Section de l`intérieur - Avis n° 381.374 du 1er

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Section de l`intérieur - Avis n° 381.374 du 1er
■ Section de l’intérieur - Avis n° 381.374 du 1er avril 2008
Traitement automatisé et libre circulation des données à caractère personnel - Directive 95/46/CE
du 24 octobre 1995 (article 11) – Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée portant diverses mesures
d’amélioration des relations entre l’administration et le public (article 14) – Réutilisation de ces
données pour un usage autre que celui pour lequel elles ont été collectées – Modalités – Droit
exclusif – fichier national des immatriculations.
Le Conseil d’Etat (section de l’intérieur), saisi par la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des
collectivités territoriales des questions suivantes :
- Est-il possible, au regard de la Constitution et de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du
Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des
données à caractère personnel et à la libre circulation des données, d’autoriser la communication à
l’ « Association auxiliaire de l’automobile », pour son usage propre ou à des fins commerciales, et sans
qu’ait été préalablement recueilli le consentement des intéressés, les informations à caractère personnel
figurant dans les traitements automatisés de données relatives à la circulation des véhicules prévus par le
code de la route ?
- Dans l’affirmative, est-il possible, au regard de la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du
Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public et de la loi n°
78-753 du 17 juillet 1978 modifiée portant diverses mesures d’amélioration des relations entre
l’administration et le public, qui procède à sa transposition, de réserver à cette association un droit
d’exclusivité pour la réutilisation de ces informations en vue de contribuer à l’organisation de campagnes
de prospection commerciale ou de rappel de véhicules par les constructeurs automobiles ?
Vu la Constitution ;
Vu la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection
des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation
de ces données ;
Vu la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection
juridique des bases de données ;
Vu la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la
réutilisation des informations du secteur public ;
Vu le code de la route, notamment ses articles L. 330-1 à L. 330-8 et R. 330-1 à R. 330-5 ;
Vu le code de la propriété intellectuelle, notamment le titre IV du livre III de sa première partie ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée portant diverses mesures d'amélioration des relations
entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal, notamment
le chapitre II de son titre Ier ;
Vu le décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs
et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l'application de la loi n° 78-753 du 17 juillet
1978, notamment son titre III ;
Vu l’arrêté du 20 janvier 1994 portant création du fichier national des immatriculations ;
Est d’avis de répondre dans le sens des observations qui suivent :
L’enregistrement et la communication des informations relatives à la circulation des véhicules sont régis
par les articles L. 330-1 à L. 330-8 et R. 330-1 à R. 330-5 du code de la route.
En application de ces dispositions est intervenu l’arrêté du 20 janvier 1994 portant création du « fichier
national des immatriculations ».
Les informations figurant dans ce dernier proviennent des renseignements recueillis par les préfectures
lors de l'établissement des certificats d'immatriculation et du fichier des véhicules volés.
Le fichier national des immatriculations est constitué d'un fichier central appelé « fichier national des
automobiles » et de fichiers départementaux.
Sont enregistrées dans le fichier national des automobiles l’identification du titulaire du certificat
d'immatriculation (nom, prénom, date de naissance ou raison sociale, commune de domicile et son code
I.N.S.E.E.), l’identification du véhicule, des mentions spéciales propres au véhicule (volé, détruit, muté),
ainsi que le code d'identification du pays d'achat dans le cas des importations effectuées directement ou
indirectement par les particuliers.
Sont enregistrés dans les fichiers départementaux (lorsqu'il s'agit d'une personne physique) l’état civil du
propriétaire et, le cas échéant, du locataire, son domicile, sa catégorie socioprofessionnelle,
éventuellement le numéro d'exploitation agricole, la disponibilité du véhicule (inscription de gage,
radiation d'inscription de gage, déclaration de vol, prescription d'immobilisation, prononcé d'une saisie,
d'une opposition judiciaire ou du Trésor au transfert du certificat d'immatriculation, déclaration de
destruction, avis de mutation ou d'exportation et date de chacun de ces événements), l’identification et les
caractéristiques techniques du véhicule, le retrait éventuel du certificat d'immatriculation, les dates du
contrôle technique périodique obligatoire.
L’« Association auxiliaire de l’automobile » regroupe des constructeurs et des importateurs français
d’automobile. Ses statuts lui donnent pour objet la recherche et l’exploitation de toutes documentations, la
gestion de tous services intéressant l’automobile, l’établissement, l’édition et la diffusion de toutes
publications et la réalisation de toutes propagandes et publicités et, en général, de toutes opérations
industrielles, commerciales et financières.
I. Sur la première question :
Ni l’ « Association auxiliaire de l’automobile », ni les constructeurs ne sont au nombre des destinataires
de données limitativement mentionnés à l’article L. 330-2 du code de la route.
Par ailleurs, ainsi qu’il ressort en particulier du second alinéa de son article 13, la loi du 17 juillet 1978
n’autorise pas, par elle-même, la communication de données publiques à caractère personnel, aux fins de
réutilisation, sans l’accord des personnes concernées ou sans anonymisation préalable par l’autorité
détentrice.
Une disposition législative expresse s’impose donc pour rendre possible la communication des données
personnelles en cause aux fins de réutilisation. Cette disposition devra respecter les exigences
constitutionnelles et communautaires.
A. Au regard de la Constitution, une disposition législative portant extension de la liste des destinataires
fixée aux articles L. 330-2 à L. 330-5 du code de la route devrait respecter les principes suivants.
