LES JEUNES

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LES JEUNES
David Lescot
LES JEUNES
Mai 2010
1
LES SCHWARTZ, groupe de garçons :
Igor
Honoré
Jick
LES PINKETTES, groupe de filles :
Ouna
Louna
Lou
OFF (Voix)
TRAPIER
MÉGAPHONE (Voix)
EDOUARD (Voix)
UN HOMME
CHŒUR DE L’ADMINISTRATION DU COLLÈGE
CHŒUR DES FANATIQUES
CHŒUR DES PROCHES DE LOUNA
+ Petite Fille et son père, Vendeur de musique, Femmes enceintes, Ingé son,
Roadie, Parents, Spectateurs…
Les Schwartz et les Pinkettes sont joués par les trois mêmes actrices
(Jick joue Louna,
Honoré joue Ouna, Igor joue Lou).
Les autres personnages sont joués par les acteurs qui restent.
La musique est jouée pour de vrai.
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PRÉLUDE
Une petite fille dans un magasin de musique. Son père la tient par la main.
OFF : En matière de guitare électrique, vous avez deux catégories : la hollowbody
et la solidbody.
La hollowbody est ni plus ni moins qu’une guitare acoustique qu’on a amplifiée en
y ajoutant des micros.
C’est une guitare creuse.
Vide.
La solidbody est une planche ornée d’un manche de guitare. C’est une guitare sans
caisse.
Pleine.
Plate.
La première solidbody, construite dans les années 40 (1940…), a été surnommée
« la bûche ».
À l’origine les hollowbody ont été fabriquées et diffusées par la firme Gibson.
De leur côté les solidbody ont été popularisées par la firme Fender.
La petite fille et son père s’adressent à un vendeur. Celui-ci leur montre des
guitares. Des packs pour filles. Mais la petite fille veut une vraie guitare. On entend
faiblement leur dialogue sous la voix off : « — Non, pas un pack, pas un pack… —
… Sinon la Rock Candy Custom Red Star... — Non, non, pas une Daisy Rock… »,
etc.
OFF : Gibson/Fender.
Hollow/Solid.
Creuse/Plate.
Riche/Pauvre.
Urbaine/Rurale.
Les adeptes de Gibson ont reproché à ceux de Fender d’être des bouseux qui ne
connaissaient rien à la musique. Et c’est vrai que Léo Fender, le père fondateur,
avait de bonnes intuitions avec les aimants et les bobines de fil électrique, mais pas
grand-chose d’un luthier.
En face les sectateurs de Fender accusaient les Gibsoniens d’être des aristocrates
hautains et passéistes. Des dinosaures. Des momies.
Par la suite, voyant que certaines des vedettes qui lui servaient d’image de marque
passaient chez Fender, Gibson s’est mis à fabriquer des solidbody.
La petite fille commence à faire pas mal de bruit avec les différentes guitares
qu’elle essaie dans le magasin.
OFF : Pour autant la solidbody n’a pas fait disparaître la hollowbody. Elle a
simplement colonisé un espace plus vaste. Il faut croire qu’il y avait en elle un
principe démocratique. Lorsque tout le monde a voulu sa guitare, elle est devenue la
guitare de tout le monde.
Et c’est elle, la solidbody, qui a fini par incarner le rock quand il a arrêté de
s’appeler « n’ roll »,
c’est-à-dire quand il a prétendu s’occuper d’autre chose que de filles, de voitures et
de samedis soirs,
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ce qu’il n’aurait probablement jamais dû cesser de faire.
La hollowbody de son côté est restée la guitare de quelques uns, les élitistes, les
esthètes.
De fait, si vous êtes un virtuose de la guitare, vous jouerez indifféremment sur l’une
ou sur l’autre.
Mais si ce n’est pas le cas, et surtout si c’est vraiment très loin d’être le cas, mieux
vaut que vous jouiez sur une solidbody.
Pleine, sans caisse, la solidbody est moins sujette aux punitions sonores de type
larsen. Plus volontiers que sa rivale, elle s’associe à toutes sortes de pédales
d’effets.
La petite fille essaie maintenant des racks d’effets, produisant les sons les plus
variés.
OFF : La pédale d’effet est une boîte branchée entre la guitare et l’amplificateur, et
qui organise une sorte de petit accident électronique. Un accident contrôlé. Et cet
accident modifie le son de la guitare, le module, l’amplifie, le compresse, le
transpose, le distord, le sature, le soutient, l’écrête, l’écrase, le filtre, le creuse, le
dilate, le pervertit, le réfléchit, l’interrompt, le surtend, le préaccentue, le
désaccentue, l’intensifie, le désintensifie, l’échantillonne, le diffère, le renverse, le
redresse, le réinjecte, le réverbère, l’octavie…
La petite fille s’attarde particulièrement sur les overdive et les distorsions les plus
agressives.
OFF : On peut coupler les pédales, combiner leurs effets. Certains les utilisent pour
reproduire à l’identique le son de tel guitariste légendaire. D’autres pour s’inventer
un son original, inouï, personnel. La plupart des autres pour masquer leurs
insuffisances techniques, ou juste comme ça, parce que ça se fait.
Les pédales d’effet sont en nombre infini.
Les plus canoniques s’intitulent distortion, chorus, flanger, phaser, delay, volume,
fuzz, wah-wah…
Mais il existe aussi Cry Baby, Tremolo, Reptile, Cool Cat, Cooltron Snake, Bad
Horsies, Bad Monkeys, Little Alligator, Spindoctor, Doctor Q, Twin Boost, Liquid
Blues, Voodoo Vibe, Stereo Pulsar, Satchurator, Smolen Pickle, Double Trouble,
Psycho Flange, Hypnotic Flange, Sardine Can, Big Muff, Double Muff, Little Big
Muff, Micro Metal Muff, Pocket Metal Muff, Holy Grail, Holy Stain, Black Finger,
White Finger, Memory Man, Memory Boy, Memory Toy, Electric Mistress, Soul
Preacher, Enigma, Cathedral, Small Clone, Small Stone, Nano Clone, Stereo Clone,
Metal Zone, Crush Zone, Ring Thing, Wiggler, Blogger, Knock Out, Loop
Station, Corned Beef, Fish and Chips, Bacon n’Eggs, Wasabi, Chicken Salad,
Pastrami, French Toast, Pepperoni, Tuna Melt, T Bone, Grilled Cheese, Chili Dog,
Fab Tone, Surf and Turf, Black Coffee, Sitar Swami, Daddy O, Baby Slash, Hot
Head, Hot Rod, Road Rage, Hot Drive and Boost, Main Squeeze, Smart Gate, Rock
Bug, Red Repeat, Fat Burner, Mercer Box, Lava Box, Trinity, Turbo Rat, You
Dirty Rat, Double Back, Silver Dragon, Cyborg Reverb, Heart Attack, Nitro
Booster, Banshee, Metal Planet, Sonic Glory, The Pedal, Tsunami, Zombie,
Bluesbreaker, Jackhammer, Drive Master, Shred Master…
La petite fille joue si fort qu’elle recouvre la voix off.
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BERCÉS.
Il y a une femme enceinte.
IGOR : Quand je suis né mes parents étaient bien jeunes, bien bien jeunes pour
avoir un enfant. Ils ne connaissaient pas le monde de l’enfantement, l’instinct
maternel, la quiétude du noyau familial, et notamment aucune des berceuses qu’on
utilise traditionnellement pour endormir les nourrissons. Ce n’était pas leur univers.
Ils passaient encore leur temps à écouter de la musique des années 60 ou 70, la
musique des années où ils étaient nés, celle qu’écoutaient déjà leurs parents, et celle
que tout le monde continue d’écouter aujourd’hui. Si bien que, moi, Igor, dès mes
premier jours, du fond de mon berceau, j’ai fermé les yeux au son des seuls airs que
savaient fredonner mon père et ma mère. Et comme déjà les mêmes me parvenaient
dans leur version originale lors de ma gestation, on peut dire que ma plus tendre
enfance s’est déroulée aux sons de Led Zeppelin ou de Deep Purple.
Une mère endort son bébé. On entend « Smoke on the water » chanté comme une
berceuse :
« We all came out to Montreux,
On the lake Geneva shoreline.
To make records with a mobile,
We didn’t have much time.
But Frank Zappa and the Mothers
Were at the best place around,
But some stupid with a flare gun
Burned the place to the gun.
Smoke on the Water
And fire in the sky.
Smoke on the water… »
HONORÉ : Mon père et ma mère m’on fait très tôt, et donc ils n’étaient pas très
bien préparés à élever un enfant. Comment on l’habille, où est-ce qu’il faut
l’inscrire, ce que ça mange, ce qu’on lui chante pour qu’il dorme, tout ça, ça les
dépassait complètement. Eux, ils n’avaient pas de travail, ils passaient leur temps à
en chercher, et sinon à la maison ils vivaient un peu comme dans les années 70 ou
80, et en tout cas ils écoutaient la musique de cette époque-là. Du coup, mes
berceuses à moi, Honoré, ce que j’ai entendu tous les jours quand j’étais bébé, et
que j’entendais déjà quand j’étais un embryon, c’étaient des choses qui n’avaient
rien à voir, du genre Scorpions, Genesis, ou Queen.
Une mère endort son bébé. On entend « We will rock you » chanté comme une
berceuse :
« Buddy you’re a boy make a big noise
Playing in the street gonna be a big man some day
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You got mud on yo’ face
You big disgrace
Kickin’ you can all over the place
We will we will rock you
We will we will rock you… »
JICK : Quand je suis né mes vieux étaient encore des gamins, à mon avis ils avaient
pas fait exprès, ils étaient bien débordés, et ils voulaient continuer à vivre comme
avant, écouter leurs vieux disques, etc. Résultat, le soir ils savaient pas quoi me
chanter pour que j’arrête de brailler et que je pionce, et donc ils se cassaient pas
trop, ils me chantaient leur musique de babos ou de hardos, qu’on écoutait déjà
toute la journée à la maison, et que j’entendais déjà dans le ventre de ma mère,
quand j’étais un œuf.
Une mère endort son bébé. On entend « Highway to Hell » d’AC-DC chanté
comme une berceuse :
« Living easy, living free
Season ticket on a one-way ride
Asking nothing, leave me be
Taking everything in my stride
Don't need reason, don't need rhyme
Ain't nothing I would rather do
Going down, party time
My friends are gonna be there too
I'm on the highway to hell
Highway to hell
I’m on the Highway to hell
Highway to hell… »
OFF : En ce temps-là tout le monde veut être jeune. Et tout le monde veut être
comme les adolescents. Tout le monde veut être adolescent. Aux adolescents on
donne tout. On prête tout. On vend tout. Mais aux adolescents on prend tout. On
vole tout.
Les adultes veulent être comme les adolescents, vivre comme les adolescents, aimer
comme les adolescents, rester comme les adolescents.
Et les enfants veulent être comme les adolescents. Grandir comme les adolescents.
Aimer comme les adolescents. Boire comme les adolescents. Brûler comme les
adolescents. Mourir comme les adolescents. Et puis renaître et puis revivre comme
les adolescents.
Les trois berceuses se mêlent.
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RECRUTEMENT-FORMATION
OFF : Le mercredi les jeunes font des activités. Igor prend des cours de guitare
classique. Pour le Noël qui suit ses douze ans, il se fait offrir une solidbody à 149
Euros, La Squier Bullet Tremolo, réplique de la Fender Stratocaster, accompagnée
d’un ampli, un petit combo Storm à lampe, de 10 watts.
IGOR : Combien de watts. Ah 10 watts.
OFF : Dans la cour du collège il entend un type qu’il ne connaît pas, un type d’une
autre classe, dire « moi pour mon anniversaire j’ai demandé une batterie ».
JICK : J’ai demandé une batterie moi pour mon anniversaire.
OFF : Et un autre type lui demander s’il sait en jouer, de la batterie, et le premier
type répondre
JICK : Non mais quand j’en aurai une j’apprendrai à en jouer.
OFF : Alors Igor va lui parler, au type.
IGOR : C’est toi qui joues de la batterie ?
JICK : Non je sais pas en jouer en fait mais je vais en demander une pour mon
anniversaire et après en fait quand je l’aurai et ben je pourrai apprendre à
OFF : et caetera, et donc Igor lui demande comment il s’appelle.
JICK : Jick.
IGOR : Ah bon.
JICK : mais en fait je m’appelle Laurent.
OFF : Et Igor décide de ne pas trop chercher à savoir.
IGOR : Et ça te dirait de faire un groupe.
JICK : Un groupe de quoi ?
OFF : Mais Igor tient bon quand même il se dit qu’il mettra du temps de toute façon
à trouver quelqu’un d’autre et il préfère persévérer avec ce type-là.
IGOR : Il nous faut un bassiste maintenant.
