La Sélection des Risques en Assurances de Personnes
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La Sélection des Risques en Assurances de Personnes
Université Paris 2 Panthéon-Assas DESS ASSURANCES 2002-2003 La sélection des risques en assurances de personnes Mémoire de fin d’année DESS ASSURANCES Frédéric THOMAS Directeur de Mémoire : Mme Françoise CHAPUISAT La sélection des risques en assurances de personnes Ce document a été protégé contre les modifications et les impressions. Afin d’obtenir l’agrément pour reproduire son contenu, veuillez contacter son auteur : [email protected] . © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 2 La sélection des risques en assurances de personnes SOMMAIRE Sommaire...............................................................................................................................3 Remerciements .....................................................................................................................6 Bibliographie.........................................................................................................................7 Introduction générale.................................................................................................... 13 Première partie : La faculté de sélection des risques pour l’assureur de personnes.. 20 Section 1 Les fondements de la sélection des risques par l’assureur de personnes ............................................................................................................... 21 § 1 – Le fondement technique de la sélection des risques ........................ 22 A – Principe technique : l’équilibre de la mutualité....................... 22 B – Mise en œuvre technique : l’évaluation des risques................ 23 C – Aboutissement à une nécessité de sélection des risques ....... 25 § 2 – Le fondement juridique de la sélection des risques pratiquée par l’assureur de personnes.................................................................................. 27 A – Théorie juridique ........................................................................ 27 B – Moyens juridiquement admis .................................................... 29 1 – Le questionnaire de risque............................................. 29 2 – Autres moyens d’appréciation du risque à évaluer..... 34 © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 3 La sélection des risques en assurances de personnes Section 2 La nécessité d’éviter la sélection adverse ................................................. 36 § 1 – La sélection des risques de séropositivité .......................................... 40 A – Les prémices d’un droit bâti par la jurisprudence .................. 41 B – La convention d’assurabilité des personnes séropositives de 1991 .............................................................................................................. 43 § 2 – La sélection des risques aggravés........................................................ 46 Propos conclusifs ........................................................................................... 48 Seconde partie : Les limites à la sélection des risques pour l’assureur de personnes50 Section 1 Les limites à la sélection des risques en assurance « prévoyance »52 § 1 – La sélection collective du risque ......................................................... 53 § 2 – La sélection individuelle du risque en assurance collective............. 54 A – L’ « institution » des contrats de prévoyance à adhésion obligatoire ........................................................................................... 54 B – Les effets attachés à cette institution ....................................... 56 © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 4 La sélection des risques en assurances de personnes Section 2 Les limites à la sélection des risques en assurance de personnes en général : l’assurance soumise à l’éthique ................................................. 62 § 1 – L’interdiction faite aux assureurs de tirer profit des données issues de la génétique individuelle..................................................................................... 64 A – La génétique, un moyen de sélection des risques inacceptable du point de vue éthique .......................................................................... 65 B – L’interdiction juridique de l’utilisation des tests génétiques en sélection des risques........................................................................... 70 1 – Au niveau international.................................................. 70 a – Au niveau du Conseil de l’Europe b – Au niveau des Nations Unies c – Au niveau du Parlement Européen d – Portée de ces contributions internationales 2 – En France, au niveau professionnel ............................. 73 3 – L’intervention du législateur français ........................... 74 §2 – Le secret médical, un droit absolu de l’assuré même lors de la sélection des risques ....................................................................................................... 76 A – Le secret médical lors de la phase de sélection des risques .. 79 B – L’incidence du secret médical sur la sélection des risques lors de la réalisation du sinistre ..................................................................... 80 Conclusion générale ...................................................................................................... 86 Annexes .............................................................................................................................. 90 © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 5 La sélection des risques en assurances de personnes REMERCIEMENTS Je tiens à remercier tout particulièrement Monsieur le Professeur LEVENEUR ainsi que Madame CHAPUISAT de m’avoir permis d’effectuer ce DESS Assurance. Cette formation m’aura permis d’acquérir une technique juridique adaptée au monde de l’assurance ainsi qu’une expérience particulièrement appréciable. Je souhaite témoigner de ma reconnaissance à toute l’équipe d’ALBINGIA qui m’a apporté son aide, sa motivation et sa bonne humeur. Je tiens en particulier à remercier Madame Marie-France PEZENNEC d’ALBINGIA ainsi que Monsieur Jérôme DULON d’AVENTIS qui m’ont aidé dans mes recherches. Mes remerciements s’adressent également à ma famille ainsi qu’à mes amis du DESS sans les qualités humaines desquels cette expérience ne se serait pas déroulée dans d’aussi bonnes conditions. Frédéric THOMAS © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 6 La sélection des risques en assurances de personnes BIBLIOGRAPHIE I. Généralités sur la sélection des risques Ministère des Affaires Sociales et de la Santé, séminaire « Prévention et Assurance ». LAMY Assurances 2003, Editions Lamy. Ch. 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HIPPOCRATE « Connaître, soigner, aimer – Le Serment et autres textes » Collection Points, Editions du Seuil. « Code de déontologie médicale » Publ. Journaux officiels, 2000. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 11 La sélection des risques en assurances de personnes La sélection des risques en assurances de personnes DESS ASSURANCE 2002-2003 © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] Université Paris 2 Panthéon-Assas 12 La sélection des risques en assurances de personnes « Moi je ne comprends qu'une chose : plus faibles sont les risques, meilleure est l'entreprise ». Sophocle (Philoctète, in Théâtre complet, p.223, Éd. Garnier-Flammarion) Le risque est inhérent à toute activité humaine. L’Homme n’est en effet jamais en mesure de contrôler totalement les corps qui l’entourent. Cette affirmation s’illustre par les nombreux développements qui ont pu être versés au débat entourant la théorie du chaos : cet apparent désordre, cet apparent hasard, ne seraient-il pas en fait l’expression des limites de la connaissance humaine sur la mécanique de son environnement ? Force est de constater cependant que ces interrogations de l’Homme relatives à la survenance des événements dans le milieu qui l’entoure ne se limitent pas à son seul environnement : la première des incertitudes de l’Homme pèse sur sa propre existence. Ainsi, l’Homme a toujours été conscient de l’aléa qui entourait les événements qui l’affectent personnellement : sa vie, son décès, sa santé par exemple. La tradition judéo-chrétienne, celle là que dénonce Nietzsche, attribuait la survenance de ces événements à des manifestations divines. Dieu donnait la vie et la santé, mais il pouvait les reprendre. De fait, la pensée ancienne s’inscrit dans une logique d’acceptation et de résignation. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 13 La sélection des risques en assurances de personnes Comment, dès lors, imaginer contrarier cette force surnaturelle en cherchant à s’assurer contre le décès, l’invalidité, la maladie ? Comment pourrait-on imaginer « spéculer » sur cette vie qui nous est offerte ? Les mentalités ont évolué. L’assurance est apparue d’abord pour garantir des risques matériels. Puis la notion d’assurance sur la vie est apparue. Hier contre nature, elle est devenue aujourd’hui une véritable institution. L’assurance sur la vie « historique », qu’il convient en fait de nommer assurance « en cas de décès », est une catégorie d’assurance qui appartient à la branche des assurances de personnes. Il n’existe pas de définition légale de ce type d’assurances. Le critère qui permet de les caractériser est que le risque garanti est constitué par une atteinte à la personne humaine. Dans l’assurance liée à la durée de la vie humaine, ce sera la survenance du décès (assurance en cas de décès), de la maladie (assurance maladie complémentaire, etc…), de l’accident corporel (individuelle accident, garantie des accidents de la vie, etc…) qui affecteront la personne de l’assuré dans sa chair. Une forme particulière d’assurance a également émergé, qui relève de l’épargne et non de l’indemnisation, l’assurance « en cas de vie ». Le risque de décès joue alors contre l’assuré. L’assurance peut également combiner des garanties en cas de vie avec une garantie en cas de décès, il s’agira d’une assurance mixte. Au surplus, le caractère indemnitaire ou forfaitaire est indifférent à la qualification. Ne saurait davantage priver de sa qualification d’assurance de personnes le fait qu’une assurance semble avoir été contractée pour réparer les atteintes à un patrimoine tant que l’élément incertain demeure corrélé à la vie au sens large de l’assuré. Relève donc également des assurances de personnes l’assurance homme-clé ou l’assuranceemprunteur. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 14 La sélection des risques en assurances de personnes Nous venons à l’instant d’introduire l’élément fondateur de toute opération d’assurance : l’existence d’un aléa. Sans aléa il ne peut y avoir d’assurance car l’assurance a précisément pour objet de garantir des risques1. Un des éléments de discussion que nous soulèverons dans nos développements sera de déterminer quelles devront être les caractéristiques de cet aléa. Doit-il en effet simplement affecter l’occurrence 2 d’un événement ou peut-il simplement affecter la date de cette occurrence, voire son intensité ? Comme nous l’avons indiqué dans nos propos introductifs, la survenance de tels événement liés à la vie humaine relevait à l’origine du sacré et était ainsi réputée ne souffrir d’aucune logique. Les découvertes médicales (ainsi que leurs redécouvertes ultérieures) ont amorcé la prise de conscience d’une certaine rationalité dans la réalisation de ces risques. Le développement de thérapeutiques puis de mesures de prévention a permis de mettre en avant l’emprise de l’homme sur ces risques. Parallèlement, des études épidémiologiques, d’abord rudimentaires, puis de plus en plus poussées, ont montré l’existence d’une certaine logique dans les risques et les facteurs de risques. De fait, l’assurance de personnes n’est pas un outil sur lequel l’homme doit renoncer à toute action. Assureurs et assurés ont donc conscience que des événements, soit volontaires soit du moins déterminables s’ils ne sont pas toujours explicables, ont ou peuvent avoir une influence sur la réalisation du risque. Les individus ne sont donc pas égaux devant l’aléa qui touche à leur personne. Cette idée marque la nécessité pour les assureurs d’adapter leurs prestations à la personne qu’ils garantissent. Si celle-ci représente en effet un supplément de risque ou si au contraire sa vie semble soumise à un aléa de moindre intensité, convient-il de lui 1 « Danger, inconvénient plus ou moins probable auquel on est exposé » Petit Larousse. 2 Le terme d’occurrence devra dans nos développements s’entendre dans un sens statistique et désignant la survenance unique ou répétée d’un événement. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 15 La sélection des risques en assurances de personnes appliquer les mêmes conditions qu’aux autres assurés ? Dans le même ordre d’esprit, doit-on accepter d’assurer une personne dont la vie ou l’intégrité physique sont menacés à un tel point qu’il n’y a guère de doute dans la réalisation du risque ? Pour répondre à cette question, il faut retourner à la définition même de l’assurance. Une définition archaïque la décrirait comme un simple instrument de transfert à titre onéreux d’un risque d’une personne sur une autre : « convention par laquelle, le prix d’un risque ayant été convenu, l’un prend pour lui le risque de l’infortune de l’autre »3. Le mécanisme connu aujourd’hui est cependant plus fin : il s’agit en effet de l’ « opération par laquelle une partie se fait promettre moyennant paiement, pour elle ou pour un tiers, dans l’éventualité de la réalisation d’un événement aléatoire, une prestation par une autre partie qui tend à effectuer, en utilisant des méthodes statistiques, la compensation des effets de diverses éventualités analogues » 4 . Cette définition est fort riche et dense. Nous n’en développerons que les éléments utiles à notre propos. Il transparaît que l’événement garanti doit être aléatoire, c’est à dire comporter un degré d’incertitude, mais aussi une mutualisation de risques analogues. Par analogue, nous pourrions simplement entendre des risques de même nature (décès, incapacité, etc…). Il faut cependant observer que la technique de l’assurance impose de répartir les assurés dans des groupes homogènes de risques. La compensation n’a de sens en effet que s’il existe un certain équilibre entre les prestations des deux parties au contrat, assureur et assuré. L’introduction d’un risque « hors normes » tend à rompre cet équilibre. Ce constat conduit à deux réflexions : L’assureur devra d’abord se prémunir contre une répartition anarchique des risques qu’il a en portefeuille, ce qui implique qu’il ne doive accepter que les risques pour lesquels il est à même d’opérer une mutualisation suffisante ; il devra donc procéder à une sélection des risques qu’il accepte de garantir. Ensuite, les personnes qui présenteront un risque supérieur à la normale, qualifié de 3 Définition de l’assurance de Pedro De Santarem, jurisconsulte portugais, 1552. 4 Définition de l’AFNOR (Agence Française de Normalisation). © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 16 La sélection des risques en assurances de personnes risque « aggravé », auront une nécessité plus grande encore de se voir garanties ; elles auront donc une tendance naturelle à vouloir s’assurer, ce à quoi l’assureur devra être attentif compte tenu des impératifs qui sont les siens et que nous venons de décrire. La conclusion technique qui s’impose avec évidence est donc qu’il incombe à l’assureur de procéder à une sélection des risques qui lui sont soumis par les souscripteurs. Cette solution technique ne peut cependant totalement se déconnecter d’autres considérations éthiques et sociales. Est-il en effet socialement juste d’exclure du bénéfice d’une mutualisation ceux qui présentent les plus gros risques, c’est à dire, donc, ceux qui en auraient le plus besoin ? Cette donnée dépasse le cadre de la seule profession de l’assurance. L’assurance, et celle de personnes en particulier, est devenue un produit de grande consommation. En outre, elle est devenue un produit d’accès à d’autres formes de consommation et est donc également un vecteur de socialisation. Quelle banque accepterait en effet aujourd’hui de financer un prêt immobilier sans garantie ? L’accès à la propriété est-il un droit ? Si oui, implique-t-il en corollaire un droit à l’assurance ? En outre l’assurance de personnes étant intimement liée aux caractéristiques physiologiques et pathologiques de la personne, il convient de déterminer dans quelle mesure il peut être pris compte de ces données pour procéder à l’établissement – ou non – d’une garantie d’assurance et selon quels termes. Ces réponses ne peuvent appartenir aux seuls assureurs. Elles sont nécessairement le résultat d’une contradiction des arguments en faveur de chacune des thèses. Or il apparaît que l’excès de pouvoir dans l’un ou l’autre camp conduirait à la ruine de l’équilibre subtil qui doit exister entre assureurs et assurés, faculté de sélection et droit à l’adhésion. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 17 La sélection des risques en assurances de personnes Aussi, la seule réponse à la recherche d’un équilibre réside dans la loi. Elle seule possède en effet la légitimité et un pouvoir de contrainte suffisants pour faire en sorte que soit institué un équilibre de risques entre les intérêts de chacun. À chacun de nos propos il conviendra de confronter l’idée de bonne foi qui est une des caractéristiques du contrat d’assurance. Cette condition fondamentale est présente dans tous les contrats que connaît le droit privé (art. 1134 Code civil), mais elle se fait encore plus nécessaire en matière d’assurance car l’assureur contracte en fonction des données qui lui sont transmises par le souscripteur. Il est même fait référence à une notion d’extrême bonne foi (uberrimae fidei)5. L’honnêteté de ce dernier garantit l’équilibre du contrat tout comme celui de la mutualité. La loi, dont nous venons de dire qu’elle cherche à ce que soit préservé un certain équilibre, devra donc aménager et moduler un système de sanction apte à décourager les personnes animées de mauvaise foi et pénaliser celles qui n’auront pas été découragées dans leur entreprise illicite. De fait, la loi doit autoriser les assureurs à pratiquer une sélection des risques (première partie) afin de ménager un équilibre de risques (première section), équilibre qui serait particulièrement mis en péril par l’accès insoupçonné et incontrôlé de personnes représentant des risques aggravés au sein de la mutualité (deuxième section). Pour autant, la loi ne doit pas laisser toute latitude aux assureurs de procéder à une sélection des risques sans y poser des bornes (seconde partie). Ce souci du législateur de poser des limites strictes au pouvoir de sélection des assureurs se rencontrera particulièrement dans une catégorie de contrats de prévoyance collectifs (première section), mais ne sera pas pour autant absente des contrats individuels ou même des contrats d’assurance de personnes en général (deuxième section) dans la mesure où le législateur souhaite prévenir des dérives particulièrement graves et contraires aux valeurs qui fondent notre société. Dans ces deux hypothèses, le législateur cherchera à 5 Picard et Besson, Traité général des assurances terrestres, Tome 1, LGDJ, n°110. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 18 La sélection des risques en assurances de personnes répondre à des préoccupations sociales concernant la protection des salariés et leur égalité de traitement, mais aussi la protection de la dignité des personnes malades6. 6 Alors que le droit à la dignité a été érigé par décision du 27 juillet 1994 du Conseil Constitutionnel en Principe à Valeur Constitutionnelle. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 19 La sélection des risques en assurances de personnes Première partie : La faculté de sélection des risques pour l’assureur de personnes La sélection des risques constitue une étape fondamentale dans la création d’un contrat d’assurance de personnes. Elle est intimement liée à l’étape qui la précède et sans laquelle il n’y aurait pas de sélection possible : la déclaration du risque par l’assuré. Ce binôme « déclaration – sélection » a pour finalité de permettre à l’assureur de déterminer s’il accepte de garantir le risque qui lui est soumis. Dans l’affirmative, il devra en déterminer les conditions en termes de tarif et d’exclusions supplémentaires précisées aux conditions personnelles. La loi permet en effet à l’assureur, compte tenu de la nature particulière des engagements noués entre la compagnie d’assurance et les souscripteurs, de prendre des mesures extraordinaires du Droit commun afin de garantir au mieux le risque proposé . Nous nous proposons ainsi d’étudier les fondements de cette sélection dans une première section de nos développements. Pour autant, si dans la majorité des cas l’assureur se fie à la déclaration volontaire de l’assuré quant à sa situation, il n’est pas limité à celle-ci et peut exiger des éléments d’appréciation supplémentaires ou peut encore soumettre à l’assuré un questionnaire complémentaire et plus ciblé. Cette attitude de l’assureur se révèlera notamment soit lorsque celui-ci suspecte une mauvaise foi de l’assuré, soit qu’il subodore un risque plus important que les risques moyens qu’il garantit habituellement. Cela se révèlera particulièrement lorsque l’assuré cherche à obtenir une garantie alors qu’il sait ou pense présenter un risque accru. Cet aspect particulier de la sélection sera traité dans une seconde section. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 20 La sélection des risques en assurances de personnes Section 1 Les fondements de la sélection des risques par l’assureur de personnes. Les assurances de personnes qui sont soumises à sélection des risques sont celles qui font supporter à l’assureur le risque de décès, invalidité, perte d’emploi, etc…À l’opposé, dans les assurances en cas de vie, le risque de décès pèse sur l’assuré qui ne percevra pas l’indemnité d’assurance s’il n’est plus en vie lors du dénouement du contrat ; l’assureur n’a alors pas à opérer une sélection qui n’a aucun intérêt pour lui. L’assureur qui s’engage à verser une indemnité – en dehors de l’assurance en cas de vie – a donc tout intérêt à quantifier les engagements qu’il prend. Du sérieux avec lequel il poursuivra cette détermination dépendront bien sûr ses propres résultats financiers, mais aussi le montant de primes à collecter auprès de la mutualité de ses assurés (§1). Cette impérieuse nécessité qui est aussi bien vitale que commerciale se conçoit avec d’autant plus d’aisance que le secteur de l’Assurance est étroitement contrôlé en France par les autorités de tutelle, la Commission de Contrôle des Assurances. Aussi les pouvoirs publics ont-ils doté les assureurs de prérogatives étendues dans cette étape de formation du contrat d’assurance de personnes afin de procéder à une meilleure sélection des risques (§2). © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 21 La sélection des risques en assurances de personnes §1 – Le fondement technique de la sélection des risques A. Principe technique : l’équilibre de la mutualité. Le principe de base en matière d’assurances est que la totalité des primes prélevées sur la collectivité doit permettre de financer les sinistres garantis qui en affectent les membres. Ce mécanisme de mutualisation des risques repose sur l’hypothèse que l’ensemble des membres ne sera pas l’objet d’un sinistre. L’aléa demeure en effet l’élément caractéristique de l’opération d’assurance, et un arrêt récent7 en matière d’assurance en cas de vie a replacé cette question dans le débat juridique. Cet élément permet d’atteindre le fondement technique de l’opération d’assurance, à savoir l’équilibre de la mutualité des risques. Cet équilibre est absolument nécessaire compte tenu des sommes colossales qui sont engagées dans les opérations d’assurance. L’assureur doit en effet être en mesure de tenir ses engagements contractuels et donc d’honorer le paiement des indemnités qui sont dues contractuellement. Pour ce faire, la Commission de Contrôle des Assurances veille à la régularité de la gestion exercée par l’assureur, et il existe des procédures spécifiques en cas de défaillance d’un assureur afin de ne pas léser ses assurés. 7 Cass. 18.07.2000. « Leroux ». Publ. Bull. Civ. I n° 213 p. 138 Responsabilité civile et assurances, décembre 2000, n° 12 p. 6, note G. COURTIEU. La Semaine juridique, édition notariale et immobilière, 2000-11-24, n° 47 p. 1683, note F. SAUVAGE et D. FAUCHER. Répertoire du notariat Defrénois, 2001-01-15, n° 1 p. 3, note M. GRIMALDI. Droit et patrimoine, janvier 2001, n° 89 p. 28, note P. JULIEN SAINT-AMAND et J.M. COQUEMA. La Semaine juridique, édition notariale et immobilière, 2001-03-02, N° 9 p. 507, note P. BUFFETEAU. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 22 La sélection des risques en assurances de personnes L’assureur ne traite jamais des risques isolés et recherche à constituer des ensembles cohérents de risques au sein desquels pourra exister une péréquation. Cependant, à l’échelle individuelle, un souscripteur n’a intérêt à participer à une telle opération que s’il en estime les conditions raisonnables. Tel ne serait pas le cas d’ensembles hétérogènes dans lesquels des risques importants seraient complètement financés par des risques mineurs. Si pour le souscripteur lambda il est pratiquement impossible de se livrer à un tel calcul – fort savant – il lui est néanmoins possible de se référer aux tarifs pratiqués par la concurrence. Un niveau de primes trop élevé serait alors révélateur et caractéristique d’une gestion anarchique des risques garantis. B. Mise en oeuvre technique : l’évaluation des risques. Ainsi, l’assureur doit être en mesure de répartir ses risques dans des catégories homogènes qu’il aura définies. Plus la population de référence sera large, plus la mutualisation sera efficiente ; par effet d’entraînement, l’assureur aura donc tout intérêt à conserver une position favorable dans la concurrence. L’assureur tend en effet à obtenir des échantillons d’assurés dont les caractéristiques se rapprochent des modèles statistiques qui sont à sa disposition. Au premier chef de ceux-ci figure la table de mortalité 8 générale de la population française, établie d’après les données du recensement, qui sera appliquée (dans une version adaptée par chaque compagnie) aux risques dits « normaux ». Nous observerons qu’à cette probabilité de survenance de l’événement garanti doit être combinée la probabilité de règlement, c’est à dire la probabilité qu’un bénéficiaire soit en vie et 8 La première table du genre fut publiée par John Graunt à Londres en 1662. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 23 La sélection des risques en assurances de personnes remplisse les conditions9 pour recevoir l’indemnité d’assurance. Le produit de ces deux probabilités permet de déterminer la probabilité de payer. Les statistiques issues du recensement ne sont cependant pas nécessairement adaptées car elles sont réalisées par échantillonnage sur une population qui est différente du pool des assurés. Afin de pallier ces degrés de différence, les assureurs sélectionnent des tables légèrement différentes, par exemple en appliquant les tables de mortalité féminine (dont le taux de mortalité est plus faible) à l’ensemble de leurs assurés pour les risques de vie. Il ne faut pas pour autant conclure que l’assureur dispose d’une trop grande largesse dans le choix de ses tables de mortalité. L’art. A. 335-1 du Code des Assurances, modifié par un arrêté du 19 mars 1993, précise que l’assureur doit utiliser soit les tables établies par l’INSEE et homologuées par arrêté du Ministre de l’Economie et des Finances, soit des tables établies par la compagnie d’assurance10, appelées « tables d’expérience » et certifiées par un actuaire indépendant agréé à cet effet par l’une des associations d’actuaires reconnue par la Commission de Contrôle des Assurances. En ce qui concerne les tables INSEE, l’art. A. 335-1 précise il s’agit de la table « TD 8890 » pour les assurances en cas de décès et de la table « TV 88-90 » pour les assurances en cas de vie. 9 Les contrats d’assurance-vie subordonnent en effet généralement le versement de l’indemnité à la production à l’assureur, au moment du sinistre, de certaines pièces dont un exemplaire de la police, le bulletin de décès de l’assuré, un extrait d’acte de naissance du bénéficiaire, etc… 10 La première table établie à l’aide des données sur les assurés sur la vie est celle de l’Amicable Society for a perpetual assurance office en 1778 (au Royaume-Uni) d’après des expériences de 1706 à 1777. En 1746, Antoine Deparcieux publia une table construite d’après les observations des membres de tontines. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 24 La sélection des risques en assurances de personnes C. Aboutissement à une nécessité de sélection des risques. Parallèlement à ces données statistiques que nous évoquons, il est désormais certain que les probabilités de mortalité ou de morbidité, la prévalence de maladies, l’occurrence d’accidents du travail, etc… sont liées ou du moins corrélées, à des degrés plus ou moins forts, à des données qui sont personnelles à l’assuré. Ceci s’observe, à défaut de se démontrer, par d’innombrables études épidémiologiques. Il s’agira évidemment de l’âge, du sexe, de la profession (pénibilité, fréquence des accidents du travail, exposition aux risques d’amiante,…), statut social, situation matrimoniale, hérédité, antécédents médicaux, style de vie, dépendance aux drogues, à l’alcool, au tabac, région géographique, etc… Il s’agit d’autant de critères que l’assureur a intérêt à connaître afin de pouvoir déterminer si le risque que présente un candidat à l’assurance est acceptable. Tel est généralement le cas. Si l’assureur estime que le risque présenté par un candidat est supérieur à sa zone de normalité, il accepte cependant généralement de l’assurer contre paiement d’une prime majorée. La technique la plus simple consiste à exprimer en équivalent d’années supplémentaires à ajouter à l’âge réel du candidat les facteurs de risques présentés. L’assuré est ainsi fictivement vieilli. Cette technique présente deux variantes : l’une où le vieillissement initialement estimé est maintenu constant pendant toute la vie du contrat, l’autre où il est progressivement augmenté. L’âge ainsi obtenu sera celui qui sera utilisé dans les tables de l’assureur qui établira un tarif. En définitive et contrairement à une idée reçue, la sélection des risques conduit rarement un assureur de personnes à refuser sa garantie à un candidat mais à lui proposer un tarif et des conditions de garanties adaptées à sa situation. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 25 La sélection des risques en assurances de personnes En effet, l’admission est « automatique » pour environ 65% des demandes en France11. En Grande-Bretagne, seulement 10% des candidatures d’assurance dépendance sont rejetées in fine. En outre, pour certaines assurances telles l’assurance dépendance ou l’assurance maladie complémentaire, rien n’interdit à l’assureur d’accepter un risque plus important, de lui appliquer une tarification majorée, et même de lui appliquer une franchise, un délai de carence, ou de prévoir une clause de révisabilité. Nous venons de présenter quels sont les fondements techniques qui exigent que l’assureur procède à une sélection des risques qui lui sont soumis. À cette fin correspond des moyens mis à la disposition de l’assureur par le législateur. 11 D’après les chiffres cités dans « Le rôle de l’assurance privée dans la prise en charge de la dépendance : une mise en perspective internationale » by L. Assous and R. Mahieu, in Rapport pour le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité n° 21 (novembre 2001 – Série Etudes) de la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 26 La sélection des risques en assurances de personnes §2 – Le fondement juridique de la sélection des risques pratiquée par l’assureur de personnes. Nous avons dressé ci-dessus une liste non exhaustive de critères qui ont une influence sur le risque (facteur causal) ou sont révélateurs d’un risque (témoin). Force est de constater que nombre d’entre eux présentent un caractère éminemment personnel, relevant de la sphère privée. Or il est profondément ancré dans la tradition législative française de protéger les droits et libertés des individus. Aussi est-il permis de s’interroger sur les moyens juridiques dont dispose l’assureur pour pratiquer sa sélection des risques. A. Théorie juridique Compte tenu de ces impératifs précédemment évoqués, la loi confère à l’assureur le droit de se livrer à des discriminations sur l’état de santé de l’assuré. Cette faculté exorbitante du droit commun est en effet expressément accordée par le Nouveau Code Pénal en son article 225-3 : « les dispositions de l’article précédent [sanctionnant pénalement les discriminations ne sont pas applicables] aux discriminations fondées sur l’état de santé, lorsqu’elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 27 La sélection des risques en assurances de personnes l’intégrité physique de la personne ou des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité ». Si les atteintes à l’intimité de la vie privée étaient justifiées par l’intérêt de la mutualité, elles s’en trouvent désormais légalement autorisées. Dans le domaine particulier des « contrats-emprunteurs », c’est à dire des assurances qui garantissent la défaillance d’un assuré en terme de remboursement des échéances d’un emprunt suite à la survenance d’un événement garanti (décès, invalidité, voire perte d’emploi), la sélection des risques est prévue à l’art. L. 311-16 et L. 312-9 du Code de la Consommation. Ces articles évoquent « l’agrément » de la personne de l’emprunteur, soit par le souscripteur dans un prêt à la consommation, soit par l’assureur lui-même pour un prêt immobilier. Ces articles permettent ainsi de déroger à l’application de l’art. L. 132-1 du Code de la Consommation qui définit des clauses abusives : telles sont en principe les clauses « qui ont pour objet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat ». Madame Lambert-Faivre précise 12 que ces sélections de risques par l’assureur sont parfaitement conformes à la technique de l’assurance. L’assureur de personnes n’a en effet pas vocation à jouer un rôle de service public ou de fonds de solidarité, à la différence de la Sécurité Sociale, comme par exemple au travers de la Couverture Maladie Universelle récemment mise en place 13 et destinée principalement à faire bénéficier un maximum de personnes d’une assurance santé. La sélection des risques trouve au contraire sa justification dans la « recherche individuelle de sécurité ». 12 Droit des assurances Y. Lambert-Faivre, Dalloz 11e éd. 2001. 13 Loi n° 99-641 du 27.07.1999 « portant création d’une couverture maladie universelle » (mais traitant également de protections maladie complémentaires) © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 28 La sélection des risques en assurances de personnes La sélection exercée par l’assureur est donc un mode de discrimination légalisé et qui n’est admis que parce que les moyens mis en œuvre permettent dans une certaine mesure un respect de la vie privée des assurés. B. Moyens juridiquement admis. Il faut cependant ne pas conclure trop rapidement à une trop grande marge de manœuvre des assureurs. L’atteinte à cette intimité leur est permise, mais les conditions sont tout de même encadrées. Nous aborderons dans des développements ultérieurs des aménagements spécifiques qui ont été apportés dans des hypothèses de séropositivité, de risques aggravés, ou lorsque des données génétiques permettent de quantifier un risque. Outre ces points qui obéissent à des régimes particuliers, les moyens utilisés par les assureurs pour évaluer les risques sont de deux natures : l’assureur adresse en premier lieu un questionnaire de déclaration de risque au candidat à l’assurance. Si le questionnaire laisse suspecter un risque important ou si le montant des garanties demandées sort de l’ordinaire, l’assureur peut en second lieu exiger un examen médical. 