La pauvreté : un problème de santé publique. Les limites des

Transcription

La pauvreté : un problème de santé publique. Les limites des
Congrès national des Observatoires régionaux de la santé 2008 - Les inégalités de santé
Marseille, 16-17 octobre 2008
La pauvreté : un problème de santé publique.
Les limites des politiques sectorielles.
Nicole Maestracci - Marseille le 17 octobre 2008
Introduction
La pauvreté est dans notre pays le principal problème de santé publique, c'est du moins
ce que disait le directeur de l'institut de veille sanitaire dans une intervention récente.
Une telle affirmation, qui n'est plus guère contestée, aurait du entraîner des changements
radicaux dans notre politique de santé publique mais aussi dans nos politiques sociales.
Or, il n'en a rien été.
C’est peut-être que les acteurs du social eux-mêmes n’ont pas une conscience suffisante
de l’importance de cette question. Ainsi, même pour une fédération comme la FNARS qui
regroupe 800 associations, qui accueillent chaque année 600 000 personnes en situation
de grande précarité, les problèmes de santé ne sont pas encore suffisamment prioritaires.
Une persistance des inégalités de santé
Les inégalités de santé sont aujourd'hui connues et ne régressent pas autant qu'on
pouvait l'espérer. A titre d'exemple, à l'âge de 35 ans, l'écart entre l'espérance de vie d'un
ouvrier non spécialisé et celle d'un cadre supérieur est de 7 ans sans que cet écart se soit
réduit entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990. S'agissant des
populations les plus démunies, de nombreuses études ont mis en évidence la progression
du risque de maladie avec l'aggravation de l'exclusion. Elle a de multiples conséquences :
diminution de l'espérance de vie, risque accru de maladies infectieuses, hausse des
addictions au tabac, à l'alcool et aux drogues illicites, surconsommation de médicaments.
Par ailleurs, plusieurs pathologies, qui restent d'actualité en France, concernent plus
particulièrement les personnes les plus pauvres. C'est le cas notamment du saturnisme,
maladie des enfants pauvres, et de la tuberculose.
Pour ce qui concerne les personnes accueillies dans les centres d'hébergement, la
pauvreté est évidemment l'un des déterminants les plus importants de l'état de santé. Les
enquêtes épidémiologiques manquent cependant pour en apprécier l'ampleur.
Certaines pathologies sont aggravées par la pauvreté sans qu'on puisse dire exactement
quelle est la cause et quelle est la conséquence. Ainsi, une enquête de l'INSEE de 2003
auprès des services d'aide montre notamment que ces personnes souffrent cinq fois plus
de troubles du système digestif, deux fois plus d'hypertension, de pathologies cardiovasculaires ou de problèmes dermatologiques que la population générale. On observe
également une prévalence inquiétante des dépressions, des suicides et des troubles du
comportement. Une enquête de 2001 auprès de la population SDF de l'île de France
montre que plus de 50% de ces personnes souffrent de troubles psychiques. Les études
faites au sein des établissements pénitentiaires qui accueillent majoritairement des
personnes en grande précarité sociale, mettent en évidence également un état de santé,
notamment psychiatrique, très défavorable, à l'entrée en prison. Enfin, les enquêtes
effectuées auprès des bénéficiaires du RMI montrent que la santé est le principal obstacle
au retour à l'emploi.
Un faible recours aux soins malgré un état de santé plus dégradé
L'autre constat préoccupant est que ces personnes, dont l’état de santé est plus dégradé
que celui de la population générale, ont un plus faible et plus rare recours aux soins.
D'abord pour des raisons économiques, mais pas seulement. L’accès aux soins est aussi
un problème culturel. Les personnes qui vont le plus mal ne demandent rien. Et même si
elles ont théoriquement accès à la CMU ou à l'aide médicale d'état (AME) elles ne font
pas toujours valoir leurs droits. Ainsi, à la permanence de Médecins du Monde à Paris,
80% des personnes accueillies auraient pu obtenir la CMU ou l'AME si elles l'avaient
demandée.
Pour les migrants, s'ajoute à ces obstacles la peur de se faire arrêter en se rendant dans
un service public. Ainsi les restrictions apportées à l'aide médicale d'état pour laquelle un
séjour en France de trois mois est dorénavant exigé, sont totalement contre-productives
en terme de santé publique.
Cette population, particulièrement fragile, reste souvent invisible au regard des politiques
de santé publique de sorte que le recours aux soins reste trop tardif voire inexistant.
Des politiques publiques qui ont insuffisamment pris en compte ces fragilités
Ces inégalités de santé sont aujourd’hui largement connues. De même, de nombreux
rapports récents ont mis en évidence le trop faible recours aux soins des plus fragiles.
