Rapport de mission - Les Amis du Monde diplomatique

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Rapport de mission - Les Amis du Monde diplomatique
Rapport de mission
Ô PALESTINE!
Cisjordanie, Territoire occupé (7-13 avril 2004)
Jordanie (13-17 avril)
"Witness visit" organisée par l'Alliance mondiale des Unions chrétiennes féminines
(UCF/YWCA), en collaboration avec l'Alliance universelle des Unions chrétiennes de
jeunes gens (UCJG/YWCA), qui ont toutes deux leur siège à Genève.
Pain pour le prochain
Théo Buss, le 30 avril 2004
I.
PRISE DE POSITION
Introduction
En 1953, je suis entré comme garçon dans l'Union cadette (Cevi1) à Neuchâtel. Qui
aurait pensé qu'un demi-siècle plus tard je participerais à une mission de solidarité
dans le cadre de la même organisation? Lorsque j'ai reçu l'invitation du secrétariat
international UCF, je n'ai pas hésité à accepter, car je m'occupe depuis 1966 de
cette partie du monde, et plus la situation se dégrade, plus je suis motivé pour
entreprendre des activités de solidarité avec le peuple palestinien, au point d'y
penser journellement.
Ce rapport s'intitule Ô Palestine2, car c'est bien de ce territoire qu'il s'agit, le nom
d'Israël ayant été greffé par-dessus en 1948 seulement. La souffrance de la
population autochtone, depuis cette date, est indicible, mais doit toujours être
évoquée à nouveau, jusqu'à ce que justice soit rendue aux Palestiniennes et aux
Palestiniens3. Ce rapport de mission s'inscrit dans la continuité d'un mandat de
PPP.4
Grâce aux nombreux témoignages recueillis, aux observations sur place et à
quelques lectures choisies, qui viennent informer et actualiser mes connaissances
antérieures, je pense pouvoir modifier le canevas habituel de mes rapports de
voyage antérieurs5, et proposer d'emblée6 une position personnelle qui sera
illustrée, étayée par les notes prises en cours de route.
A l'origine, 35 personnes étaient prévues dans la délégation, mais 18 seulement y
ont pris part. Certaines participantes n'ont pas reçu leur visa (en particulier du
Kenya), d'autres (en particulier des Etats-Unis) ont préféré renoncer, vu les risques
encourus. La participante d'Afrique du Sud a été longuement interrogée à
Johannesburg (selon toute vraisemblance par des agents du Mossad), et s'est
sentie humiliée. Elle est venue quand même, de sorte que nous étions 16 femmes et
2 hommes - (Emile Stricker, secrétaire exécutif des UCJG mondiales) et moi
(secrétaire romand de Pain pour le prochain) - en Palestine, 11 femmes et 1 homme
en Jordanie, entourés toujours par les membres des UCF locales.
1
Abréviation en Suisse alémanique.
Allusion indirecte au livre "Ô Jérusalem", de Dominique Lapierre et Larry Collins, Edit. Robert
Laffont, 1971.
3
Pour simplifier, la double appellation -"gender politically correct"- ne sera pas appliquée partout.
4
Konzept BFA/PPP bezüglich Israel/Palästina, 22.V.02.
5
Depuis que je travaille à PPP, j'ai produit:
1998 VIIe Assemblée du COE, Harare
1
Assemblée internationale attac Paris.
Voyage PPP: Cuba, Costa Rica, Nicaragua, Honduras
1
Vietnam – Cambodge
1
Voyage en Afrique: Afrique du Sud, Congo-Kinshasa et Congo-Brazzaville
1
Etats-Unis – Guatemala – Mexique – Nicaragua – Pérou – Bolivie.
Forum social européen, à Florence
2003 Forum social suisse, à Fribourg
2004 Forum social mondial, à Mumbai
6
Sous le titre "Rétablir les faits", p. 4.
2
2
Malgré les restrictions et les barrages routiers, les sites prévus ont pu être visités,
sauf le camp de réfugiés Baqa' en Jordanie, où les UCF ont un centre: le 14 avril,
Bush et Sharon avaient proclamé une nouvelle position, et les réfugiés étaient dans
une telle effervescence que notre visite aurait pu provoquer des échauffourées. Pour
rappel: soi-disant en échange du retrait des colonies juives de Gaza - complètement
illégales - Bush "accordait" aux Israéliens la "suppression" du droit de retour des
réfugiés palestiniens dans leurs villages d'origine et leur "concédait" à Israël le droit
d'incorporer des parties de la Cisjordanie à son territoire. Dans de nombreux pays
arabes, ces déclarations absolument contraires au droit international et aux
résolutions de l'ONU ont soulevé un tollé et provoqué de puissantes manifestations.
Les grandes Eglises des Etats-Unis ont vivement critiqué cette initiative unilatérale.7
Déformation de l'histoire
Pour les observatrices et observateurs que nous sommes, il saute aux yeux que la
majorité des occidentaux se fait une idée fausse ou pour le moins partiale de
l'affrontement quotidien entre Palestiniens (peuple indigène, occupé) et Israéliens
(peuple envahisseur, occupant). Pour typifier cette idée fort courante, je simplifie (et
je cours le risque de caricaturer). Je sais, un nombre substantiel d'occidentaux ont
des analyses beaucoup plus nuancées, heureusement, et tiennent compte des
multiples éléments historiques, politiques, religieux et autres. Mais je veux parler ici
du public en général, qui subit grosso modo la ligne des grands médias, et ne fait
pas sa propre analyse.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, des juifs rescapés des camps de la mort et
d'autres, ont choisi d'aller s'établir dans le pays dont leurs ancêtres avaient été
évincés par l'empire romain 19 siècles plus tôt. Ils ont pu s'installer en Palestine, "a
land without a people for a people without a land", comme dit la propagande
israélienne. Les quelques "Arabes" qui peuplaient ce "désert" étaient paresseux, et
sont partis d'eux-mêmes. Les Israéliens ont créé et agrandi successivement leur
Etat, faisant "fleurir le désert", avec une reconnaissance formelle de l'ONU, (qui à
l'époque de la création de l'Etat d'Israël comptait une majorité de pays occidentaux).
La haine à l'égard des juifs, basée sur l'antisémitisme, et l'envie devant les réussites
des pionniers, d'abord regroupés en kibboutzim, a excité la jalousie des pays
arabes, des Palestiniens exilés qui ont commencé à attaquer et à harceler l'Etat
d'Israël, allant jusqu'à se fixer comme objectif l'extinction de ce nouvel Etat et le
départ de tous les colons juifs…
Israël est donc en état de légitime défense. A peu près tous les moyens sont bons
pour réaliser sa politique d'expansion, justifiés qu'ils sont par des motifs de sécurité.
Et de toutes façons, Israël a des droits spéciaux, car ses citoyens sont survivants de
la pire tragédie de l'histoire: l'Holocauste. Les peuples arabes, eux, ne sont pas
aussi industrieux ni aussi travailleurs, ils pratiquent une religion obscurantiste qui
leur permet d'occire les "infidèles". Au fond , tous des terroristes.
