LA CONSCIENCE (L, ES, S) :
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LA CONSCIENCE (L, ES, S) :
LA CONSCIENCE Problématique : 3 thèses : Thèse 1 : L’âme est une substance. A. L’âme est une substance individuelle. B. La conscience comme substance pensante une et indivisible. Thèse 2 : La conscience n’est pas une substance. A. L’identité c’est la mémoire. B. La conscience dépend surtout de ce qu’elle oublie. Thèse 3 : L’identité de la conscience c’est la liberté. A. La conscience est face à ses responsabilités B. L’existence précède l’essence. CONCLUSION Problématique : Nous avons tous vécu ce que l’on nomme un cas de conscience : cette expérience témoigne du fait que nous avons un pouvoir de décision qui peut à tout moment avoir besoin de se déterminer malgré des circonstances peu favorables. Ainsi si je suis forcé de porter un faux témoignage sous peine de mort, malgré ces terribles circonstances, je sais néanmoins que je dois faire un choix. On peut se demander toutefois dans quelle mesure la conscience n’est pas en vérité déterminée à son insu et si en vérité tout choix n’est pas qu’une illusion ? Que ce soit par son histoire ou par ses pulsions primaires inconscientes ou même par le simple instinct de survie, tout porte à croire que l’individu n’a en vérité que bien peu de pouvoir sur les choses. Se pose alors la question de savoir si la conscience est véritablement quelque chose, une et indivisible, substance indépendante de la nature ou bien si elle n’est qu’une forme déterminée de la nature qui aurait juste l’illusion d’être indépendante. Avons-nous une identité intérieure immuable et indépendante ? La conscience est-elle source de certitude ou bien source d’erreurs et de préjugés, à commencer par le préjugé de notre identité, de notre indépendance et de notre liberté ? 3 thèses : Thèse 1 : La conscience existe par elle-même, elle se détermine seule face à la nature. Elle est donc SUBSTANCE, c'est-à-dire la seule cause de ses actes (cause première). Elle est donc libre et responsable d’elle-même. Thèse 2 : La conscience est la source de nos préjugés, elle n’en finit pas de douter. Nous sommes déterminés par nos habitudes, par nos traditions, par notre culture et par nos origines sociales. La liberté n’est donc elle-même qu’une illusion. Thèse 3 : La conscience est fondamentalement néantisation ou négation de la nature et de toute forme de déterminisme. L’existence précède l’essence. Thèse 1 : L’âme est une substance. La conscience existe par elle-même, elle se détermine seule face à la nature. Elle est donc SUBSTANCE, c'est-à-dire la seule cause de ses actes (cause première). Elle est donc libre et responsable d’elle-même. A. L’âme est une substance individuelle. - Si la conscience existe par elle-même, indépendamment de toute autre chose et si elle n’est donc déterminée que par elle-même, alors elle est ce qu’on nomme une substance. C’est pourquoi selon Aristote l’âme est une substance individuelle qui fait se mouvoir notre corps, et qui fait exister les êtres vivants que nous sommes. Tout être vivant a une âme, mais l’homme est doué de raison : il doit délibérer pour agir. La thèse d’Aristote semble donc défendre l’idée que nous sommes fondamentalement libres, puisque nous devons délibérer, décider par nous-mêmes. Seulement par ailleurs selon Aristote nous sommes soumis à un ordre universel qui nous dépasse et qu’il faudrait pourtant pouvoir saisir afin de prendre des décisions justes. Donc si notre devoir est de contempler les principes universels afin de toujours prendre les bonnes décisions, malheureusement nous devons objecter ceci : - Ces principes peuvent sembler si lointains et difficiles à mettre en évidence, qu’on se demande alors si la raison n’est pas fondamentalement défaillante. Or puisque la liberté c’est la capacité à délibérer selon la raison, alors nous ne sommes pas libres. Or s’il existe des substances qui ne sont pas libres, il reste que ce qui est libre est forcément substance. Donc dans ce cas l’âme n’est pas une substance, elle n’est rien en vérité. - Quand bien même aurions-nous tous la capacité de nous élever au plus haut niveau de contemplation, nous n’aurions plus alors aucune délibération à conduire car nous serions tous spontanément raisonnables et donc heureux dans la soumission à l’ordre divin 1 et donc la conscience n’aurait jamais à s’éprouver comme, par exemple, dans le cas de conscience. - Aristote présuppose l’existence d’un ordre universel, alors que cet ordre c’est justement ce qu’il cherche. Il place au début de ses recherches ce qu’il veut trouver en conclusion. Notons toutefois qu’il est le premier à avoir montré que c’était… une erreur logique.2 Il semble donc que la conscience soit très peu assurée de ses propres questionnements et l’on voit mal alors comment la définir ainsi comme une substance : car une substance c’est ce qui existe par soi-même. - Par conséquent rien ne nous garantit que tout n’est pas chaotique (sans ordre) dans la nature et que l’ordre n’est pas qu’une projection de notre propre façon de vivre selon une certaine organisation politique et hiérarchique. La conscience est alors d’abord une source de préjugés. 