dossier d`accompagnement au spectacle Nous sommes repus mais

Transcription

dossier d`accompagnement au spectacle Nous sommes repus mais
Nous sommes repus mais pas repentis
(Déjeuner chez Wittgenstein)
de Thomas Bernhard
Conception Séverine Chavrier
13-29 mai 2016 / Berthier 17e
Dossier d'accompagnement
Horaires du mardi au samedi à 20h, dimanche
à 15h Relâche les lundis
Ateliers Berthier 17e
1 Rue André Suarès
(angle boulevard Berthier)
Métro (ligne 13)
RER C Porte de Clichy
Bus PC3, 138,173, 54,74, N15, N51
Service du développement des publics
Public de l’enseignement,
Clémence Bordier 01 44 85 40 39
[email protected]
Coralba Marrocco 01 44 85 41 18
[email protected]
Nous sommes repus mais pas repentis
(Déjeuner chez Wittgenstein)
13 – 29 Mai 2016
Conception Séverine Chavrier
Scénographie Benjamin Hautin
Dramaturgie Benjamin Chavrier
Lumière Patrick Riou
Son Frédéric Morier
Vidéo Jérôme Vernez
Assistanat à la mise en scène Maëlle Dequiedt
Assistanat Scénographie Louise Sari
Construction du décor Atelier du Théâtre de Vidy
avec Marie Bos, Séverine Chavrier, Laurent Papot
Et la participation en alternance des élèves du CRR – Conservatoire à Rayonnement
Régional : Alma Bettencourt — piano, Maya Devane — violoncelle, Pierre Cornu-Deyme
— flûte traversière Juliette Benveniste — piano, Piermattia Severin — violon, Maïwen
Levy — violoncelle Isadora Hossenlop — piano, Zoé Moreau — violoncelle, Yan Maratka
— clarinette
Production Théâtre de Vidy – Compagnie La Sérénade Interrompue
Coproduction Odéon Théâtre de l’Europe – CDN Besançon Franche-Comté
Avec le soutien de la SPEDIDAM
Pro Helvetia - Fondation suisse pour la culture
DRAC- Île de France
Haute Ecole de Musique et Conservatoire de Lausanne
Déjeuner chez Wittgenstein de Thomas Bernhard (traduction de Michel Nebenzahl) est
publié chez l'Arche Editeur, agent théâtral du texte représenté
créé le 9 mars 2016 au Théâtre de Vidy
La compagnie La Sérénade interrompue est conventionnée par la DRAC Ile-de-France
Séverine Chavrier développe une résidence de territoire à Herblay pour une durée de trois
ans avec le soutien de la Ville d'Herblay, la DRAC Ile-de-France, le Conseil départemental
du Val d'Oise et le Festival Théâtral du Val d'Oise
Introduction au spectacle ..................................................................................................................... 4
1-Héritage ............................................................................................................................................ 6
1.2- « Vienne : splendeur et misère», extrait d'une note d'intention de Séverine Chavrier : ........... 6
1.3- « Nous sommes autrichiens, nous sommes apathiques », par Thomas Bernhard..................... 6
2-Soliloque « contre l’abrutissement » ................................................................................................ 8
2.1- « Un repas à coups de marteau » par Séverine Chavrier ......................................................... 8
2.2 Extrait de Déjeuner chez Wittgenstein de Thomas Bernhard ..................................................... 8
2.3 Extraits de Remarques mêlées de Ludwig Wittgenstein ............................................................ 9
3-Lutter pour survivre : ...................................................................................................................... 10
3.1 « Soliloque, colère et autodestruction » par Séverine Chavrier ............................................... 10
3.2 Extrait de Déjeuner chez Wittgenstein ..................................................................................... 11
3.3 Extrait 3 jours de Thomas Bernhard ........................................................................................ 12
3.4 « Se sauver » entretien avec Jean-Marie Winkler par Laure Hémain .................................... 13
4-L'ostracisme familial ...................................................................................................................... 14
4.1 « Un sol de vaisselle cassée » par Séverine Chavrier .............................................................. 14
4.2 Extrait Déjeuner chez Wittgenstein .......................................................................................... 15
4.3 « On ne mange pas seul », entretien avec Claude Fischler ...................................................... 16
Annexes, Biographies de Séverine Chavrier et de Thomas Bernhard ............................................... 19
Thomas Bernhard ........................................................................................................................... 19
Séverine Chavrier........................................................................................................................... 21
Introduction au spectacle
Voss, penseur infirme, neurasthénique et puéril, sort de sa maison de repos pour
s’enfermer dans la maison de ses parents et y jouer les tyrans domestiques aux dépens de
ses deux sœurs actrices, Ritter et Dene, condamnées à un étouffement de la chair «à
perpétuité». Ostracisme familial sur fond de vaisselle brisée... Ritter, Dene, Voss, sont aussi
les véritables noms des trois comédiens qui créèrent l’œuvre traduite sous le titre de
Déjeuner chez Wittgenstein – un trio d’«acteurs intelligents» que Thomas Bernhard admirait
suffisamment pour leur dédier sa pièce en la baptisant de leurs noms. Alors, pourquoi
«Wittgenstein» ? Parce que Bernhard a non seulement nommé le philosophe dans une note
liminaire, mais parsemé les répliques d’allusions précises et ironiques à son célèbre
compatriote, rejeton d’une illustre famille viennoise, qui enseigna à Cambridge avant de
partir vivre en Norvège, loin de tous, dans une cabane en rondins. Cela étant, dans le
corps du texte proprement dit, l’auteur du Tractatus Logico-Philosophicus est devenu
Ludwig Worringer, patient distingué du docteur Frege... Alors, Voss incarne-t-il l’un des
fondateurs de l’empirisme logique, ou un maniaque qui ne supporte de porter que des
caleçons de coton grossier et de fabrication suisse ? Est-il génial, sénile, l’un et l’autre, l’un
par l’autre ? Ou un totem de plus qu’il faut saisir à deux mains pour fracasser toutes les
autres idoles culturelles à la ronde, comme autant de porcelaines fines dans ce «repas à
coups de marteau» ?
