Avis CQRHC Commission sur l`avenir de l`assurance-emploi
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Avis CQRHC Commission sur l`avenir de l`assurance-emploi
LA COMMISSION NATIONALE D’EXAMEN SUR L’ASSURANCE-EMPLOI Avis du Conseil québécois des ressources humaines en culture (CQRHC) le 10 juillet 2013 AVANT-PROPOS Le CQRHC est le comité sectoriel de main-d’œuvre reconnu par la Commission des partenaires du marché du travail et Emploi-Québec (annexe). Son avis est constitué des trois éléments suivants : 1. Quelques notions pour comprendre le travail intermittent 2. Quelques impacts du durcissement des critères de l’Assurance-emploi 3. Quelques souhaits pour l’avenir QUELQUES NOTIONS POUR COMPRENDRE LE TRAVAIL INTERMITTENT Depuis son entrée en vigueur en janvier 2013, la réforme de l’assurance-emploi est critiquée. Les travailleurs saisonniers et contractuels contestent notamment l’impact des changements sur leur salaire et leur accessibilité au régime. Un article récent de Jobboom résume bien l’enjeu pour le travail saisonnier : « Les travailleurs des pêcheries, de l’agriculture, de la foresterie, du tourisme, du transport scolaire, des services de garde en milieu scolaire et de la construction occupent souvent des emplois saisonniers ou contractuels. Suivant les nouveaux critères de la réforme, ils s’inscrivent dans la catégorie des prestataires fréquents. Ainsi classés, ces prestataires devront, dès le dépôt de leur demande, commencer à chercher un emploi semblable au précédent et dont la rémunération atteint au moins 80 % de celle qu’ils obtenaient alors ». Le premier facteur aggravant est le rétrécissement du pouvoir d’achat, parce que l’évolution des salaires est à la baisse. «Personne n’est contre le fait de gagner 70 ou 80 % de son salaire horaire de référence plutôt que les 55 % prévus par les prestations à court terme, estime Me Hans Marotte, responsable des services juridiques à l’organisme Mouvement Action-Chômage de Montréal. Mais l’impact va se faire sentir à moyen terme. Par exemple, lors de la prochaine demande de prestation, le nouveau salaire de référence sera moins élevé que le précédent, peu importe la catégorie de prestataires. Le prestataire aura à chercher un emploi encore moins payant dans n’importe quel domaine en plus de risquer de perdre son expertise.»1 Soulignons bien ce second facteur aggravant : l’incitation à accepter les emplois disponibles est à contre-pied du discours sociétal de l’importance de la formation et de l’expertise des travailleurs. Mais qu’en est-il du travail intermittent comme dans le secteur culturel ? 1 Jobboom, printemps 2013 Le travail intermittent en culture renvoie à une réalité très différente, celle du développement et financement par projet. La lecture méso du secteur culturel est celle de la chaîne de création de la valeur économique : création ou interprétation — production — diffusion et distribution — conservation et mise en valeur (œuvres et artefacts du patrimoine) — mise en marché, développement des publics, exportation. Il en découle une activité cyclique : un créateur élabore un projet, il s’adjoint une équipe de production, il s’ensuit une recherche de financement à la suite de quoi le processus de réalisation s’enclenche, que ce soit une œuvre, une performance scénique, une exposition, une tournée, un tournage cinématographique par exemple. L’intermittence du travail rémunéré est prévisible et incontournable pour les travailleurs de plusieurs maillons de cette chaîne, en particulier les artistes qui ont un statut de travailleurs indépendants (création, interprétation). C’est le volume des démarches en cours de développement qui expliquent la variation du taux de stabilité d’activités. Ce risque d’entreprise, couru par les travailleurs indépendants dont les artistes sont la figure de proue2 signifie d’investir du temps, de l’énergie, parfois des ressources sans garantie de trouver le marché ou le seuil de rentabilité. Dans certains domaines comme la production audiovisuelle, les techniciens et les comptables de production vivent la même activité cyclique, sans maîtriser le pouvoir d’initiative de nouveaux projets. Leur période d’intermittence est totalement subie. La double vie professionnelle des travailleurs indépendants en culture est bien documentée depuis 2004, suite à l’étude des déclarations de revenus de 14 000 artistes au Québec 3 . La majorité de ceux-ci (60,5%) occupent un emploi de subsistance, généralement de type salarié, pour dompter une grande partie des risques économiques4 dont le risque du sous-emploi et le risque de fluctuation de revenus sont les plus importants. Récemment, une étude d’envergure nationale sur les ressources humaines en culture (pièce