque
aussi
simple
que
celui
du
120
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
121
ver à la balle sa forme sphérique par le mode
pagnies de « francs-tireurs, armés de carabines
de forcement, ce qui altérait la portée et la jus-
et revêtus d'un uniforme approprié à leur des-
tesse. Une polémique assez vive s'engagea à ce
tination; » ces compagnies devaient être réu-
sujet. Au milieu de ces discussions, le maré-
nies plus tard en bataillons et recevoir une
chal Soult était arrivé au ministère de la guerre
instruction spéciale. Cette ordonnance ne fut
peu après la Révolution de juillet. Moins instruit
pas alors mise a exécution; mais l'impulsion
peut-être que Gouvion Saint-Cyr, mais ayant,
était donnée : l'artillerie, chargée de la confec-
comme lui, beaucoup réfléchi sur la guerre,
tion des armes, fit des expériences sur le système
qu'il avait faite avec autant de supériorité que
Delvigne, et le colonel Poncharra, inspecteur
de succès, doué, d'ailleurs de remarquables fa`-
des manufactures d'armes, parvint à établir une
cultés d'organisateur, le maréchal Soult avait
carabine qui fut jugée satisfaisante; un sabot en
soumis à la sanction royale une série de règle-
bois ajouté à la cartouche s'interposait entre le
ments, encore en vigueur aujourd'hui, sur les
ressaut de la chambre et la balle, qui était forcée
manœuvres et sur les principaux détails du ser-
sans avoir perdu sa forme sphérique. Ainsi se
vice. Il voulut aussi combler la lacune qui lui
trouvait détruite une des principales objections
paraissait exister dans la composition de notre
contre le nouveau système.
infanterie. Une ordonnance rendue sur sa pro-
Ce résultat atteint, le due d'Orléans fit dé-
position (1833) prescrivit la formation de com-
cider la formation d’une compagnie de tirail-
122
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
123
leurs qui reçut un équipement particulier, une
leurs de Vincennes, portaient un uniforme assez
instruction spéciale, et fut pourvue de la cara-
semblable à celui de nos chasseurs actuels, mais
bine Delvigne-Poncharra. Cette compagnie te-
qui différait sensiblement alors de celui de l'in-
nait garnison à Vincennes; commandée par un
fanterie. Les vêtements étriqués, la coiffure,
officier énergique et intelligent, le capitaine De-
lourde avaient été remplacés par une tunique,
lamarre 1, elle était placée sous la direction d'un
un pantalon ample, un shako léger. La double
aide de camp du roi, le général d'Houdetot,
buffleterie blanche, qui présentait un assez bel
qui avait l'expérience de la guerre et qui avait,
aspect, mais qui écrasait la poitrine et ser vait
fait de la question une étude particulière.
de point de mire à l'ennemi, avait disparu; le
Bientôt il partit utile de donner à cette épreuve
sabre et la giberne cessaient de battre dans les
de plus grandes proportions, un caractère plus
jambes et d'entraver les mouvements du soldat;
régulier. Une décision royale du 14 novem-
les munitions étaient portées d'une manière
bre 1838 créa, à titre d'essai, un bataillon de
plus rationnelle, plus commode pour la charge,
tirailleurs.
et qui assurait mieux leur conser vation. L’ar-
Les tirailleurs, qui reçurent le surnom popu-
mement se composait d'une carabine et d'une
laire, encore employé aujourd'hui, de tirail-
baïonnette longue, solide, tranchante, appelée
baïonnette-sabre; garnie d'une poignée, cette
1
Aujourd'hui officier général.
dernière arme pouvait tailler avec une certaine
124
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
125
efficacité; mise au bout du canon, elle fournis-
donnait un résultat important et entièrement
sait une pique redoutable. C'était encore une
nouveau. Le bataillon pouvait entretenir un
objection qui disparaissait; mais comme la ca-
feu efficace et bien nourri aux distances ordi-
rabine Delvigne-Poncharra (que, nous désigne-
naires, et cependant les hommes munis de gros-
rons désormais par son nom réglementaire de
ses carabines, les carabiniers, comme on les
carabine de tirailleur) n'avait pas atteint la
nommait, mêlés aux autres tirailleurs, pou-
portée, du fusil d'infanterie, on munit les
vaient atteindre l'ennemi là où il se croyait à
hommes les plus adroits et les plus robustes
l'abri de leurs balles. Réunis par groupes, les
d'une arme plus lourde, chargée selon les
carabiniers pouvaient produire de puissants
mêmes principes, et qui, grâce à un calibre plus
effets de feu, et constituaient, suivant une ex-
fort, lançait des balles avec justesse à de très-
pression souvent employée, une véritable artil-
grandes distances; on l'appelait fusil de rem-
lerie de main.
part allégé, ou plus habituellement grosse cara-
Le bataillon de tirailleurs se formait sur deux
bine; elle figurait pour 1/8° dans l'armement
rangs, ordre rendu nécessaire par la courte di-
du bataillon. L'introduction dans une même
mension des carabines, adopté d'ailleurs par
troupe de ce double modèle d'armes avait d'as-
quelques armées étrangères, et que plusieurs
sez graves inconvénients, sur lesquels nous re-
tacticiens préféraient à notre formation régle-
viendrons plus tard; toutefois cette disposition
mentaire sur trois rangs. Il manœuvrait en li-
126
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
127
gne, comme tous les autres bataillons d'infan-
ordre. Au contraire, les tirailleurs surent mar-
terie; mais à l'instruction habituelle du fan-
cher en rangs, en armes, sans bruit, sans
tassin on ajouta la gymnastique et les évolutions
confusion, à un pas de course cadencé qu'on ap -
au pas de course, l'escrime de la baïonnette,
pela pas g ymnastique, et qu'ils employaient
une instruction spéciale de tir et une nouvelle
aussi dans les manœuvres. Cette innovation
école de tirailleurs.
