laïcité - France Urbaine

Transcription

laïcité - France Urbaine
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
actes du colloque
aspects pratiques de l'application du principe de laïcité
22 juin 2005 - paris
sommaire
Ouverture
Jean Dumonteil, directeur du Département collectivités locales du Groupe Moniteur
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Jean-Marie Bockel, président de l’Association des Maires de Grandes Villes de France
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Introduction
Fondements et enjeux de la loi 1905
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Rémy Schwartz, conseiller d’Etat, professeur associé à l'université de Versailles Saint-Quentin,
rapporteur général de la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité
dans la République
Table ronde 1
La laïcité dans les services publics
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Jean-Paul Bret, maire de Villeurbanne
Claude Dagorn, directeur du centre hospitalier spécialisé Ville-Evrard (Seine Saint-Denis),
représentant de la Fédération hospitalière de France
Rémy Schwartz, conseiller d’Etat, professeur associé à l'université de Versailles Saint-Quentin,
rapporteur général de la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité
dans la République
Table ronde 2
La loi de 1905, les collectivités locales et les nouveaux lieux de culte
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Jean-Paul Alduy, sénateur, maire de Perpignan
Alain de Bouteiller, directeur général des services de la ville de Bordeaux
Michel Destot, député, maire de Grenoble
Jean-Pierre Fourcade, sénateur, maire de Boulogne-Billancourt
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sommaire
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Table ronde 3
Quel enseignement du fait religieux ?
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Dominique Borne, doyen de l’Inspection générale de l’Education nationale
Jean-Pierre Brard, député, maire de Montreuil
Jacqueline Costa-Lascoux, chercheur au CNRS
Clôture
André Rossinot, secrétaire général de l’Association des maires de grandes villes de France,
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maire de Nancy, président du Centre national de la fonction publique territoriale
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ouverture
Jean Dumonteil, directeur du Département collectivités locales du Groupe Moniteur
De nombreux colloques et rendez-vous commémoratifs se tiennent cette année sur le thème de la laïcité.
L’originalité de cette journée de réflexion organisée par l’Association des maires de grandes villes de France
tient au fait qu’elle est centrée sur les aspects pratiques de l’application du principe de laïcité dans la gestion locale.
La journée est organisée en trois temps :
• une première table ronde sur la laïcité dans les services publics territoriaux
et services publics hospitaliers ;
• une deuxième table ronde sur les lieux de cultes, avec une présentation
de réalisations concrètes ;
• une troisième table ronde sur l’enseignement du fait religieux.
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de laïcité. Il est conseiller d’Etat, professeur associé à l’université de Versailles
Saint-Quentin et rapporteur général de la commission de réflexion sur
l’application du principe de laïcité dans la République. Le colloque sera
clôturé par André Rossinot, secrétaire général de l’Association des maires de
grandes villes de France, maire de Nancy, président de la communauté urbaine du Grand Nancy et président
du Centre national de la fonction publique territoriale. Jean-Pierre Brard, député de Seine-Saint-Denis et maire
de Montreuil, a été très actif dans la préparation de cette journée.
Le sénateur-maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel, n’a malheureusement pas pu être présent parmi nous
aujourd’hui. Il a, toutefois, souhaité nous adresser un message dans lequel il place la laïcité au cœur du contrat
social.
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Rémy Schwartz introduira le débat en posant les bases juridiques du principe
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Jean-Marie Bockel, président de l’Association des maires de grandes villes de France
Le message du président de l’Association des maires de grandes villes de France est diffusé.
Je suis très heureux d’ouvrir ce colloque sur la laïcité dans la cité, organisé à l’initiative de l’Association des
maires de grandes villes de France. Notre réflexion porte de plus en plus sur les problèmes de société. Il est
vrai que nos villes sont, avant d’autres territoires, confrontées à ces questions. Cent ans après la loi de 1905,
de nombreux colloques et manifestations commémorent cette date importante. En tant que maires, nous sommes confrontés au quotidien au concept de laïcité aujourd’hui. Nous avons depuis des décennies une pratique
de la relation avec les différents cultes. Dans l’ensemble, tout se passe bien. Nous avons très souvent établi
dans un contexte nouveau, les relations avec l’islam sur la question des lieux de cultes, de leur financement,
des fêtes ou cérémonies ayant une incidence sur l’espace public. Sur ces sujets, il est important de partager les
bonnes pratiques, d’échanger et de mettre en avant les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
Au-delà du problème des relations avec les cultes, nous devons
réfléchir au vivre ensemble. Dans la République, à côté des questions économiques et sociales, c’est un des principaux défis.
une dégradation des comportements dans nos villes. Même si la
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qualité de vie s’est améliorée, le vivre ensemble s’est détérioré
à certains endroits. La laïcité représente un certain nombre de
règles et de pratiques qui doivent contribuer à améliorer ce vivre
ensemble en évitant l’instrumentalisation ou le non-dit, sans
parler du clientélisme ou du communautarisme.
Les aspects sont multiples et touchent l’égalité hommes-femmes et les valeurs de la République. Nous devons
aborder cette journée de réflexion dans un esprit positif et ouvert. La complaisance ne permet pas d’avancer.
Le dialogue avec une majorité de citoyens s’impose et permettra de reposer un certain nombre de règles de base
qui doivent être acceptées pour que nous inventions une laïcité moderne prenant en compte la réalité du monde
actuel. Le fait religieux n’est pas que privé ; il s’est invité dans l’espace public. Il faut concilier cette réalité
avec le principe de laïcité.
La dimension religieuse ne constitue qu’une partie de la réflexion sur la laïcité. La dimension éducative est également essentielle. Nous devons réfléchir pour savoir comment parler de la laïcité à une jeunesse qui n’a pas
bénéficié sur ce sujet du même apport et de la même transmission de valeurs que les générations précédentes.
La dimension éducative de tous est indispensable, indépendamment de la question religieuse.
Cette journée contribuera à rénover dans nos villes au quotidien le concept de laïcité, condition sine qua
non d’un vivre ensemble respectueux des valeurs de la République auxquelles nous sommes très attachés.
Mesdames et Messieurs, je vous souhaite des travaux fructueux.
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Malgré tous nos efforts, nous vivons des tensions croissantes et
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fondements et enjeux de la loi 1905
Rémy Schwartz, conseiller d’Etat, professeur associé à l'université de Versailles Saint-Quentin, rapporteur
général de la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République
Ma présentation sera axée sur les fondements de la loi de 1905, qui sont d’actualité. La France a une longue
tradition laïque, relative mais réelle : tout au long de l’Ancien Régime, les rois de France n’ont eu de cesse
de s’opposer politiquement à l’Eglise catholique pour affirmer leur autorité et l’emprise de l’Etat royal sur
l’Eglise catholique. Un roi de France, fille aînée de l’Eglise catholique, s’est même allié à la Turquie musulmane pour lutter contre d’autres Etats catholiques, ce qui témoigne de l’affirmation de l’indépendance de
l’Etat royal par rapport à l’Eglise catholique.
La loi de 1905 est allée au-delà : elle ne s’est pas arrêtée à
l’indépendance de l’Etat par rapport aux Eglises mais elle
a affirmé une liberté individuelle. Nous sommes passés d’une
liberté de l’Etat à une liberté des Eglises puis à une liberté
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ou de ne pas croire. Tout notre système repose sur l’idée
que l’homme est libre de choisir, libre d’appartenir ou pas
à une communauté ou à un groupe. Il ne se définit pas
abstraitement par rapport à un groupe ou à une communauté. La liberté individuelle est au cœur de la loi de 1905
et de notre tradition juridique et politique.
Cette loi repose sur trois piliers fondamentaux qui conservent toute leur pertinence : liberté des cultes, séparation
des religions et de l’Etat, liberté d’expression religieuse.
I. La liberté des cultes
La loi du 9 décembre 1905 consacre dans son article 1er la liberté de conscience et le libre exercice des cultes
sous les seules restrictions tenant à l’ordre public. Elle affirme parallèlement dans son article 2 la neutralité
de la République. La République ne reconnaît plus aucun culte, ce qui est fondamental. Auparavant, un service public du culte existait avec des religions reconnues : l’Eglise catholique, les deux Eglises protestantes,
les communautés israélites. Ces trois religions étaient reconnues par le Concordat et par les textes mis en œuvre
par Napoléon pour organiser les cultes protestant et israélite.
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fondements et enjeux de la loi 1905
de tous. La loi de 1905 consacre le droit de chacun de croire
1. Définition du culte
La loi de 1905 supprime toute reconnaissance officielle des cultes. Il n’existe plus de religion d’Etat, plus de
religion reconnue. Il n’y a par conséquent plus de définition du culte, la seule manière de définir un culte étant
de le reconnaître. Dès lors que l’Etat se refuse à reconnaître des cultes, chacun est libre d’organiser son propre
culte. Le rapport Briand de présentation de la loi de 1905 était très clair : Briand exposait que la France de
1905 comptait 37 millions de catholiques, plusieurs centaines de milliers de protestants, 120 000 israélites
mais il expliquait que le texte de la loi devait pouvoir dans l’avenir bénéficier aux nouveaux cultes. Briand
évoquait déjà les nouvelles religions qui pourraient apparaître en France.
Pendant longtemps, en métropole, nous avons vécu avec les trois cultes traditionnels. Il faut attendre les
années 80 pour que se pose au contentieux du Conseil d’Etat la question des religions nouvellement implantées en France et pour savoir si ces religions étaient des cultes. Le Conseil d’Etat s’est heurté au problème de
la définition du culte dans un Etat laïc où les religions ne sont pas définies. Pour aborder cette notion, le
juge s’est référé au sens commun de la notion de culte posé au fil du temps par les dictionnaires, la doctrine
et les universitaires les plus éminents.
Dans un arrêt d’assemblée du 24 octobre 1997, "Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de
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Riom", le Conseil d’Etat définit le culte comme la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement par des personnes réunies par une même croyance religieuse de certains rites ou de certaines
pratiques. La référence se fait par rapport à un élément subjectif, c’est-à-dire une foi en un dieu, et par rapport à une dimension plus objective, le regroupement de fidèles dans le cadre de cérémonies pour célébrer des
rites ou pratiques. Le juge s’est rattaché à ces éléments pour essayer de définir la notion de culte.
En retenant cette définition, le juge a été conduit à reconnaître aux adeptes de Krishna le caractère d’un
culte dans une décision du 14 mai 1982, "Association internationale pour la conscience de Krishna". Par la suite,
la question des témoins de Jéhovah s’est posée. Dans un premier temps, par un arrêt d’assemblée de 1985,
le Conseil d’Etat a considéré que, prises dans leur ensemble, les activités d’une association des témoins de
Jéhovah ne permettaient pas de regarder cette association comme cultuelle. Les témoins de Jéhovah pratiquaient un culte mais le juge avait retenu la notion d’ordre public et avait estimé en 1985 que certaines
orientations des témoins de Jéhovah, notamment en matière de santé publique, pouvaient être contraires à
l’ordre public et devaient conduire le juge à ne pas autoriser la reconnaissance du statut d’association cultuelle.
La jurisprudence s’est assouplie et affinée à la fin des années 90. Elle a posé le critère du respect de l’ordre
public pour la reconnaissance du statut d’association cultuelle en se fondant sur l’impossibilité a priori de considérer qu’une association allait méconnaître l’ordre public. Il faut donc s’attacher à la pratique. Il n’est possible de dénier à des associations le statut d’association cultuelle que si dans leur pratique, et non a priori
dans leur doctrine, elles viennent à méconnaître l’ordre public. Le juge a par conséquent reconnu le caractère cultuel de la pratique des témoins de Jéhovah.
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Aujourd’hui en France, toute religion, c’est-à-dire tout groupement de personnes se reconnaissant dans une
transcendance et organisant pour cela des réunions de fidèles pour pratiquer des rites et des croyances, peut
se prévaloir de l’exercice public d’un culte dès lors qu’elle respecte l’ordre public. Ce point essentiel est consubstantiel de l’idée que plus aucun culte n’est reconnu. Tout culte peut par conséquent prétendre au statut des
associations cultuelles.
2. Le statut d’association cultuelle
Les associations cultuelles ont été prévues par la loi du 9 décembre 1905 pour bénéficier de la mise à disposition des édifices. Auparavant, un service public du culte existait. Si la Révolution de 1789 avait affirmé la
propriété de la Nation sur tous les édifices du culte, le Concordat et les textes organisant les confessions
protestantes et le culte israélite, disposaient que ces biens particuliers appartenant à la Nation étaient remis
à des établissements publics du culte (fabriques, manses épiscopales, consistoires) pour célébrer les cultes
catholique, protestant et juif. Ces biens étaient cependant toujours censés appartenir à la Nation.
Quand l’exercice du culte a été supprimé le 9 décembre 1905, les établissements publics du culte ont du être
supprimés. Il était dès lors indispensable de prévoir le transfert des biens. Les associations cultuelles ont été
pour l’exercice du culte. Les biens devaient être remis uniquement aux associations qui se conformaient aux
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règles d’organisation du culte auquel étaient consacrés les édifices.
Le modèle conçu était relativement simple mais le Vatican s’est refusé à reconnaître les associations cultuelles
car le Pape de l’époque s’est opposé à la suppression de la religion d’Etat dans une encyclique virulente. Il a
refusé la constitution des associations cultuelles. Il a fallu prévoir dans l’urgence en 1907 que le transfert puisse
s’organiser au profit d’associations loi 1905 ou d’autres structures pour pouvoir malgré tout organiser la
dévolution des biens. La loi de 1905 avait prévu que les biens cultuels devaient être remis aux associations
cultuelles et ceux qui n’étaient pas consacrés exclusivement aux cultes devaient revenir aux établissements
publics de bienfaisance. Cette distinction aboutissait à une contradiction juridique : les biens non remis aux
associations cultuelles devaient être remis à des établissements de bienfaisance ou de charité communaux. Une
autre disposition de la loi prévoyait l’obligation de maintenir à la disposition du culte les édifices du culte
existants.
La loi de 1907 a permis de sortir de cette contradiction. L’Eglise catholique a adopté le statut des associations diocésaines, considéré comme conforme à la loi de 1905 par deux avis du Conseil d’Etat de 1923.
Jean Dumonteil
Les problèmes et tensions liés aux inventaires sont-ils apparus à cette époque ?
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fondements et enjeux de la loi 1905
créées pour cette raison. Le transfert des biens existants a donc été prévu à des associations créées uniquement
Rémy Schwartz
Non, l’inventaire date de 1905, lorsque les établissements publics du culte ont été supprimés. L’inventaire consistait à établir le partage entre les biens cultuels et ceux que les établissements publics du culte avaient acquis. Les
premiers devaient être remis aux associations cultuelles, les seconds aux maires de l’époque dans le cadre
des établissements publics de charité ou de bienfaisance. Ce partage fut relativement violent.
Le statut d’association cultuelle présente aujourd’hui avant tout un intérêt fiscal puisque ces associations ne
sont soumises ni aux impôts locaux, ni à la taxe d’habitation. Elles sont exemptées des droits de mutation
pour les dons et legs. Depuis 1987, les donateurs peuvent bénéficier de déductions fiscales qui se sont bonifiées au fil du temps :
• les personnes physiques peuvent déduire 66% de leurs dons dans la limite de 20% du revenu imposable ;
• les personnes morales peuvent déduire 60% de leurs dons dans la limite de 5% de leur chiffre d’affaires.
A mon sens, il existe depuis 1987, par ce biais, un financement public indirect du culte.
Tout culte peut créer une association cultuelle loi 1905 à condition de remplir les trois conditions que la jurisprudence
a posées. Il doit tout d’abord s’agir d’un culte. Ensuite, l’association cultuelle doit avoir exclusivement un but
cultuel : toutes les activités à des fins culturelles ou marchandes ne permettent pas de reconnaître le statut
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d’association cultuelle. La jurisprudence concerne surtout des associations qui peuvent être qualifiées de
sectes par certains, comme l’association des fraternités des serviteurs du nouveau monde, l’association de
l’étude de la foi nouvelle liée à la scientologie. La rigueur de la jurisprudence oblige à distinguer l’association loi 1905 dont les activités sont exclusivement cultuelles et l’association loi 1901 dont les activités varient.