JICK : Ah ouais.
OFF : Le problème du bassiste de douze ans, c’est que vous aurez beau le chercher
vous ne le trouverez pas. Par conséquent pour trouver un bassiste de douze ans la
meilleure méthode c’est de choisir un type de douze ans et de le convaincre de
devenir bassiste.
JICK : Dans ta classe y a des gars sympas ?
IGOR : Je sais pas je leur parle pas trop en fait.
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JICK : Moi dans ma classe y a un gars qui a l’air sympa.
IGOR : Eh ben voilà.
OFF : Le gars est sympa.
IGOR : Tu t’appelles Honoré…
OFF : Il est sympa mais alors il est très loin de tout ça.
HONORÉ : Mais en fait c’est quoi la basse ?
OFF : Et surtout il a des goûts musicaux catastrophiques.
HONORÉ : Genesis, Scorpions, Queen…
JICK : Oh la la.
IGOR : Oh putain.
OFF : Maintenant, si tu te mets à chercher le type idéal, ça peut prendre du temps.
IGOR : La basse c’est ce qui donne l’impression que le morceau avance. Quand il
n’y a pas de basse le morceau n’avance pas, tu as l’impression qu’il n’avance pas.
La basse c’est le moteur du morceau. Si le morceau était une voiture, la basse serait
le moteur.
JICK : Et la batterie alors ?
IGOR : La batterie ? Ça serait les roues.
HONORÉ : Et la guitare ?
IGOR : La guitare ça serait le volant.
HONORÉ : Et la voix ?
IGOR : La voix ça serait le conducteur.
JICK : J’aurais dit le klaxon moi.
HONORÉ : Et le public ça serait quoi ?
IGOR : Le public ça serait la route.
OFF : Alors Honoré accepte de sacrifier ses vœux initiaux au Père Noël et se fait
offrir une basse, une vieille Framus d’occasion, avec en prime un petit ampli
Gallien Krueger, d’occasion également.
HONORÉ : Black.
JICK : Black ?
HONORÉ : Oui. Black.
IGOR : Noir ?
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HONORÉ : Oui mais non : Black.
IGOR : Je trouve ça sec moi, Black.
HONORÉ : Black c’est sec ?
JICK : Tu préfères Noir.
IGOR : Largement.
HONORÉ : Noir.
JICK : Pourquoi pas Les Noirs ?
HONORÉ : Non on va pas s’appeler Les Noirs.
JICK : Les Blacks alors ?
IGOR : Non c’est pire.
HONORÉ : Black sans rien, si tu rajoutes « Les » c’est fini.
JICK : Schwartz.
IGOR : Hein ?
JICK : Schwartz.
IGOR : Schwartz.
JICK : Oui.
IGOR : Qu’est-ce que ça veut dire schwartz ?
JICK : Ca veut dire noir.
IGOR : Dans quelle langue.
JICK : En allemand.
HONORÉ : Tu fais allemand première langue ?
JICK : Oui.
HONORÉ : Oh mon pauvre mec.
JICK : Ta basse et ton ampli sont allemands.
HONORÉ : Non !
IGOR : The Schwartz ?
JICK : Schwartz tout seul.
HONORÉ : Les Schwartz.
IGOR : Votons. The Schwartz.
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JICK : Schwartz.
HONORÉ : Les Schwartz.
IGOR : Bon.
HONORÉ : Les Schwartz tout le monde comprend.
IGOR : The Schwartz je pense qu’ils comprendront aussi.
JICK : Sinon Schwartz moi j’ai dit ça comme ça on peut encore…
IGOR ET HONORÉ : Non non non c’est très bien Schwartz ça nous plaît c’est très
bien !
JICK: Ah bon ah bon moi j’ai dit ça comme ça.
IGOR : Allez. The Schwartz. Je vous en supplie.
JICK ET HONORÉ : Bon. D’accord.
OFF : Mais tout le monde les appellerait Les Schwartz, ou plus exactement Les
Chouarze.
IGOR : Tu laisses la première corde à vide, tu appuies huit fois dessus avec ton
pouce, tu mets ton doigt là, tu appuies huit fois dessus avec ton pouce, tu enlèves
ton doigt, tu appuies huit fois sur la première corde avec ton pouce, tu mets ton
doigt là, tu appuies huit fois sur la corde avec ton pouce, tu mets ton doigt là, tu
appuies quatre fois dessus avec ton pouce, tu mets ton doigt là, tu appuies quatre
fois dessus avec ton pouce, et tu recommences, tu enlèves ton doigt, là, tu appuies
huit fois sur la première corde avec…
HONORÉ : Doucement doucement doucement doucement…
JICK : Et baisse-toi aussi.
HONORÉ : Je n’ai pas le sens du rythme. Mes parents ne l’ont pas. Personne ne l’a
dans ma famille.
JICK ET HONORÉ : Mais si mais si tu l’as tu l’as !
HONORÉ : Y a bien d’autres bassistes.
JICK ET HONORÉ : Mais non justement non. Y en a pas !
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit, un deux trois quatre cinq
JICK : Un deux trois quatre, un deux trois quatre, un deux trois quatre cinq six sept
huit,
IGOR : Et tu recommences.
JICK et HONORÉ : un deux trois quatre cinq six sept huit, un deux trois quatre cinq
six sept huit,
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OFF : Et pendant un certain temps ils acceptent qu’Honoré compte à pleine voix
par-dessus les morceaux.
IGOR : Et nos références musicales s’arrêteront à l’année 1976.
JICK : Très bien. Après 76 fini. Décadence.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Et notre instrumentation se limitera au trio.
JICK : Le trio et c’est tout.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Guitare basse batterie.
JICK : Guitare basse batterie et c’est tout.
IGOR: Et voix.
JICK : Et voix et c’est tout.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Et nous n’utiliserons jamais que les sons qui sortent directement de nos
instruments.
JICK : Qu’est-ce à dire ?
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : À dire jamais de sons pré-enregistrés, jamais de synthétiseurs, jamais de
pitchage des notes au mixage.
JICK : Bravo. Pas d’artifice. Pas de maquillage.
IGOR : Et jamais nous n’utiliserons d’amplis multi-effets.
JICK : Jamais.
HONORÉ : Un deux trois quatre, un deux trois quatre.
JICK : Puisque ça n’existait pas en 1976.
IGOR : Et nous n’utiliserons de manière générale aucun instrument qui n’ait existé
antérieurement à notre terminus ad quem, à savoir, l’année 1976.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
JICK : Terminus 76. Cohérent.
IGOR : Et nous n’utiliserons que le son qui sort directement et purement de nos
instruments, sans l’altérer à l’aide d’aucun effet extérieur.
JICK : Le son pur.
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IGOR : Uniquement le son produit de manière pure et directe par nos instruments,
sans l’altérer par l’usage d’aucun effet extérieur.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
JICK : Pas d’utilisation de pédale d’effet.
IGOR : Pas de pédale d’effet.
JICK : Aucun effet extérieur.
IGOR : Pas de disto.
JICK : Le son produit de manière pure et directe.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Et pas de Muff Drive.
JICK : Pas de Muff Drive.
IGOR : De manière pure.
JICK : Et directe.
HONORÉ : Un deux trois quatre, un deux trois quatre.
IGOR : Et nous consacrerons tout le temps qui est le nôtre, hors de nos obligations,
à notre groupe et à notre musique.
JICK : Tout le temps qui est le nôtre.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Et nous n’aurons de cesse que d’œuvrer à l’amélioration et à l’excellence de
notre musique.
JICK : Bien dit.
IGOR : Et tout notre temps et tous nos efforts nous les consacrerons sans exception
à notre musique.
JICK : Tout notre temps.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Et nous ne laisserons jamais rien ni personne interférer dans la conduite et
la direction que nous avons choisi de donner à notre musique.
JICK : Jamais rien ni personne.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Et nous ne laisserons en aucun cas notre musique se dénaturer au nom de
motifs extérieurs de type commercial, publicitaire, médiatique, ou démagogique.
JICK : Disons-le.
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IGOR : Et nous maintiendrons dans une sphère extérieure à nous tout élément de
type femelle qui envisagerait de côtoyer nos personnes dans le temps où nous
devons nous consacrer exclusivement à notre groupe et à sa musique.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
JICK : Pas de femelles.
IGOR : Et dans le temps de l’existence de notre groupe nous refuserons tout contact
avec le moindre élément de type femelle.
JICK : Pas de femelles. Pas de contact.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Et nous saurons résister aux tentations que les jeunes donzelles agitent
devant les membres faillibles des groupes de musique pour les affaiblir et saper
l’intégrité de leur vocation musicale.
JICK : Nous saurons. Nous résisterons.
HONORÉ : Un deux trois quatre, un deux trois quatre.
JICK : Tu es à l’envers Honoré.
IGOR : Et aussi longtemps que vivra notre groupe et aussi longtemps que vivra
notre musique nous bannirons de nos vies la présence des jeunes donzelles.
JICK : Hors de nos vies. Tu es à l’envers.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Et nous choisirons la musique contre l’amour et nous choisirons la musique
contre tout, et l’amour n’entravera pas notre musique, et l’amour de la musique sera
pour nous tout l’amour, et tout autre amour que celui de la musique sera chassé de
nous, et l’amour sentimental, l’amour charnel, l’amour buccal, l’amour romantique,
le rêve d’amour, tout cet amourŔlà dans sa réalité sera chassé de nous, et n’aura
comme destination que d’être entonné dans nos morceaux et exprimé dans notre
musique, poussé à sa quintessence, élaboré, mis en art, transfiguré en mélodie, mais
refusé dans sa forme brute, réelle et physique, toujours chanté mais jamais vécu.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
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PINKETTES.
Répétition du groupe de filles Les Pinkettes.
Elles jouent dépressivement, cacophoniquement, et approximativement.
OUNA : Je viens d’une très bonne famille, très bourgeoise mais très éclairée,
progressiste mais responsable, attentive au bien-être de ses enfants comme à ses
capacités de critique et d’indignation, soucieuse à parts égales de leur confort et de
leur émancipation. Mes parents m’ont élevée dans les règles de l’art, en ne me
sacrifiant jamais ni à leur activité professionnelle ni à la préservation de leurs
intérêts égoïstes, ni à leurs angoisses. Ils ont veillé à ce que jamais n’éclate en ma
présence le moindre de leurs conflits, au point que j’en viens à douter que leur
relation puisse être le moins du monde conflictuelle. Ils m’ont accordé temps et
patience, ne m’ont vêtue que d’habits neufs et à ma taille, m’ont chanté les
berceuses adéquates, non pas celles que l’on fredonne parce qu’on n’en connaît pas
d’autres, mais cherchant jusqu’à ce qu’ils la trouvent, parmi l’infinité éternelle du
répertoire mondial enfantin, celle qui serait la plus à même de m’endormir.
OFF : A la claire fontaine, m’en allant promener
J’ai trouvé l’eau si claire que je m’y suis baignée
Il y a longtemps que je t’aime jamais je ne t’oublierai… etc.
LOU : Je ne me souviens pas de ce que me chantaient mes parents pour
m’endormir, je pourrais leur demander mais je suis sûr que si je leur demandais, ils
ne s’en souviendraient pas non plus. Je serais d’ailleurs curieuse de le savoir, ce
qu’ils me chantaient la nuit, parce qu’ils ne sont pas du genre à chanter des choses
calmes pour que la pression tombe et qu’on s’endorme.
OFF : Une chanson douce que me chantait ma maman
En suçant mon pouce j’écoutais en m’endormant.
Cette chanson douce je veux la chanter pour toi.
Car ta peau est douce comme la mousse des bois… etc.
LOUNA : Ce que je sais, c’est que mes parents ne me chantaient rien du tout pour
m’endormir, et ce que je sais aussi c’est que la nuit je ne dormais pas, je restais dans
le noir, en terreur, et je sentais parfois que derrière la porte il n’y avait personne,
que l’un et l’autre étaient sortis, m’avaient laissée, étaient ailleurs, et peut-être pas
ensemble. Si bien que la nuit est restée pour moi le temps de tout sauf du sommeil.
OFF : Duerme duerme negrito
Que tu mama esta en el campo
Traba traer en el campo para ti
Traba traer en el campo para ti.
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Y si el niño no duerme
Viene el grande negro y « Zaz ! », etc.
EN STUDIO
OFF : Et les Schwartz claquent leur argent de poche dans des studios
d’enregistrement qui sentent la sueur.
L’INGÉ SON : Je te mets des SM 58 là tu veux ?
HONORÉ : Euh. Oui.
OFF : Des studios à 17 Euros de l’heure dans lesquels ils passent tout leur temps.
L’INGÉ SON : T’en veux combien là ?
HONORÉ : Euh ben trois.
OFF : … Les jours sans école,
L’INGÉ SON : Je vais pas avoir trois SM 58 là.