7
Le rassemblement de 19 groupes d'Eglises protestantes, catholique romaine et orthodoxes - dont le
Conseil national des Eglises des Etats-Unis – affrime que "le soutien du président Bush à ce plan
semble anéantir 35ans d'efforts des Etats-Unis pour mettre fin au conflit entre Israéliens et
Palestiniens." (eni, 5.V.04)
3
Il ne manque pas de chrétiens - tant dans les Eglises majoritaires que dans les
Eglises évangéliques (fondamentalistes, charismatiques, messianiques, avec toutes
les nuances qu'il faudrait apporter) - qui soutiennent avec ferveur l'Etat d'Israël et ne
trouvent rien à redire à la politique actuelle du gouvernement d'Ariel Sharon puisque,
n'est-ce pas, Israël, c'est le "peuple élu", le "peuple de Dieu"…
Avec la fin de la guerre froide, tout un courant a cherché à diffuser une image
négative des pays arabes, nouveaux boucs émissaires. Voir en particulier les
travaux théoriques de Bernard Lewis8 et Samuel Huntington9. Edward W. Said,
Palestinien né à Jérusalem, qui a enseigné jusqu'à sa mort en 2003 à la Columbia
University à Jérusalem, démontre les origines et les effets désastreux de cette
distorsion de l'histoire, dans trois ouvrages majeurs:
- L'Orientalisme - L'Orient créé par l'Occident, Seuil, Paris, 19781,19942 avec
une nouvelle postface
- Israël-Palestine: l'égalité ou rien, La Fabrique, 1999
- Culture et impérialisme, Fayard/Le Monde diplomatique, Paris, 2000.
S'inspirant de grands penseurs des pays du Sud, comme Wole Soyinka, Joseph KiZerbo, Amilcar Cabral, Frantz Fanon, Aimé Césaire et bien d'autres, Said montre,
documents à l'appui, que l'Occident s'est toujours arrogé le droit d'aller occuper,
opprimer, exploiter, mettre à son service, piller les ressources du sol et du sous-sol
des pays du Sud. Première justification: les Européens, et par suite les NordAméricains, étant supérieurs, ont une mission civilisatrice… Le sionisme, tout en
basant son discours sur d'autres dimensions encore, a sa place dans cette
mouvance impérialiste. Ses théoriciens, à commencer par Theodor Herzl,
préconisaient au XIXe siècle déjà de chasser les pauvres palestiniens de leur pays,
où ils vivaient en paix depuis des siècles. Les arbres à fruits de Jaffa, par exemple,
ce sont les Palestiniens qui les ont plantés, cultivés, consommés et exportés bien
avant l'arrivée des immigrants juifs.
Rétablir les faits
La vérité sur l'arrivée des immigrants juifs est très différente de la version
diffusée par la propagande israélienne. Leur installation s'est faite avec une
violence qui mérite le nom de terrorisme. Aujourd'hui, même les nouveaux
historiens israéliens reconnaissent que les Palestiniens ont été chassés par
l'intimidation, les massacres (celui de Deir Yacine en 1948 n'en est qu'un
parmi d'autres, par exemple l'attentat à l'hôtel King David à Jérusalem), les
méfaits commis par les cellules terroristes Irgoun, Haganah, Stern, dirigées
par Yitzhak Shamir, Ariel Sharon et Menahem Begin. L'ancien premier ministre
Yitzhak Rabin l'a avoué, lui qui fut assassiné par un juif le 4.XI.95.
Quatre cent dix-huit villages (41810) palestiniens ont été rasés au sol entre
1948 et 1949, ce qui fait dire à Sumaya Farhat-Naser: "Lorsque l'un des deux,
le peuple juif, put enfin trouver une patrie, l'autre, le palestinien, perdit la
8
Le Langage politique de l'Islam, Paris, Gallimard, 1988.
Le choc des civilisations, 1993.
10
Si on additionne le nombre de communes des cantons de Zurich, St. Gall, Schwytz, Schaffhouse et
les deux Bâle, on arrive à 414.
9
4
sienne".11 Dans la mesure où le mémorial Yad Vashem ne dit rien de ces
circonstances, ni de l'histoire du peuple palestinien, il constitue une
falsification de l'histoire. Beaucoup s'y laissent prendre (moi y compris, lors de
mon premier passage en Israël).
Le 13 septembre 1993, le gouvernement d'Israël et l'OLP signaient la
Déclaration de principes (Accord d'Oslo I), puis le 4 mai 1994 l'Accord du Caire
(ratification des mesures d'application de l'Accord d'Oslo I), et enfin, le 28
septembre 1995, l'accord intérimaire de Taba (Oslo II). Yasser Arafat et Yitzhak
Rabin paraphèrent ces accords, mais l'assassinat de Rabin mit fin à la volonté
du gouvernement israélien de les appliquer, même si, le 20 janvier 1996, les
Palestiniens purent encore élire leur Conseil législatif et Yasser Arafat comme
président de l'autorité nationale palestinienne. Sous Benjamin Netanyahou,
Ehud Barak et Ariel Sharon, les Israéliens ont complètement vidé les Accords
d'Oslo de leur contenu, qui sont à considérer comme morts.
Au lieu de cela, leur gouvernement met en place un processus de
dépossession et d'expropriation systématique des terres appartenant aux
Palestiniens, entièrement dans la ligne de ce qui se passe depuis 1948. Il peut
être utile de rappeler que le plan de partition de l'ONU de 1947 prévoyait les
proportions suivantes:
Palestiniens
Juifs
Terres attribuées
48%
52%
Propriété des terres
93 %
7%
Après la construction du mur,il ne restera plus aux Palestiniens que 9 ou 12%
des terres. Les terres sont prises aux Palestiniens sans compensation (voir le
10e commandement: Tu ne déroberas point).
La politique actuelle du gouvernement israélien vise à réduire encore plus les
terres appartenant aux Palestiniens, et à les confiner dans 2-3 bantoustans:
Gaza, un au Sud et un au Nord de Jérusalem. Tous les moyens sont bons pour
atteindre cet objectif, au mépris de la Déclaration universelle des droits
humains, de la Charte des Nations Unies, ratifiées par Israël, et du simple bon
sens. Comment baser la sécurité d'un Etat sur l'accumulation de mesures
répressives qui font croître la haine? C'est la même erreur que commet
George W. Bush et son clan avec leur soi-disant "guerre contre le terrorisme".
Donc, actuellement, les Israéliens font la guerre aux Palestiniens, leur
confisquent des terres, démolissent leurs maisons avec de gigantesques
bulldozers, les privent d'eau, incarcèrent des innocents (60% des hommes
palestiniens ont été emprisonnés, très souvent torturés, une ou plusieurs
fois), humilient toutes les catégories de la population aux barrages routiers12,
etc. etc. Si ce n'est pas du terrorisme d'Etat, alors c'est quoi?