On ne peut donc que s’étonner que toutes les conséquences n’en aient pas été tirées.
Certes la création de la CMU a amélioré la situation mais il reste de nombreuses zones
d’ombre : Un bénéficiaire sur cinq n’a pas accès à la couverture complémentaire. De
nombreuses personnes ne font pas valoir leurs droits faute d’accompagnement suffisant.
Enfin, de nombreux médecins et établissements de soins manifestent une certaine
réticence, voire un refus de prise en charge des personnes bénéficiaires de la CMU.
Dans ces conditions, l’accès aux soins qui devrait être facilité pour les personnes les plus
vulnérables, devient au contraire pour eux un vrai parcours du combattant : politiques
pauvres et faiblement dotées pour les personnes les plus pauvres.
L’analyse de cette situation conduit à mettre en évidence plusieurs causes : des causes
qui tiennent à la situation économique et sociale française et à l’inadaptation de notre
dispositif mais aussi des causes qui tiennent à l’air du temps et aux conceptions
philosophiques et morales dont il est porteur. Je vais essayer d’énumérer ces causes
sans nécessairement les hiérarchiser et d’en tirer quelques conclusions opérationnelles :
Un dispositif de soins inadapté à ce que nous savons de la situation socio-économique
des plus pauvres :
-
Si le taux de pauvreté monétaire s’est stabilisé depuis 2003, les inégalités ont
augmenté et la pauvreté est devenue plus intense, c'est-à-dire que le nombre
des personnes très éloignées du seuil de pauvreté a augmenté. Cette situation
aurait du conduire à porter une attention plus particulière à cette dernière
population. Or, il n’en a rien été.
-
La réflexion sur les politiques de santé publique a fait l’impasse sur le poids
des conditions de vie socio-économiques (logement, transports, situation
familiale, isolement…). Or, l’accès aux soins, la bonne observance d’un
traitement sont étroitement liés non seulement aux ressources disponibles
mais aussi aux conditions de vie. De même, ces conditions de vie ont une
influence évidente sur l’état de santé. Or, le cloisonnement excessif des prises
en charge sociales et médicales ne permet pas de prendre en compte ces
interactions.
2
-
Notre système de soins est largement fondé sur la demande. On ne soigne
que les personnes qui formulent une demande, ce qui autorise à laisser de
côté un grand nombre de situations et de pathologies qui évoluent à bas bruit
et pendant très longtemps sans que personne ne s’en soucie. Qu’il s’agisse de
la prise en charge sociale ou de la prise en charge médicale, on a en France
peu de pratique de « l’aller vers… ». Or, l’histoire récente aurait du nous inciter
à modifier plus rapidement les pratiques. Dans les années 1990, de nombreux
toxicomanes sont morts du sida sans avoir jamais rencontré d’équipe
soignante, tout simplement parce qu’ils n’en avaient pas formulé la demande
ou qu’ils ne voulaient ni ne pouvaient cesser toute consommation de produits
stupéfiants. Une étude concernant les usagers de stupéfiants entrant en prison
en 1985 avait déjà montré que dans leur grande majorité, ceux-ci n’avaient
jamais été en contact avec une équipe médicale. Ne pouvait-on, ne pourrait-on
faire autrement ?
-
Le fait que notre système soit largement fondé sur la demande entraîne une
sous-estimation évidente. Les besoins de santé des populations les plus
fragiles sont mal évalués et mal mesurés. A ce jour par exemple aucune
enquête épidémiologique n’a été conduite dans les centres d’hébergement
(une seule est en cours sur la prévalence des addictions). D’autre part, les
résultats des enquêtes existantes ne permettent pas d’éclairer les interactions :
si 50% des SDF parisiens souffrent de troubles psychiatriques on ne sait pas si
les conditions de vie en sont la cause ou la conséquence.
-
Les professionnels du social se préoccupent peu de soins. Ils sont accaparés
par les démarches de première nécessité (logement, ressources, nourriture,
survie quotidienne). Ils savent que la mauvaise santé est un facteur d’exclusion
mais ils n’ont pas intégré dans leurs pratiques le fait que la bonne santé est un
facteur d’insertion. Ils ne posent donc pas de questions lorsque les personnes
ne formulent ni plainte ni demande. Une telle situation ne favorise donc ni les
démarches de prévention ni l’accès précoce aux soins.
-
Les professionnels du soin de droit commun ont, dans ce domaine comme
dans tous les autres, une approche plus curative que préventive. Eux aussi
attendent qu’une demande soit formulée et ne posent pas, dans la majorité des
cas, de questions au-delà de la formulation de cette demande. Ils ont peu de
lien avec les professionnels du social et ont du mal à prendre en compte les
conditions concrètes de vie de leurs patients. Une telle démarche est en outre
encouragée par le mode de financement à l’acte et une sécurité sociale
essentiellement fondée sur la gestion du risque.