HONORÉ : Bon ben.
OFF : … ou en sortant de l’école,
L’INGÉ SON : Je peux te mettre deux SM 58 et un SM 86.
OFF : … ou au lieu d’aller à l’école.
HONORÉ : Bon ben d’accord.
OFF : Et les Pinkettes claquent leur argent de poche pour la même chose.
JICK : Ben mets carrément trois SM 86 alors.
L’INGÉ SON : Ben non j’en ai qu’un, de SM 86.
IGOR : Ben toi t’en as pas besoin toi.
JICK : Ben si j’en veux un moi.
OFF : Et comme par hasard c’est souvent le même studio.
IGOR : Ben alors prends le SM 86 et nous on prend les SM 58.
JICK : Bon ben d’accord alors.
OFF : Si bien que les Schwartz et les Pinkettes passent la plupart de leur temps au
même endroit.
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HONORÉ : Et votre groupe il s’appelle les Pinkettes c’est ça.
LOUNA : Ouais.
HONORÉ : Et vous venez souvent ici.
OFF : Se croisent dans le même couloir.
LOUNA : Ouais.
HONORÉ : Et toi t’es la chanteuse c’est ça.
LOUNA : Ouais.
HONORÉ : Et vous êtes trois c’est ça.
LOUNA : Ouais.
OFF : S’assoient sur la même banquette éventrée.
LOUNA : C’est ça.
HONORÉ : Nous aussi on est trois.
LOUNA : Ah ouais.
HONORÉ : Ouais.
OFF : Tapent sur les mêmes grosses caisses. Eventrées aussi.
HONORÉ : Et c’est toi qui fais les morceaux.
LOUNA : Non.
OFF : Grillent les dernières lampes des mêmes amplis.
HONORÉ : C’est qui, qui fait les morceaux ?
LOUNA : C’est personne.
OFF : Et les Schwartz répètent avec acharnement, et procèdent avec méthode. Un
morceau par séance, jamais plus, mais jamais moins. Basse batterie, pendant une
heure, en boucle, jusqu’à ce que ça devienne organique, jusqu’à ce que ça ne bouge
plus, puis basse batterie guitare, pendant une heure encore, et puis la voix pardessus tout ça pendant une dernière heure.
JICK : Et toi t’es batteuse c’est ça ?
LOU : Ouais.
JICK : Ah ouais.
LOU : Ben ouais.
JICK : Ben moi aussi je suis batteur.
LOU : …
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JICK : Et euh. Tu joues sur quoi comme cymbales ?
LOU : … ?
JICK : Hein… ?
LOU : … Comme cymbales.
JICK : Ouais…
LOU : … je sais pas moi…
OFF : Une séance, un morceau, trois heures, 51 Euros, si bien qu’au bout de
quelques mois les Schwartz ont accumulé un répertoire pléthorique d’environ
soixante-dix chansons.
OUNA : C’est toi qui chante dans le groupe qui répète dans le studio d’à côté ?
IGOR : Ouais pourquoi ça te dérange ?
OUNA : Non pourquoi ça me dérangerait j’en ai rien à foutre moi.
IGOR : Ben alors si t’en as rien à foutre pourquoi tu viens prendre des
renseignements ?
OUNA : Mais c’est pas des renseignements j’avais parié avec mes copines que
c’était une fille qui chantait.
IGOR : Ah ouais.
OUNA : Ben ouais et je suis trop dégoûtée parce que j’ai perdu.
IGOR : Eh ben c’est dommage pour toi en même temps quand on n’a pas d’oreille
faut pas parier.
OUNA : Non mais je le sais en plus que les garçons prépubères ont des voix de
pisseuses mais quand Lou notre batteuse a dit « c’est quoi ces cris de meuf à côté
elle mouille ou quoi » j’ai quand même eu un doute.
IGOR : En fait moi je viens plutôt ici pour répéter que pour discuter tu vois alors je
vais retourner répéter et puis je vais te laisser discuter avec le mur.
OUNA : Et moi je suis pas sûre que je perdes au change.
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CONCESSION
Les Schwartz regardent des vidéos de groupes de rock.
IGOR : Mon ersatz de strato est indigne de moi.
JICK : Fièrement dit.
IGOR : Ils ont sorti une réplique de Blackie.
JICK : Alléchant.
HONORÉ : Qui c’est Blackie ?
IGOR : Avec les pètes authentiques sur la peinture et les vraies traces de brûlures de
cigarette.
JICK : Irrésistible.
IGOR : Mais inaccessible.
JICK : Pécuniairement parlant.
IGOR : Dans l’intervalle j’ambitionne une American Standard.
JICK : Judicieux.
IGOR : Couplée à un Princetone reverb à lampes.
JICK : Qui se ressemble s’assemble.
IGOR : Il faut travailler l’attitude.
JICK : Je vais commencer le gig en tapant debout sur la caisse claire. Ca donnera un
côté tribal.
HONORÉ : Dans tous les journaux de rock je lis sans arrêt cette expression « des
riffs sanglants », « des riffs sanglants », c’est quoi « des riffs sanglants » ?
JICK : C’est des riffs saignants quoi.
HONORÉ : Ils disent « des riffs sanglants » ou « des riffs sanguinolents »…
JICK : Ben oui c’est ça.
IGOR : C’est des riffs qui tuent.
HONORÉ : Pourquoi on n’en fait pas nous ?
JICK : Faut demander à Igor.
HONORÉ : Des riffs sanglants ?
IGOR : On en fait.
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HONORÉ : Vraiment ?
JICK : Les riffs sanglants c’est le boulot de la guitare, débrouillez-vous entre vous.
HONORÉ : Je ne suis pas sûr que tes riffs soient sanglants moi.
IGOR : Alors tu sais ce que c’est ou tu sais pas ?
HONORÉ : Je ne sais pas ce que c’est mais je crois que je sens ce que c’est.
IGOR : Tu as bien progressé toi. Tu sens les choses maintenant.
HONORÉ : Et je sens que tes riffs ne sont pas sanglants.
IGOR : Pas sanglants ?
Igor empoigne sa guitare et envoie un riff.
IGOR : Pas sanglant ça ?
HONORÉ : Ce n’est pas ce que j’appelle sanglant.
IGOR : Jick ?
Il rejoue le riff.
IGOR : Tu ne trouves pas ça bien sanguinolent ? Ce riff ?
JICK : C’est impétueux. Mais ce n’est pas sanguinolent.
IGOR : Vous devenez très pointus et très difficiles en matière de musique
saignante. Et pourquoi est-ce que vous ne le trouvez pas sanglant ce riff ?
Il le rejoue.
JICK : Il manque quelque chose.
HONORÉ : Il manque quelque chose.
IGOR : Qu’est-ce qu’il manque ?
JICK ET HONORÉ : Une pédale.
IGOR : Nous avons signé un contrat. Vous avez prononcé avec moi les mots du
dogme.
JICK ET HONORÉ : Bien sûr Igor. Et tant pis si nos riffs ne sont pas sanglants. Du
moment qu’on respecte le dogme.
IGOR : Et selon vous quel genre de pédale, si tant est qu’elle existe, rendrait ce riff
plus sanguinolent ?
JICK ET HONORÉ : La Little Big Muff.
IGOR : Je vois que vous êtes bien renseignés. Rien ne m’oblige à céder à cette
compromission. Un contrat c’est un contrat. Mais puisque vous me mettez en
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minorité, c’est entendu, je suis démocrate, j’essaierai cette petite grosse Muff à
l’occasion, dès que nous aurons trouvé le moyen de nous en procurer une.
HONORÉ : Alors essaie-là tout de suite.
JICK : Nous avons trouvé le moyen de nous en procurer une.
Honoré présente la pédale à Igor.
IGOR : Malhonnêtes. Versatiles. Putschistes.
Igor envoie le riff avec la pédale.
IGOR : Est-ce que maintenant ce riff est assez sanglant à votre goût ?
JICK ET HONORÉ : Il l’est il l’est. Voilà ce qu’on appelle un riff sanglant.
Maintenant ça saigne, ça coule, c’est rouge, ça gicle, ça gicle loin, ça gicle partout,
et ça coagule, c’est sanguinaire, c’est pompé par les ventricules, c’est du rock
hématologique, c’est de la symphonie globulaire, c’est de la vraie musique de
rouquin !
OFF : Et les Schwartz commencent à se faire les dents en se produisant dans leurs
propres fêtes, puis dans les fêtes des autres, puis dans les fêtes de l’école, puis dans
un ou deux cafés de leur quartier, le samedi en fin d’après-midi.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Viens ma belle c’est l’heure de la fuite
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Je t’enlèverais bien oh viens vite
HONORÉ : Un deux trois quatre
IGOR : On va s’ébattre
HONORÉ : Un deux trois quatre
IGOR : Je t’idolâtre
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Viens par là ma belle viens tout de suite
OFF : Et pour les Pinkettes la même chose, bien que leurs prestations ne contribuent
pas à instaurer une atmosphère qu’on pourrait qualifier de festive.
Toujours est-il que les Schwartz et les Pinkettes multiplient les occasions de se
croiser les uns les autres, de se voir les uns les autres et de s’écouter les uns les
autres.
Occasions non saisies par les Pinkettes qui s’arrangent pour ne jamais écouter
personne, mais saisies à maintes reprises par les Schwartz que l’esprit de
compétition pousse à aller écouter tout le monde.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit.
IGOR : Viens ma belle c’est l’heure de la fuite
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Je te promets je m’achète une conduite
HONORÉ : Un deux trois quatre
IGOR : Lâche ton bellâtre
HONORÉ : Un deux trois quatre
IGOR : Il est verdâtre
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HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Arrête de faire ta carmélite
CONTRE LES FILLES.
JICK : Les Pinkettes me font penser à des amazones.
HONORÉ : Elles sont tristes. Elles sont très tristes.
JICK : Et en même temps elles sont violentes.
HONORÉ : Tu as vu Igor la tristesse qu’elles dégagent. C’est impressionnant cette
tristesse.
JICK : Elles sont violentes comme des amazones. Les amazones sont très violentes.
Elles font la guerre à tout.
HONORÉ : Je ne sais pas trop quoi penser de cette tristesse.
JICK : Ca se ressent dans leur musique. Tu as entendu leur musique. Hein Igor.
HONORÉ : Une musique très triste. Pas inintéressante d’ailleurs.
JICK et HONORÉ : Hein Igor ?
IGOR : …
JICK ET HONORÉ : Qu’est-ce qui t’arrive Igor ?
IGOR : Les Pinkettes. Je vais vous dire. C’est rien, les Pinkettes c’est rien du tout,
c’est juste des petites filles, et ce qu’elles font c’est rien, c’est des petites filles et
même je vais vous dire c’est des petites putes les Pinkettes, et c’est pas de la
musique ce qu’elles font, c’est de la puterie, et c’est de la puterie de petites putes, et
c’est tout ce que vous voulez mais c’est pas de la musique, vous trouvez que c’est
de la musique ce qu’elles font les Pinkettes ? vous trouvez que c’est de la musique ?
mais elles savent pas jouer, elles savent pas, elles font n’importe quoi, elles
prennent leurs instruments et elles tapent dessus, en faisant des gueules, c’est ça
leur idée de la musique, elles ont aucune idée de la musique, nous on pense à la
musique, on a une idée de la musique, on a envie de faire avancer la musique, mais
elles c’est pas ça, elles elles en ont rien à foutre de la musique, tout ce qu’elles
veulent c’est faire leurs gueules devant les gens, elles disent qu’elles font de la
musique tu parles, y en a pas une qui sait jouer, elles connaissent pas la musique,
elles en écoutent même pas, tout ce qu’elles savent faire, c’est arriver devant les
gens et avoir l’air glauque, avec leurs cheveux dans la gueule, en tapant sur des
instruments pour faire du bruit, elles ont vu que tout le monde faisait ça, elles ont
demandé à leurs parents de leur payer des guitares, des basses, elles savent pas s’en
servir, elles ont même pas remarqué combien de cordes y avait dessus, c’est pas
leur problème, de toute façon elles savent juste donner des coups dedans, avec leurs
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petites pattes de putes, elles croient que ça impressionne les gens et elles croient
qu’on a le droit d’appeler ça de la musique, mais quand on fait vraiment de la
musique, et qu’on trouve que la musique c’est important, et qu’on essaie de
réfléchir dessus, et qu’on voit ça, mais on est complètement dégoûté, parce qu’en
plus les gens, ils connaissent pas tous bien la musique, donc ils voient pas toujours
forcément la différence, et donc tout notre travail sur la musique ça sert à rien parce
qu’elles foutent tout en l’air, les gens ils voient ça, ils voient des petits jeunes qui
font de la musique, ils disent : Ah oui oui c’est bien les jeunes, ils jouent bien dis
donc, pour leur âge, et ils voient les Pinkettes, et c’est pareil : Ah oui dis donc
formidable, dis donc les filles, chapeau, elles jouent bien ces filles-là, et voilà, et
donc elles détruisent tout ce qu’on a construit, elles font du mal, elles nous mènent
la guerre, tous les jours elles nous mènent la guerre en fait, et elles mènent la guerre
contre la musique, contre la vraie musique, parce que tout ce qui les intéresse c’est
la mort, avec leurs gueules glauques, elles puent la mort ces filles, et donc elles
veulent que tout soit mort, que tout le monde soit mort, ensemble, et surtout que
nous, et notre musique, on soit morts aussi, que les gens qui font de la vraie
musique meurent, disparaissent, et que la musique meure, que tout ça meure, et que
ça soit remplacée par leurs gueules de merde et leurs spectacles de putes…
À mesure, les Schwartz deviennent les Pinkettes…
SE COUPENT
Les Pinkettes jouent. Fort. Et mal.