était heureuse; elle permet à une troupe d'in-
La gymnastique était depuis longtemps en-
fanterie de se porter plus rapidement sur un
couragée dans l'armée. Lorsqu'on n'en abuse
point important et d'exécuter plusieurs évolu-
pas, elle développe beaucoup les forces des hom-
tions avec la promptitude que la cavalerie ob-
mes jeunes; mêlée à l'instruction des recrues,
tient de la combinaison de deux allures. Dans
elle permet, en augmentant leur adresse, de
les
s'appesantir moins longtemps sur certains dé-
tique s’applique
tails fastidieux. La course faisait naturellement
ments particuliers du bataillon, qui repré-
partie de ces exercices, mais elle n'était pas
sente l'unité en tactique; niais il doit être
admise dans nos manœuvres. Cependant il fal-
employé avec mesure, et il serait regret-
lait quelquefois faire courir les soldats; n'en
table de l’étendre aux mouvements de toute
ayant aucune habitude, gênés par leur équipe-
une ligne .
ment, ils se mettaient dans le plus grand dés-
grandes
manœuvres,
avec
le
succès
pas
aux
g ymnasmouve-
L'escrime de la baïonette plaît aux hommes
128
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
elle augmente leur confiance dans leurs armes
qui pouvaient surgir dans ce genre de combat,
et leur habileté à s'en ser vir.
et il y fut pourvu par une série d'ingénieuses
L'instruction du tir, toujours nulle et insi-
129
dispositions.
gnifiante jusqu'alors, fut créée ou au moins
Dix mois après la décision du 14 novem-
ébauchée; elle fut à la fois théorique et prati-
bre 1838, les résultats obtenus parurent assez
que. Des règles furent données aux soldats pour
satisfaisants, et le bataillon de tirailleurs fut
ajuster, apprécier les distances, se ser vir des
jugé assez instruit pour que sa formation pro-
hausses, et ils faisaient sur le terrain, devant
visoire fût rendue définitive. Une ordonnance
la cible, une application fréquente de ces rè-
du 28 août 1839 le constitua en corps isolé, et
gles. On leur apprit à tirer couchés, à genoux,
il fut envoyé au camp de Fontainebleau. Là,
à profiter des moindres accidents du terrains.
l'agilité des hommes, leur équipement leste et
L'école des tirailleurs se réduit (dans notre or-
commode, leurs manœuvres exécutées tout à la
donnance) à un petit nombre de mouvements
fois avec ordre et rapidité frappèrent tous ceux
simples et bien entendus, mais qui ne répondent
qui les virent. A la fin du camp, le roi vint passer
pas à toutes les nécessités de ce ser vice. Dans le
la revue d'honneur. Quand les tirailleurs défilè-
nouveau bataillon, cette sorte de manœuvres
rent devant lui, il demanda au maréchal Soult,
fut naturellement l'objet d'études spéciales; on
alors président du conseil, ce qu'il pensait de
se rendit compte des principales éventualités
cette nouvelle troupe. « Sire, répondit le maré-
130
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
131
chal avec une certaine vivacité gasconne, mais
création des tirailleurs avait rencontré quelques
aussi avec cet instinct militaire que Napoléon
résistances; elle était encore l'objet de beaucoup
aimait à reconnaître en lui 1, ce n'est pas un ba-
de critiques; ses adversaires les plus modérés se
billon, c'est trente comme celui-là que je vou-
bornaient à la trouver superflue. On disait qu'au
drais voir à Votre Majesté. »
milieu de l'émotion et de la fumée du combat il
Tout le monde cependant ne pensait pas
était impossible d'ajuster; il suffisait que l'arme
comme le maréchal Soult : dans les rangs élevés
fût chargée vite et que la balle allât loin. D'au-
de l'armée, au sein des comités d'armes, la
tres craignaient qu'on ne dénaturât le rôle de
l'infanterie, qu'on ne diminuât sa solidité, sa
1
« C'est la seule tête militaire qu'il y ait en Espagne, »
répondait l’empereur aux plaintes que le colonel Desprez
était allé lui porter à Moscou. (Mémoires du roi Joseph.)
Sans vouloir diminuer en rien ce que ce jugement a
d'honorable pour le duc de Dalmatie, il est permis de
penser que cette espèce de sentence rendue contre les
détracteurs du maréchal Soult fut accompagnée, par Napoléon, de quelques restrictions mentales. En tout cas, le
lecteur doit faire la part de l'irritation bien naturelle de
celui qui la prononçait. Une pareille exclusion ne saurait
s'appliquer à plus d'une bonne tête militaire que la
France comptait alors dans l'armée d'Espagne !
cohésion; que, dans l’armement, on ne sacrifiât
la portée à la justesse; la double munition, la
cartouche compliquée, le tir sans baïonnette
étaient sévèrement blâmés. Faut-il se plaindre
de cette opposition ? Nous ne le pensons pas. Les
modifications apportées aux institutions militaires, à l'organisation du personnel et du matériel des armées, peuvent avoir des conséquences trop graves, peuvent trop influer sur
132
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
133
la destinée des États, pour qu'il ne soit pas in-
qui pouvaient alors si librement se faire jour ?
dispensable de les peser mûrement. Sans doute
Pour le moment, la meilleure réponse qu'on
ces résistances irritent quelquefois, on se plaint
pût leur faire était de soumettre le nouveau
volontiers de la routine; mais le plus souvent la
corps à l'expérience de la guerre. La guerre, en
vérité sort triomphante de la discussion. Et alors
effet, venait de se rallumer en Afrique; le ba-
même qu’une idée juste n'aurait pu trouver sa
taillon de tirailleurs y fut envoyé. L'épreuve
route à travers ce dédale d'examens, comment
réussit. Les hommes formés par leur éducation
ne pas s’en consoler en songeant à la quantité
gymnastique furent promptement rompus aux
d'innovations funestes qui pouvaient être arrê-
marches et aux fatigues; la perfection de leur
tées par cette sage barrière ? La question qui
instruction militaire individuelle fut remarquée
nous occupe ne fut-elle pas éclairée par cette
et produisit d'heureux résultats; le succès des
rigoureuse analyse ? Si cette création avait pu
grosses carabines fut surtout complet; on ad-
se faire plus promptement et plus facilement,
mira la rare adresse d'un grand nombre de ti-
eût-elle été aussi efficace et contenue dans
reurs, entre autres de l'adjudant P istouley.
d'aussi justes limites ? Se fût-on appliqué avec
Embrigadé avec les zouaves, placé sons les or-
autant d'ardeur à la perfectionner, ainsi que
dres du général qui avait préside aux premiers
nous le verrons dans la suite de ce récit,
essais (le comte d'Houdetot), animé d'un très-
sans les critiques dont elle fut l'objet, et
vif esprit de corps, conduit par des officiers
134
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
135
ardents et intrépides, le bataillon eut bientôt
la guerre paraissant imminente, le gouverne-
une excellente réputation, et paya largement sa
ment n'hésita pas à engager sa responsabilité
dette de sang. Son digne chef, le comman-
pour mettre immédiatement l'état militaire de
dant Grobon 1 tomba blessé à l'assaut du Col
la France sur un pied formidable. Les cham-
(mai 1840); un capitaine, M. Vichery, fut tué
bre constitutionnelles, si justement préoccupées
au bois des Oliviers. P lusieurs autres officiers,
de ménager la fortune publique, souvent même
parmi lesquels nous citerons le brave capitaine
parcimonieuses dans les temps ordinaires, ne
Uhrich 2, furent atteints par le feu de l'ennemi.