Metteure en scène, pianiste et comédienne, Séverine Chavrier pratique un théâtre nourri
des multiples facettes de sa personnalité : le corps, la musique, la vidéo, la parole. Toutes
sont convoquées à ce Déjeuner chez Wittgenstein, ici librement agrémenté d’extraits d’autres
œuvres : Le Naufragé, Maîtres anciens, Un Souffle, Mes Prix littéraires ou encore Des Arbres à
abattre, dont elle a tiré ce qu’elle appelle plaisamment «des monologues d’ontologie». Elle
s’est mise à l’écoute de la voix si singulière de Bernhard, obstinée, insistante, exagérant
toujours pour mieux dénoncer, sur fond d’horreur à l’autrichienne, la persistance plus ou
moins camouflée des tentations fascisantes de la vieille Europe. Pratiquant une «culture en
acte qui s’affirme et s’infirme», travaillant pour et contre sa propre tradition, au creux de
«l’écart entre Schubert et Hitler», l’imprécateur viennois ne s’est jamais lassé de gratter la
plaie, voire de «mettre les doigts dedans» pour la remettre à vif, afin que jamais les traces
de l’Histoire ne cicatrisent, sans laisser le moindre répit ni à lui-même ni à son public.
Aucune catharsis n’est à espérer dans ce jeu de massacre «où il ne s’agit pas de recoller les
morceaux mais bien de les briser encore», entre mise en scène de soi et mise à l’épreuve de
l’autre, avec une véhémence noire qui n’exclut pas l’humour.
4
Séverine Chavrier s’est passionnée pour cette rage d’artiste «terriblement vivante» qui
prend le risque de l’autodestruction. De cette rencontre avec Bernhard, elle espère voir
surgir ce qu’il appelait «un théâtre du corps et de la peur de l’esprit», se nourrissant de
l’énergie du saccage et de la provocation pour parvenir à la grande santé : des éclats d’un
théâtre dans tous ses états, «dans le théâtre, sur le théâtre, contre le théâtre, sous le
théâtre».
Présentation du spectacle, disponible sur le site de l'Odéon,
http://www.theatre-odeon.eu/fr/2015-2016/spectacles/nous-sommes-repus-mais-pasrepentis
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1-Héritage
1.2- « Vienne : splendeur et misère», extrait d'une note d'intention de Séverine
Chavrier :
Cette obstination, présente dans toute l’œuvre de Bernhard, à dénoncer la persistance et le
camouflage des réflexes et des tentations fascisantes, tout comme des traumas liés
l’histoire sanglante du XXème siècle, en Europe et d’une manière toute particulière en
Autriche, sera notre ligne de fuite dans le travail et la recherche.
C’est que dans toutes ses pièces Bernhard travaille une culture en acte, qui s’affirme et
s’infirme en un même mouvement d’interrogation sur elle-même, pensant et pansant la
tradition et la rupture, la splendeur passée et la folle violence, l’écart entre Schubert et
Hitler : «comment écouter Beethoven sans penser au procès de Nüremberg» (Place des
Héros).
Dans les attaques particulièrement viscérales de Bernhard à l’encontre de son pays et de
ses institutions, cette lutte verbale ne s’inscrit pourtant dans aucun mouvement plus global
que celui d’une voix solitaire, qui butte et s’obstine, soutenue par la seule rage
inextinguible de l’artiste, jusqu’au risque de son autodestruction. Vienne: splendeur et
misère.
Il met les mains dedans et assume l’absurdité d’un tel héritage en vociférant près de
Steinhof au bord de la folie, avec la fragilité et la force de l’infirme. Sa langue articule «des
blessures et des traumatismes s’ouvrant dans une litanie de rappels et je dis bien de
rappels non de souvenirs».
Séverine Chavrier,
«Pistes dramaturgiques » in dossier de présentation du spectacle, Nous sommes repus mais
pas repentis réalisé par Le théâtre Vidy Lausanne.
1.3- « Nous sommes autrichiens, nous sommes apathiques », par Thomas
Bernhard
Cette « obstination à dénoncer la persistance et le camouflage des réflexes et des tentations
fascisantes » de Thomas Bernhard, s'est notamment illustrée dans ses discours, en particulier celui
qu'il a prononcé lors de la remise du Prix National Autrichien, le 22 mars 1968.
Monsieur le Ministre,
Vous tous qui êtes ici présents,
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Il n’y a rien à exalter, rien à condamner, rien à accuser, mais il y a bien des choses risibles ;
tout est risible quand on pense à la mort.
On traverse la vie, on en reçoit des impressions, on n’en reçoit pas d’impression, on
traverse la scène, tout est interchangeable, on reçoit une formation plus ou moins bonne
dans le magasin des accessoires : quelle erreur ! On comprend un peuple qui ne se doute
de rien, un beau pays – ce sont des pères morts ou consciencieusement sans conscience,
des hommes avec la simplicité et la bassesse, la pauvreté de leurs besoins.