OUNA à la basse : C’est pas assez fort.
LOU à la batterie : Quoi ?
OUNA : C’est pas assez fort !
LOU : Ah bon ?
OUNA : Joue plus fort.
LOU : Quoi ?
OUNA : Joue plus fort ! Tape plus fort !
LOU : Pour quoi faire ?
OUNA : On t’entend pas !
LOU : Joue moins fort toi !
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OUNA : Non, toi joue plus fort !
LOU : D’accord !
Lou joue plus fort.
OUNA : Chante, Louna !
LOUNA à la guitare : …
OUNA : Louna ! Chante !
LOUNA :…
LOU : Je l’entends pas !
OUNA : On t’entend pas !
LOU : Je t’entends toi Ouna mais j’entends pas Louna !
OUNA : Et joue plus fort, déjà !
Louna joue plus fort.
LOU : Là, je t’entends Louna !
OUNA : Et maintenant chante Louna !
LOUNA : Mais y a pas de paroles !!
OUNA : Mais tu t’en fous ! Chante !
LOUNA : Mais y a pas de paroles !!
LOU : Mais chante !
LOUNA : Mais y a pas de paroles !
OUNA : Chante n’importe quoi !
LOU : Chante ma chérie !
Louna se met à pleurer dans le micro.
LOU : Et voilà ! C’est gagné ! Elle chiale maintenant !
OUNA : C’est parfait ! Chiale ! T’arrête pas ! Mais chiale fort !
Louna pleure de plus en plus fort sur la musique.
OUNA : Crie !
Louna pleure de plus en plus fort.
OUNA : Hurle !
LOU : C’est original !
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OUNA : C’est frais !
Louna se met à saigner des mains.
LOU : Oh la la mais Louna qu’est-ce qui t’arrive ?
Louna pleure de plus en plus tout en continuant à saigner des mains.
OUNA : Mais qu’est-ce que t’as ? Qu’est-ce que c’est ?
LOU : Aaaaaahhhhh !!!
OUNA : Mais qu’est-ce que t’as ? Tu saignes comme un bœuf Louna !
LOU : Aaaaaahhhhhh !!!!
OUNA : T’as les mains en sang !
Ouna et Lou s’arrêtent de jouer, Louna continue.
OUNA : Mais arrête de chialer comme ça ! Tu saignes !
LOU : Mais elle saigne ! C’est pour ça qu’elle chiale !
OUNA : Qu’est-ce que t’as fait, connasse, pourquoi tu saignes comme ça ?
LOU : Aaaaaahhhhh !!!!
OUNA : Qu’est-ce que t’as ? Qu’est-ce que t’as fait ??
LOUNA : J’ai aiguisé les cordes de ma gratte.
OUNA : Quoi ???
LOUNA : J’ai aiguisé mes cordes je te dis !
LOU : Aaaaahhhh !!!!
OUNA : Oh ta gueule toi !!
LOU : Aaaahhhhh !!!!
OUNA : Mais pourquoi ? Comment ça t’as « aiguisé les cordes de ta gratte » ??
LOU : Elle saigne !! Ca va s’infecter !!
LOUNA : Je les ai frottées avec une pierre à aiguiser, voilà !
LOU : Mais arrête de jouer au moins ! Tu vas te vider de ton sang !
LOUNA : Mais non je m’en fous !
OUNA : Mais pourquoi t’as fait ça ??
LOUNA : Mais je sais pas !!
LOU : Mais arrêêêêêêêête !!
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OUNA : Ta gueule toi !!!
LOUNA : Je voulais voir si ça faisait un son spécial.
OUNA : Mais quelle connasse !
LOUNA : Je voulais voir si ça faisait un son plus aigu.
OUNA : Mais quelle connasse !
LOUNA : J’aime pas le son de ma gratte.
OUNA : Mais quelle connasse !
LOU : Aaaaaahhhhhh !!!
OUNA : Voilà c’est l’autre qui chiale maintenant !
LOU : Aaaaaahhhhhh !!!
OUNA : C’est bon arrête maintenant Louna !
LOU : Aaaaaahhhhhh !!!
OUNA : Arrête c’est bon Louna maintenant !
LOU : Aaaaaahhhhhh !!!
OUNA : Louna c’est bon maintenant arrête !
LOU : Aaaaaahhhhhh !!!
OUNA : Maintenant c’est bon arrête Louna !
LOU : Aaaaaahhhhhh !!!
OUNA : Arrête maintenant Louna c’est bon !
TRAPIER
À la fin du morceau des Pinkettes.
TRAPIER : Où est-ce que vous avez appris à jouer comme ça ? Où ? Où est-ce que
vous avez appris à jouer comme ça ?
LOU : On n’a jamais appris.
TRAPIER : Quel âge vous avez ?
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OUNA : Beaucoup moins de seize.
LOUNA : On n’a pas la majorité sexuelle.
TRAPIER : C’est d’aujourd’hui ce que vous faites. C’est. Contemporain.
LOUNA : On joue comme des daubes.
OUNA : On sait pas jouer.
LOU : On le sait qu’on sait pas jouer.
TRAPIER : Vous êtes intéressantes.
OUNA : On veut pas être intéressantes nous. On veut que les gens s’emmerdent à
nos concerts.
LOUNA : On veut que ça les foute en colère tellement c’est nul.
TRAPIER : Eh bien c’est intéressant ça.
OUNA : Dommage.
TRAPIER : Seulement ça se travaille.
LOU : Non mais nous on travaille pas.
TRAPIER : Ce n’est pas forcément vous qui devez y travailler.
LOU : Vous voulez travailler pour nous ?
LOUNA : Vous voulez nous maquereauter ?
TRAPIER : Je vous trouve intéressantes.
OUNA : On n’a besoin de personnes. On veut juste que ça rate.
TRAPIER : Ca pourrait rater beaucoup plus.
LOU : Vous vous y connaissez en ratages.
TRAPIER : J’ai une certaine expérience en la matière.
OUNA : On est très dark, on veut rester dark.
TRAPIER : Faites-moi confiance je n’ai pas l’intention de vous rendre moins dark.
Bien au contraire.
OUNA : Vous pouvez nous trouver des plans pourris ?
TRAPIER : Ce sera tellement pourri que vous n’oserez même pas appeler ça des
plans.
LOUNA : On est en train de se faire maquereauter par un pervers qui nous promet
des plans pourris.
OUNA : C’est tentant.
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TRAPIER : Ne vous inquiétez pas comme ça. J’irai voir vos parents.
LOU : Ah oui ?
TRAPIER : Je les convaincrai. Je les rassurerai. Pour vous ce sera plus tranquille.
OUNA : Ils sont déjà très rassurés.
LOUNA : Et on n’aime pas être tranquilles.
OUNA : Faites-le ou ne le faites pas. Pour nous c’est pareil.
LOUNA : N’importe comment ils s’en foutent.
À mesure, les Pinkettes sont devenues les Schwartz.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept.
IGOR : Tout ce qu’on a tout ce qu’on achète
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept
IGOR : On s’en sert et puis on le jette
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept
IGOR : Ca finit aux oubliettes
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept
IGOR : Les objets comme les minettes.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept
IGOR : Faut protéger la moquette
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept
IGOR : Mauvais temps pour les poètes
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept
IGOR : Mais je me suis fait une retraite
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq six sept
IGOR : À la taille de ta silhouette
À la fin du morceau des Schwartz.
TRAPIER : Où est-ce que vous appris à jouer comme ça ? C’est incroyable de jouer
comme ça. À votre âge. Quel âge vous avez ?
JICK : Douze.
IGOR : Douze.
HONORÉ : Douze.
TRAPIER : Douze. Incroyable. Quelle claque. C’est tellement. C’est tellement
moderne. Tellement d’aujourd’hui.
IGOR : Pourtant nous on essaie d’être vintage.
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HONORÉ : On croyait qu’on était vintage.
TRAPIER : Vintage. Oui vous êtes vintage. Seulement être vintage aujourd’hui à
douze ans c’est ça qui est moderne.
JICK : Merci…
TRAPIER : C’est vos compos ? C’est vous qui composez ? Vous composez ? C’est
vos compos ?
IGOR : Y a pas mal de compos.
JICK : Et puis y a des reprises.
HONORÉ : Vous avez pas reconnu les reprises ?
TRAPIER : C’est bien les compos.
JICK : La dernière qu’on a jouée, là, c’est contre la société de consommation.
TRAPIER : Faut faire des compos. C’est rien qu’à vous. Mais faut bien les
protéger. Faut pas se les faire piquer.
JICK : Pour l’instant personne n’a essayé de nous piquer nos compos.
TRAPIER : Faut bien protéger ses compos. Et puis faut bien se protéger tout court.
IGOR : On se protège.
TRAPIER : Je m’appelle Trapier.
JICK : Salut.
TRAPIER : Je dis que vous pouvez faire très mal. Viser très haut et faire très mal.
Ca vous dirait de viser très haut ?
HONORÉ : Viser très haut.
JICK : Et faire très mal. Moi ça me dirait.
IGOR : A condition de ne rien changer à notre musique.
TRAPIER : Bien entendu. C’est votre musique qui est intéressante. Qui est le leader
de ce groupe ?
JICK : C’est Igor.
HONORÉ : C’est Igor.
IGOR : Y a pas vraiment de leader.
JICK : Vous êtes manager ?
TRAPIER : Je protège un certain nombre de groupes. Ceux qui le méritent. On ne
peut pas se protéger tout seul.
IGOR : Vous pouvez nous trouver des plans ?
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TRAPIER : Des plans. Au-delà d’une certaine échelle on n’appelle plus ça des
plans.
HONORÉ : Et nos parents. Nos mères.
JICK : Faudra les mettre au courant.
HONORÉ : Faudra leur demander leur avis.
JICK : Si vraiment on vise si haut.
HONORÉ : Ca va changer un certain nombre de choses.
JICK : Dans nos vies.
TRAPIER : Mais vous avez envie d’engager vos vies dans ce genre de
changements.
JICK : C’est sûr.
HONORÉ : C’est sûr.
IGOR : Faut voir.
JICK : Mais faudra prévenir nos parents.
HONORÉ : Nos mères surtout.
TRAPIER : Oh c’est prévu. C’est prévu.
Chez la mère d’Honoré.
LA MÈRE D’HONORÉ : Je ne sais pas.
TRAPIER à la mère d’Honoré : Ils sont jeunes et ils ont besoin de protection et
vous ne pourrez pas les protéger vous-mêmes, et lorsque je les ai découverts c’était
dans un lieu sordide et mal famé, et vous n’étiez pas là, et aucun de leurs parents
n’était là, et ils vous diront de moins en moins les lieux borgnes où ils se produisent
et ce seront des lieux de moins en moins appropriés et de plus en plus périlleux, et à
mesure que diminuera votre méfiance grandiront pour eux les dangers, mais moi
pour vous je veillerai sur eux et je leur éviterai les pièges et les décisions aveugles
et ma protection sera garante de leur innocence et ma responsabilité sera garante de
leur sûreté car je les accompagnerai partout et jour et nuit à travers moi vous saurez
où ils se trouvent, tandis que sans moi ils apprendraient bientôt à vous échapper
pour se jeter les yeux fermés dans les bras des tentations les plus néfastes.
LA MÈRE D’HONORÉ : Oui mais je ne sais pas mon fils Honoré quand même il
est…
Les Pinkettes commencent à jouer.
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Chez la mère de Jick.