11
in Le cri des oliviers - Une Palestinienne en lutte pour la paix, Labor et Fides, Genève, 2003,
p. 100-101.
12
De très nombreux récits détaillent les vexations et perturbations que cela entraîne: ambulances
bloquées, accouchements sur la banquette arrière d'une voiture immobilisée, mort de nouveau-nés,
d'une mère, ou des deux, accès à l'hôpital barricadé, fréquentation des cours empêchée pour
enseignants, élèves, étudiants, apprentis…
5
Le mur qui est en érection "mérite" une mention spéciale, puisqu'il est destiné
à décupler ces empêchements à la vie normale des Palestiniens: leur liberté
de mouvement sera encore plus gravement entravée, l'accès à leurs champs
sera peu à peu impossible, les terres seront confisquées par les Israéliens, de
même que 22 nouvelles sources13, et d'innombrables citernes. Bref, encore
plus que l'état de siège quasi permanent, ce "Mur de la honte" provoque
humiliation, angoisse, appauvrissement systématique chez les Palestiniens de
tous âges. Si on voulait broyer une population, on ne s'y prendrait pas
autrement. Sharon a parlé à plus d'une reprise de "transfert de population", ce
qui ne serait rien d'autre qu'une déportation, de sinistre mémoire, ou la
continuation par d'autres moyens de l'actuelle épuration ethnique.
La très grande majorité des Palestiniennes et des Palestiniens résistent de
manière non-violente, s'accrochent à leur terre, défendent pied à pied leurs
droits et leurs biens, même si l'absence d'un avenir meilleur à l'horizon (par
exemple pour l'obtention d'un emploi pour les jeunes), pousse des familles
entières à émigrer. Dans ce cas, pour obtenir un visa de sortie, elles doivent
signer une déclaration indiquant qu'elles renoncent à tout droit de retour.
A ce résumé fort incomplet, j'ajoute deux récits:
Une famille dont le père avait été assassiné par les Israéliens se rend
dans les champs sur un char attelé: la mère, quatre enfants, deux cousins.
Suite à une altercation, la mère enjoint à son fils de 10 ans de marcher dix
mètres derrière le char. Peu après, sous les yeux horrifiés du garçon, toute
la famille saute sur une mine israélienne, et leurs membres déchiquetés
volent dans toutes les directions. Blessé, seul survivant, le garçon est
recueilli par des oncle et tante. Une année après l'attentat, lors de la
cérémonie sur le tombeau familial, il jure qu'il vengera sa famille.
Une veuve sans travail, dont le mari a été tué par les Israéliens, se
présente à un barrage routier, un jeune soldat l'arrête, la fouille, lui demande
ce qu'elle a dans la jarre qu'elle porte: du yogourt. Il la questionne, met le
canon de son fusil dans le yogourt, l'humilie, mais finalement la laisse
passer. Un voisin qui avait assisté à la scène le matin, dit à la veuve le
même soir: tu aurais dû jeter le yogourt à la figure de ce soldat. Non,
répond-elle, j'ai pu vendre mon yogourt, cela m'a rapporté 38 shekels et ce
soir mes enfants auront à manger…
La nécessaire révolution copernicienne
La situation à Gaza est peut-être différente: notre délégation n'a pas pu pénétrer
dans "la plus grande prison à ciel ouvert du monde" (1,3 millions d'habitants). Mais
parmi les personnes rencontrées par notre délégation, personne n'a défendu les
attentats suicides. Au contraire: elles pensent unanimement que ceux-ci font un tort
considérable à leur cause, et entraînent des représailles dans l'ordre de grandeur
1:3. Le bilan provisoire de l'Intifada II El Aqsa s'établit ainsi: environ 3'900 morts,
dont quelque 3045 Paestiniens.
13
En plus de toutes les ressources aquatiques déjà volées aux Palestiniens, pour permettre
l'irrigation qui fait "fleurir le désert" et l'approvisionnement en eau des Israéliens.
6
La conclusion que j'en tire est partagée par mes camarades de délégation: la
violence des Israéliens pousse les Palestiniens dans leurs derniers
retranchements. Une toute petite minorité, peut-être 1 ou 2 %o se prépare à
réagir par des attentats-suicides spectaculaires. Ceux-ci sont provoqués
directement par la répression systématique et humiliante dont ils sont l'objet.
Un médecin m'a dit: aux barrages routiers que je dois passer tous les jours, ils
me traitent comme si j'étais moins qu'un animal. Dans la mentalité collective
de l'Occident, une révolution copernicienne est donc nécessaire: remettre les
pendules à l'heure, déterminer les responsabilités de part et d'autre, et
ramener les deux parties à la table de négociations. Ce rôle, la grande
puissance qui a totalement pris parti pour Israël, ne peut en aucun cas le
jouer. Mais l'Europe, l'Union européenne en particulier, a de nombreux atouts
en main. En particulier l'arme économique: Israël a plus d'échanges
économiques avec l'UE qu'avec les Etats-Unis. Nombreux ont été les voix,
parmi les personnes que nous avons rencontrées tant en Palestine qu'en
Jordanie, qui se sont exprimées en ce sens. De toutes façons, un blocus
économique ne pourrait affecter gravement les Palestiniens, dont la situation
économique est plus que précaire. Mais il risquerait d'affaiblir véritablement la
position du gouvernement d'Israël, dont la population commence à souffrir
des restrictions dans les prestations sociales dues à l'effort de guerre, cf.
p. 15.
Le pouvoir s'auto-détruit
On ne peut attendre des gouvernements européens ni de la Commission
européenne une volte-face pro-palestinienne. Mais les observateurs dénotent
certains signes d'un changement d'attitude: les violations systématiques des droits
humains et la politique des faits accomplis du gouvernement Sharon pourraient
réorienter les dirigeants européens si - et c'est là qu'il y a un espace à occuper pour
les mouvements de base - les ONGs importantes d'une part et la rue d'autre part se
manifestaient massivement en faveur d'une solution négociée, dans la ligne des
Accords d'Oslo, de l'initiative de Genève (insuffisante sur le plan du retour des
réfugiés), en vue de la création de deux Etats vivant en bonne intelligence et ayant
Jérusalem, ville ouverte, comme capitale.
Avant de conclure cette longue affirmation liminaire, j'aimerais citer Hanan Ashrawi,
que nous retrouverons plus loin: "le pouvoir excessif se détruit lui-même". C'est une
conviction que je partage: un Etat ne peut fonder son existence sur la haine et la
destruction de l'"autre". Pendant deux ans pour les femmes, et trois ans pour les
hommes, tous les jeunes Israélien-ne-s sont embrigadés dans le service militaire
obligatoire, au cours duquel on leur enseigne à dérober des terres et des sources, à
démolir des maisons de citoyens paisibles, à saccager la couverture végétale, à
humilier, blesser, torturer et tuer des êtres humains qui voudraient dans leur très
grande majorité être leurs voisins pacifiques; en d'autres termes, on leur enseigne et
on leur enjoint de pratiquer le mensonge, la délation, la déformation des faits
historiques, le massacre à petit feu, la haine implacable… Quelles sont ces valeurs?
