Pourquoi les garçons n`aiment pas le rose ? Pourquoi les

Transcription

Pourquoi les garçons n`aiment pas le rose ? Pourquoi les
01 Intérieur ROUYER
27/09/10
13:11
Page 25
Anne Dafflon Novelle
Pourquoi les garçons n’aiment pas le rose ?
Pourquoi les filles préfèrent Barbie à Batman ?
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
À un moment de leur développement, les enfants deviennent très préoccupés par le fait de respecter les codes sexués en vigueur dans la société :
le rose, c’est pour les filles ; un garçon, ça ne pleure pas, etc. Quel parent
n’a pas remarqué une évolution dans le comportement de son enfant : le
petit garçon refuse de porter le blouson bleu marine de sa grande sœur, sous
prétexte qu’une petite fleur est brodée sur l’une des poches ; la petite fille ne
veut pas se déguiser en chevalier pour le carnaval ; voilà autant de situations
auxquelles peuvent être confrontés des adultes face à des jeunes enfants.
Comment peut-on expliquer cette phase dans le développement des
enfants ? La recherche présentée dans ce chapitre a pour but d’y apporter
une réponse en lien avec la notion de construction de l’identité sexuée.
Construction de l’identité sexuée
Il est important de souligner que pour les enfants le sexe d’un individu
est tout d’abord défini de manière socioculturelle. En effet, les enfants sont
convaincus que l’on est un garçon ou une fille en fonction des comportements, attitudes et apparences que la société attribue à chaque sexe (avoir
des cheveux courts ou des cheveux longs, porter une jupe ou un pantalon,
jouer aux petites voitures ou à la poupée, etc.). Ce n’est que vers l’âge de
Anne DAFFLON NOVELLE, docteur en psychologie sociale, Association lab-elle
([email protected] ; www.lab-elle.org).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Perception des codes sexués
et construction de l’identité sexuée
chez des enfants âgés de 3 à 7 ans
26
27/09/10
13:11
Page 26
GENRE ET SOCIALISATION DE L’ENFANCE À L’ÂGE ADULTE
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
5-7 ans, avec l’acquisition de la constance de genre, que les enfants intègrent que le sexe d’un individu est, d’une part, stable à travers le temps et
les situations, d’autre part, déterminé biologiquement par l’appareil génital.
Le sexe est, avec l’âge, l’une des premières catégories sociales qui est intégrée par les enfants pour comprendre le monde qui les entoure. Âgés de
quelques mois, les bébés sont déjà capables de différencier les humains sur la
base de leur sexe, bien avant de pouvoir verbaliser cette distinction. Puis, à tous
les stades de leur développement, les enfants construisent activement pour euxmêmes ce que signifie être de sexe masculin ou être de sexe féminin. Il ne s’agit
en aucun cas d’un simple apprentissage (Golombok et Fivush, 1994).
Kohlberg (1966) a décrit les stades par lesquels passent les enfants avant
de se rendre compte que le sexe est une caractéristique stable chez les individus. Âgés d’environ 2 ans, les enfants sont capables d’indiquer de manière
consistante le sexe des individus en se basant sur différentes caractéristiques
extérieures comme l’apparence physique (habillement, coiffure), les comportements, les attitudes, les activités (stade 1 appelé identité de genre). Par
exemple, si un enfant a intégré qu’une personne avec des cheveux longs est
une femme et qu’une personne avec des cheveux courts est un homme, il va
estimer, en voyant un homme avec des cheveux longs, qu’il s’agit d’une
femme. Puis vers 3 ou 4 ans, les enfants ont compris que le sexe d’un individu est une donnée stable au cours du temps (stade 2 appelé stabilité de
genre). Ils ont intégré que les filles deviendront des femmes et que les
garçons deviendront des hommes. Cependant, à ce stade, le sexe n’est pas
encore une donnée stable par rapport aux situations. D’après les enfants, un
individu engagé dans une activité typique du sexe opposé peut changer de
sexe. Par exemple, un garçon qui porte une robe et joue à la poupée devient
une fille, mais s’il remet son pantalon et joue aux voitures, il redevient un
garçon. Ce n’est que vers 5-7 ans que les enfants comprennent que le sexe
est une donnée biologique, immuable à la fois au cours du temps et indépendamment des situations (stade 3 appelé constance de genre). Il faut
cependant insister sur le fait qu’au sein de cette troisième étape, les enfants
vont progressivement atteindre le stade de constance de genre. Dans un
premier temps, les enfants vont comprendre que même en adoptant le
comportement socialement dévolu à des enfants du sexe opposé, ils restent
néanmoins des enfants de leur propre sexe. Puis, ce même constat va
s’étendre aux membres de leur entourage : si un petit camarade de la crèche
se déguise avec une robe de princesse, il ne deviendra pas pour autant une
fille, mais restera bien un garçon. Cependant, le stade de constance de genre
n’est totalement atteint que lorsque les enfants sont capables de généraliser
le même raisonnement pour des personnes qui leur sont totalement inconnues, comme on le verra dans la recherche présentée ci-après.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
01 Intérieur ROUYER
01 Intérieur ROUYER
27/09/10
13:11
Page 27
PERCEPTION DES CODES SEXUÉS ET CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ SEXUÉE
27
On remarque donc que les indices socioculturels relevant du masculin et
du féminin sont fortement utilisés par les enfants durant leurs premières
années de vie. Mais comment ces connaissances sont-elles construites ?