refusaient jamais leur concours quand il s'agis-
Tandis que les tirailleurs faisaient noblement
sait d'un grand intérêt national. Dans cette oc-
leurs premières armes en Afrique, un terrible
casion, toutes les mesures prises d'urgence par
orage semblait près d'éclater sur l'Europe. Tout
le roi et ses ministres furent sanctionnées par
le monde connaît la crise de 1840; on sait que,
le pouvoir législatif; tous les crédits nécessaires
furent votés. Des milliers d'ouvriers et de soldats élevèrent les fortifications de Paris, qui
1
Ancien officier d'ordonnance du roi Louis-P hilippe,
aujourd'hui général de division.
2
Frère du général Uhrich, qui commande aujourd'hui
une brigade en Crimée, M. Ernest Uhrich, bien jeune
encore, a pris sa retraite comme colonel après la Révolution de février.
changent entièrement, si l'on peut ainsi parler,
la situation stratégique de la France vis-à-vis
de l'Europe; les hommes , les chevaux, affluèrent dans tous les corps; notre matériel fut
136
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
137
complété, remis en état; nos cadres furent aug-
passionnément la France, il avait fait un exa-
mentés de douze nouveaux régiments d'infan-
men approfondi de toutes les questions qui pou-
terie, et de quatre de cavalerie légère; enfin
vaient intéresser sa puissance et sa gloire. Aux
le duc d'Orléans fut chargé d'organiser dix ba-
plus heureuses facultés naturelles, à un fonds
taillons de chasseurs à pied.
de bonnes et fortes études, il avait sans cesse
En acceptant cette mission, le prince royal
ajouté par l'obser vation et le travail; il avait
ne s'était pas dissimulé les difficultés de l’œuvre
beaucoup lu, beaucoup médité sur la guerre; il
qu'il allait entreprendre. Il sentait qu'un
n'avait négligé aucune occasion de la voir et de
homme de son âge serait naturellement accusé
la faire bravement lui-même. L'organisation
d'engouement pour les nouveautés, et que, re-
des armées étrangères lui était aussi familière
mise à ses soins, la création de nouveaux corps
que celle de notre armée même, aux rangs de
paraîtrait cacher quelque arrière-pensée plus
laquelle il était mêlé depuis son adolescence;
politique que militaire; il n'ignorait pas que
pas un mémoire intéressant ne paraissait en
des critiques, sincères chez beaucoup, seraient
France ou hors de France qu'il ne passât sous
envenimées chez d'autres par lesprit de parti;
ses yeux. Il était au courant de tous les progrès,
mais il était convaincu de la sérieuse utilité de
de toutes les découvertes, et il savait en mesu-
la mesure, pénétré de l'importance du ser vice
rer l'importance; son bon sens se défiait sou-
qu'il allait rendre à l'armée et, au pays. Aimant
vent de son imagination très-vive; éclairé par
138
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
139
son instruction militaire, qui était fort étendue,
justes limites, pouvait rendre des ser vices es-
quoiqu'il n'en fit pas parade, il dégageait le
sentiels, il avait obtenu du gouvernement que
vrai du faux. Usant de la légitime influence qui
le nombre des bataillons fût porté à dix, et, pour
appartient dans une monarchie à l'héritier du
ustifier ses assertions par des faits, il se mit
trône, mais n'en usant jamais que dans l'inté-
résolûment à l'œuvre.
rêt publie et n'ayant jamais essayé de l'exercer
On renonça au nom de tirailleurs, qui repré-
au delà des limites constitutionnelles, il propa-
sentait une idée fausse, s'appliquant à un ordre
geait les idées qui lui paraissaient justes avec
de combat commun à toute l'infanterie. Celui
toute lardeur de sa nature, avec le tour d'es-
de chasseurs à pied convenait mieux à un corps
prit le plus vif et la parole la plus animée; car
hors ligne, et indiquait l'objet de l'institution.
rarement on vit tant de qualités séduisantes
On s'était demandé si, à l'organisation par ba-
unies à un mérite aussi solide. C'est lui qui
taillons, on ne devrait pas préférer l'organisa-
avait fait décider la formation du bataillon de
tion par régiments, consacrée par l'usage, mo-
tirailleurs; il l'avait suivi avec attention pen-
dèle de la famille militaire. Au premier système
dant les expériences de Vincennes; il l'avait vu
on reprochait d'exiger la création d'un état-
à l'œuvre en Afrique. Convaincu que le résultat
major particulier pour chaque bataillon, au
de l'épreuve était favorable, que cette création
lieu d'un pour trois, ce qui était plus coûteux,
développée, perfectionnée, contenue dans de
sans présenter les mêmes ressources pour l'ad-
140
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
141
administration et le commandement; on signalait
nécessaires à une nombreuse réunion de trou-
surtout l'insuffisance d'un seul officier supé-
pes. Bientôt On y vit affluer des détachements
rieur, qui pouvait être blessé, malade, absent. A
fournis par tous les corps d'infanterie, compo-
cela on pouvait répondre que les régiments
sés d'hommes lestes et déjà formés, conduits par
de chasseurs n'eussent jamais été réunis, les
des officiers qui devaient prendre part à la nou-
bataillons étant destinés à être attachés isolé-
velle organisation. La constitution des cadres
ment aux divisions de quatre à six régiments
avait été une affaire délicate; beaucoup d'offi-
d'infanterie; et le morcellement perpétuel d'un
ciers jeunes, distingués, pleins d'ardeur, avaient
corps était un inconvénient bien autrement
naturellement désiré d'entrer dans des corps
sérieux que ceux qui avaient été indiqués. On
qui semblaient appelés à un ser vice particulière-
maintint donc la décision prise.
ment actif, et qui devaient être organisés par
Le bataillon formé deux ans plus tôt à Vin-
le prince royal. Pour que la création attînt son
cennes devint premier bataillon de chasseurs.