LA MÈRE DE JICK : Je ne sais pas. Mon fils c’est encore un…
TRAPIER à la mère de Jick : Alors il vaudrait mieux lui ordonner d’arrêter cela
tout de suite et de reprendre le chemin des activités et des comportements de ceux
de son âge, mais vous ne le ferez pas car ce serait le frustrer cruellement d’une
aventure qui mobilise toute son âme et toute sa foi, et ils se rebellera et vous ne
pourrez plus le contrôler, c’est un batteur, et un batteur qui plus est d’une énergie
prodigieuse, pour son âge et pour tous les âges qui seront les siens, et les batteurs ça
cogne à tort et à travers sur tout ce qui bouge, avec de la rage, alors le mieux est de
lui laisser une batterie, sur quoi cogner, autrement il cognera sur tout le reste, sur
l’école, sur la société, sur l’ordre, et même sur vous, et voilà pourquoi vous ne lui
retirerez pas sa batterie, et alors il va continuer, il continuera de toute façon,
aujourd’hui ce ne sont pas les parents qui gouvernent, et avant que ça n’aille trop
loin et que d’autres que moi se jettent sur lui comme des vautours, mieux vaut le
confier à moi car d’autres que moi utiliseraient son énergie à des fins rien moins
qu’avouables, et le videront de son énergie et vous le rendront sans vie, sans feu, et
sans désir, sans force et sans rien pour se construire, sans volonté et sans boussole
dans l’existence.
LA MÈRE DE JICK : Je ne sais pas.
Les Pinkettes jouent.
Chez la mère d’Igor.
LA MÈRE D’IGOR : Non je ne sais pas.
TRAPIER à la mère d’Igor : Ce que l’on fait il est toujours temps de le défaire,
mais ce qu’on ne fait il n’est bientôt plus temps de le faire, et combien se sont
épuisés à tracer leur voie en vain pour avoir découvert trop tard quelle était cette
voie, et votre fils sait déjà quelle est sa voie, et déjà il la trace, et c’est un leader il
ne trace pas seulement sa voie il trace aussi celle des autres, parce qu’il a découvert
à temps quelle était cette voie, et cela lui donne un temps d’avance et un pouvoir
d’avance pour le reste de sa vie, dans une époque qui écrase les enfants sous tous
les marasmes, en les empêchant par la force des choses de choisir eux-mêmes leur
moindre direction et en leur imposant fatalement et inflexiblement de s’engager par
défaut sur des sentiers de misère, les enfants sous tous les marasmes donc, sauf
ceux qui comme le vôtre ont fixé avant les autres le cap qui les détermine, à
condition qu’on déblaye sur son passage la route sur laquelle il file à toute allure, et
non pas qu’on l’encombre et qu’on y mette des obstacles, lui qui miraculeusement,
comme à peine quelques rares élus, avait su s’extraire à temps du troupeau sans but
de ses semblables…
LA MÈRE D’IGOR : Oh.
30
LIVE AT COURLON
JICK : On est à Courlon.
IGOR : À Courlon
HONORÉ : En Bourgogne.
IGOR : Courlon-sur-Yonne
HONORÉ : En Bourgogne
JICK+IGOR+HONORÉ : C’est notre premier live en province.
IGOR : Live at Courlon.
HONORÉ : En Bourgogne.
IGOR+JICK : Courlon-sur-Yonne.
HONORÉ : En province.
JICK : Y a la nature.
IGOR : C’est le matin.
JICK : Y a une rivière.
IGOR+JICK+HONORÉ : C’est l’Yonne
MÉGAPHONE : Chaque groupe dispose de 30 minutes pour effectuer sa balance.
Je vais donner les noms dans l’ordre, Et les premiers à balancer seront les derniers à
jouer.
IGOR : Logique.
MÉGAPHONE : À 10h Spirit Wave. À 10h30 : Les Fils de la Boue. À 11h : Marie
et Joanna. A 11h30 : Sans ses milliards…
HONORÉ : Pourquoi logique ?
MÉGAPHONE : À 12h : Carte Verte. À 12h30 : Malalatête. À 13h : pause pour les
technos…
IGOR : Tu sais vraiment rien toi.
MÉGAPHONE : À 14h Courlon Blues Boys.
Bruits d’ovation.
HONORÉ : Il est pas là Trapier ?
IGOR : Pas encore.
HONORÉ : Il est où ?
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JICK : Il va arriver.
MÉGAPHONE : À 14h30 : Sianocobalamine. À 15h : Crime sensoriel…
HONORÉ : Il devait prendre le train avec nous.
IGOR : On l’a pris seuls. On n’est pas morts.
MÉGAPHONE : À 15h30 : Out of Joint. À 16h : Les Chouarze…
IGOR : The Schwartz !
JICK : The Schwartz !
HONORÉ : C’est sponsorisé par Yes F.M.
MÉGAPHONE : À 16h30 : Les Arbres. À 17H : Bleu d’amour…
JICK : C’est bien comme nom, Crime sensoriel.
MÉGAPHONE : À 17h30 : Las Putas. À 18h : Motors General.
HONORÉ : C’est bien un nom de groupe de métal ça.
JICK : Qu’est-ce qu’on va foutre jusqu’à 16h ? Il est 9h.
IGOR : Même pas 9h…
MÉGAPHONE : À 18h pause des technos. Le premier groupe à 19h sera donc
Motors General.
HONORÉ : Ca c’est un nom de groupe de métal non ?
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Vous êtes tout petits vous ! Extrêmement
petits ! C’est éclatant ! D’où vous sortez ?
MÉGAPHONE : Vous devez aller au stand central chercher des tickets restaurants.
JICK+HONORÉ : Qui c’est c’ui-là ? C’est qui ç’ui là ?
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Vous êtes tout petits ! C’est pas normal. Vous
allez vous faire défoncer !
IGOR : C’est Emilio je l’ai déjà vu. Je crois que c’est le chanteur de Las Putas.
MÉGAPHONE : Chaque musicien une fois inscrit a droit à une bouteille de vin par
repas.
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Vous êtes des nains ? C’est génétique ? Votre
petitesse ?
IGOR+ JICK : C’est pas de notre faute !
HONORÉ : Où est Trapier ? Où est Trapier ? Où est Trapier ? Où est
IGOR+JICK : Ta gueule.
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HONORÉ : Sponsorisé par Yes FM… Vous connaissez cette radio ?
IGOR+JICK : Non
MÉGAPHONE : Les groupes devront se présenter au stand central et prendre un
badge. Les groupes devront se présenter au stand central et prendre un badge.
HONORÉ : Le festival va commencer par un concert de groupe de métal. Je ne sais
pas si c’est très bon ça. Ca peut mettre les gens sur les nerfs.
JICK : Y a une barquette sur la rivière.
IGOR+HONORÉ : C’est L’Yonne.
JICK : Sur l’Yonne y a une barquette. On pourrait faire de la barquette. Vous avez
pas envie d’en faire ?
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Dites-moi les petits vous trouvez pas que ça
sent la louse ce festival ?
MÉGAPHONE : Les groupes devront se présenter au stand central et prendre un
badge. Une fois en possession du badge vous pourrez avoir des tickets…
HONORÉ : J’ai faim maintenant.
IGOR : Ben va demander. Pt’êt’ qu’ils auront des céréales.
JICK : Moi je ferais bien un peu de barquette.
MÉGAPHONE : Les tickets vous donneront accès à la tente-restauration…
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Une très grosse louse. Une très grosse louse.
J’sens que ça va être une très grosse louse.
MÉGAPHONE : Pour les boissons c’est séparé et ça se passe à la tente-buvette…
HONORÉ : Où est ce connard de Trapier ?
IGOR : T’as peur ou quoi ?
UN ROADIE : Eh poussez-vous, là, poussez-vous, dégagez les jeunes, dégagez !
MÉGAPHONE : La tente-buvette est accessible à tous ceux qui possèdent un
badge. Vous pouvez retirer vos badges au stand central une fois inscrits…
LE ROADIE : Allez poussez-vous dégagez, c’est la place du camion sono vous
allez vous faire écraser.
Arrivée du camion sono.
JICK : C’est la sono de Yes FM.
HONORÉ : Jamais entendu cette radio.
LE BATTEUR SPEED : Dites-moi les gars : où est Edouard ?
IGOR : Edouard ?
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JICK : Qui c’est Edouard ?
HONORÉ : Edouard ?
MÉGAPHONE : Pour chaque musicien je le rappelle : une bouteille de vin par
repas…
LE BATTEUR SPEED : Si vous le voyez vous lui dites bien que la batterie qui est
montée là, c’est la mienne, d’accord ? MA batterie. C’est la mienne et il y
TOUCHE pas. Il y TOUCHE pas d’accord ? C’est clair ? Il a qu’à apporter la
sienne.
JICK : Qui c’est c’ui-là ?
IGOR : C’est un batteur.
JICK : Il a l’air speed.
HONORÉ : Qui c’est Edouard ?
IGOR : Un autre batteur.
LE BATTEUR SPEED : D’accord ?
HONORÉ : D’accord
HONORÉ+IGOR : D’accord.
HONORÉ+IGOR+JICK : D’accord.
MÉGAPHONE : Une bouteille de vin par repas pour chaque musicien de chaque
groupe…
LE ROADIE : Eh les petits là, restez pas là, vous allez vous faire écraser, y a l’autre
camion-sono qui arrive, là, allez dégagez dégagez !
Arrivée du deuxième camion sono.
HONORÉ : Trapier ça se trouve il va pas venir.
JICK : J’en reviens à mon idée de barquette…
MÉGAPHONE : La tente buvette n’est pas ouverte, elle sera ouverte à onze heures.
IGOR : Faudrait aller demander nos badges.
HONORÉ : Mais ils nous les donneront jamais.
JICK : Faudrait que Trapier aille les demander.
HONORÉ : Il est pas là.
IGOR : Flippe pas comme ça.
MÉGAPHONE : Pour ceux qui ne cessent de me demander : la tente buvette n’est
pas ouverte, elle sera ouverte à onze heures.
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Les balances des différents groupes ont commencé. On entend successivement les
styles les plus divers, en commençant par du Heavy Metal.
IGOR : De la barquette au fond pourquoi pas.
JICK : Bar-quette ! Bar-quette ! Bar-quette ! Bar-quette !
HONORÉ : Moi je sais pas si.
JICK+IGOR : Tais-toi et viens.
MÉGAPHONE : L’un d’entre vous a un message qui est adressé à Edouard.
LE BATTEUR SPEED (AU MÉGAPHONE) : Edouard la batterie qui est sur scène
tu le sais très bien c’est ma batterie si tu t’avises de la toucher tu t’exposes à de
graves ennuis.
MÉGAPHONE : Pour la buvette l’année dernière c’était dix heures je sais c’est vrai
mais cette année c’est à onze heures pour des raisons de salubrité l’année dernière
surl’coup de midi tout le monde était d’jà ivre mort et cette année la préfecture a
ordonné de reculer l’heure d’ouvertu…
La voix se perd dans le lointain, comme tous les bruits du Festival.
Dans la barquette.
HONORÉ : Elle fuit un peu cette barquette.
IGOR : Mais elle flotte quand même.
HONORÉ : Et si on coule.
IGOR : On est très bien là. C’est pas ces connasses de Pinkettes qui auraient dégotté
un plan pareil.
JICK : Laissons-nous dériver mes amis. Ne nous donnons pas même la peine de
pagayer. Laissons le soleil dorer nos faces et soumettons-nous sans résistance au
doux transport de l’onde.
Un long instant, où l’on entend plus rien. Igor et Jick s’endorment. Honoré pense.
Plus tard. Il pleut.
MÉGAPHONE : Dernier appel pour le groupe Chouarze ! Dernier appel pour le
groupe Chouarze ! Dernier appel pour le groupe Chouarze ! Dernier appel pour le
groupe Chouarze ! Dernier appel pour le groupe Chouarze ! Dernier appel pour le
groupe Chouarze ! Dernier appel pour le groupe Chouarze !
JICK+IGOR+HONORÉ : C’est nous ! The Schwartz !
L’INGÉ SON : Dépêchez-vous ! Vous êtes trempés !
JICK+HONORÉ+IGOR : On sait. Pardon.
L’INGÉ SON : Vous allez faire un court-circuit !
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JICK+HONORÉ+IGOR : On va sécher avec les spots.
L’INGÉ SON : Je te mets des SM 58 là tu veux ?
HONORÉ : Euh. Oui.
L’INGÉ SON : T’en veux combien là ?
HONORÉ : Euh ben trois.
L’INGÉ SON : Je vais pas avoir trois SM 58 là.
HONORÉ : Bon ben.
L’INGÉ SON : Je peux te mettre deux SM 58 et un SM 86.
HONORÉ : Bon ben d’accord.
JICK : Ben mets carrément trois SM 86 alors.
L’INGÉ SON : Ben non j’en ai qu’un, de SM 86.
IGOR : Ben toi t’en as pas besoin toi.
JICK : Ben si j’en veux un moi.
IGOR : Ben alors prends le SM 86 et nous on prend les SM 58.
JICK : Bon ben d’accord alors.