jointe) révèlent, chiffres à l’appui, la réalité du travail intermittent sous deux angles 5 . La fin d’emploi est d’abord déterminée par la fin d’un contrat pour les travailleurs salariés (28%) ou la fin d’un projet (63% pour les travailleurs indépendants actifs et 60% pour les personnes en recherche de travail au moment de répondre au sondage). Ensuite, la proportion des travailleurs indépendants qui déclarent un autre 2 Martine D’Amours et Marie-Hélène Deshaies, La protection sociale des artistes et autres groupes de travailleurs indépendants : analyse de modèles internationaux, octobre 2012 3 Pour mieux vivre de l’art, 2004, MCCQ D’Amours et Marie-Hélène Deshaies, op cit. Les quatre risques économiques sont : risque d’entreprise, risque de sous-emploi, risque de fluctuation des revenus et risque de désuétude des connaissances. 4 Martine 5 Conseil des ressources humaines du secteur culturel, L’étude sur les ressources humaines du secteur culturel du Canada, Conference Board of Canada, 2010, Tableau 9 page 25 travail rémunéré est éloquente. Dans le meilleur des cas, les revenus artistiques expliquent 75% du revenu6, sinon c’est un emploi dans une organisation du secteur culturel ou à l’extérieur du secteur qui vient combler ces revenus instables et insuffisants7. En tant que comité sectoriel bien au fait des particularités de la main-d’œuvre culturelle, le CQRHC a fait de la gestion de carrière artistique un mandat aussi précieux que celui de la gestion des ressources humaines, pensée pour le modèle du lien unique entre un employeur et ses employés salariés. Les artistes et autres travailleurs indépendants souhaitent être responsables de leur trajectoire professionnelle. La gestion de carrière est une méthode qui les outillent à établir périodiquement un plan d’action de court ou moyen terme, mettant en équilibre le projet artistique et la survie. C’est dire à quel point les risques économiques sont assumés. Ensuite, l’étude sur les ressources humaines du secteur culturel décrit la faible capacité des travailleurs indépendants de la culture de couvrir les risques sociaux8 : risque de maladie, risque d’invalidité, risques d’avancée en âge (retraite). À l’échelle canadienne, le Programme de prestations spéciales d’assurance-emploi permet, depuis le 1er janvier 2011, une cotisation volontaire des travailleurs indépendants pour obtenir des prestations de maladie, des prestations de maternité, des prestations parentales et des prestations de soignant (compassion). Nous laissons de côté le risque de parentalité : le Régime québécois d’assurance-parentalité (RQAP) qui englobe les travailleurs indépendants, est un choix de société audacieux. Pour les autres risques de pertes de revenus, une analyse (pièce jointe) 9 montre que le programme ne serait pas avantageux pour la plupart des artistes qui combinent à la fois des revenus artistiques et des revenus d’emploi, ou encore qui subissent une fluctuation de leurs redevances artistiques : l’encaissement de ces droits d’auteurs ou droits de suite viendraient ponctuellement annuler la valeur de la prestation, alors qu’il s’agit d’un travail réalisé en amont (le travail invisible). Autrement dit, la majorité des travailleurs indépendants du secteur culturel n’y trouverait pas son compte. Depuis 2008, le CQRHC collabore avec Emploi-Québec afin que des bilans de compétences en transition de carrière soient accessibles aux travailleurs intermittents de la culture sur l’Île de Montréal. Lorsque ceux-ci s’y inscrivent, ils sont en crise de changement. Environ un sur quatre se déclare travailleur indépendant encore en activité, bien que la situation aléatoire des revenus explique leur découragement. Moins d’un sur quatre est prestataire d’assurance-emploi au moment de consulter, c’est-à-dire qu’il a aussi perdu l’emploi de subsistance. Au final, 90% d’entre eux ont mis leur plan d’action en marche et reprennent le chemin de l’autonomie, souvent en combinant leur 6 Conseil des ressources humaines du secteur culturel, op cit, Tableau 15 page 34 7 Conseil des ressources humaines du secteur culturel, op cit, Tableau 17 page 36 8 Martine D’Amours, Marie-Hélène Deshaies, op cit. 9 Conseil des ressources humaines du secteur culturel, Prestations spéciales de l’assurance-emploi pour les travailleuses et travailleurs autonomes. Incidence sur les artistes et les travailleuses et travailleurs culturels ; Garry Neil de Neil Craig Associates, avril 2010 activité artistique avec une nouvelle source de revenus (à la condition qu’il reste des emplois à temps partiel et de durée déterminée). QUELQUES IMPACTS DU DURCISSEMENT DES CRITÈRES DE L’A-E En raison de la multitude des risques encourus par les artistes et autres travailleurs indépendants