1 Julie Pollard Institut d`études politiques et internationales
Transcription
1 Julie Pollard Institut d`études politiques et internationales
Julie Pollard Institut d’études politiques et internationales Université de Lausanne Conférence « Gouverner la métropole : Pouvoirs et territoires, bilans et directions de recherche » Quelle régulation politique de la construction de logements dans la métropole parisienne ? – Une analyse par les acteurs : Etat, villes et promoteurs immobiliers – RESUME Les métropoles européennes sont-elles gouvernées de manière croissante par des acteurs économiques privés ? Comment saisir le rôle de ces acteurs ? De quels outils dispose le politique pour les encadrer ? Pour contribuer à ces interrogations générales, cette communication se propose d’analyser un cas empirique précis : celui des promoteurs immobiliers 1 dans la métropole parisienne. Au cours des dernières décennies, les promoteurs immobiliers sont devenus des acteurs économiques stabilisés et de plus en plus concentrés au sein des économies européennes. Dans certains cas, ils ont pu apparaitre comme de véritables pilotes du développement urbain2. Un enjeu fort réside aujourd’hui dans la capacité des acteurs politiques à négocier avec ces acteurs, voire à orienter leurs comportements et activités. Ce texte se propose donc d’entrer dans ce questionnement par les acteurs publics et par les interactions qu’ils nouent avec les promoteurs immobiliers. L’analyse se centre sur la construction de logements. En effet, les activités de construction de logements sont au cœur des activités des promoteurs3 et des préoccupations des acteurs politiques. Le logement cristallise des enjeux de régulation politique particulièrement saillants. Pour les acteurs politiques, réguler la construction de logements, c’est à la fois répondre à un droit fondamental des citoyens, surveiller un secteur clef de l’activité économique nationale et agir sur le développement social et spatial des villes. Notre interrogation est donc la suivante : Comment les acteurs politiques régulent-ils les activités des acteurs de marché urbain, que sont les promoteurs immobiliers, dans la métropole parisienne ? Cela implique de se pencher sur la question de la définition de la régulation politique. En science politique, les réflexions autour du concept de régulation se sont considérablement développées, l’un des enjeux central étant de penser les recompositions de l’Etat dans son rapport au marché4. Pour définir la notion de régulation, nous suivons Peter Lange et Marino Regini, qui s’inscrivent eux-mêmes dans la lignée des travaux de Philipp Schmitter et Wolfgang 1 Les promoteurs immobiliers sont les opérateurs à l’origine des projets de construction de logements, ils coordonnent les différentes étapes des programmes immobiliers jusqu’à leur livraison aux acquéreurs. 2 Leur rôle en la matière a été montré, en particulier, dans le cas des villes Nord-Américaines (Logan & Molotch, 1987 ; Fainstein, 2001), mais leur rôle dans les métropoles européennes a été moins étudié. 3 En 2010, près de 80% du chiffre d’affaires des entreprises de promotion immobilière concernent la construction de logements (contre 15% pour le bureau et les commerces et 6% pour d’autres types de biens) (source : FPI). 4 Pour un panorama des approches existantes, on pourra voir les références suivantes : Baldwin, Robert, Martin Cave, and Martin Lodge. 2010. The Oxford handbook of regulation. Oxford ; New York: Oxford University Press ; Braithwaite, John. 2008. "The regulatory State?" Pp. 407 - 430 In The Oxford Handbook of Political Institutions, edited by R. A. W. Rhodes, S. A. Binder, and B. A. Rockman. Oxford: Oxford University Press ; Commaille, Jacques and Bruno Jobert. 1999. Les métamorphoses de la régulation politique. Paris: LGDJ ; Jordana, Jacint and David Levi-Faur. 2004. The politics of regulation: Institutions and regulatory reforms for the age of governance. Cheltenham Northampton: E. Elgar. 