la réciprocité des règles de conflit dans les conventions de la haye
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la réciprocité des règles de conflit dans les conventions de la haye
REVUE BELGE DE DROIT INTERNATIONAL 1991/1 — Éditions BRUYLANT, Bruxelles LA RÉCIPROCITÉ DES RÈGLES DE CONFLIT DANS LES CONVENTIONS DE LA HAYE PAB Hans van HOUTTE P r o f . O r d in a ir e K.U. L e ij v e n Bien que l’objectif initial de la Conférence était d ’établir des règles « erga omnes », jusqu’à la deuxième guerre mondiale, et pour des diverses raisons, la Conférence s’est limitée à introduire des règles « inter partes », c-à-d. seu lement applicables à des rapports juridiques entre les ressortissants des États contractants (première partie). Toutefois, ces règles sont devenues depuis lors de plus en plus « erga omnes » (seconde partie). I. L a p r e m i è r e m o i t i é d u s i è c l e A. Règles de conflit « erga omnes » ou « interpartes » ? L ’idée de conclure des Conventions contenant des règles de conflit, est généralement attribuée à Mancini. Dans le long rapport qu’il présenta en 1874 sur ce sujet à ses collègues de l’institut de Droit International, Mancini proposa la conclusion de telles Conventions comme le meilleur moyen d’uniformiser le droit international privé. Mancini n’avait pas explicitement indiqué que ces règles de conflit devraient être applicables « erga omnes ». Cela était toutefois sous-entendu en raison du fait que ces règles devaient être — et ceci dans la meilleure tradition savignienne — « les plus conformes aux principes de justice » (1). En effet, l’application universelle de ces règles justes suppossait que les États qui auraient ratifié des Conven tions contenant de telles règles, ne limiteraient pas leur application « inter partes » mais les appliqueraient « erga omnes ». Dans son allocution inaugurale de la Première Conférence de La Haye en 1893, Tobias M.C. Asser, le grand instigateur de la Conférence, explicita la (1) P.S. Mancini, «De l’utilité de rendre obligatoire pour tous les États, sous la forme d ’un ou de plusieurs traités internationaux, un certain nombre de règles générales de Droit internatio nal privé pour assurer la décision uniforme des conflits entre les différentes législations civiles et criminelles», Journal de droit international 1874, 221 et 237. 492 H AN S V A N H OU TTE nécessité que les Conventions de d.i.p. ne se limitent pas à régler les rap ports entre les ressortissants des Etats contractants mais qu’elles s’appli quent « erga omnes » (2). La proposition d’Asser était sûrement novatrice. Les Conventions de Montevideo conclues quelques années auparavant, c-à-d. en 1889, se limi taient à régler des relations juridiques entre les ressortissants des pays contractants de l’Amérique latine (3). La doctrine n’était d’ailleurs pas encore prête à accepter l’idée qu’une Convention internationale puisse introduire des règles de conflit d’application « erga omnes ». Aussi, par exemple, le grand jurisconsulte François Laurent estimait que des règles de conflit introduites par des Conventions internationales ne pouvaient pas être appliquées vis-à-vis des ressortissants d’États non-contractants puis que ces Conventions elles-mêmes ne pouvaient pas lier les Etats noncontractants. Il se déclarait perplexe vis-à-vis de la thèse de Wachter qui avait proposé que les Conventions qui ne font que consacrer des principes généralement reconnus, lient aussi les Etats tiers (4), de sorte que les règles de conflit généralement reconnues, incorporées dans ces Conventions, lient aussi les Etats tiers. Pour Laurent, « en droit strict les Conventions n’exis taient pas à l’égard des tiers» (5). Puisque les Etats n’étaient pas liés par les Conventions internationales auxquelles ils n ’avaient pas souscrit, leurs ressortissants ne seraient pas non plus soumis aux règles de conflit que ces Conventions contiendraient. L ’analyse de Laurent surprend. Il confond l’instrument (la Convention) et son contenu (la règle de conflit). Il mélange l’assujettissement d’étrangers à la règle de conflit du for et l’obligation pour les États tiers d’appliquer cette règle de conflit. Cette approche implique en outre que le for ne puisse appliquer sa propre règle de conflit à un étranger que si l’État du for constate que l’État étranger consent aussi à appliquer sa propre règle de conflit au ressortissant du for : « quid pro quo ». Il est tout à fait étonnant que Laurent n’ait pas réalisé que sa thèse allait à l’encontre du fondement de tout le droit international privé savignien, o-à-d. que les États devraient s’abstenir de régler par leur propres lois les rapports juridi ques qui, par leur nature, doivent dépendre de l’autorité des lois étrangères. L ’application par le for de sa règle de conflit à des ressortissants étrangers ne peut donc être une concession que le for devrait arracher à l’État étran ger par