Raison d`être ou métier :
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Raison d`être ou métier :
Chapitre III LA VISION La Vision est le futur rêvé, l’image idéale que l’on veut avoir de la raison d’être de l’entreprise1 ou du métier exercé en son sein ; elle peut être constatée, ou résulter d’une réflexion individuelle ou collective. Dans tous les cas elle exprime une volonté pour l’entreprise de s’orienter vers un certain futur. Reprenons les composantes de cette définition : Raison d’être ou métier : D’énormes quantités de pages ont été rédigées sur cette question : “ quelle est la raison d’être des entreprises ? ” Ce débat est certainement important pour les économistes. L’est-il pour les entrepreneurs dans leur pratique courante ? Rien n’est moins sur, et il ne semble pas que les réponses très diverses qu’ils apportent à cette question – pour ceux que de tels débats intéressent – affectent l’efficience des organisations dont ils sont responsables. Il importe par contre que cette raison d’être soit claire pour eux afin qu’ils sachent l’exploiter au mieux. Le succès sera moins difficile à obtenir si cette 1 ou toute autre organisation 1 raison d’être est connue, mieux encore : partagée des équipes qui y travaillent. Tout est possible, sinon éthiquement recevable, lorsqu’il s’agit d’exprimer le domaine dans lequel l’entreprise excelle ou veut exceller, celui dans lequel elle saura installer un avantage concurrentiel garant de pérennité et même de profit. Ce peut être un produit, une technologie, ou encore un marché ; ce peut être aussi une structure, une organisation ou la maîtrise d’un réseau ; autant de richesses que l’entrepreneur aura à cœur de valoriser, sur lesquelles il s’appuiera pour assurer la pérennité de son entreprise. Mais s’il importe que la raison d’être d’une organisation soit claire et aussi partagée que possible, cette clarté n’est pas si fréquente car trop de dirigeants confondent maîtrise des opportunités et opportunisme. L’actualité abonde de ces entreprises trop opportunistes qui, coupant leurs racines, ont consciemment ou non changé de métier et, après quelques mois de profits leur valant les honneurs des revues de management, sont mortes de ne plus savoir exercer leur métier de base. Et le profit ? Il est important en ce qu’il témoigne de la bonne santé de l’entreprise, de la pertinence des choix de ses dirigeants, et fournit une partie des financements nécessaires à son développement, mais il est très insuffisant de prétendre qu’il serait son unique raison d’être2. Voulue : Ce point est essentiel : la vision doit être l’expression, non d’un constat désabusé, mais d’une volonté, d’un choix clair même s’il repose sur une intuition. L’entreprise est un système complexe et non une machine aussi compliquée soit elle. En tant que tel, le système-entreprise est confronté à des problèmes complexes justifiant des réponses appropriées ; et la ce peut être éventuellement la motivation essentielle du dirigeant ; mérite-t-il alors le qualificatif d’entrepreneur ? 2 2 première des réponses est l’expression d’une volonté – un projet – qui sera la référence aux décisions à prendre, que celles-ci reposent sur des approches analytiques, parfois nécessaires, ou systémiques. On peut vouloir rester ce que l’on est, ou vouloir changer, il est en tous les cas interdit de subir. Comment espérer mobiliser le personnel autour du fatalisme ? Par contre, les salariés de l’entreprise doivent apprendre à accepter les événements et à se sentir engagés par les décisions prises pour y faire face. Ceci est possible si un véritable effort de pédagogie est engagé et maintenu en permanence, et pas seulement, comme il arrive trop souvent, en temps de crise. Orientation : La vision ne fixe pas un objectif, au sens traditionnel d’un but à atteindre en un certain délai. Elle exprime une orientation, un cap vers lequel l’entreprise décide de s’orienter. Pas plus qu’un cap, une vision ne peut être réalisée. Et si elle l’était, c’est qu’on aurait confondu vision et objectif ; il faudrait alors se hâter d’élaborer une nouvelle vision ! Bien évidemment, ceci ne signifie qu’il soit désormais inutile de fixer ou négocier des objectifs. La vision ne se substitue pas à eux ; en leur donnant un sens, elle en facilite, la réalisation, la délégation et la révision quand les conditions changent. La vision rend l’organisation plus flexible. Bref elle est l’expression partagée par toute l’entreprise d’une orientation voulue, d’un futur rêvé pour la ou les équipes. Le poète de l'entreprise en fera