L`exclusion comme lecture des problèmes sociaux : y a
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L`exclusion comme lecture des problèmes sociaux : y a
L’exclusion comme lecture des problèmes sociaux : y a-t-il une approche canadienne ? Lionel-Henri Groulx, Université de Montréal 12e congrès national de Metropolis Atelier : Récession, immigration et itinérance Montréal, mars 2010 Introduction : pauvreté et exclusion 1. Au Canada, la thématique de l’exclusion est davantage liée à celle de la pauvreté qu’à celle du chômage • le chômage de longue durée n’a pas l’ampleur au Canada de celui rencontré en Europe (logique bismarckienne) ; • le régime de protection sociale canadien, davantage béveridgien, vise à garantir un filet social de sécurité de base, en assurant au citoyen un minimum indépendamment de la situation professionnelle, d’où le rôle et l’importance donnée au seuil de pauvreté. 2. Loi québécoise (2002) : lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale « Art. 2 : Pour l’application de la présente loi, on entend par ‘pauvreté’ la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société. » 3. Loi ontarienne (2009) : stratégie de réduction de la pauvreté Un ensemble de 8 familles d’indicateurs pour mesurer les progrès réalisés vis-à-vis la stratégie de réduction de la pauvreté en Ontario. soit le niveau de pauvreté, la mesure de faible revenu, le niveau de vie (indice de défavorisation), les mesures relatives au logement, le poids à la naissance, le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires, le progrès à l’école (résultats obtenus aux tests de l’OGRE) et la maturité scolaire (instrument de mesure du développement du jeune enfant). 4. Usage de la notion d’exclusion dans la littérature interdisciplinaire au Canada 4.1. Caractère polysémique, complexe et implicite de la notion d’exclusion et façon de désigner de manière unifiée un ensemble de situations sociales diversifiées 4.2. Dimensions A) Défavorisation : multiplicité /cumul des désavantages B) Barrières, stigmatisation et discrimination C) Trajectoires ou parcours de vie D) Concentration spatiale des désavantages 4.3. Anciennes et nouvelles catégories sociales 4.4. Défavorisation vs barrières, stigmatisation et discrimination A-Défavorisation 1) Multiplicité des désavantages La question des domaines de privation (droits) et non exercice de la citoyenneté - On cherche « à mettre davantage l’accent sur les ressources ou la pluralité des désavantages que sur la faiblesse du revenu disponible, plus sur les conditions ou le mode de vie que sur la consommation, permettant de mieux cerner les facteurs qui freinent la capacité de participer pleinement à la vie sociale et d’avoir accès à certains services et équipements. » (Apparicio et alii, 2007, 415). - L’exclusion comme la conjonction de deux processus, celui de la précarisation de la situation d’emploi (faible rémunération, travail à temps partiel, alternance emploi et chômage, chômage) et celui d’un affaiblissement des réseaux de relations sociales ou de solidarité (liens familiaux et communautaires). 2. Cumul des désavantages : concentration d’une combinaison de désavantages 2.1. Cumul des désavantages sur la longue durée a) Pauvreté persistante et exclusion (faible revenu chronique) - Période de pauvreté plus longue entraine une diminution des probabilités de sorties (rôle des antécédents de pauvreté) ; - Importance des variables liées au travail , à la composition des ménages et au contexte de la protection sociale ; - Pauvreté et raréfaction/appauvrissement des liens sociaux. • Certaines catégories sur-représentées (ménages monoparentaux, les nouveaux immigrants ou les personnes appartenant à une minorité visible, les ménages composés d’un seul adulte ou les ménages dont le chef a un faible niveau d’éducation)(OCDE 1998). • Selon Picot et Myles (2005) et Hatfield (2004), la persistance du faible revenu se concentre dans cinq groupes : les parents seuls, les nouveaux immigrants, les personnes avec des limitations de travail, les personnes hors familles âgées de 45 à 64 ans et les autochtones vivant hors réserves. – Ces groupes comptant pour presque les 2/3 de la pauvreté chronique, avec une probabilité, pour ces groupes, 6 à 8 fois plus élevées de se retrouver en situation de faible revenu de manière persistante. b) Appauvrissement/détérioration des conditions de vie (cumul et durée) - Travailleurs pauvres et précarité : double désavantage (emplois peu rémunérés et