Philosophie – cours O

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Philosophie – cours O
Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
SUIS-JE CE QUE J’AI CONSCIENCE D’ETRE ?
Compréhension et analyse du sujet en vue de dégager des éléments pour construire
l’introduction
1) Légitimation de la question posée
Nos amis, nos proches ne sont pas les seuls à être quelquefois surpris par certains de nos
comportements ou de nos paroles. Tantôt pour le regretter, tantôt pour nous en féliciter, il
nous arrive souvent de nous étonner d’avoir pu dire telle ou telle parole, d’avoir accompli tel
ou tel acte : je me conçois comme généreux mais je ne donne pas d’argent aux personnes
démunies pour autant ; j’avais conscience d’être peureux mais j’ai défendu une personne
agressée dans la rue. Mon être ne semble pas correspondre à la conscience que j’en ai. Cette
méconnaissance ou ignorance de soi peut paraître surprenante : ne sommes-nous pas, parmi
tous les objets de connaissance possibles, celui qui nous est le plus proche et le plus familier ?
2/ Position du sujet
Il est donc légitime de se demander si je suis ce que j’ai conscience d’être.
3) Sens de la question posée, reformulation
En d’autres termes, l’idée spontanée, la représentation que j’ai de moi-même est-elle en
accord avec cette essence, cet ensemble de déterminations que je suis vraiment ? La
conscience de soi est-elle donc connaissance authentique de soi ?
4) Problématique
Je ne peux me prononcer sur l’accord éventuelle entre la conscience que j’ai de moi et ce
que je suis effectivement seulement si je me connais. Or, si je me connais, la question ne se
pose plus puisque se connaître, c'est avoir conscience de soi tel que l'on est : une
connaissance s'accompagne toujours de la conscience de cette connaissance.
A l’inverse, si je ne me connais pas, aucune réponse à la question n’est possible puisqu'il
faudrait que je me connaisse pour savoir si la conscience que j'ai de moi est vraie ou fausse ce qui est absurde. Mais ce n'est pas tout : l'expérience de l'erreur sur soi, de la méprise à son
propre sujet est si présente que je peux être sûr que la conscience spontanée que j'ai de moi
n'est pas une connaissance de ce que je suis effectivement.
De sorte que le problème est le suivant : si aucune équivalence entre conscience et
connaissance de soi n’est donnée, si aucun accord entre moi et moi-même n’est posé ou
immédiat (sans quoi d'ailleurs la question ne se poserait pas), est-il toutefois possible de
passer de la conscience spontanée, partielle, voire erronée de soi à une authentique
connaissance de soi ?
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I) LA CONSCIENCE DE SOI COMME EVIDENCE PREMIERE
1ère hypothèse : je suis ce que j’ai conscience d’être. Le passage de la conscience de soi à
la connaissance de soi est possible.
A) Je suis le mieux placé pour savoir qui je suis : la transparence de soi à soi
A première vue, il semble que nous soyons ce que nous avons conscience d’être et que
nous nous connaissons : après tout, ne suis-je pas le mieux placé pour savoir qui je suis ? Le
fait d’être un sujet et d’en être conscient semble me conférer un avantage définitif pour me
connaître, par le recours à l’observation directe de ce qui se passe en moi. Il suffirait, semblet-il, que je m’observe moi-même pour pouvoir m’analyser et me comprendre. " Je sens mon
cœur ", " Mon cœur, transparent comme le cristal..." écrit Rousseau dans les Confessions.
Cette métaphore du cristal indique qu'il est possible d'être transparent à soi-même, tout au
moins du point de vue du cœur (point de vue affectif). Il n'est ici pas encore question du point
de vue intellectuel ou rationnel.
Personne ne semble aussi proche que nous-même. Nous avons accès directement à notre
for intérieur. Nous savons ce que nous avons fait et faisons, alors que les autres ne semblent
pas pouvoir accéder à notre moi profond. Comment aurait-on pour soi-même des secrets,
puisque nous sommes notre intériorité ? A quoi aurait-on mieux accès qu'à soi-même ?
Rousseau le dit, l'autobiographie seule, qui semble être le modèle par excellence de la
démarche introspective, permet d'atteindre le "modèle intérieur" qu'aucun portraitiste ne
connaîtra jamais.