Sont-elles une base pour construire une nation? Déjà, selon plusieurs témoignages,
la pourriture s'installe. Terminons cette première partie avec cette citation d'Avraham
Burg, ancien conseiller du premier ministre Shimon Peres, et ancien président de la
Knesset:
7
"Le sionisme est mort, et ses agresseurs sont installés dans les fauteuils du
gouvernement à Jérusalem. Ils ne ratent pas une occasion pour faire disparaître tout
ce qu'il y avait de beau dans la renaissance nationale. La révolution sioniste
reposait sur deux piliers: la soif de justice et une équipe dirigeante soumise à la
morale civique. L'une et l'autre ont disparu. La nation israélienne n'est plus
aujourd'hui qu'un amas informe de corruption, d'oppression et d'injustice.
(…)
La majorité palestinienne soumise à la botte des militaires israéliens, cela aussi est
impossible. De même que croire que nous sommes la seule démocratie du ProcheOrient, parce que nous ne le sommes pas. Sans l'égalité complète pour les Arabes,
il n'y a pas de démocratie. Conserver à la fois les territoires et une majorité juive
dans le seul Etat juif tout en respectant les valeurs de l'humanisme et de la morale
juive est une équation insoluble."
(Extrait de sa fameuse Lettre ouverte du
13.IX.03 adressée à tous les Israéliens, publiée par Le Monde, Yediot Aharonot,
etc.)
Il ne manquera pas de voix critiques, à la lecture de cette déclaration liminaire, qui
trouveront ma prose unilatérale, anti-juive, voire antisémite. La réalité est cependant
différente. Pendant un quart de siècle, j'ai été un fervent partisan de l'Etat d'Israël
(j'ai même eu un professeur de théologie - paix à ses cendres - qui voyait une
signification messianique dans le retour des juifs sur la terre de leurs lointains
ancêtres). Heureusement, j'ai ouvert les yeux en 1967, lors de la guerre de six jours,
quand Israël a voulut tripler ou quadrupler son territoire, occupant aussi les lieux
sacrés des musulmans - qui ne le cèdent en importance qu'à ceux de La Mecque -,
l'esplanade des mosquées à Jérusalem Est… Le temps n'est plus aux analyses
pondérées, ménageant la chèvre et le chou. Il faut appeler un chat un chat, et
nommer les autorités responsables du pourrissement de la situation qui pourrait se
muer en chaos généralisé sous peu, comme dans l'Irak tout proche. Des décisions
courageuses et des actes audacieux sont urgents!
Un mot encore au sujet de l'antisémitisme. Galvaudé, ce terme est aujourd'hui
manipulé par le lobby juif comme une arme contre tous ceux qui osent critiquer la
politique des derniers gouvernements israéliens. Ces pressions ne
m'impressionnent pas. Elles ne font que confirmer la manipulation de
l'antisémitisme, qui est une arme perfide, selon la dénonciation d'un authentique juif:
on utilise cet argument comme si "le vrai antisémitisme, c'étaient toutes les
initiatives politiques qui compromettent les intérêts juifs".14
Dans un tout autre contexte, au plus fort de la guerre infligée aux paysans mayas
par l'armée guatémaltèque (encadrée de "conseillers" états-uniens), l'un de ces
paysans a déclaré:
"Mgr Romero ne voulait pas des armes comme solution. La crise a ses racines
profondes dans les structures injustes. Ne reste finalement plus que le dialogue en
14
Norman G. Finkelstein: L'industrie de l'Holocauste - réflexions sur l'exploitation de la souffrance des
Juifs, Editions La Fabrique, Paris, 2001, p. 41.
8
vérité, dans la justice, la liberté et l'amour".15 Cette vérité n'est-elle pas applicable
aussi dans le conflit palestino-israélien?
Quelques sources complémentaires
* Sumaya Farhat-Naser: Le cri des oliviers,
Une Palestinienne en lutte pour la paix, Labor et Fides, Genève, 2002 (traduit de
l'allemand par Rose-Marie Gallay et Claire-Lise Ott)
Verwurzelt im Land der Olivenbäume, Lenos Verlag,
Basel, 2002.
Daughter of the Olive Trees, a Palestinian Woman's
Struggle for Peace, Lenos International, 2002.
L'auteure est une des six premières femmes palestiniennes et israéliennes qui ont
initié le dialogue par-dessus les barrières en 1988, dans la clandestinité, car
jusqu'en 1992 il était absolument interdit aux Palestiniens et Israéliens d'avoir des
discussions politiques. Ce dialogue se poursuivit à Bâle, à Bruxelles. Puis des
rencontres tripartites eurent lieu entre femmes allemandes, israéliennes et
palestiniennes en Allemagne. Ensemble, elles créèrent en 1994 le Jerusalem Center
for Women (pour les Palestiniennes) et le Centre Bat Shalom (Filles de la paix, pour
les Israéliennes), à Jérusalem Est et Jérusalem Ouest respectivement. Ensemble,
ces deux centres constituent le Jérusalem Link qui a fait un travail de pionnières.
Les deux premières directrices furent Daphna Golan et Sumaya Farhat-Naser. A
Daphna succéda Gila Svirsky16. Sumaya Farhat-Naser et Yitzahk Frankenthal17
reçurent en 1996 le Mount Zion Award, prix octroyé par l'abbaye Hagia-Maria-Sion à
Jérusalem pour honorer les efforts de réconciliation et de paix entre les religions et
les cultures.
Le livre de Mme Farhat-Naser est très émouvant et profond, relate des expériences
très douloureuses, parfois aussi réjouissantes, et raconte la difficile approche des
femmes palestiniennes et israéliennes qui apprennent à se connaître, à surmonter la
méfiance et les malentendus, et peu à peu, alors que de part et d'autre la situation
se tend, osent se parler franchement. Mme Farhat s'est retirée de la direction du
Jerusalem Link en 2001, alors que toute rencontre des deux parties était devenue
impossible, à cause de la répression accrue liée à l'Intifada II. Elle continue
d'enseigner à l'Université Bir Zeit et à travailler pour la paix.
* The YMCA/YWCA International Observer Project in Israel/Palestine, Genève,
2002.
Remis à tou-te-s les membres de la délégation, ce rapport complet et précis sur la
situation actuelle dans le pays est un puits de riches informations sur la tragédie que
vivent les deux peuples. Je ne peux que recommander la lecture de ces 144 pages,
qui détaillent les méthodes répressives, les vexations, les arrestations de citoyens
15
Tiré de "La Bête et la Tourterelle", Martyrs du XXe siècle, Témoignages présentés et traduits de
l'espagnol par Charles Antoine, Cerf, 2002, p. 175.
16
que notre délégation a rencontrée à Jérusalem.
17
Lire les péripéties douloureuses dans "Le cri des oliviers", op. cit., p. 156ss.