Une association qui a des activités cultuelles ne peut pas recevoir de subventions publiques.
Enfin, la dernière condition tient au respect
de l’ordre public. Une association ne peut se
prévaloir de la reconnaissance de sa qualité
cultuelle lui ouvrant doit aux avantages fiscaux
si elle trouble l’ordre public. L’association doit
par sa pratique méconnaître l’ordre public,
il n’est pas possible de lui reprocher en raison
de sa doctrine. Ce point a été jugé pour des
associations de témoins de Jéhovah et a
conduit le juge à leur reconnaître la qualité
d’association cultuelle. Par contre, cette qualité a été refusée par une décision du 28 avril 2004, "Association
cultuelle du Vajra triomphant", autrement dit le Mandarom : le juge a considéré que, compte tenu des poursuites pénales engagées contre le fondateur de l’association et des liens avec d’autres associations appelant
à méconnaître la loi, cette association troublait l’ordre public.
Ce premier volet de la loi de 1905 a une grande souplesse et est réellement d’actualité aujourd’hui parce
qu’il peut bénéficier à tous.
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II. La séparation des religions et de l’Etat
L’Etat est absolument neutre comme le rappelle la décision du Conseil d’Etat du 18 mars 2005, "Territoire de
la Polynésie française" : le principe constitutionnel de laïcité impose une stricte neutralité des personnes
publiques, une égalité de traitement des cultes mais n’interdit pas tout concours publics financiers.
1. L’Etat est absolument neutre
Le principe de la neutralité de l’Etat est au cœur de la République française depuis 1905 et façonne l’organisation des pouvoirs publics français. Cette neutralité se traduit par l’interdiction de toute subvention à l’exercice
du culte. L’exercice du culte ne peut être financé.
La jurisprudence a été abondante entre 1905 et 1940 sur cette question. Le juge a interdit que les prêtres,
les pasteurs ou les rabbins soient rémunérés sous quelque forme que ce soit, sauf si le prêtre exerçait d’autres
fonctions en étant par exemple gardien de l’église et à ce titre agent public. Un agent public étant soumis à
la neutralité, le débat pourrait être intéressant au contentieux. Les collectivités locales ne peuvent plus
prendre en charge le logement des prêtres, pasteurs, rabbins. Des centaines de décisions concernent ce point
dont certaines sont très cocasses.
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des textes particuliers permettaient de financer les établissements d’enseignement privé, la loi de 1905 interdisait le financement public de l’enseignement privé, dès lors qu’il devait s’assimiler à une subvention au
culte. Cette jurisprudence est aujourd’hui marginale compte tenu de l’organisation actuelle du financement
de l’enseignement privé. Le Conseil constitutionnel a considéré que la liberté de l’enseignement était un
principe à valeur constitutionnelle en 1977 et a considéré par là même que l’aide à l’enseignement privé
était légale. Il s’agit d’un arbitrage entre deux principes de valeur constitutionnelle.
Les contentieux actuels dans ce domaine concernent des associations sociales ou culturelles qui ont par ailleurs
des activités cultuelles. Dès lors qu’une association se livre à des activités cultuelles, elle ne peut bénéficier
de subventions publiques comme le rappelle l’arrêt de section du Conseil d’Etat du 9 octobre 1992 "Commune
de Saint-Louis contre association Siva Soupramanien".
2. Certains concours publics sont néanmoins prévus pour les cultes
La loi de 1905 a prévu des concours publics en ce qui concerne les bâtiments. Briand avait constaté dans son
rapport que l’Etat, les départements et les communes étaient propriétaires historiquement des cathédrales
et des églises et devaient assumer leur responsabilité de propriétaire. La loi du 9 décembre 1905 a transcris
cette obligation : le propriétaire doit assumer ses obligations.
Entre 1905 et 1908, un certain assouplissement a été constaté. La logique première voulait que les associations
cultuelles prennent en charge les frais quotidiens d’entretien et que l’Etat, les départements, les communes
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fondements et enjeux de la loi 1905
Avant les grandes lois sur le financement de l’enseignement privé, le juge a estimé que, hormis les cas où
prennent en charge les frais de propriétaires. En 1908, une certaine souplesse apparaît puisque l’Etat, les départements et les communes peuvent désormais prendre en charge l’entretien et la conservation des bâtiments.
Les collectivités publiques propriétaires assurent la conservation et l’entretien des bâtiments dont elles sont
propriétaires.
Le législateur intervient en 1942 pour compléter la loi de 1905. La disposition est maintenue en vigueur à la
Libération. Le législateur considère que ne sont pas considérés comme des subventions les concours qui peuvent être apportés aux associations cultuelles pour l’entretien et la conservation des bâtiments cultuels. Les
associations cultuelles propriétaires de leur ouvrage peuvent demander aux personnes publiques des fonds
publics pour en assurer l’entretien et la conservation. L’article 19 est issu de la loi de 1942.
Historiquement, les personnes publiques doivent entretenir les biens qui leur appartiennent. Les biens qui
appartiennent aux associations cultuelles peuvent bénéficier de concours pour assurer leur conservation. La loi
de 1905 distinguait les biens et l’exercice : ce dernier ne peut pas être subventionné à l’inverse des biens.
Le législateur a prévu des concours particuliers pour les cultes parallèlement à la loi de 1905. J’ai parlé de
l’enseignement privé et de la mise en œuvre du principe fondamental reconnu par les lois de la République
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dégagé par le Conseil constitutionnel. Il existe par ailleurs des aides indirectes. Je ne vise pas sous cette notion
d’aide les baux emphytéotiques qui font normalement l’objet de loyers au prix du marché. L’association cultuelle bénéficiant d’un bail emphytéotique est traitée comme une association culturelle ou une entreprise. Il
ne faut pas parler d’aide dans cette hypothèse à mon avis.
En revanche, une disposition d’une loi de finance rectificative du 29 juillet 1961, aujourd’hui codifiée dans le
Code général des collectivités territoriales, prévoit que des garanties d’emprunt peuvent être apportées par
les communes et les départements dans les agglomérations nouvelles pour la construction d’édifices du
culte. Cette loi n’a jamais été déférée au Conseil constitutionnel.
Depuis la loi du 23 juillet 1987, les dons accordés aux associations cultuelles sont déductibles des impôts. Ce
régime constitue une aide publique indirecte aux cultes. La Cour de Justice des Communautés européennes
considère en effet que toutes les déductions fiscales aux entreprises constituent des aides publiques.
III. La liberté d’expression religieuse
Je distingue l’expression dans l’espace public de l’expression dans les services publics, car la situation est différente.
1. Dans l’espace public
Dès 1907-1909, le juge a considéré que la liberté d’expression religieuse et de conscience était une liberté
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publique : la liberté était dès lors la règle et l’interdiction l’exception. Les interdictions doivent être justifiées
par des circonstances de temps et de lieux pour des raisons d’ordre public.
L’arrêt "Benjamin" de 1933 exprime cette notion en matière de police administrative : les maires ne peuvent
prendre que des mesures de police qui soient adaptées aux circonstances de temps et de lieu et proportionnées à la menace à l’ordre public. Je citerai un exemple contemporain : lorsque des municipalités ont interdit des meetings du Front national, elles ont du se justifier et établir qu’en fonction des menaces à l’ordre
public et de l’absence de moyens dont elles disposaient pour maintenir l’ordre public, leur décision d’interdiction était légalement justifiée.
Depuis les années 30, la jurisprudence garde une ligne directrice identique. L’interdiction d’une liberté doit
être proportionnée à la menace. Il faut prouver que la personne publique n’a pas les moyens d’assurer la
liberté dans des conditions normales et la mesure doit être proportionnée aux circonstances de temps et de
lieu. Cette philosophie est présente dans les arrêts du Conseil d’Etat dès 1907 : les maires de l’époque voulaient
interdire certaines processions qui pouvaient se transformer en manifestations politiques. Le juge examinait
si les menaces de troubles à l’ordre public étaient réelles et si la municipalité n’avait pas les moyens de la
maintenir. De nombreux contentieux ont également eu comme sujet les sonneries de cloche.
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dispose d’un pouvoir de police et peut intervenir y compris dans le bâtiment cultuel quand ces troubles
dégénèrent et sont susceptibles d’affecter l’ordre public. De même, les maires disposent de pouvoirs de
police spéciale pour les bâtiments qui présentent un péril imminent.
2. Dans les services publics
a. Les agents publics
Pendant longtemps, la liberté d’expression dans les services publics n’a pas posé problème. L’Etat est neutre
et cette neutralité impose aux agents publics une stricte obligation de neutralité d’expression et vestimentaire.
Ils sont en revanche libres de leurs convictions. Dans la jurisprudence du 28 avril 1938 "Demoiselle Weis", le
Conseil d’Etat avait sanctionné une administration qui avait pris en compte les convictions personnelles
d’une personne pour lui interdire de postuler à une promotion interne au sein de la fonction publique.
Les convictions religieuses des agents publics ne peuvent pas être prises en compte pour les sanctionner et leur
refuser l’accès à la fonction publique à l’exception de certains cas particuliers. La jurisprudence "Abbé Bouteyre"
du 10 mai 1912 est en effet toujours d’actualité et a été rappelée entre 1985 et 1992 : si par son comportement ou ses propos, une personne révèle une inaptitude à l’exercice des fonctions publiques auxquelles elle
postule, il est possible de lui refuser l’accès à la fonction publique. Cette jurisprudence a surtout joué pour
des emplois d’autorité (commissaires de police, gardiens de prisons, agents de police) : le comportement antérieur avait été pris en compte et révélait des attitudes peu républicaines ou peu respectueuses de la sobriété
nécessaire dans l’exercice des fonctions.
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Ces tensions sont aujourd’hui apaisées, à l’exception des troubles à l’intérieur des édifices cultuels. Le maire
Une fois dans l’exercice de ses fonctions, l’agent public est soumis à une stricte neutralité dans l’expression
et dans ses tenues vestimentaires. Il ne peut donner l’impression que le service public viendrait à manquer
au principe de neutralité. Le Conseil d’Etat l’a rappelé par un avis du 3 mai 2000 "Demoiselle Marteaux" : la
question était posée par un tribunal administratif au Conseil d’Etat au sujet d’un agent de l’Education nationale qui n’était pas en contact direct avec les élèves. Nous avons rappelé que, même en l’absence de contact
direct, l’agent doit avoir une tenue adaptée et que la neutralité est absolue.
b. Les usagers
La question s’est posée pour les usagers dans les années 80 : les problèmes sont apparus après la révolution
islamiste iranienne. Des jeunes filles, usagers du service public, ont commencé à porter le voile volontairement.
Ce n’était jamais arrivé.
Le problème s’est essentiellement posé dans les services publics particuliers qui encadrent des usagers. L’Etat
a prévu dans ces cas particuliers la présence d’agents publics du culte pour permettre la liberté d’expression
là où le fonctionnement du service public ne permettrait pas aux usagers, voire aux agents publics, d’aller
exercer leur culte : prisons, armées, hôpitaux, internats. C’est une forme résiduelle de service public du culte
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en métropole, hors Alsace-Moselle.
Avec l’apparition des foulards, le Conseil d’Etat a été confronté à une difficulté nouvelle et a estimé dans un
avis du 27 novembre 1989 qu’il y a quand même une différence de nature entre l’agent public et l’usager
puisqu’il est vrai que la neutralité de l’Etat est conçue pour ne pas heurter les convictions de l’usager. Pour cette
raison, la neutralité s’impose strictement à l’agent public mais, concernant l’usager, il existe un balancement
entre ses droits individuels et les obligations de service public. En 1989, nous étions gênés par la loi sur l’éducation de 1989 qui reconnaissait le droit à l’expression dans le service public, d’où cet avis balancé. Il n’est
pas possible d’interdire de façon absolue mais un certain nombre d’obligations très strictes doivent être respectées : respect du pluralisme, interdiction de perturber les cours, obligation d’aller à tous les enseignements, etc.
La jurisprudence était très difficile à mettre en œuvre, même si elle était très sévère puisque les moindres
manifestations religieuses ou pour réclamer le droit de porter le voile ont été considérées comme des troubles justifiant l’exclusion des établissements d’enseignement. Ce sont des décisions assez sévères du Conseil
d’Etat de 1996. Le Conseil d’Etat a également admis que, pour un certain nombre de cours, les élèves étaient
obligés de porter une tenue adaptée.
La difficulté de mettre en pratique cette jurisprudence et les tensions existant dans les établissements d’enseignement ont conduit le législateur à intervenir pour modifier la loi de 1989 et interdire le port de tout signe
ostensible dans les établissements d’enseignement ce qui a permis de régler la question.
Le problème peut encore se poser dans les hôpitaux. Monsieur Dagorn en parlera. La situation est spécifique :
les élèves sont là pour une très longue durée mais le malade est en principe de passage à l’hôpital. Il faut
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respecter ses convictions tout en respectant des obligations en matière alimentaire, d’hygiène, de santé
publique. Les prisons posent également des problèmes très délicats dans la pratique puisque les détenus ont
tendance à se regrouper par affinités religieuses et à exclure les autres avec pression et endoctrinement sur
les codétenus.
Jean Dumonteil
Je remercie Rémy Schwartz d’avoir posé les bases juridiques et d’avoir introduit notre première table ronde
sur la laïcité dans les services publics.
fondements et enjeux de la loi 1905
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la laïcité dans les services publics
Table ronde 1
Intervenants :
Jean-Paul Bret, maire de Villeurbanne
Claude Dagorn, directeur du centre hospitalier spécialisé Ville-Evrard (Seine Saint-Denis), représentant de
la Fédération hospitalière de France
Rémy Schwartz, conseiller d’Etat, professeur associé à l’université de Versailles Saint-Quentin, rapporteur
général de la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République
Animation :
Jean Dumonteil, directeur du département collectivités locales, Groupe Moniteur
I. La laïcité dans les services publics municipaux
Jean Dumonteil
Monsieur le maire de Villeurbanne, quels problèmes concrets votre commune rencontre-t-elle par rapport à
l’application du principe de laïcité ?
Jean-Paul Bret
Vous m’avez demandé d’évoquer la laïcité telle qu’elle est mise en pratique dans l’exercice quotidien dans
les services publics des collectivités locales. J’introduirai mon propos par une anecdote relative à la ville dont
je suis le maire. Villeurbanne, ville de 130 000 habitants,
possède une salle des mariages dans son hôtel de ville.
Un orgue assez monumental et de bonne facture trône
dans cette salle. Deux organistes vacataires se succèdent. Les mariages sont célébrés au son d’un orgue
républicain qui a été installé en 1934 lors de la construction de l’hôtel de ville. La municipalité de l’époque
témoignait d’une volonté laïque et voulait à l’évidence
concurrencer le rituel catholique.
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la laïcité dans les services publics
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Je ne dispose pas de statistiques. L’Association des maires de grandes villes de France a distribué un questionnaire. Beaucoup de villes répondent qu’elles ne rencontrent pas de problème particulier. Certaines grandes
villes évoquent quelques situations qui relèvent de cette problématique mais elles soulignent le contexte
d’apaisement général. Nous ne sommes pas en situation de crise. Cette question de la laïcité dans les services
publics est davantage évoquée aujourd’hui en raison du centenaire de la loi de 1905 qu’en raison d’une actualité
présente.
Il est frappant de constater la diversité avec laquelle la laïcité se manifeste dans les services municipaux.
Cette diversité correspond à la pluralité des actions municipales mais souligne le relatif vide juridique sur la
mise en œuvre concrète du principe de laïcité dans le quotidien des habitants. La décentralisation a accentué
cette carence en laissant une plus grande marge de manœuvre aux exécutifs locaux. Le rapport Stasi consacre
peu de lignes au problème de la laïcité dans les services publics municipaux ce qui corrobore mon point de
vue introductif.
Jean Dumonteil
Le rapporteur de la Commission Stasi confirme-t-il que les auditions ont révélé l’absence de problèmes ?