Tout est pré-histoire hautement philosophique et insupportable. Les siècles sont pauvres
d’esprit, le démonique en nous est la perpétuelle prison du pays des pères où les
composantes de la bêtise et de la brutalité la plus intransigeante se sont faite quotidienne
nécessité. L’État est une structure condamnée en permanence à l’échec, le peuple une
structure condamnée sans cesse à l’infamie et à la faiblesse d’esprit. La vie est désespoir
auquel s’appuient les philosophies, dans lesquelles tout, finalement, est promis à la
démence.
Nous sommes autrichiens, nous sommes apathiques ; nous sommes la vie, la vie comme
indifférence, vulgairement partagée, à la vie ; nous sommes, dans le processus de la
nature, la folie des grandeurs, le sens de la folie des grandeurs comme avenir.
Nous n’avons rien à dire, sinon que nous sommes pitoyables, que nous avons succombé
par imagination à une monotonie philosophico-économico-mécanique.
Instrument de la décadence, créature de l’agonie, tout s’éclaire à nous, nous ne
comprenons rien. Nous peuplons un traumatisme, nous avons peur, nous avons bien le
droit d’avoir peur, nous voyons déjà, bien qu’indistinctement, à l’arrière-plan, les géants de
l’angoisse.
Ce que nous pensons a déjà été pensé, ce que nous ressentons est chaotique, ce que nous
sommes est obscur.
Nous n’avons pas à avoir honte, mais nous ne sommes rien non plus et nous ne méritons
que le chaos.
Je remercie, en mon nom personnel et au nom de ceux que l’on distingue aujourd’hui avec
moi, ce jury, et très expressément tous ceux qui sont ici présents.
Thomas Bernhard
In Ténèbres. Textes, discours, entretien, sous la direction de Claude Porcell, Éditions Maurice
Nadeau, Paris, 1986, p. 43-44.
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2-Soliloque « contre l’abrutissement »
2.1-« Un repas à coups de marteau » par Séverine Chavrier
Voss soliloque «contre l’abrutissement» et interroge une culture en procès qui, avec son
poids peut nous sauver et nous écraser tout à la fois. Comme il le faisait déjà ouvertement
dans sa pièce Les Célèbres les héros bernhardiens peuvent être aux prises avec leurs idoles
et passer d’une génération initiale à un carnage final. Il y a une dénonciation forte de nos
sociétés occidentales écrasées par le poids de la culture muséifiée et panthéonique dont
elles se servent comme expiation à leur médiocrité et à leur vide spirituel.
En bataillant avec la problématique toute germanique du sublime, Voss reprend à son
compte cette exigence folle jusqu’à l’absurde de mener une œuvre solitaire et visionnaire.
L’occasion de faire parler Bernhard d’art, de musique, de théâtre, de peinture et donc de
quelques amis morts, «fantômes, compagnons d’infortune». Et puisque c’est au théâtre que
peut le mieux être convoqué «ce dialogue incessant avec les morts», le plateau pourra être
le lieu d’un crépuscule des idoles, dans cet examen de conscience toujours recommencé
entre admiration et mise au banc, entre vitalité et morbidité de nos panthéons.
Bataillant à la fois contre et avec ce poids énorme d’une culture cosmopolite et vivace (la
culture germano austro-hongroise de l’avant-guerre), Bernhard a écrit des soliloques
d’ontologie dans ses romans. Il s’agira d’en extraire quelques-uns pour que quelque chose
se dise, peut-être du théâtre tel qu’il nous travaille aujourd’hui, de la musique, telle que
tout musicien l’aime profondément et la hait tout autant. Avec cette ambivalence qui dit à
la fois la passion et l’impossible de l’absolu.
Séverine Chavrier,
«Pistes dramaturgiques » op.cit.
2.2 Extrait de Déjeuner chez Wittgenstein de Thomas Bernhard
VOSS- [...] Nous abandonnons tout presque
quand l'instrument
que nous avons appris
nous l'abandonnons
Faire du théâtre c'est quand même un art abject
jouer d'un instrument c'est tout autre chose
dès qu'un acteur parle
j'ai constamment le sentiment
que le monde est vulgaire
tout autre chose quand un altiste joue de l'alto
et seulement le piano aussi d'après moi
à condition qu'on sache en jouer naturellement
8
Thomas Bernhard, Déjeuner chez Wittgenstein traduit de l'allemand par Michel Nebenzahl,
L'Arche, p. 98
2.3 Extraits de Remarques mêlées de Ludwig Wittgenstein
La pensée Thomas Bernhard et celle Ludwig Wittgenstein se rejoignent à plusieurs endroits. Tous
deux parlent beaucoup, dans leurs écrits, d'art et en particulier de musique. Extraits de
Remarques mêlées du philosophe autrichien.
La musique semble à beaucoup un art primitif, à cause du petit nombre de ses sons
et de ses rythmes. Mais c'est seulement sa surface qui est simple, tandis que ce qui fait son
corps, ce qui rend possible l'interprétation de son contenu manifeste, possède toute
l'infinie complexité que nous trouvons suggérée dans les autres arts et que la musique
passe sous silence. Elle est dans un certain sens le plus raffiné de tous les arts 1.
