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au moment où Chef s’éloigne, n’évaluant sans doute pas l’étendue des dégâts, accaparé qu’il est par l’équilibre fragile de son bonheur personnel (Bernard Campan, parfait jusque dans l’ambiguïté). “La boxe c’est un combat contre soi”, dit Nicolas Duvauchelles, mémorable Petit voleur dans le film d’Éric Zonca. C’est avouer l’engagement qu’il a mis dans son interprétation, fréquentant assidûment une salle d’entraînement à Aubervilliers ou un service des pompes funèbres. Le résultat est stupéfiant. Il joue aussi avec une grâce instinctive son itinéraire d’ange déchu qui empruntera, avec une égale sincérité, les chemins du salut. Ajoutons au crédit de ce film une plongée sans voyeurisme ou exotisme dans la communauté asiatique, dont Maï Anh Lê, la petite fiancée à la lumineuse sensualité, transgresse les habitudes. Inguélézi Film français de François Dupeyron En phonétique approximative “inguélézi” est le mot de passe, le cri de ralliement, des clandestins (kurdes, afghans, irakiens…) qui, au bout de leur périple, rêvent de traverser la Manche pour aborder la “terre promise” anglaise. Ils ont sacrifié le peu qu’ils avaient et pris tous les risques, arc-boutés sur le terme du voyage, sans la moindre garantie de réussite et d’avenir. François Dupeyron s’est inspiré de faits-divers qui l’avaient ému (et choqué) en se défendant néanmoins d’avoir voulu tourner un “Sangatte film” pour alerter l’opinion publique. Dans Inguélézi ce sont les destins individuels qui priment, avec en filigrane l’ébauche d’une histoire d’amour. Au retour de l’enterrement de son compagnon, dans cette période de grand désarroi fait d’épuisement et de vacuité, succédant aux déchirements de la douleur et à l’accaparement des rites funéraires, Geneviève (Marie Payen) 䉴 Cinéma découvre un homme hirsute, recroquevillé dans le coffre de sa voiture (Éric Caravaca). Terrorisé et visiblement aux abois, il ne parle pas un mot de français, mais manifeste tout de suite la farouche détermination de sauver sa peau et d’arriver à destination. Sans se poser trop de questions, Geneviève décide de lui venir en aide. Elle a vite fait le rapprochement avec le grave accident d’un camion renversé et carbonisé sur- venu à proximité sur les routes tortueuses des Corbières. L’homme est sans doute le seul rescapé et la police le traque. Il faut parer au plus pressé. La grande maison isolée où vivait le jeune couple offre un asile provisoire. Elle est vide, puisque des proches se sont chargés pour quelques jours de prendre soin de sa fillette, Geneviève ayant souhaité apprivoiser son deuil dans la solitude. Drôle de moment (et d’endroit) pour une rencontre, pour plagier le titre d’un précédent film de l’auteur (son premier qui date de 1988). D’étranges rapports vont s’établir entre la jeune veuve et l’étranger. Non point, comme on pourrait l’imaginer dans une cavale pleine de rebondissements, à mesure que naîtrait une idylle, mais dans une succession de rapports beaucoup plus complexes, entre connivences et affrontements. Il ne saurait y avoir de compromis avec le but à atteindre. Quelle que soit sa gratitude, et probablement ses sentiments, l’homme ne cédera pas d’un pouce sur sa trajectoire. © D.R. 115 Cet intermède de vie intense, au final mélancolique, aura peutêtre distrait Geneviève de son précédent malheur. Toute la force du film repose sur la qualité des interprètes, que la caméra scrute avec une attention passionnée. Il n’est pas neutre que tous deux soient des familiers du réalisateur. Éric Caravaca en est à son quatrième film avec lui (dont La chambre des officiers, en 2001, et Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, en 2003) et qu’ils aient une solide formation théâtrale. Que l’on imagine la performance qu’a pu constituer la barrière des langues, parfaitement surmontée, coach à l’appui. La première partie, qui repose sur la rencontre et l’établissement de relations difficiles entre l’homme et la femme dans le huis clos de la maison et le réduit de la voiture en route vers Calais puis Londres, est d’une grande subtilité. Paradoxalement, l’intérêt se dilue après l’arrivée en Angleterre, où la partie anecdotique et documentaire (les milieux de l’exil, leurs réseaux ethniques, leurs arnaques…) prend le pas sur l’aventure humaine singulière, où François Dupeyron excelle. Street dancers Film américain de Christopher B. Stokes En dehors des grosses productions, qui se doivent pour ratisser le plus large possible de toucher indistinctement les ethnies et les communautés (les Blancs, les Blacks, les Latinos), les âges (des pré-ados aux seniors), les classes sociales (des plus démunis des ghettos aux plus nantis des technopoles) ou des œuvres 䉴 D.R. 116 du cinéma indépendant qui pratiquent la politique des auteurs et ne visent que la minorité éclairée des cinéphiles, le cinéma américain n’hésite pas à cloisonner. Ainsi, certains films sont conçus pour s’adresser à des publics spécifiques. Avec le risque de se révéler peu accessibles aux autres et même décourageants, à mesure que l’indice de satisfaction des adeptes est au plus haut et réclame encore davantage d’ésotérisme, ou de connivence, ou de simplifications. Street dancers semble bien entrer dans cette dernière catégorie et aura sans doute du mal à franchir les limites de l’univers hip-hop. Ce n’est pas forcément une cible négligeable, compte tenu de l’impact et de l’extension du mouvement chez une partie de la jeunesse “globale”. Deux constatations concrètes viennent à l’appui de cette remarque. D’une part, la jubilation d’un public majoritairement stéréotypé, observé lors d’une séance ordinaire dans un lieu de projection plutôt prédestiné : une salle dans le complexe du Forum des Halles à Paris. D’autre part, la difficulté pour le spectateur lambda de passer outre l’indigence du scénario et les limites du jeu des acteurs dès lors que l’on ne s‘intéresse pas exclusivement aux prouesses techniques et à la formidable énergie qui se dégage des prestations chorégraphiques. Voici donc un film fait pour les tenants et les pratiquants de la culture hip-hop, dans l’une de ses déclinaisons la plus spectaculaire : la break dance, ou danse de rue. Née sur les trottoirs ou autres espaces publics des grandes métropoles américaines, sa gestuelle très codée mais sans cesse perfectible, à l’exemple des performances sportives, a franchi les frontières et trouvé des adeptes sur tous les continents. La danse occupe l’écran et le scé- N° 1250 - Juillet-août 2004