1. Le questionnaire de risque. L’assureur peut adresser au candidat un questionnaire. Il devra y répondre avec loyauté, le contrat d’assurance étant par essence un contrat de bonne foi. Cela implique également qu’il est tenu de répondre d’après ses connaissances de son propre état. Il ne pourra ainsi lui être reproché de n’avoir pas déclaré une maladie dont il était atteint et dont il ignorait qu’il en souffrait. Par contre, il doit déclarer les maladies antérieures ou déclarées et dont il a connaissance, car l’assureur refusera d’en garantir les conséquences. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 29 La sélection des risques en assurances de personnes La Cour de cassation a par ailleurs précisé qu’il ne peut être reproché au candidat d’avoir mal répondu à des questions formulées en des termes trop généraux. Antérieurement à la loi du 31.12.1989., le régime applicable à la déclaration était celui de la déclaration spontanée. L’ancien article L. 113-2-2 C.Ass. disposait en effet que « l’assuré est obligé de déclarer à l’assureur, conformément à l’art. L. 113-4, les circonstances connues de lui qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend à sa charge ». L’assuré devait donc lui-même déterminer les caractères qu’il devait déclarer, ce qui était un régime très sévère. La jurisprudence a atténué ce principe en estimant qu’il devait déclarer les circonstances qu’il « ne pouvait manquer de savoir » avoir une influence sur le choix de l’assureur14. La Commission des Clauses15 abusives a par ailleurs mis en cause le principe de déclaration spontanée et également recommandé l’usage du questionnaire. La loi du 31.12.1989. modifia donc l’art. L. 113-2 dans une formule qu’on lui connaît : « l’assuré est obligé de répondre exactement aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». Le principe actuellement consacré est donc celui du questionnaire. Une jurisprudence constante de la Cour de cassation pose que la sincérité et l’exactitude des déclarations 14 Cass. Civ. 1e 18.01.1989. RGAT 1989 p.404. 15 Recommandation n°85.04 du 20.09.1985., adoptée sur le rapport de Mademoiselle Geneviève VINEY. Publication : BOCC 06.12.1985. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 30 La sélection des risques en assurances de personnes de l’assuré doivent s’apprécier en fonction des questions posées16. L’assureur est en effet le rédacteur du questionnaire ; il lui incombe de poser toutes les questions lui permettant d’apprécier le risque, l’assuré n’ayant pas à préciser des éléments non sollicités, et de les poser de manière assez précise. Par exemple, la Cour a estimé que « la rédaction du questionnaire qui limitait la nature des antécédents et leur survenance dans le temps faisait apparaître l’intention de l’assureur de ne pas tenir compte d’autres antécédents dans l’appréciation des risques qu’il prenait en charge » 17 . Par contre, l’assuré qui prend l’initiative d’apporter une précision non sollicitée par l’assureur et qui se révèle être inexacte pourrait se voir reprocher une fausse déclaration. Le mécanisme de déclaration du risque est en effet assorti d’une sanction, ce qui lui confère toute son efficacité. Il s’agit des art. L. 113-8 et L. 113-9 qui répriment respectivement les fausses déclarations intentionnelles et non-intentionnelles. Le principe de non-asymétrie de l’information est donc inscrit dans ces articles qui sanctionnent toute non-révélation d’information de la part de l’assuré, qui est largement assimilé à une fraude à l’assurance. La charge de la preuve du caractère intentionnel incombe à l’assureur, et si sa demande n’est pas accueillie, le juge n’aura pas à rechercher s’il existait une fausse déclaration non-intentionnelle18. š Lorsque l’irrégularité constatée a été commise de bonne foi, il convient de distinguer selon que l’assureur en a eu connaissance avant ou après l’occurrence du sinistre. Dans le premier cas, l’art. L. 113-9 alinéa 2 offre à l’assureur le choix entre deux options : soit maintenir le contrat d’assurance contre paiement par l’assuré d’une 16 Cass. Civ. 1e 17.03.1993. RGAT 1993 p. 547. 17 Cass. Civ. 1e 02.07.1985. RGAT 1985 p. 534 18 Cass. Civ. 1e 20.10.1993. RCA 1993 chron. n°6, RGAT 94 p. 111. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 31 La sélection des risques en assurances de personnes majoration de prime correspondante – à condition encore que ce dernier l’accepte – soit résilier le contrat, cette résiliation n’étant possible que 10 jours après la notification de la décision à l’assuré par lettre recommandée avec restitution de la provision mathématique et de la portion de prime au prorata temporis qui restait à couvrir avant la prochaine échéance. Dans l’hypothèse inverse où la fausse déclaration de risque commise de bonne foi n’est constatée qu’après survenance du sinistre, l’art. L. 113-9 alinéa 3 donne la faculté à l’assureur de réduire les prestations à fournir aux bénéficiaires à proportion de l’insuffisance de primes. Cependant, la doctrine relève que la réduction proportionnelle de prime est pratiquement inapplicable, la détermination ex post du tarif incontestable qu’aurait payé l’assuré s’avérant impossible parfois dix ou quinze ans après la date de souscription du contrat. En jurisprudence, il est établi qu’un assuré peut commettre une erreur de bonne foi lorsqu’il n’a pas conscience d’une circonstance relative au risque. Par exemple, un dépressif qui n’a pas conscience de la gravité de son état19, le fait qu’un assuré considère avoir une santé normale pour son âge même en présence d’une pathologie ancienne et handicapante20. Dans cette même optique, la clarté du questionnaire peut être appréciée par les juges du fond en fonction de l’intelligence limitée de l’assuré qui peut ne pas comprendre la question21, pareillement dans l’hypothèse où l’assuré ne savait ni lire ni écrire le Français22, avait une intelligence limitée et une personnalité frustre23, était un profane au regard du Droit des assurances24, etc… 19 Cass. Civ. 1e 25.02.1996. RGAT 1986 p. 209. 20 Cass. Civ. 1e 05.07.1989. RGAT 1990 p. 575. 21 Cass. Crim. 09.12.1992. RGAT 1993 p. 282. 22 Cass. Civ. 1e 17.11.1987. RGAT 1988 p. 21. 23 Cass. Civ. 1e 20.10.1993. RGAT 1994 p. 111. 24 Cass. Crim. 18.07.1989. RGAT 1989 p. 794. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 32 La sélection des risques en assurances de personnes š Lorsque l’assureur est en mesure de prouver que l’irrégularité dans la déclaration a été commise de mauvaise foi, il peut appliquer une sanction particulièrement redoutable : la nullité absolue du contrat. En effet, l’art. L. 113-8 dispose : « le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l’assuré, quand cette réticence ou fausse déclaration change l’objet du risque ou en diminue l’opinion pour l’assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé a été sans influence sur le sinistre ». Il conviendra cependant à l’assureur de prouver qu’il souffre d’un préjudice du fait de cette fausse déclaration, ce qui sera aisé dans ces circonstances compte tenu des sommes en jeu. Nous nous devons de préciser que la nullité prononcée vaut erga omnes, bénéficiaires y compris quand bien même la fausse déclaration émanerait d’un autre souscripteur. Lorsque la nullité du contrat est prononcée, l’assureur a la faculté de conserver les primes de risque encaissées à titre de dommages et intérêts, mais doit verser aux bénéficiaires les provisions mathématiques afférentes au contrat. Il convient de noter qu’en matière d’assurances de personnes, les aggravations de risques n’ont pas à être déclarées à l’assureur (sauf si l’assuré souhaite étendre sa garantie). L’appréciation du risque ne peut donc être réalisée avec certitude que lors de la souscription. Ceci est justifié par le fait que le contrat d’assurance a précisément pour objet de garantir contre les conséquences de maladies ou de la vieillesse. Il existe un cas tout à fait particulier aux assurances de personnes qui est constitué par l’erreur sur l’âge de l’assuré. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 33 La sélection des risques en assurances de personnes Nous l’avons déjà mentionné, l’élément technique fondamental qui est utilisé afin d’estimer et de tarifer un risque est une table de mortalité, qui fournit le nombre de personnes vivantes à un âge donné sur 100 personnes nées vivantes initialement. Aussi une erreur sur l’âge se révèle-t-elle particulièrement importante. Cela justifie qu’un article particulier du Code des Assurances soit consacré à cette question, l’art. L. 132-26, qui détermine un régime unique n’ayant pas égard à la bonne ou mauvaise foi du déclarant. Les mécanismes des art. L. 113-8 et L. 113-9 sont donc inapplicables et il convient d’appliquer L. 132-26 qui est un texte spécial. Un mécanisme original mais rare se retrouve dans les clauses dites d’incontestabilité. Par cette clause, l’assureur renonce à invoquer immédiatement ou après un certain délai de vie du contrat les fausses déclarations qu’il pourrait constater. Cette clause a cependant un effet limité compte tenu du caractère d’ordre public de certaines dispositions. Elle ne peut en effet faire échec à l’application de L. 132-26 relatif à l’erreur sur l’âge de l’assuré ou à L. 113-8 qui traite de la fausse déclaration intentionnelle. Le contraire aboutirait à légaliser le droit au mensonge, alors que l’essence même du contrat d’assurance est d’être un contrat de bonne foi. Ainsi, cette clause d’incontestabilité ne peut en réalité que permettre d’écarter l’art. L. 113-9 relatif à la fausse déclaration non-intentionnelle, mais nous avons déjà précisé qu’il en était rarement fait application. 2. Autres moyens d’appréciation du risque à sélectionner. Ce sont ces éléments de déclaration du risque qui permettent la sélection des risques par l’assureur, et la sanction de cette déclaration renforce la précision et la justesse des opérations de sélection. Il faut encore noter que la déclaration n’est pas l’unique moyen dont dispose l’assureur pour procéder à la sélection. Il lui est en effet possible de recourir à des enquêtes lorsqu’il suspecte une fausse déclaration (par exemple sur les caractéristiques de © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 34 La sélection des risques en assurances de personnes l’activité professionnelle exercée par l’assuré), mais il peut aussi et surtout demander à celui-ci de se soumettre à un examen médical. En fonction de l’âge de l’assuré, du capital souscrit, ou de certaines des réponses apportées au questionnaire (maladie antérieure ou en cours de traitement, antécédents familiaux, etc…) l’assureur peut demander des compléments d’information. Le candidat devra alors subir un examen médical auprès d’un médecin de son choix ou après d’un médecin-conseil de la compagnie. L’assureur (en pratique son médecin) peut tout à fait demander des examens ou analyses complémentaires qui seront à sa charge, ce qui ne l’incite à le faire que pour les contrats importants. Tous ces renseignements restent confidentiels et sont transmis au médecin-conseil de la compagnie qui donne un avis sur chacun des dossiers soumis et conserve les dossiers médicaux afférents. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 35 La sélection des risques en assurances de personnes Section 2 La nécessité d’éviter la sélection adverse. Nous venons d’aborder les raisons pour lesquelles la sélection des risques par l’assureur de personnes est légitime et légalisée. Toute cette œuvre serait ruinée s’il n’était possible de juguler un phénomène dénommé « antisélection », « autosélection » ou encore « sélection adverse ». Charles Gignoux 25 décrit ce concept comme « le principe bien connu que l’homme cherche à tirer le plus grand profit des affaires qu’il traite et que c’est pour les plus mauvais risques qu’une assurance sera le plus volontiers sollicitée ». L’antisélection n’est en effet pas la résultante d’une prédisposition particulière, mais caractérise la recherche d’adaptation – en sa faveur – d’un être humain aux événements qui l’affectent. Dans l’hypothèse d’une assurance en cas de décès, ce comportement ne peut être qualifié d’égoïste dans la mesure où l’assuré ne sera pas le bénéficiaire de l’indemnité : ce seront ses proches qui en bénéficieront. Pourtant, il convient de noter que cette pratique se fait au détriment de la mutualité des autres assurés et de l’assureur. Cette sélection adverse peut s’exprimer à tout niveau de la relation contractuelle en assurances : š À la souscription, comme nous nous attacherons à le développer ci-après. S’agissant d’assurances de personnes, cela consiste pour un candidat à souscrire un contrat alors qu’il a conscience ou au moins le sentiment que la garantie souscrite sera 25 « La sélection des risques dans les assurances sur la vie » Ch. Gignoux, 1939. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 36 La sélection des risques en assurances de personnes mobilisée avec une plus grande probabilité, voire avec certitude (parce qu’il se sait malade, invalide, etc…). š Lors de la vie du contrat, ce sera souscrire des garanties complémentaires, relever le plafond des garanties déjà souscrites, négocier un abandon de franchise, etc… Il convient à cet égard de noter que si de nouvelles garanties sont souscrites, l’assureur dispose de la faculté de procéder à une nouvelle sélection de risques pour ces garanties nouvelles uniquement. Les questions qu’il avait posées antérieurement étaient en effet nécessaires à l’appréciation des garanties initialement souscrites, mais pas nécessairement adaptées à l’appréciation d’autres garanties, surtout dans un domaine où la recherche et la créativité des assureurs – ainsi que le pointillisme de la jurisprudence qu’il convient de respecter – sont grands, et de nouveaux produits apparaissent régulièrement. š Lors de la fin de vie du contrat, tout simplement en la provoquant, car on estime ne plus être sujet à tel ou tel risque (maternité, garantie sports dangereux, etc…) ou encore en décidant de résilier un contrat pour souscrire immédiatement un contrat à de meilleures conditions auprès d’un assureur concurrent. Le problème majeur posé par l’antisélection est en réalité constitué par la sélection adverse à la souscription. Il apparaît ainsi que le souscripteur retrouve une certaine marge de manœuvre par rapport à l’assureur qui doit se contenter des instruments dont il dispose légalement pour apprécier le risque. Cet état de fait est rendu possible par le fait que l’assuré est mieux renseigné que l’assureur sur son état de santé et sur toutes les caractéristiques de son « profil » qui sont autant de motivations à souscrire un contrat d’assurance de personnes. Ce décalage dans la connaissance de ces données est appelé « asymétrie d’information ». © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 37 La sélection des risques en assurances de personnes En réalité, la protection contre les risques est marquée par une double asymétrie d’informations, pénalisant tour à tour l’assureur et le souscripteur. L’asymétrie qui s’exerce en faveur de l’assureur consiste en ce qu’il maîtrise les outils statistiques et probabilistes nécessaires pour déterminer des catégories de risques homogènes et si une personne y appartient d’après son profil, même si les données de ce profil sont parcellaires. Il lui est en mesure d’évaluer le coût de revient de la prestation d’assurance qu’il offre, coût qui sera corrigé de sa marge commerciale, des taxes, mais qui plus globalement suivra également les tendances des marchés. L’asymétrie peut tout autant pénaliser l’assureur – nous n’oserons dire favoriser le souscripteur – et se dédouble en réalité en deux causes qui interagissent l’une sur l’autre : - « L’antisélection » 26, que nous avons déjà définie comme le fait que ce sont en général ceux qui courent les plus gros risques qui sont les plus enclins à souscrire une assurance, et une assurance la plus large et la plus importante possible ; - « Le risque moral » 27, que nous pourrions formaliser comme étant le changement de comportement de l’assuré vis-à-vis du risque, une fois qu’il bénéficie de la garantie d’assurance. Par exemple, en termes d’assurance santé, le risque moral ex post est « la surconsommation de soins provenant de la diminution du prix des soins inhérente à la couverture du risque maladie » 28 . En assurance en cas de mort, ce phénomène a conduit à poser des exclusions légales relatives au suicide ou à l’homicide de l’assuré par le bénéficiaire. Il est intéressant de noter que les sociétés commerciales d’assurance et les sociétés mutuelles ne sont pas soumises à ces deux paramètres dans les mêmes conditions. 26 Théorie formalisée par Aakerlof, en 1970, prix Nobel d’économie 2001. 27 Théorie d’Arrow, 1963. 28 « Le risque moral ex post en santé est-il néfaste ? » by D. Bardey, A. Couffinhal et M. Grignon, in Document de travail CREDES, Février 2002. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 38 La sélection des risques en assurances de personnes La mutuelle a en effet procédé à une sélection de ses adhérents en dehors de toute souscription de contrat, et ceux-ci doivent se retrouver dans les valeurs morales et éthiques qui sont celles que promeut la mutuelle. Il s’agit d’une « idéologie de rattachement ». Par contre, elle se refuse à exercer des sélections de risques poussées sur les caractéristiques personnelles de la personne. La présélection des assurés, combinée avec un sentiment d’absence d’enrichissement de l’assureur et de son actionnaire, conduit les assurés à adopter une démarche beaucoup moins sensible à l’aléa moral. À l’opposé, l’assuré d’une société commerciale cherche à rentabiliser sa prime qu’il considère comme un investissement et cherchera à obtenir un retour sur investissement. De ce fait, la compagnie sera amenée à faire montre de plus de précision dans la rédaction de ses contrats afin d’éviter les dérives comportementalistes. En sens inverse, la Mutuelle proposera des contrats les plus clairs et simples possibles afin de renforcer le sentiment de proximité avec ses sociétaires. Paradoxalement, en ce qui concerne l’antisélection, la Mutuelle sera plus concernée que la Compagnie commerciale. La compagnie sera en effet plus portée à se livrer à une sélection des risques scrupuleuse avec des candidats à l’assurance que la Mutuelle à l’égard de ses sociétaires. Le candidat présentant un sur-risque aura donc une tendance naturelle à chercher à intégrer une mutuelle, qui au demeurant incarne des valeurs humanistes qui le réconfortent dans l’épreuve qu’il traverse (maladie, risques de mortalité ou de morbidité importants, etc…). Mutuelle et compagnie ne sont donc pas confrontées aux problématiques de sélectivité des risques face à la sélection adverse dans des termes similaires. Pourtant, la sélection adverse s’est révélée être une crainte majeure des assureurs de personnes à la fin du XXème siècle. Cette crainte s’est stigmatisée autour d’un risque très particulier que représentaient les personnes contaminées par le virus VIH ou présentant un cas de SIDA (§1) et qui a permis de mettre en lumière puis de résoudre les problèmes de sélection et d’assurabilité des risques de santé aggravés en général (§2). © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 39 La sélection des risques en assurances de personnes §1 – La sélection des risques de séropositivité. La séropositivité est une donnée éminemment importante pour l’assureur de personnes : d’abord parce que 570.000 personnes29 en Europe de l’ouest et 1,2 millions en Europe de l’est sont aujourd’hui porteuses du virus HIV, ce qui représente une pandémie de toute première importance à l’échelle planétaire. Ensuite, parce que le pronostic d’évolution du syndrome est létal pour la quasi totalité des personnes qui en sont le vecteur. En outre, le SIDA a pour effet d’affaiblir les défenses immunitaires, ce qui a pour conséquence de favoriser le développement de maladies secondaires graves dont la prévalence constatée augmente de manière significative. Ce sont ces dernières qui souvent conduisent au décès du sujet et lui imposent une fin de vie avec des sujétions inhérentes à un état de morbidité importante. Aussi, pour l’assureur, garantir une personne contaminée par ce virus l’amènerait à mettre en œuvre sa garantie beaucoup plus fréquemment. La probabilité d’occurrence du décès avant la fin de la période de garantie (cessant de plein droit un âge fixé par le contrat, souvent entre 60 et 80 ans) tend vers 1 (30). Pour l’assureur santé ou incapacitéinvalidité, la garantie sera également plus sollicitée puisque les personnes touchées sont des personnes jeunes et donc actives qui devront cesser de travailler lorsque le SIDA se déclarera ou à cause des effets secondaires de leurs traitements chimiothérapiques. En outre, les statistiques de l’assureur sont complètement perturbées, puisque la population jeune constituait une niche saine et à faible risque, alors qu’il apparaît désormais qu’elle est celle qui est la plus touchée par les contaminations au VIH. 29 Source : “AIDS Epidemic Update” by UNAIDS, World Health Organization (OMS), Dec. 2002. 30 C’est à dire 100%. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 40 La sélection des risques en assurances de personnes Les assureurs ont ainsi souhaité mettre en place des questionnaires de déclaration de risques interrogeant le candidat à l’assurance sur son état sérologique ou encore réclamer la soumission à un examen de dépistage. Il faut admettre aujourd’hui que cette faculté existe effectivement pour l’assureur. Les développements qui vont suivre et qui concernent l’encadrement de cette faculté ne doivent pas faire oublier que l’assureur dispose de moyens de sélection face au risque VIH, même s’il n’en fait que rarement usage. A. Les prémices d’un droit initié par la jurisprudence. Il convient tout d’abord de préciser que la jurisprudence a toujours maintenu le principe de déclaration de bonne foi du risque au profit de l’assureur. En effet, nonobstant le climat ambiant qui était à la discrétion la plus grande et au respect de l’anonymat des sujets porteurs, la Cour de cassation a toujours maintenu que le candidat à l’assurance ne pouvait pas déclaré être en bonne santé s’il se savait contaminé par le VIH. Pour en arriver à cette affirmation, la Cour a dû trancher la question de savoir si seul le SIDA constituait une maladie ou si la simple contamination par le VIH constituait également une maladie qu’il fallait porter à la connaissance de l’assureur lors de la souscription. La Cour a fait l’économie d’une réponse à cette question mais pose en substance que la contamination constituait un facteur de risque aggravant qui devait être signalé à l’assureur qui s’enquiert de l’état de santé : « en répondant par la négative à l’ensemble des questions posées et en répondant à l’assureur qu’il était en bonne santé, X avait, par réticence ou fausse déclaration intentionnelle, modifié l’opinion pour l’assureur, du risque qu’il avait à garantir » 31 . La sanction est 31 Cass. Civ. 1e 07.10.1998 n° 96-17.315, « L. c/ Generali France » Bull. Lamy n°45 nov. 98 p. 1 © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 41 La sélection des risques en assurances de personnes particulièrement lourde, sachant que la formulation des question était : « êtes-vous atteint d’une maladie ? », « avez-vous suivi ou devez-vous suivre un traitement régulier quel qu’il soit ? » et « avez-vous autre chose à ajouter concernant votre état de santé actuel ou antérieur ? ». L’épouse de l’assuré faisait valoir que l’assureur posait une question relative à une maladie, alors que la séropositivité n’est pas une maladie. Or l’art. L. 113-2 du Code des Assurances impose à l’assuré de répondre exactement aux questions de l’assureur, donnant a contrario un caractère limitatif au questionnaire. On aperçoit donc bien dans cette espèce la nuance apportée à la jurisprudence passée32 et à l’art. L. 112-3 aux termes duquel « l’assureur […] ne peut se prévaloir du fait qu’une question exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse imprécise ». La Cour ne répond donc pas formellement à la question de savoir si la contamination par le VIH est une maladie et se borne à indiquer que « la séropositivité est une affection de nature à entraîner, pour celui qui en est atteint, des conséquences graves pour sa santé, voire mortelles ». La Cour se positionne donc sur une notion plus subjective qu’objective de la maladie. Ceci est conforme à l’esprit du droit positif que nous avons évoqué précédemment selon lequel le souscripteur doit déclarer les éléments de risque dont il a connaissance et dont il a conscience ; dans notre espèce, le souscripteur pouvait penser qu’il ne s’agissait pas d’une maladie stricto sensu, mais il avait avec certitude à l’esprit les conséquences probables de sa contamination par le VIH. 32 Cass. Civ. 1e 17.03.1993. RGAT 1993 p. 547. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 42 La sélection des risques en assurances de personnes Pourtant, la Cour avait par le passé admis que le développement de la maladie du SIDA n’était pas certain pour une personne hémophile contaminée par le VIH 33. Il faut certainement attribuer le sens de la décision rapportée à une interprétation globale des questions qui ont été posées au souscripteur, et notamment en ce qui concerne la question sur les remarques à ajouter. Il a déjà été admis que cette question seule était trop vague34, mais combinée aux autres questions qui la précédaient, il était logique de la considérer comme valable. Ensuite, il était aisé pour l’assureur de démontrer que l’inexactitude de la réponse à ces questions avait modifié l’opinion qu’il se faisait du risque, et le retentissement qui existe autour du SIDA laissait à penser que la non-déclaration de séropositivité connue était intentionnelle. Par contre, il est bien évident que la décision aurait été plus expéditive si nous avions été dans une hypothèse de non-déclaration de SIDA. Tout assureur exclut en effet dans ses contrats les conséquences d’une maladie antérieurement constituée (sous la réserve importante de certains contrats de prévoyance à adhésion obligatoire qui seront abordés infra). B. La convention d’assurabilité des personnes séropositives de 1991. Les pouvoirs publics ne sont cependant pas restés inactifs dans ce dossier de la sélection des risques lié au VIH. Une convention entre les représentants des institutions d’assurances et le Ministre de la santé a été signée le 3 septembre 1991. 33 Cass. Civ. 2e 20.07.1993. Bull. Civ. II 273 et 274, JCP. G. 1993 IV 2.420. 34 Cass. Civ. 1e 18.01.1989. RGAT 1989 p. 394. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 43 La sélection des risques en assurances de personnes L’objet de cette convention est double : permettre l’accès à l’assurance des personnes séropositives (mais sans SIDA déclaré) et améliorer la confidentialité du traitement des informations médicales par les assurances. Pour ce faire, elle met en place un code de bonne conduite dans la collecte et l’utilisation de données relatives à l’état de santé en vue de la souscription ou de l’exécution d’un contrat d’assurance. Elle prohibe ainsi toute référence au caractère intime de la vie privée, notamment en ce qui concerne la sexualité, dans les questionnaires de santé. Sont en effet seulement autorisées les questions relatives à la réalisation ou non de tests de dépistages de la séropositivité et, le cas échéant, à son résultat et aux atteintes éventuelles par une infection conséquence d’une immunodéficience acquise. « Avez-vous ou non subi un test de dépistage de la séropositivité ? Si oui, indiquez le résultat du test et sa date ». « Avez-vous eu une infection conséquence d’une immunodéficience acquise ? » En outre, le recours à des tests de dépistage, au moment de la souscription, est limité à des hypothèses où « l’importance des capitaux souscrits ou les informations recueillies à l’occasion du questionnaire de risques, le justifient ». La SCOR 35 remarque qu’un consensus s’établit pour demander un sérodiagnostic au-delà d’un million de Francs36 de capitaux à couvrir. Force est de constater que cette clause est imprécise et ne protège l’assuré que modestement. Une procédure spécifique entoure cependant la demande et la réalisation de ce test. 35 Newsletter technique SCOR vie n° 1 « VIH et couverture d’assurance », janv. 2002. 36 Soit environ 152.500 Euros. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 44 La sélection des risques en assurances de personnes Ensuite, la convention prévoit que « dès lors qu’une entreprise d’assurance a demandé un test de dépistage de la séropositivité et accepté le proposant, elle s’interdit lors du paiement de la prestation toute contestation fondée sur le fait que le décès est directement lié à une immunodéficience acquise, sauf en cas de fraude manifeste ». Ce point est important, car la compagnie s’interdira donc d’évoquer le défaut d’aléa, l’ensemble de ses efforts devant être déployés sur la sélection du risque in limine et non dans la contestation de la garantie lors de sa réalisation in fine. Les développements que nous venons de présenter concernent l’hypothèse dans laquelle l’assureur s’interroge sur la possible séropositivité du candidat à l’assurance. La convention aménage en outre un régime d’assurance pour les personnes qui ont déclaré à l’assureur qu’elles étaient séropositives ou pour celles à qui le test réclamé par l’assureur l’a révélé. Ce dispositif se limite aux assurances en cas de décès couvrant le remboursement d’un emprunt (ou « contrats emprunteurs ») destiné à financer l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation. Il a ensuite été étendu aux emprunts relatifs à l’acquisition de locaux et de matériels professionnels. Le montant de cette garantie est limité à 1 million de Francs pour une durée comprise entre 5 et 10 ans. Le dispositif est conçu pour qu’aucun bénéfice ne soit dégagé par la profession de l’assurance. Ainsi, le surcoût engendré par la tarification du sur-risque est limité et correspond réellement au supplément de risque dont est dépendant l’assureur. Ce système remet quelque peu en question l’affirmation primaire de nos propos selon laquelle l’assureur n’a pas de vocation particulière à la solidarité. Cette démarche par laquelle il s’engage à accepter les risques de VIH et sans réaliser de profit constitue en effet une première innovante. Il faut cependant remarquer que cette innovation ne porte que sur un nombre restreint de contrats, puisqu’il existe une restriction quant à l’objet. Le bilan de cette convention © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 45 La sélection des risques en assurances de personnes est somme toute assez décevant, puisque très peu de contrats de ce type ont été souscrits. Il faut remarquer que cette convention ne couvre pas les prêts à la consommation qui sont plus nombreux et que ce dispositif est relativement mal connu. En outre, les données de la science ne permettaient pas de prévoir une espérance de vie conséquente de sorte que les personnes contaminées auraient plutôt tendance à ne pas souscrire des emprunts immobiliers qui relèvent du long terme. Il faut noter qu’il ne s’agit que d’une convention et non d’un texte impératif, ce qui est regrettable. Le dispositif se trouvait donc de fait relativement inadapté, même s’il marquait un virage symbolique dans l’approche de la sélection des risques. Aussi les pouvoirs publics ont-ils cherché à l’améliorer et à l’étendre. §2. La sélection des risques aggravés. Le Ministre de l’Economie, le Ministre de l’Emploi, le Secrétaire d’Etat au budget et le Secrétaire d’Etat à la Santé ont ainsi souhaité qu’une réflexion soit menée sur la convention de 1991 et en ont confié la tâche à Monsieur BELORGEY, Conseiller d’Etat. Le 1er juin 1999 a ainsi été constitué le Comité de suivi de la convention de 1991 sous la présidence de Monsieur BELORGEY. Ce comité a rapidement élargi sa réflexion à l’assurabilité des risques aggravés en général, dépassant le cadre du risque de séropositivité. Le comité constate en premier lieu les progrès spectaculaires de la Médecine qui ont permis l’allongement considérable de l’espérance de vie des personnes malades du SIDA, grâce notamment à la mise en place de traitements de chimiothérapies © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 46 La sélection des risques en assurances de personnes combinées appelés trithérapies. De fait, les tarifs du contrat-type de la convention de 1991 (fixés en 1993 à 2,4 – 2,8 %) ne se justifient plus. En outre, cet allongement de l’espérance de vie des personnes contaminées ou malades les rapproche de la situation de personnes souffrant de maladies chroniques graves. C’est ainsi que se justifie un élargissement du champ de la future convention. Pour le surplus, cette chronicisation de cet état pathologique laisse apparaître de nouveaux besoins, notamment en matière de prêts à la consommation qui se trouvaient exclus du champ de la convention de 1991. L’accès à ces prêts était donc de facto impossible pour ces personnes. Il en est de même pour les garanties d’incapacité de travail ou d’invalidité, qui ne sont pas liées à un emprunt. C’est ainsi que dans un communiqué de presse du 5 octobre 1999, le « Comité BELORGEY » prône, à la stupéfaction des observateurs non avertis l’annulation de la convention de 1991 qui était initialement présentée comme une avancée notable. Le 19 septembre 2001 est signée une convention entre l’Etat, les représentants des compagnies d’assurances, des banques et de nombreuses associations « visant à améliorer l’accès à l’emprunt et à l’assurance des personnes présentant un risque de santé aggravé ». Elle étend ainsi son champ d’application aux risques de santé aggravés « du fait d’une maladie ou d’un handicap ». La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades consacre le dispositif conventionnel ainsi que le comité de suivi qui sera mis en place. Ce point de la consécration légale est important car il ajoute une force supplémentaire à ce texte, ce dont pouvait manquer la convention du 3 septembre 1991, bien qu’il ne soit pas spécialement rapporté qu’on l’ait enfreinte. Cette nouvelle convention apporte des avancées sensibles pour les personnes présentant des risques de santé aggravés dans le domaine de l’assurance emprunteurs. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 47 La sélection des risques en assurances de personnes Grande innovation, il ne sera plus nécessaire de remplir de questionnaire médical pour l’assurance des prêts à la consommation affectés avec un maximum de 10.000 Euros, souscrits à 45 ans maximum et pour une durée de remboursement de 4 ans au plus. Les assureurs renoncent ainsi dans ce domaine à exercer de sélection des risques fondée sur des questions médicales. En ce qui concerne le crédit immobilier et professionnel, les conditions sont adaptées et il est mis en place des contrats de second niveau permettant un réexamen de toute demande ayant fait l’objet d’un premier refus dans le cadre des contrats d’assurance de groupe existants (souscrits par les banques au profit de leurs emprunteurs). Ce second niveau est constitué par des contrats d’assurance emprunteurs de type « groupe ouvert » qui doivent être mis en place par tous les établissements de crédit. Il est également mis en place un troisième niveau constitué par un pool des risques « très aggravés » qui est une convention de coréassurance administrée par le Bureau Commun des Assurances Collectives (BCAC). Les établissements de crédit s’engagent en outre à accepter les demandes de garanties alternatives à l’assurance, notamment lorsque la candidature de l’emprunteur a été refusée, chose à laquelle la majorité des banques étaient hostiles. La condition est l’équivalence de sécurité entre ces deux options pour la banque. Un code de bonne conduite précis et une commission de suivi de l’ensemble de ces nouvelles dispositions sont enfin mis en place. Propos conclusifs S’il existe des mesures spectaculaires tendant à limiter la sélection des grands risques aggravés, il n’en demeure pas moins que les petites aggravations de risque souffrent toujours d’une sélection. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 48 La sélection des risques en assurances de personnes C’est ainsi que sont apparus des tarifs « segmentés » entre les populations de fumeurs et de non-fumeurs. Il est en effet avéré que le tabagisme représente un risque de surmortalité important, même si les compagnies reconnaissent que son impact est difficile à isoler des autres facteurs de sélection37. Dans ce même ordre d’idées, la SCOR préconise que soit portée une attention particulière au facteur alcoolique. Les ravages de l’alcool se mesurent tant au niveau accidentel (suite à un état d’ivresse ou d’ébriété) que médical (hépatites alcooliques, diverses maladies du foie,…). Une investigation est préconisée pour les très gros contrats ou lorsque des données recueillies sont contradictoires. À travers ces deux dernières hypothèses, nous pouvons remarquer que la sélection glisse progressivement de données médicales pures vers une étude comportementale ayant des répercussions sur la santé. Alcool et tabagisme constituent en effet des conduites addictives ayant des conséquences lourdes en terme de santé, mais ne constituent pas juridiquement à notre connaissance des maladies. 37 Neswletter Technique SCOR vie n° 5, juin 2002. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 49 La sélection des risques en assurances de personnes Seconde partie : Les limites à la sélection des risques pour l’assureur de personnes La sélection des risques est par conséquent une pratique techniquement nécessaire à l’assurance et qui a été admise par les pouvoirs publics. La profession de l’assurance, consciente des difficultés posées par ce système, a donc également aménagé un régime adapté aux risques aggravés afin de ne pas marginaliser une population qui du fait de son état de santé se trouve déjà dans une situation plus précaire. Pour autant, le législateur n’est pas toujours resté attentiste laissant les acteurs (assureurs, associations de malades ou de consommateurs, etc…) prendre les initiatives. Le législateur a en effet pris parti, dans certains domaines, de restreindre la liberté des assureurs quant à la sélection des risques qu’ils pouvaient ou non pratiquer. Cela est particulièrement net en ce qui concerne les assurances de prévoyance à adhésion obligatoire instaurées dans le cadre de l’entreprise (première section). Il s’agit de la loi Evin du 31 décembre 1989. Dans ce cadre, la sélection des risques ne peut s’opérer que de manière très réduite et particulière. Ensuite, il conviendra de relever que les assureurs se retrouvent face à un important problème lorsqu’il s’agit d’opérer une sélection, dans tous types d’assurances de personnes, lorsque sont en jeu et pourraient être malmenées des valeurs éthiques (deuxième section). © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 50 La sélection des risques en assurances de personnes Cela concerne en premier lieu l’usage de données qui pourraient être tirées de la génétique. Sur cette science reposent les plus grands espoirs, mais aussi les plus grandes craintes : un coin du voile qui recouvre le « futur médical » du souscripteur pourrait en effet être levé, et tout un débat sur l’opportunité, la fiabilité et les incidences éthiques du recours à une telle pratique s’est engagé. Les assureurs se son d’abord auto-censurés au travers d’un moratoire avant que le législateur ne prenne position. En second lieu, cela sera le cas du secret médical, principe fondateur de la médecine et de l’exercice de son art. Les médecins, les patients et le législateur lui accordent une importance capitale. Nul estime que ce principe puisse être remis en cause ; pourtant, l’assureur pourrait rencontrer la nécessité d’avoir accès à ces données afin de s’assurer que le principe d’extrême bonne foi a été respecté lors de la souscription du risque sur laquelle s’est fondée la sélection de l’assureur. Nous nous proposons ainsi d’étudier les limites précises et fortes qui ont été posées au principe de sélection des risques en assurances de personnes. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 51 La sélection des risques en assurances de personnes Section 1 Les limites à la sélection en assurance « prévoyance » Nous avons précédemment exposé les fondements et les moyens de la sélection des risques qui pouvait être opérée par l’assureur pour les assurances de personnes en général. Il convient cependant de noter qu’à ce régime général se superpose un régime particulier propre aux assurances de prévoyance. Il s’agit en effet du domaine de la loi n° 89-1009 dite « loi Evin »38 et laconiquement nommée relative « aux personnes assurées contre certains risques ». Son article 1er en définit plus précisément le domaine : elle s’applique aux opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité et du risque de chômage. Cette loi institue des dispositions tout à fait dérogatoires par rapport au droit commun : pour certains contrats dits « à adhésion obligatoire », l’assureur ne peut plus exercer de sélection individuelle des risques, tant en ce qui concerne la sélection médicale que la définition des exclusions de risques. En outre, l’assureur sera contraint dans ces contrats de garantir les conséquences des états pathologiques antérieurement constitués. Nous pouvons ainsi dire que la déclaration du risque demeure une exigence parce qu’elle permet une sélection des risques au niveau collectif (§1) mais ne permet pas à l’assureur de se livrer à une quelconque sélection individuelle des risques (§2). 38 Publ. JO 30 janvier 1990. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 52 La sélection des risques en assurances de personnes §1. La sélection collective du risque. Lorsqu’il adhère à une assurance de groupe, l’assuré renseigne à l’attention de l’assureur une déclaration de risque relative à son état de santé ainsi que sa situation professionnelle. S’agissant d’une assurance comportant un nombre important de souscripteurs concomitants, l’assureur ne peut matériellement dépouiller des questionnaires comportant de trop nombreuses questions ou des questions ouvertes. Il se contente en effet de faire remplir une « déclaration » de risque prenant souvent la forme de questionnaire à choix multiple avec un nombre restreint de questions. En ce qui concerne l’état de santé, il est souvent simplement demandé à l’assuré s’il est « en bonne santé » sans autre question précise (à condition toutefois que la réponse à cette première question soit affirmative). En pratique, cette déclaration prend même assez fréquemment la forme d’un texte pré-rédigé par l’assureur ou le rédacteur d’assurance au bas duquel l’adhérent appose simplement sa signature. Par ce texte, le candidat déclare par exemple ne pas se trouver en arrêt de travail pour raison de santé, ne pas être atteint d’une infirmité, ne pas être atteint d’une maladie chronique, ne pas avoir été en arrêt de travail plus d’une certaine durée, etc… Le choix pour l’assureur de recourir à une simple déclaration de risque ou à un véritable questionnaire médical lui appartient, celui-ci devant arbitrer entre avoir une meilleure connaissance du risque qu’il prend en charge et une économie de sélection. L’assureur peut en effet se permettre de procéder à une sélection moins rigoureuse des risques car il prendra en charge un groupe entier comportant de bons risques comme de mauvais risques. Ainsi, il existe d’ores et déjà une compensation des risques au sein même de la population d’assurés qu’il prend en charge. Cependant, afin de ne pas rompre l’équilibre du contrat, l’assureur ne doit pas, en principe, accepter des individus présentant des risques anormalement supérieurs à la moyenne du groupe. Cette sélection est possible à l’échelle individuelle dans certains contrats collectifs à adhésion, mais est impossible dans les contrats collectifs à © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 53 La sélection des risques en assurances de personnes adhésion obligatoire relevant de la loi Evin, comme nous le décrirons. En ce qui concerne l’évaluation collective, l’assureur détermine donc si le groupe qui lui est soumis représente un risque suffisamment homogène avec peu de valeurs extrêmes. Il a ainsi la faculté d’accepter ou de refuser le groupe dans son ensemble. L’assureur n’est pas en effet tenu d’accepter la candidature d’un groupe, quand bien même ce serait au titre d’une garantie à adhésion obligatoire : l’obligation en question est une obligation d’adhérer mise à la charge des membres du groupe et non pas une obligation pour l’assureur d’accepter toute candidature. §2. La sélection individuelle du risque en assurance collective. Une fois la décision prise par l’assureur d’assurer un groupe de risques qui lui est soumis, il doit encore décider s’il assure l’ensemble des membres de ce groupe ou s’il sélectionne certains risques. Cette faculté pour l’assureur dépend du cadre contractuel dont est l’objet le contrat d’assurance : s’il ne s’agit pas d’un contrat de prévoyance dit à adhésion obligatoire, il conserve toute latitude pour refuser de garantir ou garantir à des conditions particulières (de tarif, de franchise, d’exclusion,…) tel ou tel membre du groupe. En revanche, dans les contrats de prévoyance à adhésion obligatoires, il ne pourra se livrer à une sélection individuelle. A. L’ « institution » du contrat de prévoyance à adhésion obligatoire. L’obligation d’accepter l’ensemble des adhérents (ou aucun) se rencontre dans les assurances de groupe à adhésion obligatoire souscrites dans un cadre professionnel. Cette restriction intéresse les contrats conclus au profit des salariés d’une entreprise à la suite d’un accord collectif, d’un référendum ou d’une décision unilatérale de © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 54 La sélection des risques en assurances de personnes l’employeur afin de garantir des risques liés à l’intégrité physique de la personne ou à la maternité, les risques d’incapacité de travail, d’invalidité ou de décès. Lorsque le contrat de prévoyance est mis en place par une convention ou un accord collectif de travail, les dispositions s’imposent aux salariés quel que soit le niveau auquel ils ont été négociés (accord interprofessionnel, de branche, d’entreprise, etc…). À l’échelon de l’entreprise, l’accord est nécessairement conclu entre l’employeur et les syndicats représentatifs de l’entreprise. Ainsi, les conventions conclues entre l’employeur et le Comité d’Entreprise ne remplissent pas cette condition et sont donc assimilables à des décisions unilatérales. Le caractère obligatoire du contrat collectif peut également résulter de ce qu’il a été mis en place par référendum. Il est alors nécessaire d’obtenir l’accord de la majorité des salariés quant au projet d’accord proposé par le chef d’entreprise. Enfin, la troisième voie de mise en place est incarnée par la décision unilatérale de l’employeur. Cependant, ce mécanisme s’assimilant à une modification de chacun des contrats de travail des salariés de l’entreprise ou de la catégorie de salariés concernée, le droit social s’applique et il conviendra donc de recueillir l’agrément de chaque salarié pour savoir s’il accepte individuellement de se soumettre à ce régime de prévoyance. Enfin, il nous faut noter que pour que le contrat soit qualifié d’assurance à adhésion obligatoire, l’art. R. 140-2 du Code des assurances imposait la réunion cumulative de cinq critères sommairement résumés : - souscription du contrat par un ou plusieurs établissements dont l’objet n’est pas la souscription d’un tel contrat ; - souscription d’au moins 75% des effectifs assurables ; - le capital assuré devait être calculé d’après un critère objectif qui est le même pour tous ; - souscription d’au moins 25 assurés : - condition suspensive de mise en vigueur et de renouvellement à la réalisation des conditions énumérées ci-dessus. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 55 La sélection des risques en assurances de personnes Si une des conditions au moins n’était pas remplie, le contrat de prévoyance était valable mais était réputé être à adhésion facultative, puisque l’art. R. 140-3 en donnait une définition négative. Ces dispositions des art. R. 140-2 et R. 140-3 du Code des assurances a été abrogé par la loi dite Bérégovoy39 du 31 décembre 1989. De fait, la distinction entre contrats à adhésion obligatoire et contrats à adhésion facultative n’est plus du domaine légal. Elle se trouve cependant profondément ancrée dans les pratiques d’assurance, si bien que tous les contrats existants ou souscrits à l’heure actuelle sont toujours répartis en catégories de contrats à adhésion facultative ou obligatoire40. B. Les effets attachés à cette « institution ». Cette persistance de la typologie est très largement favorable aux assurés dans le sens où cela permet de faire bénéficier les assurés à titre obligatoire des dispositions très favorables du régime qui y est attaché (outre les dispositions fiscales avantageuses). En effet, la loi Evin, qui n’explicite pas la notion d’assurance de groupe à adhésion obligatoire, attache des conséquences importantes à l’obligation faite aux salariés d’adhérer à une convention d’assurance dans le cadre de leur contrat de travail. Le texte central de ce dispositif est l’article 2 alinéa 1er de cette loi : « […] l’organisme qui délivre sa garantie prend en charge les suites des états pathologiques survenus antérieurement à la souscription du contrat ou de la convention ou à l’adhésion à 39 Loi n° 89-1014 « portant adaptation du Code des assurances à l’ouverture du marché européen ». 40 Par exemple, dans une espèce analysée infra (Cass. Civ. 1e 13 février 2001 « La Mondiale c/ Association Lyonnaise de Prévoyance et autres »), le nombre de personnes concernées par la mesure de prévoyance à adhésion obligatoire (applicables aux cadres uniquement) était de trois seulement, avec une personne (illégalement) exclue de la garantie. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 56 La sélection des risques en assurances de personnes ceux-ci, sous réserve des sanctions prévues en cas de fausse déclaration ». Il résulte donc de ce texte que l’assureur ne peut refuser la souscription d’une personne qui présente un « état pathologique ». La notion d’état pathologique n’est cependant pas, chose regrettable, définie par ce texte. Si on se réfère aux données de la science médicale, un état pathologique est « la phase initiale d’une maladie […] qui se caractérise par une stabilisation relative des symptômes »41 alors que la maladie en elle-même est « l’altération de l’état de santé se manifestant par des symptômes et des signes »42. Cette subtile classification est en fait la réponse du législateur à la pandémie du SIDA. En effet, il y a tout lieu de considérer que la séropositivité est un état pathologique alors que le SIDA déclaré est une maladie, de même que la contamination par le VHC43 est un état pathologique qui pourra annoncer le développement d’une cirrhose ou d’un cancer du foie qui sont des maladies. Est ainsi mise en lumière la question de l’aléa : dans la mesure où une personne connaît dès la souscription du contrat un état pathologique, la survenance de la maladie qui amènera l’assureur à mettre en œuvre sa garantie peut-elle être qualifiée d’aléa ? Une réponse péremptoire consisterait à se borner de constater que telle fut la volonté du législateur. Mais il convient de se pencher plus avant sur la question et notamment d’étudier la mise en œuvre de ce principe par la jurisprudence. Dans un arrêt du 8 juillet 1994, la Cour de cassation 44 casse un arrêt d’appel qui considérait « qu’il est inconcevable de se garantir des conséquences d’un événement 41 Définition extraite du Nouveau LAROUSSE Médical. 42 Définition extraite du dictionnaire de référence en matière médicale, le GARNIER-DELAMARE aux éditions MALOINE. 43 Virus de l’Hépatite C 44 Cass. Civ. 1e, 8 juillet 1994, n° 92-15.551, RGAT 1994 p. 1089. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 57 La sélection des risques en assurances de personnes passé qui ferait disparaître la notion du risque ». À l’opposé, la Cour de cassation estime « qu’aucune clause contraire n’interdisait d’étendre le bénéfice des stipulations contractuelles à un accident antérieur, dès lors qu’au moment de la signature du contrat, le risque en découlant n’était ni certain dans sa réalisation, ni déterminable dans son étendue ». La Cour se fonde donc sur la notion d’aléa. Elle juge en somme que bien que présentant un état pathologique, on ne peut prédire avec certitude qu’une personne développera une maladie (ni même parfois quelle maladie) et quelle sera l’étendue de ce risque et donc l’étendue de la prestation de l’assureur. Il s’agit donc d’une notion étendue de risque qui ne se limite pas à la notion d’occurrence. Cette position et ce fondement de la Cour de cassation ont par ailleurs été confirmés par un arrêt 45 du 30 janvier 1996. En corollaire à ces deux décisions, il faut donc également conclure que l’assureur n’a pas à garantir les « maladies » antérieures à l’adhésion à la convention. Cependant, dans un arrêt46 du 7 juillet 1998, la Cour de cassation change le fondement de sa motivation : celle-ci ne se fonde plus sur la notion d’aléa mais sur l’absence de droit de l’assureur à pratiquer une sélection des risques sur des données médicales. La Cour d’appel a donc, selon la Cour de cassation « exactement déduit que les dispositions de [l’art. 2 de la loi Evin] d’ordre public 47 interdisaient à l’assureur d’opérer une sélection médicale en refusant d’assurer une personne du groupe ou de prendre en charge les risques dont la réalisation trouvait son origine dans l’état de santé antérieur de l’assuré ; […] elle a, par une appréciation souveraine, retenu que lors de la souscription du contrat, le risque de décès de Monsieur Benaïm était encore aléatoire ». Le fait que Monsieur Benaïm ait été en arrêt de travail pour longue maladie lors de son adhésion n’enlève donc pas au contrat son caractère aléatoire. Notre opinion qu’en effet le fait d’être en arrêt de travail pour longue maladie n’induit pas de relation de cause à effet quant à la survenance nécessaire du décès lors de la 45 Cass. Civ. 1e, 30 janvier 1996, n° 93-15.168, RGDA 1996 p. 399. 