Lorsque j'imagine un morceau de musique (ce que je fais tous les jours, et plusieurs
fois par jour), je frotte mes dents de dessus et celles de dessous les unes contre les autres –
et cela toujours, je crois bien – en suivant le rythme. Je m'en suis rendu compte il y a déjà
longtemps, mais la plupart du temps cela se produit de façon totalement inconsciente.
C'est comme si les sons que j'imagine étaient produits par ce mouvement. Cette façon
d'écouter intérieurement un morceau de musique est, je crois, très répandue. Je puis
naturellement aussi m'imaginer un morceau de musique sans bouger les dents, mais alors
les sons ont quelque chose de beaucoup plus irréel, beaucoup plus vague, moins
prégnant 2.
Jouer du piano : danse des doigts humains 3.
Telle est mon angoisse d'entendre quelqu'un jouer du piano dans la maison, que
lorsque cela se produit et que le bruit vient à cesser, j'ai encore une sorte d'hallucination,
comme s'il continuait. Je puis alors l'entendre fort distinctement, bien que je sache qu'il
n'est que dans mon imagination 4.
Ludwig Wittgenstein,
Remarques mêlées, traduit de l'allemand par Gérard Granel, GF Flammarion
Ludwig Wittegenstein, Remarques mêlées, traduit de l’allemand par Gérard Granel, GF Flammarion, p. 61
Ibid, p. 85
3
Ibid p. 97
4
Ibid p. 132
1
2
9
3-Lutter pour survivre :
3.1 « Soliloque, colère et autodestruction » par Séverine Chavrier
A travers la figure croquée du philosophe autrichien, fossoyeur de la langue, inventeur de
la «sprachlösigkeit» (nom donné à la grande guerre par les allemands), tout comme avec
Emmanuel Kant, Bernhard met en scène avec violence et burlesque un trio familial autour
d’un personnage central neurasthénique et puéril, tyrannique, tantôt irritant, tantôt
sympathique, toujours excessif qui remplit en creux, par la négative, l’exception dont on le
traque.
Affublé de quelques détails, légendes biographiques et raccourcis loufoques (Wittgenstein
est sous la protection du docteur Frege, autre logicien fameux), c’est cette figure de l’artiste
en infirme que Bernhard travaille encore ici, se donnant tout à la fois dans un isolement
désiré et une exhibition de soi, dans une misanthropie tout autant destructrice que
salvatrice, aux limites de la folie. Voss est aux prises avec la vacuité dans ce repas familial
dont le «ce dont on ne peut parler il faut le taire» de Wittgenstein pourrait faire office de
programme. Jouant de manies, d’obsessions, de certitudes et de superstitions dans des
raccourcis de cause à effet qui disent la tyrannie d’une intelligence qui tourne à vide, dans
des torsions intellectuelles qui par l’exagération et la mauvaise foi de la langue familiale
donnent à des provocations l’acuité d’une vérité, par des chemins qui ne mènent nulle
part, Voss, «contre l’abrutissement», tyrannise ses deux soeurs, condamnées à un
étouffement de la chair «à perpétuité».
Les deux personnages féminins, emblématiques des femmes bernhardiennes, sont aux
prises avec un immobilisme et un véritable étouffement de la chair qui aboutit à diverses
manies, déviances, violences cachées. Le plateau et son off (ou le noir-plateau de la nuit)
devra porter la trace de ces rêves avortés, déçus, de promesses douloureusement niées. La
mise en scène de ces deux soeurs esclavagisées par la tyrannie d’un seul donne à l’intime
familiale mauvaise foi et cruauté, et pointe cet ostracisme comme terreau pour la naissance
de la folie mais aussi pour toute résurgence du mal. C’est par des sorties de pistes, comme
le texte s’en autorise, que la mise en scène s’attachera à remuer ce terreau puant de regrets
et de terreurs mêlées, avec notamment ce procédé de caméra infra-rouge, nous donnant à
voir ce qui se passe dans la nuit du plateau (déjà utilisé dans Les Palmiers sauvages).
Séverine Chavrier,
«Pistes dramaturgiques », op. Cit.
10
3.2 Extrait de Déjeuner chez Wittgenstein
VOSS
Nous avons notre maladie mortelle
et savons
que c'est d'elle que nous mourrons
ce processus de mort nous pouvons l'accélérer
l'enrayer le traîner en longueur
si nous voulons
mais nous savons naturellement
que tout cela n'est qu'une question de peu de temps
et nous nous disons
au moins développer encore cette pensée
rejeter celle-là
écrire cette ligne
terminer ce chapitre
là se trouve notre plus grand plaisir
c'est pour cela que nous existons encore
pour aucune autre raison
hors de celle que nous pensons
et que ce que nous pensons nous y tenons ferme
autant qu'il nous est possible
rien ne nous intéresse plus
je veux dire ma pensée
et moi
DENE lui sert encore un morceau de viande sur l'assiette et verse de la sauce dessus
VOSS
Nous ne sommes pas allés en Angleterre
pour un voyage d'agrément
mais parce que nous voulions
renouveler notre pensée
substituer à l'éventé l'invention d'une totale nouveauté
je ne suis pas allé à Cambrigde
pour faire le Docteur anglais
pas pour quelque chose d'aussi ridicule
mais parce que j'y ai vu une chance
d'aller plus loin dans ma pensée
que cela ne m'avait pas été possible jusqu'alors
Tous les liens avec la famille etcetera brisés
dans ce seul but
Nous ne pouvons pas penser
11
tant que nous sommes liés à des êtres humains et à leurs besoins
Ce qui ne veut pas dire
que les êtres humains ne nous intéresse pas
au contraire
parce que nous avons tout concentré sur eux
avec la plus grande des intensités
nous devons nous libérer d'eux
Thomas Bernhard
Déjeuner chez Wittgenstein, op. Cit. p. 88-89
3.3 Extrait 3 jours de Thomas Bernhard
La pensée du personnage Voss entre en résonance avec celle de Thomas Bernhard, que l'on retrouve
dans son texte 3 jours, qui résulte d'une longue interview que l'auteur autrichien a accordé pour
un film.