D'où l'ambition, démesurée sans doute, annoncée au tout début des Confessions : " Je
forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je
veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce
sera moi." Ainsi Rousseau affirme-t-il être le premier, le seul à offrir de soi une peinture
authentique : il s'agit pour lui de fournir aux autres une pièce de comparaison pour leur
apprendre à se connaître eux-mêmes. Rousseau n'a pas besoin d'apprendre à se connaître, la
vérité est immédiate; ce qu'il dit de lui est la vérité.
Se connaître est donc pour Rousseau un acte simple et immédiat; la connaissance de soi
n'est pas un problème, c'est une donnée dont l'évidence ne saurait être mise en
doute. Ainsi ne doute-t-il pas un instant de l'unité de son être. L'étrangeté de ses actes, que
lui-même souligne parfois, il n'y voit pas l'expression d'une part obscure de lui-même ; le
spectacle de sa conscience est, comme le dit Jean Starobinski, un "spectacle sans ombre" (La
transparence et l'obstacle) et les lacunes de sa mémoire ne l'inquiètent pas. La métaphore de
la transparence récurrente sous la plume de Rousseau signifie qu'il est tout entier
connaissable mais surtout elle exprime l'innocence foncière de son moi, cette évidence pour
lui si absolue et pourtant méconnue de tous. Ce qui est problématique donc pour Rousseau ce
n'est pas tant la claire connaissance de soi que le regard des autres.
B) L’optimisme cartésien
La conscience de soi se donne immédiatement à elle-même. Elle est, selon Descartes, dans
les deux premières Méditations métaphysiques, la première et la plus certaine de nos
connaissances. Par l'opération du doute - dont Descartes dit qu'il doit être méthodique, radical
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et hyperbolique -, il nous conduit, au travers de la mise en suspens de tous les objets de notre
pensée, à découvrir la certitude que nous avons d'exister comme sujets de cette négation
même, sujets de l'acte de douter. Par des précautions, une prudence méthodologique radicale
mais suffisante, on peut passer de la conscience spontanée de soi à la conscience vraie, à la
connaissance de soi. L’épreuve du doute radical est la garantie de la vérité de mes
représentations de moi-même.
Je suis donc pleinement transparent à moi-même car je suis essentiellement raison et ma
raison est cette "lumière naturelle" susceptible d'éclairer entièrement le champ de ma pensée.
Dès lors Descartes peut identifier conscience et pensée : "il n'y a aucune pensée
de laquelle, dans le moment qu'elle est en nous, nous n'ayons une actuelle connaissance"
(Réponse aux Sixièmes Objections, Méditations métaphysiques). Ainsi il est impossible de
concevoir une pensée inconsciente : une pensée pour être pensée doit être consciente, une
pensée inconsciente n'est donc pas une pensée. Rien ne peut affecter notre esprit sans être
immédiatement pensé.
Avec le cogito, l’être et la conscience coïncident : je suis avant tout une chose qui pense.
Immédiateté et proximité de l’objet : l’esprit et plus facile à connaître que le corps (dualisme
cartésien qui établit une distance entre le moi conscient et les choses, le sujet connaissant et
l’objet à connaître).
C) Les limites de cet optimisme : conscience de soi et connaissance de soi
Il est certes facile de s’apercevoir que je suis. Mais il est assurément difficile de définir ce
que je suis, à supposer d’ailleurs que je sois quelque chose (cf. Les critiques du sujetsubstance, celle de Hume en particulier) : nombre d’exemples montrent comment le moi se
surestime, se sous-estime, s’évalue, se juge mal.
Fragilité de la conscience : il est difficile de transformer la simple conscience de soi en
connaissance (Cf. Spinoza : “ les hommes se croient libres, en réalité c’est parce qu’ils
ignorent les causes de leurs actes ”). Je me découvre parfois autre que ce que je croyais être;
le regard que je porte sur moi peut se révéler trompeur.
Dès lors, la connaissance de soi se différencie de la conscience de soi : savoir que je suis
(conscience de soi) n'est pas la même chose que savoir qui je suis et ce que je suis
(connaissance de soi). La connaissance est une entreprise de découverte, passant par
l'expérience, l'épreuve, les comparaisons, les erreurs, les corrections, le travail. La
connaissance signifie également le résultat positif de ce long travail (comme quand on dit: "
je connais ma leçon ", " je connais le sujet "). Se connaître, c'est alors savoir ce dont on est
capable, les limites de ses capacités face à une tâche ou plus généralement une situation à
laquelle on va être ou on pourrait être confronté. " Je me connais ! " : " je sais ce que je
ferais" (en bien ou en mal). Dans le domaine de l'action, qui est toujours tournée vers l'avenir,
se connaître veut dire : se prévoir, pouvoir se prévoir.