9
palestiniens - y compris des dirigeants des UCJG18 -, la torture, la privation des
droits de résidence pour les Palestiniens pourtant nés sur place.
La torture est pratiquée systématiquement par la police et l'armée israéliennes.
Pourtant Israël a signé la Convention des Nations Unies contre la torture. On estime
que 60% des Palestiniens hommes ont passé une ou plusieurs fois par la prison, et
que la moitié au moins sont torturés. Evidemment, il n'y a pas de statistiques à ce
sujet. La presse internationale a dénoncé en 2003 l'existence depuis vingt ans d'un
pénitencier secret à l'intérieur d'une base militaire, sorte de "Guantanamo" israélien.
Y seraient détenus plus de 1300 prisonniers libanais et palestiniens, privés de tous
leurs droits.19
Il arrive aussi que l'Autorité palestinienne fasse torturer des Palestiniens. Le rapport
indique que c'est pour deux raisons: soit sur ordre des Israéliens, qui donnent des
noms d'"ennemis", soit pour faire taire des voix critiques de l'Autorité palestinienne.
Quelles que soient les raisons, des deux côtés, cette pratique est abominable et
inhumaine (cf. p. 63-72). Des femmes et des enfants sont aussi torturés par les
Israéliens.
Le rapport est formel: jamais, même pas en 1967, la situation des Palestiniens
n'a été aussi mauvaise qu'actuellement, et la situation empire. Le rapport
mentionne aussi les "chrétiens sionistes", nombreux aux Etats-Unis, et commente:
"The Christian Zionists are not only extremely harmful to the Palestinians. They also
put us as Palestinian Christians in a very embarrassing situation". (p. 57). Aux
occidentaux bien intentionnés, aux Eglises en particulier, la secrétaire générale des
UCF de Palestine, Abla Nasir20, répond: "Cette obsession de la réconciliation entre
chrétiens, musulmans et juifs en Israël et en Palestine ne peut nous être imposée.
Edifier la confiance et le pardon ne peuvent avoir lieu qu'après la fin de l'occupation,
et lorsque justice sera rendue." (p. 56)
Deux extraits encore de cet excellent rapport:
- "Killing of 8'000 Muslim men and boys in the Bosnian town of Srebenica in
less than one week in 1995 showed the world the intention of the Bosnian
Serbs. The result of this misdemeanour is what is now happening in the
Hague. Militarians and politicians are put to trial for crimes against humanity.
In Palestine however, the ethnic cleansing takes place in a much more subtle
way - it is "Srebenica in slow motion". Palestinians are not killed in large
numbers in one raid. Instead a few killings take place every day by the Israeli
military forces. Houses are being demolished the same way. Not in large
scales, just a few at a time. And the list of cleansing methods goes on. There
might be differences in means, but there is no difference in intention. The
Israeli Government preferred solution is the one where the Palestinians
decide "voluntarily" that they better go live somewhere else. Until this
happens, the Israelis for "security reasons" need to defend themselves which they do by violating just about every international law. To imagine that
the Israelis will be put to trial, like the Bosnian Serbs, is impossible. Instead
18
75% des hommes employés par les UCJG ont passé un temps en prison, 53% ont été torturés.
Le Courrier,Genève,1.IX.03, Haaretz, Il Manifesto, etc.
20
Qui a organisé notre visite et accompagné notre délégation tout au long.
19
10
the World seems to justify the unjustifiable - not least the predominant
"Christian World" in the West." (p. 55)
-
Geste symbolique: "Les Israéliens contrôlent l'ensemble de l'eau, et utilisent
le territoire exigu des Palestiniens pour y déposer leurs ordures." (p. 60)
* Norman G. Finkelstein: L'industrie de l'Holocauste - réflexions sur
l'exploitation de la souffrance des Juifs, éditions La Fabrique, Paris, 2001,
traduction de "The Holocaust Industry", 2000.
L'auteur dévoile une à une les mystifications de cette industrie, qui n'a réellement
décollé qu'après la guerre d'octobre 1973 entre l'Egypte de Sadate et Israël. Il décrit
le rôle qu'y joue Elie Wiesel, "l'interprète officiel de l'Holocauste" (p. 8 et passim) La
manière arbitraire de faire mémoire de l'Holocauste a été dénoncée d'abord par
Peter Novick21. Finkelstein approfondit et affine la critique de ceux qui écrivent
l'Holocauste avec une majuscule, exagèrent, falsifient et exploitent le génocide nazi,
afin de "justifier la politique criminelle de l'Etat d'Israël et l'appui des Etats-Unis à
cette politique." (p.12)
La mère et le père de M. Finkelstein sont des survivants du ghetto de Varsovie et
des camps. En aucun cas, il ne peut être soupçonné d'antisémitisme. Cela ne donne
que plus de poids à sa dénonciation précise de la fraude qu'a constitué la manière
dont les organisations juives ont réclamé des réparations pour les victimes de
l'holocauste à la Suisse, à l'Allemagne, à l'Autriche et aux pays de l'Est, en
particulier à la Pologne et à la Roumanie. Il décrit le détournement d'une grande
partie de ces fonds, et s'en indigne: "L'industrie de l'Holocauste est devenue un
racket pratiquant ouvertement l'extorsion de fonds." (p. 87)
Et d'ajouter: "L'industrie de l'Holocauste entreprit d'extorquer des milliards de dollars
à ces pays déjà ruinés" (d'Europe de l'Est)… ce faisant "elle est devenue le grand
agent du renouveau de l'antisémitisme en Europe". (p. 127)
Une comparaison pour terminer cette brève présentation. Les banques suisses ont
consacré 32 millions de dollars pour identifier les biens des juifs décédés dans les
camps (fonds en déshérence), les banques des Etats-Unis 500'000 dollars. "Le
dossier (nord-) américain est bien pire que le dossier suisse." (p. 114) Malgré cela,
les organisations juives n'ont jamais demandé une enquête aux USA. "Malgré sa
différence de taille, la Suisse a accueilli autant de réfugiés juifs que les Etats-Unis
pendant l'holocauste nazi (environ 20'000)." (p. 102)
Comme cela sort du sujet, je ne m'attarde pas sur les 1,25 milliards de dollars
versés par les banques suisses aux Organisations juives, qui les ont détournés en
grande partie à leur profit.22
21
The Holocaust in American Life, New York, 1999.