Se faire comprendre est impossible, ça n’existe pas. La solitude, l’isolement deviennent
un isolement encore plus grand, une solitude encore plus grande. On finit par changer
de cadre à intervalles toujours plus rapprochés. On croit que des villes toujours plus
grandes – la petite ville ne vous suffit plus, Vienne ne suffit plus, Londres même ne
suffit plus. Il faut aller sur un autre continent, on essaie de pénétrer ici et là, les langues
étrangères – Bruxelles peut-être? Rome peut-être? Et là on va partout et on est toujours
seul avec soi-même et avec son travail toujours plus abominable. On revient à la
campagne, on se retire dans une ferme, on verrouille les portes, comme moi – et c’est
souvent pendant des jours – on reste enfermé et de l’autre côté la seule joie et le plaisir
toujours plus grand est alors le travail. Ce sont les phrases, les mots que l’on construit. En
fait, c’est comme un jouet, on met les cubes les uns sur les autres, c’est un processus
musical. Quand on a atteint une certaine hauteur, au quatrième, cinquième étage – on
arrive à construire cela – on voit la réalité de l’ensemble et on démolit tout comme un
enfant. Mais alors qu’on croit qu’on en est débarrassé, il y a déjà une autre de ces tumeurs,
que l’on reconnaît comme un nouveau travail, un nouveau livre, qui vous pousse quelque
part sur le corps et qui ne cesse de grossir.
En fait un de ces livres n’est rien d’autre qu’une tumeur maligne, une tumeur cancéreuse ?
On opère pour enlever et on sait naturellement très bien que les métastases ont déjà infesté
le corps tout entier et qu’il n’y a plus de salut. Et cela devient naturellement toujours pire
et toujours plus fort, et il n’y aucun salut ni aucun retour en arrière.
Thomas Bernhard,
Trois jours (1970), in Récits 1971-1982, texte français Claude Porcell, coll. “Quarto”,
Gallimard, Paris, 2007
12
3.4 « Se sauver »
Professeur à l'université de Rouen, Jean Marie Winkler a travaillé sur Thomas Bernhard. Dans un
entretien, il évoque l'un des thèmes récurrents de son œuvre : l'échec.
L. H. : Le thème de l’échec, ou l’aveu d’impuissance dans l’écriture, est un thème récurrent du théâtre et
de la prose de Thomas Bernhard, comment l’analysez-vous ?
J.-M.W. : Le thème de l’échec est double. Tous les personnages de ses romans, et cela vaut aussi
pour son théâtre, luttent : ils luttent pour leur survie. Et ce n’est pas qu’une survie matérielle,
c’est aussi une survie de l’esprit, intellectuelle, un moyen de survivre : c’est-à-dire de ne pas
mourir, ne pas se tuer, d’accomplir quelque chose. D’un côté, il y a les scientifiques, qui se
réfugient dans un travail que nous appellerons les « sciences dures » (sciences de la nature,
mathématiques, etc.), et la science est un des moyens de se sauver. De l’autre côté, il y a les
artistes, qui représentent l’autre possibilité de se sauver : l’oeuvre d’art, sa réalisation, serait un
moyen de surmonter l’échec (dans la mesure où toute vie, où le fait d’exister est échec). Entre
les scientifiques et les artistes, on trouve enfin les penseurs, qui sont à la fois des artistes et des
scientifiques, puisque la philosophie est une science.
Or, si on lit bien les grands romans de Bernhard, on aperçoit que les personnages, tendus vers
le projet d’accomplissement d’une oeuvre, n’y parviennent pourtant pas.
Jean-Marie Winkler
Entretien avec Laure Hémain, enregistré mars 2007, consultable sur la revue électronique n°9,
consacré à Thomas Bernhard, consultable sur le site de la Colline.
13
4-L'ostracisme familial :
4.1 « Un sol de vaisselle cassée » par Séverine Chavrier :
Nous sommes repus mais pas repentis
Sur un sol de vaisselle cassée, l’ostracisme familial doit se déployer avec calme et rancune
accumulée, tension et déchirements subis. Il ne s’agit pas de «recoller les morceaux» mais
bien de les briser encore avec application, de remettre ses pas dans les anciens, dans un
éternel retour du même car aucune catharsis n’est possible dans le cercle clos de la famille,
dans cet entre-soi fatal. De la «table ronde» toujours rectiligne à la tablée familiale,
comment ce repas, initiale et dernière mise à mort, peut-il être le lieu de tous les traumas,
de toutes les résurgences-fulgurances, de toutes les maladies qui guettent encore cette
vieille Europe dont le fascisme, le vieillissement, le gâtisme, la paralysie, l’ostracisme, les
nouvelles dégénérescences nerveuses ne sont pas les moindres de ses maux dans un
tempo qui mènera, on le sait, à la catastrophe. Car à la porte c’est un monde en
décomposition, poli et policé, qui dort dont «le ventre est toujours fécond». Comme une
chape de plomb, de repas en repas, métaphore et de l’éternel retour du même et d’une
dégénérescence silencieuse, le monde bernhardien peut trouver sur un plateau
l’enfermement et le glissement des images et des imaginaires nécessaires à sa permanence
et à l’écoute de ses alertes-rappels.