Comment les enfants arrivent-ils à mettre des étiquettes « c’est pour les
filles » ou « c’est pour les garçons » aux différents éléments de leur environnement ?
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Les recherches portant sur les connaissances des enfants en matière de
codes sexués montrent que ces derniers les acquièrent très rapidement dans
leur développement. Dès 2-3 ans, les enfants ont déjà des connaissances
substantielles sur les activités, professions, comportements et apparences
stéréotypiquement dévolus à chaque sexe. Par exemple, les enfants savent
que pompier ou mécanicien sont des professions d’hommes et qu’infirmière
ou institutrice sont des professions de femmes. Par profession d’hommes ou
de femmes, on entend des professions statistiquement plus souvent exercées
par des individus d’un sexe que de l’autre. De même, vers 2-3 ans, les
enfants ont adopté pour eux-mêmes la plupart des activités et des attributs
de leur propre sexe : jouets, habits, accessoires, comportements, activités,
loisirs, émotions, etc.
Comment des enfants si jeunes sont-ils capables de construire ce
vaste réseau de connaissances sexuées ?
Plusieurs théories rendent compte de la construction de l’identité sexuée,
et à part les théories d’orientation psychanalytique, toutes font la part belle
à l’influence de l’environnement social dans lequel baignent les enfants dès
leur plus jeune âge pour rendre compte de l’adoption par les enfants des
rôles et autres codes sexués (pour une revue, voir Rouyer 2007).
Actuellement, malgré le concept d’égalité des chances en vigueur, on ne
peut pas considérer que les filles et les garçons soient socialisés de manière
similaire, tant à travers les institutions de socialisation, comme la sphère
familiale, les espaces de vie enfantine, l’école, qu’en fonction des objets de
socialisation mis à la disposition des enfants dès le berceau, comme les
jouets, les habits, les équipements sportifs, etc. ; par ailleurs, les représentations du masculin et du féminin proposées aux enfants sont encore largement empreintes de stéréotypes de genre, que cela soit à travers les albums
illustrés, les dessins animés, la publicité, les manuels scolaires, l’art, etc.
(pour une revue, voir Dafflon Novelle 2006).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Connaissances des codes sexués
28
27/09/10
13:11
Page 28
GENRE ET SOCIALISATION DE L’ENFANCE À L’ÂGE ADULTE
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Le comportement différencié que les parents, et toute autre personne en
lien avec le bébé, adoptent en fonction du sexe de l’enfant va influencer le
développement de ce dernier. En effet, de manière générale, les adultes
encouragent les enfants à se conformer au rôle de leur sexe et ils les découragent lorsqu’ils s’engagent dans des activités stéréotypiques du sexe
opposé. Ainsi, le comportement sera modifié en fonction de ses conséquences : il sera plutôt répété par l’enfant ayant reçu un renforcement positif et plutôt abandonné si l’enfant n’a reçu aucun encouragement ou un
renforcement négatif. Vers 3-4 ans, la plupart des enfants ont déjà appris à
éviter les activités du sexe opposé et leur attention est plutôt centrée vers
les activités de leur propre sexe. Signalons toutefois que cette socialisation
différenciée n’est pas forcément effectuée de manière consciente par les
adultes, au contraire, ceux-ci sont convaincus d’agir de manière égalitaire
envers les filles et les garçons.
Cependant, il faut relever que les enfants des deux sexes ne reçoivent pas
le même feed-back des adultes lorsqu’ils adoptent un comportement contrestéréotypique. Les garçons sont beaucoup plus découragés que les filles face
à l’adoption de comportements stéréotypiques du sexe opposé. Ces dernières
ont une plus grande latitude à pouvoir adopter les jouets et autres objets du
sexe masculin que le contraire. La langue française consacre cet état de fait
par « garçon manqué » ; cette expression n’a guère d’équivalent pour le sexe
opposé, ou alors, elle revêt une connotation beaucoup plus négative.
Il ne faut toutefois pas croire que les enfants n’ont pas un rôle actif à
jouer dans la construction de leurs connaissances des codes sexués et dans
l’adoption des comportements étiquetés de leur propre sexe. Par l’observation, les enfants apprennent quels comportements sont considérés comme
appropriés pour chacun des deux sexes, en notant quels comportements
sont le plus souvent effectués par les hommes et rarement par les femmes
pour les comportements typiquement masculins et vice versa pour les
comportements typiquement féminins. Puis, les enfants adoptent pour euxmêmes les comportements observés comme étant typiques de leur propre
sexe, et non simplement les comportements observés chez les individus de
leur propre sexe.
Cependant, les enfants ne se forgent pas une représentation du monde
qui les entoure simplement par l’observation directe de leur cadre familier.