des négociations et la conclusion de Conventions. Néanmoins, les conceptions, auxquelles aussi Laurent adhérait, persistaient dans les pre mières années de la Conférence. (2) Allocation d’ouverture, Actes de la I e conférence de La Haye, 1893, 26. Les règles ne pour raient être « inter partes » que si elles concernaient des institutions juridiques à caractère pure ment national. (3) E. V i t t a , « International Conventions and national conflict systems », Recueil des Cours, 1969, I, p. 167. (4) W a c h t e r , Archiv für civilistische Praxis, tome X X IV , p. 240, cité par Laurent (infra). (5) P. L aurent, Droit civil international, tome premier, Bruxelles 1880, n° 445, p. 657. L A R É C IP R O C IT É D E S R È G L E S D E CO N FLIT 493 B. Justification pour des règles de conflit « inter partes » La question de savoir si les Conventions ne pouvaient contenir que des règles de conflit « inter partes » fut posée en 1900 lors de la Troisième Confé rence. Bien que quelques délégués considéraient que les règles de conflit, introduites par une Convention ne devraient pas se limiter aux rapports juridiques entre ressortissants des Etats contractants, pour d’autres délé gués les Conventions ne pouvaient introduire des règles de conflit « inter partes » (6). C’est d ’ailleurs cette dernière tendance qui l’emporta. Toutes les Conventions conclues lors des premières Conférences contenaient des règles d’application « inter partes ». L’application d’une règle de conflit qui désigne le droit d’un État étran ger était d’ailleurs perçue comme une concession politique à cette puissance étrangère. La dénonciation en 1914 par la France des Conventions sur le mariage, sur le divorce et sur la tutelle en était la preuve. Ces Conventions, qui se référaient au droit national de chacun des époux ou du mineur, furent dénoncées parce que, selon la France au moins, l’Empire allemand « exploitait ces Conventions pour régler les conflits de lois dans l’intérêt de ses visées politiques et militaires ». Il « s’en servait comme d’une arme pour faire échec au principe de la souveraineté territoriale » (française) et il utili sait « l ’édifice des Conventions pour organiser une véritable mainmise des autorités allemandes sur leurs ressortissants et les biens de ces derniers situés en pays étranger » (7). La France se considérait en droit d’exclure l’application de toutes les lois étrangères sur son territoire et de n’admettre que les lois étrangères compatibles avec la sauvegarde de ses intérêts essen tiels. Elle considérait donc pleinement justifiée la dénonciation des Conven tions. Les règles de conflit applicables « inter partes », étaient donc pour des rai sons juridiques et politiques limitées « ratione personae » : les Conventions ne concernaient que les ressortissants des États contractants. Ainsi, par exemple, la Convention pour régler la tutelle des mineurs (1902) ne concerne que la tutelle des mineurs ressortissants d’un des États contrac tants et ayant leur résidence habituelle dans un (autre) État contractant (article 9). La Convention sur le divorce (1902)(article 9) et celle sur les conséquences du mariage (1905)(article 7) contenaient des dispositions simi laires. De même, la Convention sur le mariage (1902) n’était applicable qu’aux mariages entre personnes dont l’une au moins est ressortissante d’un des États contractants. L ’application de la règle de conflit était aussi limitée « ratione loci » : la relation juridique, dont il était question devait (6) Actes de la I I I e Conférence de La Haye, 1900, 126 ; X ., « La dénonciation des Conventions de La Haye du 12 juin 1902», R.C.D.I.P. 1914, 382. (7) «La dénonciation des Conventions de La Haye du 12 juin 1902», R.C.D.I.P. 1914, 364, spéc. p. 364, 366, 391 et 395. 494 H A N S V A N HOTJTTE avoir été établie dans un des États contractants. La Convention sur le mariage n’était, par exemple, applicable qu’aux mariages célébrés sur le territoire d’un État contractant. La Convention sur la tutelle ne concernait que la tutelle organisée dans un des États contractants. Des raisons d’opportunité confirmaient d’ailleurs la nécessité de limiter l’application des règles de conflits à des relations dont le facteur de ratta chement était localisé dans un des États contractants. Les membres de la Conférence se connaissaient. Ils connaissaient — plus ou moins — leurs sys tèmes juridiques respectifs et leur faisaient confiance. En limitant l’application de la règle de conflit aux seuls cas où elle désigne le système juridique d’un État contractant, ils pouvaient écarter les systèmes des États qui n’étaient pas membres de la Conférence, c-à-d. les systèmes avec lesquels ils étaient supposés être le moins familiers. Cette idée est en filigrane dans toutes les Conventions dont les règles de conflits ne peuvent désigner que le système juridique d’un des États contractants. Elle apparaît explicite