L’INGÉ SON : Vous avez le son. C’est bien.
IGOR : Je peux avoir plus de voix et moins de batterie dans le retour ?
L’INGÉ SON : J’aime bien votre balance.
JICK : Et moi je peux avoir moins de guitare et moins de voix dans le retour ?
L’INGÉ SON : Je travaille pour Yes FM. Tout le matos là c’est moi qui l’ai
apporté.
IGOR : Et moi je peux avoir plus de guitare dans le retour ?
HONORÉ : L’ingé son me touche le genou.
JICK : Et moi je peux avoir plus de batterie dans le retour ?
L’INGÉ SON : J’aime vraiment bien votre balance.
HONORÉ : Il me touche le genou l’ingé son.
IGOR : Et moi je peux avoir moins de basse dans le retour ?
JICK : Et moi aussi je peux avoir moins de basse dans le retour ?
L’INGÉ SON : C’est une très bonne balance. J’aime beaucoup votre balance.
IGOR : Et toi Honoré tu veux moins de quoi dans le retour ?
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HONORÉ : Il met sa main sur mon genou, l’ingé son, et il presse.
JICK : Oui, toi Honoré, tu veux plus de quoi ou moins de quoi dans le retour ?
HONORÉ : Et il le fait et il le refait. Et il le refait.
L’INGÉ SON : J’aime beaucoup votre balance.
HONORÉ : L’ingé son.
L’INGÉ SON : Beaucoup.
HONORÉ : De Yes FM.
JICK : Bon ben moi pour moi c’est bon dans le retour.
IGOR : Ben pour moi aussi c’est bon pour moi dans le retour.
MÉGAPHONE : L’un d’entre vous a un message qui est adressé à Philippe à qui
appartient la batterie et qui ne veut pas qu’Edouard la touche.
EDOUARD AU MÉGAPHONE : Allo Philippe là c’est Edouard il paraît que tu me
cherches et que tu me cherches.
L’INGÉ SON : Le concert commence, allez vous abriter à la buvette, il pleut très
fort.
JICK : Ca commence par quoi ?
L’INGÉ SON : Un groupe de métal.
HONORÉ : Ah vous voyez qu’est-ce que je disais.
EDOUARD AU MÉGAPHONE : Et quant à ta batterie Philippe, écoute ceci :
Toute chose appartient à qui la rend meilleure.
L’INGÉ SON : Allez vous abriter à la buvette.
HONORÉ : L’ingé son me touche la cuisse.
Le concert commence. Du Heavy Metal. Particulièrement heavy.
UNE SPECTATRICE À LA BUVETTE : L’année dernière aussi il pleuvait.
JICK : D’où ils viennent Motors General ?
UN SPECTATEUR : C’est des hardos de la région. On les met toujours en premier,
personne n’écoute.
LA SPECTATRICE : En plus il pleut, tout le monde est à la buvette, personne ne
regarde.
JICK : Il chantent en quoi ?
LE SPECTATEUR : En allemand.
JICK : Je me disais bien.
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HONORÉ : Ca va bien avec leur musique.
L’INGÉ SON : Mais vous votre balance, j’ai vraiment bien aimé.
HONORÉ : Il me prend la main l’ingé son maintenant.
MÉGAPHONE : On remercie bien fort les Motors General et on enchaîne
immédiatement avec le concert de Las Putas.
LE BATTEUR SPEED : Laissez-moi monter sur la scène laissez-moi monter sur la
scène Edouard m’a provoqué je vais démonter la batterie comme ça je serai sûr
qu’il la touchera pas il m’a défié il a dit publiquement qu’il allait la toucher c’est
ma batterie je fais ce que je veux !
UN ROADIE : Tu restes là Philippe tu montes pas sur scène tu restes là tu laisses la
batterie tranquille !
LE BATTEUR SPEED : Edouard je te préviens si tu t’approches de la scène tu vas
le regretter mais lâchez-moi !
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Bonsoir. Alors ça va bande de péquenots de
Bourgogne ?
Silence.
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Y a que des pédés ici en Bourgogne.
Silence de mort.
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Surtout dans le milieu paysan. Alors les pédés
vous aimez la musique de keupons ?
Silence.
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Hein bande de pédés ? Pourquoi vous
répondez pas ? Vous aimez pas ça ?
UNE SPECTATRICE : Eh dis donc eh il exagère lui là eh.
UN SPECTATEUR : Il va pas nous parler comme ça non ça va pas là non.
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Vous êtes bien des pédés tiens.
Il donne un coup de pied dans un des amplis.
L’INGÉ SON : Eh doucement avec le matos de Yes FM là !
Las Putas lancent un morceau très punk.
Une bouteille de bière vole vers la scène. Bris de verre.
LES SPECTATEURS : Attends espèce de petite raclure tu vas voir si on est des
pédés tu vas voir non mais comment il nous parle celui-là non mais attends non
mais il est allé trop loin là on va lui faire sa peau à celui-là !
Les bouteilles volent vers la scène
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LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Vous savez pas viser bande de pédés
bourguignons vous savez même pas viser !
LES SPECTATEURS : Non mais ça va pas non personne nous a jamais traités de
pédés c’est quand même pas lui qui va commencer, tiens attrape celle-là là, attrape
celle-là toi tiens prends-toi ça dans la gueule !
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Les lumières ! Eteignez les lumières ! Bande
de pédés va !
La scène est plongée dans le noir. Bouteilles qui volent. Bris de verre.
LES SPECTATEURS : Tiens prends ça espèce de dégénéré on va te montrer tiens
attrape-là celle-là là, tiens non mais eh ça va oui il vient chez nous et il nous traite
de pédés on va te faire ta peau nous tu vas voir !
Bouteilles volantes. Bris de verre ininterrompus.
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Et moi je dis si tu as soif bois la bière mais ne
la lance pas sur nous !
MÉGAPHONE : Philippe c’est Edouard, au sujet de ta batterie je te propose
quelque chose vu qu’il me reste un peu de ma bouteille de vin du dîner si tu me
laisses jouer de ta batterie mon de bouteille de vin est à toi…
Un cri.
LES SPECTATEURS : C’est quoi ça ? Qu’est-ce qui s’est passé là ? Oh ! Eh ! Y en
a un qui est par terre là ! Il pisse le sang le mec ! T’as vu ce qui s’est passé toi ? Il
s’est fait planter le gars ! Quoi ? Il s’est pris un coup de schlass ! Quoi à la buvette
là ? Mais quoi tu l’as vu ? Mais ouais ils ont commencé à se chauffer l’autre il l’a
suriné. Quoi mais qui ? Mais le mec par terre ! Eh il pisse le sang là faut lui faire un
garrot ! Mais non mais qui c’est qui lui a fait la boutonnière ? Faut lui faire un
garrot ! Non mais qui ? Qui c’est qui l’a suriné ? Il s’est barré le mec ! Tu l’as vu se
barrer ?
MÉGAPHONE : Ouais et donc Philippe si tu acceptes ma proposition pour ta
batterie tu viens me retrouver à côté du…
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Si tu as soif je te le dis bois la bière mais ne la
lance pas sur nous...
Bris de verre.
LES SPECTATEURS : Il est en train de se vider le mec, il devient tout livide ! Il
perd son sang ! Vous savez comment on fait ? Quelqu’un sait comment on fait ?
MÉGAPHONE : Le concert est annulé ! Le concert est annulé ! En raison d’un
problème le concert est annulé ! Merci de laisser la place aux camions qui vont
démonter et peut-être aussi aux ambulances, je répète le concert est annulé merci de
faire de la place !
JICK : Vaudrait mieux se tirer d’ici.
IGOR : Comment tu veux te tirer d’ici ?
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L’INGÉ SON : C’est dommage les gars j’avais vraiment bien aimé votre balance
moi.
HONORÉ : L’ingé son m’enlace par derrière. Eh lâchez-moi oh lâchez-moi laissezmoi !
MÉGAPHONE : Le concert est annulé, je répète le concert est annulé ce n’est pas
la peine de rester là rentrez chez vous le concert est annulé suite à un problème.
L’INGÉ SON : Votre balance ça m’a bien plu vraiment.
L’ingé son l’agrippe, Honoré se débat et parvient à se dégager.
L’INGÉ SON : Allumeur va. T’as de la chance.
LE CHANTEUR DE LAS PUTAS : Vraiment la louse ce festival je vous l’avais
dit. Je me tire moi, il sont encore à canarder la scène dans le noir alors qu’on a
arrêté de jouer.
Bris de verre permanents.
IGOR : Tu rentres comment Emilio t’as une voiture tu veux pas nous charger ?
LES SCHWARTZ : On rentre dans la voiture du chanteur de Las Putas. C’est pas
forcément moins dangereux que de rester sur place.
TRAPIER : Ce tremplin c’était mal organisé vous me dites.
LES SCHWARTZ : Mais enfin quand il s’endort on peut le réveiller.
TRAPIER : Mal organisé. Ca arrive.
LES SCHWARTZ : Il finit par nous lâcher à une porte, à l’opposé de chez nous.
TRAPIER : Non je n’ai pas pu venir. J’ai eu un empêchement.
LES SCHWARTZ : On marche une bonne partie de la nuit. On dort chez Jick.
TRAPIER : Ca peut arriver. Ne vous plaignez pas trop. Ou alors plaignez-vous
auprès de vos parents. Dénoncez-moi. Et ce sera terminé. On ne me permettra plus
rien. Et à vous non plus.
UN PLAN GLAUQUE
Les Pinkettes jouent dans un endroit malsain. Le public est composé d’adultes.
UN HOMME : Qu’est-ce qu’il y a de mal…
LOUNA : C’est sale.
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C’est sale.
Ca frotte ça frotte
Ca frotte ça frotte
Ca frotte ça frotte
Ca bouffe tout
Ca mange tout
Ca bouffe tout
Ca mange tout
UN HOMME : Qu’est-ce qu’il y a de mal…
LOUNA : Tu as dit que tu voulais bien
Partager avec moi
Des pensées automatiques
Mais attention je te préviens
Mon corps aussi
Mon corps aussi
Il est très automatique
L’HOMME : Hein ? Qu’est-ce qu’il y a de mal après tout ?
LOUNA : Il est très automatique
Il est très
Automatique
Attention
Je te préviens
Je te préviens
OUNA : On a beau être vraiment dark.
LOU : On a beau être vraiment trash.
LOUNA : Tu te sens toi, dis, tu te sens ?
Moi je me sens plus moi je me sens plus
OUNA : On n’a pas l’habitude de se produire devant autre chose que des gens de
notre âge.
LOUNA : Tu te sens plus toi non tu te sens plus dis
Moi je me sens plus moi je me sens plus là
L’HOMME : Faut y aller là hein.
LOU : Il est pas là Trapier ?
LOUNA : Tu te sens plus, dis-moi si tu te sens
Dis-moi si tu te sens moi je me sens plus
OUNA : Non il est pas là. Il viendra pas.
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LOUNA : Dis-moi si tu te sens dis-moi si tu te sens
Moi je me sens plus au secours je me sens plus.
LOU : Comment tu le sais.
L’HOMME : Eh qu’est-ce qu’il y a de mal. Faut donner c’est tout.
L’homme danse à proximité des Pinkettes.
OUNA : Je le sais. J’ai compris.
LOUNA : Je me sens plus c’est bon je me sens plus
Je sens plus rien c’est bon je sens plus rien
Je sens plus rien au secours je sens plus rien
Au secours c’est bon au secours je sens plus rien
L’HOMME : Suffit pas de le dire. Faut le faire aussi.
L’homme commence à se déshabiller en dansant.
LOUNA : Mon corps mon corps
Il est trop automatique
Mon coeur mon coeur
Il est trop automatique
L’HOMME : Faut donner quelque chose. Vous, vous donnez quoi vous ?
OUNA : Priez pour nous.
LOU : À l’aide.
LOUNA : Il est trop automatique
Il est trop automatique
Il est trop automatique
L’HOMME : Qu’est-ce qu’il y a de mal ?
LOUNA : Il est trop automatique
L’HOMME : Qu’est-ce qu’il y a de mal ? Hein ? Qu’est-ce qu’il y a de mal ?
L’homme continue à se déshabiller en dansant devant les Pinkettes.
CONCERT APOTHÉOSE
42
OFF : À présent l’histoire s’accélère.
Le destin change de dimension.
Les Schwartz connaissent une ascension.
Avantage ou défaut ? Mystère.
LES SCHWARTZ : Trapier nous a bien pris en main.
Il nous a trouvé des tremplins.
Des tremplins et puis des tremplins.
JICK : Ca nous a donné un élan.
HONORÉ : On s’était trompés sur son compte.
IGOR : Il a vraiment des bons tuyaux.
JICK : Ou alors il a senti le vent.