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Rémy Schwartz
Les problèmes venaient effectivement des services publics particuliers où les gens sont obligés de vivre en commun. Quelques problèmes ont néanmoins été mis en lumière dans les associations sportives. Ils concernaient
plutôt de la fermeture d’associations sportives que le comportement des services publics.
Jean-Paul Bret
Pour sérier mon propos, j’aborderai le triptyque de l’état civil : la naissance, le mariage et le décès. L’acte de
déclaration de naissance ne suscite pas de problème avec la laïcité. Le mariage ne soulève pas non plus trop
de problèmes, sauf lorsque les époux ne sont pas reconnaissables. Je n’ai pas rencontré cette situation dans ma
commune ces dernières années. J’ai eu connaissance de ce problème dans quelques communes. Le procureur
donne une réponse claire : les époux et les témoins doivent être reconnaissables. Le port du voile au moment
du mariage ne peut avoir qu’un caractère épisodique et peut se régler à travers la loi existante. La notion de
reconnaissance doit primer. Certains ont signalé des prières lors de la cérémonie du mariage. J’ai rencontré
ce cas une fois : la prière a été refusée poliment à la famille. Une ville a signalé les "youyous" lors des mariages.
Ils n’ont pas de caractère religieux et ne constituent par conséquent pas une atteinte à la laïcité. Ils sont
signe d’allégresse et relèvent plutôt d’un problème de discipline.
Les analyses sont plus complexes en ce qui concerne la mort, les cimetières et le domaine funéraire. La loi de
novembre 1881 pose le principe de laïcisation des cimetières : elle interdit d’établir une séparation dans les
cimetières communaux en raison de la différence des cultes. Cette loi ancienne a été corrigée par des dispositions à caractère réglementaire. Le maire assure en outre la police des funérailles et des cimetières : il doit
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faire respecter la neutralité. Aujourd’hui cependant, les demandes liées aux particularités religieuses sont
nombreuses et ont conduit beaucoup de communes à instituer des "carrés" à caractère religieux dans les
cimetières. En principe, ces carrés peuvent manifester un regroupement mais ils ne doivent pas être totalement
séparés du reste du cimetière. C’est le cas pour le carré musulman à Villeurbanne mais pas pour le carré juif,
qui est clos par des murs. La communauté juive a demandé à matérialiser une clôture.
Les corps des morts musulmans doivent être tournés en direction de La Mecque. Cette disposition est assez
simple à satisfaire. La nécessité d’être enseveli 24 heurs après le décès est en revanche beaucoup plus contraignante en termes de réglementation. Le permis d’inhumer intervient normalement au-delà des 24 heures.
La demande d’ensevelissement immédiat après la mort est relativement rigoureuse chez les juifs, plus que chez
les musulmans. Le préfet donne à 90% une dérogation qui autorise l’inhumation dans les 24 heures. Le problème
se pose en termes de fonctionnement du service public lorsque le délai de 24 heures tombe le dimanche ou un
jour férié. Dans ma commune, nous ne pratiquons pas d’obsèques le dimanche et les jours fériés. Lyon dispose
d’un cimetière israélite qui a été crée avant la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ce cimetière est géré
dans sa totalité par le consistoire. Les obsèques peuvent avoir lieu le dimanche et les jours fériés. Personnellement, je ne sais pas si l’adaptation du service public doit aller jusqu’à procéder aux enterrements le dimanche.
Notre réponse est réservée pour le moment pour des raisons de principe et des raisons pragmatiques de
fonctionnement du service public.
Les musulmans se font normalement enterrer à même le sol, ce qui est tout à fait proscrit chez nous pour
des raisons d’hygiène. Cette règle est acceptée. De la même manière, l’enterrement sur la terre d’accueil est
de plus en plus pratiqué, ce qui s’accompagne d’une relative prospérité commerciale des pompes funèbres
musulmanes.
Jean Dumonteil
Ma remarque s’adresse au magistrat : plusieurs petites dérogations sont prévues par rapport aux principes
généraux.
Rémy Schwartz
La mort est une situation particulière et personnelle. L’occupation privative du domaine public est en cause.
La logique de fonctionnement est donc différente de celle des autres services publics. Les règles d’hygiène et
de santé publique sont essentielles.
Jean-Paul Bret
La suite de mon intervention concerne la restauration scolaire, champ important pour la problématique de
la laïcité et des rites liés à la religion. La plupart des communes proposent depuis de nombreuses années des
repas sans porc et sans viande. J’ai cependant entendu parfois dans des cercles très laïcs des regrets à ce
sujet. Je réplique en général que les seules villes qui ont supprimé les repas sans porc sont les villes qui ont
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élu un maire Front National. Un représentant de l’extrême droite proteste rituellement dans ma commune,
chaque année, lorsque la liste des fournitures alimentaires passe, et regrette le peu de porc inscrit. Les communes sont sollicitées aujourd’hui pour proposer une alimentation adaptée, musulmane ou juive.
A Villeurbanne, sur 7 000 enfants inscrits dans les restaurants scolaires, environ 2 000 ne mangent pas de viande
ou pas de porc, soit 28% de la totalité. Nous ne demandons évidemment pas leur religion aux élèves lors de
l’inscription.
Jean Dumonteil
S’interdit-on de poser la question en termes religieux ?
Rémy Schwartz
Il est possible de ne pas vouloir manger de viande ou de porc sans être musulman ou juif.
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Jean Dumonteil
Une certaine neutralité est nécessaire dans les questions qu’un maire peut poser aux familles.
Jean-Paul Bret
De nombreux enfants souffrent en outre d’allergies. Nous refusons en revanche de mettre en pratique les
demandes plus rigoureuses en termes de religiosité, notamment les demandes concernant une alimentation
hallal ou kasher.
Dans l’agglomération lyonnaise, la plupart des grandes villes ont des systèmes
qui se ressemblent. Pour les services gestionnaires, il plus aisé de pratiquer ce
genre d’adaptation que de faire face à l’hystérie de la vache folle. Une adaptation régulière ne pose pas de problème particulier. De nombreux parents
demandent des menus adaptés à leurs enfants sans aucun lien avec la religion
ce qui pose aussi difficulté.
Je conclurai mon propos en parlant des équipements municipaux. Nous avons
toujours refusé, après négociation, de remettre en cause la mixité dans les
piscines. Les demandes à Villeurbanne sont en général venues de femmes issues
de la communauté juive.
L’usage des lieux publics pour les grandes fêtes religieuses (Kippour, Aïd el Fitr et Aïd el Kebir) est en revanche
plus complexe à gérer. La tradition à Villeurbanne est de mettre à disposition des lieux publics pour permettre
les grands rassemblements. La libre pensée ou des organisations ultra-laïques me l’ont parfois reproché.
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Je considère qu’il est du devoir d’un maire de permettre ces rassemblements. Les chrétiens ont des églises assez
grandes pour les accueillir. Je ne sais pas si c’est une atteinte au principe de laïcité.
Rémy Schwartz
Je confirme que ce n’est pas une atteinte au principe de laïcité. La logique de la loi de 1905 est la suivante :
l’Etat doit permettre aux uns et aux autres de vivre leur foi dans le respect de l’ordre public. Mettre à dispositions des lieux publics pour les grandes fêtes ne heurte en rien le principe de laïcité. C’est tout à fait conforme
à l’esprit de la loi.
Jean-Paul Bret
La présentation de ces différents exemples permet de dire qu’il existe des solutions jurisprudentielles et
réglementaires qui visent à résoudre le conflit entre le fonctionnement des services publics et l’exercice
d’une pratique religieuse. Ce mode de résolution reste exceptionnel dans la vie d’une commune.
La question de la laïcité dans les services publics doit être relativisée par rapport aux solutions particulières
et la médiation et par rapport au caractère marginal des demandes. La proximité des acteurs et le pragmatisme
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de terrain traduit bien l’idée d’une laïcité ouverte qui permet de reconnaître la diversité sans céder à l’emprise des communautarismes.
Le récent débat sur le traité constitutionnel a suscité de la part de certains le retour de positions affirmant
que la laïcité ne devait être ni ouverte, ni plurielle. La laïcité est par nature ouverte. J’ai lu cette phrase reprise
de façon dogmatique parfois. Je crois que la pratique d’une collectivité nous montre que la laïcité est nécessairement ouverte. Il n’y a pas d’absolu laïc qui suffirait faire régner une prétendue justice et une égalité de
traitement. C’est une illusion. Les collectivités locales nous le montrent.
Jean Dumonteil
Je vous remercie d’avoir dressé ce panorama du quotidien des villes. Je vous propose d’ouvrir le débat immédiatement d’autant plus que Rémy Schwartz doit nous quitter : une convention sera signée au Sénat tout à
l’heure et Monsieur Schwartz va verser à l’INA des archives vidéos des auditions de la Commission Stasi.
Rémy Schwartz
Beaucoup de mensonges et bêtises ont été formulés. Nous étions parvenus à un consensus et il a été dit que
c’était faux, par exemple. Verser toutes les archives des travaux de la Commission permettra aux chercheurs
de voir comment le consensus s’est collectivement élaboré.
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la laïcité dans les services publics
de type aménagement ou adaptation des services, par rapport aux évolutions de la pratique par le dialogue
Jean Dumonteil
Je vous invite à poser vos questions à Rémy Schwartz et Jean-Paul Bret, à présenter vos réactions et vos
témoignages sur les pratiques de vos villes.
Dominique de Vardo, conseillère municipale à Nice, déléguée aux cultes
Monsieur Bret, comment gérez-vous le problème des abattoirs au moment de la fête de l’Aïd el Kebir à Villeurbanne ? Nous rencontrons de nombreux problèmes à Nice.
Jean-Paul Bret
La communauté urbaine gère les abattoirs. Je connais donc assez peu cette problématique. Tous les abattages
ritualisés ont lieu dans des conditions d’hygiène normale. La pratique ancienne de l’abattage des moutons dans
la baignoire ou sur la pelouse ne relève plus de la réalité d’après moi. Les musulmans sont rentrés dans une
pratique européanisée qui correspond à nos critères en matière d’hygiène au niveau du traitement de la viande.
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Jean-Pierre Brard, député-maire de Montreuil
Les accords dérogatoires sur ce sujet ont été supprimés par Daniel Vaillant il y a quatre ou cinq ans. La pratique dérogatoire visait à permettre aux chefs de famille musulmans de sacrifier la bête au moment de la
fête de l’Aïd el Kebir. Plusieurs villes aménageaient des sites. A Montreuil, 12 000 moutons passaient de vie à
trépas durant ces deux jours. Tout se passait très bien. Les autorités européennes ont ensuite effectué un
rappel à l’ordre et l’aménagement des sites a été interdit. Cette interdiction est un déni de reconnaissance
sur des pratiques qui n’étaient pas extrêmement dangereuses. L’abattage rituel a lieu ailleurs ce qui empêche le chef de famille de participer à la tradition ce que je trouve d’une parfaite sottise. L’interdiction est
entrée dans les mœurs.
Jean Dumonteil
Madame de Vardo, quelles difficultés rencontrez-vous à Nice ?
Dominique de Vardo
L’abattoir a été fermé pour des raisons d’hygiène. De plus, certains considéraient que ce rite était barbare.
Après deux années difficiles, nous sommes rentrés dans une période de normalisation du fait qu’un abattoir
important est situé à Puget-sur-Argens. Lors des grandes fêtes, nous facilitons la circulation pour que les
gens puissent acheter de la viande hallal. Le problème majeur auquel nous sommes encore confrontés est lié
au rite qui veut que le mouton soit sacrifié le jour même. Or les personnes doivent aller à Puget 48 heures à
l’avance pour tuer les moutons.
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Jean-Paul Bret
Pour l’Aïd el Fitr, il faut attendre de voir la lune, ce qui peut poser problème dans la gestion des salles municipales. Il est néanmoins toujours possible de trouver des accommodements.
Christian Van Dorpe, secrétaire général d’Electrabel France
Monsieur Schwartz, comment s’applique le principe de laïcité dans un lycée français à l’étranger ?
Rémy Schwartz
Les statuts de ces établissements sont d’une complexité absolue. Certains sont des établissements publics,
mais pas tous. Il me semble que les règles du service public français s’appliquent.
Philippe Guglielmi, maire adjoint de Romainville
Je remercie Monsieur Schwartz d’avoir placé la loi de 1905 sous le signe des libertés individuelles. Nous regardions avec intérêt les pays anglo-saxons et l’Habeas Corpus de 1639. Il nous aura fallu attendre un certain temps.
du diable face à un certain unanimisme que je constate ce matin.
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La République est censée ne reconnaître aucun culte, mais le contraire se produit souvent. Je suis très attaché
à la loi de 1905. Je souhaite apporter une précision sémantique à un terme que Monsieur Bret a employé : il
a parlé d’ultra-laïcs et de laïcité ouverte. Les ultra-laïcs sont en fait des laïcs républicains, très attachés à la
loi de 1905 telle qu’elle est. D’autres personnes se réclament de la laïcité ouverte et souhaitent une évolution de la loi. Je ne partage pas le point de vue de cette école de pensée.
Ma première question s’adresse à Monsieur
Schwartz. Elle n’est pas discourtoise et a trait à
son corps d’appartenance. Je comprendrais qu’il
ne réponde pas. Je lui rappelle une phrase de
Christian Jelen, ancien journaliste de L’Express aujourd’hui décédé, dans son livre Les casseurs de la
République : "Le Conseil d’Etat communautarise
la République". Que pense Monsieur Schwartz
de cette assertion ?
Je souhaiterais également que Monsieur Bret
explique le concept dogmatique "ultra-laïc" qu’il
a employé. La laïcité se caractérise par le refus du
dogmatisme, ce que je me suis permis d’appeler
"a-dogmatisme".
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la laïcité dans les services publics
Aujourd’hui, il existe un modus vivendi entre les Anglo-saxons et l’Eglise catholique romaine. Je me fais l’avocat
Rémy Schwartz
Le juge s’efforce d’appliquer les lois votées par le Parlement telles qu’elles sont, pas telles qu’il souhaiterait
qu’elles soient. La communautarisation, si elle existe, résulte des textes adoptés au niveau national et au niveau
communautaire et international, pas du juge. Je vous propose de vous envoyer des recueils de jurisprudence
du Conseil d’Etat des dernières années, notamment les parties consacrées à l’application du principe d’égalité,
qui vous rassureront quant à l’application du principe républicain d’égalité individuelle des citoyens devant la loi.
Jean-Paul Bret
Je suis issu d’une famille de libres penseurs. Mon père l’était. Je suis toujours resté athée. J’étais le seul de
mon village à ne pas fréquenter le catéchisme le jeudi. La libre pensée est souvent une pensée enfermée
actuellement. Dans une école primaire de Villeurbanne, nous avions par exemple prévu deux salles pour accueillir
les activités du centre social le mercredi. La libre pensée a protesté en répliquant que les crucifix feraient
bientôt leur entrée dans l’école et que le maître devait être le seul dans l’école. Cette pensée n’est guère
libre. Je la trouve très sectaire. C’est une insulte à la libre pensée historique.
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Jean-Marie Duriez, conseiller municipal délégué à Roubaix
Ce débat entre une laïcité de combat au service de la libre pensée et une laïcité de compromis existait déjà
en 1905. Monsieur Schwartz, vous avez rappelé que la loi de 1905 interdit le financement de l’exercice du culte.
Comment expliquez-vous dès lors la situation de l’Alsace-Lorraine, qui sont des départements français depuis
un certain temps? En quoi la mise à disposition de salles publiques à l’occasion de l’Aïd est-elle dans l’esprit
de la loi de 1905 ? Je précise que je considère que cette mise à disposition est tout à fait légitime, dans la
mesure où nos concitoyens musulmans ont été particulièrement méprisés et ignorés en France.
Rémy Schwartz
Les églises font parties du domaine public, ce qui ne vous choque pas. Elles ont été légalement affectées à l’exercice du culte catholique. Le rapport Briand qui expose la logique de la loi affirme que tous les cultes doivent
pouvoir s’exprimer sur le territoire de la République. Il semble logique que ceux qui n’ont pas eu la chance
historique de bénéficier de biens de la Nation mis à leur disposition puissent bénéficier de bâtiments publics
pour les fêtes les plus sacrées. Ce n’est absolument pas choquant.