ment dans la Convention sur le mariage (1902) qui exclut formellement l’application du droit d’un État non-contractant (article 8.2). C’est ainsi que les limitations « ratione -personae » et « ratione loci » de la règle de conflit se justifient aussi « ratione juris ». Toutefois, l’axiome selon lequel les règles de conflit des Conventions ne pouvaient être applicables que quand elles désigneraient le droit d’un État contractant fut battu en brèche en 1914 par la dénonciation par la France des Conventions sur le mariage, le divorce et la tutelle. Bien que les motifs de cette dénonciation semblaient purement politiques, la France justifiait cette dénonciation par la constatation que les moeurs, traditions et institutions de l’Allemagne et de la France étaient fondamentalement différentes et que le droit « autoritaire » de l’Empire alle mand était incompatible avec le système français (8). Ainsi il était soutenu que même parmi les Membres de la Conférence limitropes, des différences juridiques pouvaient être tellement substantielles que l’application récipro que des règles de conflit contenues dans les Conventions n’était pas souhai tée. Finalement, la limitation de l’application de la règle de conflit à des rela tions qui concernent les États contractants était aussi inspirée par le sou hait de promouvoir la participation de la Conférence. En effet, la restriction de l’« avantage » des règles de conflit que quand elles désignent le droit des États contractants, devait inciter les autres États à joindre la Conférence et à adopter ses Conventions (9). (8) Idem, p. 369 ss. (9) M. H . v a n H o o g s t r a t e n , « La codification par traités en d.i.p. », Recueil des Cours, 1967, III, 391 ; K. N a d e l m a n n , «Méthodes d ’unification du droit international privé», R.C.D.I.P. 1958, 37 ; H . J e s s u r t j n d ’ O l i v e i r a , «Universalisme ou régionalisme de la Conférence de La Haye», R.C.D.I.P. 1966, p. 347, 357. L A R É C IP R O C IT É D E S R È G L E S D E CO N FLIT 495 II. L a s e c o n d e m o i t i é d u s i è c l e La Conférence a connu un vrai renouveau après la seconde guerre mon diale. Non seulement ses activités se sont accrues, mais le contexte dans lequel elle se tient, a changé. De ce fait, les règles de conflit, que la nouvelle Conférence établit, sont devenues de plus en plus « erga omnes ». A. Les raisons pour des règles de conflit « erga omnes » Il était assez contradictoire que la Conférence qui voulait unifier les règles de droit international privé, limitait l’application de ses règles aux cas où elle désignait le droit d’un État contractant. L ’unification n’était donc que partielle : à côté des règles conventionnelles, il restait encore un système de conflit pour les renvois aux droits de pays non-contractants. Après la seconde guerre, ce paradoxe a été supprimé dans une large mesure : la plupart des règles de conflit contenues dans les Conventions ultérieures, devinrent d’application « erga omnes » pour différentes raisons. Dans les premières Conventions, le caractère réciproque des règles de conflit était perçu comme une nécessité juridique : les rédacteurs croyaient que les Conventions qui ne pouvaient pas lier les États non-contractants, ne pouvaient de même pas contenir des règles de conflit désignant le droit de ces États non-contractants. C’est ainsi que les Conventions de La Haye « de la première génération » ne contenaient que des règles d’application « inter partes » (de même d’ailleurs que d’autres Conventions conclues à cette époque (10) ou même plus tard (11) dans d’autres cénacles). Après la seconde guerre, il était devenu manifeste que les Conventions ne pouvaient plus se limiter à introduire des règles « inter partes ». Les Conventions por tant loi uniforme sur la lettre de change et le billet à ordre (1930) et sur le chèque (1931) avaient déjà introduit des règles d’application « erga omnes ». Il n’y avait donc plus d’obstacle à ce que la Conférence de La Haye introduise aussi des règles d’application « erga omnes ». Les États-Unis d’Amérique qui avaient envoyé des observateurs à la Conférence pour les sessions de 1956 et 1960 et qui furent admis comme membre à partir de la session de 1964, avaient insisté pour que la Conférence adopte des loismodèles et non des Conventions. La raison en était que les matières cou vertes par les Conventions risquaient de tomber sous la compétence des États fédérés, de sorte que la ratification de ces Conventions poserait des problèmes pour l’Etat fédéral. Des lois-modèles pouvaient d’ailleurs être incorporées dans le droit des États fédérés à l’image du Uniform Gommer(10) Voy. par ex, la Convention pour l’unification de certaines règles en matière d’abordage (1910). (11) Voy. par ex. les Conventions de Génève destinées à régler certains conflits de lois en matière de lettre de change et de billet à ordre (1930) ou en matière de chèque (1931). 