Scénographie
Le travail sur la vaisselle cassée, renversée, ravivée, piétinée autour du repas, de ses temps
d’attente, de ses temps morts, de ses temps de paroles sera le sol du trio avec des sorties de
pistes pour chacun et cette nuit noire, hantée par la chair et ses fantasmes.
Une table-tableau à la Spoerri, pouvant se décrocher pour remanger dans les assiettes
sales, un tapis de terre, en train de pourrir, des lumières actionnées au plateau, une
accumulation de mobilier vieux et poussiéreux, un mur d’affiches du théâtre qui
accueillera ce déjeuner, du mobilier rempli de vaisselle cassée, plusieurs pianos cassés, un
violon seront notre horizon de jeu.
Séverine Chavrier,
«Pistes dramaturgiques », op. Cit.
14
Nous sommes repus mais pas repentis, photo de Samuel Rubio
4.2 Extrait Déjeuner chez Wittgenstein :
[Voss] se lève et se dirige vers le portrait du père, se tourne vers les sœurs décontenancées et
descend le portrait du père du mur, le tenant devant lui contre son corps, il dit
L'instant je le redoutais
où j'allais devoir prendre la place là-même
où pendant toute l'enfance
et la plus grande partie de ma jeunesse j'avais été assis
face à mon père
Je l'ai toujours haï
J'ai souhaité sa mort
sa mort n'a pas altéré ma haine
il pose le portrait au sol et dit en considérant les autres portraits accrochés aux murs
Tout cela des êtres répugnants
de qui tout ce que nous avons nous vient
Il n'y a aucune raison
de reprendre contact avec les morts
Nos géniteurs
nous ont mal récompensés
d'avoir été leurs enfants
Nous ne sommes tout de même pas le produit de leur esprit
Il s'assied exactement à la place à table en face de celle où il était assis avant qu'il se lève
15
C'est pourtant vrai
ce n'est rien d'autre qu'un processus de dérision
DENE se lève et lui apporte vaisselle et couvert de la place où il était assis auparavant
VOSS pendant que sa sœur lui verse à nouveau la sauce dans son assiette
La salle à manger
tout le mail est parti d'ici
père mère enfants
rien que personnages de l'enfer
tout ce qui était de quelque valeur
a toujours été noyé
dans les soupes et dans les sauces
une pensée
en avais-je un fondée sur des faits
en avais-je une d'une réelle valeur
la mère la noyait dans sa soupe
un sentiment
en avais-je un fondé sur des faits
en avais-je d'une réelle valeur
elle le recouvrait de sa sauce
Et le père tolérait sans scrupule
ce que ma mère étouffait en moi
voilà pourquoi cette salle à manger
je l'ai toujours haïe
de cette place-ci
de la place du père
n'ont jamais été prononcés que des arrêts de mort
votre sort n'était pas différent
mais je n'étais pas aussi rusé que vous
je suis plus ou moins toujours tombé
avec toute ma raison dans le pièce
Les parents n'avaient pas honte
même pas la mère
avoir honte pourtant eût été un devoir pour elle
J'ai dû de fait et de vie la haïr
pour pouvoir me sauver
Thomas Bernhard
Déjeuner chez Wittgenstein, traduit de l'allemand par Michel Nebenzahl, L'Arche, p. 95-97
4.3 « On ne mange pas seul », entretien avec Claude Fischler
Pourquoi Thomas Bernhard a-t-il choisi de mettre en scène un philosophe à table ? Quels rapports
16
entre son éducation religieuse et son comportement de convive ? Pourquoi le déjeuner avec ses
soeurs prend-il une tournure si bizarre ? Éléments de réponse avec le sociologue Claude Fischler,
spécialiste de l'alimentation humaine.
Claude Fischler, quelles réflexions la lecture de ce Déjeuner chez
Wittgenstein vous a-t-elle inspirées ?
Le premier détail qui m'a intrigué en lisant Bernhard, c'est que les Wittgenstein, si je me
souviens bien, étaient une tribu assez nombreuse, dont beaucoup de membres se sont
suicidés. Leur identité était assez complexe. Du côté du père, ce sont des Juifs convertis
au protestantisme luthérien. Mais la mère de Ludwig était catholique, et Ludwig a été
baptisé et élevé dans cette religion. Ce qui a son importance.
Ce déjeuner est-il un symptôme ?
Il est un révélateur, et le point focal de la pièce. Bernhard l'a divisée en
trois parties : avant, pendant, et après le déjeuner. Celui-ci est donc au centre de l'oeuvre.
Si l'on s'en tient à son déroulement, on peut relever plusieurs écarts, voire des
dysfonctionnements, mis en évidence par les didascalies. Par exemple, l'une des soeurs
semble resservir inlassablement de la «viande» dans les assiettes, selon un rythme assez
peu déchiffrable. Puis elle y déverse de la «sauce», alors même que son frère n'y touche
pas. [...]
La sauce est donc le signe d'un déréglage, par excès et par défaut ?