1 Au passage on notera que du même coup la liberté devient seconde par rapport à la science, puisque la finalité de la science serait de démontrer que tout est nécessairement déterminé et donc... qu’il n’y a pas en vérité de liberté. 2 N’oubliez pas qu’un philosophe doit toujours en venir tôt ou tard à assumer le problème du commencement de la connaissance. Cette contradiction est donc la marque de notre tragique ignorance : faut-il pour autant céder au scepticisme d’un philosophe comme Pyrrhon ( 4ème sicle av. JC.) selon lequel il n’y a pas de vérité universelle ? B. La conscience comme substance pensante une et indivisible. Toutefois on ne peut pas retirer le fait que la conscience est toujours conscience d’ellemême. C’est pourquoi, même si toutes les recherches d’Aristote nous laissent sur un doute que l’on pourrait reconduire à l’infini, selon Descartes nous pouvons sortir du doute à partir du moment où nous comprenons que la pensée est nécessairement substance pensante. Arguments : Que puis-je dire de ma pensée sinon que Je pense ? Je peux dire beaucoup de choses d’un morceau de cire, de la nature, des hommes, des animaux, de l’âme, de Dieu, bref de tout ce que je perçois, crois, imagine et sens. Mais de ma pensée, hormis le fait qu’elle pense, je ne peux rien dire de plus. C’est pourquoi elle est toujours UNE au sens d’IDENTIQUE à elle-même. Afin de renforcer cette démonstration Descartes prend l’exemple d’un morceau de cire qu’il perçoit en face de lui. Ce dernier est d’abord solide, puis il est fondu. Lorsqu’il est solide il est dur, il sent encore l’odeur du nectar des fleurs d’où il a été extrait, il renvoie un bruit quand je tape dessus. Lorsqu’il est fondu, toutes ses caractéristiques ont changé. En somme : en lui-même, d’après mes sens, il n’est pas UN, mais plusieurs aspects différents. Pourtant je dis que c’est le MEME morceau cire. Pourquoi ? Parce que ma pensée est identique à elle-même : elle n’est rien d’autre que de la pensée. La preuve est faite, selon Descartes, que la conscience est d’abord IDENTITE. Or puisque l’identité est le un principe de toute connaissance, la connaissance trouve son fondement dans la nature même de notre conscience.3 L’identité c’est la conscience et la conscience c’est l’identité. Toutefois cette argumentation de Descartes peut sembler peu convaincante face à quelques arguments décisifs : - lorsque je suis insomniaque, ma pensée n’est pas une, elle vogue seule et sans aucune cohérence. Alors que suis-je lorsque ma pensée n’est plus cohérente ? A ce moment là la pensée ne peut pas être qualifiée de substance et donc elle n’est pas du tout identique à ellemême car elle change d’un instant à l’autre sans aucune liaison. - La notion d’identité n’est-elle pas simplement le résultat de mes expériences passées et donc le fruit de ma mémoire ? Pourrais-je seulement être conscient sans mémoire ? 3 Penser aussi à l’exemple du bateau de Thésée qui était perpétuellement réparé et dont les sophistes d’Athènes se demandaient, au fur et à mesure que les pièces en étaient modifiées ou remplacées, s’il s’agissait encore du même bateau. Thèse 2 : La conscience n’est pas une substance. La conscience est la source de nos préjugés, elle n’en finit pas de douter et elle est déterminée par son environnement, sa mémoire et par son histoire individuelle. A. L’identité c’est la mémoire. a. Hume VS Descartes : Nous n’avons aucune certitude sur l’identité de notre conscience. L’identité est un principe que nous construisons sur la base de la fréquence et de la répétition de nos expériences sensibles. Ce qui permet de dire que la cire est UNE c’est tout simplement notre… mémoire. b. La conscience n’a pas la moindre preuve qu’elle est une et indivisible. En vérité nous nous déterminons d’abord dans la différence, et non dans l’identité. Je ne suis pas le même selon l’endroit où je suis, selon la personne avec laquelle je parle. Dans un hôpital de borgnes je suis une personne qui a deux yeux, à l’école je suis l’élève Chaprot, à la maison je suis l’enfant et au travail je serai M. Chaprot, directeur des exportations de patates frites. c. La pensée n’a pas d’unité : quand nous réfléchissons honnêtement et rigoureusement, nous nous trouvons face au doute, nous nous apercevons que rien n’est acquis, que