496 H A N S V A N HOTJTTB dal Code et d’autres textes de la National Conference of State Commissioners on Uniform Law (12). Malgré l’insistance des Etats-Unis, la Conférence jugea inopportun de n’établir dorénavant que des lois-modèles parce qu’elle craignait de perdre son statut diplomatique si elle n’élaborait plus de Conventions internationales. La Conférence était toutefois d’accord pour étendre « erga omnes » l’application des règles de conflit contenues dans ces Conventions de sorte qu’il ne subsisterait qu’une différence formelle entre l’unification par Convention et par loi-modèle. Les États qui ne pouvaient pas adopter la Convention, (par exemple parce que la matière qu’elle cou vrait, ne ressortait pas de leur compétence mais de celle de leurs États fédérés), pouvaient alors toujours s’inspirer des règles de la Convention pour modifier leur droit interne (13). La nécessité de créer des règles qui puissent être incorporées dans le droit interne en dehors de toute Conven tion implique donc que ces règles doivent avoir un champ d ’application « erga omnes ». Une autre raison pour laquelle les Conventions « de la première généra tion » contenaient des règles d’application seulement « inter partes », était que les États connaissaient le système juridique des États cocontraetants, qui étaient d’ailleurs plutôt similaires, et qu’ils pouvaient s’y fier. La connaissance des lois des États cocontractants, leur similarité et la confiance qu’elles suscitaient, étaient toutefois parfois illusoires. Le passé avait montré que même le droit des États contractants, souvent limi trophes, n’était pas toujours acceptable. La France prétendit, par exemple, en 1914 que le droit allemand était tellement différent et peu fiable qu’elle ne pouvait plus renvoyer au droit allemand, de sorte qu’elle dénonça les Conventions de La Haye sur le mariage, le divorce et la tutelle. De même, la Convention sur le divorce qui prévoyait l’application cumulative de la loi du for et des lois nationales des deux époux, a été dénoncée par plusieurs États parce qu’ils ne pouvaient refuser le divorce pour la raison qu’un des époux avait la nationalité d’un État contractant, (comme l’Italie, qui igno rait le divorce) (14). En outre, le nombre croissant d ’États qui participaient à la Conférence et leur dispersion géographique (15), rendaient impossible la connaissance du droit matériel de chacun des États contractants. L ’argu ment selon lequel les règles de conflit ne devaient engager le for qu’à se référer au système juridique d’un État contractant dont le droit était connu d’avance, ne résout pas le problème de savoir ce que le for doit faire quand, selon le système de référence de droit commun, un autre droit est (12) Par ex. Actes et Documents de la V IIIe session, 1956, 266-273 ; K . N a d e l m a n n , « The US and the Hague Conference on Private International Law », A.J.I.L. 1957, 618. (13) Voy. G. D r o z , « Rapport sur les travaux du comité restreint en matière de lois modèles », in Actes et Documents de la I X e session, tome I, 231-234 et «Acte Final», idem, p. 314. (14) Par ex. la Suisse (1929) et la Suède (1929). (15) Cf. Actes de la I X e session, 1960, « Acte Final », 314. L A R É C IP R O C IT É D E S R È G L E S D E CO N FLIT 497 applicable. Il reste impossible de connaître tous les systèmes juridiques que les règles de conflit pourraient désigner, et de les appliquer sans réserve. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’exception d ’ordre public joue un rôle essentiel dans le droit international privé. Cette exception est le gardefou contre les surprises que réserve l’application du droit étranger. Elle remédie au fait que la règle de conflit peut désigner un droit étranger qui peut s’avérer incompatible avec la loi du for. La plupart des Conventions de La Haye « de la première génération » ne contenaient pas une clause explicite d’ordre public. Il est toutefois généralement admis que l’exception d’ordre public joue même quand elle n’a pas été prévue par la Conven tion (16). Les Conventions «de la seconde génération» contiennent des clauses d’ordre public. La Convention sur la vente internationale se contente d’indiquer simplement que le droit applicable pourrait être écarté « pour un motif d’ordre public ». Comme les rédacteurs voulaient « enfermer dans une cage étroite l’oiseau moqueur qui a nom 'ordre public’ » (17), les Conventions ultérieures ont précisé que l’exception d’ordre public devait être limitée au cas où l’application du droit étranger « est manifestement incompatible avec l’ordre public» (18). La possibilité d’écarter a posteriori toute règle qui est incompatible avec l’ordre public du for est un remède plus efficace et « cul rem » que l’exclusion a priori de tout système juridique d’un Etat non-contractant. La dernière raison pour limiter les règles de conflit des Conventions à une