but, il fallait en effet que les officiers réunissent
Comme il devait ser vir de type à l'organisation
certaines conditions d'aptitude; mais on voulait
des neuf autres, il fut rappelé d'Afrique et di-
aussi éviter de froisser les justes susceptibilités
rigé sur Saint-Omer. Auprès de cette ville exis-
de l'armée, on voulait que tous les éléments dont
taient un baraquement permanent, un vaste
se composent nos cadres fussent représentés
champ de manœuvres et tous les établissements
dans les cadres nouveaux. Le duc d'Orléans
142
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
143
avait bien envisagé les deux faces de la ques-
qu'il avait reçu quelques mois plus tôt sur le
tion, et il sut pourvoir à cette double nécessité
champ de bataille; MM. Faivre, Camou, de
avec un tact parfait. Le corps d'officiers présenta
Bousingen, Mellinet, étaient notés comme des
un ensemble de toutes manières remarquable;
officiers accomplis; M. Forey et Répond
mais la variété des origines et des ser vices de
avaient récemment gagné leurs grosses épau-
ceux qui en faisaient partie était de nature à
lettes en Algérie, ainsi que MM. Clère et Uhrich,
désarmer toutes les rivalités, toutes les jalou-
qui avaient appartenu au bataillon de tirail-
sies. D'ailleurs aucun privilège n'avait été ac-
leurs. Enfin, comme le corps d'état-major se re-
cordé aux chasseurs; les tarifs de solde, les pres-
crute tous les ans parmi les meilleurs élèves de
tations de tout genre étaient pour eux ce qu'ils
l'École militaire, et que les chances d'avancement
sont pour le reste de l'infanterie. Le même es-
y sont moins favorables, on avait profité de la
prit avait présidé au choix des dix chefs de ba-
faculté que donnent les nouvelles organisations
taillon, les uns sortis des rangs, les autres de
pour ouvrir les rangs de l'infanterie à un capi-
l'École militaire. Ceux-ci étaient signalés par
taine d'état-major, M. de Mac-Mahon, signalé
de bons et anciens ser vices, ceux-là s'étaient
par plusieurs actions d'éclat. Il fut mis à la tète
récemment distingués en Afrique. M. de Lad-
du dixième bataillon 1.
mirault, ancien capitaine de zouaves, conservait le commandement du premier bataillon,
1
A l'exception de MM. Uhrich et Clère, dont l'un a
144
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
145
Dès que les détachements et les cadres furent
française. Le due d'Orléans, voulant que sa
arrivés à Saint-Omer, les bataillons furent con-
création fût complète et autant que possible à
stitués, et leur instruction spéciale commença.
l'abri de la critique, s'était fait adjoindre un
Sauf quelques changements que l'expérience
officier général, M. Rostolan, qui avait été
avait indiqués, elle était semblable à celle qu'a-
longtemps colonel d'infanterie, et qui unissait
vait reçue le bataillon de tirailleurs. Les exer-
à de bons ser vices de guerre, anciens et récents,
cices et les manœuvres étaient définis par des rè-
une remarquable capacité administrative; il
glements rédigés sous les yeux du prince royal,
avait, si lon peut ainsi parler, le génie des dé-
et auxquels on avait laissé le caractère provi-
tails. Deux lieutenants-colonels assistaient le
soire, afin de pouvoir les modifier; ils subsis-
général Rostolan, et, comme lui, résidaient
tent à peu près intacts encore aujourd'hui. L'ha-
à Saint-Omer. Un autre lieutenant-colonel
billement, l'équipement se confectionnaient;
avait été chargé de former des instructeurs spé-
ils ont été adoptés depuis par toute l'infanterie
ciaux de tir; à cet effet, on avait réuni à Vincennes un détachement composé de dix officiers
pris sa retraite en 1848, et dont l'autre a été tué glorieusement à la tête de son bataillon, tous ces chefs de
corps sont par venus au grade d'officier général. P lusieurs
exercent des commandements importants en Crimée ou
en Afrique.
et d'un certain nombre de sous-officiers auxquels on avait reconnu une aptitude particulière. Les uns et les autres suivaient un cours
sur les armes à feu portatives professé par un
146
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
147
capitaine d'artillerie, plus scientifique pour les
nes de munition assez semblables à la carabine
premiers, plus simple pour les seconds; l'en-
de tirailleur, améliorées cependant, surtout
seignement pratique était dirigé par les officiers
quant à la portée, et de fusils de rempart allé-
attachés au dépôt de l'ancien bataillon de tirail-
gés, toujours dans la proportions de 1/8; les
leurs. Grâce au bon vouloir de tous, grâce aux
carabiniers, munis de cette dernière arme, for-
ressources que présentaient l'arsenal et le po-
maient la compagnie d'élite de chaque ba-
lygone, cette instruction fut bientôt complète, et
taillon.
devint l'objet d'un manuel sommaire. Initié ainsi
Le duc d'Orléans sur veillait tout, voyait tout
aux principes qui président à la fabrication des
par lui-même. Il passa une partie de l'hiver à
petites armes, à la confection des munitions,
Saint-Omer. Quand d'autres devoirs le rete-
aux règles et à la pratique du tir, ce détache-
naient à Paris, il suivait avec le même soin les
ment fut ensuite dirigé sur Saint-Omer, pour
progrès de sa création, continuait de tout diri-
fournir aux nouveaux bataillons les officiers et
ger, conférait avec des chefs de ser vice, et levait
sous-officiers instructeurs de tir qui devaient
bien des obstacles, moins par l'autorité de son
faire partie des cadres définitifs. Ils rejoignirent
rang que par l'étendue de ses connaissances, la
leurs corps au moment où leur présence y de-
rectitude de son jugement, l'éclat de son esprit,
venait nécessaire, où l'armement venait d'être
la grâce de sa parole. Il fut si admirablement se-
délivré. Cet armements e composait de carabi-
condé, qu'au bout de quelques mois l'œuvre fut
148
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
149
complète; les bataillons étaient équipés, armés,
Hélas ! cette création était un legs fait à la
bien instruits. Par une belle matinée née de
France ! Un an plus tard, au moment même où
printemps (mai 1841), une colonne profonde en-
le duc d'Orléans allait faire exécuter sur une
trait dans Paris avec une célérité inconnue; —
grande échelle un simulacre d'opérations mili-
pas de faux éclat, pas de clinquant; tout était
taires destiné surtout à déterminer le rôle et
leste et martial; des clairons pour toute musi-
l'emploi des nouveaux bataillons, il plut à Dieu,
que; un costume sombre, mais dont la simpli-
dans ses impénétrables desseins, de nous ravir
cité harmonieuse ne manquait pas d'élégance.