Beaucoup de leurs apprentissages sont médiatisés, que ce soit par la télévision, par le biais d’émissions, de dessins animés ou de publicités, par les jeux
vidéo, par les jouets qui, dans la plupart des cas, évoquent la répartition
stéréotypée des tâches et des professions dévolues aux hommes et aux
femmes, par le biais de matériel pédagogique, manuels scolaires et jeux
éducatifs sur ordinateur, ou encore par la littérature enfantine.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
01 Intérieur ROUYER
27/09/10
13:11
Page 29
PERCEPTION DES CODES SEXUÉS ET CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ SEXUÉE
29
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
De nombreuses recherches ont permis de mettre en évidence que les
matériaux mentionnés ci-dessus sont encore actuellement fortement
empreints de stéréotypes de genre : ils véhiculent des représentations beaucoup plus stéréotypées que la réalité actuelle. Cela entraîne comme conséquence le fait que les enfants vont acquérir des connaissances à propos des
rôles des sexes qui ne correspondent pas à la vie réelle. Par ailleurs, ces
représentations sexuées vont aussi avoir une influence sur le développement
des enfants, leur laissant peu de latitude pour se construire en dehors des
codes que la société dévolue à chaque sexe.
Précisons que, dans ce processus de construction des connaissances
sexuées, les représentations médiatisées comptent autant, sinon plus, que ce
que vit réellement l’enfant dans son univers familial. En effet, les enfants font
en quelque sorte des statistiques et comparent, par exemple, combien de fois
ils voient un homme et une femme faire la vaisselle. Or même si dans le
cadre du foyer familial, les parents se partagent les tâches, comme dans les
matériaux donnant une représentation de la réalité, les femmes font
fréquemment la vaisselle alors que l’on voit très rarement les hommes dans
cette activité, les enfants vont étiqueter l’activité faire la vaisselle comme une
activité féminine. Cela permet aussi de comprendre pourquoi dès 2-3 ans les
enfants savent que pompier est une profession masculine, sans pour autant
avoir vu un pompier en exercice : les camions et autres panoplies de pompier
sont vendus dans les rayons garçons des magasins de jouets ; à la télévision
et dans les autres médias, les pompiers sont des hommes, etc.
Respect des codes sexués
Entre 5 et 7 ans, la valeur accordée aux codes sexués est à son apogée
chez les enfants. Ceux-ci estiment que des violations des rôles de sexe sont
inacceptables, et au moins aussi incorrectes que des transgressions morales,
tant à propos d’eux-mêmes que d’autrui. Adopter un comportement socialement dévolu au sexe opposé est aussi grave que tricher ou voler. D’une part,
les enfants prennent garde de bien respecter les codes en vigueur pour euxmêmes, d’autre part, ils sont très attentifs au fait que les personnes autour
d’eux les respectent aussi. Par exemple, si on peut observer des enfants des
deux sexes jouer dans le coin poupée dans les crèches ou durant leurs
premières années d’école maternelle, les garçons souhaitant entrer dans cet
espace plus tard se feront rappeler à l’ordre par leurs camarades de jeux des
deux sexes par cette injonction : « T’as pas le droit de jouer à la poupée, t’es
pas une fille ! » Puis, de 7 à 12 ans, soit jusqu’à la puberté, les enfants tiennent compte de la variabilité individuelle face à la convention des rôles de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
01 Intérieur ROUYER
27/09/10
30
13:11
Page 30
GENRE ET SOCIALISATION DE L’ENFANCE À L’ÂGE ADULTE
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
sexe, et acceptent des chevauchements importants pour ce qui est considéré
comme admissible pour chaque sexe en termes de comportements et d’apparences (Ruble et Martin, 1998).
Proposer une explication à la phase de rigidité montrée par les enfants
face au non-respect des codes socialement dévolus à chaque sexe est précisément le but de la recherche présentée dans ce chapitre. En effet, cette rigidité pourrait s’expliquer, en partie tout au moins, par le fait que les enfants
n’ont pas encore intégré qu’être un garçon ou une fille dépend d’un facteur
biologique. Tant qu’ils n’ont pas atteint le stade de constance de genre et
qu’ils estiment que l’on est un garçon ou une fille en fonction d’une donnée
socioculturelle, les enfants seraient très attentifs à respecter les codes sexués
en vigueur, afin d’être considérés par les autres comme un enfant de leur
propre sexe. À partir du moment où ils ont intégré qu’être une fille ou un
garçon repose sur le fait d’avoir un appareil génital différent, les enfants ne
seraient plus aussi rigides sur le fait de respecter ces codes sociaux. Cela ne
signifie pas pour autant que les enfants vont massivement choisir des jeux
ou exercer des sports dévolus au sexe opposé, mais ils vont devenir plus tolérants face aux enfants qui souhaitent le faire.
Méthodologie
PARTICIPANTS
Deux cent soixante-dix enfants âgés de 3 à 7 ans ont participé à cette
recherche, pour moitié des filles et des garçons. Les enfants interrogés sont
également nommés participants dans la suite du texte.
INSTRUMENT
Des entretiens individuels semi-directifs (un enfant et un adulte) se
déroulant en deux phases successives ont été effectués avec les participants.
Ces deux phases n’ont pas eu lieu le même jour pour les enfants âgés de
3 ans 1.