du secteur culturel, le recours aux prestations de l’assurance-emploi est le dernier rempart (après la perte de son emploi de subsistance, c’est l’assistance du revenu). La pression pour les orienter vers un lien d’emploi continu, même s’Il est désavantageux sur le plan de la rémunération, créé déjà deux préjudices : l’un à l’échelle individuelle et l’autre à l’échelle sectorielle. D’abord, faire porter aux individus le fardeau d’un système de développement et de financement de l’activité culturelle sur lequel ils n’ont aucun contrôle. La stigmatisation du prestataire fréquent est un affront supplémentaire. Ensuite, à l’échelle sectorielle, il faut protéger leur employabilité, c’est-à-dire leur formation continue et leur disponibilité de sorte que les prochaines productions profiteront des meilleurs talents : • Les tournages, tout comme les événements du type festivals, ne pourront jamais garantir un lien d’emploi continu. • Les établissements culturels, autrefois figure de stabilité tels les musées et sites du patrimoine, vivent une précarité financière grandissante qui les obligent à raccourcir les périodes d’activités ; ce faisant, ces établissement augmentent le bassin des travailleurs intermittents, parfois dans des fonctions de travail autrefois salariées. • Une majorité d’organismes à but non lucratif (OBNL) vivent aussi des programmations cycliques, ce qui explique en partie l’offre d’emplois à durée déterminée pour bon nombre d’artistes et de travailleurs indépendants. Le durcissement des critères de l’A-E, en incitant notre main-d’œuvre à accepter des emplois réguliers dans d’autres domaines, vient menacer la quantité et la qualité du bassin de réserve pour l’économie particulière de la création artistique, culturelle et patrimoniale. Si ces derniers sont réorientés vers d’autres secteurs d’emploi, par effet de contrôle à titre de prestataires fréquents, c’est l’économie du secteur culturel qui est vulnérabilisée encore davantage. QUELQUES SOUHAITS POUR L’AVENIR Comme les comités sectoriels qui sont membres du Chantier sur la saisonnalité, notre comité sectoriel croit que les travailleurs saisonniers et les travailleurs intermittents devraient être mieux compris et soutenus. La reconnaissance d’un statut particulier obligerait l’État à adapter ses lois et ses programmes, incluant l’assurance-emploi, à la réalité de ces travailleurs atypiques. Grâce à un tel statut, l’accès à la formation continue serait facilité en période d’intermittence et en période de basse saison, plutôt que traqué comme une entorse à la recherche d’un travail. Le risque de désuétude des connaissances10 est déjà une responsabilité bien assumée des artistes et autres travailleurs culturels, continuellement à l’affût de la formation continue qui leur permettra de se démarquer, d’innover, de solliciter d’autres engagements rémunérateurs. En effet, les principaux obstacles11 pour trouver du travail du point de vue de personnes sans emploi, sont rarement le manque de compétences (11%) ou le manque d’expérience (13%), mais plutôt la demande de travail qui est insuffisante (79%). Dans un « système ouvert » comme la culture où il n’y a pas de prévision de création artistique et culturelle basée sur une demande connue de consommation, un certain équilibre se créée pour les créateurs, par la combinaison des périodes de création et des périodes d’emploi, tout comme pour les OBNL qui espèrent recruter des personnes pour des durées déterminées, en réponse aux cycles de projets. 10 Martine D’Amours et Marie-Hélène Deshaies, op cit. 11 Conseil des ressources humaines du secteur culturel, op cit, Tableau 22 page 42 DESCRIPTION DE L’ORGANISATION Conseil québécois des ressources humaines en culture Que serait la culture sans ceux et celles qui lui donnent une expression, convoquent l’émotion, aménagent la rencontre avec le public? Les ressources humaines représentent l’élément central où tout commence et où tout finit en culture. Créer, produire, diffuser ou commercialiser dépendent entièrement des personnes qui relèvent ces défis. Le CQRHC est l’un des 30 comités sectoriels de main-d’œuvre reconnus par la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT). Représentant une main-d’œuvre composée de plus de 100 000 personnes, au Québec seulement, le CQRHC regroupe huit secteurs d'activité professionnelle (liste cidessous) et sa mission vise à soutenir et à promouvoir le développement professionnel de cette maind'œuvre particulière. En fait, le CQRHC est l’instance permanente de concertation et d’action qui regroupe le plus grand nombre d’associations, de regroupements et de conseils régionaux de la culture au Québec. • • • • • • • • Arts visuels Audiovisuel Danse, musique, théâtre, cirque