familles à faible revenus - Les immigrants récents et les couples peu scolarisés ont vu, durant la période 19802000, leur risque de faible rémunération et de faible revenu doubler et passer pour l’un de 6 % à 12 % et pour l’autre de 4 % à 7 % (Morissette et Picot, 2005). • Plusieurs facteurs ont été identifiés pour expliquer la détérioration de leur condition de vie, comme l’évolution des caractéristiques de l’immigration, la non-maîtrise de la langue, la non-reconnaissance des compétences acquises à l’étranger, l’absence de connaissance du fonctionnement des normes du marché du travail canadien et l’importance données par les employeurs à l’expérience canadienne (Morissette, Picot, 2005A, B ; Boudarbet, Boulet, 2007 ; Green et Worswick, 2002) • Pour un tiers environ à cause de leurs origines géographiques et de leur capacité limitée de communiquer dans les langues officielles. • Pour un tiers à cause de la perte de valeur de leur expérience de travail acquise à l’étranger, surtout pour ceux qui proviennent de pays qui ne sont pas des sources traditionnelles d’immigration. • Pour le reste, à cause de la mauvaise situation du marché du travail à leur arrivée au Canada. ( Aydemir et Skuterud, 2005) « Nombre de facteurs associés à la persistance d’un faible revenu reflètent l’absence, l’inefficacité ou la perturbation des réseaux sociaux, plus particulièrement de ceux qui permettent d’accéder à des revenus provenant d’un emploi rémunéré stable » (Hatfield, 2004). Oaka et Wellman (2005) avaient déjà constaté dans leur recherche sur les stratégies d’emploi de cinq groupes ethniques de la région de Toronto que les membres appartenant à des groupes ethniques plus défavorisés réussissaient à avoir de plus hauts revenus quand leur réseau s’étendait en dehors de leur groupe ethnique, tandis que les membres de groupes moins défavorisés amélioraient leur situation s’ils avaient un réseau de contact dans leur propre groupe ethnique. 2.2. Identification d’un cumul de désavantage extrêmes chez certains groupes ethniques racialisés - Ornstein (2006 ; 2007) : analyse du profil socioéconomique et démographique des groupes ethniques racialisés : identification d’un cumul de désavantages extrêmes chez certains groupes - La question d’une underclass ou d’une nouvelle classe urbaine marginale - Selon Richmond et Saloojee (2005), les revendicateurs du statut de réfugiés admis au Canada subissent des exclusions dans plusieurs domaines de la vie sociale (travailler dans certaines occupations, accès restreint à certains services gouvernementaux), ce qui entraîne la formation d’une « nouvelle underclass de personnes sans statut qui sont le plus en état de besoin » (idem, 160). - Goldring et alii (2007) ont mis en relief le rôle de la politique d’immigration canadienne dans la production d’un ensemble de statuts précaires, source d’exclusion sociale. « Lack of visibility compounds the vulnerability and marginalization of people with precarious status and their families by reproducing an underclass that is vulnerable on several fronts, including inadequate access to health and other services, limited recourse in the event of abuse at work or other arenas, and deportation » (idem, p. 3). - Deuxième génération issue de l’immigration: mobilité intergénérationnelle au niveau de la scolarité et des gains. - On se trouve devant une situation paradoxale où, d’une part, on remarque une détérioration des conditions de vie des immigrants « de la première génération » et, d’autre part, on constate aussi que les enfants de la deuxième génération atteignent des niveaux d’éducation supérieurs à ceux des enfants nés de parents canadiens (Corak, 2008; Hum et Simpson, 2007; Sweet et alii, 2008). 2.3. Cumul et concentration des désavantages dans l’espace 1) Spatialisation et polarisation des inégalités 2) Concentration spatiale de la pauvreté et ségrégation des minorités visibles, des autochtones et des immigrants dans l’espace 3) La question de l’existence de ghettos (ghetto poor et ghetto ethnique) - Racialisation de la pauvreté et géographie des exclus - L’hypothèse de la formation de ghettos - Les facteurs économiques plus importants que le statut de minorité - Les segments les plus pauvres se trouvent concentrés dans des secteurs de la ville qui possèdent le stock de logements le plus bon marché, incluant les logements sociaux. - La raison principale de la ségrégation serait économique, due à la croissance des inégalités et au manque de logement de bonne qualité à prix raisonnable. - L’inégalité croissante à l’intérieur des minorités visibles et des nouveaux immigrants fait en sorte que les plus pauvres à l’intérieur de chaque groupe se retrouvent locataires des habitations les moins chères et les moins désirables. 