En effet, ce repas n'a pas de mesure. Il transgresse plusieurs points de la syntaxe
commensale. Du côté des soeurs, elles veulent contrôler le repas, mais ne savent pas
comment en régler le bon déroulement. Et du côté du frère, les refus vont croissant.
D'abord, il mange sans appétit, ne fait pas honneur au repas, violant ainsi l'un des
principes fondamentaux de la commensalité. Le don alimentaire est en effet quasiment
assimilable à une forme de don de soi, et le contre-don du récipiendaire doit
consister à accepter ce don. À l'hospitalité, on répond en principe par la confiance. En
espagnol, on dit «mi casa es su casa», en français «vous êtes chez vous» : l'un fait tout pour
l'autre, et réciproquement ce dernier se livre, s'engage. Ce qu'on lui offre, il le paie, si je
puis dire, de sa personne en l'absorbant. Comme si, en effet, il était chez lui.
Mais justement, le protagoniste ne se sent pas chez lui…
C'est même l'un de ses refus explicites, et l'une des façons les plus radicales de subvertir le
lien de la commensalité. [...]
Au moment du dessert, le héros s'étouffe avec les profiteroles, qu'il engloutit avec une
sorte de rage suicidaire. Là encore, on passe du vide au trop-plein : soit je ne mange pas ta
tambouille, soit je me fais crever avec, et tu auras ma mort sur la conscience. À la racine de
la commensalité et de la convivialité, vous avez le même préfixe, le cum latin, l'être-avec.
Soit qu'on ne mange rien, soit qu'on ne fasse que cela, on n'entre pas dans le jeu de l'êtreavec, on ne partage pas sa présence avec ses hôtes. La syntaxe, c'est une façon de coordonner, de co-organiser un tel sens de la présence plus ou moins rituellement partagée.
Elle est le fait des deux parties, de la puissance invitante, mais aussi de l'invité.
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Manger, c'est donc toujours manger «avec» ?
C'est ce trait qui définit la commensalité. On ne vit pas que de pain. Il y faut des conditions
de temps et d'espace. Même quand on mange seul, on s'assied plutôt en tournant le dos au
mur.
Le refus du foyer n'est-il pas aussi un refus du père ?
Il est en effet frappant que le protagoniste insiste pour changer de place et prendre celle du
père. On y transporte son couvert. Et c'est à partir du moment où il s'y installe que le
déjeuner commence vraiment à dérailler. Autrement dit, c'est bien là qu'il y a un compte à
régler. Comme dans Festen. Celui qui devrait être garant de la tradition familiale et
culinaire, celui pour qui l'on va essayer de reproduire, respecter, reconduire cette tradition,
est précisément celui qui va l'achever en mettant tout par terre. En renversant la table,
comme on dit, ou ici en tirant sur la nappe.
Les pauvres soeurs ne maîtrisent pas la syntaxe sur laquelle elles comptent tant...
Le formalisme est omniprésent, même s'il n'est pas respecté. Bernhard écrit : «manie de
géométrie même sur la table de salle à manger»... Ou encore : «Je vais dresser la table
comme il aime, comme la mère l'a dressée», et là-dessus, on rectifie la position des
couverts. L'ironie est féroce : Ludwig Wittgenstein était un grand penseur de la syntaxe,
un spécialiste du formalisme. Et là, toute la formalité est dans les choux ! Il faut dire
qu'elles ne connaissent pas trop bien les rails qu'il faudrait suivre. L'une d'elles met un plat
creux sur la table, alors qu'il devrait rester en cuisine en attendant d'être garni... Jamais les
domestiques ne commettraient un impair pareil. Ce déjeuner fait interférer différentes
formes de sabotage commensal : l'involontaire, celui des soeurs, par incompétence ou
incapacité, et le volontaire, celui de leur frère – du moins dans la mesure où il est
effectivement responsable de ses actes, ce qui est loin d'être sûr. En somme, il n'y aurait
pas eu de pièce si elles n'avaient pas donné leur congé aux gens de maison.
Les apparences auraient sans doute été beaucoup plus sauves...
Claude Flischer,
Propos recueillis par Daniel Loayza
Paris, 9 mars 2016
Interview consultable in La lettre n° 20, L'Odéon-théâtre de l'Europe, mai-juin 2016
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Annexes, Biographies de Séverine Chavrier et de Thomas Bernhard
Thomas Bernhard
Auteur
(1931-1989)
L'écrivain autrichien Thomas Bernhard est né le 10 février 1931 à Heerlen aux Pays-Bas,
fils illégitime d'un fils de paysan autrichien et de la fille d'un écrivain allemand. Il passe
une grande partie de son enfance à Salzbourg auprès de son grand-père maternel. En mars
1938 l'Allemagne nazie annexe l'Autriche. En 1938, sa mère va s'installer en Bavière, c'est
l'époque du nazisme triomphant et le début de l'enfer pour Thomas Bernhard. En 1943 son
grand-père le place dans un internat à Salzbourg, où il vivra la fin de la guerre. Il suit des
cours de violon et de chant, puis étudie la musicologie. En 1947, Thomas Bernhard
contracte une pleurésie. Son grand-père meurt en 1949 de tuberculose et sa mère l'année
suivante. Atteint lui aussi par la tuberculose, Thomas Bernhard sera soigné en sanatorium,
expérience qu'il inscrira dans sa production littéraire. Il voyage à travers l'Europe surtout
en Italie et en Yougoslavie.
En 1952, il travaille comme chroniqueur judiciaire au journal "Demokratisches Volksblatt".