Transition :
Suis-je ce que j'ai conscience d'être ? Oui, semble-t-il, en une première approche, puisque
je suis le mieux placé pour savoir qui je suis, que je suis transparent à moi-même et que l'on
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peut passer assez facilement, avec précaution néanmoins, de la conscience spontanée de soi à
la connaissance de soi. Mais cette transparence de soi à soi n'est-elle pas illusoire ? La
conscience de soi n'est-elle pas justement un puissant obstacle à la connaissance de soi ?
II) LES OBSTACLES A LA CONNAISSANCE DE SOI
2e hypothèse : je suis autre que ce que j’ai conscience d’être - souvent moins et parfois
plus ! Quels sont alors les principaux obstacles à la connaissance de soi qui semblent venir à
la fois de la conscience elle-même et de circonstances extérieures ?
A) L’introspection et ses limites
L’introspection est l’analyse, l'observation de soi par soi, mais tournée vers l'intérieur,
comme une auto-contemplation de l'esprit. Elle est impossible à effectuer en toute rigueur
(autant vouloir, disait Auguste Comte, du haut de son balcon, se regarder passer dans la rue).
Le dédoublement, la distance entre le sujet connaissant et l’objet à connaître, au principe
même de toute connaissance, sont impossibles - et c'est le prix à payer de la subjectivité !
.Les défauts de l’auto-analyse se ramènent tous à la difficulté d’être à la fois l’observateur et
l’observé, difficulté que Montaigne, dans les Essais, met bien en évidence. Cette
connaissance de soi par soi manque incontestablement d’objectivité : je suis un observateur
partial, “intéressé”, à la fois juge et partie.
B) Les obstacles psychologiques
Des obstacles psychologiques, liés à nous-mêmes et à notre relation au monde, rendent la
connaissance de soi difficile : la peur de nous voir nous-mêmes, le poids du narcissisme et de
l’amour propre. Il y a des causes plus profondes qui tiennent à la nature de notre être, à notre
situation dans le monde. Les passions aussi rendent parfois inaptes à la connaissance de soi
(phénomène d’aveuglement, de cristallisation, d’illusion)… On pouvait développer ici le
thème sartrien de la mauvaise foi (cf. cours).
Existence d’un inconscient psychologique : “Le moi n’est pas maître dans sa maison”, dit
Freud. Le rêve, les actes manqués, les névroses, etc., témoignent, selon Freud, de l’existence
de cet inconscient. Ce dernier constitue le fond de toute vie psychique. Le moi est débordé
par le monde extérieur, le ça, le surmoi.
C) "Je est un autre " (Rimbaud)
Suis-je ce que j'ai conscience d'être ? Qui est le "je" de la question ? Au lieu de dire : "je
pense", ne devrait-on pas plutôt affirmer : "on me pense" (la société, le langage pensent en
moi) ou, à la façon de Freud, "ça pense" en moi (l'inconscient). En effet, je ne sais qui pense
en moi. Certaines pensées m'adviennent dont j'ignore l'origine. Le "on" peut être référé à la
société qui me force à réprimer certaines pensées et donc à en penser d'autres qui ne sont pas
de moi ; le "on" me fait objet de ma pensée plutôt que sujet libre de celle-ci. Pour une part,
mon propre être m'échappe : ce qui m'est le plus intime (mes désirs, par exemple) m'est
paradoxalement le plus étranger.
Lorsqu'Arthur Rimbaud (Lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871, lettre dite du
« voyant ») affirme de manière provocante : "Je est un autre", il pressent la difficulté d'un
sujet à affirmer et à connaître à la fois son identité et sa personnalité. Rimbaud ne dit pas :
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"Je suis un autre", ni "Je suis l'autre". Le "Je" dont il parle passe par l'altérité ("un autre")
certes, mais cette altérité est à ce point profonde qu'elle nous rend impersonnel à nous-mêmes
("est") et indéfini vis-à-vis de nous-mêmes ("un" autre et non pas l'autre).