1 Streeck (Streeck & Schmitter, 1985 ; Lange & Regini, 1989). Lange et Regini proposent de différencier trois dimensions pour caractériser la régulation d’un secteur : le mode de coordination des acteurs ou des activités, l’allocation des ressources, et la structuration des conflits. Leur définition de la régulation, que nous reprenons, est la suivante : « We define as regulation the mode or form (or better different modes) by which a determinate set of activities and/or relationship among actors is coordinated, the resources allocated, and the related conflicts, wether real or potential, structured (that is prevented or reconcilied) » (Lange & Regini, 1989 : p. 4). Ce texte s’attache à analyser la place – et la participation éventuelle – des promoteurs immobiliers dans la régulation politique du secteur du logement, à l’échelle métropolitaine, à l’aune de deux de ces dimensions. Le mode de coordination des acteurs ou des activités et l’allocation des ressources sont en effet apparues comme déterminantes dans le cas étudié. Cette approche par la régulation constitue selon nous une entrée heuristique pour analyser les stratégies du politique pour encadrer ces acteurs et pour rendre compte des interactions entre acteurs politiques et promoteurs immobiliers. L’approche proposée est donc à la fois sectorielle et ancrée territorialement, au niveau métropolitain. Dans la continuité de certains travaux développés dans le champ, nous considérons ici que dans un contexte de multiplication des niveaux de gouvernement, ces questions de régulation gagnent à être posées aux niveaux infranationaux (Le Galès, 1998). Un deuxième enjeu de définition est relatif à l’échelle métropolitaine. Comment appréhender la régulation politique de la construction de logements à l’échelle métropolitaine ? Nous privilégions une approche inductive5. Dans le domaine du logement, et même si certaines tentatives ont été faites pour mener une réflexion et des politiques à l’échelle de la métropole6, l’action publique reste très fragmentée et marquée par la superposition des niveaux de gouvernement. L’idée est donc de saisir la métropole, non pas dans son ensemble, mais en se basant sur les échelons de décision politique pertinents pour le secteur étudié. Dans cette perspective, deux niveaux de régulation politique sont apparus structurants : le niveau national (en particulier à travers les ministères en charge du logement, et de l’économie et des finances) et le niveau local (élus locaux au niveau des villes ; plus précisément, la figure du maire est apparue centrale). Ce sont ces deux niveaux de gouvernement qui sont donc au centre de cette communication, basée sur un travail de terrain effectué dans le cadre d’une thèse de science politique (Pollard, 2009). Nous nous fondons sur un travail de terrain sur deux grandes communes, contrastées politiquement, de la métropole parisienne (Saint Denis et Issy-LesMoulineaux). Ces deux communes sont les plus dynamiques d’Ile-de-France, en termes de construction de logements, depuis le début des années 2000. En outre, dans ces deux villes, caractérisées par la stabilité de l’équipe municipale sur le long terme, le logement apparaît comme un élément prégnant de la communication politique municipale7. Nous examinons ici successivement les deux dimensions de la régulation politique présentées : coordination des acteurs et des activités, tout d’abord, allocation des ressources, 5 Pour délimiter notre espace d’investigation, nous avons fait le choix de ne pas définir a priori quels étaient les niveaux de gouvernements pertinents pour comprendre cette régulation politique à l’échelle métropolitaine, mais d’adopter une démarche pragmatique. Dans une phase préalable de l’enquête, nous avons ainsi interrogés des acteurs politiques et/ou administratifs à tous les échelons en Ile-de-France. En parallèle, nous avons interrogé les promoteurs immobiliers sur le niveau des acteurs administratifs et politiques avec lesquels ils avaient des contacts fréquents ou plus occasionnels. Ceci nous a conduit à constater que les interactions entre les promoteurs et les niveaux de gouvernement intermédiaires entre la commune et le gouvernement national étaient extrêmement marginales, voire inexistantes. 6 Voir par exemples les débats autour du Grand Paris ou autour plus spécifiquement autour de la création d’une autorité régionale du logement. 7 Elles peuvent être caractérisées comme étant dirigistes, au sens où l’entend Gilles Verpraet (Verpraet, 1991) : elles s’occupent elles-mêmes de diviser leur territoire en différentes parcelles sur lesquelles elles décident des programmes à développer. Il les oppose aux mairies peu dirigistes, demandeuses d’opérations complexes où les promoteurs disposent d’une marge d’action importante et proposent à la commune à la fois des programmes et l’assemblage de ces programmes. 2 ensuite. L’approche que nous proposons accorde une place centrale à la question des acteurs de la régulation politique, et plus précisément aux interactions entre promoteurs et élus locaux, d’une part, et entre promoteurs et acteurs étatiques, d’autre part. Ce travail nous conduit à montrer les contradictions entre niveaux de gouvernement dans la régulation du secteur. Nous observons également que la régulation politique effective varie sensiblement pour les deux dimensions considérées. 