1. Les passations ont eu lieu dans le canton de Genève, en Suisse, où les enfants entrent dans
le système scolaire dès l’âge de 4 ans. Les enfants de 3 ans ont participé à cette recherche dans
le cadre d’une crèche.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
01 Intérieur ROUYER
01 Intérieur ROUYER
27/09/10
13:11
Page 31
PERCEPTION DES CODES SEXUÉS ET CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ SEXUÉE
31
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
La création de tests de constance de genre a déjà fait l’objet de plusieurs
recherches (pour une revue, voir Rouyer 2007). Néanmoins, il a été choisi de
créer spécialement un test pour l’occasion afin de pallier les différentes
critiques ayant été faites à propos des tests existants. Le test a été imaginé
sur la base du modèle élaboré par Bem (1989), à quelques différences près.
Comme dans la recherche de Bem, des photographies, et non des dessins,
d’un garçon et d’une fille ont été utilisées, les deux enfants étant pris en
photo dans trois situations : nus, avec des vêtements et accessoires de leur
propre sexe, avec des vêtements et accessoires du sexe opposé. Comme
dans la recherche de Bem, les questions posées aux participants insistent sur
la distinction entre « être pour de vrai un garçon ou une fille » et « ressembler à un garçon et une fille ». Cependant, dans sa recherche, Bem a pris le
parti de mettre en scène différemment les deux enfants et d’utiliser des
jouets et des accessoires du monde adulte : en tenue consistante avec les
représentations du masculin et du féminin, le garçon porte un polo, tandis
que la fille en tenue inconsistante porte le même polo et tient en plus dans
ses bras un ballon de football américain ; en tenue consistante, la fille porte
une blouse rose et tient un bâton de rouge à lèvres ainsi qu’un sac à main,
alors que le garçon en tenue inconsistante porte la même blouse rose, ne
tient pas d’accessoire, mais est affublé d’une perruque à couettes. À l’opposé, j’ai choisi d’être totalement symétrique dans la création des images et
de ne pas avoir recours à des objets issus du monde adulte : le garçon et la
fille ont été photographiés dans les mêmes tenues enfantines typiquement
féminines et masculines, accompagnés par les mêmes jouets et accessoires.
Matériel
Les photographies sur fond blanc de deux enfants, un garçon et une fille,
de type européen, avec des cheveux courts châtains et des yeux marron,
tous deux âgés de 2 ans et demi, sont reproduites sur des cartes plastifiées
(dimensions 6,5 x 7 cm). Les deux enfants ont été photographiés cinq fois
(une fois nus, deux fois avec des vêtements et accessoires connotés masculins, deux fois avec des vêtements et accessoires connotés féminins). Cette
mise en scène vestimentaire permet de constituer un matériel à la fois
consistant (fille avec vêtements et accessoires féminins et garçon avec vêtements et accessoires masculins) et inconsistant (fille avec vêtements et
accessoires masculins et garçon avec vêtements et accessoires féminins) par
rapport au critère sexe, tout en disposant de deux types de tenues vestimentaires stéréotypiques de chaque sexe (tenue de plage et tenue de ville).
Il y a un nombre identique d’accessoires et d’habits typiques de chaque sexe
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Phase 1 : test de constance de genre
32
27/09/10
13:11
Page 32
GENRE ET SOCIALISATION DE L’ENFANCE À L’ÂGE ADULTE
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
pour chaque photographie. Les enfants pris en photographie en tenue de
ville masculine portent un pantalon court kaki, un tee-shirt vert militaire, une
casquette rouge placée à l’envers, et ils tiennent dans les mains un jouet en
plastique rouge et jaune représentant une pelle mécanique ; pour la tenue
de ville féminine, ils portent une robe à bretelles avec des motifs roses imprimés, un tee-shirt rose, un serre-tête orné d’une fleur en tissu et ils tiennent
dans les bras une poupée avec des couettes blondes et une tenue rose. Pour
la tenue de plage, dans la version masculine, les enfants portent un short de
bain vert avec une casquette saharienne blanche sur la tête, ils tiennent un
ballon de plage orné des motifs caractéristiques du football ; dans la version
féminine, le costume de bain est d’une pièce bleu foncé avec des fleurs roses
et des dentelles jaunes, la casquette et le ballon de plage sont roses à motifs.
Les enfants sont pieds nus sur toutes les photographies.
Il a été vérifié à l’aide d’une population contrôle composée d’enfants et
d’adultes que sans mention du sexe véritable, le garçon habillé en tenue
féminine est pris pour une fille, tandis que la fille habillée en tenue masculine est prise pour un garçon. Contrairement à une idée répandue, le sexe ne
se « voit » pas sur le visage des enfants, il faut attendre les transformations
physiques engendrées par la puberté pour pouvoir déterminer avec plus ou
moins de certitude le sexe d’un individu sur la base des traits de son visage.
Mais dans les représentations courantes, dès leur naissance, les filles
auraient des traits plus fins et délicats que les garçons, ce qui est erroné,
puisqu’il y a une très grande variabilité individuelle chez les enfants au niveau
du modelage des traits du visage.
Procédure
Les participants sont tout d’abord mis à l’aise par les expérimentatrices 2,
lesquelles leur expliquent qu’ils vont commencer par regarder les photographies de deux enfants, un garçon et une fille, cousins, qui un jour se sont
amusés à se déguiser et à s’échanger leurs vêtements ; puis elles leur expliquent que l’on va leur poser des questions à propos des photographies. Les
enfants cibles sont dénommés Kim et Niki, de telle manière que leur nom ne
donne pas d’indice sur leur sexe, ce qui a par ailleurs été vérifié auprès
d’une population parente. La procédure expérimentale est entièrement
contrôlée, les mêmes mots et les mêmes phrases sont prononcés face à
chaque participant.