La question sur l’Alsace-Moselle concerne le champ d’application de la loi. La loi de 1905 a un champ d’application précis : elle ne s’applique ni en Guyane, ni dans les territoires d’outre-mer, ni en Alsace-Moselle
dans la mesure où une loi particulière y déroge. Ma réponse est purement juridique. La loi a été votée avec
un champ d’application délimité à la métropole hors Alsace-Moselle. Pour autant, le principe constitutionnel
de laïcité s’applique à tous les territoires de la République, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans l’arrêt
de 18 mars 2005 "Territoire de la Polynésie française". Les services publics, hors service public du culte, sont
soumis aux règles générales de fonctionnement du service public.
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Serge Godard, maire de Clermont-Ferrand
Un des cimetières de Clermont-Ferrand compte deux carrés israélites et musulmans. Un ami m’a rapporté qu’il
avait demandé à être enterré dans le carré israélite mais qu’il devait payer un supplément à la concession. J’ai
appris qu’il existait une sorte de délégation financière qui avait été organisée par un de mes prédécesseurs.
J’avais été étonné.
J’écoutais Jean-Paul Bret avec intérêt. Mon père était aussi libre penseur. Je n’ai jamais été au catéchisme. Je suis
parfois confronté à des problèmes, notamment avec les libres penseurs qui peuvent être ultras. Les autorités
ecclésiastiques ont construit un centre associatif dans la ville il y a trois ans. Je me suis rendu à l’inauguration.
Les ultra-laïcs me l’ont reproché violemment. J’ai du m’en expliquer publiquement dans la presse.
Nos villes peuvent compter des lieux de culte musulmans, parfois intégristes, qui s’organisent dans des lieux
non publics mais qui sont facilement reconnaissables de l’extérieur. Il arrive que ces lieux de culte soient
organisés dans des logements sociaux. J’aimerais résoudre ce problème de manière républicaine.
25
Jean Dumonteil
Monsieur Dagorn, comment est pratiquée la laïcité dans le service public hospitalier ?
Claude Dagorn
Je remercie l’Association des maires de grandes villes de France d’avoir invité la Fédération hospitalière de
France, qui regroupe la quasi-totalité des établissements publics de santé. Les maires de grandes villes sont
souvent membres du conseil d’administration de ces établissements. La Fédération est présidée par Claude Evin,
parlementaire et ancien ministre de la santé.
L’hôpital est un service public majeur situé au cœur de la cité et très fréquenté par la population. Les établissements publics de santé regroupent plus de 300 000 lits d’hospitalisation, réalisent 8 millions d’entrée par
an, 95 millions de journées d’hospitalisation, 12 millions de passage aux urgences. Ces chiffres montrent à
quel point ce service public concerne l’ensemble de la population. La population fréquente l’hôpital pour
des questions souvent graves voire essentielles dans l’existence : la sexualité, la procréation, la naissance, les
maladies, les troubles psychiques, la fin de vie et le décès.
La population ne connaît cependant pas toujours bien le fonctionnement de ces établissements. La raison
essentielle tient au secret : le patient est un individu qui a des droits particuliers lorsqu’il se présente à l’hôpital.
La nature de la relation du patient avec les professionnels est spécifique. Le médecin et l’équipe soignante
doivent respecter une stricte confidentialité.
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la laïcité dans les services publics
II. La laïcité dans le service public hospitalier
Le service public hospitalier a été interrogé par la Commission Stasi. J’ai témoigné. Auparavant, j’ai enquêté
pour voir les difficultés de l’application du principe de laïcité dans les établissements publics de santé. Il a
fallu libérer la parole. Je dirigeais à l’époque l’établissement que préside Jean-Pierre Brard à Montreuil. Quelques
incidents ont été notés à propos du port du voile par quelques étudiants en médecine et quelques internes.
Nous avons ensuite questionné les équipes. L’hôpital de Montreuil dispose d’une maternité importante qui
réalise 3 000 accouchements par an. Nous avons découvert à travers le fonctionnement de ce service d’autres
difficultés liées à des manifestations d’intégrisme religieux dont étaient victimes les femmes. La cadre sage
femme de l’établissement a témoigné devant la Commission Stasi.
J’ai beaucoup hésité en me demandant si ces problèmes n’étaient pas purement locaux. Les collègues directeurs
ne mentionnaient pas de problèmes particuliers. L’audition devant la Commission Stasi a permis de révéler
certains phénomènes. Les médias se sont emparés du sujet. D’autres professionnels ont été interrogés. Les
difficultés d’application du principe de laïcité ne sont pas apparues comme étant envahissantes dans les
hôpitaux publics. Je nuancerai néanmoins mes propos dans la mesure où je pense que nous n’avons pas connaissance de tout.
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Jean Dumonteil
Depuis cette prise de conscience, la Direction des hôpitaux et de l’organisation des soins du ministère de la
Santé a essayé d’élaborer une parole coordonnée à travers des circulaires pour tous les responsables d’hôpitaux.
Claude Dagorn
Le rapport de la Commission Stasi a permis de dresser un inventaire des difficultés. Nous nous sommes aperçus que l’ensemble des problèmes était couvert par des éléments de législation et de réglementation. Les points
sur lesquels le principe de laïcité s’applique au sein des établissements hospitaliers sont :
• la liberté religieuse ;
• le libre choix du traitement, du praticien, du service ;
• le droit des femmes.
En matière de liberté religieuse s’applique le principe de neutralité et de non-discrimination. Le service
public hospitalier doit assurer l’égalité de traitement des patients. Le patient dispose de la libre pratique du
culte et de la manifestation des convictions religieuses. Durant leur passage à l’hôpital, les usagers ont la
possibilité d’exercer leur culte.
L’hôpital traite aussi des questions mortuaires. Ce problème est réapparu dans les hôpitaux à la fin des années
90. Beaucoup d’hôpitaux avaient choisi d’externaliser le dépôt des corps et l’ensemble des rites funéraires. Pour
des raisons de droit communautaire et de concurrence, ces hôpitaux ont été obligés de se rééquiper en
locaux et en moyens.
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La liberté religieuse rencontre néanmoins des limites au sein de l’hôpital. La liberté des autres patients doit
être respectée puisque l’hôpital est un endroit collectif où les gens doivent cohabiter. Tout prosélytisme est
évidemment proscrit. L’expression de convictions religieuses ne doit en outre pas porter atteinte à la qualité
des soins et aux règles d’hygiène, à la tranquillité des autres patients, au fonctionnement régulier du service.
Le directeur dispose en la matière de pouvoir de police au sein de son établissement. Ce pouvoir lui est confié
aux termes d’un article du Code de la santé publique.
Le thème de la neutralité des agents hospitaliers a déjà été abordé ce
matin. Les règles générales de la fonction publique s’appliquent aux agents
du service public hospitalier.
Le libre choix du praticien est un principe consacré par le Code la santé
publique et pose un problème spécifique. En application de la notion
de consentement libre et éclairé du patient, ce dernier peut accepter
ou refuser les soins ou les traitements. Ces refus connaissent des limites
dans la mesure où la responsabilité de l’établissement et des équipes
médicales et soignantes est en jeu. En cas d’urgence, les équipes soignantes
personne en danger reste applicable. Liberté des uns et obligations des
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autres doivent être conciliées.
L’hôpital fonctionne avec des équipes ce qui limite le libre choix. Le patient ne peut pas s’opposer à l’organisation de l’hôpital. Dans la mesure du possible, une patiente peut choisir son praticien dans le cadre des
consultations mais il est impossible de lui garantir que l’accouchement sera pratiqué par tel ou tel médecin. Cette
situation peut être source de conflit. J’ai entendu des témoignages de ce type : un mari musulman refusait
l’accès du bloc obstétrical à un médecin sous prétexte qu’il était un homme. Nous avons frôlé le drame puisque
le mari portait un couteau. Le médecin a réussi à s’imposer.
La règle à l’hôpital sur tous ces sujets est avant tout le dialogue. Il existe cependant des situations d’urgence
où le temps de la discussion est réduit.
Jean Dumonteil
Je vous remercie pour cette présentation de l’application du principe de laïcité dans le service public hospitalier. Je vous invite à poser des questions ou à nous faire part de vos réactions.
Edwige Dassonville, architecte
Je suis spécialisée dans la construction et la restructuration hospitalières. Je m’étonne que vous ne parliez pas
du problème de l’IVG, qui est récurrent tant pour le droit des femmes que pour les praticiens. Les agents hospitaliers ne sont pas toujours neutres puisque les médecins opposés à l’IVG ont le choix de ne pas la pratiquer.
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la laïcité dans les services publics
ont le droit d’aller à l’encontre des vœux du patient. L’assistance à
Claude Dagorn
La question que vous posez a trait à la possibilité pour le médecin d’exercer sa clause de conscience, droit que la loi
lui reconnaît. Cependant, les hôpitaux publics sont tenus d’offrir à toutes les femmes la possibilité de pratiquer l’IVG.
Un médecin peut s’affranchir de cette activité à titre personnel mais un établissement public hospitalier ne peut pas :
il doit trouver des médecins qui acceptent. Aujourd’hui, l’accès à l’IVG est garanti globalement sur le territoire.
De la salle
Je suis conseiller après du gouvernement belge. La Belgique n’a pas de loi identique à la loi de 1905. Le terrain
législatif belge ne permet de se positionner aussi clairement qu’en France. Nous voyons apparaître des
problèmes sur le territoire belge, tant dans les écoles que dans les hôpitaux, ce que la France n’autorise pas,
du fait de l’application de la loi de 1905 ; l’Etat essaie de faire respecter l’équilibre le plus juste possible
entre laïcs et non-laïcs, mais sans disposer d’une loi comme la vôtre.
Jean Dumonteil
Votre intervention est un hommage à la laïcité. La neutralité est plus efficace.
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Jean-Paul Bret
Nous avons montré tout à l’heure que la loi ne règle cependant pas tout.
Claude Dagorn
Le dispositif législatif et réglementaire existe. Le problème se rencontre dans l’application de ce dispositif. Il
est nécessaire d’avoir des signes forts et clairs. Les circulaires renforcent et précisent un certain nombre de
règles. Au niveau hospitalier, je témoigne que les établissements et les communautés hospitalières se sont
emparés du débat dans les instances habituelles ou en mettant en place des comités d’éthique. La ligne de
conduite et les outils sont connus aujourd’hui. Les chefs d’établissement doivent être à l’écoute et vigilants.
Le personnel hospitalier est sensible à tout ce qui pourrait porter atteinte à la liberté des patients. Je suis
assez confiant. Des difficultés peuvent être complexes à gérer pour un professionnel isolé dans un cabinet
médical mais le fonctionnement des équipes est collectif dans les hôpitaux.
Jean Dumonteil
Au-delà des outils législatifs et réglementaires, il est donc indispensable de dialoguer, d’être à l’écoute et
d’éviter les non dits. Le climat est apaisé. Nous ne sommes pas dans une situation de crise.
Jean-Paul Bret
Nous traitons ce sujet parce que la loi nous incite à la commémoration, pas parce qu’il y aurait une urgence.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
la loi de 1905, les collectivités locales
et les nouveaux cultes
Table ronde 2
Intervenants :
Jean-Paul Alduy, sénateur, maire de Perpignan
Alain de Bouteiller, directeur général des services de la ville de Bordeaux
Michel Destot, député, maire de Grenoble
Jean-Pierre Fourcade, sénateur, maire de Boulogne-Billancourt
Animation :
Jean Dumonteil, directeur du département collectivités locales, Groupe Moniteur
29
Rémy Schwartz a rappelé les trois piliers de la loi de 1905 : liberté de culte, séparation des religions et de
l’Etat, liberté d’expression religieuse. La liberté de culte englobe la possibilité d’organiser le culte. Depuis
une quinzaine d’années, les collectivités locales sont interpellées par la nécessité d’implanter de nouveaux lieux
de culte sur le territoire communal. Comment procéder à cette organisation locale ? Qui sont les interlocuteurs
des élus locaux ? Quels sont les aspects réglementaires et fonciers ? Comme se déroule l’insertion urbaine
des projets architecturaux ?
Pour entrer dans le débat, je vous propose d’étudier le cas concret d’une grande ville, d’analyser
sa méthode, l’avancée du projet et les difficultés
rencontrées. Monsieur de Bouteiller, directeur
général des services de la mairie de Bordeaux,
présente la situation dans la capitale régionale.
Alain de Bouteiller
Alain Juppé et les représentants de la communauté
musulmane ont lancé le projet de grande mosquée à Bordeaux il y 18 mois. La première condition de réussite est la suivante : la décision doit être voulue et non subie. Dès le départ, Alain Juppé et le maire de
Bordeaux ont considéré que la présence d’un lieu de culte musulman était un enjeu majeur pour la ville. Les
principaux adjoints ont validé cette décision qui n’a pas été remise en cause.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
la loi de 1905, les collectivités locales et les nouveaux lieux de cultes
Jean Dumonteil
La deuxième condition est d’avoir des interlocuteurs représentatifs du culte musulman en face de soi. J’ai eu
la même expérience à Strasbourg où les représentants du culte ne parlaient pas d’une seule voix. A Bordeaux,
la force de nos interlocuteurs a été d’être unis dans leurs démarches autour de l’association des musulmans
de la Gironde. Il est nécessaire d’avoir un seul interlocuteur pour discuter de façon cohérente.
La troisième condition est de disposer d’un projet structuré. Il est nécessaire que les représentants du culte
musulman aient mûri leur projet. Notre projet était extrêmement ambitieux avec une mosquée 5 000 places
et 10 000 m2. Nous l’avons revu à la baisse.
La quatrième condition concerne le choix du site. Une double contrainte doit être prise en compte pour
construire un grand édifice de culte, en particulier une mosquée : le lieu doit à la fois être digne et acceptable
pour les populations concernées. Nous devions trouver au moins un hectare de terrain disponible au cœur
de la ville. Bordeaux a monté un grand projet urbain sur la rive droite qui vise à urbaniser 200 hectares avec
notamment un vaste parc vert de 90 hectares en bordure de Garonne et des friches en marge du parc, en
particulier une friche SNCF de 4 hectares. Nous avons proposé à l’association des musulmans de mettre à
leur disposition une partie de ce terrain, soit un hectare. Ce terrain est actuellement en marge de la ville
mais, demain, il sera au cœur de la ville en bordure d’un espace vert exceptionnel. Les populations ont
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
30
accepté cette proposition.
La cinquième condition est relative à la manière de prendre
la décision et de l’annoncer. Le maire de Bordeaux a souhaité
procéder par étapes. La première étape a été politique, avec
l’annonce du projet au conseil municipal et un débat immédiat. La quasi-totalité du conseil a accepté. La deuxième
étape est la concertation. Dans les trois jours qui ont suivi
s’est tenu un conseil de quartier de 300 personnes. Le climat
a d’abord été houleux puis le débat a été constructif, explicatif et globalement applaudi. Nous avons réussi à faire
comprendre l’enjeu de ce projet dans un endroit qui n’était
pas trop problématique. Nous entrons aujourd’hui dans une
phase de concertation plus active. Nous avons mis en place
des “ateliers de concertation” pour traiter des sujets complexes. Nous allons créer un atelier de concertation sur
l’implantation de la mosquée où seront face à face les représentants des habitants, les représentants de
l’association des musulmans, l’architecte, les représentants de la ville. L’objectif de cette phase de concertation est de faire partager ce projet.
La dernière condition concerne le projet lui-même. Le projet architectural est conforme à l’architecture
girondine. Un signal indiquera qu’il s’agit d’un lieu de culte mais il n’y aura ni minaret, ni dôme. Le financement doit être transparent ce qui est assez difficile à vérifier. Le projet coûtera probablement 7 à 8 millions
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
d’euros. Nous demanderons des comptes sur la manière dont l’argent est apporté. Nous ne voulons pas de
financements en provenance des pays arabes. Enfin, les prêches devront être sinon en français, du moins
bilingues ce que l’association des musulmans a accepté.