le prince sur lequel reposaient de si légitimes
Les bataillons de chasseurs traversaient les rues
espérances. C'est alors seulement que, par un
au pas g ymnastique et venaient recevoir un
pieux souvenir, les chasseurs reçurent le nom
drapeau des mains du roi. Le lendemain, afin
d'Orléans, que la modestie de leur fondateur
de bien marquer le but sérieux de l'entreprise,
n'eût jamais permis de leur donner de son vi-
son caractère tout militaire, quatre de ces ba-
vant. Ils le portèrent glorieusement. Leur no-
taillons partaient pour l'Afrique; les six autres
viciat en Algérie avait été court et facile; leurs
allaient tenir garnison dans nos grandes places
cadres étaient remplis d'officiers qui avaient
de guerre, auprès des écoles d'artillerie, dont
l'habitude de la guerre; les soldats étaient bien
le matériel devait leur permettre d'entretenir
préparés à la rude vie des camps. Dès les pre-
et de perfectionner leur instruction.
miers mois de 1842, les officiers généraux con-
150
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
151
stataient, dans des rapports officiels, la terreur
soulever une grande partie des tribus des pro-
que la précision de leur tir inspirait aux Arabes,
vinces d'Alger et d'Oran : il se faisait passer
et la tombe du duc d'Orléans était à peine fer-
pour le maître de l'heure, sorte de Messie de-
mée, que la belle conduite du sixième bataillon
puis longtemps attendu; mais on l'appelait plus
dans les sanglants combats de l'Oued-Foddah
communément Bou-Maza, le père à la chèvre, à
plaçait les chasseurs au rang des meilleurs trou-
cause d'une chèvre dont il se faisait accompa-
pes d'Afrique. Nous ne les suivrons pas dans
gner, et qui était censée lui ser vir d'intermé-
tant d'actions auxquelles ils prirent une part
diaire avec les puissances surnaturelles. Cet
brillante; nous nous bornerons à rappeler deux
homme montra beaucoup d'habileté et d'au-
faits d'armes qui les ont particulièrement il-
dace; son activité était si extraordinaire, il avait
lustrés.
été vu presque à la fois sur tant de points diffé-
Dans le courant de l'année 1845, un impos-
rents, qu'on doutait de son existence, et qu'on
teur, exploitant la crédulité des Arabes, se ser-
le prit longtemps pour un être fantastique. On
vant avec art de l'organisation d'une confrérie
croyait avoir réprimé l'insurrection; un chériff
religieuse 1 à laquelle il appartenait, parvint à
qui se donnait le même nom venait d'être pris
1
Un de nos officiers les plus versés dans la connaissance de la langue et des mœurs des Arabes, M. Deneveu,
a publié, il y a quelques années, une remarquable Étude
sur les confréries religieuses de l'Algérie, intitulée les
Khouan (les frères).
152
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
153
et fusillé, lorsque le véritable Bou-Maza reparut
pied, inébranlables, quoique sans cartouches,
tout à coup chez les Flittas, une des tribus les
protégeaient le corps du commandant Clère avec
plus belliqueuses de l'Algérie, habitant un pays
leurs terribles baïonnettes-sabres, rouges de
très-difficile. Le général Bourjolly marcha aussi-
sang jusqu'à la douille !
tôt contre le prétendu prophète; mais il avait
Presque le même jour, le huitième bataillon
des forces insuffisantes, et il dut soutenir un
succombait, mais avec gloire, dans une épou-
combat acharné, dont le principal effort porta
vantable catastrophe. Nous occupions depuis
sur le 4 e régiment de chasseurs d'Afrique et le
un an, près des frontières du Maroc, une petite
neuvième bataillon d'Orléans. Ces deux troupes
crique appelée Djemaa-Ghazouat, mouillage
firent des prodiges de valeur; toutes deux per-
fort médiocre, mais le meilleur de cette plage
dirent leur chef. Il fallait entendre les uns et les
inhospitalière et le seul point d'où l'on pût as-
autres parler réciproquement de leurs compa-
surer le ravitaillement des colonnes qui opé-
gnons de gloire et de périls : les uns racontant
raient dans cette partie sans cesse agitée de nos
par quels exploits des chasseurs à cheval avaient
possessions. Bien qu'on y eût déjà créé quel-
sauvé les restes du lieutenant-colonel Berthier 1;
ques établissements, les défenses en étaient à
les autres redisant comment les chasseurs à
peine ébauchées; aussi le commandement en
avait-il été confié à un officier d'une vigueur et
1
Ancien officier d’ordonnance du roi Louis-Philippe.
d'une résolution bien connues, le lieutenant-
154
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
155
colonel de Montagnac. Comme tout semblait
cent cinquante hommes du 8 e d'Orléans. En
tranquille sur la frontière, on avait, pour faci-
vain reçoit-il à son premier bivac les ordres
liter les subsistances et les fourrages, réuni à
de son général : avant de les exécuter, il veut
Djemaa plus d'infanterie et surtout de cavalerie
avoir repoussé l'ennemi. Entraîné par sa bouil-
qu'il n'en fallait pour la défense de ce petit
lante ardeur égaré par de faux renseignements,
poste. Tout à coup on apprend qu'Abd-el-Ka-
il morcelle encore sa troupe, laisse dans son
der a rassemblé des forces nouvelles et qu'il en-
camp le commandant Froment-Coste du hui-
vahit notre territoire. Le général Cavaignac,
tième bataillon, et s'avance avec sa cavalerie,
qui commandait à Tlemcen, s'empresse de con-
soutenue par deux compagnies de chasseurs.
centrer ses troupes : il envoie en conséquence
Bientôt un 'combat inégal s'engage; Abd-el-
des ordres à Djemaa; mais Montagnac était déjà
Kader est là avec tout son monde; à la première
en campagne. Informé que l'émir allait atta-
décharge, Montagnac tombe blessé mortelle-
quer la tribu des Souhalia, qui nous avait donné
ment; en peu d'instants, tous les chevaux, pres-
de nombreuses preuves de fidélité, il avait cru
que tous les hommes sont atteints; le comman-
que l'honneur ne lui permettait pas de laisser
dant de Cognord du 2 e hussards rallie ceux qui
nos alliés sans secours, et, malgré la défense
restent; cette poignée de braves se serre sur un
formelle qui lui en avait été faite, il sortit avec
mamelon, et ne cesse de s'y défendre jusqu'à
soixante-deux cavaliers du 2 e hussards et trois
ce que les munitions soient épuisées. Alors les
156
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
157
Arabes se rapprochant de ce groupe devenu
Restait la compagnie de carabiniers du 8 e,
immobile et silencieux, « le firent tomber sous
commandée par le capitaine de Géreaux. Les
leur feu comme un vieux mur 1. » L'ennemi ne
Arabes vont fondre sur elle de toutes parts. C'est
ramassa que des cadavres et des blessés qui ne
en effet la présence de l'ennemi qui apprend à
donnaient plus signe de vie 2. Avant d'expirer,
Géreaux le danger qui le menace et le désastre
Montagnac avait fait appeler le commandant
de ses compagnons; M'ais son courage ne se
Froment-Coste; ce dernier accourt avec une
trouble pas : il rassemble sa petite troupe, se
compagnie; ce nouveau détachement est entou-
saisit du marabout de Sidi-Brahim, qui est à sa
ré, et, après une héroïque résistance, détruit
portée, et s'y barricade. Il y est aussitôt attaqué
jusqu'au dernier homme 3.
avec fureur. Cependant le feu des grosses carabines décime les assaillants, dont les plus hardis
E xpression d'un témoin oculaire. Voir le rapport du
général (alors commandant) de Martimprey.
