La course aux armements : puissance ou sécurité ?

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La course aux armements : puissance ou sécurité ?
DOSSIER
La course aux
armements : puissance
ou sécurité ?
I
ls sont loin, les « dividendes de la paix », envolés, les espoirs qu’avait fait naître la fin de la guerre froide de
réduire durablement les budgets militaires. Les attentats de septembre 2001 ont réveillé la peur un peu
partout dans le monde, poussant la plupart des pays à reprendre leurs efforts d’armement, comme l’expliquent
Jacques Aben et Jean-Pierre Maury (p. 46), et Patrick Lenain (p. 49). Premiers touchés, premiers concernés, les
Etats-Unis se sont lancés dans une course aux technologies de pointe menée conjointement par l’Etat et les
entreprises (José d’Antin, p. 66). Objectif : sécuriser le territoire et, en cas de conflit ouvert, préserver au
maximum la vie des soldats. Les pays riches n’ont plus assez d’enfants, leur démographie est une faiblesse au
combat.
On parle d’une nouvelle arme, la « bombe E », capable de désorganiser complètement les systèmes
d’information et de communication civils et militaires (Renaud Bellais, p. 65). Disposant d’infrastructures, de
raffineries et de matériel militaire, l’Irak est une cible désignée pour une telle arme. Mais c’est aussi le cas des
pays riches, car les armes de ce genre peuvent être disséminées un peu partout dans le monde par les voies
de la coopération, des alliances, de l’espionnage ou tout simplement du commerce international (Jean-Paul
Hébert, p. 90). Très dépendants des technologies de l’information, les pays riches sont, sur ce plan comme sur
d’autres, éminemment vulnérables.
L’effet de retour n’est pas le seul danger de la course aux armements. Peu après leur victoire éclair en Irak,
les Américains ont été plus ou moins chassés de Somalie par des guerriers dépenaillés, dont le seul avantage
sur eux était de connaître le terrain. Les attentats du 11 septembre révèlent d’autres limites : s’il n’est plus
possible d’identifier clairement l’ennemi quand celui-ci n’est ni une nation, ni un Etat reconnu, comment le
combattre quand il échappe à ses poursuivants en se fondant dans la foule des villes ou dans l’immensité des
paysages, subsistant assez pour entretenir quantités de réseaux dormants dans le monde ? Et à quoi servent
alors les bombes guidées, aussi intelligentes soient-elles ? (Marc Défourneaux, p. 54).
LA TECHNOLOGIE ET SES LIMITES
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es Etats-Unis vont redoubler de dépenses pour conserver une énorme avance technologique, avec d’autant
plus de détermination que se confirme un net mouvement d’intégration entre les technologies militaires et
civiles (Claude Serfati, p. 58). Mais ils devront admettre qu’aucune arme, aussi sophistiquée et coûteuse
soit-elle, ne pourra jamais assurer la paix et la sécurité sans hommes sur le terrain. Les guerres de Bosnie et du
Kosovo avaient déjà rappelé la nécessité de se préparer à de nouvelles formes de conflits ne visant ni la conquête,
ni la victoire totale sur l’ennemi, mais le rétablissement de la paix dans une région en ménageant les populations
civiles.Avec le terrorisme en réseau, la sécurité et la paix – « biens publics supérieurs » – deviennent plus difficiles
à acquérir ou à conserver. Mais bien des nations sont prêtes à payer le prix fort, car les dépenses militaires offrent
en prime la puissance, donc la possibilité de jouer un rôle sur la scène internationale, aux côtés des plus grands
(Jean-Yves Caro, p. 86).
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Pour combattre un ennemi qui n’est plus désigné (Paul Quilès, p. 51), des coalitions sont nécessaires à travers
le monde, réunissant des Etats organisés désireux de préserver la stabilité dont ont besoin tous les pouvoirs.