3) Cumul et dynamique des désavantages : parcours d’itinérance – Définition de l’itinérance : La personne itinérante serait celle qui n’a pas d’adresse fixe, de logement stable, sécuritaire et salubre pour les 60 jours à venir, à très faible revenu, avec une accessibilité discriminatoire à son égard de la part des services, avec des problèmes de santé mentale, d’alcoolisme, de toxicomanie ou de désorganisation sociale et dépourvue de groupe d’appartenance stable. (Laberge et al., 1995 : 4;Comité des sans-abri de la ville de Montréal, 1987 ; MSSS, 1992). 3.1. Ruptures et irréversibilité - Cercle vicieux ou spirale descendante : transformation des désavantages en handicaps (ruptures , durée et sévérité). - Rôle des vulnérabilités personnelles, des traumas et des violences subies Karabanow (2004), Laberge et alii (1998) et Klodawsky et alii (2006) ont fait ressortir, dans l’étude de l’itinérance, la grande précarité des situations familiales vécues dans l’enfance en relation avec la situation d’itinérance à l’âge adulte. Ils ont aussi remarqué que les faits d’avoir subi des expériences traumatisantes dans l’enfance (agressions physiques et sexuelles, témoins d’actes de violence familiale) et d’avoir fait l’objet de placement institutionnel multiple dans l’enfance et l’adolescence étaient aussi associés à un engagement dans un parcours d’itinérance. -Gélineau, L,; Brisseau, N.; Loudahi, M.; Bourgeois, F.; Potin, R. et Zundi, L. (2008). La spirale de l’itinérance au féminin : Pour une meilleure compréhension des conditions de vie des femmes en situation d’itinérance de la région de Québec, Québec -Gouvernement du Québec. (2008). L’itinérance au Québec : cadre de référence, Gouvernement du Québec, Québec Spirale de l’itinérance au féminin Dimensions structurelles Des Facteurs de fragilisation - Condition de femmes Rapports patriarcaux Rôles sociaux de sexe Appauvrissement - Crise du lien social individualisation famille dysfonctionnelle institutionnalisation failles du système de protection de la jeunesse absence de maillage entre les périodes d’institutionnalisation et la vie hors institution Culture de l’errance Pauvreté (contexte socio- économique et politique) Facteurs qui fragilisent, liés à l’histoire personnelle Violence subie (privée (violence conjugale, viol, inceste)) et publique (oppression & persécution) Consommation (drogue, alcool, sexe, jeu compulsif) Problème de santé physique Problème de maladie mentale Institutionnalisation Avoir été « placée » (DPJ) Avoir fait « du temps » (prison) Avoir été sur « un étage » (aile psychiatrique) Faible réseau social Activisme politique Avoir un enfant Itinérance visible et cachée Être aidante naturelle Industrie du sexe 3.2. Processus d’itinérance : pluralité des parcours 1. Multiplicité et variabilité des épreuves: hétérogénéité des événements en termes de durée et de sévérité (chocs critiques) 2. Processus : bifurcation et reversibilité 3. Séquence, timing et durée : diversité des trajectoires (typologies) 4. Processus de sorties de l’exclusion : acteurs et stratégies B. Barrières, stigmatisation et discrimination 1. L’exclusion comme rapport social 1.1. Dimension subjective (méthode qualitative) : l’exclusion comme expérience sociale (témoins) 1.2. Dimension sociale : rapport social de pouvoir « le désavantage naît de la façon dont la société traite les individus, plutôt que de toute caractéristique qui leur est inhérente » (Commission, 2001). 2. Barrières génératrices d’exclusion : rôle des gatekeepers - Multiplicité et cumul des désavantages vécus comme barrières - Barrières de l’accès aux droits et aux opportunités et maintien dans l’exclusion 2.1. Barrières - Mécanismes institutionnels comme barrières - Roy et alii (2006) ont fait ressortir, dans leur recherche sur l’itinérance au Québec, un ensemble de barrières qui tiennent à « l’incompatibilité entre l’organisation des services et les conditions de vie des personnes itinérantes ». Certaines de ces barrières viennent de la logique même des services publics, qui marginalisent ou les placent en situation d’infériorité sociale. - Obstacles internes et externes - Barrières au logement : primaires et secondaires Barriers: Primary & Secondary Primary