1000 chambres avec vue. Le futur des grands
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1000 chambres avec vue. Le futur des grands
©: Daniel Hopkinson EVENTS Dessin des façades de ‘Park Hill’ Du 20 juin au 30 septembre inclus, le CIVA, Centre International pour la Ville, l’Architecture et le Paysage de Bruxelles se concentrera sur quelques projets de logements sociaux datant des années 1950 et 1960. Durant l’exposition ‘1000 chambres avec vue. Le futur des grands ensembles immobiliers’, deux projets occuperont une position centrale: le complexe d’habitation moderniste ’Ieder Zijn Huis’ d’Evere de l’architecte Willy Van Der Meeren et le ‘Park Hill’ de Sheffield (UK) des architectes Ivor Smith et Jack Lynn. DIMENSION L’exposition met en lumière la naissance, la vie et les plans de rénovation de chaque projet. De quels éléments les architectes ont-ils tenu compte lors de la conception, du choix des matériaux et de la construction des logements sociaux? Comment vivaient les habitants voici un demi-siècle dans un complexe d’habitation à grande échelle? Comment vivent-ils aujourd’hui? Les besoins sont-ils semblables de nos jours, lesquels ont changé? Qu’en est-il de l’isolation, de la sécurité et du confort dans ces blocs d’habitation un peu vieillots? La rénovation a-t-elle un sens? Ces projets ont-ils encore un avenir? Quelles sont les implications dans les domaines sociaux, économiques et culturels? Poser que nombre de projets d’habitation sociale de la fin des années 1950 ont un besoin urgent de rénovation, c’est enfon- 58 Park Hill & Ieder Zijn Huis Cure de jouvence pour projets d’habitations sociales des années soixante cer une porte ouverte. Les deux exemples ‘Park Hill’ et ‘Ieder Zijn Huis’ sont dégradés et obsolètes depuis longtemps déjà. Et ce n’est pas leur seule caractéristique commune: ces deux logements sociaux datent de la même période et révèlent l’influence de Le Corbusier et de son architecture moderniste. Tous deux ont une ossature en béton et des appartements accessibles par des ‘rues dans le ciel’, tous deux étaient démodés dès les années 1980. Le complexe de bâtiments de Sheffield, composé de 995 appartements et le plus grand logement social classé d’Europe, est entièrement en cours de rénovation par le développeur de projets Urban Splash en partenariat avec le Sheffield City Council, Great Places Housing Group, English Heritage et Communities Agency ainsi que les architectes Hawkins\ Brown, Studio Egret West et les architectes paysagistes Grant Associates. La totale! Mais il est vrai que le projet est classé. Il comprend une superficie de 12 000 m² et est implanté sur un site de 13 hectares. Les 78 premiers appartements de la phase 1 seront habitables en fin 2012. Pour ‘Ieder Zijn Huis’, l’un des principaux projets de l’architecte et designer Willy Van Der Meeren (1923-2002), la rénovation fut attribuée par le maître d’ouvrage Beliris au bureau d’architectes bruxellois Origine. EVENTS Ieder zijn huis ‘Ieder Zijn Huis’, c’était déjà le désir de Willy Van Der Meeren lorsque, jeune architecte orienté sur le social, il se retrouvait derrière sa planche à dessin. Après la Seconde Guerre mondiale, le pays connaissait une pénurie de maisons ouvrières à prix abordables, confortables et saines. En raison de son intérêt pour de nouveaux matériaux, des techniques et des expériences créatives, Van Der Meeren a recherché des solutions de logements abordables. En collaboration avec l’architecte Léon Palm, il a conçu une maison préfabriquée en métal pourvue d’une cuisine équipée et d’une salle de bains, le tout chauffé avec un poêle à charbon. En utilisant l’acier et le charbon, les architectes ont nourri l’espoir de pouvoir bénéficier des subsides de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier, d’où le nom de maison CECA. Habitation sociale avec plus-value Pour ’Ieder Zijn Huis’ également, Van Der Meeren refusa de marcher dans les sentiers