46 Cass. Civ. 1e, 7 juillet 1998, n° 96-13.848, « Euralliance c/ Benaïm et autres ». Publ. « Les dossiers de la protection sociale », site internet http://planeteb.efrance-pro.com v° Prévoyance 1998. et Publ. Lamyline. 47 Le caractère d’ordre public de l’art. 2 (notamment) de la loi Evin résulte de son art. 10. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 58 La sélection des risques en assurances de personnes période de garantie, cependant il est incontestable que la Cour porte une appréciation à la place de l’assureur et ce, rétroactivement. En outre et surtout, force est de constater qu’il y a abandon total de la distinction qui était faite entre état pathologique et maladie, puisque dans cet arrêt la maladie était avérée. Ce raisonnement a été réitéré par la Cour le 13 février 2001 dans un arrêt48 également relatif à une longue maladie au moment de l’adhésion. La Cour estime en effet que la loi « prohibait l’exclusion qui a été faite dès lors que celle-ci ne concernait pas la totalité du groupe des salariés ». Selon Madame Fonlladosa qui se fonde sur des travaux préparatoires49, si l’arrêt rapporté va au-delà de la lettre de la loi, il a pour intérêt d’en respecter parfaitement l’esprit. L’assureur devrait donc procéder à une sélection rigoureuse du groupe de risque dont il assure la prévoyance obligatoire. Encore faudrait-il que les adhérents lui aient correctement déclaré le risque. À défaut, il devrait pourvoir engager les procédures de sanction des art. L. 113-8 et L. 113-9 du Code des Assurances ; l’art. 2 al. 1er in fine de la loi Evin50 prévoit en effet le recours à ce mécanisme. Cette possibilité a cependant été écartée dans l’arrêt de cassation du 7 juillet 1998 précité pour les raisons que l’on sait. L’assureur se trouve donc en posture très délicate et est invité à prendre toutes les diligences et précautions nécessaires dans la réalisation d’une sélection correcte du groupe. L’eldorado du groupe qui auto-compense ses risques n’est donc plus, et ce, d’autant que comme nous l’avons dit, la mort des exigences légales de qualification en prévoyance « obligatoire » conduisent à faire bénéficier de son régime protecteur des populations pour lesquelles il ne semble pas justifié. En outre, l’évolution jurisprudentielle que nous avons dépeinte et qui montre l’importance d’effectuer une sélection des risques aussi précise que possible du groupe en se renseignant (ou parfois devrait-on dire en ne renonçant pas à se renseigner) sur ses 48 Cass. Civ. 1e , 13 février 2001, n° 98-12.478, RGDA 2001 p. 373., Droit Ouvrier août 2001 p. 360. 49 Rapport Huriet, Doc. Sénat 1989 n°34 ; rapport Le Guen, Doc. A.N. 1989 n° 1057. 50 « sous réserve des sanctions prévues en cas de fausse déclaration ». © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 59 La sélection des risques en assurances de personnes membres, prouve combien l’assureur est soumis à l’aléa jurisprudentiel, véritable risque de développement du droit positif. La prévisibilité de la règle (à défaut de pouvoir parler de norme) juridique applicable confine et invite l’assureur à plus de rigueur dans la sélection a priori des risques qu’il garantit, celui-ci ne devant plus tirer argument de l’existence d’une sanction a posteriori pour réguler le mécanisme. Cette absence de fait de sanction pose également l’inquiétante interrogation de la possibilité que nombre de candidats malveillants s’engouffrent dans cette brèche. Cette étude de la sélection des risques en assurance de prévoyance à adhésion obligatoire ne serait pas complète si nous manquions de préciser que l’assureur est invité en la matière à opérer une sélection plus radicale et ce, pour deux raisons : En premier lieu, l’assureur, s’il a l’interdiction de refuser l’adhésion d’une personne individuellement s’il accepte le groupe, n’a pas davantage le droit de majorer la prime de cette personne par rapport aux autres personnes du groupe quand bien même elle présenterait un risque accru. En second lieu, l’assureur n’a pas non plus la faculté de formuler des exclusions de garantie qui ne seraient pas applicables à l’ensemble des salariés. En outre, il lui est formellement interdit de dénier sa garantie pour une « pathologie ou affection qui ouvre droit au service des prestations en nature de l’assurance maladie du régime général de sécurité sociale » pour le remboursement ou l’indemnisation « des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident »51. Pour conclure cette étude relative à l’assurance « prévoyance » à adhésion obligatoire, nous pouvons nous interroger sur les moyens de sélection des risques qui sont réellement à la disposition de l’assureur en la matière. Il lui est interdit de procéder à une sélection individuelle des adhérents en terme d’acceptation de garantie, de modulation de tarif ou de champ de garantie et d’exclusions. Il ne lui reste ainsi que la possibilité de sélectionner un groupe ; la sélection est cependant malaisée pour les 51 Art. 2 alinéa 2 de la loi Evin du 31 décembre 1989. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 60 La sélection des risques en assurances de personnes groupes numériquement importants qui sont les seuls qui demeurent à priori équilibrés (et rentables). Nous estimons que le maintien de la qualification de « contrat à adhésion obligatoire » pour des conventions qui ne remplissent pas les conditions techniques qui existaient auparavant risque de nuire à ce marché. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 61 La sélection des risques en assurances de personnes Section 2 Les limites à la sélection en assurances de personnes en général : l’assurance soumise à l’éthique. Les développements qui vont suivre ont pour but de mettre en lumière les limites qui ont été apportées à la faculté pour l’assureur de sélectionner les risques présentés par les candidats à l’assurance. Les fondements de cette logique sont doubles : l’assurance est en premier lieu une activité extrêmement réglementée parce qu’elle brasse des capitaux financiers colossaux, parce qu’elle repose sur l’idée de risque tout en recherchant à éviter la spéculation, etc… L’assurance est également en second lieu une opération commerciale (assurance santé obligatoire mise à part) ; elle obéit ainsi à des impératifs en terme de commercialisation et de marketing notamment qui imposent à l’assureur de faire cas des réactions du public auquel il s’adresse. Il apparaît que le sujet de la science médicale, intimement et irrémédiablement lié à la pratique – nous n’oserons dire à la science, l’actuariat n’étant in fine qu’une théorisation de la gestion de l’incertain et est donc par là même elle aussi sujet à une certaine marge d’erreur – de la sélection des risques. Or nul n’a besoin de préciser que les pouvoirs publics, au moins autant que l’opinion publique, se sont emparés des questions d’éthique biomédicale qui se sont transformées en véritables débats de société. Ces débats que l’on retrouve présents dans la doctrine médicale aussi bien que dans la doctrine juridique se cristallisent autour de deux grands thèmes que nous nous proposons de développer. En premier lieu, il convient de faire état du formidable développement et des perspectives entrouvertes par l’arrivée à une certaine maturité de la génétique ; les assureurs ont depuis longtemps compris que cette science pourrait leur apporter des réponses à des questions capitales sur les sujets qu’ils assurent (§1). © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 62 La sélection des risques en assurances de personnes En second lieu, l’assureur, nous l’avons vu, peut solliciter certaines informations à caractère médical et donc très personnel. Il est cependant contraint par des mesures destinées à faire respecter le secret médical à ne pouvoir opérer une sélection aussi libre qu’il l’aurait souhaité (§2). L’Etat avait donc un impérieux devoir de contrôle qui est renforcé par la tradition avant-gardiste sur la question des Droits de l’Homme que la France incarne. Les compagnies d’assurance n’ont pas pour autant cherché à tirer le maximum d’avantages et se sont, dans ces deux domaines des informations génétiques et des informations relevant du secret médical, auto-limitées par la fixation de moratoires ou codes de bonne conduite. Nous devons pour le surplus indiquer que ces développements ne concernent pas uniquement les assurances de personnes individuelles mais sont également sousjascents à la sélection des risques collectifs. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 63 La sélection des risques en assurances de personnes §1 – L’interdiction faite aux assureurs de tirer profit des données issues de la génétique individuelle. La génétique est la science de la transmission des caractères héréditaires créée par Gregor Mendel en 1865. Elle repose sur l’analyse des chromosomes et des gènes qui sont les supports de cette information génétique inscrite dans le noyau de nos cellules. Le Comité Consultatif National d’Ethique52 (CCNE) évoque l’histoire tumultueuse de cette science qui a servi dans la première moitié du XXème siècle de caution scientifique au courant eugéniste très puissant dans différents pays. De fait, il existe une méfiance latente dans l’utilisation de ce support qui pourrait porter atteinte aux valeurs éthiques que véhicule et qu’incarne notre société. Le souci de contrôler ce que les assureurs peuvent tirer de ces informations est donc majeur. Cette attention particulière qui est portée au gène est amplifiée par le mythe américain du gène conduisant au postulat que le génome serait le « livre de la vie » d’un individu. Le CCNE indique à cet égard qu’une telle conception est « scientifiquement inacceptable et éthiquement dangereuse ». La raison pour laquelle l’assureur de personne cherche naturellement à faire usage de telles informations est qu’elles sont liées à la possible survenance future de maladies. La génétique a donc été dépeinte comme un outil de prédiction de l’évolution de la vie des individus (vie saine, survenance de maladie, décès prématuré, etc…). La médecine prédictive incarne focalise donc une « tension entre équité actuarielle et justice sociale »53. 52 Rapport n° 46 du 30 octobre 1995 du CCNE « Génétique et Médecine : de la prédiction à la prévention ». 53 Alex Mauron « Médecine prédictive et destinées individuelles : la tension entre équité actuarielle et justice sociale », Journal International de Bioéthique vol. 7 n°4 p. 304. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 64 La sélection des risques en assurances de personnes L’assureur, nous l’avons déjà exprimé, cherche à se faire une idée la plus précise et la plus fidèle possible à la réalité des risques que représentent l’adhésion d’une personne à la mutualité des assurés puisque l’assurance est une gestion des risques incertains. Pour autant, l’assureur est-il en droit d’effectuer des discriminations d’ordre génétique entre les candidats à l’assurance ? Nous avons déjà rapporté le fait que la loi pénale déroge au principe de non-discrimination fondée sur l’état de santé lorsqu’il s’agit d’assurance de personnes. Cette dérogation vaut-elle également pour les données tirées de la génétique ? (B). Nous nous interrogerons auparavant sur les raisons théoriques, idéologiques et éthiques du refus des test génétiques comme outils de sélection des risques (A). A. La génétique, un moyen de sélection des risques inacceptable du point de vue éthique. La question centrale repose donc sur la discrimination qui peut ou non être exercée. D’un point de vue purement éthique, il ne pourrait être envisagé de justifier une discrimination que pour autant qu’elle remplisse certains critères : - reposer sur des critères objectifs ; - reposer sur des critères pertinents ; - être exercée dans un intérêt supérieur. En ce qui concerne le premier critère, il ne pourrait être contesté que les données acquises de la science en matière de génétique sont aujourd’hui assises sur des expériences solides et validées par des experts autorisés dont les compétences ne peuvent être remises en cause. Il convient cependant de mettre en avant le caractère émergent de cette science, si bien que la vision que nous pouvons avoir à l’heure actuelle de la génétique est très parcellaire et nous sommes encore dans l’ignorance des © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 65 La sélection des risques en assurances de personnes plus grandes découvertes. L’état de connaissances à un temps donné est donc toujours relatif et la jeunesse de cette science ne permet pas encore de l’appréhender de manière suffisamment globale pour lui conférer des conclusions suffisamment représentatives des caractéristiques d’un individu. Il est par exemple notoire que les travaux de recherche en la matière portent essentiellement sur les facteurs pathogènes et non au contraire sur les facteurs de bonne santé ; dès lors, celui qui ne s’attacherait qu’à la présence de marqueurs génétiques pathologiques se prive de partie de l’appréciation de la santé d’un individu qui a un champ beaucoup plus large. En second lieu, les critères de discrimination doivent être pertinents. Le choix de la recherche de la simple présence de marqueurs n’est pas suffisant. Il existe en effet différents types de maladies ayant une relation avec les données génétiques d’un individu : les maladies monogéniques relèvent de la modification d’un seul gène (maladie de Huntington, myopathie de Duchenne, myopathie de Steinert, mucoviscidose, etc…) ou les maladies chromosomiques qui relèvent de l’altération non plus d’un gène mais d’un chromosome ou d’une portion de chromosome (trisomie, etc…) sont relativement faciles à identifier. Par contre, il existe de très nombreuses maladies dites « multifactorielles ». Ces affections ne sont pas déterminées par la simple mutation mais résultent de la combinaison défavorable d’un ensemble de facteurs et notamment les facteurs environnementaux. Le Professeur Axel Kahn relève54 que « ces dernières [maladies multifactorielles] représentent en fait la majorité des maladies dont on meurt : la susceptibilité aux maladies infectieuses, la démence d’Alzheimer, les maladies neuro-dégénératives, l’hypertension artérielle, l’obésité, les cancers, etc… ». Pour la majorité des maladies, il n’est ainsi pas possible de se fonder sur les simples données génétiques qui ne représentent pas des données représentatives et donc pertinentes. 54 Professeur Axel Kahn « Génétique et médecine de prévision : connaissance, destinée et liberté » in Espace éthique La lettre n° 13-14 été-automne 2000, p. 79-81. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 66 La sélection des risques en assurances de personnes Enfin, il convient de s’interroger sur le caractère utile d’une telle recherche, du profit qui pourrait en être tiré par les parties ou qui devrait même relever d’un intérêt supérieur. Or à ce niveau, les bas blesse. Les assureurs sont-ils en mesure de justifier que la configuration actuelle est nettement moins favorable à la société que celle dans laquelle ils pourraient tirer avantage des données issues de la génétique ? Rien n’est moins sûr. Il convient en effet de s’interroger à un double niveau. D’abord, quelle est la valeur que l’assureur peut accorder à ce type de données ? Dans des hypothèses limitées, ce type de test a une valeur pré-symptômatique, c’est à dire qu’on peut estimer qu’à coup sûr le sujet qui est sain à l’heure actuelle va développer une maladie, la seule incertitude relevant de la date de survenance de cette maladie. (Exemple : pour les sujets porteurs de mutations sur les quatre gènes de l’HNPCC55, le risque de développer un cancer colorectal est de pratiquement 100% avant 50 ans). Dans la majorité des hypothèses, il s’agira non pas d’un diagnostic pré-symptômatique mais d’un diagnostic « de susceptibilité ». Il n’est en effet pas possible de déterminer avec certitude qu’un individu développera une maladie, mais cette probabilité est plus élevée que dans la population moyenne ; un contexte environnemental défavorable notamment pourrait conduire à une prévalence plus forte de la maladie (ex : facteur tabagique dans les maladies coronariennes survenant suite à une hypercholestérolémie familiale). Aussi la prise en compte de critères purement génétiques n’est pas concevable. Ensuite, les assureurs ne peuvent justifier que le développement de telles pratiques conduirait à apporter un avantage au consommateur d’assurance ou à la société en général. Au contraire, il serait permis de penser que compte tenu de l’équilibre satisfaisant qui existe actuellement, il serait pour le moins inopportun de modifier cet équilibre en excluant du bénéfice de l’assurance certaines personnes pouvant présenter un risque hypothétique accru alors que certains types d’assurance 55 Cancer colorectal héréditaire sans polypose. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 67 La sélection des risques en assurances de personnes revêtent un caractère d’intégration sociale (comme nous l’avons développé pour l’accès à l’assurance des risques de santé aggravés). Aussi selon nous, l’utilisation des tests génétiques à l’heure actuelle ne remplit pas les conditions indispensables à la reconnaissance d’un droit à la discrimination d’un tel degré. Nous relevons à cet égard une opposition idéologique entre l’assureur et les pouvoirs publics. La logique de l’assurance privée est en effet, relève Axel Kahn56, « de proposer un contrat non pas égalitaire mais équitable aux assurés, et le contrat équitable est celui qui est proportionné au risque ». Du point de vue actuariel, il n’existe pas de discrimination injuste en elle-même ; la discrimination n’est injuste que si elle est injustifiée. Or l’équité actuarielle est totalement compatible avec les pratiques d’exclusion sur base génétique pour autant que les critères n’en soient pas arbitraires. La surprime sera en effet le reflet exact du surplus de risque engendré. À l’opposé, la justice sociale repose sur la notion d’égalité des personnes qui est une égalité de droits et non une égalité empiriquement détectable. L’égalité relève d’une revendication éthique et non d’un constat factuel, et Alex Mauron de formuler ce concept que « l’égalité se dit à l’impératif et non à l’indicatif »57. Ce concept d’égalité sociale n’a pas pour idéologie de nier les différences de situations qui existent, mais il adopte une logique inverse à l’assurance en ce qu’il aboutit à la conclusion que les inégalités doivent au contraire être compensées. Le philosophe Kitcher exprime ce point de vue au sujet de l’assurance maladie : « si l’égalisation des chances nous importe vraiment, nous devrions offrir à ceux qui sont pauvres et génétiquement malchanceux une couverture maladie à un prix inférieur à celui appliqué aux autres personnes »58. 