HONORÉ : Quoi qu’il en soit ça devient très pro.
JICK : La mère d’un copain à ma sœur
qui travaille comme attachée de presse
A contacté le chroniqueur
de musique du journal l’Express
IGOR : Il nous a fait un grand article
Il nous a traités de phénomènes
TRAPIER : Vous entrez dans un nouveau cycle
Vous allez faire des plus grosses scènes
UN JOURNALISTE : Est-ce que vous vous reconnaissez dans le terme de bébé
rockers ?
LES SCHWARTZ : Ah pas du tout, alors là pas du tout, ah non pas du tout alors,
alors là…
LE JOURNALISTE : Mais quand même vous êtes très jeunes, vous n’avez pas
encore mué, vous n’avez pas atteint le stade de la puberté, et pourtant vous jouez de
la musique rock.
IGOR : On est juste précoces parce que à l’âge où les autres écoutaient de la
musique pour les enfants nous on écoutait déjà du rock et donc on a gagné du temps
mais sinon les bébés rockers c’est une invention de marketing et nous on se
reconnaît pas du tout là-dedans parce que nous ce qui nous intéresse c’est la
musique qu’on fait.
JICK : Je trouve que t’as bien répondu là Igor.
HONORÉ : Trop.
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OFF : Les Schwartz deviennent les chefs de file d’un courant qui n’existe pas.
IGOR : Nous on préférerait apparaître davantage dans les pages musique des
magazines que dans les pages enfance, mais dans le fond c’est pas notre problème
et en fait on s’occupe pas trop de ça, nous on fait notre musique et puis c’est tout.
JICK : T’as bien parlé là.
HONORÉ : Carrément.
LES SCHWARTZ : Et nous on n’a rien répondre à ceux qui bavent et qui critiquent
Ils s’excitent sur le phénomène mais ils écoutent pas notre musique
On est pas des enfants gâtés, on est pas des méchants petits bourges
On est pas un fait de société
TRAPIER : Je vous ai casés au Printemps de Bourges.
UN PARENT : Alors nous en tant que parents c’est vrai qu’on est un peu
déboussolés bon c’est vrai on est très contents de ce qui leur arrive on parle d’eux
partout on nous pose beaucoup de questions on est très inquiets très très inquiets on
se demande si on n’a pas mis le doigt dans un engrenage destructeur ça nous flatte
énormément on est très très fiers on est bien conscients que tout ça c’est de la
poussière c’est pas solide ils ont l’air tellement heureux c’est quand même
extraordinaire de vivre ça ils s’en souviendront toute leur vie on se sent très
coupables très très coupables de les avoir laissés s’embarquer là-dedans de toute
façon ils sont très bien suivis c’est un peu n’importe quoi c’est une aventure
magnifique pour eux nous on fait très attention s’il y avait le moindre risque on s’en
apercevrait c’est vrai qu’on a complètement démissionné.
OFF : Et dans le même temps les Pinkettes commencent à faire parler d’elles.
LOUNA : Je te laisse me toucher
Mais tu me laisses te parler
Je te laisse me toucher
Mais tu me laisses te parler
Je te laisse me toucher si tu me laisses te parler
Je te laisse me toucher si tu me laisses te parler
Je te laisse me toucher si tu me laisses te parler
Je te laisse me toucher si tu me laisses te parler
Elle vomit.
UN JOURNALISTE : Le terme de prise de risque n’a peut-être jamais eu plus de
sens. Prise de risque. Mise en danger. Saut dans le vide. Telles sont les
performances des Pinkettes. Il faut les voir manipuler l’électricité, brandir leurs
guitares comme des massues branchées sur des lignes à haute tension, soumettre
leurs corps inachevés aux plus violents dérèglements Ces filles n’incarnent pas la
jeunesse. Elles ne représentent pas la jeunesse. Elles sont la jeunesse.
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Les Pinkettes continuent à jouer. En guise de paroles elles pleurent.
LES PINKETTES : Ouinnnn…. Ouiiinnnnnn… Ouiiinnnn…. Mmmmmm…..
Aaaaaahhhhh….
UN AUTRE PARENT : Ils prennent ça très au sérieux nos enfants mais pour nous
c’est un loisir il faut pas qu’ils s’imaginent que ça peut être autre chose pour eux
c’est toute leur vie c’est important de savoir ce qu’on veut faire dans la vie eux
maintenant ils savent ce qu’ils veulent faire dans la vie on leur fait croire que c’est
possible pour eux de faire ça dans la vie nous on est persuadés qu’ils peuvent faire
ça dans la vie pourquoi est-ce qu’ils ne seraient pas capables de faire ça dans la
vie ?
UN ADMIRATEUR DES SCHWARTZ : Ils jouent bien
UN DÉTRACTEUR : Ils savent pas jouer
UN ADMIRATEUR : Ils sont beaux
UN DÉTRACTEUR : À douze ans tout le monde est beau
UN ADMIRATEUR : Je les aime moi
UN DÉTRACTEUR : Ils sont déjà finis.
Ils sont naïfs ils savent pas jouer
C’est de la camelote c’est des produits
Ca insulte les vrais musiciens
TRAPIER : Vous passez aux Francofolies.
HONORÉ : One two three four five six seven
IGOR : Let me take you off to heaven
HONORÉ : One two three four five six seven
IGOR : You can’t keep the love you’ve given
HONORÉ : One two three four
IGOR : Come to my floor
HONORÉ : One two three four
IGOR : What a flavour
HONORÉ : One two three four five six seven
IGOR : Warm your heart up in the oven
TRAPIER : Pour avoir du succès il faut être soi-même. Pour continuer à avoir du
succès il faut rester soi-même.
LOUNA : Alors garçon. T’es un peu ivre. Moi aussi. Je crois bien qu’un peu
d’amour me remettrait droite et m’empêcherait d’être malade.
HONORÉ : C’est pas sûr.
LOUNA : Allez garçon.
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HONORÉ : Qu’est-ce que tu veux toi là.
LOUNA : Un peu de courage quoi.
HONORÉ : Mais je t’aime pas moi.
LOUNA : Moi non plus. Je te demande pas de m’aimer.
HONORÉ : Je comprends pas trop ça moi.
Louna rit.
HONORÉ : J’ai douze ans de toute façon. Je vois pas trop ce que l’amour. L’amour.
Quel amour déjà. L’amour platonique. C’est tout. Parce qu’à douze ans. On est
condamnés à l’amour platonique.
LOUNA : Mais non pas du tout.
Elle l’embrasse à pleine bouche.
LOUNA : Faut ouvrir les lèvres garçon là.
HONORÉ : Non mais je crois que c’est pas mon. Ca me.
LOUNA : Ferme ta bouche garçon. Et ouvre les lèvres.
Elle l’embrasse encore.
LOUNA : Avec la langue garçon. Et avec la salive. Faut que nos langues se
trouvent et qu’elles s’entortillent. Faut qu’elles s’agrippent et qu’elles s’enroulent.
Et que ce soit comme dans un torrent. Sinon oui, ça risque de rester platonique.
Elle l’embrasse encore.
LOUNA : Je sais. C’est visqueux c’est gluant. On ne sait pas ce qu’il y a. On ne
voit rien. Et la saveur est bizarre. C’est mon goût à moi. C’est l’eau de ma bouche.
Elle l’embrasse une nouvelle fois.
LOUNA : Quand tu étais un tout petit enfant tu aimais ça. Les substances
poisseuses. Les sirops. La bave. Te barbouiller. Tu mettais tes doigts dans ton
yaourt. Maintenant tu as grandi. Ça te dégoûte. Il faut refaire le chemin inverse. Ou
bien tu vas mourir de sécheresse.
Elle l’embrasse encore une fois.
LOUNA : Et maintenant garçon essaie de m’oublier essaie de ne plus m’aimer.
Essaie.
UN PARENT : Ils gagnent de l’argent oui ils gagnent de l’argent ça rapporte de
l’argent oui ça rapporte un peu d’argent mais moins que nous quand même ils
gagnent moins d’argent que nous ils gagnent pas mal d’argent ça va à la caisse des
dépôts et consignations ils gagnent beaucoup d’argent à peu près autant que nous ils
le toucheront peut-être à leur majorité ils gagnent énormément d’argent ils gagnent
beaucoup plus d’argent que nous.
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LOUNA : Nous dormions et nos têtes comme deux bols contigus,
Se touchaient et mon rêve est passé dans ton rêve,
Se touchaient et ton rêve est passé dans mon rêve,
Nous dormions et nos rêves infusaient l’un dans l’autre.
Et nos crânes se touchaient Comme deux bols contigus,
un liquide, ou une onde, un songe, un songe liquide
A coulé de ma tête, doucement dans ton rêve
Est passé de mon rêve doucement dans ta tête
LE CHŒUR DE L’ADMINISTRATION DU COLLÈGE : Alors nous en tant que
collège on peut dire que c’est beaucoup l’absentéisme. Beaucoup d’absentéisme.
Beaucoup beaucoup d’absentéisme. De l’absentéisme non justifié. Absentéisme sur
absentéisme sur absentéisme sur absentéisme. On envoie des mots, on téléphone, on
convoque, on sanctionne, on supprime les allocations, on exclut temporairement, on
exclut définitivement, on prescrit des travaux d’intérêt général. Mais ça ne sert à
rien. À rien du tout. Toujours autant d’absentéisme.
LES SCHWARTZ : On est sur une pente on est sur une pente on est sur une pente
on est sur une pente
Pas possible de faire marche arrière
Tous les méfaits qu’on a commis
On nous les pardonnera jamais
On pourra jamais réparer
On s’est expulsés du système
Rembourser nous coûterait trop cher
Et expier nous coûterait trop cher
La seule solution aujourd’hui
Pour nous si on veut être blanchis
C’est de ne jamais nous retourner
C’est de grandir en déraison
C’est de grandir en interdit
Et de grandir en transgression
LE CHOEUR DES FANATIQUES : Nous sommes des dizaines et nous sommes
des centaines et nous sommes des milliers et nous sommes des dizaines de milliers
et nous sommes des dizaines de milliers et toujours on vous suivra et toujours on
vous regardera et toujours on vous écoutera et toujours on dépensera tout ce qu’on a
pour vous et ça durera toujours et jamais vous ne déclinerez pour nous.
LES PINKETTES : Là on est passé à la phase « domination de l’électricité »
On domine l’électricité
Ou l’électricité nous domine
Lasses d’enfoncer l’appendice métallique de Jack
Au fond du trou d’ampli-combo
On dénude le corps de serpent de Jack
Et on se l’auto-applique sur le nôtre
Sur la peau
Sur la main
Sur le bras
Sur la jambe
Sur la tempe
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Et ça crache ça secoue très fort c’est très court mais c’est très fort c’est très court
mais c’est très fort.
Elles s’auto-appliquent les fils dénudés du jack à différents endroits du corps et
poussent à chaque fois des cris.
LES PINKETTES : Aïe !
CHOEUR DU PUBLIC : C’est pour de vrai ?
LES PINKETTES : Aïe !
CHŒUR DU PUBLIC : C’est pas pour de vrai.
LES PINKETTES : Aïe !
CHOEUR DU PUBLIC : C’est pour de vrai ?
LES PINKETTES : Aïe !
CHŒUR DU PUBLIC : C’est pas pour de vrai.
LES PINKETTES : Aïe !
CHOEUR DU PUBLIC : C’est pour de vrai ?
LES PINKETTES : Aïe !
CHŒUR DU PUBLIC : C’est pas pour de vrai.
LES PINKETTES : Aïe !
CHŒUR DU PUBLIC : C’est pour de vrai ?
LES PINKETTES : Aïe !
Le réseau électrique de la salle disjoncte. Tout est plongé dans le noir.
CHŒUR DU PUBLIC : Ah bah c’était pour de vrai qu’est-ce qui se passe là elles
ont tout fait disjoncter ces connasses dis donc eh rallumez rallumez là oh la on voit
plus rien là eh je suis claustro moi je supporte pas d’être dans le noir au milieu des
gens moi eh oh tu me touches pas toi elles ont fait sauter les plombs ces petites
pétasses dis donc eh rallumez là eh c’est dangereux là oh.
IGOR : T’es bien destroy toi.
LOUNA : Non.
IGOR : T’aimes les garçons toi ou t’es comme ta copine teigneuse t’aimes les
filles ?
48
LOUNA : J’aime les gens gentils moi les gens calmes.
IGOR : Ca m’étonnerait.
LOUNA : Toi t’es pas quelqu’un de calme.
IGOR : Si, je suis très calme.
LOUNA : Pas de panique je me laisserai faire.
IGOR : Alors viens là petit massacre.
Il l’embrasse.