1. La coordination des activités et des acteurs La première dimension de la régulation politique renvoie à la coordination d’acteurs et/ou d’activités. L’enjeu est de comprendre comment les relations entre acteurs sont structurées, et par quels instruments leurs activités sont encadrées et définies les unes par rapport aux autres. Au sein du secteur du logement comment les activités des promoteurs immobiliers se positionnentelles et sont-elles définies par rapport à celles des autres acteurs sectoriels ? Quel rôle les acteurs politiques jouent-ils dans la définition des positionnements, éventuellement dans la coordination, de ces acteurs les uns par rapport aux autres ? Notre analyse nous conduit à montrer que cet encadrement des activités des promoteurs est crucial aussi bien au niveau national qu’au niveau local. L’encadrement par les pouvoirs publics permet en particulier de définir le statut des promoteurs immobiliers privés par rapport aux bailleurs sociaux (organismes HLM)8. C’est sur cet enjeu que nous faisons porter l’analyse. On observe que les logiques à l’œuvre sont antagonistes : séparation des acteurs et des activités au niveau national ; dynamiques de collaboration au niveau local. In fine, ce sont avant tout les interactions locales entre élus et promoteurs immobiliers qui permettent de définir cette dimension de la régulation politique effective du secteur. LA REGULATON POLITIQUE ETATIQUE : COORDONNER EN SEPARANT LA REGULATION POLITIQUE LOCALE : COORDONNER EN ARTICULANT QUELS EFFETS SUR LES PROMOTEURS ? L’ ESSOR DE LA COORDINATION ENTRE PROMOTEURS IMMOBILIERS ET ORGANISMES HLM 2. L’allocation des ressources La deuxième dimension étudiée est celle de l’allocation des ressources dans le secteur, en lien avec les activités précédemment mentionnées. Nous adoptons ici une approche relativement restrictive des ressources, en nous limitant aux ressources économiques et financières. Dans quelle mesure cette dimension de la régulation politique affecte-t-elle les promoteurs immobiliers ? Les ressources allouées par les acteurs politiques étatiques et locaux influencentelles les activités des promoteurs immobiliers dans la métropole parisienne ? Les collectivités territoriales montent en puissance, en particulier pour ce qui est du financement des logements sociaux (Driant & Li, 2012). L’Etat reste toutefois un acteur central de cette dimension de la régulation, en particulier pour ce qui est des ressources concernant les promoteurs immobiliers. Nous travaillons sur l’essor des dépenses fiscales dans le secteur du logement, qui constitue une dimension importante de l’évolution de l’allocation des ressources dans ce secteur. Ces dépenses fiscales ont des répercussions fortes sur les activités des promoteurs immobiliers. Et les 8 Trois catégories d’acteur lancent les opérations de construction de logement et peuvent avoir une fonction de promotion immobilière : les particuliers (qui peuvent diriger directement la construction de leur logement) ; les organismes de logement social dits organismes HLM (qui produisent des logements dont ils restent le plus souvent propriétaires et qu’ils louent à des prix inférieurs au marché et sous conditions de ressources) ; les promoteurs immobiliers privés. 3 collectivités locales ont souvent des difficultés à les contrôler. Cela nous conduit à montrer que, pour cette deuxième dimension de la régulation politique, c’est plutôt l’Etat qui garde (ou reprend) la main. LA REGULATON POLITIQUE ETATIQUE : LE DEVELOPPEMENT DE DEPENSES FISCALES LA REGULATION POLITIQUE LOCALE REGULATION NATIONALE : D ES OBJECTIFS EN CONTRADICTION AVEC LA QUELS EFFETS SUR LES PROMOTEURS ? D ES EFFETS STRUCTURANTS DES RESSOURCES FISCALES ALLOUEES PAR L’E TAT SUR LES PROMOTEURS * * Les politiques, ressources et instruments de l’Etat d’un côté, et des collectivités locales de l’autre, doivent être pris en compte conjointement pour comprendre comment les promoteurs immobiliers, lorsqu’ils interviennent dans la métropole parisienne, sont insérés dans des réseaux de contraintes et d’opportunités politiques. En observant les instruments de régulation nationaux et locaux, nous avons vu comment le cadre politique pouvait impacter leurs activités et stratégies. La distinction de différentes dimensions de la régulation politique est apparue importante. Pour ce qui est de la coordination des acteurs, on observe une domination de la régulation locale sur la régulation étatique. En dépit d’un cadre