Il étudie, à l'Académie de musique et d'art dramatique de Vienne ainsi qu'au Mozarteum
de Salzbourg.
Son premier grand roman Gel paraît en 1963, il le fera connaître hors des frontières et
obtiendra de nombreux prix. En 1968, à l'occasion de la remise d'un prix littéraire, il
provoque les institutions avec un discours attaquant l'Etat, la culture autrichienne et les
Autrichiens. De plus en plus Thomas Bernhard se consacre à des œuvres théâtrales. En
1969 il se lie d'amitié avec le régisseur Claus Peymann, qui restera un grand soutien tout
au long de sa carrière.
En 1970, Une fête pour Boris remporte un grand succès au Théâtre allemand de Hambourg.
La même année Thomas Bernhard obtient le prix Georg Büchner, la plus importante
récompense
littéraire
d'Allemagne
fédérale.
Il
écrit
un
cycle
de
5
oeuvres
autobiographiques qui paraîtront entre 1975 et 1982 : l'Origine, la Cave, le Souffle, le Froid et
Un enfant. En 1976 a lieu à Stuttgart la première de Minetti, portrait de l'acteur vieillissant
et joué par Minetti lui-même. Deux ans plus tard Avant la retraite décrit la vieillesse d'un
juge allemand célébrant en cachette l'anniversaire de Himmler. En 1985, Le faiseur de
théâtre, véritable machine à injures, causera un grand scandale en Autriche : le ministre
(socialiste) des finances et futur chancelier disant que "de telles sorties contre l'Autriche
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comme dans Le faiseur de théâtre ne seront bientôt plus tolérées".
Mais c'est avec Heldenplatz, son ultime pièce, que Thomas Bernhard s'attirera le plus
d'ennuis. M. Waldheim, devenu chef de l'État autrichien, a cherché par tous les moyens à
empêcher sa représentation, mais la direction du Burgertheater et l'auteur en ont
triomphé. La place des héros (Heldenplatz), au centre de Vienne, fut le lieu d'un discours
de Hitler acclamé par une énorme foule. La pièce s'attaque une fois encore à l'hypocrisie
autrichienne, au fanatisme et aux méfaits qui en résultent.
Thomas Bernhard meurt trois mois après la première d'Heldenplatz le 12 février 1989 en
Haute-Autriche. Dans son testament, il interdit la diffusion et la représentation de ses
œuvres en Autriche pour les cinquante prochaines années.
A l'Odéon :
Auslöschung, d'après le roman Extinction, mise en scène Krystian Lupa, 2002
Ritter, Dene, Voss (Déjeuner chez Wittgenstein), mise en scène Krystian Lupa, 2004
Des arbres à abattre, mise en scène Patrick Pineau, 2006
Biographie disponible sur le site du Théâtre de l'Odéon
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Séverine Chavrier
Mise en scène et jeu
De sa formation en lettres et en philosophie à ses études de piano au Conservatoire de
Genève et d’analyse musicale en passant par de nombreux stages pratiques sur les
planches, elle a gardé un goût prononcé pour le mélange des genres. En tant que
comédienne ou musicienne, elle multiplie les compagnonnages avec Rodolphe Burger,
François Verret et Jean-Louis Martinelli, tout en dirigeant sa propre compagnie, La
Sérénade Interrompue, avec laquelle elle développe une approche singulière de la mise en
scène,
où
le
théâtre
dialogue
avec
la
musique,
l’image
et
la
littérature.
Séverine Chavrier construit son expression à partir de toutes sortes de matières : le corps
de ses acteurs, le son de son piano préparé, les vidéos qu’elle réalise souvent elle-même.
Sans oublier la parole, une parole erratique qu’elle façonne en se plongeant dans l’univers
des auteurs qu’elle affectionne.
En 2010, sa pièce Epousailles et représailles, d’après Hanokh Levin, reprise au Festival
Impatience au Centquatre, dissèque les vicissitudes du couple avec humour, cruauté et
humanité. En 2011, elle présente sa création Série B – Ballard J.G., inspirée de l’auteur de
science-fiction britannique James Graham Ballard. En 2012, elle crée Plage Ultime au
Festival d’Avignon. Elle continue par ailleurs un concert d’improvisation en duo avec
Jean-Pierre Drouet qu’ils donnent au Festival d’Avignon, à l’Opéra de Lille et avec
Bartabas en juin 2013.
A l’automne 2014, Séverine Chavrier monte Les Palmiers sauvages au Théâtre de VidyLausanne, où elle crée Nous sommes repus mais pas repentis en mars 2016 avec la même
équipe. Les deux pièces seront présentées à l’Odéon-Théâtre de l’Europe en mai et juin
2016.
En février 2015, elle propose pour le Festival Hors-Série au Théâtre de la Bastille le
spectacle Après coups / Projet Un-Femme, pièce chorégraphique recréée en novembre 2015
au Théâtre Roger Barat d’Herblay.
La compagnie est conventionnée par la DRAC Ile-de-France de 2016 à 2018. Depuis 2014,
Séverine Chavrier développe une résidence de territoire à Herblay pour une durée de trois
ans avec le soutien de la Ville d’Herblay, la DRAC Ile-de-France, le Conseil départemental
du Val d’Oise et le Festival Théâtral du Val d’Oise.
Biographie disponible sur le site Les indépendances
http://lesindependances.com/fr/artists/la-serenade-interrompue
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