Introduction1 1. Non, on ne peut convaincre autrui qu`une Œuvre d

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Introduction1 1. Non, on ne peut convaincre autrui qu`une Œuvre d
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Introduction1
On peut facilement convaincre autrui de la nécessité d’une décision, ou du bien-fondé d’une position politique ; il est
moins aisé de le persuader que La Laitière de Vermeer ou la Main de Dieu de Rodin sont des œuvres belles, s’il y est
complètement indifférent.
Parce que la beauté est sensible, par conséquent, et non pas rationnelle, parce qu’elle fait l’objet d’un plaisir
immédiat, et non d’une réflexion, il semble difficile de donner les raisons pour lesquelles on trouve une chose belle,
en vue de susciter l’adhésion d’autrui à son propre jugement.
Et, cependant, lorsque l’on trouve une œuvre belle, on ne peut s’empêcher de vouloir que chacun la reconnaisse
comme telle. On cherche alors spontanément à convaincre autrui de porter sur elle le même jugement.
D’où le problème : la beauté d’une œuvre, parce qu’elle est perçue à travers un plaisir esthétique, peut difficilement,
semble-t-il, être communiquée par preuves.
Pourquoi ne peut-on s’empêcher, dans ce cas, de chercher un accord avec autrui sur ce que l’on tient pour beau ? La
beauté d’une œuvre est-elle donc réellement incommunicable ?
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
1. Non, on ne peut convaincre autrui qu’une œuvre d’art est belle
A. Il n’y a pas de concept de la beauté
Convaincre autrui, c’est l’amener à partager son point de vue ou jugement au moyen d’un discours argumenté ou de
preuves. Précisément, pour convaincre autrui qu’une œuvre est belle, il faudrait lui permettre d’en juger au moyen
d’un concept de la beauté − d’une règle ou de critères.
Or, on ne saurait déterminer par concepts ce qui fait l’unité de la beauté au-delà de la diversité infinie des
expressions et des œuvres artistiques. Elle ne réside universellement ni dans l’harmonie ni dans la seule perfection
des formes.
B. La perception de la beauté suscite un plaisir, elle n’est pas produite par un raisonnement
La beauté résulte de la perception d’une composition unique (de couleurs, de formes de matériaux). Elle est la qualité
d’une œuvre rigoureusement singulière : une chose est belle, précisément, lorsqu’on ne peut la comparer et la
rapporter à aucune autre par le moyen d’une règle.
La perception de ce caractère original de l’œuvre s’accompagne d’un sentiment de plaisir, lequel est, comme tel,
subjectif et immédiat − il n’est pas éprouvé par la médiation d’un raisonnement. Pour cette raison, nous sentons
qu’une œuvre est belle, nous ne saurions ni dire pourquoi ni susciter par preuves un tel sentiment en l’autre.
Conclusion et transition
La beauté d’une œuvre d’art dépend d’une perception singulière, dont on ne peut, comme telle, rendre compte dans
un discours : est-elle alors incommunicable ?
Pourtant, dire qu’il existe des œuvres d’art, n’est-ce pas supposer qu’un certain type de beauté devrait être reconnu
par tous et, de fait, se communiquer ?
2. Oui, on peut convaincre autrui qu’une œuvre d’art est belle
A.Il est possible d’influencer le jugement d’autrui au sujet de la beauté d’une œuvre
Convaincre autrui qu’une œuvre est belle est l’objet de la critique d’art
− preuve que l’on peut discuter de la beauté. À cet égard, il convient de remarquer que l’on ne cherche à
convaincre autrui d’une vérité (ici : “ telle œuvre est belle ”) que parce que celle-ci ne va pas de soi pour tous.
Ainsi expliquera-t-on un théorème de mathématiques à un enfant, mais on ne cherchera pas à l’en “ convaincre ” − à
produire son adhésion ou sa foi en la vérité de la démonstration. L’acte par lequel nous tentons de convaincre autrui
reste donc subjectif, il naît en l’occurrence de la conscience que, même si la beauté s’impose à nous, elle ne fait pas,
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de fait, l’unanimité.
Voilà pourquoi on peut défendre avec enthousiasme la beauté et le réalisme du film Le Voleur de bicyclette, de
Vittorio De Sica, et convaincre qui ne l’a pas encore découvert d’aller le voir − voire l’influencer dans son jugement
futur : on ne saurait lui donner pour autant la preuve mathématique que l’œuvre est belle.