Comme l’a jugé le Conseil constitutionnel (voir notamment n° 2003- 467 DC du 13 mars 2003,
considérant 32), aucune norme constitutionnelle ne s'oppose de façon générale et absolue à l'utilisation de
données à caractère personnel recueillies par une collectivité publique, pour un usage autre que celui pour
lequel elles ont été collectées. Cette nouvelle utilisation méconnaîtrait toutefois les exigences résultant
des articles 2, 4, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 si, par son
caractère excessif, elle portait atteinte aux droits ou aux intérêts légitimes des personnes concernées.
L’application de ces principes donne lieu à une appréciation au cas par cas.
En l’espèce, cette « pesée » conduit à une réponse distincte selon les divers usages envisagés par la
saisine auxquels répond la communication aux tiers :
- ne se heurte à aucune exigence constitutionnelle la communication des données en cause, même sans
l’assentiment des personnes concernées, en vue de permettre le rappel de véhicules par les constructeurs
automobiles pour des raisons de sécurité ;
- il en va de même de leur communication en vue de la réalisation de traitements statistiques ou d’études
revêtant un intérêt économique, historique ou scientifique, pourvu que les résultats publiés ne fassent
apparaître aucune information directement ou indirectement nominative et que les précautions idoines
soient prises pour assurer la confidentialité des transmissions et des traitements.
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- s’agissant des réutilisations à visée commerciale, le respect de l’intérêt légitime des personnes
concernées exclut la communication des informations relatives aux gages grevant leurs véhicules, et, pour
les autres catégories de données à caractère personnel (nom, adresse personnelle, véhicules possédés…),
conduit à assortir la communication d’une procédure permettant aux intéressés de faire connaître à tout
moment leur opposition à la réutilisation et garantissant l’effectivité de cette opposition.
Est exclue, en raison des fonctions de souveraineté dont elles sont inséparables, la communication des
données relatives aux infractions.
Enfin, en vertu du principe d’égalité, la communication à titre exclusif à un tiers ne serait justifiée que si
elle était nécessaire à l’accomplissement de la mission d’intérêt public qui lui serait confiée et devrait, en
tout état de cause, respecter les règles de la commande publique.
B. La réponse est la même au regard de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à la protection
des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation
des données.
Le traitement ultérieur de données à caractère personnel à des fins historiques, statistiques ou
scientifiques n'est pas incompatible avec les finalités pour lesquelles les données ont été auparavant
collectées dans la mesure où les États membres prévoient des garanties appropriées, notamment pour
empêcher l'utilisation de ces données à l'appui de mesures ou de décisions prises à l'encontre d'une
personne (article 6 § 1 b).
Lorsque les données n'ont pas été collectées auprès de la personne concernée, les États membres doivent
prévoir son information par le responsable du traitement dès l'enregistrement des données ou, si une
communication de données à un tiers est envisagée, au plus tard lors de la première communication de
données. Cette obligation est toutefois écartée lorsque l'information de la personne concernée se révèle
impossible ou implique des efforts disproportionnés ou si la législation prévoit expressément
l'enregistrement ou la communication des données, en l’assortissant des garanties appropriées (article 11).
Tout en assurant l'équilibre des intérêts en cause et en garantissant une concurrence effective, les États
membres peuvent préciser les conditions dans lesquelles des données à caractère personnel peuvent être
utilisées et communiquées à des tiers à des fins de prospection commerciale, à condition de permettre aux
personnes concernées de s'opposer, sans devoir indiquer leurs motifs et sans frais, au traitement des
données les concernant (article 14 éclairé par le considérant 30).
Ne méconnaîtrait pas ces principes une disposition législative permettant des réutilisations de données
comme celles envisagées par la saisine dès lors que sont prises :
- dans le cas de réutilisations à visée commerciale, les mêmes précautions que celles énoncées au I A afin
de permettre aux personnes concernées de s'opposer à faire l’objet de démarchages ou de sondages ;
- dans tous les cas, les mesures assurant le respect des règles communautaires relatives au traitement non
discriminatoire des tiers intéressés par la réutilisation des données publiques.
II. Sur la seconde question :
Dès lors qu’elle se borne à compléter les articles L. 330-2 et suivants du code de la route afin de
permettre la communication aux tiers des données en cause à des fins statistiques, de rappel de sécurité ou
de prospection commerciale, la disposition législative envisagée devra être mise en œuvre, comme il
résulte de l’article 10 de la loi susvisée du 17 juillet 1978, dans le respect des dispositions du chapitre II
de son titre Ier, qui transcrivent la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du
17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public.
Il résulte de l’article 11 de cette directive, transposé en droit interne par l’article 14 de la loi du 17 juillet
1978, que la réutilisation d'informations publiques ne peut faire l'objet d'un droit d'exclusivité accordé à
un tiers, sauf si un tel droit est nécessaire à l'exercice d'une mission de service public (le bien-fondé de
l'octroi d'une telle exclusivité faisant alors l'objet d'un réexamen périodique, au moins tous les trois ans).
En l’espèce, aucune mission de service public ne rend l’exclusivité nécessaire s’agissant des réutilisations
à visée commerciale.
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Les conditions de la réutilisation des données doivent être équitables, proportionnées et non
discriminatoires.
Il conviendra en conséquence de porter clairement à la connaissance des tiers l'ensemble des conditions
applicables.
Une licence type pourra préciser ces conditions, s’agissant en particulier de la responsabilité du
bénéficiaire, de la bonne utilisation des informations, du respect de leur intégrité, ainsi que l'indication de
leur source et de leur date de mise à jour.
Une redevance pourra être prélevée, dans les conditions prévues par les articles 15 et 16 de la loi du 17
juillet 1978 et dans le respect des règles de concurrence. Son tarif pourra être fonction de la nature de
l’usage prévu.
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