battus. L’architecture et le concept du complexe de logements sociaux s’inscrit dans les idées du Congrès International d’Architecture Moderne (CIAM), une série de conférences organisées à divers endroits entre 1928 et 1959. En tant qu’organe consultatif pour les architectes modernistes, dont Le Corbusier et Mies van der Rohe, le CIAM promouvait la ’nouvelle architecture’. L’architecture moderniste, les modules préfabriqués, les panneaux de béton, les terrasses ensoleillées aux étages supérieurs, les couleurs en alternance à chaque étage, l’aménagement en plan libre de Le Corbusier, l’organisation interne bien pensée et les couloirs sous la forme de rues ont conféré » ©: Daniel Hopkinson Grâce à la préfabrication et aux économies qui en découlent sur la main d’œuvre, la maison coûtait à peine 150 000 francs belges, le prix d’une Ford à l’époque! Le concept, le temps de construction rapide d’à peine trois semaines et le faible coût rendaient le projet également intéressant pour le logement social. Mais la Société nationale des Habitations et Logements à Bon Marché mit en doute la robustesse du portique en acier sur base duquel la maison était construite et a refusé de donner son approbation. Outre un prototype de la maison CECA qui avait pourtant remporté pas mal de succès et quelques constructions dérivées avec portique en maçonnerie, le projet n’aboutit pas. Cependant, grâce à ce concept, l’architecte avait acquis la notoriété qui, bientôt, aurait pour conséquence la commande ‘Ieder Zijn Huis’, un complexe de logements sociaux de 105 appartements à Evere. Sa réalisation n’a pas été facile non plus. En vue de l’exposition universelle de 1958, les prix de la construction avaient énormément grimpé. Par conséquent, la Société nationale des Habitations et Logements à Bon Marché a suspendu la réalisation du projet pendant quelques années. De plus, elle éprouvait quelques difficultés avec les nouvelles techniques de construction. Finalement, il faudra attendre 1962 avant que soit terminé ’Ieder Zijn Huis’, le bâtiment sur pattes comme on l’appelle souvent. DIMENSION Où on trouvait autrefois de la maçonnerie, des panneaux en aluminium de diverses couleurs sortent la façade rénovée de la banalité. 59 EVENTS une identité forte à ‘Ieder Zijn Huis’. Comme Van Der Meeren estimait que l’espace public appartenait à tous et ne devait pas être bâti, il a placé le bâtiment sur pilotis. Van Der Meeren a consacré beaucoup d’attention à la construction du ’bloc d’habitations’ et à la circulation. Le nombre de couloirs donnant accès aux appartements a été limité à quatre. Un réseau complexe d’escaliers internes conduit à des espaces de vie plus petits du rez-de-chaussée et aux appartements plus grands des étages supérieurs. Cette circulation concentrait plus de gens dans les couloirs, une incitation à plus de contacts entre les habitants. Le projet devait offrir plus qu’un simple confort de base et un toit au-dessus de la tête, pensait-il. Cinquante ans plus tard, une rénovation en profondeur de ’Ieder Zijn Huis’ doit insuffler une vie nouvelle et veiller à ce que le bâtiment réponde aux normes actuelles en matière d’isolation, de sécurité incendie, de consommation énergétique et de confort. ‘Ieder Zijn Huis’ conservera après rénovation sa vocation de logement social. Ceci, contrairement à ’Park Hill’ qui joue la carte du trèfle à quatre feuilles: appartements, bureaux, vente, loisirs. La fonction résidentielle y cible un public mixte de propriétaires et de locataires. Un choix délibéré afin de prévenir la ghettoïsation et de rendre le modèle économiquement viable. Park Hill with a view Depuis la mi-1980, ‘Park Hill’, un complexe de logements sociaux décrépits et délabrés qui fut même qualifié de plus laid bâtiment d’Europe, est en pleine métamorphose avec la rénovation et la restauration des 995 appartements constituant ces bâtiments en boucles. Urban Splash n’en est pas à son coup d’essai. Ces