Le projet ne sera pas monumental. L’enjeu est d’accueillir le prêche du vendredi, soit 1 500 fidèles environ,
pas pour les grandes fêtes annuelles pour lesquelles la ville met des lieux à disposition. La salle sera modulable avec des cloisons mobiles. Un lieu culturel sera construit autour de la mosquée avec un espace culturel,
une bibliothèque, des salles de cours pour l’enseignement de l’arabe. Le financement de la ville consiste en
l’apport du terrain ce qui représente 600 à 900 000 euros et en une recherche de financement pour la partie
culturelle auprès de la région, du département et de la communauté urbaine.
En termes d’échéances, nous sommes dans une phase de définition du projet. L’avant-projet devrait être
prêt d’ici la fin 2005 afin de montrer l’image pour la recherche des financements locaux. La construction
devrait avoir lieu en 2007-2008.
Jean Dumonteil
a fallu porter ce projet devant l’opinion. Le directeur général des services a indiqué que la réaction du conseil
31
municipal a été plutôt positive mais j’imagine que les Bordelais vous interpellent sur ce projet complexe.
Hugues Martin, maire de Bordeaux
Je n’ai pas parlé à la tribune car je dois vous quitter dans peu de temps. Alain de Bouteiller a parfaitement
résumé la situation. Je préfère un projet partagé à un projet imposé. Mon seul souci est que la communauté
turque veut aussi sa mosquée, ce qui signifierait la recherche d’un second lieu. Nous avons travaillé en parfaite liaison avec les représentants de la communauté musulmane. Malgré un certain nombre de turbulences
avec la population, il semble que le projet soit entré dans les mœurs. La
mosquée est une mosquée de centralité, à proximité d’une station de tram.
Nos amis musulmans n’ont pas été humiliés. J’espère que ce projet aboutira. Je souligne à nouveau les trois points très importants qu’Alain de
Bouteiller a mentionnés à la fin de sa présentation :
• pas de mosquée ostentatoire ;
• des financements vérifiés ;
• des prêches en français.
Jean Dumonteil
Monsieur le maire, vous évoquez des demandes d’autres communautés.
Monsieur de Bouteiller, avez-vous connu cette situation à Strasbourg ?
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
la loi de 1905, les collectivités locales et les nouveaux lieux de cultes
Je vous remercie de nous avoir décrit ce projet. Il serait intéressant d’entendre le maire de Bordeaux, parce qu’il
Alain de Bouteiller
La situation avait été plus compliquée à Strasbourg : outre les Turcs, trois autres approches complémentaires
existaient au niveau des musulmans. La communauté turque à Bordeaux demande un centre culturel avec
une petite salle de prière. Il ne s’agit pas d’une rivalité avec la grande mosquée où les Turcs se rendront également. C’est un projet plus modeste.
Jean Dumonteil
Quels sont les projets et les attitudes des grands élus dans les autres villes ?
Jean-Pierre Fourcade
Boulogne compte quatre paroisses catholiques, quatre éléments protestants, une grande synagogue, une église
orthodoxe et une salle de prière musulmane dans des caves de HLM. Dans le cadre du principe de laïcité, la ville
a aidé toutes les religions à améliorer leur accueil en créant des salles ou en finançant des éléments culturels
associés. S’est alors posé le problème du lieu de prière musulman.
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
32
Plusieurs associations se sont regroupées en une association représentative avec un président et un bureau,
“Le cercle cultuel et culturel musulman”. L’enjeu était de trouver rapidement un lieu de prière digne et
convenable pour les musulmans. Nous avons mis en place un système provisoire dans lequel nous avons crées
un lieu de prière. Le recteur Boubakeur a inauguré ce nouvel établissement il y a quelques semaines en
présence de toutes les autorités religieuses catholiques, protestantes, juives et orthodoxes. Je souligne que
cette opération est provisoire. Une association avec un imam la gère. Les prêches sont en arabe.
L’évêque m’a demandé de créer une nouvelle structure catholique
dans le cadre de l’urbanisation des terrains Renault. J’ai accepté
puisqu’une chapelle avait existé avant d’être détruite lors des bombardements. Monsieur de Vassal, mon premier adjoint chargé des
cultes, et moi-même discutons actuellement avec l’évêché et avec
l’association musulmane de l’emplacement de deux structures
religieuses et culturelles dans le programme Renault de 842 000 m2.
Quatre principes entourent les discussions :
• absence d’éléments ostentatoires ;
• ouverture sur un parc et des places ;
• achat du terrain par la ville puis mise à disposition des deux
structures religieuses dans le cadre d’un bail emphytéotique ;
• financement de la construction assuré par le diocèse et la
communauté musulmane.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
Les deux structures religieuses ont chacune un architecte qui travaillera avec les architectes urbanistes du
secteur. L’objectif est d’assurer un parallélisme des formes.
L’attractivité du projet pose problème. 400 à 500 pratiquants se réunissaient le vendredi dans la cave de
l’HLM géré par l’OPAC de Paris. Notre système provisoire actuel attire 1 000 fidèles. Nous nous interrogeons
sur le nombre de fidèles une fois l’opération réalisée. Nous pensons que l’ordre de grandeur se situera aux
alentours de 1 500 fidèles.
La synagogue rencontre également des problèmes. Elle éclate et il est nécessaire d’envisager la création
d’un autre lieu de culte juif. Ce n’est toutefois pas urgent. La chapelle orthodoxe est un vestige de l’immigration
russe. Elle a été sauvée des promoteurs et fonctionne très bien. Le principe de laïcité dans la cité consiste à
essayer d’assurer un traitement égal entre toutes les religions, de les aider dans leurs activités cultuelles et
culturelles à la condition que les salles culturelles que nous finançons puissent être à la disposition des conseils
de quartiers. Cette polyvalence des installations culturelles est très importante et a toujours été acceptée
jusqu’à présent.
Jean Dumonteil
Michel Destot
La démarche n’est pas très originale par rapport aux démarches de Boulogne ou de Bordeaux. La spécificité est
liée à l’histoire de Grenoble, ville qui a toujours été à la pointe dans la défense des libertés. Grenoble a su
être plus ouverte, plus tolérante et plus accueillante que beaucoup d’autres. J’ai crée un groupe inter-religieux
vécu comme un espace de dialogue entre les religions et la société pour mettre en pratique le principe de
laïcité. La dimension associative l’emporte dans le dialogue sur la dimension institutionnelle. Ce groupe est
notamment à la base de la réflexion sur les locaux.
Cette réflexion ne se résume pas au problème de la mosquée. Elle a également porté sur plusieurs sujets.
Le premier concerne l’église arménienne : un accord avec l’évêque de Grenoble a permis d’affecter une église
d’un quartier populaire à la communauté arménienne.
S’agissant de la communauté juive, deux synagogues existent actuellement. L’idée de disposer d’un seul lieu
progresse.
L’église réformée est, quant à elle, relativement importante à Grenoble. Nous avons mis à sa disposition des
locaux associatifs et culturels qui s’ajoutent à ses lieux de cultes.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
la loi de 1905, les collectivités locales et les nouveaux lieux de cultes
33
Je vous remercie. Monsieur Destot, quels sont les projets à Grenoble ?
Le problème de la mosquée est plus sensible dans l’opinion publique. Des lieux de culte existent déjà et sont
disséminés dans les quartiers grenoblois. Nous nous sommes demandés si la mise en place d’une mosquée
communale à la place des lieux disséminés était une nécessité. Nous pensons qu’il faut maintenir les lieux de
prière de proximité à condition d’assurer un confort minimum et de veiller au déroulement des activités. La mosquée intercommunale de plus grande capacité permettra de travailler en réseau avec ces lieux de proximité.
La mosquée sera située à Grenoble. La ville cèdera un terrain
très bien desservi par le réseau de tram à proximité des quartiers et communes où la densité de pratiquants musulmans
est la plus forte. Nous souhaitons une démarche volontaire
partagée par l’ensemble des communes. Nous avons renoncé
à présenter le projet en conseil de communauté car de trop
nombreuses communes hésitaient. Huit communes sur les
vingt-cinq de l’agglomération grenobloise sont volontaires
et se sont engagées. La mosquée devrait pouvoir accueillir
1 500 personnes. Les discussions sont assez difficiles avec nos
partenaires. Nous avions des relations de confiance sur le
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
34
plan associatif avec la première génération. Les jeunes de
la deuxième et de la troisième génération vivent l’islam d’une
manière totalement différente des personnes de la première
génération. Ces dernières vivaient l’islam discrètement pour s’intégrer sur leur terre d’accueil. Les générations suivantes ont au contraire une volonté de reconnaissance qui passe par une revendication identitaire.
Nous devons l’accepter. Les aspects politiques de dialogue avec les populations pour faire comprendre la
démarche sont plus complexes que les aspects pratiques.
Jean Dumonteil
Je vous remercie de ce témoignage. Pouvez-vous apporter des précisions sur les huit villes qui sont associées
dans le projet ?
Michel Destot
Le premier débat avait mis en lumière de fortes réticences qui risquaient de retarder le projet. Nous avons
décidé d’avancer avec les huit communes intéressées dans une démarche intercommunale. Nous avons monté
un groupe de pilotage et avons communiqué ensemble.
Jean Dumonteil
Monsieur Alduy, quelle est la situation actuelle à Perpignan ? Quels sont vos projets et votre méthode?
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
Jean-Paul Alduy
La mosquée de Perpignan est en cours d’achèvement. Le processus a débuté en 1997. L’agglomération de
Perpignan compte 200 000 habitants, parmi lesquels 15 000 Français d’origine maghrébine. En 1997, le Front
National a obtenu 37% des voix, ce qui témoigne du caractère majeur du problème politique de l’intégration de l’islam à Perpignan. Il n’existait aucun lieu de culte. Je me souviens d’avoir vu les harkis prier dans les
locaux à poubelle des HLM lors de ma première campagne électorale, en 1993.
En 1997, nous avons essayé de rassembler les responsables des différents cultes en prenant comme prétexte
l’anniversaire de la révocation de l’Edit de Nantes. Un conseiller municipal musulman de mon équipe s’est senti
investi du devoir d’organiser la communauté musulmane. La municipalité a animé le débat autour du thème
central de “Laïcité et spiritualité dans la cité”. Chaque responsable religieux devait donner son point de vue,
la mairie restant animateur du débat.
La question des lieux de proximité et du lieu de prière central s’est rapidement posée. Une association appelée AMIS, Association des musulmans pour l’intégration et la solidarité, s’est organisée. Un conflit avec l’UOIF
a vite vu le jour, l’UOIF refusant le rassemblement dans l’association. J’apporte cette précision car je vis ce conflit
actuellement à travers le drame que Perpignan a subi il y a quinze jours. Cette association a pris sa place
renforcée. Des lieux de prière se sont organisés dans les quartiers sans que la ville apporte la moindre contri-
35
bution financière ou foncière.
La nécessité de créer un lieu central pour les fêtes, l’école coranique et diverses manifestations culturelles est
apparue ensuite. En 2001, le Front National n’a recueilli que 8% des voix. Nous avons trouvé un terrain de deux
hectares pour implanter la mosquée, terrain possédé par un musulman. La ville l’a viabilisé. Le projet n’a
jamais été inscrit à l’ordre du jour du conseil municipal dans la mesure où la ville n’a apporté aucune contribution financière. Les débats ont en revanche été nombreux avec les conseils de quartier.
Le recteur Boubakeur nous a beaucoup aidés. Il a accepté de
désigner l’imam. Une charte de la laïcité a été cosignée et
célébrée devant des représentants de tous les cultes. Un
adjoint catholique chargé de l’urbanisme dont l’oncle avait été
assassiné en Algérie en 1961 a signé devant les représentants
de l’AMIS le permis de construire réalisé par un architecte juif
pratiquant. C’est un symbole fort.
La mosquée accueillera environ 1 000 fidèles. Les bâtiments existants seront transformés pour servir de bibliothèque, d’école
coranique, de lieu de fête pour les mariages, etc. Le projet
architectural a prévu un dôme. Les contraintes liées à la
proximité de l’aéroport interdisent un véritable minaret
L’architecture se veut signifiante.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
la loi de 1905, les collectivités locales et les nouveaux lieux de cultes
dans le débat “Laïcité et spiritualité” à travers des colloques, des séminaires, des manifestations. Elle s’est
Au moment de l’inauguration, malgré le travail très profond d’intégration des musulmans dans la cité, un
assassinat barbare a embrasé une cité.
Nous avons pris appui sur les religions qui ont à un moment donné montré l’absence de l’islam. Les musulmans ont relevé le défi en s’organisant. La mairie a animé le débat, facilité la recherche d’un terrain et sa
viabilisation.
A l’heure actuelle, l’UOIF s’est placée à l’extérieur du processus et a la capacité d’embrigader des jeunes.
C’est un réel sujet de préoccupation. L’islam en France, c’est aussi l’islam de France. L’association Résistance m’a
pris comme bouc-émissaire dans les conflits récents. La presse nationale a malheureusement relayé le message de cette association de fondamentalistes religieux sur mes rapports avec la communauté gitane.
J’ajoute que tous les responsables de culte ont souhaité l’existence d’un lieu central où toutes les informations sur les religions seraient réunies à la disposition des écoles sous forme d’exposition ou de bibliothèques
par exemple.
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
36
Jean-Pierre Fourcade
La recherche de l’explication des faits religieux intéresse les jeunes. Dans le cadre de la politique culturelle,
nous aidons le “Forum universitaire”, une association de 1 200 adhérents qui organise des cycles de conférences. Durant les deux dernières années, des cycles de conférence sur les grandes religions se sont tenus.
J’ai été frappé de constater que cette association qui s’appuyait plutôt sur une population de seniors attirait
un certain nombre de jeunes musulmans. Nous devons organiser le maximum de présentation et de cycles
d’information sur les religions.
Jean Dumonteil
Qui souhaite intervenir ?
Jean-Pierre Brard
J’imagine des étrangers assistant à notre colloque. Ils se demanderaient pourquoi les hommes politiques
règlent le problème de la pratique religieuse dans notre pays laïc ! C’est précisément la caractéristique de notre
Etat. Nous créons les conditions de la pratique religieuse en vertu de la neutralité.
Nous avons tous réfléchi et nous ne réglons pas les problèmes dans l’urgence. Quelques collègues se sont
précipités avec la volonté de bien faire. Le préfet et le maire d’une grande ville de France ont menti ensemble pour régler un problème de financement en qualifiant de lieu culturel une mosquée. Nous devrions faire
ensemble une proposition pour trouver des moyens de financement qui respecte la loi de 1905 : il serait par
exemple possible de financer les lieux de culte comme le logement social. Il ne s’agirait pas d’une subvention mais d’un remboursement dans le long terme dans une transparence totale. C’est simple et acceptable
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
pour toutes les religions. Certaines communautés musulmanes sont pauvres. A Montreuil, nous avons interdit
l’argent en provenance de l’étranger ce qui est illégal et nous avons plafonné les dons pour éviter les héritages
douteux et incontrôlables.
Je suis favorable à l’enseignement de l’arabe. Nous devons militer pour le “désislamiser”. L’arabe doit être
appris dans nos écoles, pas dans les mosquées. L’arabe ne se limite pas au Coran. Le latin ne s’apprend pas
dans la Bible avec un prêtre latinisant d’avant Vatican II.
Michel Destot
Nous avons tenu à ce que la dimension éducative soit présente bien avant la réflexion institutionnelle sur le
fait religieux. Nous avons mis en place un cursus d’apprentissage de la langue arabe dans le primaire et dans
le secondaire, dans une cité scolaire internationale. J’ai tenu à ce que l’arabe soit présent à côté des grandes
langues européennes.
Je me demande parfois si le maire ne souhaite pas plus ardemment la mosquée que les fidèles. Je suis saisi d’une
sorte d’ambivalence. Il faut agir avec prudence et s’assurer que le projet est porté et partagé par le plus
grand nombre pour éviter l’échec.