2. Mes remerciements vont à tous les enfants qui ont répondu avec beaucoup de bonne volonté
et de gentillesse aux différentes questions posées, aux étudiantes de 2e cycle de la FPSE de l’université de Genève qui ont participé à cette recherche, ainsi qu’à Françoise Sutterlin qui a supervisé l’ensemble des passations.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
01 Intérieur ROUYER
27/09/10
13:11
Page 33
PERCEPTION DES CODES SEXUÉS ET CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ SEXUÉE
33
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Le test de constance de genre se faisant successivement avec les photographies des deux enfants cibles, la moitié des participants voient d’abord les
images du garçon, puis celles de la fille, l’autre moitié des participants voyant
les mêmes images dans l’ordre inverse. De manière indépendante, la moitié
des participants voient la fille dans la tenue de plage et le garçon dans la
tenue de ville, l’autre moitié étant face au garçon dans la tenue de plage et
à la fille dans la tenue de ville. Détaillons ci-dessous la procédure pour la
version du garçon en tenue de ville suivi par la fille en tenue de plage.
La photographie du garçon tout nu est tout d’abord posée devant le participant qui est prié de répondre à la question suivante : « Regarde bien cette
photo de Niki. Niki, c’est un garçon ou c’est une fille 3 ? » Puis l’enfant est prié
de justifier sa réponse : « Comment tu sais que Niki est un garçon ? » ou
« Comment tu sais que Niki est une fille ? » selon la réponse donnée à la
question précédente. Si le participant ne donne pas de réponse claire à cette
question 4, il est prié de montrer sur la photo à quel endroit on voit que Niki
est un garçon ou une fille, puis de nommer cette partie du corps.
Une seconde photo du garçon habillé en tenue de ville féminine est posée
à côté de la première image en insistant bien sur le fait qu’il s’agit du même
enfant : « Tu te souviens que Niki et Kim sont cousins. Un jour Niki a joué
avec Kim et ils ont échangé leurs habits et leurs jouets. Regarde bien cette
photo. Tu vois, c’est toujours Niki, comme sur la première photo, mais maintenant Niki a pris la poupée et mis les habits de Kim. » Deux questions
successives sont posées au participant : « Niki ressemble à qui ? À un garçon
ou à une fille ? » ; « Niki, pour de vrai, c’est un garçon ou une fille ? »
Comme pour la première image, le participant devra justifier sa réponse en
répondant à la question : « Comment tu sais que Niki est un garçon ? » ou
« Comment tu sais que Niki est une fille ? » selon la réponse donnée à la
question précédente.
Une troisième photographie présentant le même enfant portant des
habits de son propre sexe est posée à côté des deux premières images,
toujours en insistant sur le fait qu’il s’agit du même enfant : « J’ai encore une
autre photo de Niki à te montrer. Regarde bien cette photo. Tu vois, c’est
toujours Niki, comme sur la première photo, mais maintenant Niki a fini de
jouer avec la poupée de Kim et lui a rendu ses habits. Niki a remis son pantalon et joue avec sa pelle mécanique. » Puis le participant est à nouveau prié
3. La moitié des participants a entendu « Niki, c’est un garçon ou c’est une fille ? », pour l’autre
moitié, l’ordre des mots a été inversé : « Niki, c’est une fille ou un garçon ? » L’ordre dans
l’énoncé des mots n’a pas eu d’incidence sur la réussite du test de constance de genre.
4. Certains participants disent dans un premier temps : « Parce que je le sais, parce que c’est
comme ça, etc. »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
01 Intérieur ROUYER
34
27/09/10
13:11
Page 34
GENRE ET SOCIALISATION DE L’ENFANCE À L’ÂGE ADULTE
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
de répondre aux deux mêmes questions et de justifier sa réponse : à qui
ressemble Niki ? Pour de vrai, qui est Niki ? Puis, les trois photographies du
garçon sont enlevées de la vue du participant.
La même procédure expérimentale est adoptée pour les photographies
de la fille. « Je vais te montrer maintenant les photos de Kim. Tu te souviens,
je t’ai dit tout à l’heure que Niki et Kim sont cousins. »
L’image de la fille toute nue est tout d’abord posée devant le participant :
« Regarde bien cette photo de Kim. Kim, c’est un garçon ou une fille ? » Le
participant est ensuite prié de justifier sa réponse, puis une seconde image
de la fille habillée en tenue de plage masculine est posée devant le participant : « Tu te souviens, je t’ai dit tout à l’heure qu’un jour Niki et Kim se sont
amusés ensemble et ils ont échangé leurs habits et leurs jouets. Ce jour-là il
faisait très chaud et ils se sont mis en costume de bain. Regarde bien cette
photo. Tu vois, c’est toujours Kim, comme sur l’autre photo, mais cette foisci Kim a pris le ballon de foot et mis les habits de Niki. » Comme pour la
phase avec l’image de Niki, le participant doit répondre à deux questions et
justifier ses réponses : à qui ressemble Kim ? Pour de vrai, qui est Kim ?