C’est sur cette nouvelle donne que s’ouvre notre siècle, qui voit les alliés d’hier rapprocher leurs moyens de
LA COURSE AUX ARMEMENTS : PUISSANCE OU SÉCURITÉ ?
communications, échanger du renseignement comme on échange des marchandises, accorder leurs stratégies
malgré des divergences persistantes. Des pays jadis hostiles donnent à l’Amérique des gages de leur refus d’un
terrorisme d’autant plus dangereux que ses visées sont obscures et ses adeptes invisibles.
Si le terrorisme pose aux pays nantis et à leurs économies, des problèmes nouveaux qui ne relèvent plus
toujours du militaire et de la force (P. Lenain, V. Koen, M. Bonturi, p. 62), si la course aux technologies les plus
avancées peut devenir ruineuse et entraîner des déclins historiques (Jacques Fontanel, p. 92), alors peut-être
les Etats ont-ils intérêt à abandonner une partie de leur souveraineté pour s’intégrer dans de vastes ensembles,
au sein desquels le coût de la puissance s’allège relativement parce qu’il est partagé. C’est ce que tentent de
faire les pays européens, qui ont réussi ces dernières années des rapprochements spectaculaires de leurs
industries militaires et civiles (J.P. Hébert, p. 96), mais continuent de buter sur la question de savoir s’il faut
aller jusqu’au bout : une véritable fonction étatique commune, maîtresse de l’usage de la force (René Leray,
p. 104).
LE DILEMME DE L’EUROPE
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n ne sait trop si ces tentatives inquiètent ou rassurent les Etats-Unis. Les rapports qu’entretiendra la défense
européenne avec les forces de l’OTAN restent sujets à discussion, sauf pour la Grande-Bretagne pour qui
tout est clair : la force européenne d’intervention n’agirait seule qu’au cas où l’OTAN ne serait pas engagée (Keith
Hartley, p. 70).
L’attitude britannique, systématiquement pro-américaine, n’est généralement pas bien reçue en France, malgré
les gages donnés par Tony Blair, qui soutient sans réserve plusieurs projets européens d’envergure : l’Eurofighter,
l’avion de transport de troupes A400M fabriqué par Airbus, le missile Meteor. Coopérer avec les Etats-Unis,
est-ce aliéner son indépendance ? Non, si l’Europe peut s’appuyer sur des industries fortes, capables de
concurrencer à la loyale les grands groupes américains comme c’est déjà le cas dans le civil avec Airbus. Telle
est la position des responsables d’EADS, le nouveau groupe aéronautique géant européen (Philippe Camus,
p. 100). Une attitude qui n’est évidemment pas partagée par tout le monde, notamment par ceux qui s’alarment
des aides financières et techniques importantes apportées par plusieurs membres de l’Union – au premier
rang desquels la Grande-Bretagne – à la construction du futur avion de combat américain, le JSF (Joint Strike
Fighter). Pour ceux là, une stratégie autonome ne peut se construire qu’à partir d’une industrie d’armement
autonome. Entre ces positions extrêmes, beaucoup s’inquiètent de la disproportion des moyens engagés, et
en concluent que toute coopération avec les Américains appelle la plus grande vigilance (Christian Schmidt,
p. 107).
Et la France, qui critique volontiers les propos va-t-en guerre des Etats-Unis mais s’abrite volontiers sous le
parapluie américain ? Soupçonnant l’Europe d’avoir choisi la négociation et le pacifisme par nécessité plus que
par philosophie, l’analyste américain Robert Kagan, reprochait implicitement à la France, dans les colonnes du
Monde cet été, de jouer les « passagers clandestins ». Il est vrai que l’affaiblissement de notre dispositif militaire,
son manque d’adaptation à la professionnalisation (Didier Danet, p. 78), la coûteuse fausse reconversion de
nos sites de production militaire (Roland de Penanros, p. 82) paraissent d’autant plus choquants que nous
continuons de dépenser beaucoup d’argent pour des résultats discutables (Philippe Gabriel, p. 75).l
Alain Vernholes
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