Barriers The social construction and the social use of certain characteristics of a person’s profile that are extremely difficult, if not impossible, to change 1. Skin colour (race) 2. Ethnicity/Culture/Religion 3. Gender Secondary Barriers Characteristics of a person’s profile which can be changed, and often do change, over time 1. Level of income 2. Source of income 3. Knowledge of the Housing System 4. Language/Accent 5. Household Type and Size 6. Knowledge of Institutions and Culture 7. Experience with the Dominant Institutions and Culture Hulchanski, J. D. (1997). Immigrants and Access to Housing: How Welcome are Newcomers to Canada. Metropolis Year II Conference, The Development of a Comparative Research Agenda. Montreal, November. Accès différentiel au logement Nature des barrières Effets des barrières Stratégies utilisées Niveau du revenu Moindre choix Réseaux sociaux Couleur de la peau Moins de locaux Agences communautaires Source des revenus Loyers plus élevés Rassemblement géographique Ethnicité / culture / religion Recherche plus longue Dépendance des logements sociaux Connaissance du système de logement Information cachée par les gatekeepers Développement de “courtiers culturels” Genre Déménagements plus fréquents Langue / accent Surpeuplement Type et taille du ménage Effets psychologiques Connaissance des institutions et de la culture Expérience avec la culture dominante Hulchanski, J. D. (1997). Immigrants and Access to Housing: 3. Barrières structurelles ou structures de l’exclusion 3.1. Invisibilité et non reconnaissance 3.2. Stigmatisation et identité sociale : disqualification sociale 3.3. Discrimination comme barrières Une recherche portant sur la discrimination dans le marché du logement à Toronto a montré que la discrimination constituait une barrière importante pour l’accès au logement, en particulier pour les parents seuls noirs, les hommes sudasiatiques, les hommes souffrant de maladie mentale et les femmes recevant de l’assistance (Centre for Equality Rights in Accommodation, 2009). – Expériences de discrimination chez les enfants de la deuxième génération 3.4. Intersectionnalité - Croisement des discriminations/discriminations multiples - Groupe minoritaire multiple • Fuller et Vosko (2008) ont utilisé cette approche de l’intersectionnalité du genre, de la race et du statut d’immigrant pour comprendre les inégalités sociales du marché du travail et de l’emploi temporaire. - Les situations d’emploi temporaire restent liées au statut de minorité visible, mais à l’intérieur de cette catégorie de minorité visible on retrouve des variations en fonction du genre et du statut d’immigrant. - En prenant en compte la multiplicité des combinaisons, on en arrive à un tableau plus complexe de l’inégalité sociale en emploi que la seule approche du cumul des désavantages laissait apparaître ; ce qui oblige à questionner toute vision homogène du travail temporaire. « First, particular axes of social location do not always have a consistent effect across other axes. Visible minority status, for example, may vary in its effect by sex, and/or by immigrant status. » (Fuller, Vosko, 2008, 43). 3.5. Débats ou controverses - Pauvreté versus défavorisation - Défavorisation versus discrimination Conclusion 1. Idée de cercle vicieux ou de trajectoires • Cumul des désavantages /underclass/ ghettos/barrières multiples/cercle vicieux/ • L’insuffisance du revenu entraîne une plus grande précarisation résidentielle et contraint à occuper des logements sans confort, exigus et parfois dégradés. Cette situation d’appauvrissement, qui a des effets sur la santé physique et mentale, peut servir à venir justifier en retour la stigmatisation, les attitudes et les pratiques discriminatoires. Se forme alors un cercle vicieux de la défavorisation, un cercle de reproduction des inégalités qui affecte en retour le sentiment de confiance en soi et de contrôle sur sa propre vie. • Multiplicité des désavantages mais faible cumul (hétérogénéité)/ multiplicité des parcours/trajectoires 2. Trois formes de discours sur l’exclusion a) Pauvreté et logique redistributive : approche verticale (dimension économique) - pauvreté comme facteur explicatif ou variable prédictive la plus fiable de l’isolement et de l’exclusion sociale (Stewart et alii,2004) (approche verticale) b) Capital social et logique de l’intégration (dimension sociale) c) Discrimination et logique de domination 3. Question des groupes à risques et processus d’exclusion.