Une troisième photographie de la fille en tenue de plage féminine est
posée devant le participant. « J’ai encore une autre photo de Kim à te
montrer. Regarde bien cette photo. Tu vois, c’est toujours Kim, comme sur
l’autre photo, mais maintenant Kim a fini de jouer avec le ballon de foot de
Niki et lui a rendu ses habits. Kim a remis son costume de bain et joue avec
son ballon Barbie. » Comme précédemment, le participant doit répondre à
deux questions et justifier ses réponses : à qui ressemble Kim ? Pour de vrai,
qui est Kim ?
Analyse des réponses
Cette procédure permet de partager la population en deux groupes : les
participants qui ont atteint le stade de constance de genre et ceux qui ne
l’ont pas encore atteint. Seuls les participants qui répondent correctement à
toutes les questions pour toutes les photographies sont considérés comme
ayant atteint le stade de constance de genre : il suffit que les participants
donnent une seule réponse incorrecte pour être déclarés comme n’ayant pas
atteint le stade de constance de genre. Non seulement les participants
doivent être capables de déterminer le sexe d’un individu sur la base de son
appareil génital (soit identifier correctement Kim comme une fille et Niki
comme un garçon lorsqu’ils sont nus), mais en plus, indépendamment de la
tenue utilisée (tenue de ville ou tenue de plage), indépendamment de la cible
présentée (photographie d’une fille ou d’un garçon), il faut que les participants soient capables de faire la distinction entre « ressembler à » et « être
pour de vrai » un enfant d’un sexe donné. Ainsi, un participant qui répond
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
01 Intérieur ROUYER
01 Intérieur ROUYER
27/09/10
13:11
Page 35
PERCEPTION DES CODES SEXUÉS ET CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ SEXUÉE
35
que le garçon photographié en robe avec une poupée dans les bras est pour
de vrai une fille n’a pas atteint le stade de constance de genre.
Sur les 270 participants, 86 ont atteint le stade de constance de genre et
184 ne l’ont pas atteint. Comme on peut le voir sur le graphique 1, le fait
d’atteindre le stade de constance est lié à l’augmentation de l’âge.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Deux éléments annexes intéressants sont ressortis des réponses des participants au test de constance de genre. Face à la photographie du garçon nu,
la grande majorité des participants ont déclaré que c’était un garçon ; à l’opposé, face à la photographie de la fille nue, une bonne partie des participants
ont déclaré qu’il s’agissait non pas d’une fille mais d’un garçon. Comment
expliquer cette asymétrie ? De manière logique, n’ayant pas encore atteint le
stade de constance de genre, les participants se basent sur des indices socioculturels pour déterminer le sexe d’un individu. Les enfants étant présentés
nus, les participants ont massivement utilisé la longueur des cheveux pour
justifier leur réponse : dans le cas présent, les deux enfants cibles ont été
choisis avec des cheveux courts. Soulignons que la longueur des cheveux des
enfants est un phénomène culturel variant en fonction des époques : actuellement, les parents laissent en règle générale pousser les cheveux de leurs
filles et coupent les cheveux de leurs fils, mais, à la fin du XIXe siècle, on ne
coupait pas les cheveux des enfants avant l’âge de 3 à 6 ans.
Par ailleurs, habituellement, les jeunes enfants savent qu’il y a deux
appareils génitaux différents, néanmoins, avant d’atteindre le stade de
constance de genre, ce n’est pas le critère dominant pour déterminer le sexe
d’un individu. Cela nous amène directement au deuxième résultat intéressant : la variété des noms associés par les enfants à l’appareil génital masculin ou féminin n’est pas équivalente. L’appareil génital masculin est très
largement nommé « zizi » par les participants des deux sexes, même si
quelques « kiki », « kikette » ou « zigounette » ont aussi été entendus. À
l’opposé, il n’y a pas de nom univoque pour l’appareil génital féminin. Certes,
les enfants sont nombreux à le nommer « zézette », mais pour beaucoup
d’enfants, c’est un « zizi de fille » ou alors simplement une absence de zizi
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Graphique 1. Pourcentage de participants ayant atteint le stade de constance de
genre selon leur degré scolaire
01 Intérieur ROUYER
36
27/09/10
13:11
Page 36
GENRE ET SOCIALISATION DE L’ENFANCE À L’ÂGE ADULTE
(Kim est une fille car elle n’a pas de zizi), sinon d’autres mots sont aussi
mentionnés de manière sporadique : « clitoris », « foufoune », « foufounette », « foufinette », « foune », « toutoune », « lisabette », « poupette »,
« vagin », « zizette », etc.
Selon les dires des éducateurs et éducatrices en crèche, il ressort également que ces professionnels sont empruntés face aux enfants pour désigner
par un nom l’appareil génital féminin, puisqu’il n’y a pas un mot en français
spécifiquement utilisé de manière non univoque.
Phase 2 : test de rigidité/flexibilité face au non-respect des codes sexués
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Dix photographies de visages d’enfants âgés d’environ 5-6 ans (5 garçons
et 5 filles) et 10 photographies de jouets (5 jouets stéréotypiquement masculins : voiture, camion de pompier, train, hélicoptère, caisse à outils ; 5 jouets
stéréotypiquement féminins : maison de poupées, boîte de maquillage,
machine à laver le linge, cuisinière, aspirateur). Les photographies sont
reproduites sur des cartes plastifiées de format 6,5 x 7 cm avec un fond
blanc.