Jean-Paul Alduy
Pourquoi la mosquée devient-elle indispensable à un moment donné ? Quand les lieux de prière se développent,
ils sont en général appropriés par une tendance. Sans mosquée, il n’existe aucun lieu fédérateur avec toutes
les tendances. La mosquée est apparue comme l’équipement indispensable pour éviter un isolement de chaque
tendance loin des lois de la République. C’est le communautarisme. La mosquée devenait un combat pour la
laïcité.
Michel Micheau, professeur du cycle d’urbanisme à Sciences-Po
La question de la place des lieux religieux dans la ville doit être posée dans la durée. Or vous êtes dans
l’urgence. Le risque à long terme est de voir nos villes devenir des patchworks d’édifices religieux dans une
quinzaine d’années. Il faut anticiper les usages pour éviter les débordements sur les espaces publics.
Je souhaite aborder la question de la qualité architecturale et du repère. Votre discours me surprend bien
que je comprenne que vous ne souhaitiez pas de bâtiment avec une volonté ostentatoire. Il ne faut cependant pas exagérer. Les églises des années 70 ressemblent à de mauvaises MJC ! La qualité architecturale doit
primer. Rue de la Roquette, derrière la Bastille, se trouve une église à l’architecture contemporaine exceptionnelle mais avec un clocher qui a un rôle de repère dans l’espace urbain.
Une église, une mosquée, une synagogue sont pour un tiers utilisées comme lieu de culte et pour deux tiers
utilisées pour des activités de réunion. La contractualisation telle que vous la concevez risque de se retourner
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
la loi de 1905, les collectivités locales et les nouveaux lieux de cultes
37
contre vous. Je m’interroge sur la valeur juridique de la charte. Il s’agit d’un simple engagement. Comment
allez-vous contrôler l’usage des salles ? Je nourris quelques craintes au sujet des écoles juive et coranique,
pas au sujet des mosquées ou des synagogues. Des réflexes identitaires qui peuvent être très dommageables
se développent dans ces lieux. Avez-vous des marges de manœuvres suffisamment souples sur la durée ?
Jean-Pierre Fourcade
Il faut construire des synagogues, des églises et des mosquées pour l’usage courant et prévoir des lieux publics
pour les grandes réunions. Je partage l’avis du professeur sur la qualité architecturale. Lorsque l’on travaille
dans une ville très dense avec peu d’espace, c’est difficile. La qualité architecturale ne peut être réellement
envisagée que dans les nouveaux quartiers qui ont besoin de repères. Le besoin d’identité est plus fort dans
les écoles juives et coraniques qu’ailleurs. J’ai néanmoins des problèmes avec certaines églises protestantes
qui souhaitent avoir une identité particulière. J’ai toujours abordé ces thèmes devant le conseil municipal pour
intéresser toutes les tendances politiques. Le conseil municipal a donné une décision unanime pour financer
les travaux liés au transfert du lieu de prière des caves à un lieu de prière convenable.
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
38
Annette Léger, ancienne directrice de cabinet
Quelle a été la place des femmes dans les réunions préparatoires sur les lieux de culte ?
Je ne comprends pas pour quelles raisons le cahier des charges d’un projet interdirait la présence d’un minaret
qui est un signe comme un autre.
Je reviens sur les lieux de grands rassemblements. Les maisons funéraires pour les crémations sont partagées
par les différents cultes et sont soit de simples lieux de rassemblement, soit des lieux de prière. Pourquoi ne pas
envisager dans les villes des lieux partagés par tous les cultes à cette image ?
Thérèse Clerc, présidente de la Maison des femmes de Montreuil
Quels moyens de contrôle ont les maires dans les mosquées pour surveiller les jugements qui sont en général
défavorables aux femmes ? L’exequatur permet de juger selon la loi coutumière dans les cours de justice de
la République.
Patrick Thil, maire-adjoint de Metz chargé de la culture et des cultes
Jean-paul Alduy a affirmé que la mosquée unique permet d’unifier, de rassembler et d’assurer l’application
du principe de laïcité. Je souhaite lui faire part de l’expérience de la ville de Metz. Il était question de construire une mosquée à la fin du dernier mandat. Lorsque j’ai repris le dossier, je me suis aperçu que nous
n’avions pas d’interlocuteur unique mais une mosaïque d’interlocuteurs en raison de la présence d’une communauté turque importante. L’Allemagne compte la première communauté turque d’Europe et Metz est
située dans une zone transfrontalière. J’ai confié à des universitaires strasbourgeois le soin d’analyser le
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
désir des musulmans eux-mêmes. L’étude a montré que les musulmans ne désiraient pas une mosquée unique.
Ils voulaient en revanche que les différents lieux de prière soient reconnus pour assurer la reconnaissance de
sensibilités variées. Les réponses ne sont donc pas uniques sur le territoire.
Le maire de Metz consacre chaque année une journée au “Printemps des religions”. L’ensemble des religions
représentées se retrouve à l’hôtel de ville sur certains thèmes.
Jean-Paul Bret
Je souhaite revenir sur trois interventions. Le problème de l’aide publique évoqué par Jean-Pierre Brard se pose
à toutes les communes confrontées à l’édification d’une mosquée. Sans être partisan d’une modification de
la loi de 1905, j’estime qu’il est nécessaire de trouver quelques accommodements. Aujourd’hui, la loi nous interdit même de donner un terrain. Dans le cadre d’un bail emphytéotique, le loyer doit correspondre au prix
du marché.
Il est intéressant, pour les villes, de relever l’enjeu de la qualité architecturale. Il est possible que l’architecture des mosquées soit contemporaine tout en étant religieuse.
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mérations compteront certainement plusieurs mosquées dans les prochaines années. La grande mosquée
sera nécessaire en termes de visibilité mais ne suffira pas.
Je précise que les propos sur l’UOIF doivent être nuancés. L’UOIF locale peut avoir une approche différente
de celle de l’UOIF au niveau national.
Claire de Galembert, chercheur au CNRS
Mon collègue Mustapha Belbah et moi-même sommes engagés depuis deux ans dans une recherche sur la
laïcité. Le problème du partenaire, de l’interlocuteur et de sa stabilisation ressort des interventions. Nous avons
constaté ce phénomène sur le terrain. Construire une mosquée, n’est-ce pas aussi construire son interlocuteur ? Cette interrogation conduit à se poser la question de la désorganisation de l’islam en France. Je suis
surprise de voir que la question du CFCM et des CRCM est peu évoquée. L’initiative mise en œuvre par
l’Administration centrale serait-elle dénuée d’effet au niveau local ?
Jean Dumonteil
Nous avions invité un représentant du ministère de l’Intérieur qui n’a pu être présent suite au remaniement
ministériel.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
la loi de 1905, les collectivités locales et les nouveaux lieux de cultes
Enfin, je partage l’avis de Monsieur Thil. La grande mosquée unificatrice est un mythe. Les grandes agglo-
Claire de Galembert
Jusqu’où le maire peut-il aller dans la construction de l’interlocuteur ?
Jean Dumonteil
Je vous remercie de ces témoignages et de ces réactions. Je demande à nos intervenants de centrer leurs
réponses sur deux points : la place des femmes, les équipements et leurs évolutions.
Jean-Paul Alduy
Je me suis demandé en vous écoutant quelles étaient mes motivations dans cette démarche. Je pense que le
problème se pose à l’échelle internationale. Le rôle de la France, pays laïc, est de poser la question d’un
islam laïc de France. La démarche que je développe depuis douze ans vise à construire un islam de France
dans une ville méditerranéenne en relation avec les pays musulmans.
Si les femmes sont hors du débat, je ne construis pas un islam de France. Si je contribue financièrement, je
ne construis pas un islam de France. Si je ne rassemble pas l’ensemble des musulmans dans une association
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
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qui accepte le débat avec les autres religions, je ne construis pas un islam de France. Le projet de mosquée
doit aider les musulmans à avancer dans la construction d’un islam de France.
Alain de Bouteiller
Des femmes étaient présentes lors des discussions avec les représentants du culte musulman. Les musulmans
souhaitent un objet modulable, évolutif et adaptable dans le temps. Les petites mosquées ne disparaîtront pas.
Les lieux de culte de proximité seront conservés. Ils sont complémentaires d’une grande mosquée. Dans les
quatre prochaines années, je ne pense pas que nos interlocuteurs seront remis en cause.
Michel Destot
Ma conception de la laïcité est inclusive. L’objectif est d’intégrer la mosaïque qui compose notre République.
La présence d’une mosaïque d’interlocuteurs ne doit pas conduire à renoncer à un projet. Tous ceux qui
pratiquent la démocratie locale et participative connaissent une remise en cause permanente, des difficultés
et une multiplicité d’interlocuteurs. Les peurs doivent être bannies faute de quoi aucune responsabilité ne peut
être prise.
Je regrette l’absence de Didier Leschi, fonctionnaire assez remarquable du ministère de l’Intérieur. Il nous
aurait éclairés sur le problème du financement, sur l’évolution de la législation et sur le problème de l’organisation de l’islam en France. Je regrette que cette dimension nationale n’ait pu être abordée.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
quel enseignement du fait religieux
Table ronde 3
Intervenants :
Dominique Borne, doyen de l’Inspection générale de l’Education nationale
Jean-Pierre Brard, député, maire de Montreuil
Jacqueline Costa-Lascoux, chercheur au CNRS
Animation :
Jean Dumonteil, directeur du département collectivités locales, Groupe Moniteur
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Jean Dumonteil
des citoyens est une question majeure. Quelle est la définition du programme ? Quels sont les outils pédagogiques ? Quelle formation les enseignants doivent-ils recevoir ? Comment évoluent les pratiques ?
Je cède immédiatement la parole à JeanPierre Brard. Il a pris des initiatives dans
sa commune de Montreuil pour faciliter
l’enseignement du fait religieux. L’un des
objectifs de cette journée de réflexion
consiste à partager les bonnes pratiques
de certaines villes pour porter le principe
de laïcité.
Jean-Pierre Brard
Au début des années 90, nous avons pris conscience que la non-reconnaissance de l’islam posait problème. Nous
avons organisé un premier colloque sur le thème “Connaissance de l’islam” avec Mohammed Arkoun. La
réflexion a cheminé peu à peu. Nous étions confrontés à des personnes mal dans leur peau parce qu’elles
n’étaient pas reconnues et se sentaient rejetées.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
quel enseignement du fait religieux
Cette troisième table ronde concerne l’enseignement du fait religieux. La formation des agents publics et
Il est impossible d’asseoir des pratiques au quotidien sans fondement théorique assis sur les principes construits
par notre histoire. La laïcité française n’a aucun point commun avec la laïcité turque. Un désaccord avec
Atatürk se réglait au petit matin devant un peloton d’exécution. En France, le processus s’est construit avant
même les Lumières et a connu des temps très forts avec la Révolution française, les lois sur l’école de 1880 et
la loi du 9 décembre 1905.
L’idée de laisser construire un lieu de culte musulman pour assurer l’égalité a peu à peu cheminé dans les esprits.
En raison du contexte de la loi de 1905 et de la résistance violente de l’Eglise catholique, la loi de 1905 qui se
voulait une loi d’apaisement selon Jean Jaurès et Aristide Briand a été perçue comme une loi anticléricale.
Or c’est une loi de compromis. L’épiscopat français avait accepté la loi de 1905 mais le Pape la refusait. La
religion a été ignorée et combattue.
Je considère que la religion doit être lue à deux niveaux : d’une part dans le champ de la croyance et d’autre
part dans le champ de la connaissance. Les religions doivent être étudiées comme objet de connaissance
parce qu’elles ont toujours marqué l’histoire de l’humanité. La compréhension du déroulement de l’histoire
humaine nécessite une connaissance approfondie de l’histoire des religions. La connaissance permet le recul
de l’ignorance. L’ignorance nourrit la confrontation. A Montreuil, l’enterrement d’un enfant de tradition
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
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musulmane a eu lieu il y a trois semaines. Au funérarium, des jeunes ont organisé le passage des femmes
auprès du cercueil puis celui des hommes. A un moment donné, des hommes se sont mêlés aux femmes. Les
jeunes les ont rappelés à l’ordre en leur expliquant que la séparation entre hommes et femmes était un principe. Je leur aurais demandé dans d’autres circonstances quel verset du Coran mentionnait un tel principe. Leur
comportement n’était pas guidé par un principe mais par l’ignorance.
Je suis convaincu que la connaissance de l’histoire du fait religieux permet de relativiser et de distinguer ce
qui relève de la croyance et ce qui relève de la connaissance. Le dialogue devient alors possible. Cette connaissance passe par l’éducation nationale. Montreuil est terre d’expérimentation pour la formation des enseignants
à l’enseignement du fait religieux. L’école n’est cependant pas l’unique vecteur de la connaissance.
Nous avons constitué un centre civique d’étude du fait religieux qui
n’a pas vocation à rester montreuillois mais à être une expérimentation. Le centre se compose d’une structure de gestion et d’un conseil
scientifique. Ce dernier ne comprend que des scientifiques et des
universitaires qui décident eux-mêmes du cycle de conférences annuelles
ouvertes au public et du cycle de cours payants très approfondis. Ce
conseil scientifique décide absolument seul du contenu des enseignements. Le pouvoir politique décide des principes généraux, pas du
contenu des cours. L’un des principes de base a été d’éliminer du conseil
scientifique les gens de religion. Nous sommes devenus l’institut de
formation des maîtres de l’IUFM de Créteil. Nous sommes le référent
de Bertrand Delanoë sur les religions. La ville de Paris nous a commandé un certain nombre d’initiatives. Je rêve de multiplier de tels
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
centres pour obtenir un vivier de compétences et dispenser des cours dans toute la France. Nous pourrions
arriver à une fédération de centres.
Le consensus dans notre association, au-delà du clivage gauche-droite, montre que nous sommes tous confrontés au même problème et que nous avons la volonté de préserver nos institutions et notre Etat laïc. Je ne
parle malheureusement pas des déclarations d’un ministre d’Etat qui avait déjà déclaré à New York le 4 octobre
dernier qu’il se sentait étranger dans son propre pays. Il n’a pas compris le sens de la laïcité dans notre pays.
Un socle commun unit les républicains de notre pays. Régis Debray affirme que la laïcité n’est pas une valeur
parmi d’autres, elle est ce qui nous permet de vivre ensemble et ce qui permet aux croyances de cohabiter dans
leur singularité dès lors qu’elles ne sont pas autorisées à envahir tout le domaine social.
Jean Dumonteil
Vous avez déposé un amendement en tant que député. Pourquoi souhaitez-vous introduire ce dispositif
dans la loi ?
Nous avons constaté que la loi n’était pas assez engagée pour l’enseignement de l’histoire du fait religieux.
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Le premier degré n’était notamment pas suffisamment investi. L’Institut européen des sciences et des religions
avait accepté ma proposition d’expérimentation à Montreuil.
L’Education nationale forme des enseignants volontaires à la pédagogie de l’enseignement du fait religieux.
Je redoutais les réactions des ultra-laïcs. Je partage les propos de Jean-Paul Bret sur ce point. L’ignorance est
partagée : certaines personnes religieuses ignorent tout des autres religions et certains libres penseurs ignorent tout ce qui ne se rapporte pas à leur pensée. La libre pensée a écrit un papier intitulé “De Jean-Paul II à
Jean-Pierre Brard” sur le thème du cléricalisme après le vote de mon amendement à l’Assemblée nationale.
Certains revendiquent l’étiquette de libre penseur mais n’ont pas l’esprit de la libre pensée. Leur pensée
n’est pas libre, elle est atrophiée.
J’avais préparé mon amendement avec François Fillon. L’amendement a été voté à l’unanimité moins une
voix. Il se trouvait dans l’annexe à la loi Fillon. Le Conseil constitutionnel a considéré que sa valeur n’était
pas identique à celle de la loi. Le nouveau ministre a de plus annoncé qu’il était nécessaire de réétudier la loi
Fillon. Gilles de Robien m’a assuré qu’aucune remise en cause ne visait mon amendement. Les conditions
doivent être déterminées.