application « inter partes » était le souci de restreindre les « avantages » de la Convention aux membres de la Conférence afin d’inciter les autres Etats à participer aux travaux de cette Conférence. C’est ainsi que les Conven tions « de la première génération » étaient des Conventions « fermées », c-à-d. qu’aucun non-membre de la Conférence ne pouvait y adhérer sans le consentement des membres de la Conférence. La proposition d'ouvrir les Conventions « fermées » aux Etats tiers, que prit la Conférence en 1923, ne s’est pas concrétisée (19). Les Conventions « de la deuxième génération » sont au contraire plutôt ouvertes, comme il sera démontré infra. (16) Cf. e.a. Droit international -privé, Larcier, Bruxelles, 1977, n° 259 ; M .H . v a n o.c., 386-387 ; E. V i t t a , o .c ., 1969, I, 176-179. Voy aussi « Opinions de Lauterpacht et Quintana », G.J.I. affaire Bôll, (1958), R.C.D.I.P. 1958, 713. La Convention sur le mariage (1902) contenait cependant une clause d’ordre public ( article 3). Celle-ci avait une por tée tellement limitée qu’elle ne pouvait même pas écarter l’application des lois allemandes de Nuremberg qui interdisaient le mariage entre arien et non-arien. Voy. A. V o n O v e r b e c k , o .c ., 72-76 ; M .H . v a n H o o g s t r a t e n , o .c ., p. 414-415. (17) Actes de la V IIe session, 1951, 10. (18) Voy. par ex. la Convention sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants (1956), article 4 ; Convention concernant la forme des dispositions testamentaires (1961), article 7. (19) Voy. M. H . v a n H o o g s t r a t e n , o .c ., p . 393. H o o g stra a te n , F . R ig a tjx , 498 H A N S V A N H O U TT B B. Exemples de règles de conflit « erga omnes » La Convention sur la loi applicable aux ventes à caractère international d’objet mobiliers corporels, la première Convention après la guerre qui éta blit des règles de conflit, n’est pas limitée à un renvoi au droit d’un Etat contractant. Elle ne requiert pas que le vendeur et/ou l’acheteur soient domiciliés dans un des Etats contractants, ni que la vente soit conclue dans un État contractant, ni que la livraison y ait heu, ni que le droit d’un État contractant soit choisi. En fait, il aurait été très délicat d’énumérer les hypothèses auxquelles l’application de la règle de conflit aurait pu être limi tée. Déjà en 1931, un comité spécial avait indiqué lors de l’élaboration d’un projet de Convention que les règles de conflit en matière de vente ne pou vaient se limiter « inter partes ». Une proposition de limiter l’application de la Convention aux ventes « lorsque l’une au moins des parties au contrat est le ressortissant de l’un des États contractants ou a soit sa résidence habi tuelle, soit son établissement commercial ou autre, sur le territoire de l’un de ces États » fut même à cette époque jugée trop étroite. On constata qu’une législation pouvait se trouver intéressée au conflit pour d’autres motifs que la nationalité ou la résidence d’une des parties. Elle pouvait l’être, par exemple, en tant que loi du pays de conclusion du contrat, du pays d’expédition des marchandises ou du pays de livraison. En outre, le caractère « inter partes » des règles de conflit mènerait à deux systèmes de solutions parallèles : l’un applicable aux relations entre États contractants et l’autre aux autres relations. Parties et juges devraient ainsi passer par l’exercice des règles de conflit conventionnelles pour découvrir qu’elles n’étaient pas applicables et pour en fin de compte appliquer les règles de conflit de droit commun. C’est pour ces raisons que, déjà en 1931, on estima que les règles de conflit en matière de vente internationale ne pouvaient pas s’appliquer seulement « inter partes ». L ’unification du droit international privé en bénéficierait d’ailleurs (20). En 1951, les rédacteurs de la Conven tion sur la vente ont repris l’option adoptée dans le projet de 1931 et ont élargi l’application de la règle de conflit à toute les ventes, indépendam ment des liens existant ou non avec les États contractants (21). La même application « erga omnes » est adoptée par la Convention sur la loi applicable au transfert de propriété (1958) dont le champ d'application a d ’ailleurs été calqué sur celui de la Convention sur la vente internationale. La Conven tion sur lés conflits de lois en matière de forme des dispositions testamen taires (1961) est toutefois la première à énoncer explicitement que les règles de conflit qu’elle contient s’appliquent «indépendamment de toute condi tion de réciprocité ». Et pour bien mettre en lumière la portée de ce prin cipe, la Convention précise : « La Convention s’applique même si la nationa(20) Documents relatifs à la V IIe session (1951), p. 12-13. (21) Actes de la V IIe session (1951), par ex. Première Commission, P.V. 1er, p. 17 — 25. L A R É C IP R O C IT É D B S R È G L E S D B CO N FLIT 499 lité des intéressés ( par