2
Blessé et sans connaissance, le chef d'escadrons
Courby de Cognord allait être décapité, lorsqu'un vieux
régulier reconnut l'officier supérieur aux soutaches de
son dolman. On l'emporta ; il se rétablit et fut rendu à la
liberté l'année suivante : il est aujourd'hui officier général.
3
Dans la seconde édition des Annales algériennes,
1
nous trouvons un renseignement qui, bien qu'il soit trèsvague, mérite cependant de fixer l'attention. On aurait lieu
d'espérer que M. Froment-Coste a sur vécu à ses blessures, et qu'il existe encore chez une tribu éloignée du Maroc. Nous pensons que rien ne sera négligé pour éclaircir
ce fait, et, s'il se confirme, pour faire cesser la captivité
de ce brave officier.
158
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
sont renversés à coups de baïonnettes. Abd-el-
plutôt que de vous rendre ! » Sa tête tombe aus-
Kader, qui dirige le combat, le suspend un mo-
sitôt. Deux fois encore la sommation et le com-
ment. Il envoie au capitaine français une som-
bat sont renouvelés; les rangs de nos braves
mation écrite, l'engageant à cesser une lutte
soldats sont bien éclaircis, mais pas un d'eux
inutile, promettant la vie sauve à ses hommes.
n'hésite. Lassé par cette résistance, l'émir, qui
Géreaux lit la lettre aux chasseurs, qui n'y ré-
a déjà perdu plus de monde qu'il n'avait tué de
pondent que par des cris de Vive le roi ! Un dra-
Français le matin, a recours à un moyen qui
peau tricolore fait avec des lambeaux de vête-
lui paraît plus sûr. Il s'éloigne hors de la portée
ments est hissé sur le marabout; on y pratique
des
quelques créneaux à la hâte; on coupe les balles
d'un cordon de postes qui ferme toutes les is-
en quatre ou en six pour prolonger la défense.
sues. Les chasseurs sont sans eau et sans vi-
L'attaque recommence plus acharnée que ja-
vres : ils restèrent ainsi trois jours ! Enfin, le 26
mais, puis le feu s'arrête encore. Le capitaine Du-
septembre au matin, Géreaux remarqua que
tertre, adjudant-major du bataillon, fait prison-
l'ennemi semblait s'être relâché de sa vigilance;
nier quelques heures plus tôt, s'avance vers le
d'ailleurs les hommes étaient épuisés : ils ai-
marabout : « Chasseurs, s'écrie-t-il, on va me
maient mieux mourir en combattant que de
décapiter si vous ne posez les armes, et moi, je
succomber à la faim et à la soif. Géreaux s'é-
viens vous dire de mourir jusqu'au dernier
lance avec sa petite troupe, — soixante-dix
carabines, et
enveloppe
le
159
marabout
160
LES CHASSEURS A PIED.
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161
hommes portant une dizaine de blessés, — fait
ils s'emparent de la hauteur, écrasent d'un feu
une trouée à la baïonnette au travers de la ligne
plongeant les malheureux chasseurs. Géreaux
ennemie, et s'achemine sur la crête d'une chaîne
cependant essaye de continuer la retraite : les
de collines qui le ramène vers Djemaa. L'auda-
débris de sa petite troupe se remettent en mar-
ce de ce mouvement frappe les Arabes de stu-
che, échelonnés en trois petits carrés; mais les
peur; ils redoutent le feu des grosses carabines,
Arabes sont revenus plus nombreux : le lieute-
et se bornent à suivre les Français à distance.
nant Chappedelaine, le docteur Rogazetti, qui
Nos soldats touchent au port; ils aperçoivent
n'avaient cessé de seconder vaillamment leur
déjà l'enceinte de la ville, lorsque quelques-
héroïque chef, sont frappés à mort. Géreaux
uns d'entre eux découvrent un filet d'eau au
tombe à son tour pour ne plus se relever : tout
fond du ravin : tous se jettent aussitôt sur la
est anéanti. De toute la colonne qui avait quitté
source... Ceux qui ont connu les souffrances de
Djemaa le 21, douze hommes seulement furent
la soif savent qu'il est souvent impossible de ré-
recueillis par une sortie de la petite garnison
sister à ce besoin impérieux. En vain Géreaux
qu’y avait laissée Montagnac 1. Mais cette lutte
s'efforce de retenir sa compagnie sur la crête
terrible suffit, malgré sa funeste issue, pour il-
qu'il n'avait cessé d'occuper; les officiers restent seuls et sont forcés de descendre. Les Arabes saisissent ce moment avec un cruel à-propos :
Parmi eux, le caporal Lavaissière mérite de ne pas
être oublié. Seul, il avait pu rapporter ses armes.
1
162
LES CHASSEURS A PIED.