Les enseignants sont mieux formés, en particulier ceux du premier degré. A Montreuil, nous avons proposé
vingt places pour trente candidats. Les réactions anticléricales que nous redoutions n’ont pas vu le jour ce
qui renforce encore la laïcité. Nous n’enseignons pas les religions à l’école. La formation des maîtres ne doit
pas être limitée à certaines disciplines : le professeur de mathématiques peut être concerné au même titre
que le professeur d’histoire ou de français. Aucun enseignant ne peut être dispensé de cette formation qui doit
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
quel enseignement du fait religieux
Jean-Pierre Brard
faire partie du socle de culture générale pédagogique. Les professeurs d’éducation physique ne doivent pas
non plus être exclus de cette formation alors qu’ils rencontrent de nombreux problèmes de contestation liés
à la religion. Les professeurs de SVT sont aussi concernés : lors d’une inspection, un professeur a parlé du
darwinisme puis affirmé qu’une théorie en valait bien une autre. Ce degré de relativisme obscurantiste est
grave et témoigne d’un recul de la connaissance. Nous avons considéré que la laïcité était un acquis définitif
ce qui n’est pas le cas. Nous devons combattre pour les idées républicaines. La connaissance est toujours
facteur d’apaisement malgré la nécessaire confrontation intellectuelle.
Jean Dumonteil
Je vous remercie. Lutter contre l’ignorance participe de l’émancipation du citoyen. Je me souviens que le conservateur du musée d’une grande ville m’avait expliqué que les jeunes ne comprenaient pas un tableau d’art sacré
représentant les disciples d’Emmaüs et pensaient qu’il s’agissait des compagnons de l’abbé Pierre.
Le rôle de l’Education nationale est de diffuser cette connaissance de l’histoire du fait religieux. Monsieur Borne,
quelles actions le ministère a-t-il engagé dans ce domaine ? Comment peut-il associer d’autres partenaires,
en particulier les collectivités locales ?
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
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Dominique Borne
Trois questions se posent sur la connaissance du religieux. Pourquoi enseigner l’histoire du fait religieux ?
Quel public est visé ? Comment assurer cet enseignement ?
Pourquoi enseigner l’histoire du fait religieux ? Je ne reviens sur la dimension culturelle car il est évident
que les lacunes culturelles doivent être comblées. Nous pensions il y a vingt à trente ans que le religieux
allait disparaître dans nos sociétés sécularisées. Le religieux n’a pas disparu et joue au contraire un grand
rôle dans la compréhension du monde contemporain. Nous apprenons à nos élèves à comprendre le monde
dans lequel ils vivent. Nous avons par conséquent besoin des éléments du religieux pour notre compréhension.
Le religieux se situe dans le champ du langage symbolique, comme la poésie ou l’œuvre d’art. Il n’est ni vrai,
ni faux. En classe de sixième, la Bible, l’Iliade et l’Odyssée sont au programme de lettres et d’histoire dans les
documents fondamentaux dont les enseignants doivent expliquer des extraits. Dans la Bible, certains passages sont de l’ordre de l’historique et d’autres de l’ordre du symbolique. Les élèves doivent comprendre qu’il
existe diverses manières de dire le monde, soit avec un langage rationnel, soit avec un langage symbolique.
La France a une longue culture d’affrontement entre la République et l’Eglise. Nous sommes dans le pluralisme
et nous ne savons pas encore le penser. J’entendais ce matin une opposition entre le camp laïc et l’autre
camp. Cette distinction n’est pas fondée juridiquement. La laïcité est un principe constitutionnel. Nous ne sommes plus en 1870. Aujourd’hui, tous les citoyens français sont laïcs. C’est un donné au même titre que la liberté,
l’égalité ou la fraternité.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
Enseigner le fait religieux est naturel. Nous n’enseignons pas les religions mais des faits observables : nous
expliquons des rites, des fêtes, etc. Le dogme n’est pas intéressant. L’histoire est la première discipline à
avoir intégrer le fait religieux. Le ministère de l’Education nationale a toujours refusé de mettre en place un
enseignement spécifique. Je prends comme exemple un cours de lettres. Lorsque Flaubert raconte dans
L’Education sentimentale que son héros remonte vers Nogent en bateau sur la Seine et aperçoit la future femme
de sa vie, il écrit que “ce fut comme une apparition“. La connotation parfaitement religieuse de ce mot échappe
aujourd’hui à la quasi-totalité des élèves. Enseigner le fait religieux signifie remarquer cette connotation,
l’expliquer, la rapporter à l’époque. Toutes les disciplines concourent donc à l’enseignement du fait religieux.
Les enseignants doivent en outre comprendre le public scolaire et répondre aux éventuelles questions. Il est
nécessaire d’expliquer qu’il existe différents ordres de vérité : une vérité de l’ordre des croyances, une vérité
de l’ordre du savoir rationnel.
La volonté d’enseigner le fait religieux traduit également une volonté d’intégration. Pour que le pluralisme
soit une réalité et qu’une partie de la population ne se sente pas exclue, il est absolument nécessaire de parler
des civilisations, des cultures. Tous les musulmans ne sont pas pratiquants. Le conflit entre Israël et la Palestine
n’est pas un conflit d’essence religieuse, il est avant tout politique. Le mouvement palestinien est laïc à
l’origine. Le religieux n’a pas recouvert l’ensemble des conflits.
Dans les années 90, le ministère évoquait déjà le retour du religieux à l’école. En histoire, la “Méditerranée
au XIIème siècle” a été mise au programme de seconde en 1996. Cette étude permet d’aborder les croisades,
l’islam, etc. Jack Lang a ensuite confié une mission à Régis Debray en 2002. L’Institut européen en sciences et
religions a été crée. J’ai succédé à Régis Debray à la tête de cet institut dont la mission est d’être une interface entre les savants et ceux qui ont besoin de savoir. Nous sommes prêts à monter des formations pour les
collectivités locales. Je travaille avec Didier Leschi sur des formations pour le ministère de l’Intérieur. Nous
organisons bien évidemment des formations pour les enseignants.
Les IUFM sont en passe d’être réformés. Nous distinguons ce qui passe par la discipline et ce qui concerne
l’adaptation générale au contexte. Le travail est plus complexe dans le primaire qui est plutôt vierge de tout
enseignement du fait religieux par tradition historique : les instituteurs sont davantage marqués par une
hostilité de principe plus grande que dans le secondaire. L’approche la plus simple serait de se baser sur le
calendrier et sur l’explication des grandes fêtes. Solenniser trop l’enseignement du fait religieux serait une
erreur. Il s’agit au contraire de le rendre quotidien, banal et de l’enraciner.
Je terminerai avec l’enseignement de l’arabe. Je travaille sur ce sujet avec mon collègue Bruno Levallois, l’inspecteur général d’arabe. Les ELCO, c’est-à-dire l’enseignement des langues et cultures d’origine pour les immigrés,
sont menés par le pays d’où les immigrés sont originaires. Certains professeurs sont peu contrôlés et peu
formés. Nous cherchons à organiser mieux les ELCO.
Je souhaite évoquer une anecdote. La proviseur d’un lycée parisien m’a dit un jour : “délivrez-moi de la langue arabe, elle ne m’emmène que la racaille”. De telles positions ne facilitent pas le travail ! L’apprentissage
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quel enseignement du fait religieux
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de la langue arabe est plutôt en diminution en France, au profit de la langue chinoise. Les professeurs d’arabe
sont en surnombre. L’arabe ne doit pas être la langue de l’école coranique mais une grande langue de culture et de civilisation.
Jean Dumonteil
Je vous remercie de nous avoir rappelé la doctrine du ministère de l’Education nationale. Jacqueline CostaLascoux, vous m’avez dit en préparant ce débat qu’il faudrait enseigner la laïcité. L’état civil des mairies
témoigne depuis plus de deux siècles de la laïcité. Il ne date pas de 1905.
Jacqueline Costa-Lascoux
Je travaille souvent avec les élus des communes et avec les conseils généraux. La religion n’est pas en voix de
disparition. Marx prédisait la disparition du droit et l’avènement d’un Etat sans droit. Non seulement la
religion et le droit ne disparaissent pas, mais ils sont de plus en plus complexes, évolutifs, multiples. L’islam
est multiple. Il ne faut pas oublier le culte bouddhiste, qui représente 700 000 personnes en France. Le plus
bel hommage rendu à la laïcité a été la présence des bouddhistes devant la commission Stasi. Les bouddhis-
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
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tes sont allés au bureau des cultes pour prendre connaissance des réglementations qu’ils ont ensuite appliquées
à la lettre. Ils ont remercié la France, pays laïc et ont reconnu que le système était beaucoup plus simple que
dans les autres pays où il est nécessaire d’attendre une reconnaissance officielle pour pouvoir exister.
Je vous retransmets les amitiés de Rémy Schwartz, avec qui j’étais au Sénat lors de la remise des cassettes de
la commission Stasi. Le président du Sénat a fait une très belle intervention sur la laïcité et les élus dans une
société de crise. La laïcité est une manière de retrouver le lien social et une base commune.
J’aimerais insister sur la connaissance du patrimoine. Vous pouvez réaliser de nombreuses actions en la matière en
tant qu’élus. Les élus ont réalisé un travail remarquable sur la connaissance du patrimoine militaire (histoire locale,
architecture, musique) avec le ministère de la défense. Le même travail pourrait être effectué sur le patrimoine
religieux. Je cite l’exemple de la ville de Saint-Denis où l’Education nationale a assuré un très beau travail entre les
écoles, la mairie, le musée. Il faut faire comprendre aux parents musulmans et à leurs enfants qu’une cathédrale
fait partie de leur patrimoine. Cette connaissance du patrimoine est une préoccupation que de nombreux élus
partagent.
Vous êtes confrontés à des revendications au sens démocratique du terme. Comment répondre à des revendications qui se présentent sous un étendard religieux ? Ce point est à mon avis l’un des plus difficiles à traiter
pour des élus. Comment expliquer à des personnes qui croient exprimer une demande au nom d’une foi que
cette demande n’a en fait aucun lien avec leur religion ? Toutes les religions instituées ont un réel problème
de décalage entre la tradition et le bricolage individuel et collectif élaboré à partir des références. J’ai étudié
le droit musulman et je suis toujours étonnée de voir ce qui est demandé au nom de l’islam. Les demandes
sont effectuées sur fond d’ignorance.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
Ne soyons pas naïfs. De nombreuses demandes religieuses sont présentées sur fond d’instrumentalisation
politique, l’objectif étant en général de déstabiliser les élus locaux. Vous devez apprendre à identifier, à
qualifier la demande.
Nous sommes aujourd’hui face à des revendications identitaires qui peuvent se parer du religieux. Les parents éprouvent une réelle angoisse à l’égard de leurs enfants. Ils sont loin de leur pays d’origine et ont
envie de transmettre à leurs enfants. Nous sommes très coupables de n’avoir pas suffisamment ouvert la connaissance à des pays étrangers. Si nous avions été beaucoup plus ouverts, les demandes religieuses seraient passées
par le canal du culturel.
Certaines revendications identitaires sont des réponses aux problèmes sociaux d’inégalité, de chômage, de
logement, de discrimination. Les élus sont confrontés à des demandes extrêmement complexes à définir
d’où la nécessité de principes clairs en matière de laïcité.
Quels éléments nous ont permis de décider de recourir à la loi
suite à la commission Stasi, au rapport de l’Inspection générale
vie scolaire, à la commission parlementaire présidée par Jeandans des situations de souffrance et de désarroi. Les réponses
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étaient très différentes selon les lieux. Or nous sommes dans
un Etat républicain dont les principes sont la laïcité et l’égalité
de traitement. Tout le service public était en cause, de l’école
à la journée nationale de préparation à la défense en passant
par l’hôpital. Un magistrat a été récusé comme un juré parce qu’il
avait un nom juif et que la personne ne voulait pas être jugée
par un juif ! Les pouvoirs publics français doivent garantir les droits et libertés. De nombreux amalgames se
sont produits par ignorance, pas forcément par mauvaise volonté, et n’ont pas aidé la démocratie. Certains
témoignages d’élus ont étonné la commission Stasi : ils évoquaient l’envoi de colis kasher au moment des
élections ou les horaires de piscines et de stades modifiés suite à des demandes religieuses. Ces manipulations posaient de graves problèmes.
La méthode laïque est la méthode démocratique par excellence. Elle consiste à donner la parole à tous ceux
qui ont des revendications, puis à identifier ces revendications et à analyser la manière dont le droit et les
institutions peuvent y répondre. J’ai dirigé le groupe de travail relatif à “la liberté d’expression religieuse
dans une société laïque” à la Commission nationale consultative des droits de l’homme. J’ai décidé d’appliquer
la méthode laïque et j’ai réuni le grand rabbin, le recteur, Monseigneur Lustiger, des bouddhistes et deux
personnes représentant les Eglises réformées de France. Je leur ai expliqué que la méthode laïque consistait
à remplir dans un premier temps les quatre colonnes d’un grand tableau (temps du religieux, espace du
religieux, revendications concernant le corps, statut des personnes) puis à analyser les réponses juridiques. Certaines religions comme les bouddhistes n’ont rempli aucune colonne et n’ont rien demandé. Monseigneur
Lustiger a fait remarquer qu’il aurait beaucoup rempli autrefois la colonne sur les revendications du corps.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
quel enseignement du fait religieux
Louis Debré ? Tous les professionnels du service public étaient
Aucun n’a voulu remplir la colonne sur le statut des personnes. Les religions juive et musulmane ont rempli
toutes les colonnes. Nous nous sommes aperçus que nous disposions de réponses juridiques pour répondre à
toutes ces revendications. Le problème pour les élus est donc avant tout d’identifier les demandes.
Je souhaite rappeler les principes pour montrer à quel point ils sont opérationnels dans la vie quotidienne d’un
élu. La laïcité est un concept de la philosophie politique. Elle reconnaît l’égale dignité des personnes et garantit
les libertés fondamentales. Les libertés doivent être compatibles dans le cadre de l’intérêt général. Tout ce
que nous faisons personnellement et qui choque n’est pas compatible avec les libertés des autres. Il est par
conséquent nécessaire d’être exemplaire dans l’égalité de traitement.
La laïcité est un mode d’organisation démocratique. Elle émancipe la citoyenneté de l’appartenance religieuse.
Les élus ont l’occasion extraordinaire de montrer que la citoyenneté n’est pas l’identité grâce à l’état civil
qui présente l’histoire collective. Quelle que soit notre mémoire, nous pouvons entrer dans l’histoire collective.
Le maire doit permettre de favoriser l’expression des identités mais son ressort principal concerne la citoyenneté. L’intégration est d’abord un choix individuel. En aucun cas, les droits fondamentaux ne peuvent ignorer
le droit individuel. L’exercice collectif ne peut pas brimer le choix individuel. Les élus ne doivent pas entrer dans
des communautarismes qui obligeraient les individus à croire ou à ne pas croire. Ils ont le droit de changer
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
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de convictions.
C’est une éthique de la responsabilité, du doute, du libre examen et l’acceptation du pluralisme démocratique.
Les régimes de tolérance acceptent la diversité mais ne pensent pas l’égalité. Les régimes de tolérance peuvent
avoir une religion officielle, celle de l’establishment.
Il serait important que l’Association des maires de grandes villes de France pense à bien clarifier et à présenter les textes juridiques pour disposer d’un mémento de la laïcité face aux différents types de revendications
rencontrées.
Historiquement, nous sommes partis d’une laïcité de séparation. Les droits de l’homme ont été politiques en
1789, puis économiques et sociaux à la Libération, et culturels aujourd’hui. La laïcité a évolué dans le même
sens pour devenir une laïcité d’intégration. Le plus bel exemple est l’état civil laïc. Tout jeune citoyen devrait
se rendre dans sa commune pour prendre conscience que, depuis la Révolution française, nous y sommes
tous inscrits aux grands moments de notre vie quelles que soient nos origines et nos croyances. De nombreux pays démocratiques ont encore des registres paroissiaux.
Les élus ne doivent pas craindre les partenariats pour faire revivre le patrimoine et permettre aux personnes
qui viennent d’ailleurs d’entrer dans l’histoire collective.