et arts interdisciplinaires Enregistrement sonore Littérature Métiers d'art Muséologie et patrimoine Spectacles, variétés et humour Le défi du CQRHC est important, car le secteur culturel est caractérisé par le travail atypique, la diversité des statuts d’emplois et des modes de rémunération. Pour cette raison, les solutions développées par le CQRHC se situent souvent en parallèle des mesures d’Emploi-Québec pensées pour le modèle traditionnel de l’employeur unique et l’employé salarié. Les outils adaptés aux caractéristiques des ressources humaines en culture touchent toutes les étapes du cycle de la carrière : l'intégration, la carrière et la transition de carrière. Historique : 20 ans de concertation, 15e anniversaire de fondation Il a été fondé en 1999 au terme d’un processus de regroupement de quatre Tables de concertation de la main-d’œuvre, actives depuis 1994 dans certains domaines, et après avoir soumis au milieu culturel et aux autorités gouvernementales la représentativité pertinente du secteur culturel. L’enjeu du développement des compétences et du professionnalisme des artistes est majeur en culture : le CQRHC est l’instance permanente de concertation et d’action qui regroupe le plus grand nombre d’associations, de regroupements et de conseils régionaux de la culture au Québec. À l’instar de la Politique culturelle du gouvernement du Québec qui favorise l’accès à la culture sur tous les territoires, le CQRHC compte sur ses membres pour que la main-d’œuvre culturelle soit outillée dans toutes les régions. Mission et valeurs Le CQRHC est l’organisme rassembleur des associations et regroupements du secteur culturel qui a pour mission de contribuer à l’élaboration et à la réalisation des stratégies vouées à la reconnaissance du professionnalisme et au développement des ressources humaines dans ce secteur. L’expression Organisme rassembleur appelle la concertation entre les différentes instances que sont les associations, les regroupements et les conseils régionaux de la culture pour discuter des enjeux en matière de ressources humaines dans le secteur. C’est l’option que s’est donnée le CQRHC pour représenter le monde du travail particulier qu’est celui de la culture. Cette manière d’organiser la concertation remplace l’habituelle représentativité des parties Employeurs et des parties Travailleurs inhérente aux comités sectoriels. La reconnaissance du professionnalisme est une exigence propre au secteur culturel. Le professionnalisme est en effet la balise ultime pour démarquer les personnes qui font carrière dans les arts par rapport à celles qui ont une pratique en tant que loisir. Il est basé notamment sur la reconnaissance par les pairs qui se distingue de la qualification professionnelle considérée comme la capacité d’exécuter de manière conforme le même emploi dans un même contexte d’exécution du travail. Le développement des ressources humaines est au cœur des préoccupations de tout comité sectoriel. Il se manifeste ici par la volonté de favoriser l’accès à la formation continue, promouvoir la gestion de carrière, valoriser les meilleures pratiques en gestion des ressources humaines et diffuser de l’information concernant le marché du travail. Les valeurs préconisées par le CQRHC sont : • la créativité • l’intégrité • le respect • la coopération • l’équité Conseil d’administration Le conseil d'administration compte 23 administrateurs, dont 20 sont élus par l'assemblée générale des membres, les trois autres étant nommés par cooptation par les administrateurs élus par l'assemblée générale annuelle. Deux personnes sont choisies par et parmi les délégués des membres actifs de chacun des secteurs, à l’exception des délégués du secteur Danse, musique, théâtre, cirque et arts interdisciplinaires qui choisissent trois personnes. Trois personnes sont choisies par et parmi les délégués des conseils régionaux de la culture. Trois administrateurs sont nommés par cooptation par les membres du conseil d'administration élus en assemblée générale lors de la première réunion du conseil suivant l'assemblée générale annuelle des membres. Le conseil de direction est formé du président, des deux vice-présidents, du secrétaire, du trésorier ainsi que tout autre officier dont le titre et les fonctions peuvent être déterminés par résolution du conseil d'administration. Les conseillers gouvernementaux sont un représentant de la Direction du développement des compétences et de l'intervention sectorielle découlant de la Commission des partenaires du travail et par une personne déléguée par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec. _____________ Source : Louise Boucher Directrice générale 1450 City Councillors bureau 440 Montréal, Québec H3A 2E6