dernières années, ce développeur de projets s’est construit un beau portefeuille avec la reconversion de sites problématiques tels ceux de Birmingham, de Manchester, de Plymouth, de Liverpool et de Morecambe. La caractéristique de tous ces projets est une vision à long terme qui met largement l’accent sur l’architecture, le design, le patrimoine, la durabilité et la qualité de vie. Cette approche s’est révélée fructueuse et a permis à Urban Splash de remporter 304 prix » ‘Park Hill’ avant et après les travaux DIMENSION De longues galeries, des espaces à usage collectif et de petites boutiques devaient favoriser le contact mutuel. Pour faciliter la reconnaissance, chaque couloir de la cage d’escalier et chaque porte a reçu une couleur différente. Les poignées de portes ont été conçues et fixées de sorte telle que les enfants puissent facilement les atteindre. Les duplex étaient spacieux et lumineux et apparaissaient comme un grand espace ouvert sans distinction tangible entre parties réservées à la nuit et au jour. Pour nombre d’entre elles, les idées de Van Der Meeren ne sont pas prêtes d’atteindre la date de péremption. Au contraire, la plupart sont étonnamment d’actualité. De plus, habiter mieux et moins cher demeure aujourd’hui encore plus que jamais un défi. 61 EVENTS dont 47 RIBA, le plus grand nombre jamais gagné par un développeur de projets. Les attentes pour ‘Park Hill’ sont donc élevées. ©: CIVA Grâce à une puissante campagne de marketing et d’images comprenant 4 appartements témoins et des visites guidées de ‘Park Hill’, Urban Splash espère attirer à Sheffield des groupes diversifiés d’habitants, propriétaires et locataires, des détaillants et des hommes d’affaires afin de transformer le site en place to be, ce qu’il était voici un bon demi-siècle. Ce complexe d’habitation sociale de près de 1 000 appartements est implanté sur un site de 32 hectares dont on s’occupe actuellement de 13. Après-guerre, il fut l’une des premières et la plus ambitieuse expérience de Grande-Bretagne en matière de logement populaire. L’architecture dominante et brute qu’Ivor Smith et Jack Lynn ont introduite dans ce complexe de Sheefield était du jamais vu! La conception reposait sur le brutalisme, un style architectural particulièrement réussi dans les années 1960 et qui se caractérise par des formes géométriques, une structure de façade expressive comportant de nombreux étages et l’utilisation de matériaux de construction inachevés tels que le maintien à vue du béton décoffré. La plupart du temps, la méthode de construction consistait en une ossature en béton dont les faces étaient remplies de briques. Beaucoup d’habitants haïssaient ‘Park Hill’ en raison de son architecture, de sa superficie et de son emplacement sur les collines de Sheffield qui rend le complexe visible de partout et qui, selon eux, dénature le paysage. Contrairement aux habitants de Sheffield, la plupart de ceux de ‘Parc Hill’ Voilà à quoi ressemblera la façade est de ‘Ieder Zijn Huis’ après les travaux n’avaient que des éloges pour les pièces spacieuses, le confort, le chauffage urbain, le contact social dans les larges galeries et le panorama sur les environs. Il faisait bon vivre à ‘Park Hill’ jusqu’à ce que la région ne soit durement touchée par le chômage dans les années 1980. Pas moins de 53 000 emplois ont été perdus en raison de la fermeture des aciéries et des mines. La crise économique a dégénéré en une catastrophe sociale qui a laissé des traces à ‘Park Hill’: inoccupation, délabrement, pauvreté, criminalité et précarité d’une vie difficile se reflétèrent sur le bâtiment. Aussi décadente fut la dégradation de ’Park Hill’, aussi grandiose en sera aujourd’hui sa renaissance. Le bâtiment, dont la première phase est terminée, se dresse comme un phénix renaissant de ses cendres. A. Le complexe d’origine, fort de 995 appartements, constituait un village en soi. B. La façade nord-ouest avant les