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163
lustrer à jamais le nom de Géreaux et le nu-
quatre à six proportion énorme si l'on songe
méro du huitième bataillon.
que la France n'avait alors que dix de ces ba-
Nous pourrions raconter d'autres épisodes
taillons. Leurs dépôts, qui, séparés, n'eussent
moins sombres. En suivant les chasseurs dans
pas été en mesure de donner aux recrues une
leur carrière africaine, nous les aurions ren-
instruction complète, étaient concentrés à Tou-
contrés à Isly; nous les retrouverions à Zaatcha
louse sous les ordres d'un officier supérieur, et,
et dans bien d'autres journées glorieuses. Agiles,
se prêtant un mutuel concours, n'envoyaient
prompts dans, l'action, ardents dans les atta-
aux compagnies de guerre que des hommes bien
ques, solides dans les retraites, marcheurs in-
formés. Les officiers justifiaient de tous points
fatigables, profitant des accidents de terrain
les choix faits par le prince royal. Nous pour-
avec une rare intelligence, se gardant, s'éclai-
rions en signaler bon nombre qui sont déjà par-
rant à mer veille, et tirant de leurs armes un
venus aux plus hauts grades : l'un d'eux com-
admirable parti, ils réunissaient à un tel degré
mande aujourd'hui l'armée française d'Orient;
toutes les qualités d'une excellente troupe d'in-
mais il faudrait dépasser les bornes de cette
fanterie, que le maréchal Bugeaud et les géné-
étude, car il nous reste à retracer d'autres tra-
raux commandant en Algérie désirèrent en
vaux, d'autres efforts moins éclatants et cepen-
avoir davantage sous leurs ordres. Le nombre
dant non moins utiles,
des bataillons employés en Afrique fut porté
L'armement délivré aux bataillons en 1841
164
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
165
était aussi parfait que le permettait alors l'état
il avait fallu, en quelques mois, confectionner
de la science, mais il laissait à désirer. On était
plusieurs milliers de carabines d'un modèle en-
dans la bonne voie; on n'avait pas atteint le
tièrement nouveau; on n'avait même pas eu le
but. Le duc d'Orléans le savait. Les fusils de
temps de préparer les tables de construction;
rempart allégés étaient de bonnes armes, réu-
aussi, malgré les perfectionnements introduits
nissant des conditions de portée et de justesse in-
par le chef d'escadron Thiéry 1, ces armes ne
connues jusqu'alors; aussi étaient-ils fort en
présentaient pas toutes les qualités désirables.
faveur; et, en Afrique, beaucoup de colonels,
On se remit à l'étude, et l'on établit un modèle
frappés des résultats qu'ils donnaient, cher-
de carabine plus satisfaisant (1842), mais qui
chaient à s'en procurer un certain nombre pour
pourtant n'a jamais été mis en ser vice, de nou-
les confier aux tireurs d'élite de leur régiment.
velles découvertes ayant permis de donner à
Cependant ils étaient d'un grand poids; il leur
l'armement des bataillons l'unité et la puissance
fallait une balle d'un calibre beaucoup plus fort,
qu'on ne cessait de rechercher.
et une confusion dans la distribution des muni-
Nous avons dit qu'avant l'organisation des
tions pouvait produire sur le champ de bataille
chasseurs l'instruction du tir était compléte-
des effets désastreux. Quant aux carabines de
munition, la fabrication de ces armes avait été
un véritable tour de force de nos manufactures;
Aide de camp du duc de Montpensier, mort récemment officier général.
1
166
LES CHASSEURS A PIED.
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167
ment négligée dans l'infanterie. Le soldat brû-
vers bataillons envoyaient un détachement des-
lait tous les ans devant une cible un certain
tiné à leur fournir ensuite des instructeurs
nombre de cartouches à balles; mais on ne lui
spéciaux. Les résultats obtenus ayant été très-
donnait aucun principe, aucune règle : pour
favorables, on étendit cette instruction à toute
faire de son fusil l'emploi le plus décisif, le plus
l'infanterie, et, afin d'accélérer l'exécution de
meurtrier, il était abandonné à son intelli-
cette mesure, des écoles secondaires furent éta-
gence, à son adresse naturelles. En armant les
blies temporairement à Grenoble et à Saint-
chasseurs de carabines de précision, on avait
Omer. Au bout de quelques années, tous les
compris que les leur confier sans leur appren-
régiments. furent pourvus d'un nombre suffi-
dre à s'en ser vir, ce serait mettre un violon dans
sant d'instructeurs, et les exercices de tir, mé-
les mains d'un homme qui ne saurait pas la
thodiquement définis, placés sous la sur veil-
gamme.. On créa donc une instruction de tir,
lance d'un officier général, furent régulière-
mais on n'avait pu la déterminer que par un
ment pratiqués. Ceux qui ont vu par leurs
manuel provisoire et succinct. Il importait de
yeux combien peu de soldats, non pas conscrits,
l'améliorer, de veiller à ce qu'elle fût uniforme,
mais ayant déjà plusieurs années de ser vice,
à ce que les bons principes ne fussent pas alté-
pouvaient faire passer un rayon visuel par trois
rés. A cet effet, on constitua à Vincennes une
points, ceux-là seuls peuvent se rendre compte
école normale de tir, où à chaque année les di-
de futilité de ces dispositions. Mais revenons à
168
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
169
l'école normale de tir, car cette création avait
portée plus grande, mais qu'on avait toujours
encore eu un autre objet : elle devait fournir un
abandonnée à cause de l'incertitude de son tir,
champ d'expériences où tous les perfectionne-
ces deux officiers par vinrent à déterminer, par
ments que peuvent recevoir les petites armes
l'union de leurs recherches et de leurs efforts,
seraient soigneusement examinés, où l'artillerie
la profondeur et l'inclinaison qu'il convenait de
qui les fabrique et l'infanterie qui s'en sert se-
donner aux ra yures en hélices, et à corriger
raient en contact permanent. Le succès, à ce
l'incertitude du tir des balles oblongues ou
point de vue, ne fut pas moins complet, et l'hon-
cylindro-coniques par une disposition ingé-
neur en revient surtout à deux officiers attachés
nieuse qui exerce sur la course de ces projectiles
à cette école, l'un plus savant, l'autre plus pra-
le même effet que les barbes ou pennes sur la
tique, mais tous deux doués de remarquables
course de la flèche. Ils ét ablirent une arme qui
facultés : MM. Tamisier, capitaine d'artillerie,
a reçu le nom de carabine à tige, et qui réunit
et Minié, capitaine d'infanterie.
les conditions suivantes : — calibre celui du
Profitant d'une idée heureuse, émise par le
fusil d'infanterie, ce qui atténue les inconvé-
colonel Thouvenin, pour faciliter le forcement
ments de la double munition, puisque dans un
de la balle, donnant au projectile une forme al-
moment de confusion les deux projectiles pour-
longée, déjà proposée plusieurs fois, et qui per-
raient entrer indifféremment dans les deux ar-
mettait d'obtenir avec de faibles charges une
nies; — portée, à 1,300 mètres les balles oblon-
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LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
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gues lancées par la carabine à tige traversent
bines à tige furent mises en ser vice dans les
deux panneaux de bois de peuplier de 0 m022
bataillons de chasseurs et composèrent seules
d'épaisseur et laissent des empreintes sur le
leur armement.