Dès lors qu'il s'agit de nous connaître, d'avoir accès à nous-mêmes, il semble que nous
soyons renvoyés à notre propre étrangeté. Entre ce que nous avons conscience d'être et notre
être, il y aurait donc une barrière infranchissable, un miroir déformant, un aveuglement.
L'image que nous renverrait notre conscience serait en partie inadéquate, en partie fausse ou
illusoire.
Transition :
Suis-je donc ce que j'ai conscience d'être ? Oui, pour une part, mais jamais de façon
définitive et absolue. On ne peut jamais être tout à fait transparent à soi-même, on ne peut
définir notre être par la seule conscience que nous en avons puisque nous nous trompons
souvent à notre endroit. Je ne suis pas exactement ce que j'ai conscience d'être, car la
conscience ne peut dire la totalité du sujet (c'est l'acquis essentiel de la psychanalyse !)." Pour
une part", "jamais de façon définitive", "pas exactement", toutes ces expressions nous
convient à la prudence quant à la conscience que nous avons de nous-même. Surtout, elles
nous invitent implicitement à ne pas répondre de façon trop tranchée à la question "suis-je ce
que j'ai conscience d'être ?". En effet, ce que je suis, et qui m'échappe en grande partie, ne
puis-je en prendre conscience ? N'y a-t-il pas, en définitive, possibilité d'une conscience juste
de soi, au moins à titre d'idéal, de projet, de tâche à réaliser ?
III) LES CONDITIONS D'UNE CONSCIENCE JUSTE DE SOI
3e hypothèse (synthèse) : ce que je suis, je peux en prendre conscience. Se connaître est
un impératif.
A) Connais-toi toi-même : le rôle de la parole et du récit
La psychanalyse notamment nous enseigne que je ne suis pas ce que j’ai conscience d’être
mais que je peux prendre conscience de cette méconnaissance. Cette prise de conscience est
la condition sine qua non de toute connaissance de soi. L'on peut de la sorte expliquer
l'impératif freudien : "Là où ça était, je dois advenir". Le refoulement doit être levé, le
jugement lucide du sujet doit remplacer le refoulement. Cela sans doute ne peut s'obtenir
qu'à l'issue d'un travail long et pénible auquel nul n'est contraint, sinon parfois par une
souffrance impossible à supporter. Le travail sur soi est possible et il n'est pas indifférent que
la cure psychanalytique rende publique, ouverte la nécessaire présence de l'autre. On
n'effectue pas ce travail seul. Prendre conscience de ce que je suis en vérité, de mes ombres,
de ma part cachée suppose un autre extérieur et du temps pour comprendre et accepter ce que
je suis.
La cure psychanalytique vise donc à restaurer une liberté déviée et a pour but de rendre au
sujet aliéné dans son passé la possession de lui-même. Comme le dit Paul Ricoeur, "
L'analyste est l'accoucheur de la liberté…La psychanalyse est une guérison par l'esprit; le
véritable analyste n'est pas le despote de la conscience malade, mais le serviteur d'une liberté
à restaurer. En quoi la cure, pour n'être pas une éthique, n'en est pas moins la condition d'une
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éthique retrouvée là où la volonté succombe au terrible " (Philosophie de la volonté, Le
volontaire et l'involontaire).
Ainsi la connaissance est-elle toujours une tâche et une exigence et jamais un acquis. Il
revient à tout sujet de faire sien le mot d'ordre delphique repris par Socrate : "Connais-toi toimême". Cette connaissance est avant tout reconnaissance de notre ignorance. Il nous revient
donc de prendre conscience de nos illusions pour les dépasser. Dès lors la conscience est une
lutte, une conquête, une exigence infinie.
B) Nécessité de l’expérience, du regard et du jugement d'autrui
Pour se connaître et mieux prendre conscience de soi, il ne suffit pas de parler, de
verbaliser, même si cela est nécessaire. Il faut avoir de l’expérience, avoir été confronté à des
situations multiples qui enrichissent notre personnalité et révèlent des aspects ignorés de
nous-même. Cette expérience est faite de nombreux éléments : circonstances, événements,
vécus affectifs, conflits traversés, crises intérieures, etc. Je me connais ainsi à travers mes
actes, mes œuvres, mes projets. Je suis véritablement ce que je fais, comme l’affirment les
existentialistes. En ce sens, ce n’est peut-être qu’à la fin de sa vie, ou à un âge "mûr", qu'on
peut véritablement se connaître.