l’ “ Étoile Polaire ” qui, illuminant l’ensemble de l’organisation, la guide vers son futur. Après avoir précisé ce que selon nous doit être la vision, nous la situerons au regard de deux concepts avec lesquels elle est souvent confondue : le projet d’entreprise, dans sa forme des années 80, et la stratégie. De plus il sera bon de distinguer la 3 vision, telle que nous la concevons, de celle qui caractérise certaines entreprises qualifiées de visionnaires. Ce que la vision devrait être Destinée notamment à assurer dans la durée la cohésion d’une collectivité d’individus et de leurs décisions, la vision doit être mobilisatrice, pédagogique dans sa construction, à la fois directrice de l’action et toujours en question ; elle propose un référentiel qui, sans paraître par trop contraignant, est suffisamment bien accepté pour assurer la cohérence des actions. Le moyen essentiel de cette acceptation est la référence à un enjeu extérieur dont la pression stimulera l’organisation. !" ambition… Mobilisatrice, la vision le sera certainement si elle est ambitieuse pour l’entreprise et donc pour ses membres3, montrant ainsi aux acteurs de l’entreprise que celle-ci croit en eux ; si elle est tournée vers l’extérieur, ajoutant à l’enjeu naturel de pérennité un enjeu extérieur cohérent avec la réponse à la question “ à quoi, à qui voulons nous servir ” ; elle le sera aussi si sa mise en œuvre fournit des occasions de faire progresser les divers projets personnels à l’œuvre en son sein. !" pédagogie… Les dirigeants pourront pérenniser cette mobilisation s’ils savent construire la vision de manière pédagogique, si cette construction fournit des occasions de meilleure compréhension du fonctionnement de l’entreprise, des problèmes auxquels elle est confrontée. Avoir le souci de la pédagogie, c’est bien sur 3 souvenons nous qu’une entreprise qui n’est pas ambitieuse pour ses salariés ne peut attendre de ceux-ci qu’ils soient ambitieux pour elle 4 contribuer au développement de la compétence des collaborateurs, c’est aussi, à nouveau, montrer qu’on les prend au sérieux. !" enjeu extérieur… Cette pédagogie sera d’autant plus aisée à développer qu’elle sera concrète, en référence constante à un enjeu extérieur, plus encore si l’enjeu est la satisfaction d’un client extérieur aussi présent que possible - fût-ce symboliquement - dans l’organisation. Qui contesterait qu’il est plus stimulant de travailler pour un client, au regard duquel j’engage mon entreprise et mes responsabilités dans cette entreprise, que pour un patron, quelles qu’en soient les qualités ? Et si ces qualités sont réelles, ce patron saura lui-même faire valoir que les forces de l’entreprises doivent être mobilisées en direction du client et non vers sa personne ! !" processus… Pour fournir un référentiel à l’action quotidienne comme au développement des grands projets, la vision doit être relativement stable. Simultanément, elle doit vivre, en constant approfondissement. C’est pourquoi nous ne la considérons pas comme un projet au sens commun, mais comme un processus que l’on engagera, parfois à grands renforts de communication, souvent avec modestie, et que l’on saura développer en la rendant toujours plus ambitieuse et en élargissant progressivement la participation à son enrichissement. (voir tableau ci-après) !" autonomie des acteurs… Élargissement ne signifie pas embrigadement. La vision ne saurait tout régler, encore moins imposer des choix. Elle est ce minimum que doit partager un groupe de randonneurs, date et lieu de départ, destination..., mais qui autorise chacun d’eux à avoir une raison personnelle de participer disons contribuer - à la randonnée. Les critères de réussite seront donc tout à la fois collectifs et individuels. Il en va de la vision comme de la randonnée. 5 Processus / projet projet durée processus a un début et une fin peut avoir un début, ne devrait pas avoir de fin Dévelop- continu pement itératif relation de base mode associatif relation client-fournisseur critère de réalisation pour l’équipe est terminé lorsque doit apporter une valeur l’objectif fixé au départ est ajoutée à chaque étape de sa mise en œuvre, tout en considéré comme atteint respectant une finalité objectifs individuels sont négociés avec le chef sont négociés avec le client interne ou externe et mis de projet sous contrôle référentiel utile indispensable mode de réalisation de l’objectif contrôle tableau de bord c’est pourquoi le Projet Collectif et le Projet de Vie sont des processus… 6 Ce que la Vision ne devrait pas être !" Vision et