56 Article précité. 57 Article précité, page 307. 58 P. Kitcher « The lives to come : The Genetic revolution and Human Possibilities », 1996. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 68 La sélection des risques en assurances de personnes À notre sens, il n’existe à l’heure actuelle pas de justification qui impose ou justifie le recours à la génétique davantage que par le passé. En effet, la seule justification qui à nos yeux puisse justifier la communication de données génétiques à l’assureur serait le développement dans les faits d’une situation d’asymétrie d’information conduisant à une antisélection des assurés. Il serait logique de débattre de la question de transmettre les résultats génétiques à l’assureur si l’assuré les connaissait et adoptait un comportement antisélectif. Or aujourd’hui, la proportion de personnes qui réalise des tests de dépistage par analyse génétique est très restreinte. La quasi-totalité de la population ignore en effet ses prédispositions génétiques aux maladies, alors il serait tout à fait anormal de la contraindre à réaliser de tels tests. Les auteurs développent en effet des théories du « droit à l’ignorance »59. Enfin, il convient de faire remarquer les conséquences qu’aurait l’admission de tels tests. Au premier chef, cela conduirait à marginaliser une partie de la population qui ne pourrait avoir accès aux assurances que le Professeur Mauron situe dans une « zone grise », c’est à dire située à la croisée des chemins entre protection privée et protection du service publics. Dans une seconde perspective, cela reviendrait à devoir admettre une autre forme d’antisélection que nous avons décrite dans notre précédente partie, à savoir que les sujets qui se sauront exempts de ces « vices génétiques » intrinsèques à leur personne chercheront au mieux à négocier leurs tarifs à la baisse, et à l’extrême résilieront leurs contrats, jugeant que le risque qu’ils ne représentent pas un risque suffisamment prononcé pour devoir s’assurer. L’économiste Nickerson décrit en l’occurrence que les véritables bénéficiaires d’une telle pratique ne seront pas les compagnies d’assurance mais les clients pouvant prouver qu’ils représentent un risque génétique faible car « en dernière analyse, les compagnies d’assurance ne seront ni en meilleure ni en plus mauvaise posture qu’à présent ; la seule différence est qu’elles 59 Professeur Annick DORSNER-DOLIVET « La divulgation des résultats des tests génétiques », intervention à la journée régionale d’éthique de Lille du 19 avril 2002 sous l’égide du C.C.N.E., in Revue générale de Droit Médical 2002 n°8 p. 47. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 69 La sélection des risques en assurances de personnes encaisseront un revenu plus faible d’un groupe, plus élevé d’un autre ; leurs profits devraient rester à peu près ce qu’ils sont maintenant »60. Nous nous interrogeons alors sur l’opportunité d’introduire plus de frustration sociale alors qu’il n’existe pas de demande de la part des consommateurs d’assurance ni d’espoir de profit supplémentaire pour les assureurs. Nous venons de décrire les fondements théoriques qui justifient le refus actuel d’autoriser les assureurs à utiliser les résultats issus de dépistages génétiques. Examinons à présent l’expression juridique de ce choix de société. B. L’interdiction juridique de l’utilisation des tests génétiques en sélection des risques. L’interdiction juridique pour les assureurs qui leur est faite de faire usage des tests de dépistage génétiques intervient à trois niveaux en des termes plus ou moins contraignants. 1. Au niveau international. a. Au niveau du Conseil de l’Europe. Le Comité directeur de bioéthique du Conseil de l’Europe a créé un instrument juridique ouvert à la signature des états membres le 4 avril 1997 intitulé « Convention pour la protection des droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, Convention sur les droits de l’Homme et de la biomédecine ». 60 P. H. Nickerson « Genetic testing and insurance » in Nature 1996 p. 380-386. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 70 La sélection des risques en assurances de personnes En son article 11, ce texte dispose : « Toute forme de discrimination à l’encontre d’une personne en raison de son patrimoine génétique est interdite ». Et l’article 12 d’ajouter : « Il ne pourra être procédé à des tests prédictifs de maladies génétiques ou permettant soit d’identifier le sujet comme porteur d’un gène responsable d’une maladie, soit de détecter une prédisposition ou une susceptibilité génétique à une maladie, qu’à des fins médicales ou de recherche médicale, et sous réserve d’un conseil génétique approprié ». La rédaction de ces articles est suffisamment claire et explicite pour interdire tout recours par l’assureur à la technique de la génétique. b. Au niveau des Nations Unies La Conférence générale de l’UNESCO a adopté en 1997 la Déclaration Universelle sur le génome humain et les droits de l’Homme, préparée par le Comité International de Bioéthique. Son article 4 dispose : « En son état naturel, il [le génome humain] ne peut donner lieu à des gains pécuniaires ». c. Au niveau du Parlement Européen La Parlement Européen a mis en place une commission temporaire « génétique humaine et autres nouvelles technologies de la médecine moderne ». Cette commission © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 71 La sélection des risques en assurances de personnes a notamment auditionné61 le 26 mars 2001 le Professeur Alexandre Mauron, dont nous avons déjà fait état des travaux. Cette intervention s’est axée autour de la sélection des risques en assurance vie. d. Portée de ces contributions internationales Ces contributions internationales ont une portée très limitée. Elles ne prennent la forme que de conventions signées par les états. De fait, elles ne lient que ces derniers qui ont pour charge de transposer dans leur législation ou faire respecter dans leur droit positif les principes arrêtés. Cette protection est faible et illusoire, car non contraignante pour les personnes de droit privé ressortissantes de ces états. En France, le 30 mars 1998, le Ministre de l’Economie et des Finances répond à l’Assemblée Nationale à une question62 du député Mamère qui l’interrogeait à ce sujet : « concernant la médecine prédictive et l’utilisation des tests génétiques comme révélateurs de maladies futures ou de risques de maladie future, de récents instruments juridiques internationaux impliquent désormais d’interdire et de sanctionner toute discrimination à l’encontre d’une personne à raison de son patrimoine génétique. Il s’agit de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur le génome humain et de la Convention européenne sur les droits de l’Homme et de la biomédecine, textes que la France a signés et que, pour la seconde, elle devrait bientôt ratifier. En application de ce principe de non-discrimination, il apparaît difficile que notre dispositif juridique autorise à l’avenir l’utilisation de tests génétiques prédictifs en dehors du domaine de la santé ou de la recherche, toute utilisation dans le cadre de l’assurance ou de l’emploi, par exemple, étant susceptible d’être sanctionnée comme discriminatoire ». 61 Doc. Parlement Européen n° DV/434777FR « Tests génétiques post-natals : leurs implications bioéthiques pour les individus et la société ». 62 Rép. Min. à la question de M. le Député Mamère QE n° 12508 du 30 mars 1998 (Publ. P. 1728), Rép. Publ. JOANQ 25 janvier 1999, p. 448 © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 72 La sélection des risques en assurances de personnes 2. En France au niveau professionnel. Sensible à la question et aux inquiétudes qui peuvent poindre parmi les assurés (ou plutôt ceux qui voudraient pouvoir s’assurer à l’avenir), les société d’assurances membre de la FFSA ont adopté dès 1994 un accord pour une durée de cinq ans par lequel elles s’engagent à ne pas tenir compte du résultat des études génétiques des caractéristiques des souscripteurs d’une police d’assurance, quand bien même ceux-ci apporteraient la preuve de l’absence de risque qu’ils représentent, pratique qui est à craindre, comme nous l’avons mentionné dans nos développements précédents. Cet engagement a été reconduit le 23 mars 1999 pour une nouvelle période de cinq ans au cours de laquelle nous nous situons actuellement. L’engagement ne se fonde cependant pas (officiellement) sur des considérations éthiques : il indique en effet que les assureurs considèrent que « le caractère encore expérimental de cette information [génétique] interdit, en l’état actuel des connaissances, de décider de la conduite à tenir ». En d’autres termes, les assureurs de la FFSA ne portent pas de jugement de valeur négatif de la pratique et se ménagent ainsi une porte ouverte à un recours ultérieur à cette technique de sélection des risques. Le motif invoqué est la non fiabilité même si le texte conclut que « cette attitude rejoint le souci des parlementaires et des scientifiques d’adopter, vis à vis des conséquences éthiques, morales et sociales de cette révolution scientifique, une attitude pragmatique ». Cette justification apparente est cependant en contradiction avec les données acquises de la science. Le dépistage de la maladie de Huntington (dont les sujets révélés positifs seront nécessairement atteints) est par exemple fiable à 100%. La voie du recours éventuel ultérieur à ces tests était même clairement envisagée puisque ce délai de cinq ans (reconduit) avait pour finalité d’instaurer une réflexion « sur les règles d’une déontologie susceptible de régir une éventuelle utilisation des résultats de ces tests par l’assurance ». © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 73 La sélection des risques en assurances de personnes En pratique, le texte pose des engagements précis : cela signifie que les assureurs, pendant cette période : « ne poseront pas de questions relatives aux tests génétiques et à leurs résultats dans les questionnaires de risques » ; « ne demanderont pas aux candidats à l’assurance de se soumettre à des tests génétiques, ni de fournir les résultats de tests préexistants ». Le système adopté est donc plus protecteur qu’en matière de diagnostic de séropositivité pour laquelle le candidat est tenu de la déclarer s’il a pratiqué un test dont il connaît le résultat. 3. L’intervention du législateur français. En l’absence de tout texte contraignant à proprement parler pour les assureurs et compte tenu des engagements internationaux qui avaient été souscrits par la France, le législateur a introduit dans le droit positif français un texte qui prohibe le recours aux dépistages génétiques aux fins de sélection des risques en assurance. La loi63 du 4 mars 2002 introduit un article L. 1141-1 au Code de Santé Publique (recodifié L. 1151-1), également reproduit dans le Code des assurances (art. L. 133-1), au Code de la Sécurité Sociale (art. L. 932-29) et au Code de la Mutualité (art. L. 112-4), fait révélateur de l’importance qui est donnée à cette disposition historique : Les entreprises et organismes qui proposent une garantie des risques d'invalidité ou de décès ne doivent pas tenir compte des résultats de l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne demandant à bénéficier de cette garantie, même si ceux-ci leur sont transmis par la personne concernée ou avec 63 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, art. 97 et 98, JORF 5 mars 2002. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 74 La sélection des risques en assurances de personnes son accord. En outre, ils ne peuvent poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, ni demander à une personne de se soumettre à des tests génétiques avant que ne soit conclu le contrat et pendant toute la durée de celui-ci ». Le texte reprend ainsi les engagements de la convention de la FFSA, en ne faisant cependant plus référence aux questionnaires de risques. L’interdiction vaut donc aussi bien lors de la phase de souscription du contrat que lors de la vie du contrat. L’intérêt de ce texte est également d’édicter une sanction, qui plus est de nature pénale, afin d’en garantir le respect : la peine est de un an d’emprisonnement et de 20.000 Euros d’amende. Ces dispositions s’appliquent, en vertu de l’art. 101 de la loi précitée, aux contrats en cours. Propos conclusifs : Nous souhaitons conclure cette étude en relativisant la contrainte qui est ainsi créée à la charge des compagnies d’assurance. Au terme de ces développements, il apparaît en effet que le recours aux dépistages génétiques est totalement prohibé à des fins de sélection des risques, et même plus largement à des fins autres que médicales ou de recherche médicale. La législation française adopte ainsi une position tout à fait claire, mais contradictoire à celle qui peut exister dans certains autres pays, tel le Royaume-Uni. Les assureurs britanniques ont en effet obtenu de pouvoir pratiquer des dépistages génétiques dans une pratique « contrôlée », sans que cette utilisation soit libre, grâce à des mécanismes originaux repris dans un code de bonne conduite (par exemple en limitant les tests pouvant être réalisés, en pratique les maladies monogénétiques dont nous avons parlé ; en créant l’institution du « Genetics advisor » ; etc…), code qui a reçu la caution du gouvernement. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 75 La sélection des risques en assurances de personnes Il serait pourtant erroné d’avancer l’argument qu’en adoptant une telle législation la France se place en recul par rapport à d’autres pays dont les compagnies d’assurance se trouveraient favorisées. En effet, la législation communautaire applicable à la libre prestation de service (LPS) prévoit que la loi applicable au contrat d’assurance est la loi de l’assuré. En définitive, l’assuré français sera traité avec les mêmes égards qu’il fasse appel à un assureur hexagonal, britannique ou autre, aussi bien en ce qui concerne les discriminations négatives que les discriminations positives pour ceux qui voudraient se prévaloir de leur état « génétiquement sain ». §2 – Le secret médical, un droit absolu de l’assuré même lors de la sélection des risques. Le secret médical est une obligation fort ancienne qui s’applique aux médecins. Le serment d’Hippocrate, dans son quatrième paragraphe in fine dispose : « Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans l'exercice de mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, je le tairai et le considérerai comme un secret » 64. Le secret qui y est décrit entoure et protège plus l’environnement du malade qu’il ne concerne la divulgation du mal dont il est atteint. Mais il est un consensus autour du respect de la plus grande discrétion autour des circonstances qui font qu’un patient vienne consulter son médecin. Cette obligation est en outre posée par le Code de 64 Serment d’Hippocrate, traduction de Littré. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 76 La sélection des risques en assurances de personnes déontologie médicale 65 que les médecins sont astreints de respecter, sous peine de sanctions, cette profession étant fortement réglementée : « Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris » 66. « Le médecin doit protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu’il a soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le support de ces documents. Il en va de même des informations médicales dont il peut être détenteur […] » 67. Or la loi, comme y fait référence l’alinéa 1er ci-dessus, prévoit expressément l’existence d’un secret médical sanctionné par l’art. 226-13 du nouveau Code Pénal de un an d’emprisonnement et 15.000 Euros d’amende. Outre la sanction pénale, le médecin qui manquerait à son obligation contractuelle s’expose à des sanctions civiles, puisque l’obligation de secret est une obligation de résultat. La loi s’inspire du principe général édicté par l’art. 9 alinéa 1er du Code civil suivant lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Le texte qui en définit les modalités a précisément été modifiée il y a peu par la loi du 4 mars 2002 : 65 Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995. 66 Code de déontologie médicale, art. 4. 67 Code de déontologie médicale, art. 73. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 77 La sélection des risques en assurances de personnes « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ». La loi du 4 mars 2002 indique ensuite quel est le contenu de ce secret médical : « Ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes ». Il convient de prendre note dès à présent que ces obligations sont celles de tout médecin, qu’il soit le praticien choisi par son patient ou qu’il soit le médecin-conseil de la compagnie d’assurance. Ces principes impliquent ainsi que le médecin traitant ne peut communiquer au médecin-conseil de l’assureur d’information ou de document que s’il est saisi d’une telle demande par son patient. Nous allons nous attacher à montrer que ce secret médical porte atteinte à la faculté de l’assureur de procéder à une sélection correcte des risques qu’il assure, et ce, à deux niveaux : d’abord lors de la phase de sélection proprement dite, ensuite lors du règlement du sinistre. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 78 La sélection des risques en assurances de personnes A. Le secret médical lors de la phase de sélection des risques. Lors de la sélection du risque qui lui est soumis, l’assureur a besoin de connaître certains éléments ayant trait à la santé du candidat afin de lui proposer ou non une garantie, et en des termes adaptés à sa situation. Nous avons déjà abordé les modalités de cette sélection médicale : elle peut être pratiquée par voie de questionnaire médical adressé directement au candidat. Dans ce cas, c’est ce dernier qui prend la décision de dévoiler certains aspects de son dossier médical. Une décision récente 68 reconnaît que l’intéressé peut renoncer au secret professionnel à l’égard d’une compagnie d’assurance : « L'acceptation par l'assuré de la divulgation de certains éléments le concernant constitue une renonciation anticipée de sa part et par suite de ses ayants droit au bénéfice du secret médical »69. Le médecin-conseil peut aussi convoquer le candidat à un examen médical complet avec éventuellement analyses de sang, radiographies, électrocardiogrammes, etc… Mais dans cette hypothèse, le médecin est contraint de respecter le Code de déontologie médicale : « Le médecin expert doit, avant d'entreprendre toute opération d'expertise, informer la personne qu'il doit examiner de sa mission et du cadre juridique dans lequel son avis est demandé » 70. « Dans la rédaction de son rapport, le médecin expert ne doit révéler que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées. Hors de ces limites, il doit taire tout ce qu'il a pu connaître à l'occasion de cette expertise » 71. 68Cass. Civ. 1e, 29 octobre 2002, nº 517 FS-P, nº B99-17.187 69 Dictionnaire Permanent bioéthique, fascicule de mise à jour du 22 novembre 2002. 70 Code de déontologie médicale, art. 107. 71 Code de déontologie médicale, art. 108. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 79 La sélection des risques en assurances de personnes Ainsi, selon une décision de la section disciplinaire du Conseil de l’ordre des médecins72, le médecin « peut communiquer directement aux services administratifs de l’assureur des informations que lui a fournies la victime sur les atteintes dont elle souffre ainsi que les conclusions administratives qu’il tire de l’examen clinique qu’il a effectué et du diagnostic qu’il en porte ». Cette position n’engage cependant que le Conseil de l’Ordre et ne peut être érigé comme principe hors de ce contexte de police de la profession. Il ressort donc de ces développements que l’assureur reste tributaire du bon vouloir du candidat quant à la masse d’informations qu’il peut collecter à son sujet. La seule possibilité pour l’assureur – et qui demeure la plus sage – reste de refuser le risque lorsque l’assuré ne communique pas toutes les informations sollicitées. Cette prudence est à observer avec d’autant plus de raison qu’il est permis, en une telle hypothèse, de suspecter une réticence du candidat à l’assurance. Cette réticence peut précisément révéler une démarche d’anti-sélection. L’assureur est donc tributaire des informations communiquées par son assuré à cause de l’institution du secret médical, ce qui a des répercussions importantes sur la sélection des risques à une autre étape : lors du paiement de la garantie. B. L’incidence du secret médical sur la sélection des risques lors de la réalisation du sinistre. Nous avons précédemment décrit les mécanismes des art. L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances qui sanctionnent les fausses déclarations intentionnelles et nonintentionnelles. 72 Section disciplinaire du Conseil de l’Ordre des médecins, 19 octobre 1994, Publ. Assurance Française n° 715, novembre 1995, p. 18 © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 80 La sélection des risques en assurances de personnes Ce mécanisme de sanction constitue un moyen de protection pour l’assureur. En effet, sans sanction, une règle a peu de valeur car elle a peu de chances d’être respectée. Cette crainte est d’autant plus justifiée dans une matière où l’antisélection est une préoccupation majeure. Ainsi, si le secret médical conduisait pour l’assureur à ne pas pouvoir appliquer la sanction des art. L. 113-8 et L. 113-9, en ne pouvant contrôler la sincérité des déclarations de risques faites ab initio, l’institution de la sélection des risques s’en trouverait fortement ébranlée. Qu’en est-il dans les faits ? Nous l’avons déjà dit, le praticien habituel ne pourra communiquer des informations sans le consentement de son patient. Par contre, on peut s’interroger sur le maintien de ce secret lorsqu’une demande en justice est introduite. Le régime du secret médical pour les experts est en effet différent. La jurisprudence 73 a reconnu le droit pour l’assureur de demander une expertise destinée à éclairer l’exactitude de la déclaration du risque : « Sauf à priver l’art. L. 113-8 du Code des assurances de tout effet, l’assureur, qui réunit les indices d’une éventuelle réticence ou fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, est en droit de solliciter une expertise médicale afin d’administrer la preuve de cette réticence ou fausse déclaration intentionnelle, le secret médical ne pouvant s’opposer à ce que le médecin traitant communique à l’expert judiciaire des éléments permettant d’établir si l’intéressé a répondu sincèrement aux questionnaires soumis, dès lors que le médecin traitant ne donne aucune indication sur le genre ou les causes de la 73 TGI Paris 18 décembre 1989, RGAT 1999, p. 140. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 81 La sélection des risques en assurances de personnes maladie dont le souscripteur pouvait être atteint en dépit de ses déclarations contraires ». La jurisprudence que connaîtra la Cour de cassation sera cependant beaucoup moins favorable aux assureurs. La cour s’attachait d’abord à faire en sorte que l’obligation de bonne foi qui entourait la phase de souscription et de sélection soit maintenue. Le souscripteur devait en effet renseigner l’assureur de manière complète et loyale. Dans ces conditions, l’assureur doit pouvoir contrôler a posteriori ce qui lui a été déclaré ; cela implique que si l’assuré avait volontairement remis des documents médicaux au médecin-conseil de l’assureur, ce dernier est en droit de les transmettre à l’expert judiciaire nommé. L’opposition de l’assuré à ce que soit levée cette partie du secret médical doit être rejetée dans la mesure où elle tend « non pas à faire respecter un intérêt moral légitime, mais à faire écarter un élément de preuve contraire à ses prétentions ». Il ne peut donc ainsi « faire échec à l’exécution de bonne foi du contrat auquel il était partie, en mettant l’assureur dans l’impossibilité de prouver les réticences ou omissions volontaires qu’il lui imputait » 74. En outre, la violation éventuelle du secret médical n’emportait pas à elle seule la neutralisation du problème de la fausse déclaration dont la preuve peut être rapportée par d’autres moyens que les documents transmis irrégulièrement à l’expert judiciaire ou au juge, notamment par aveu de l’assuré. Ce dernier ne peut dès lors faire grief au juge d’avoir tenu compte d’une preuve obtenue par un procédé illicite et pénalement répréhensible75. La Cour de cassation a donc logiquement admis 76 la production de documents médicaux en justice, à la demande de l’assureur, même lorsque cela conduit à démontrer 74 Cass. Civ. 1e 3 janvier 1991, n° 89-13.808. 75 Cass. Civ. 1e 10 décembre 1996, n° 94-17.317, RGDA 1997, p. 126. 76 Cass. Civ. 1e 9 juin 1993, n° 91.16.067, RCA 1993 comm. 348. et RCA 1993 chron. 34. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 82 La sélection des risques en assurances de personnes la mauvaise foi de l’assuré. Le rapport 1993 de la Cour de cassation77 explicite bien ce développement jurisprudentiel : « si la jurisprudence a apporté récemment quelques tempéraments » à la règle selon laquelle le droit au secret « est en principe absolu », « l’idée est que le respect du secret est destiné à protéger des intérêts légitimes (le droit de s’opposer à la divulgation de l’état de santé, le droit au respect de la vie privée) et c’est le détourner de sa finalité que de l’utiliser dans un but illégitime », en particulier lorsqu’il s’agit de faire obstacle à l’obligation de bonne foi qui prévaut dans les contrats d’assurance. Ce rapport précise les conditions du rejet du secret médical : le document se borne à des constatations banales telles que le traitement suivi, la nature de la maladie ne devant pas y être mentionnée, et le refus de communiquer ce document conduirait à éliminer un élément de preuve contraire à la prétention de l’assuré ou de ses ayants droit. La Cour de cassation semblait ainsi avoir trouvé un juste milieu conciliant les intérêts des deux parties et ne portant pas d’atteinte trop grave aux droits de chacune d’entre elles. Mais elle est revenue à plus d’orthodoxie sur le sujet du secret médical, abandonnant par là même les préoccupations fondées sur le respect de la bonne foi. Depuis deux arrêts du 6 janvier 199878 et du 12 janvier 199979, la Cour de cassation affirme désormais que le secret médical est absolu et que le médecin-conseil ne peut révéler à l’assureur des données obtenues auprès d’un de ses confrères. Dans ces deux espèces le médecin-conseil avait obtenu des information auprès du médecin traitant de l’assuré. Dans la seconde espèce, la lettre du médecin traitant avait même été transmise à la justice bien que spécifiée « confidentiel ». 77 Rapp. Cour cass. Pour 1993, p. 330. 78 Cass. Civ. 1e 6 janvier 1998 n° 95-19.902 et n°96-16.721, « Crédit social des fonctionnaires c/ Benchimol et Mutuelle Générale de l’Education Nationale », JCP G 1998 IV.1367, Bull. Lamy G n° 39 avril 1998 p. 1. 79 Cass. Civ. 1e 12 janvier 1999 n° 96-20.580, JCP G 1999 II10025, RCA 1999 chron. 13, Bull. Lamy I n°63 juin 2000 p. 1. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 83 La sélection des risques en assurances de personnes Ce revirement de jurisprudence est assez sévèrement critiqué par les assureurs. Ces derniers s’interrogent en effet sur les moyens dont ils disposeront encore afin de s’assurer de la sincérité des déclarations qui leur ont été faites et sur lesquelles ils ont fondé leur sélection des risques. Une voie est cependant toujours ménagée : il s’agit de l’expertise judiciaire pure. En effet, « en cas de difficulté il appartiendra au juge d’ordonner une expertise qui sera réalisée dans le respect du principe du contradictoire »80. Cette solution, il faut le noter, est cependant assez handicapante pour l’assureur. Il faut en effet d’abord que soit acceptée par le juge sa demande de nomination d’un expert judiciaire, ce qui signifie qu’il doit déjà être fait état d’éléments laissant présumer une possible déclaration de mauvaise foi. Ensuite, l’expert judiciaire devra déterminer si au moment de la souscription l’assuré était déjà atteint du mal qui a causé la garantie de l’assureur (ce qui n’est déjà pas particulièrement aisé dans ces contrats à exécution longue), mais encore se prononcer sur la connaissance ou non par le souscripteur de cette maladie, puisque son ignorance de bonne foi n’aurait, elle, aucune incidence. Notons que ceci a conduit certains assureur qui auraient des doutes sur la sincérité d’une déclaration de risque à ne pas régler les prestations et à attendre d’être assigné, seul moyen pour eux d’obtenir des informations médicales. Une telle pratique qui se généraliserait serait à l’évidence un effet pervers et indésirable de la solution retenue. Pour conclure cette étude relative à la contrainte apportée par le secret médical à l’assureur qui souhaite sélectionner ses risques, nous devons signaler ce qui pourrait s’apparenter à un récent virage important dans ce domaine. La loi du 4 mars 2002 a proclamé le secret médical comme un droit « subjectif », un droit attaché à la personne, ce qui induit de nouvelles conséquences juridiques. La Cour de cassation dispose en effet désormais d’un pouvoir d’appréciation sur l’invocation du 80 Rapport Cour de cassation pour 1999, La Documentation Française 2000, p. 404. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 84 La sélection des risques en assurances de personnes secret médical et elle peut retenir un abus de droit et autoriser la communication d’informations médicales. Elle a déjà fait usage de cette nouvelle prérogative dans une espèce ayant trait aux successions81 ; le fera-t-elle en matière d’assurance ? 81 Cass. Civ. 1e 22 mai 2002 n° 00-16.305 Bull. Civ. I 707 FS-P+B (Les ayants droit souhaitaient que soit fait la lumière sur une éventuelle insanité d’esprit du de cujus. Rejet du pourvoi exercé contre la décision d’appel qui nie au médecin la faculté de ne pas transmettre le dossier médical à l’expert judiciaire). © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 85 La sélection des risques en assurances de personnes Conclusion L’étude que nous venons de mener traite de nombreux sujets se rapportant à la médecine et à l’éthique notamment. C’est ainsi qu’interfèrent dans les mécanismes précis et rigoureux de l’assurance des données qui ne relèvent pas uniquement de sa technique propre. Faut-il s’en émouvoir ? Nous ne le pensons pas, dans la mesure où l’assurance de personne est un outil apporté aux personnes précisément afin de satisfaire à leurs aspirations sociales de protection (d’eux-mêmes ou de leurs proches). On peut cependant s’émouvoir lorsque les règles inspirées par un excès d’humanisme conduisent à empêcher l’assureur d’exercer correctement son métier. La sélection des risques est une pratique qui est au cœur du métier d’assureur et c’est la raison pour laquelle il convient de porter une particulière attention à ce que l’équilibre de la sélection ne soit pas altéré. Seule une sélection juste et raisonnée permet de garantir avec efficience des prestations aux assurés. Aussi, la justice pour l’assuré ou son bénéficiaire n’est pas nécessairement antinomique à la raison qui prévaut en matière de sélection des risques. À l’échelle macroscopique du moins. Nous avons vu que le législateur est intervenu pour poser un cadre légal de sélection et que dans certains cas il est même intervenu de manière autoritaire afin d’imposer une certaine « justice » au niveau microscopique, afin de protéger les assurés individuellement dans leurs droits les plus personnels. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 86 La sélection des risques en assurances de personnes Le législateur n’est cependant pas le seul acteur dans ce domaine. Il existe en effet un pouvoir de proposition et de concertation important des acteurs sociaux (associations de malade, d’usagers, de consommateurs, partenaires professionnels, compagnies d’assurance, etc…). Ces derniers sont même souvent à l’initiative des grands principes en matière de sélection des risques qui ont été mis en place récemment. Cela exprime à notre sens le profond intérêt de la société pour le mécanisme de l’assurance ainsi que la grande réactivité avec laquelle les professionnels de l’assurance sont soucieux de proposer des garanties adaptées aux situations nouvelles et émergentes (augmentation des risques aggravés induisant de nouvelles « garanties de garantie », chronicisation des maladies évolutives qui ne sont plus nécessairement exclues, prise en charge d’événements nouveaux affectant l’existence grâce à des garanties accidents de la vie (GAV), etc…). Le risque – qui est peut être déjà réalisé – est que l’inconscient collectif projette l’accès à ces types d’assurance en droit à l’assurance. Il convient en effet de rappeler que l’assurance privée n’a pas la même vocation qu’un service public. Il existe par exemple une différence considérable entre l’assurance santé régie par le régime général de la Sécurité Sociale, qui a vocation à assurer la santé du plus grand nombre, comme en témoigne l’esprit de la loi sur la Couverture Maladie Universelle, et l’assurance santé complémentaire individuelle dont l’accès est soumis à une sélection. L’assurance privée ne peut, en l’état actuel, assumer des fonctions de service public. On peut ainsi s’interroger sur les formes futures du développement de l’assurance de personnes compte tenu du fait qu’elle tend à jouer malgré elle un rôle de socialisation important. Verra-t-on apparaître un bureau de tarification des risques aggravés avec obligation pour l’assureur d’accepter le souscripteur à un certain tarif ? Cette hypothèse extrême est peu vraisemblable, et ce d’autant plus que la tendance actuelle est à la souplesse par le truchement de négociations qui permettent de mettre en place des conventions et codes de bonne conduite. Il faut à cet égard remarquer qu’il n’est pas rapporté que les partenaires à ces conventions aient failli à leurs engagements. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 87 La sélection des risques en assurances de personnes Il nous semble que la pratique de la sélection, telle qu’elle est mise en œuvre aujourd’hui, est parvenue à une certaine maturité et un certain équilibre. Il conviendra de prendre garde à ce que ceci ne soit pas compromis par des bouleversements brutaux résultant par exemple d’une future utilisation possible des données génétiques individuelles si la législation l’autorisait. Aussi pensons-nous aujourd’hui pouvoir faire mentir Alain qui écrivait : « La loterie plaît, parce qu'elle tire l'inégalité de l'égalité; l'assurance déplait parce qu'elle fait justement le contraire ». Emile-Auguste Chartier, dit Alain. Propos I, 16 juillet 1912 Aujourd’hui l’assurance de personnes plaît parce qu’elle atténue les inégalités qui sont induites par les aléas de l’existence dans ce monde profondément inégalitaire dans lequel nous évoluons. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 88 La sélection des risques en assurances de personnes ANNEXES © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 89 La sélection des risques en assurances de personnes LISTE DES ANNEXES ANTISELECTION, SIDA, RISQUES AGGRAVES - Cass Civ. 1e 7 octobre 1998 - Convention Belorgey du 19 septembre 2001 - « VIH et couverture d’assurance » SCOR - « Assurabilité des risques aggravés » SCOR ASSURANCE PREVOYANCE - Cass Civ. 1e 7 juillet 1998 - Cass Civ. 1e 13 février 2001 GENETIQUE - Engagement des assureurs de la FFSA (31 mars 1994) SECRET MEDICAL - Cass Civ. 1e 6 janvier 1998 - Cass Civ. 1e 12 janvier 1999 - Cass Civ. 1e 22 mai 2002. © 2003 Frédéric THOMAS [email protected] 90