tout peut changer d’un instant à l’autre : il se pourrait que demain je sois un nazi, comme tous ces hommes qui, se croyant bons, sont pourtant devenus méchants. Quand nous ne réfléchissons pas, alors nous commençons à avoir des certitudes : ce sont en fait des illusions issues de notre orgueil. Cela permet aussi de rendre la vie plus supportable. Remarque amusante et limitation : pour Hume tout philosophe qui pense avoir découvert quelque chose de ferme et de constant, se comporte en vérité tel l’idiot qui croit que ses opinions sont véritables. Il n’y a pas de différence entre ce genre de philosophe et n’importe quel imbécile. Autre remarque amusante et limitation : Hume est donc un imbécile, selon ses propres dires, puisqu’il se croit certain de ce qu’il affirme… c’est toujours le même problème avec les sceptiques : ils prétendent pouvoir affirmer universellement qu’il n’y a pas d’universel. Afin d’échapper à cet inévitable échec de toute thèse sceptique nous pouvons toutefois conserver de Hume l’idée que la conscience se structure selon une histoire individuelle grâce à sa mémoire. Seulement, cela va de soi, non seulement nous ne pouvons pas tout retenir, mais de surcroît nous ne retenons que ce qui nous arrange pour pouvoir vivre en société. Seulement il apparaît que ce que nous refoulons est tout aussi déterminant que ce que nous retenons. Ainsi la conscience n’est pas seulement déterminée par sa mémoire, mais aussi par ce qu’elle oublie. B. La conscience dépend surtout de ce qu’elle oublie. Nous n’avons accès qu’à l’aspect le plus superficiel de notre existence et celui-ci est déterminé en profondeur par notre histoire. Seulement, afin de pouvoir vivre en société, la partie la plus déterminante de notre identité est cachée : il s’agit de nos pulsions primaires ou, plus largement, du désir. (voir cours sur le désir). Cependant nous avons cette capacité à refouler tout désir incompatible avec un libre épanouissement dans un monde fait de culture et non de simples rapports de force primaires. Toutefois il est évident que les pulsions primaires sont toujours déterminantes et à notre insu. De ce point de vue on peut rapprocher Freud avec Spinoza : En effet selon Spinoza la liberté n’existe pas vraiment car nous faisons partie d’un monde où tout est déterminé : ce n’est pas parce que je suis conscient d’agir que mon action est déterminée par cette même conscience. Toutefois nous pouvons augmenter nos connaissances afin de maîtriser ce qui nous détermine à notre insu. Donc il y a une liberté à conquérir par la connaissance de soi. Or ce que propose Freud avec la psychanalyse, c’est un moyen de mieux se connaître soi-même. Difficulté : Si pour vivre en société il faut savoir refouler dans l’inconscient nos pulsions primaires, comment ne pas risquer de devenir insociables si on va trop fouiller dans notre inconscient ? Y a-t-il une ignorance nécessaire ? Faut-il admettre que tout n’est pas bon à savoir ? Mais alors nous sommes condamnés à limiter notre capacité à nous connaître et donc à nous auto-déterminer ? Spinoza est de ce point de vue plus intéressant que Freud car il offre une solution : notre conscience n’est certes pas fondamentalement libre, mais puisqu’elle a la capacité de progresser dans l’ordre de la connaissance elle peut se rapprocher de l’être libre qu’est Dieu. Du coup il n’est pas nécessaire d’aller chercher dans notre inconscient ce qui nous détermine, c'est-à-dire dans nos pulsions primaires. Il faut au contraire comprendre le fonctionnement général de l’univers afin de mieux agir pour soi-même : se connaître soi-même, cela passe d’abord par la connaissance du monde et de Dieu. Toutefois avec Freud comme avec Spinoza nous perdons définitivement toute idée d’une souveraineté de la conscience sur elle-même. Or la conséquence morale d’une telle perte c’est l’échec du principe de responsabilité : comment être tenu pour responsable si, de toute façon, tout est déterminé, que ce soit par la structure du monde créé par Dieu ou par notre histoire individuelle et notre inconscient ? La conscience n’est-elle pas d’abord et avant tout cette pensée qui de toute façon se refuse à se laisser déterminer ? Est-ce que le simple fait de pouvoir dire NON n’est pas la marque de notre capacité immanente à nier en nous toute forme de déterminisme ? Thèse 3 : L’identité de la conscience c’est la liberté. La conscience est fondamentalement néantisation ou négation de la nature et de toute forme de déterminisme. A. La conscience est face à ses responsabilités Sartre s’est opposé à Freud pendant toute sa vie. Il s’est aussi opposé à toute conception transcendante (Divine) de la conscience. Pour lui en effet la conscience n’existerait pas si nous n’étions pas