HONORÉ : On arrête pas de baver sur nous ils sont de plus en plus à baver sur nous
les groupes français ils bavent sur nous les chanteurs français ils bavent sur nous les
chanteuses françaises elles bavent sur nous les journalistes de rock français ils
bavent sur nous quasiment tout le monde sur nous.
TRAPIER : C’est normal ça fait partie du truc.
HONORÉ : Il y en a même dont tu t’occupes qui bavent sur nous.
TRAPIER : C’est prévu ça marche comme ça.
HONORÉ : C’est toi qui leur a demandé de baver sur nous.
TRAPIER : Non pas besoin de leur demander.
HONORÉ : Tu pourrais leur demander d’arrêter de baver sur nous.
TRAPIER : Surtout pas non. Plus ils bavent plus ça marche.
LE CHŒUR DES PARENTS, DU COLLÈGE : Et alors nous en tant que parents et
alors nous en tant que grands parents et alors nous en tant que frères et sœurs et
alors nous en tant que oncle et tante et alors nous en tant que professeurs du collège
et alors nous en tant que conseil de classe et alors nous en tant que conseiller
principal d’éducation et alors nous en tant que conseiller d’orientation et alors nous
en tant que psychologue scolaire et alors nous en tant que musicologue et alors nous
en tant que spécialistes de la préadolescence.
TRAPIER : Je vous ai casés à l’Olympia.
LE CHOEUR DES FANATIQUES : Nous sommes des dizaines et nous sommes
des centaines et nous sommes des milliers et nous sommes des dizaines de milliers
et nous sommes des dizaines de milliers et toujours on vous suivra et toujours on
vous regardera et toujours on vous écoutera et toujours on dépensera tout ce qu’on a
pour vous et ça durera toujours et jamais vous ne déclinerez pour nous.
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IGOR : L’Olympia ? Pour nous tous seuls ?
TRAPIER : Quand même pas non. En première partie. Faut pas exagérer.
Igor embrasse Louna.
OFF : En ce temps-là tout le monde veut être comme les adolescents.
HONORÉ : Mais Igor.
OFF : Les adultes veulent être comme les adolescents.
HONORÉ : Tu as dit nous refuserons tout contact avec le moindre élément de type
femelle.
IGOR : Tu l’as dit aussi.
Il embrasse Louna.
HONORÉ : Tu as dit nous bannirons de nos vies la présence des jeunes donzelles.
IGOR : Tu l’as dit aussi.
Il embrasse Louna.
HONORÉ : Je l’ai dit oui.
OFF : Vivre comme les adolescents.
IGOR : Et alors tu l’as fait ?
Il embrasse Louna.
OFF : Aimer comme les adolescents. Rester comme les adolescents.
IGOR : J’ai dit aussi pas de pédale d’effets. Et tu l’as dit aussi. Et maintenant j’en
utilise une.
Il embrasse Louna.
HONORÉ : Mais toi Igor tu ne comprends rien à cette fille. Tu ne comprends pas la
tristesse de cette fille.
OFF : Aux adolescents on donne tout.
HONORÉ : Tu ne comprends pas sa tristesse ni sa profondeur ni sa vérité. Tu ne
comprends pas que c’est la même chose.
OFF : Aux adolescents on vole tout.
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HONORÉ : Alors que moi je la comprends. Sa tristesse est entrée en moi. C’est ça
qui me plaît chez elle, sa tristesse. Je suis amoureux de sa tristesse tu comprends. Je
ne peux pas résister à cette tristesse.
OFF : Et les enfants veulent être comme les adolescents.
HONORÉ : Alors que toi c’est pas ça qui t’intéresse. Pourquoi tu ne vas pas
embrasser sa copine, la cheftaine, c’est une grande gueule comme toi ça pourrait
coller.
IGOR : C’est une teigne et elle aime les filles, elle les aimera en tout cas même si
elle ne le sait pas encore.
OFF : Grandir comme les adolescents. Brûler comme les adolescents.
IGOR : Et toi Louna maintenant ça te plaît d’embrasser ce gars-là alors que tu m’as
sorcellisé.
OFF : Mais les adolescents, qui sait comment ils veulent être ?
TRAPIER : Je vous ai casés au Zénith. Vous êtes au Zénith.
LE CHOEUR DES PROCHES DE LOUNA : Louna elle mange plus rien elle
maigrit elle devient rachitique elle dort pas elle a jamais beaucoup dormi elle parle
pas elle a jamais beaucoup parlé elle devient grise elle devient jaune elle devient
verte elle devient bleue sa peau prend une couleur qui n’existe pas ses yeux sont
cerclés de noir et ce n’est pas du maquillage elle ne se lave plus elle ne se déshabille
plus ses yeux n’ont presque plus de reflet on dirait qu’ils vont s’enfoncer à reculons
dans son crâne.
TRAPIER : Profitez-en vous êtes au Zénith.
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq
IGOR : Je suis collé au zinc
HONORÉ : Un deux trois quatre cinq
IGOR : Pauvre ornithorynque
HONORÉ : Un deux trois autre cinq…
Le père d’Honoré monte sur scène et empoigne son fils par le colback.
LE PÈRE D’HONORÉ : Ah oui ? Alors on veut faire le costaud, ce petit connard
avec ses petits copains, il veut faire le cador, il veut fumer des cigarettes et il veut
boire des bières ? Et il va plus à l’école, quand il a pas envie il va plus à l’école ! Il
reste au lit on lui demande ce qu’il a et il répond qu’il est crevé à cause du concert
d’hier, et dans son pieu il pue la bibine et le mégot ! Et on apprend qu’il a séché des
cours, et il a fait quoi ? Il est allé au studio ! Il a passé la journée au studio, à cloper
des pétards et à s’envoyer des canettes ! Il croit que c’est bon, que ça y est, qu’il a
douze ans et qu’il peut avoir la vie des Motorhead, qu’il a fait ses preuves, que tout
ce qui le dérange, il peut l’envoyer dinguer, maintenant monsieur fait du rock avec
ses petits merdeux de copains élevés par on sait pas qui, vous êtes élevés par qui,
qui c’est qui vous a élevés, c’est qui vos parents, ils sont responsables ou quoi, ils
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sont complètement irresponsables oui, je vais porter plainte contre eux moi, ils ont
qu’à bousiller leurs gosses si ça les intéresse, mais merci j’ai pas envie qu’ils
bousillent le mien ! Et ça s’habille comme une petite fiotte là, été comme hiver,
avec le pognon que ça vient gratter à ses vieux en tirant une tronche de miséreux,
pour aller s’acheter quoi, de la fripe de dandy trois tailles trop basses qui lui
compresse les couilles et le cul, et des grolles de maquereau. À douze piges ! Et que
je me déverse un pot de gomina entier sur le crâne tous les matins, avant de partir à
mon contrôle de maths, et que j’arrête de faire mes devoirs, non non tu comprends
j’ai pas le temps, on a une répète, faut que j’aille au studio, je suis dans le rock
maintenant je peux pas continuer à louser comme tous les blaireaux de mon âge, je
suis au-dessus de ça moi, j’ai touché à la grande vie, moi, je peux plus décrocher
maintenant, je peux plus revenir en arrière, tu comprends, ça c’est bon pour les
caves, aller à l’école, faire ce que disent les parents, ça craint à mort tu comprends !
Non, nous on a mieux à faire, on a un manager, on fait des tournées, on joue dans
les festivals, on fait notre musique, les gens viennent nous écouter, on est adulés !
Si ça vous amuse de vous faire chier pour arriver péniblement à mener une petite
vie de merde, tant mieux pour vous, mais moi et mes potes, on vise plus haut, on
mène grand train nous, on fait du rock ! On fume des clopes ! On fume des pètes !
On boit des bocks ! On se tape des loutes ! On touche du pèze ! On est des stars !
On est des vedettes ! On tombe tout le monde nous ! Tout le monde nous aime ! On
a pas le temps nous ! On est des bêtes ! On se fait des trips ! C’est toujours la fête !
Les autres c’est des nuls ! Ils se prennent la tête ! On a tout compris nous ! On est
plus libres nous ! On fait ce qu’on veut nous ! Rien ne nous arrête !
Il déculotte Honoré, le couche vigoureusement sur ses genoux et lui administre une
fessée.
LE PÈRE D’HONORÉ : Ah oui ? Ah oui ? Ah oui ? Ah c’est ça ? Ah c’est comme
ça ? Ah oui ? Ah tu veux y aller ? Ah tu veux y aller ? Ah tu veux y aller ? Eh ben
on va y aller ! On va y aller alors ! On va y aller ! D’accord ! On va y aller ! Ah
oui ! Eh ben tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens
tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens
tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens tiens
tiens tiens tiens tiens tiens…
La batterie se cale sur le rythme de la fessée. Le concert continue.
TRAPIER : Les Pinkettes quoi qu’elles fassent ça marche c’est prodigieux tout le
monde achète tout le monde est client succès critique succès public succès
commercial phénomène de société irruption précoce estampille d’avant-garde
bannière générationnelle révolte nihiliste alliance féminine.
LOUNA : Et nos têtes comme deux bols contigus se touchaient
Et nos rêves infusaient l’un dans l’autre
Et nos crânes se touchaient Comme deux bols contigus,
un liquide, ou une onde, un liquide ou une onde
un liquide ou un rêve a coulé de ma tête
A coulé de ma tête
Elle s’écroule.
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CHŒUR DU PUBLIC : Ahh Hann Qu’est-ce qu’elle a oh la pauvre elle est morte
Han Ah elle prend des trucs cette fille non elle est défoncée non elle bouge plus là
faut l’emmener Hannn.
OFF : Et Honoré est assigné à domicile et parvient au début à fausser compagnie à
la sentinelle parentale en profitant d’une surveillance relativement lâche pour cause
de garde partagée entre parents divorcés pour rejoindre les Schwartz au studio et
reprendre avec eux les répétitions mais n’ose pas rejoindre les Schwartz les soirs de
concert pour cause de notoriété événementielle puis l’étau paternel se resserrant ne
parvient plus à les rejoindre du tout et demande par solidarité la dissolution des
Schwartz.
HONORÉ : Je vous en supplie les amis je vous en supplie vous pouvez pas
continuer sans moi on est un groupe ou on n’est rien vous pouvez pas continuer
sans moi je ne vais pas le supporter c’est dur pour moi c’est la pire période de ma
vie ça me ferait un tout petit peu de bien si je savais que vous continuez pas sans
moi.
OFF : Dissolution.
HONORÉ : Je vous en supplie
OFF : Qu’il n’obtient pas.
JICK+IGOR : Désolé Honoré la musique c’est trop important pour nous.
OFF : Mais il restera toujours quelque chose d’Honoré dans le style des Schwartz.
JICK+IGOR : Un deux trois quatre
Sors de ton cloître
Un deux trois quatre
Rentre ton goître
Un deux trois quatre
Griffe ton pédiatre
Un deux trois quatre
Mords ton psychiatre
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Vous croyez qu’on le sait pas que vous dites qu’on est jetables ?
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : On le sait bien qu’on finira par être jetés par être broyés par être oubliés
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Mais alors si on sait ça quoi on essaie rien quoi c’est lâche
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
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IGOR : On le sait bien que si on avait cinq ans de plus on n’existerait pas
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Musicalement je veux dire. On n’existerait pas musicalement.
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Vous nous achetez parce que vous pensez nous vendre à tous ceux qui nous
ressemblent
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Et dans le fond vous nous traitez comme vous traitiez les femmes au
XIXème siècle
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : On peut rien y faire on peut juste vous dire qu’on le sait
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : Histoire que vous ne jouissiez pas de tirer profit d’un groupe d’aveugles
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : On sait aussi que la vie ce n’est pas la conquête ce n’est pas l’acquisition
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : On sait que tout est périssable et qu’on peut juste essayer de retarder le plus
possible sa propre chute
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : On ne pense pas comme vous pensez qu’on pense
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : On ne désire pas ce que vous pensez qu’on désire
JICK : Un deux trois quatre cinq six sept huit
IGOR : C’est juste que pour l’instant nos corps sont inadaptés c’est tout
OFF : L’année suivante la voix d’Igor mue.
JICK+IGOR : Un deux trois quatre cinq six sept huit
Viens ma belle c’est l’heure de la fuite
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Un deux trois quatre cinq six sept huit…
LE CHŒUR DES FANATIQUES : Qu’est-il arrivé à ta voix ? Cet organe de
gamine dans un corps de gamin. Cette ravissante troublante monstruosité. Nous
sommes des dizaines de milliers nous sommes des milliers nous sommes des
centaines nous sommes des dizaines nous sommes une dizaine.
JICK : Essaie de chanter en voix de tête.
IGOR : Un deux trois quatre cinq six laisse tomber va.
JICK : Essaie en voix de tête.
IGOR : J’ai plus de voix de tête.
Riffs sur riffs sur riffs sur riffs. Puis silence.
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