ex. héritiers ou légataires — hvh) ou la loi appli cable en vertu des articles précédents ne sont pas celles d’un Etat contrac tant» (article 6) (22). Les Conventions concernant les accidents de la circulation routière (1971 — article 11), la responsabilité des produits (1973 — article 11), les obligations alimentaires ( 1973 — article 3), les contrats d’intermédiaires et les contrats de représentation (1978 — article 4), les contrats de vente internationale — nouvelle version ( 1986 — article 6) et les successions (article 2), contiennent des dispositions similaires. Elles ne se réfèrent toute fois plus à l’exclusion d’une « condition de réciprocité » parce que la notion de réciprocité risque de poser des problèmes constitutionnels dans les pays où les tribunaux sont supposés examiner la réciprocité des traités (23). Elles ne précisent plus explicitement — comme la Convention sur la forme testa mentaire le faisait — que les facteurs de rattachement peuvent être loca lisés en dehors des Etats contractants. Elles se contentent d’indiquer que «la Convention s’applique même si la loi applicable n’est pas celle d’un Etat contractant ». La Convention sur la loi applicable aux régimes matri moniaux (1978 — article 2) précise toutefois encore qu’elle s’applique « même si la nationalité ou la résidence habituelle des époux ou la loi appli cable ... ne sont pas celles d’un État contractant». C. Néanmoins, des règles de conflit « inter partes » Plusieurs Conventions élaborées par la Conférence de La Haye après la seconde guerre, ont toutefois continué à exiger la réciprocité pour l’applica tion des règles de conflit qu’elles contiennent. La Convention pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du domicile (1955), c-à-d. la Conven tion sur le renvoi, n’est applicable que lorsque l’État de la nationalité et l’État du domicile sont des États contractants( article 7). Le projet de Convention de 1950 ne spécifiait pas si les règles de la Convention étaient applicables sur base de la réciprocité ou non. Le gouvernement allemand proposa une application « erga omnes » afin que les règles puissent aussi résoudre des problèmes de renvoi quand il était renvoyé au droit d ’un État qui n’aurait pas ratifié la Convention (24). Néanmoins, pour attirer des rati fications, les rédacteurs ont finalement introduit la limitation de l’article 7. Ainsi, ils ont laissé aux États contractants la liberté d’écarter les règles énoncées par la Convention quand le domicile ou la nationalité à la loi des- (22) Actes et Documents de la I X e session, 1960 tome III, p. 101-102, 185 et 150. Cette préci sion se trouvait déjà dans l’avant-projet élaboré par le comité spécial. Ultérieurement, et sur pro position du délégué allemand, cette proposition a été précédée par l’exclusion générale d ’une condition de réciprocité. Le texte a été adopté à l’unanimité. (23) Actes et Documents de la X I I e session, 1972 tome II, 332. (24) Documents de la V IIe session, (1951), p. 47, 126 et 131. 500 H A N S V A N HOTJTTB quels elle renvoie, était situé dans un État non-contractant (25). De même, la Convention sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants (1956) reste basée sur la réciprocité (article 6). Cette réciprocité était exigée par le délégué de la Suède — probablement traumatisé par l’af faire Bôll qui venait d’être pendante devant la Cour Internationale de Jus tice à cette époque (26). Celui-ci insista sur le fait que les États sauraient ainsi à l’avance quelles seront les lois que les règles de conflit de la Conven tion désigneront (27) — un vieil argument déjà utilisé pour justifier le caractère « inter partes » des règles de conflit des premières Conventions. Toutefois, cette exigence de réciprocité n ’est que temporaire. La nouvelle Convention sur la loi applicable aux obligations alimentaires (1973) a de nouveau adopté une solution « universaliste ». En effet, le droit des États contractants est tellement différent en matière d’obligations alimentaires que même une prétendue homogénéité ne justifierait pas de limiter l’appli cation des règles de conflit au cas où elles désigneraient le droit d’un État contractant (28). Si le droit applicable menait à des conséquences inaccep tables pour le for, il pourrait toujours être écarté par l’application de l’ex ception d’ordre public (29). Les seules Conventions « de la seconde génération » qui maintiennent une condition de réciprocité dans les règles de conflit, sont des Conventions qui traitent aussi bien des règles de conflit que de problèmes de compétence et parfois de reconnaissance. C’est le cas notamment de la Convention relative à la compétence des autorités et à la loi applicable en matière de protection des mineurs (1961-article 13) ou de la Convention concernant la compétence des autorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière d’adoption (1965-article 