projet d’entreprise Tel qu’il a le plus souvent été pratiqué voici environ dix ans, le Projet d’Entreprise abordait surtout le fonctionnement interne de l’organisation. Résultat logique dès lors qu’était demandé aux intéressés - généralement l’encadrement - de réfléchir à ce qui pouvait être amélioré, sans toujours approfondir la mission de l’Entreprise. La réflexion débouchait donc sur une série de pétitions de principe du type travaillons mieux, communiquons mieux, par rapport auxquelles des engagements étaient pris sur la base du plus petit commun dénominateur. Faute de s’appuyer sur les enjeux externes, le projet ne pouvait aboutir qu’à un compromis a minima entre toutes les tendances en présence, construit pour ne déplaire à personne. En conséquence rien ne ressemblait plus au projet d’une entreprise que celui d’une autre entreprise quel que soit leur secteur d’appartenance... Pourtant beaucoup de projets d’entreprise ne méritent pas les critiques que l’on en fait aujourd’hui : si les engagement pris n’ont pu être pérennisés faute d’enjeu externe, des travaux préalables largement participatifs ont généralement secoué les organisations et conduit à d’utiles remises en cause. Au contraire des Projets d’Entreprise des années 80, la Vision est tournée vers l’extérieur de l’organisation, là où se trouvent les enjeux mobilisateurs. Des projets collectifs peuvent ensuite être élaborés, globaux ou spécifiques à des unité ou des équipes, qui seront autant de réponses à la question comment pouvons nous contribuer à la mise en œuvre de la vision ? Il n’y a donc pas contradiction entre Projet d’Entreprise et Vision mais complémentarité, la dernière étant destinée à éclairer le premier. 7 !" Vision et stratégie Stratégie... Encore un mot passe-partout, qui n’a pas le même sens selon qu’il est seul ou associé sous forme d’adjectif à “ plan ”, “ analyse ”, “ objectifs ”... Dans certains cas sera stratégique tout ce qui est important, dans d’autres tout ce qui a trait à l’organisation des ressources. Reprenons une des définitions les plus communément admises : élaborer la stratégie de l’entreprise, c’est choisir les domaines d’activité dans lesquels l’entreprise entend être présente et allouer des ressources de façon à ce qu’elle s’y maintienne et s’y développe4 . La deuxième partie de la phrase est clairement de l’ordre du comment : la stratégie consistera à rassembler et organiser les ressources pour atteindre un but. Le choix des domaines d’activité est-il par contre de l’ordre du comment ou du pour quoi ? Ce choix est-il l’expression de la finalité de l’entreprise ou un moyen de la réaliser ? Certains penseront que le débat est byzantin. Nous croyons pour notre part qu’en termes de mobilisation du personnel, le point est d’importance car celui-ci veut une réponse claire à la question “ à quoi servons nous ? ”. Qui plus est, les outils utilisés pour l’analyse stratégique et la planification ne sont guère mobilisateurs5 ; même ses plus farouches partisans n’ont jamais évoqué le caractère motivant de la matrice “ atouts/attraits ”… Ces outils ne parlent qu’à la tête et ne sont pas accessibles à toutes. Et d’ailleurs, quel dirigeant n’a pas un jour reconnu qu’il n’en attendait qu’une rationalisation de choix le plus souvent intuitifs ? Le tableau ci-après montre les différences essentielles entre Vision et Stratégie : l’une renvoie au complexe, l’autre au compliqué, l’une engage la tête, le cœur et les tripes, l’autre 4 5 voir Strategor éd. Dunod page 9 convenons que ce n’est pas leur raison d’être 8 la tête seulement, l’une, nous y reviendrons, doit être gérée comme un processus, l’autre comme un projet...! vision et stratégie vision stratégie situation complexe compliquée se gère comme un processus projet engage la tête le coeur les tripes la tête assure la cohésion des équipes la cohérence des actes raisonne systémique projectif analytique rend compte du pour quoi du comment exprime une volonté une analyse propose une tendance des objectifs exige un contrôle permanent ponctuel 9 On ne saurait déduire de ces différences que les approches stratégiques sont à nos yeux superflues : vision et stratégie sont selon nous complémentaires6, car toute réflexion sur le pour quoi doit être complétée d’apports sur le comment, et éventuellement d’itérations entre eux. !" Vision et valeurs Voici peu est paru aux États-Unis un ouvrage7 qui décrit un certain nombre d’entreprises visionnaires, telles que 3M, American Express, Boeing, Ford, Hewlett-Packard ou Nordstrom. Plus que par le partage d’une vision