Yvan Dalain, l'auteur d'une lettre de lecteur, fait remarquer à Mme Micheline Calmy-Rey, ministre
des affaires étrangères de la Suisse, à propos de l'initiative de Genève "Ne vous laissez pas
influencer par les représentants du pseudo Congrès juif mondial et du pseudo Congrès juif européen,
qui usurpent tout simplement la place et le rôle des différentes fédérations israélites actives dans
chaque pays, mais indépendantes les unes des autres." (Le Temps)
22
11
II. TEMOIGNAGES DIRECTS
Les considérations générales étant posées, je reviens sur les entretiens, le grand
nombre de rencontres que nous avons eues, et dont j'ai tiré en partie les
renseignements de la première partie. Il serait sans aucun doute plus vivant de
situer le cadre, de citer les témoins - femmes et hommes - qui nous ont adressé la
parole en séances ou lors d'entretiens particuliers. Pour des raisons de sécurité - on
ne sait jamais entre les mains de qui ce rapport peut tomber - je m'abstiendrai (avec
des exceptions) de donner ces précisions. Qu'il suffise de dire que la majorité des
voix qui s'expriment sont celles de femmes. Je suis en plein accord avec cette
phrase de Sumaya Farhat-Naser: "Se cela ne dépendait que de nous, femmes
palestiniennes et israéliennes, nous aurions depuis longtemps un accord de paix qui
réglerait les problèmes difficiles entre nos deux Etats."23
Rencontres à Jérusalem: le vol organisé de l'eau
le saccage de la végétation
Les impôts payés par les Palestiniens en Cisjordanie devraient revenir à l'Autorité
palestinienne. Mais la question du transfert n'a jamais été réglée. Les autorités
israéliennes détournent cet argent pour financer les colonies de peuplement. Il y a
déjà 250'000 colons, souvent des immigrés récents, ou des "colons pour une année"
en provenance des Etats-Unis. Population palestinienne: 3,5 millions dans les
Territoires occupés, environ 4,5-5 millions en exil.24
En Cisjordanie, et à Gaza, chaque habitant dispose de 39-50 litres d'eau par jour,
alors qu'un colon utilise 220 litres pendant le même temps.
Il y a en ce moment 125 barrages routiers en Cisjordanie, 21 à Gaza, plus des
dizaines de barrages mobiles, qui apparaissent arbitrairement à n'importe quel
moment. Ils peuvent durer des semaines ou des mois. Ils divisent la Cisjordanie en
64 petits cantons.
Tous les Israéliens peuvent circuler librement grâce aux plaques minéralogiques
jaunes sur les routes exprès et les autoroutes modernes qui découpent le paysage
sur 734 km, reliant leurs villes et les implantations et saccageant le paysage, les
oliveraies, les champs. Les routes forment de véritables tranchées pelées sur 50 m.
de largeur (surnommées Sharon's shaving). Nota bene: ces routes sont construites
avec le soutien de USAID. Les Palestiniens, eux, doivent emprunter (avec leurs
plaques blanches) les chemins non asphaltés et les mauvaises routes, très mal
entretenues, coupées de milliers de gendarmes couchés et des barrages
mentionnés.
La colonie Abu Ghunaim25, construite en 2003 sur une colline près de Bethléem,
donne l'impression d'une forteresse pelée. Elle a été érigée à la place d'une des
rares forêts de la région: 40'000 pins ont été abattus (j'ai vu les photos), avec des
23
op. cit., p. 235.
cf. International Observer Project, op. cit., p. 108-109.
25
Ou Abu Ginem, baptisée en hébreu Har Humma.
24
12
dommages écologiques incalculables. Depuis le début de l'Intifada II, en septembre
2000, plus d'un million d'arbres palestiniens ont été détruits (64% des oliviers).
Les Palestiniens sont arrêtés aux barrages routiers. Souvent leurs bus ou taxis ne
vont pas au-delà. De l'autre côté, en territoire israélien, les taxis n'ont pas le droit de
véhiculer les Palestiniens des Territoires occupés, sous peine de 9 mois de prison
pour le chauffeur…
Les Accords de Madrid (1995) prévoyaient qu'Israël se retire de 95% des Territoires
occupés. Il n'en a rien été, et le territoire officiel de Jérusalem a été étendu de 6,5 à
71 km2, jusqu'à inclure Ramallah et Bethléem.
Qalqilya: Le Mur et ses conséquences
Le mur a 6-8 m. de haut, il est équipé de caméras de surveillance, et tous les 200 m.
se dresse un mirador de béton. D'ailleurs c'est frappant, cette mentalité de mirador,
cette séquelle du traumatisme des camps de la mort: barbelés, miradors, dérober
les opprimés de leurs biens, canarder des êtres humains, comme faisait un SS
commandant un camp dans le film "La liste de Schindler"…
Le but est clair: asphyxier, étrangler, broyer la population palestinienne, pour les
amener, quasi les forcer à partir. Mais, comme le démontrent abondamment tous les
témoignages que nous avons recueillis - et comme le confirme le livre "Le cri des
oliviers" - les Palestiniens sont attachés à leur terre, à leurs droits d'autochtones, et
ne vont pas quitter leur patrie. Ils veulent d'abord que justice leur soit rendue. Toute-s les témoins nous ont dit combien il est important que la communauté
internationale se mobilise à leurs côtés, en particulier les Européens.
Le tracé de ce mur ne suit pas la ligne verte, qui constituait la frontière depuis 1967:
les Palestiniens se voient dérober 105 km2 supplémentaires et 5,5 millions de m3
d'eau. 288'000 Palestiniens vont être exclus du contact régulier avec leurs
compatriotes. Le mur est doublé d'une route militaire, elle-même entourée d'une
"zone de sécurité". Nous avons visité plusieurs tronçons de mur, et de clôture là où,
en pleine campagne, il n'y a pas de mur. Le tout prend environ 100 m. de large:
d'abord un amas de barbelés de 6 m. de large, puis un fossé, puis une clôture
équipée de sensors donnant l'alarme dès qu'on la touche, puis une bande de deux
mètres de sable (destiné à lire les empreintes de pieds), puis la route militaire d'une
largeur de 6-7 m., et de l'autre côté encore une bande de sable, une clôture, le
fossé, les barbelés…
A Qalqilya, le mur fait une boucle autour de la ville (45 ou 47'000 habitants), la
coupant de ses trois banlieues. Il y a quatre portails dont deux restent fermés, les
deux autres n'ouvrant que deux fois 15 minutes par jour. A tout instant, Tsahal peut
fermer ce portail, et garder les Palestiniens enfermés pendant des jours. La ville
paraît presque déserte: 5 magasins sur 6 ont dû fermer. Le grand marché, qui se
tenait là où passe maintenant le mur, n'est plus qu'un souvenir. En plus du
commerce, les habitants de Qalqilya avaient deux ressources:
- le travail en dehors, en Israël; cette ressource est tarie: plus personne ne
passe.
13
-
Qalqilya était surnommée "the food basket": l'agriculture occupait une partie
de la plaine fertile qui s'étend du côté d'Israël jusqu'à la mer. Le mur coupe
une portion supplémentaire (en plus des terres cédées dans les accords de
paix), et fait passer 19 citernes du côté israélien. Les permis pour aller
cultiver les champs sont accordés au compte-gouttes, pour amener les
Palestiniens à les abandonner.
De l'autre côté du mur est situé Habla, un village dont les habitants allaient
journellement à Qalqilya à 3 km pour leurs achats, l'école, les soins de santé, etc.