règlementaire national structurant basé sur différenciation des acteurs et des activités, des pratiques de collaboration entre acteurs se développent. Par contre, en matière d’allocation des ressources touchant les promoteurs privés, les politiques nationales restent décisives. Et les élus locaux doivent composer avec ces dernières, même lorsque celles-ci rendent plus difficile la régulation politique locale de la construction de logements sur leur territoire. Ces éléments nous permettent donc de conclure sur l’importance de la régulation politique – a minima sur les deux dimensions investiguées – pour comprendre les activités des acteurs de marché que sont les promoteurs immobiliers. L’étude de ces deux dimensions de la régulation nous amène aussi à noter les contradictions entre les formes de régulation opérées par l’Etat et par les communes dans le secteur du logement. 4 Bibliographie Ball, Michael, Markets & institutions in real estate & construction, Oxford ; Malden, MA, Blackwell Pub., 2006. Brouant, Jean-Philippe, "La permanence du concept de maîtrise d’ouvrage sociale". Revue française de finances publiques (96), 2006, pp. 59-64. Driant, Jean-Claude, Les politiques du logement en France, Paris, la Documentation francaise, 2009. Driant, Jean-Claude, & Li, Mingye, "The Ongoing Transformation of Social Housing Finance in France: Towards a Self-financing System?". International Journal of Housing Policy, 12 (1), 2012, pp. 91-103. Dupuy, Guilhem. (2010). "Le maire, l’accession sociale et le promoteur. La négociation entre élus locaux et promoteurs : une analyse stratégique: Rapport pour l'ANIL (Agence nationale pour l'Information sur le Logement). Durance, Alain, Le financement du logement, Paris, Litec, 2007. Effosse, Sabine, L'invention du logement aidé en France. L'immobilier au temps des Trente Glorieuses, Paris, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 2003. Fainstein, Susan S., The city builders : property development in New Y ork and London, 19802000 (2nd ed.), Lawrence, University Press of Kansas, 2001. Ghékière, Laurent, Le développement du logement social dans l'Union européenne. Quand l'intérêt général rencontre l'intérêt communautaire, Paris, Dexia, 2007. Gimat, Matthieu, & Pollard, Julie, "Une implication discrète, des effets structurants : quand les promoteurs immobiliers construisent du logement social". In L. Halbert & A. Guironnet (Eds.), Les promoteurs immobiliers dans la nouvelle fabrique urbaine, Paris, 2013. Lange, Peter, & Regini, Marino, State, market, and social regulation : new perspectives on Italy, Cambridge ; New York, Cambridge University Press, 1989. Lascoumes, Pierre, & Le Galès, Patrick, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de sciences po, 2004. Le Galès, Patrick, "Regulations and governance in European cities". International Journal of Urban and Regional Research, 22 (3), 1998, pp. 482-506. Le Galès, Patrick, "Urban Governance and policy networks : on the political boundaries of policy networks. A French case study". Public A dministration, 79 (1), 2001, pp. 167-184. Logan, John R., & Molotch, Harvey, Urban fortunes : the political economy of place, Berkeley, CA, University of California Press, 1987. Lorrain, Dominique, "Chapitre 4 : Les pilotes invisibles de l'action publique". In P. Lascoumes & P. Le Galès (Eds.), Gouverner par les instruments (pp. 163-197), Paris, Presses de Sciences Po, 2005. Pollard, Julie, A cteurs économiques et régulation politique : Les promoteurs immobiliers au centre des politiques du logement dans les régions de Paris et de Madrid, Paris, Thèse de doctorat en science politique, Sciences Po Paris, 2009. Pollard, Julie, "Soutenir le marché : les nouveaux instruments de la politique du logement". Sociologie du Travail, 52 (3), 2010, pp. 323-339. Pollard, Julie, "L'action publique par les niches fiscales. L'exemple du logement". In P. Bezes & A. Siné (Eds.), Gouverner (par) les finances publiques, Paris, Sciences Po Les Presses, 2011. Segaud, Marion, Brun, Jacques, & Driant, Jean-Claude, Dictionnaire critique de l'habitat et du logement, Paris, A. Colin, 2002. 5 Streeck, Wolfgang, & Schmitter, Philippe C., Private interest government : beyond market and state, London ; Beverly Hills, Sage Publications, 1985. Vergriete, Patrice. (2011). A new Mode of Production in Housing in Housing in France ? Paper presented at the European Network for Housing Research, Toulouse. Verpraet, Gilles, "Le dispositif partenarial des projets intégrés. Pour une typologie des rapports publics-privés". A nnales de la recherche urbaine, juillet (51), 1991, pp. 102-112. 6