troisième; — justesse, n'a d'autre limite que
Cette modification essentielle désarmait les
l'adresse du tireur et la bonté de sa vue. Ce
plus graves et les plus convaincus parmi ceux qui
modèle fut définitivement établi et adopté en
avaient critiqué la création des chasseurs. Ce-
1846. Les armes rayées pourront encore re-
pendant, quelque important que fût le progrès,
cevoir, elles reçoivent peut-être aujourd'hui
quel que fût l'éclat des ser vices rendus en Algé-
d'importants perfectionnements 1; mais on peut
rie par ces bataillons, on contestait encore leur
dire que de ce jour le problème a été résolu,
utilité non moins que l'efficacité des nouvelles
que les vrais principes ont été posés. Dans le
armes; on objectait que la guerre d’Afrique était
courant des années 1847 et 1848, les cara1
Nous avons lieu de croire que M. Minié a trouvé
moyen de rendre à la fois la construction de l’arme plus
simple, le chargement plus facile et de diminuer le poids
du projectile, sans altérer la portée ni la justesse. La diminution de poids du projectile est un résultat fort important; l'inconvénient de ne pouvoir transporter dans
un caisson qu'une quantité relativement minime de mu-
nitions peut avoir, en effet, des conséquences sérieuses.
Nous rappelons encore que nous avons cru devoir éviter
ici, soit les détails purement scientifiques, soit des définitions qu'il serait peut-être inopportun de rendre trop publiques. A ceux qui voudraient faire de la question une
étude plus approfondie, nous recommanderons le Cours
sur les armes à feu portatives, par M. Panot. (Paris. —
Dumaine. — 1851.)
172
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
173
une guerre de tirailleurs, et qu'elle n'avait pas
une tendance plus récente, on cherche à les
d'analogie avec les sièges qu'il faudrait faire, avec
transformer en grands camps retranchés : An-
les grandes batailles qu'il faudrait livrer sur le
vers en Belgique, Fredericia en Danemark,
continent. Ceux qui avaient bien réfléchi sur la
Bude et Comorn en Hongrie, Peschiera, Man-
question étaient d'un avis contraire, et pen-
toue, Venise, Vérone et Rome en Italie, Silistrie
saient que l'épreuve d'une guerre européenne
et Sébastopol en Orient. Aussi les bataillons de
serait encore plus favorable, encore plus con-
chasseurs n'eurent-ils pas à souffrir de la dé-
cluante. Le siège de Rome leur fournit de bons ar-
faveur qui pouvait s'attacher à leur origine et
guments. Les chasseurs, avec leurs armes rayées,
au nom qu'ils avaient porté. Leur nombre a
y rendirent d'immenses services, et il devint
été accru récemment; la France en compte au-
évident que leur existence et leur perfectionne-
jourd'hui vingt et un.
ment modifiaient les conditions d'attaque et de
Au dehors, ils ne furent pas moins bien ap-
défense des ouvrages fortifiés. On comprendra
préciés. Toutes les puissances qui avaient des
l'importance de ce fait, si l'on veut examiner le
troupes du même nom ou du même ordre se
rôle que les fortifications ont joué dans tous les
sont efforcées de perfectionner sur cet exemple
événements de guerre accomplis en Europe de-
leur organisation et leur armement. La Russie
puis 1815, soit que l'on considère les places
a fait fabriquer un nombre considérable de fusils
sous le point de vue ordinaire, soit que, suivant
rayés. L'Angleterre pourvoit toute son armée
174
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
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du Minié riffle, dont le nom a si longtemps
leur existence, et c'est là le grand côté, le côté
préoccupé nos alliés 1. C'est un des derniers ser-
entièrement nouveau de cette création. Dans le
vices rendus par le due de Wellington à son
sein de notre armée, elle a produit des résultats
pays. « Nous avons adopté les nouvelles armes,
immédiats : l'infanterie a reçu une instruction
disait-il peu de temps avant sa mort à de jeu-
nouvelle qui substituera un feu plus efficace à
nes Français; mais nous n'entendons pas pour
ces tireries dont le maréchal de Saxe se moquait
cela transformer notre infanterie en infanterie
déjà dans son piquant langage; les manœuvres
légère. » L'illustre vieillard avait bien jugé la
sont devenues plus rapides; l'uniforme et l'é-
question.
quipement ont été rendus plus commodes, plus
Nos bataillons de chasseurs ne sont pas seule-
légers, bien qu’il y ait encore plus d'un pro-
ment une parfaite infanterie légère, ils sont
grès à faire pour les adapter entièrement au
une excellente troupe de ligne; par la puissance
métier du soldat. Il serait peut-être bien outre-
de leur feu, ils peuvent produire dans les sièges
cuidant de vouloir prophétiser l'avenir des ar-
et dans les batailles des effets inconnus avant
mes rayées, de prétendre indiquer, par exemple, les modifications qu'elles peuvent forcer
d'introduire dans le matériel et l'emploi de
1
Beaucoup d'Anglais considéraient le brave commandant Minié comme un Mythe, d'autres le croyaient une
espèce de Barnum américain.
l'artillerie; nous dirons seulement que leur portée est au moins double de la portée de but-en-
176
LES CHASSEURS A PIED.
LES CHASSEURS A PIED.
blanc des pièces de campagne, et que la por-
l'infanterie française, qui réunit les qualités
tion des corps qui en sont pourvus augmente
des races du Nord et des races du Midi, la soli-
chaque jour dans les armées actuellement en-
dité, la fermeté des unes, l'élan et l'ardeur des
gagées. La création des bataillons de chasseurs,
autres; c'est la nation armée, in pedite robur.
si bien comprise, si heureusement exécutée,
reste un événement important dans l'histoire
militaire. Consacrée par la valeur et l'intelligence des officiers et des soldats français, elle a
été le signal et la source de progrès étendus et
rapides. Un de ces bataillons attaché à chaque
division d'infanterie ajoute une force nouvelle
à cette belle institution de nos armées républicaines, maintenue, mais un peu dénaturée,
sous l'Empire, par l'abus des corps d'armée, —
division qui est restée la base de notre grande
organisation de guerre, et qui rappelle avec
avantage l'immortelle légion romaine. Ainsi se
trouve complété cet admirable ensemble de
FIN
177
TABLE
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. . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
L ES Z OUAVES . . . . . . . . . . . . . . . .
9
L ES C HASSEURS A PIED . . . . . . . . . . . .
91
P RÉFACE
Numérisation. Juillet 2002.
Elche Studio Graphique - 39, Avenue des Vosges -67000 Strasbourg.
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