Maintenant - nous en avons fait l'expérience en car - le voyage prend une heure, sur
25 ou 30 km de mauvais chemins et de routes tortueuses. A Habla, 60% de la
population est au chômage. Nous avons visité un Club de femmes magnifiquement
organisé: école, entraide, microcrédits, quinze projets (culture maraîchère, machines
à coudre, irrigation, pépinière, serres…).
Débat à Jérusalem-Est: Résistance!
Trois personnalités de premier plan sont venues témoigner devant notre délégation:
Jeff Halper, du Comité israélien contre la démolition des maisons, raconte le
schéma fréquent. Les soldats se présentent au domicile d'une famille palestinienne.
Question: Cette maison vous appartient-elle? Réponse: Oui. Réplique: Depuis
maintenant vous êtes expropriés sans compensation. Vous avez un quart d'heure
pour évacuer vos effets et vos meubles. Imaginez la panique! Quinze minutes après,
un bulldozer géant réduit la maison en ruines. Les traumatismes sont terribles…
D'après lui, la logique du gouvernement israélien est implacable: concentrer le
peuple palestinien sur 5% de leur territoire historique, dans 2-3 bantoustans (il nous
a montré une carte), et occuper, coloniser les autres 95%. Lui aussi, avec son
comité, résiste: "Nous sommes deux peuples, nous refusons d'être ennemis!"
Eileen Kuttab, professeure à l'Université Bir Zeit, directrice du Programme d'études
des femmes: Les martyrs sont toutes les victimes des persécutions, vexations,
emprisonnements, torture, pas seulement les 38'000 blessés (30% de handicapés à
vie) et les 3045 morts palestiniens de la seconde Intifada26, dont 19% d'enfants tués
sur le chemin de l'école. Depuis septembre 1998, 15'000 Palestiniens ont été
arrêtés, beaucoup détenus en cellule d'isolement, torturés, violés, privés de visites;
79 femmes sont en prison actuellement. 60% de la population vivent au-dessous de
la limite de la pauvreté, presque 50% sont au chômage.
Gila Svirsky, militante pour la paix israélienne, ancienne directrice de Bat Shalom27:
il ne suffit pas de parler du tort et des traitements infligés à la population occupée, il
faut aussi dénoncer le tort que nous nous faisons à nous-mêmes. La société
israélienne est malade. Les dépenses militaires pour perpétuer l'occupation ont un
coût social élevé. Le ministre de l'Intérieur, B. Netanyahou, a réduit les dépenses
pour les écoles, les hôpitaux, les personnes âgées, les retraites, l'assistance sociale.
Les droits civiques sont rabotés, la violence contre les femmes augmente, le
militarisme prospère. Au lieux d'offrir une orientation professionnelle, les écoles font
26
27
Du 28.IX.00 au 28.III.04, on compte au total 3'900 morts des deux côtés.
cf. p. 8.
14
venir des officiers recruteurs. La première victime est l'âme des jeunes. Gila Svirsky
participe depuis 16 ½ ans aux manifestations silencieuses régulières des femmes
pour la paix à Jérusalem, Haifa, Tel Aviv.
Font partie de la Coalition des femmes pour la paix, actuellement:
-
Bat Shalom
Machsom-Watch (vont aux barrages routiers et surveillent l'attitude que les
soldats affichent à l'égard des Palestiniens, interviennent au besoin)
NELED (pour la coexistence pacifique)
New Profile (soutient objection de conscience)
Journal féministe NOGA
Mouvement des femmes démocratiques pour Israël
WILPF (Section de la Ligue internationales des femmes pour la paix et la
liberté)
la Cinquième mère (résurgence du mouvement des quatre mères, qui
poussait à l'évacuation du Liban Sud)
Femmes en noir…
Il faut ajouter les refuznik, dont le nombre est encore limité, étant donné les
énormes pressions sociales, et le fait que le passage par l'armée est pour ainsi
dire obligatoire pour entrer dans la vie professionnelle. Les Unions chrétiennes
ont un programme pour replanter des oliviers28, qui sont soutenus par les UCF et
UCJG du monde entier.
Ramallah, et camp de réfugiés Al-Jalazoun
Nous passons à côté de la Banque palestinienne, à qui les soldat-e-s israéliens
ont confisqué récemment 9 millions de dollars, sous prétexte qu'ils étaient
d'origine illégale.
Nous arrivons à la Muqataa, le siège de l'autorité palestinienne: un champ de
ruines, avec plein de gravats. Deux édifices ont été reconstruits, nous grimpons
les escaliers, à chaque étage les fenêtres sont protégées par des pneus, des sas
et des tonneaux de sable. Le président de l'autorité palestinienne nous reçoit
dans un salon, nous offre Fanta, Coca Cola, Sprite. Il fait le baise-main aux
dames.
Yasser Arafat résume les exactions commises par Tsahal contre les
Palestiniens, rappelle qu'il est prisonnier dans son quartier-général depuis deux
ans, dénonce la destruction de lieux saints, y compris des églises, mentionne
l'utilisation par Tsahal d'uranium appauvri29, et fustige les soldats qui empêchent
les pèlerins d'arriver à destination, tant les chrétiens que les musulmans30. Il
scande à la fin de chaque abus: "can you imagine?". La présidente internationale
des UCF, Monica Zetzsche, répond à son discours. Il n'y a pas de débat. A noter
28
Olive Tree Campaign in Palestine, cf. [email protected]
Il ne nous a pas été possible de vérifier cette information.
30
Nous avons observé nous-mêmes que l'accès à l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem était très
limité le samedi et le dimanche de Pâques. On vient d'apprendre d'autre part que lde gouvernement
israélien n'avait pas renouvelé les permis de séjour d'un grand nombre de religieux en Terre Sainte.
29
15
que nous n'avons pas été fouillés ni priés de passer par un portail électronique.
Nous avons seulement dû laisser nos sacs au vestiaire.
Ce fut un grand privilège, l'après-midi, de rencontrer au siège des UCF de
Ramallah, Mme Hanan Ashrawi, une des Palestiniennes les plus célèbres pour
son engagement en faveur de la justice et de la paix. Elle est membre de
l'Organisme législatif palestinien, qui tient lieu de parlement, a longtemps
enseigné à l'Université Bir Zeit, a reçu plusieurs doctorats honoris causa. Elle
replace la situation des Palestiniens, qui se détériore continuellement, dans le
processus de mondialisation, marqué par le militarisme, l'attaque générale contre
l'autorité des lois internationales, des lois humanitaires en particulier, les méfaits
du fondamentalisme religieux en général. A ses yeux, le processus de paix et
l'édification de la nation doivent aller de pair. La situation palestinienne est
marquée par le dé-développement et une guerre effective. Les Palestiniens ne
jouissent d'aucune protection.
A son tour, elle souligne l'apport substantiel des femmes palestiniennes: lors des
négociations de paix à Oslo, à Charm-el-Cheikh et à Taba, seule la délégation
qu'elle présidait comptait des femmes: ni Israël, ni les autres pays arabes n'en
avaient nommé. Elle a aussi critiqué sur bien des points l'autorité palestinienne:
34 ministres, pour un si petit pays, c'est pléthorique, patriarcal, et l'unité de vues
fait défaut.