travaux. Comme l’espace public appar- Plus de couleurs pour Sheffield C. Le toit de ‘Ieder Zijn Huis’ servait de solarium et d’endroit où sécher Le nouveau parement des façades de ‘Park Hill’ va lui assurer un avenir coloré. Au lieu de démolir, Urban Splash a choisi la DIMENSION A. 62 © Bill Toomey le linge. B. ©: CIVA tient à tous, Willy Van Der Meeren a placé le bâtiment sur pilotis. C. ©: Peter Bennett EVENTS 4 appartements-témoins ont été aménagés dans la partie rénovée. ©: CIVA Visite guidée des projets de Willy Van Der Meeren Jusqu’en octobre, l’asbl Korei organise en collaboration avec la Fondation Willy Van Der Meeren une série de visites sur le thème ‘Willy Van Der Meeren et ses contemporains’. En ce qui concerne le travail de Van Der Meeren, le programme comprend une visite du Vierwindenbinnenhof 7 à Tervuren (26 août, 30 septembre et 21 octobre). Cette zone résidentielle privée comprend 8 maisons nichées dans la verdure, dont le numéro 6, la propre maison CECA de Van Der Meeren. Même si elle date de 1955, son concept est encore étonnamment d’actualité. www.docomomo.be terne des collines de Sheffield. C’est précisément cela que les habitants de la ville attendaient depuis longtemps. Un point tout aussi important que le lifting du bâtiment repose sur la variété de son contenu et l’arrangement des alentours, aspects pour lesquels il n’y avait pas d’argent à l’époque et auxquels on ne prêtait aucune attention. Il y aura désormais une association d’appartements, de bureaux, de commerces, de restaurants, de cafés et même le boulanger du coin. Un panache de services, de crèches, d’écoles, de transports en commun. Un assortiment de places assises, de parcs, de places, de terrains de jeux, de sport, de sites événementiels, d’activités récréatives, un environnement verdoyant. Un mélange d’ancien et de nouveau. Un mélange de riches et de pauvres. Un mélange de cultures. Un mélange de propriétaires et de locataires. Un mélange d’appartements bon marché et coûteux. Seule, la mixité crée la base d’une utilisation durable des bâtiments et de l’environnement si l’on en croit Urban Splash et l’équipe d’architectes comprenant Hawkins / Brown, Studio Aigrette West et les architectes paysagistes Grant Associates. Le co-architecte d’origine Ivor Smith a récemment visité la partie rénovée du projet. Impressionné par sa nouvelle vitalité et son rayonnement, il fit la remarque suivante: «C’est un endroit où il fait bon vivre.» L’exposition ‘1000 chambres avec vue. Le futur des grands ensembles immobiliers’ montre des photos, des films, des dessins et des maquettes. Elle est présentée au CIVA du 8 juin au 30 septembre, rue de l’Hermitage 55 à 1050 Bruxelles. Pour en connaître les heures d’ouverture, rendez-vous sur www.civa.be. Vous trouverez des informations supplémentaires sur ‘Park ‘Hill’ à l’adresse www.urbansplash.co.uk www.urbansplash.co.uk Texte: Colette Demil & Staf Bellens DIMENSION rénovation et la restauration car la structure est encore saine. Seul ce qui est en mauvais état sera détruit. Les 974 appartements disposeront tous de plus d’espace et d’une terrasse. La balustrade d’origine en béton recevra un revêtement plus élégant. Les espaces de vie sont orientés au sud et à l’ouest. La zone de nuit, au nord et à l’est. De plus grandes baies vitrées veilleront à ce que plus de lumière naturelle puisse entrer et livreront une belle vue sur les environs. En raison du panorama, la façade ouest a été munie d’un ascenseur externe en verre. Un certain nombre d’appartements sont ouverts sur les rues d’accès, une intervention délibérée pour assurer le contrôle social et augmenter la sécurité. Les façades de Park Hill ressemblent à un patchwork de couleurs par le placement des panneaux en aluminium anodisé de différentes nuances qui ont remplacé la maçonnerie d’origine. La palette de couleurs est saisissante. Elle respire l’innovation, l’optimisme et ramène à la vie l’ancienne zone 63