Procédure
Dix paires de portraits d’enfants et jouets sont disposées devant les participants. Les paires ne respectent pas les codes sexués (par exemple, une
paire associe un visage de garçon avec un aspirateur, une autre paire un
visage de fille avec une voiture). Les participants sont informés qu’ils disposent d’une minute et demie pour bien observer les paires présentées, puis
qu’une fois le temps imparti écoulé, les cartes seront mélangées et leur tâche
sera de reconstituer les paires observées.
Analyse des réponses
L’examen des paires reconstituées porte plus spécifiquement sur les
erreurs commises par les participants. Deux types d’erreurs peuvent être
effectués :
– les enfants peuvent former des paires consistantes avec les rôles sociaux
en vigueur, reconstruisant en quelque sorte la réalité sociale (visage de fille
avec jouet de fille, visage de garçon avec jouet de garçon) ;
– les enfants peuvent également former des paires non consistantes avec les
rôles sociaux en vigueur, mais en commettant des erreurs d’attribution d’un
jouet à un enfant (mettre le visage du garçon qui était avec la maison de
poupée avec l’aspirateur).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Matériel
01 Intérieur ROUYER
27/09/10
13:11
Page 37
PERCEPTION DES CODES SEXUÉS ET CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ SEXUÉE
37
Le premier type d’erreurs indique une certaine forme de rejet d’une
présentation des rôles de sexe non conformes aux codes sociaux en vigueur
dans la société, tandis que le second type d’erreurs montre une certaine flexibilité face aux conventions des rôles des sexes.
Pour tous les participants, le nombre d’erreurs de chaque type est comptabilisé et la mise en rapport de ces deux types d’erreurs permet d’évaluer le
degré de rigidité ou de flexibilité des participants face au non-respect des
codes sexués.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Une analyse de la variance a été effectuée sur le type d’erreurs
commises, avec la variable âge en covariance et avec les variables sexe des
participants, ordre des enfants cibles, type de tenues et constance de genre
comme variables indépendantes. Comme attendu, le sexe des participants,
ainsi que les variables de contrôle au niveau du test de constance de genre
(ordre des enfants cibles et type de tenues) ne produisent aucun effet significatif. Une nouvelle analyse de variance a donc été effectuée sur le type d’erreurs commises avec la variable âge en covariance et la variable constance
de genre en variable indépendante. Mettre la variable âge en covariance
permet de vérifier que le fait d’avoir atteint le stade de constance de genre
a un effet sur la flexibilité face à la convention des rôles sexués indépendamment de l’âge des enfants. Cela correspond au résultat obtenu : l’interaction entre le type d’erreurs commises et le fait d’avoir atteint ou non le
stade de constance de genre est très significative (F(1,268) = 13.41 ;
p<.001).
Tableau 1. Nombre moyen d’erreurs commises en fonction du type d’erreurs
(reconstitution de paires respectant ou ne respectant pas les codes sexués)
et en fonction de l’acquisition ou non du stade de constance de genre
par les participants (écarts-types entre parenthèses)
Erreurs faites
en reconstituant
des paires
consistantes
face aux rôles sexués
Erreurs faites
en reconstituant
des paires
non consistantes
face aux rôles sexués
Enfants ayant atteint
le stade de constance de genre
2.16
(2.70)
4.63
(2.71)
Enfants n’ayant pas atteint
le stade de constance de genre
3.43
(2.49)
3.65
(2.32)
F (1.268) = 13.41 ; p < .001
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Résultats
01 Intérieur ROUYER
38
27/09/10
13:11
Page 38
GENRE ET SOCIALISATION DE L’ENFANCE À L’ÂGE ADULTE
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Discussion
L’intérêt de la présente recherche est de proposer une explication à la
phase de rigidité montrée par les enfants face au non-respect des codes
sexués. Conformément aux attentes, les résultats montrent que cette rigidité
peut s’expliquer, en partie tout au moins, par le fait que les enfants n’ont pas
encore intégré qu’être un garçon ou une fille dépend d’un facteur biologique
et non de critères socialement déterminés et assignés à chaque sexe. Les
résultats de cette recherche soulignent l’importance considérable des codes
sexués chez les jeunes enfants. Quelles implications peuvent découler de ce
fait ? Elles sont plurielles.
Du côté des parents tout d’abord, le fait que leurs enfants passent par une
étape durant laquelle ils vont adopter des comportements conformes aux
codes sexués va modifier la représentation qu’ils se font de l’origine de la différence des sexes, passant d’une représentation basée sur le socioculturel à une
représentation axée sur le biologique. Comment expliquer cette évolution ? Les
parents sont convaincus d’avoir élevé leurs enfants de la même manière et
d’être les personnes ayant la plus grande influence sur leurs enfants. Cependant, indépendamment de l’éducation reçue, tous les enfants passent par un
stade durant lequel ils sont très rigides face au respect des codes sexués. Les
parents sont très décontenancés face au comportement de leurs propres
enfants qui, vers 5 ans, deviennent des prototypes du « vrai petit garçon » et
de la « vraie petite fille ». Par conséquent, ils se représentent la différence des
sexes comme ayant une origine plus biologique que socioculturelle.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Comme on peut le lire dans le tableau 1, les enfants qui n’ont pas atteint
le stade de constance de genre commettent davantage d’erreurs en recomposant des paires visages-objets respectant les codes sexués, que les enfants
qui ont atteint le stade de constance de genre (3.43 contre 2.16). À l’opposé,
les enfants qui ont atteint le stade de constance de genre commettent davantage d’erreurs en composant des paires ne respectant pas les codes sexués,
que les enfants qui n’ont pas encore atteint le stade de constance de genre
(4.63 contre 3.65).