Les dommages psychologiques, les chrétiens menacés de disparition
Une autre femme remarquable, la professeure de l'Université hébraïque de
Jérusalem, Nadira Kevorkian, vient d'achever une étude sur les effets du mur et
des barrages routiers sur les étudiantes. Extraits.
Ne supportant pas les remarques grivoises des soldats, l'une d'elles s'est
défendue verbalement. ils se sont vengés en interdisant le passage non
seulement à elle, mais aussi à son frère aîné et à son père, qui ont aussi perdu
leur travail. Ceux-ci sont maintenant fâchés avec elle, et veulent la marier
bientôt…
Une autre ment à ses proches, et va à l'école sans informer sa famille. Une autre
encore, pour survivre dit-elle, va passer tous les jours un moment au centre des
UCF, où elle trouve une oreille amie. Citation: "Even our dreams live under
curfew (couvre-feu) and siege!" A quoi l'historien Albert Aghazerian, qui nous a
guidés dans la Vieille Ville de Jérusalem, répondrait: "Il y a deux choses dont les
Israéliens ne peuvent nous priver: du droit de rêver et du droit de raconter des
histoires!"
Plusieurs filles qui ont répondu à l'enquête, excédées, désespérées par les
vexations et les harcèlements sexuels, ont demandé où on peut s'adresser pour
se suicider avec une bombe…
Elle-même d'origine chrétienne, Mme Kevorkian s'inquiète de la diminution
constante des Palestiniens chrétiens. Ce n'est pas qu'ils soient pris entre deux
feux, comme d'aucuns essaient de faire croire. Ils s'entendent bien avec les
16
musulmans depuis des siècles. Mais ils sont Palestiniens et pour cette raison,
indésirables. En 1948, des localités comme Bethléem, Beit Sahour, Beit Jala,
comptaient jusqu'à 90-100% de chrétiens, maintenant ceux-ci ne sont plus
qu'une minorité. Les responsables des Eglises encouragent vivement les
chrétiens palestiniens à rester, mais l'attrait des bourses est très tentant.
Evaluation et engagement
En fin de séjour, lors de l'évaluation, les engagements des participante-s fusent:
- "life will prevail"
- "keeping hope alive!"
- "don't waver, be steadfast and consistent!"
Mise au point: le Mur est diabolique, mais le problème principal, c'est
l'occupation. Il est absolument primordial de présenter le point de vue
palestinien. Nous n'avons eu que trop de rapports "équilibrés".
Tous les membres de la délégation internationale, selon les échos que j'ai reçus
par Internet, s'engagent dans leurs pays respectifs pour cette cause, prennent la
parole dans les médias, soutiennent avec leurs sections nationales et locales la
campagne international "Olive tree is peace".
Liberté et dignité au Moyen-Orient
La résolution qui porte ce titre, adoptée par le Conseil international des UCF,
l'année dernière à Brisbane, demande à tous ses membres de s'engager pour:
- la fin de l'agression militaire israélienne et de l'occupation de la Palestine, du
Liban et de la Syrie
- l'arrêt total de la construction du Mur et de toutes les mesures illégales
- le retrait immédiat des troupes alliées d'Irak
- l'application de toutes les résolutions de l'ONU sur le Moyen-Orient
Post-scriptum: la manipulation du "retrait de Gaza"
Notre délégation était déjà en Jordanie lorsque le président Bush et le premier
ministre Sharon ont annoncé les mesures déjà évoquées31. Mustapha Barghouti,
président d'un important syndicat palestinien, explique ce qu'il faut penser de ce
retrait: "Sharon l'a dit très clairement: Gaza n'aura pas de connections avec le
monde extérieur, ni par le ciel, ni par mer, ni par la terre. Il veut garder une zone
qui encercle la bande de tous les côtés, ainsi que quatre colonies au Nord. La
surface qu'il entend garder correspond pratiquement à 40% de la surface de la
Bande de Gaza. Maintenant il détruit des maisons, surtout le long de la frontière
à Rafah, 5 à 6 maisons tous les jours. Il en a déjà démoli deux mille. Et les
soldats tirent sur quiconque essaie d'approcher ces zones. L'armée israélienne a
déjà tué 82 enfants âgés de moins de 16 ans qui essayaient de retourner là où
se trouvaient leurs maisons. Sérieusement, on ne peut pas appeler ça un retrait:
c'est un simple redéploiement pour se débarrasser de la responsabilité de 1,2
million de personnes, tout en les gardant prisonnières"32.
31
32
cf. p. 3.
in "Solidarités" No. 44, 27 avril 2004, p. 12-13.
17
Pour rester informé-e en permanence:
Des sites à choix
http://www.palestine-pmc.com/
http://www.palestinereport.org/
http://www.arabtimes.com/
http://www.hussamkhader.com/english/Default.htm
http://www.mada-research.org/
http://www.palsolidarity.org/
http://www.palsolidarity.org/pressreleases/PR_tomdied.php
http://www.fmep.org/
http://www.palestine-info.co.uk/am/publish/
http://www.electronicintifada.net/new.shtml
http://www.palestinechronicle.com/story.php?sid=20031027030806401
Médias internationaux:
http://www.vtjp.org/
http://www.indymedia.org/en/index.shtml
Programmes à soutenir
Sous le patronage de la FEPS, six œuvres d'entraide avaient lancé en 2002 un
appel urgent coordonné par PPP pour le secours aux victimes et pour la
reconstruction au Moyen Orient. Il reste toujours valable: CCP 30-36563-7 Appel
extraordinaire pour le Moyen Orient, 3011 Berne. Les UCF/UCJG (Horyzon), le
Service chrétien pour la paix et l'EPER peuvent préciser l'information sur leurs
programmes.
18
TABLE DES MATIERES
I.
PRISE DE POSITION
Introduction
p.2
Déformation de l'histoire
p.3
Rétablir les faits
p.4
La nécessaire révolution copernicienne
p.6
Le pouvoir s'auto-détruit
p.7
Quelques sources complémentaires: Sumaya Farhat-Naser
UCJG/UCF
Norman Finkelstein
II.
p.9
p.9
p.11
TÉMOIGNAGES DIRECTS
Rencontres à Jérusalem: le vol organisé de l'eau
le saccage de la végétation
p.12
Qalqilya: Le Mur et ses conséquences
p.13
Débat à Jérusalem-Est: Résistance!
p.14
Ramallah, et camp de réfugiés Al-Jalazoun
p.15
Les dommages psychologiques, les chrétiens menacés de disparition
p.16
Evaluation et engagement
p.17
Liberté et dignité au Moyen-Orient
p.17
Post-scriptum: la manœuvre du "retrait de Gaza"
p.17
Pour rester informé-e en permanence
p.18
Programmes à soutenir
p.18
19