Jean Dumonteil
Quelles sont vos questions ?
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
Charles Conte, Ligue de l’enseignement
La Ligue de l’enseignement a été la première grande organisation laïque à se saisir de la question de l’enseignement des faits religieux à l’école à travers des colloques, à travers la participation à des émissions de
télévision, à travers des publications. Nous sommes en relation avec l’Institut européen en sciences et religions,
avec le Centre d’étude civique du fait religieux. Jacqueline Costa-Lascoux est une de nos anciennes présidentes. Je voudrais attirer votre attention sur un risque : l’oubli de l’humanisme laïc. Les religions n’ont pas le monopole du sens ou des valeurs. Je suis conscient que l’humanisme laïc est un courant protéiforme peu organisé.
La laïcité ne doit pas être comprise comme étant l’interreligieux. Il faut réaffirmer l’aspect culturel. La laïcité
consiste en une liberté de conscience avant d’être une liberté des cultes. Elle inclut tous ceux qui ne sont pas
croyants et tous ceux qui se définissent par des convictions humanistes.
Nourradine Ettajani, Livry-Gargan
Je viens d’ailleurs et la République laïque m’a adopté. Je suis très content d’entendre des hommes et des
femmes qui défendent la laïcité et la pensée humaine d’une manière universelle. Je parlerais plutôt d’étude
de la pensée humaine que d’étude des faits religieux. Pour donner des leçons aux jeunes issus de l’immigration, il est nécessaire d’étudier la pensée humaine représentée par Averroès et d’autres qui sont porteurs de
la laïcité dans la culture musulmane.
Le politique est obligé de répondre dans l’urgence et de créer une mosquée. Il y a vingt ans, au Maroc, nous
demandions des écoles et pas une mosquée. Nos enfants ont besoin de comprendre la laïcité. Les personnes
issues de l’immigration et qui sont musulmanes ne comprennent pas bien la laïcité. Pour elles, la laïcité signifie
la rationalité, le doute. Il faut les accompagner pour qu’elles comprennent que la laïcité est universelle et
pas seulement française. L’universalité est la grande valeur qui rassemble tous les hommes.
Marc Viellard, journaliste
Je suis journaliste et auteur d’un livre intitulé Vive la laïcité, auquel certains élus locaux ont collaboré. J’ai
été frappé de constater en préparant ce livre que l’enseignement du fait religieux était un thème très présent. Il n’est hélas pas complété par un enseignement de l’histoire des valeurs de la laïcité. C’était un des points
forts de l’enseignement public sous la IIIème République qui s’est affadi au fil des années. Ne faudrait-il pas
intégrer une histoire de la laïcité dans l’enseignement public ?
De la salle
Je suis journaliste. Je suis originaire du Cameroun. La question de la laïcité me surprend de plus en plus en
France. J’ai l’impression que la France est un peu frileuse. Personne ne m’a jamais demandé, au Cameroun,
quelle était ma religion. Cette question est de plus en plus souvent posée en France. Ma question s’adresse à
Monsieur Borne : le fait humain précède le fait religieux. D’où vient l’homme ? Peut-on répondre à ce genre
de question et en faire le fondement de tout enseignement du fait religieux ?
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
quel enseignement du fait religieux
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Jean Dumonteil
L’enseignement du fait religieux n’est pas l’enseignement de la philosophie.
Dominique Borne
La table ronde est consacrée à l’enseignement du fait religieux. Je centre par conséquent mon propos sur
l’enseignement du fait religieux. L’Education nationale n’enseigne cependant pas que le fait religieux ! Vos
interventions m’effraient ! Je rappelle que l’éducation civique au collège existe depuis très longtemps et
que l’éducation civique, juridique et sociale a été introduite au lycée. Tout l’enseignement est bien entendu
fondé sur l’humanisme laïc, y compris celui du fait religieux. Nous comblons simplement une lacune. L’humanisme laïc est au premier plan de nos préoccupations.
Jacqueline Costa-Lascoux
Les différentes interventions montrent qu’il y a eu une lacune dans l’enseignement de l’histoire à un moment
donné. Autrefois, tous les cours débutaient par une introduction sur l’histoire de la matière. Cette disparition de la connaissance de l’histoire donne l’impression erronée que l’enseignement a été centré sur certains
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domaines.
Les élus peuvent travailler en partenariat avec l’Education nationale pour rendre vivante l’éducation civique.
Je conclurai en parlant de la relation des communes avec l’étranger : je pense que les jumelages sont une
occasion intéressante de traiter de ces questions avec les jeunes.
Jean-Pierre Brard
Je me souviens d’une discussion avec le grand muphti de la République libanaise à Beyrouth. Nous étions
quelques parlementaires et nous avons essayé de lui expliquer la laïcité. Il a répliqué que le Liban n’en avait
pas besoin puisqu’il avait le Coran. Nous avons renoncé.
Nous sommes comme chaque peuple le produit de notre histoire. Certains événements nous ont marqués
profondément : les Lumières, la Révolution française. J’ai été frappé d’entendre dans le débat récent sur
l’Europe qu’il était impossible d’imposer notre identité aux autres. Je suis d’accord, mais ce n’est pas une
raison pour renoncer à notre identité. Le mimétisme n’a jamais constitué une politique. Soyons intransigeants.
Notre vivre ensemble repose sur un socle de valeurs que nous vivons. Nous savons que cela s’oppose au vivre
côte à côte, qui aboutit immanquablement au conflit. Faisons confiance à la connaissance. Les villes sont
appelées aujourd’hui à se mêler de ce champ d’intervention. Être maire, c’est avoir une ambition pour sa
ville et une vision de la cohésion sociale dans sa ville. La cohésion doit être assise sur des idées et sur une connaissance de l’autre ce qui ne signifie nullement s’identifier à l’autre ou le tolérer. L’Edit de Nantes à toujours
été idéalisé : les protestants n’étaient certes plus assassinés mais ils devaient faire profil bas.
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
Notre débat avait une vocation pratique, pas philosophique. Il serait néanmoins souhaitable de partager mieux
notre patrimoine intellectuel et culturel : qu’est-ce qu’être athée ou agnostique ? Je suis horriblement choqué
quand quelqu’un vient à la mairie et impose à ma vue son appartenance religieuse. Je ne veux pas proposer
une loi qui ouvre la chasse à l’utilisation abusive du textile dans nos rues mais, pour moi, respecter l’autre, ce
n’est pas exhiber ses appartenances.
Jean Dumonteil
Le vivre ensemble s’appuie sur le patrimoine et l’histoire. Les responsables de l’Association des maires de
grandes villes de France ont eu l’excellente idée de demander à André Rossinot de conclure cette journée.
Nancy s’appuie remarquablement sur le patrimoine cette année pour revisiter l’histoire et participer à la formation des citoyens. C’est magnifique.
quel enseignement du fait religieux
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clôture
André Rossinot, secrétaire général de l’Association des maires de grandes villes de France, maire de Nancy,
président du Centre national de la fonction publique territoriale
Je suis ravi de conclure les travaux de cette journée de l’AMGVF consacrée aux aspects pratiques de l’application
de la laïcité. Les propos passionnants et les interventions complémentaires que je viens d’entendre montrent
qu’il était important que les maires de grandes villes et leurs collaborateurs se rencontrent pour travailler sur ce
sujet. Avec la multiplication des compétences des collectivités territoriales, la décentralisation et l’extension des
services publics locaux, il est indispensable d’articuler les enjeux de la laïcité et ceux des pouvoirs publics locaux.
I. Laïcité et espace public local
Désormais, les problèmes de l’espace public sont d’abord ceux de l’espace public local pour deux raisons. L’espace
public local est tout d’abord le premier lieu où le citoyen se trouve proche d’un pouvoir qui organise sa vie
53
versale sur la maîtrise d’usage et sur l’espace public parce que c’est le reflet de la société. Le regard global
que l’élu doit porter sur l’espace public est au cœur de nos préoccupations.
La seconde raison tient à l’évolution de nos sociétés, à la construction
de grands espaces institutionnels (Europe, mondialisation) et aux interpénétrations de ces espaces sur notre vie quotidienne. Plus ces grands
ensembles s’organisent, plus le citoyen aspire à retrouver les valeurs du
vivre ensemble au sein d’un territoire de proximité, d’un lieu au plus
proche de ses préoccupations. Peut-être faut-il rappeler avec Fernand
Braudel que, depuis que l’homme n’est plus nomade, depuis qu’il a crée
des civilisations sédentarisées, la géographie et l’histoire de ses lieux d’installation sont devenus un élément de référence fondamental pour sa vie.
Quel que soit le lieu où l’on se trouve, l’on n’oublie jamais le lieu d’où l’on
vient.
II. La laïcité, une valeur essentielle dans
un monde en mouvement
Le monde que nous connaissons aujourd’hui bouscule singulièrement toutes les références géographiques d’antan. Les espaces physiques dont je
maires de grandes villes de france - 22 juin 2005 - paris
clôture
quotidienne. Au niveau de la communauté urbaine du grand Nancy, j’ai constitué un groupe de réflexion trans-
parlais existent toujours mais d’autres espaces ont vu le jour : espaces virtuels qui nous viennent des nouvelles technologies, espaces de la mondialisation, des échanges et du commerce. Ces nouveaux espaces modifient
nos rapports à l’espace et au temps. Il est par conséquent nécessaire d’avoir des repères et des valeurs. Les
repères géographiques sont de plus en plus des lieux de proximité : le quartier, la cité, la communauté urbaine.
Je ne retiendrai qu’une valeur aujourd’hui, celle qui alimente la réflexion de notre colloque : la laïcité.
1. Deux conceptions de la laïcité
Je cite à ce propos Paul Valery qui affirmait que certains mots perdent de leur sens à mesure qu’ils prennent
de la valeur. La conception anglo-saxonne de la laïcité n’est pas la même que la conception de notre tradition républicaine. Pour les Anglo-Saxons, la liberté des cultes prime dans la laïcité. Pour nous, républicains, à
la suite d’une longue tradition issue de la Révolution et de la philosophie des Lumières, la laïcité représente
surtout la liberté de croire ou de ne pas croire. Cette dernière conception vise à reconnaître en tout homme
quelque chose qui lui donne vocation à rechercher, à connaître, à douter, à faire usage de sa raison critique,
qui lui confère sa dignité de personne, sa qualité de citoyen et sa valeur d’être humain.
Nombreux sont qui, outre Atlantique et en Orient, adoptent notre conception humaniste devant la montée
1905 - 2005 :
la laïcité dans la cité
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des intégrismes et le retour en force des pensées irrationnelles. Il est vrai également que, même chez nous,
d’autres souhaitent s’en tenir à la conception anglo-saxonne de la laïcité sans toutefois toujours mesurer qu’elle
entraîne comme conséquence la dissolution de l’espace républicain dans une multitude d’espaces communautaristes.
2. Une conception humaniste de la laïcité au service du vivre ensemble
Comment dans ces conditions se poser la question du vivre ensemble, de la cohésion sociale et de la solidarité dans le respect de l’égalité ? Sans principe qui unifie et qui éclaire, comment l’élu républicain peut-il
répondre à des sollicitations diverses, contradictoires, complexes, très souvent antagonistes ? Si l’on reste
républicain et attaché aux grandes traditions de notre République, il devient évident pour un élu local que
la laïcité ne peut se réduire à de simples problèmes juridiques ou de répartition des espaces religieux. C’est
toute la cohérence de la vie sociale qui est en jeu. Pour cette raison, la laïcité n’est pas qu’un banal thème
historique que certains ont cru dépassé et que d’autres ont voulu redéfinir. C’est bien au contraire un problème
que nous rencontrons quotidiennement parce qu’il engage notre responsabilité civique d’élu et nourrit les préoccupations de nos concitoyens.
C’est parce que la laïcité invite tous les individus à se mettre au service de la République qu’elle est susceptible
de tisser un lien, de créer une union entre tous les hommes. Elle nous pousse à engager la part de nousmêmes qui appartient aux autres. Elle revêt le caractère d’un principe universel et devient facteur de cohésion nationale. Elle rejoint sa sœur jumelle la tolérance pour s’apparenter à ce grand idéal de pensée appelé
fraternité. Les piliers de notre conception républicaine se dégagent ainsi.
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III. La laïcité, une valeur pour l’avenir
Mesdames et Messieurs, nous commémorons un centenaire par le travail de ce jour, c’est-à-dire que nous
nous situons par rapport à un passé. La loi de 1905 a en effet complété les grandes lois républicaines et
parachevé la construction de la République. La loi nous a apporté l’affirmation du caractère privé des croyances
et la protection publique de l’exercice paisible des cultes. En ce sens, elle reste profondément actuelle, fière
et riche d’un exercice centenaire.
Toutefois, si elle reste tributaire de ce passé, la laïcité apparaît à bien des égards comme le principe par
excellence de l’avenir parce que tout projet politique mondial, européen, national ou local implique nécessairement une conception philosophique de l’homme et de la société. Tout projet apparaît comme une
demande de sens et de valeurs partagées. Le projet laïc est porteur d’une certaine philosophie, d’une conception de l’homme large et ouverte qui plonge ces racines dans la philosophie des Lumières et dans les valeurs
fondatrices de la République.
Face aux défis du monde contemporain et au désarroi ressenti par nombre de nos concitoyens, peut-être
faut-il rappeler que le progrès humain ne saurait se satisfaire de la seule efficacité du progrès technique ou
scientifique, et du progrès économique ou commercial même s’ils demeurent nécessaires. La tradition républicaine, humaniste et laïque se doit de réinterroger sans cesse ce progrès à la lumière de cette question qui
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même tradition républicaine, humaniste et laïque doit sans cesse rappeler qu’aucune liberté ne peut être
affirmée hors des cadres de règles démocratiquement élaborées et discutées. Le citoyen est le fondateur de
la loi. Aucune référence théologique ne peut ni ne doit influer sur son exercice politique même s’il reste
toujours libre de donner la signification qui lui convient au sens profond de sa propre existence. Les normes
de vie ne découlent pas automatiquement de l’ordre des choses et de l’ordre du monde mais proviennent
de l’accord des hommes entre eux. C’est dans ce rapport que doit s’inscrire une organisation de la cité. C’est
pourquoi, Mesdames et Messieurs, en tant qu’élus, nous devons garder à l’esprit cet idéal d’un bonheur
partagé républicain dont la cité et nos villes sont par excellence le lieu d’exercice.
IV. La formation des élus et des fonctionnaires territoriaux
1. La formation des élus
Le président du Centre national de la fonction publique territoriale a bien intégré les références à la formation des élus. Je déplore un déficit de formation grave des élus qui subissent plus l’évolution de la société qu’ils
ne la maîtrisent. La fonction d’élu a tant évolué que nous ne pouvons plus exercer nos responsabilités de la
même manière qu’il y a vingt ans. Les partis politiques ont une grande part de responsabilité : ils ne forment
pas suffisamment à cet exercice difficile.
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est par excellence la question politique : qu’est-ce qui fait de l’homme, du citoyen la valeur suprême ? Cette
2. La formation des fonctionnaires territoriaux
La formation des fonctionnaires territoriaux ajoute des difficultés qu’il faut assumer. Nous préparons à
Strasbourg des modules communs de formation aux politiques publiques entre l’ENA et l’INET. Nous pourrions dans cette perspective intégrer une partie des réflexions de ce jour et appeler en consultation dans ces
modules un certain nombre de personnalités.
Notre remarquable animateur a fait référence au patrimoine de Nancy. Nous avons organisé une rétrospective
sur l’état civil qui a eu un succès extraordinaire. Les grandes communes connaissent un tel renouvellement
des populations qu’il faut que nous accélérions l’accueil pour expliquer aux gens dans quelle ville et dans
quel contexte ils vivent. Ces responsabilités
incombent aux élus et aux enseignants. Les
particularismes locaux sont d’excellents
moyens pédagogiques. Je réfléchis à un
pacte entre la communauté universitaire
et scientifique de ma ville et la population.
C’est un moyen de bâtir un pacte territorial original entre le monde du savoir et les
citoyens. La demande est extraordinaire.
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la laïcité dans la cité
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