Ainsi, les enfants qui n’ont pas encore atteint le stade de constance de
genre sont effectivement plus sensibles à la présentation de situations ne
respectant pas les codes sexués en vigueur que les enfants qui ont déjà
atteint le stade de constance de genre. En effet, les enfants non constants
ont davantage reconstitué des paires de visages et jouets en accord avec les
rôles sexués que ne l’ont fait les enfants qui ont intégré que le sexe d’un individu est déterminé par une donnée biologique, et non socioculturelle.
27/09/10
13:11
Page 39
PERCEPTION DES CODES SEXUÉS ET CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ SEXUÉE
39
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Cette transformation dans leur représentation de l’origine de la différence
des sexes après quelques années d’expérience de la parentalité mérite de
plus amples recherches car elle pourrait avoir de multiples implications sur la
manière dont les parents vont ensuite élever leurs enfants relativement aux
domaines dans lesquels les codes sexués en vigueur dans notre société
jouent un grand rôle : jouets, loisirs, activités sportives, habits, orientations
scolaires et professionnelles. En effet, si les parents sont convaincus que l’origine de la différence entre garçons et filles est biologique, ils vont d’autant
moins les encourager à faire des choix qui ne soient pas exclusivement
typiques de leur propre sexe. Pensons spécifiquement à l’orientation professionnelle : il est déjà difficile pour des jeunes de choisir une profession dont
on dispose de peu de modèles de son propre sexe, cela va l’être encore plus
sans le soutien de ses propres parents.
Une autre implication liée à l’économie et au marketing est intéressante
à développer. Actuellement, beaucoup d’objets destinés aux enfants existent
de plus en plus rarement en version neutre et sont déclinés en version fille
ou en version garçon, essentiellement grâce à l’emploi de couleurs, logos ou
éléments de décoration différents. En se basant sur le développement de
l’enfant, on comprend que cela corresponde à une stratégie permettant de
vendre davantage. En effet, les parents désirant acheter un vélo pour leur
enfant vont le choisir en version fille ou version garçon selon le sexe de leur
enfant. Puis, au moment du deuxième enfant, s’il s’agit d’un enfant du sexe
opposé, les parents pourront racheter un nouveau vélo car le petit frère ne
voudra pas du vélo rose estampillé Dora l’exploratrice de sa grande sœur.
À noter que la petite sœur, au moment du stade de rigidité, ne voudra pas
non plus du vélo Spiderman de son grand frère, même si la société est plus
tolérante envers les garçons manqués qu’envers leurs homologues de sexe
masculin.
Il est tout à fait frappant de remarquer que cette stratégie marketing
touche au fil des décennies de plus en plus de domaines différents : vêtements, chaussures, accessoires, chambres d’enfants, décoration, montres,
fournitures scolaires, mais aussi les équipements sportifs pour les sports
unisexes à un âge où le développement du corps ne nécessite pas encore des
équipements différents mais où les représentations prennent tout leur sens
(vélo, trottinette, roller, casque, protection, etc.).
Cette sexuation a un double impact : tout d’abord, sous la pression des
enfants, elle incite les adultes à consommer davantage ; d’autre part, elle
renforce les représentations différenciées associées aux deux sexes. En effet,
à travers l’examen attentif des objets vendus dans les rayons des grands
magasins et des catalogues vantant ces mêmes produits, on remarque qu’audelà des différences de couleur ou de décoration, d’autres nuances plus
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
01 Intérieur ROUYER
01 Intérieur ROUYER
40
27/09/10
13:11
Page 40
GENRE ET SOCIALISATION DE L’ENFANCE À L’ÂGE ADULTE
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Murith Olivier - 89.217.26.191 - 16/12/2012 16h18. © ERES
subtiles viennent s’y rajouter. Les objets issus de l’univers féminin font davantage référence à l’esthétique, la sécurité, la douceur, le confort, la passivité,
la sphère privée, l’univers enfantin, tandis que ceux renvoyant à l’univers
masculin sont davantage orientés vers l’action, la prise de risque, l’esprit de
compétition, la technologie, l’autonomie, l’indépendance, la sphère publique
et le monde adulte. Or nous avons vu dans l’introduction que les enfants
durant leurs premières années observent leur environnement au sens large
pour comprendre, déduire, décrypter, ce qui relève du masculin et ce qui
relève du féminin. Ce faisant, ils vont également intégrer ces représentations
différenciées des deux sexes et s’y conformer.
En conclusion, il me semble important que les personnes qui touchent de
près ou de loin le monde de l’enfance (parents, grands-parents, mais aussi
professionnels de l’enfance et de l’éducation) aient connaissance de cette
phase spécifique du développement de l’enfance. Même si cela ne suffira pas
pour éviter le cortège des implications négatives, cela permettra néanmoins
d’en tempérer certaines.