B. On peut exposer les règles de la beauté
Toutefois la culture forme le jugement et contribue à le rendre plus objectif. Ainsi la beauté d’une œuvre d’art,
contrairement à celle d’un paysage naturel, n’est pas intemporelle − valable en tout temps, en tout lieu. Relative à
une culture donnée, elle dépend, comme telle, de canons ou critères de beauté que l’on peut énoncer et définir. Pour
cette raison, on peut exposer les règles de la beauté. Ainsi peut-on expliquer, par exemple, ce qui fait la beauté des
peintures de la Renaissance, conformément aux règles de la perspective.
Conclusion et transition
On peut communiquer à autrui son goût pour une œuvre d’art, tenter de lui faire part des raisons et des sentiments
qui nous la font trouver belle.
Toutefois, discuter ou faire l’éloge de la beauté d’une œuvre n’est pas en décider. Par ailleurs, la connaissance et
l’exposé de canons de beauté ne suffisent pas à rendre compte de la nature du plaisir esthétique, ni pour cette raison à
le transmettre et le susciter.
3. La perception de la beauté peut être éprouvée par tous les hommes et, cependant, elle ne se
communique pas par preuves
A. Tout jugement esthétique prétend à l’universalité
Le plaisir esthétique lui-même ne peut être suscité par un discours rationnel, ni par l’exposé instruit de canons de
beauté : si, par conséquent, la production de toute œuvre est effectivement subordonnée à des règles objectives qui
varient avec les époques et les mouvements artistiques, son mystère et sa beauté ne s’y réduisent pas. Ce n’est pas la
connaissance des petites taches utilisées par les impressionnistes pour recomposer la forme ni celle de la technique
du clair-obscur de Léonard de Vinci qui nous rendent sensibles aux œuvres auxquelles elles s’appliquent ni, par
conséquent, ne nous permettent d’y sensibiliser autrui.
Et, cependant, le plaisir esthétique n’est pas pour autant rigoureusement individuel ou incommunicable, comme l’est
le plaisir sensuel : on n’aura pas même l’idée de vouloir convaincre autrui d’aimer les céleris s’il les a en horreur ;
mais on ne saurait se résoudre à le voir indifférent à l’œuvre de Rembrandt.
Tout jugement esthétique (par lequel nous disons qu’une œuvre est belle), bien que subjectif et particulier, prétend donc en ce
sens à l’universalité, contrairement au jugement sensuel : la raison en est qu’il naît d’une contemplation et d’un plaisir
désintéressé, non de la satisfaction d’un appétit.
B. Le jugement esthétique dépend d’une capacité commune des hommes à éprouver la beauté
D’où vient dans ce cas cette universelle capacité des hommes à apprécier la beauté, s’ils ne peuvent se convaincre et
persuader mutuellement de ce qui est beau et de ce qui ne l’est pas ? Par quoi, en d’autres termes, la perception de la beauté
se communique-t-elle, si ce n’est pas par des preuves ?
Le jugement esthétique dépend de ce que Kant nomme le “ sens commun ” (Critique du jugement). Celui-ci résulte
de la capacité de tout homme à éprouver un plaisir esthétique en commun avec d’autres, grâce à l’état de libre
harmonie intérieur éprouvé dans la contemplation esthétique. Cette communication immédiate des hommes dans
l’expérience esthétique rend, comme telle, superflu tout discours prétendument explicatif sur la beauté.
C’est en raison de cette universelle aptitude à porter un jugement de goût qu’il est à la fois vain et tentant de chercher
à convaincre autrui de la beauté d’une œuvre qui le laisse indifférent.
Conclusion
Le jugement esthétique prétend à l’universalité et cependant il ne s’appuie pas sur des concepts, mais sur une
expérience de la beauté, que les hommes ont le pouvoir de partager dans la contemplation esthétique, grâce à une
aptitude commune à en juger. Voilà pourquoi il est à la fois tentant et impossible de convaincre autrui qu’une œuvre
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à laquelle il est insensible est belle. La beauté s’éprouve, par conséquent, elle ne se prouve pas.
Ouvertures
LECTURES
− Kant, Critique du jugement, 1re partie, Vrin.
− Hegel, Esthétique, introduction, Champs-Flammarion.
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