1). Traditionnellement, les États n ’étaient disposés à limiter leur propre compétence en faveur d ’autorités étrangères que sur base de réciprocité. Ceci explique pourquoi les Conventions de La Haye de la « seconde génération » concernant exclusivement la compétence (30) ou la reconnaissance (31), sont des Conventions d’application « inter partes ». De (25) Actes de la V IIe session (1951), p. 237. (26) G . D r o z , «Une Convention de La Haye de droit international privé devant l a Cour Internationale de Justice», R.C.D.I.P. 1958, p. 626, p. 627.. (27) Voir l’intervention de S. Deknemabk, reproduite dans les Actes et Documents de la V IIIe session, (1956), tome 1, p. 181. (28) Actes et Documents de la X I I e session (19), p. 104-105. (29) Voy. Actes et Documents de la X I I e session, p. 104-105. (30) La Convention de 1958 sur la compétence du for contractuel (art. 2) et la Convention sur les accords d’élection de for (1965) (art. 2) ne concernent que les clauses qui désignent un tribunal d’un des États contractants. (31) La Convention concernant la reconnaissance de la personalité juridique des sociétés, associations et fondations étrangères (1956), art. 1 ; Convention concernant la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière d’obligations alimentaires envers les enfants (1958), art. 2 ; Convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et com merciale (1971), art. 1 (voy. cependant le Protocole additionnel, art. 1) ; Convention sur la recon naissance des divorces et des séparations de corps (1970) art. 1 ; Convention sur l’administration internationale des successions (1973) art. 1 ; Convention concernant la reconnaissance et l’exécu- L A R É C IP R O C IT É D E S R È G L E S D E CO N FLIT 501 même, les Conventions qui traitent de la compétence et/ou de la reconnais sance, mais qui, en plus, introduisent des règles de conflit, restent d’appli cation « inter partes ». Toutefois, le fait que cette réciprocité n’est pas néces sairement requise dès qu’une Convention touche à la compétence ou la reconnaissance, est prouvé par la Convention plus récente relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance (1985) qui est, elle, d’application « erga omnes » (32). D. Les conventions Pour les différentes raisons énoncées, les règles de conflit des Conventions de La Haye deviennent ainsi dans « la seconde partie » de son existence des règles d’application « erga omnes ». De plus, les instruments qui les introdui sent, les Conventions, ont perdu dans une certaine mesure le caractère réci proque qu’elles avaient autrefois. Les Conventions « de la première génération » étaient des Conventions fer mées auxquelles les Etats, qui n ’étaient pas membres de la Conférence, ne pouvaient pas adhérér sans le consentement des Etats membres. L ’adhésion d’un Etat tiers suppossait le consentement réciproque de tous les États contractants. Les Conventions « de la seconde génération » sont des Conven tions plus ouvertes qui ne nécessitent plus de la même manière ce consente ment réciproque. En toute logique, les Conventions qui introduisent des règles de conflit « erga omnes » ne s’opposent généralement pas à ce que des États tiers adhèrent à la Convention, de sorte que les règles deviennent plus universellement applicables — ce qui est d’aileurs conforme à leur objec tif (33). Même les Conventions «de la seconde génération» qui ne s’appli quent qu’« inter partes », sont plus souples et admettent l’adhésion d’États tiers. Quelques Conventions ont renversé la procédure d’adhésion : l’État tiers est admis sauf si son adhésion rencontre le veto d’un État contrac- tion de décisions relatives aux obligations alimentaires (1973) art. 4 ; Convention sur la célébra tion et la reconnaissance de la validité des mariages (1978), art. 7. (32) Actes et Documents de la X V e session, 1984, 375-378. Toutefois, la réserve, prévue par l’article 21 prévoyait que limiter la reconnaissance à des trusts, régis par le droit d ’un Etat contractant. Voy. E. G a i l l a r d et D. tra tttm a n , « La Convention de La Haye du I e juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance», R.C.D.I.P. 1986, 13-15. (33) On peut toutefois s’étonner du fait que la Convention sur les accidents de la circulation (art. 18), qui contient des règles de conflit d’application universelle, ne devient applicable entre un État contractant et un nouveau Etat adhérant que si le premier accepte cette adhésion. De même, la Convention sur le trust, dont les règles de conflit sont d’application universelle, n’est applicable entre un nouveau État adhérent, qui n’est pas membre de la Conférence, et un État contractant que si ce dernier n ’élève pas d’objections à son encontre dans les douze mois après notification de son adhésion (art. 28). Cette restriction ne peut pas être expliquée par la possibi lité que les Etats ont pour limiter la reconnaissance à des trusts constitués selon la loi d ’un État contractant (art. 21), parce que cette réserve était comme exceptionelle et n ’avait d’ailleurs qu’une portée limitée. Les Conventions les plus récentes sont toutefois absolument ouvertes : des États tiers peuvent y adhérer sans restrictions de la part des États contractants. Il n ’y a plus de réciprocité au niveau de l’adhésion. 