-
Face à cette situation, les consultations spécifiques, qu’elles soient organisées
par les pouvoirs publics (PASS) ou par les associations de solidarité (Médecin
du monde) rassurent mais ne répondent pas aux besoins. Elles sont trop
modestes, dotées de trop peu de moyens et apparaissent trop souvent comme
une sorte de voiture balai des dysfonctionnements que les politiques de droit
commun ne parviennent pas à traiter.
-
Il ne s’agit pas de dire ici que rien n’est fait. Il y a des expériences réussies,
des consultations qui fonctionnent bien, des réseaux ville-hôpital, des équipes,
notamment du secteur psychiatrique, qui vont vers les personnes les plus
fragiles. Mais, ces expériences reposent souvent sur une ou plusieurs
personnes exceptionnelles et risquent donc de s’éteindre lors du départ de
celles-ci. Elles ne se sont ni généralisées, ni institutionnalisées.
3
Le poids de l’air du temps : des valeurs philosophiques et morales qui ne favorisent pas la
prise en charge des plus pauvres
-
L’idée que chacun est maître de son destin paraît aujourd’hui faire consensus.
Il s’en suit qu’il apparaît presque normal qu’on ne propose pas de soins à celui
qui n’en demande pas ou qu’on manifeste une certaine réticence à l’égard de
celui qui a aggravé son état de santé par son comportement. A tel point
qu’avancer le poids des déterminismes sociaux pour expliquer tel ou tel
comportement à risque apparaît aujourd’hui politiquement incorrect.
-
Cette surestimation de la liberté individuelle conduit à un point de vue
moralisant, voire culpabilisant qui empêche de définir clairement les priorités
de santé publique. L’idée n’est jamais bien loin que les pauvres, comme les
délinquants, sont en partie responsables de ce qui leur arrive. Il y aurait ainsi
les bons pauvres qui « feraient tout pour s’en sortir » et les mauvais pauvres
qui prendraient des risques dont ils feraient supporter le poids à la société.
-
C’est aussi, cet arrière plan moralisateur qui conduit à multiplier les contrôles
dans un contexte de suspicion généralisée. Un seul exemple : la CNAM, dans
une circulaire récente estime que le fait d’interrompre un traitement ou de ne
pas venir à un rendez-vous autorise à porter plainte contre un bénéficiaire de
la CMU. On ne peut dire plus clairement l’incompréhension que cela manifeste
des conditions de vie des plus fragiles. Une telle méfiance ne s’explique
pourtant pas par l’explosion des fraudes aux prestations qui restent
relativement marginales. Mais en déployant une telle énergie pour lutter contre
la fraude, on a tendance à oublier la priorité réelle d’une politique de santé
publique, qui devrait être avant tout orientée vers l’accès universel aux soins.
Quelles sont les pistes pour sortir d’une telle situation ?
-
Il est clair tout d’abord qu’on ne peut penser une politique de santé publique à
l’égard des plus pauvres sans l’intégrer dans une politique plus large de
réduction des inégalités et de lutte contre la pauvreté. A cet égard, on peut
craindre que la création des agences régionales de santé ait l’inconvénient
d’isoler encore plus les politiques de santé des autres politiques sociales.
-
Il est indispensable d’obtenir une meilleure connaissance de l’état de santé et
des besoins des populations les plus précaires (enquêtes épidémiologiques
régulières qui permettent de mesurer les progrès accomplis) ;
-
Il faut ensuite organiser un travail plus transversal entre les professionnels du
social et ceux du soin, ce qui implique : l’évaluation des besoins sur chaque
territoire, la structuration de réseaux entre les services sociaux, les médecins
de ville et l’hôpital, la formation des professionnels au repérage des situations
les plus difficiles, la définition de méthodes qui permettent « d’aller vers » les
personnes, et de leur proposer des prises en charge même s’ils ne sont pas à
priori demandeurs ;
-
Il faut enfin fixer de réelles priorité : les politiques publiques de santé à l’égard
des plus pauvres ne doivent plus être les politiques les plus pauvres : Prévenir
la mise à l’écart des personnes ayant des problèmes de santé suppose qu’on
fasse de cette question une véritable priorité en termes de moyens et
d’organisation ;
-
Tout cela implique un débat public qui n’a jamais eu lieu dans un pays qui
reste persuadé de l’excellence de son système de santé. C’est à ce prix que
nous pourrons convaincre que le coût d’une politique plus ambitieuse est bien
modeste au regard des bénéfices attendus.
4