De même ne puis-je pas passer par moi-même, seul, de la conscience de moi à la
connaissance de ce que je suis. Le discours des autres sur moi est indispensable. cf. Sartre :
"Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même." Je ne peux m’affirmer et me
connaître vulgaire, jaloux., etc., sauf si les autres me reconnaissent comme tel. L’extériorité
est donc requise : autrui est celui qui sait ce que je suis et par qui je peux me connaître. Ce
que semble bien confirmer l'existence et les discours des sciences humaines qui m'apprennent
sur moi ce que le plus souvent je n'aurais pas pu découvrir par mes propres moyens, et ce non
pas par manque de lucidité, de sincérité ou de précautions, mais radicalement : parce que je
ne peux à la fois être un objet et un sujet.
Mais le savoir d’autrui, pour nécessaire et utile qu'il soit, n’est- il pas aliénant ? Si le
détour par l’autre est requis afin d’accéder à soi-même, mais si je cours en même temps le
risque de l’aliénation, ne dois-je pas conserver le privilège du dernier mot ?
C) Le retour à soi. De l'autobiographie derechef
Le discours d’autrui sur moi ne rend pas nécessairement compte de ce que je suis mais
m’impose ses déterminations. Ce qu’on pense de l’autre le transforme (exemple de la
réputation : je finis par devenir ce que les autres disent de moi). Je ne suis en effet
aucunement indifférent à ce que les autres pensent de moi. La défiance a fait plus d’un
voleur, de même que la confiance a fait plus d’un honnête homme (cf. dans Les Misérables
de Victor Hugo, l’épisode de Jean Valjean à qui un prêtre donne les deux chandeliers que
Jean avait d’abord volés, transformant ainsi l’acte, la personne et le destin de Jean qui n’avait
connu jusqu’alors que la défiance, l’injustice et la misère infligées).
Je peux et dois récupérer le discours de l’autre sur moi (celui, par exemple, du
psychanalyste, du sociologue). Cette "auto-élucidation" comme prise de conscience (idée de
passage) est aussi presque toujours une ré-définition de soi, un déplacement, une
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neutralisation, une sublimation, un renversement des déterminations d’abord vécues
passivement.
L'écriture autobiographique telle que Montaigne la pratique construit un sujet, tout autant
qu'elle l'étudie. Dans les Essais (16), Montaigne écrit qu' "il n'est description pareille en
difficulté à la description de soi-même, ni certes en utilité : c'est une épineuse entreprise ...
que de suivre une allure si vagabonde que celle de notre esprit, de pénétrer les profondeurs
opaques de ses replis internes". Ainsi convient-il de s'épier de près. Ecrire, ou même lire les
autres, les écouter et surtout les entendre nous renseigne souvent sur nous-mêmes, à défaut de
nous permettre une connaissance absolue. Il y a donc un travail sur soi qui passe par les
autres mais qui autorise une prise de conscience, même partielle, de notre identité.
Conclusion générale :
Suis-je donc ce que j'ai conscience d'être ? Est-il possible de passer de la conscience
spontanée de soi à une authentique connaissance de soi ? La réponse est incontestablement
négative : je ne suis pas ce que je crois ou pense être; ce que je suis est souvent en-deçà ou
au-delà de la conscience que j'ai spontanément de moi-même. Je suis encore plus opaque à
moi-même que je ne le suis à autrui. Ce qu'autrui m'apprend alors par-delà les considérations
psychologiques individuelles, c'est que mon être et mon identité m'échappent. Si je ne suis
pas ce que j'ai conscience d'être, je peux néanmoins me donner pour tâche d'éclairer les zones
d'ombre de mon être par un travail sur soi. Certes, l'absolue transparence n'est pas possible ni même souhaitable ! Certes souvent l'on préfère le calme rassurant de l'ignorance et du faux
savoir sur soi. Je n’accède à une conscience exacte de ce que je suis, c’est-à-dire à une
connaissance vraie de moi-même, qu’au cours d’un long processus qui ne s’achève qu’avec la
vie. Les résultats atteints dépendent de circonstances que nous ne maîtrisons pas toutes. Ils
dépendent aussi, et peut-être surtout, de la sincérité et de l’effort consenti. A défaut d'être
identique à notre conscience, nous sommes pour une part obscurs, pour une part lucides, et la
part de l'ombre peut petit à petit être réduite.