fondamentalement libres, c'est-à-dire absolument déterminés uniquement par nous-mêmes : c'est-à-dire sans aucun déterminisme pour excuser nos actes. La psychanalyse n’étudie que des mécanismes qui n’ont aucun rapport avec la conscience mais simplement avec notre corps. Elle n’est qu’une technique médicale. Par ailleurs la foi et la recherche de Dieu n’est qu’un moyen pour s’oublier soi-même et oublier en vérité le monde face auquel nous sommes et face auquel nous devons agir concrètement (donc on abandonne tout espoir de contemplation et d’élévation de l’âme au niveau de Dieu). La conscience n’est ni déterminée par Dieu ni par la Nature ni par quoi que ce soit d’autre qu’elle-même. Elle se détermine toujours par une négation de la nature : être conscient c’est toujours faire abstraction des choses elles-mêmes. Percevoir CE stylo ce n’est pas la même chose que le voir. S’il est sur la table mais que je n’y prête aucune attention particulière, alors je ne fais que le voir : l’information arrive dans mon cerveau, mais je n’y prête guère attention. De même si je marche dans la rue et que je vois ce poteau, je l’évite, machinalement : à ce moment là je ne suis pas différent de mon chat, je fais partie des choses. Mais si je commence à désigner ce stylo, à en parler ou si je regarde le poteau et que je dis « c’est un poteau électrique », là je suis plus simplement dans le voir. A ce moment là je donne à l’objet une fonction et une place tout en le désignant par un nom. Je distingue donc le poteau de moi-même et de tous les autres objets (et je ne fais donc plus partie des choses), alors que lorsque je marchais, je n’y pensais même pas. B. L’existence précède l’essence. La conscience n’est donc ni identité ni simplement différence car elle se détermine toujours en fonction de ce à quoi elle fait attention ou pas. JE suis donc uniquement ce que JE fais. Si je vole le stylo, c’est d’abord parce que je suis capable de l’appréhender comme objet de valeur appartenant à quelqu’un et donc parce que je me reconnais moi-même comme n’étant pas une simple chose déterminée. Donc je sais toujours ce que je fais et j’en suis pleinement responsable parce que je ne suis déterminé que par moi-même. C’est pourquoi « L’existence précède l’essence », selon Sartre : mon essence, c’est ce que je fais dans mon existence. Le lâche qui prétend être, tout au fond de lui, un homme courageux, confirme en vérité sa lâcheté : il n’assume pas ses actes. On ne peut pas concevoir la responsabilité des individus si l’on croit que l’on est déterminés par une identité intérieure, une histoire ou même une structure de pulsions ancestrales4. NB : Sartre ne dit pas que les pulsions n’existent pas et que nous ne sommes jamais déterminés par la nature. Il dit simplement que lorsque nous sommes déterminés par la nature ou par nos pulsions c’est nous-mêmes qui avons décidé de nous laisser porter dans l’insouciance et l’irresponsabilité, l’absence de conscience. CONCLUSION La conscience existe uniquement par elle-même car ce qui la caractérise c’est d’être consciente d’elle-même. Bien sûr elle peut se tromper et même le plus souvent elle est dans l’erreur ou dans l’illusion car elle se crée bien plus de croyances qu’elle n’a de véritable certitude. Mais quoi que l’on en dise, il semble impossible de réfuter une chose : nous sommes certains d’être conscients de nous-mêmes. Du coup la conscience est libre. Mais cette liberté est si grande qu’elle peut aussi bien se nier elle-même : je peux m’abrutir en faisant un footing pendant des heures jusqu’à devenir l’équivalent d’un hamster dans sa cage. Du coup la conscience n’est pas une substance, c'està-dire quelque chose qui perdure dans le temps. On peut même dire qu’elle n’existe que dans sa capacité à agir dans le temps, à prendre des décisions et même à se tromper bien souvent parce qu’elle n’a d’accès au réel que distant et médiat. Certes nul ne peut nier que nous sommes déterminés, que ce soit par la nature ou bien par notre culture, notre éducation et par notre inconscient et nos pulsions primaires. Toutefois tout ceci n’est déterminant que lorsque nous ne sommes plus vigilants, attentifs, c'est-à-dire lorsqu’à proprement parler nous faisons un effort de prise de conscience de ce que nous sommes en train de faire. Dès que nous portons notre attention aux choses, dès que nous décidons de devenir vigilants et attentifs, par exemple aux conséquences de nos actes pour les autres, alors nous sommes face à la nécessité de faire un choix (libre) : soit nous nous laissons porter par la nature, soit nous agissons autrement… dans tous les cas nous sommes seuls à décider de notre identité, de ce que nous devenons, de notre destin. 4 Qui remontent à la petite enfance.