au sens où nous l’entendons, ces entreprises, malgré le nom de l’ouvrage qui les rassemble pour étudier les clés de leurs succès, se caractérisent surtout par un corps de valeurs très fortes, développées par leur fondateur et portées par des successeurs choisis avec soin et longuement formés ; valeurs si prégnantes qu’elles tendent à exclure brutalement toute personne qui n’y adhérerait pas avec enthousiasme, au moins en apparence. Il est certain qu’une vision, quel qu’en soit le contenu, repose nécessairement sur quelques valeurs essentielles partagées de tous, à tous niveaux de l’organisation. Mais il ne peut être question de confondre valeurs partagées et doctrine – pour ne pas dire dogme - surtout lorsque cette doctrine dépend exclusivement des volontés du “ patron ”. ceci est parfaitement bien expliqué par M. Yann Duchesne, Directeur Associé de Mc Kinsey dans le Journal de l’École de Paris (Marchands de rêves raisonnables - n°5 - juillet-août 1997) : “ dans un monde aux changements rapides et qui s’internationalise, on peut espérer que les rêveurs sont finalement ceux qui sauront survivre.(...) C’est alors que la réflexion sur les options stratégiques, le business plan, et l’accompagnement dans la mise en œuvre prennent tout leur sens : le conseiller se doit d’être rationnel, bien que le rêve du patron ait souvent trouvé son origine dans l’irrationnel. ” 7 Built to last - successful habits of visionary companies - James C. Collins and Jerry I. Porras ed : Harper Business - voir annexe : les 12 mythes des Entreprises Visionnaires 6 10 Ce serait même contradictoire avec la raison d’être de la vision, puisque nous la concevons comme un référentiel facilitant la prise d’autonomie et d’initiatives ; elle ne peut aliéner sans manquer son objet. Quelle forme donner à la Vision ? Puisque la Vision est un voyage, il arrive que ce dernier s’achève dans le hall d’accueil de l’entreprise et/ou dans les bureaux des principaux dirigeants de l’entreprise, sous forme d’une déclaration toujours admirable mais parfois creuse, gravée dans le marbre. Nous ne sommes pas a priori hostiles à l’idée de communiquer la Vision en interne ou en externe. Pourtant la gravure ne peut qu’être contradictoire avec l’idée “ processus ” développé plus haut. Faut il même faire en sorte que la Vision soit résumée en une phrase ? Pourquoi pas, si cette phrase parvient à bien rendre compte de ce “ futur rêvé ” évoqué plus haut. Il n’y a pas, selon nous, de règle quant à la forme que doit prendre la Vision. Nous constatons que le produit résultant des travaux décrits plus loin exprime le plus souvent des volontés sur les points suivants : - vocation : qui va exprimer le métier sur lequel l’Entreprise veut être reconnue, souvent complétée de précisions sur les produits/activités/marchés, - ambitions : qui souvent reflètent l’entreprise veut avoir sur son marché, - valeurs : car elle n’est pas prête à réaliser n’importe comment sa vocation et ses ambitions, - place dans l’environnement écologique, économique, social, culturel, - image : c’est à dire la manière dont l’entreprise veut être perçue, - organisation et fonctionnement, nécessaires pour faciliter le développement de ce qui précède. 11 la position que Si tous ces points ne sont pas retenus dans la Vision, ils doivent en tout cas être examinés. S’ils le sont, ils peuvent prendre des expressions très variables, comme le montrent les exemples proposés en annexes. Seule importe une clarté, une compréhension, qui permettra à chaque personne de l’entreprise d’avoir : - la tête dans les étoiles, pour se rassembler autour de vraies ambitions collectives, - les pieds dans la glaise, afin que chacun puisse avoir une compréhension immédiate de sa responsabilité dans l’entreprise et des contributions qu’il doit proposer, voire mettre en œuvre de sa propre initiative. 12 Processus / projet projet durée processus a un début et une fin peut avoir un début, ne devrait pas avoir de fin Dévelop- continu pement itératif relation de base mode associatif relation client-fournisseur critère de réalisation pour l’équipe est terminé lorsque doit apporter une valeur l’objectif fixé au départ est ajoutée à chaque étape de sa mise en œuvre, tout en considéré comme atteint respectant une finalité objectifs individuels sont négociés avec le chef sont négociés avec le client interne ou externe et mis de projet sous contrôle référentiel utile indispensable mode de réalisation de l’objectif contrôle tableau de bord c’est pourquoi le Projet Collectif et le Projet de Vie sont des processus… 13