502 H AN S V A N H OUTTE tant (34). D ’autres Conventions n’exigent plus que tous les États contrac tants consentent à la nouvelle adhésion et acceptent une adhésion limitée : les nouveaux adhérents ne sont liés que vis-à-vis des États contractants qui ont accepté leur adhésion. Une Convention réciproque, celle sur le renvoi entre loi nationale et loi du domicile, va même aussi loin que les Conven tions qui introduisent des règles « erga omnes » : l’adhésion des États tiers n’est pas conditionnée par le consentement des États contractants (35). La réciprocité a aussi disparu des réserves que les États peuvent formuler lors de leur adhésion aux Conventions de La Haye. En droit international général, la réserve est d’application réciproque entre l’État qui formule la réserve et les autres États contractants (36). Ceci implique que la réserve n’est pas seulement appliquée par l’État qui l’a faite, mais aussi par les autres États dans leur rapports avec le premier. Toutefois, les réserves admises d^tns les Conventions de La Haye qui contiennent des règles d’ap plication « erga omnes » se prêtent mal à la réciprocité. On voit mal pour quoi un État devrait appliquer cette règle même quand elle renvoie au droit d’un État tiers, et appliquer la réserve quand la règle désigne le droit d’un État qui a fait cette réserve. Dans la première hypothèse, il n’y a aucune connotation de réciprocité. Il n’y a aucune raison pour qu’on en suppose une dans la seconde hypothèse. Pour éviter tout risque de récipro cité des réserves, on a proposé de distinguer les réserves stricto sensu des « facultés », qui permettraient aux États de donner à une Convention un contenu alternatif tout en restant dans le cadre de la Convention. Les « facultés » pourraient seulement être invoquées par l’État qui les a formu lées ; elles ne seraient pas applicables réciproquement dans les rapports entre l’État qui les a faites et les autres États contractants (37). La plupart des « réserves », prévues par les Conventions, seraient ainsi des « facultés » qui ne prêteraient pas à la réciprocité. Même quand une Convention conti nue à se référer à la notion de « réserve », il semble que ce terme n’implique pas la réciprocité (38). (34) Convention sur la reconnaissance et l’exécution des obligations alimentaires envers les enfants (1956), art. 10 ; Convention sur la reconnaissance et l’exécution de l’adoption (1965), art. 20. (35) Convention sur la reconnaissance et l’exécution des conflits entre la loi nationale et la loi du domicile (1955), art. 12. (36) Par ex. Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 21, para. 3. (37) Note sur les réserves et les facultés, Actes et Documents de la X I I I e session, 1976, p. 102104 ; Voy. G. D r o z , « Les réserves et les facultés dans les Conventions de La Haye de droit inter national privé », R.C.D.I.P. 1969, 381 et s. ; toutefois voy. F. M a j o r o s , « Le régime de réciprocité de la Convention de Vienne et les réserves dans les Conventions de La Haye », Clunet, 1974, p. 73 et s. (38) Voy. à propos de la Convention sur le trust, art. 22 : Actes et Documents de la X V e ses sion, tome II (1984), p. 410-411. LA R É C IP R O C IT É D B S R È G L E S D E CO N FLIT 503 C o n c l u s io n La notion de réciprocité a inspiré la Conférence dans la rédaction des Conventions « de la première génération ». À cause de cette exigence de réci procité — qui était mal comprise — , ces Conventions avaient moins d’am pleur puisque leurs règles de conflit n’étaient applicables qu’« inter partes ». La nécessité de réciprocité a été moins présente dans les travaux que la Conférence a entrepris dans la seconde moitié du siècle. Ceci explique pour quoi les règles de conflit contenues dans la plupart des Conventions « de la seconde génération » s’appliquent « erga omnes » et pourquoi des Etats tiers peuvent facilement, mais selon des modalités différentes, adhérer à ces Conventions. La Conférence doit travailler à l’unification des règles de droit internatio nal privé. Cela suppose que les règles de conflit qu’elle énonce, sont appli cables dans la plus large mesure dans le plus grand nombre d’Etats. Cet objectif est incompatible avec les différentes restrictions imposées par la réciprocité, comme la Conférence l’avait compris dans la première moitié du siècle. On ne peut donc que se réjouir que ces restrictions ont maintenant été largement abandonnées. La Conférence a ainsi tous les atouts pour continuer son travail efficace dans le second siècle de son existence.