La vache et ses cornes - Expériences et recherches

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La vache et ses cornes - Expériences et recherches
La vache et ses cornes
Expériences et Recherches
Cercle de travail
Vaches portant « haut leurs cornes »
Bio-Ring ALLGAÜ
1999
Bio-Ring Allgaü e.V.
Kapellenplatz 4
D-87439 KEMPTEN
Tel. (0)831/22790
Fax (0)831/18024
Statut:
Préambule
L'agriculture de terroir est le fondement de notre existence. Par la promotion de
l'agriculture écologique, ainsi que de la tradition paysanne et de la culture régionale, nous
réalisons les conditions nécessaires à:
- la préservation des sols vivants, des approvisionnements en eau pure et donc, à une
protection dynamique de la nature;
- l'élevage dans le respect de ce qui convient à la nature animale;
- la production d'aliments sains;
- la création d'emplois stables;
- le maintien de la spécificité régionale;
- l'accueil touristique durable.
L'ensemble de la population de l'Allgaü ne peut qu'en retirer du profit.
But de l'association
Son objectif fondamental c'est de fournir une assise indispensable et digne à l'agriculture
écologique.
En poursuivant les objectifs suivants:
- Travail d'informations et de réflexions publiques pour faire connaître l'agriculture
écologique du terroir;
- Encouragement et développement de la culture paysanne et des traditions régionales;
- Collaboration active dans la valorisation des intérêts touristiques dans le respect de la
région de l'Allgaü;
L'association Bio-Ring Allgaü e.V. entend être un lieu dynamique de coordination de
tous ces groupes d'intérêts.
La Bio-Ring e.V. a été fondée en 1987. En tant qu'association d'utilité publique, les
contributions de ses membres fournissent la base financière de son travail. La préservation
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d'une nature intacte, la production d'une alimentation saine ne sont pas des choses qui vont
de soi. Elles requièrent de notre part une attention constante. En adhérant par votre
contribution, vous obtiendrez la liste de nos fermes bio de l'Allgaü ou bien plus
simplement encore, vous recevrez régulièrement toutes nos informations par retour du
courrier.
Soutenez notre travail!
L'adhésion est de 50 D.M. (175 FF) par an.
Des vaches sans cornes ?
Sans l'ombre d'un doute, les cornes sont l'apanage de notre vache brune de l'Allgaü
(l'extrême sud de l'Allemagne, N.D.T.). Autrefois, on voyait dans de belles cornes le signe
d'une bonne santé et d'une bonne productivité chez la vache. C'est la raison pour laquelle
le port de cornes aux formes harmonieuses faisait partie des critères de sélection
recherchés par le fermier. Nous étions fiers d'avoir des bêtes portant de jolies cornes.
Avec l'introduction de la stabulation « libre » (La stabulation n'étant pas
particulièrement « libre », surtout ici en rapport avec l'Allgaü, où la liberté vraie sont les
alpages, nous n'emploierons que le terme de « stabulation » et supprimeront l'adjectif
« libre » parfaitement inapproprié, compte tenu de ce qui suit. N.D.T.), on s'est mis à
couper les cornes des bovins dans la crainte des risques de blessures mutuelles. Une vache
écornée a besoin de moins d'espace dans l'étable. On fait ainsi des économies lors de la
construction de nouvelles étables. Le nombre de bovins portant encore leurs cornes
diminue constamment.
Tous les fermiers ne considèrent pas cette évolution comme favorable. Notre cercle
de travail est composé de fermiers et de professionnels qui se sont inquiétés de ce
problème et ont réfléchi sur la signification des cornes naturellement portées par nos
vaches. Dans cette brochure, on leur donne la parole. Afin que ces voix puissent agir en
« heurtant » les consciences, nous publions leurs apports en les laissant tels quels. Les
auteurs y défendent leur propre point de vue, et non celui du Bio-Ring Allgaü. Nous
invitons toutes les personnes intéressées à discuter sur ce thème très actuel !
Cercle de travail « Vaches portant haut leurs cornes »
Beat Mösle
Membre du bureau du Bio-Ring Allgaü e.V.
Christine Räder
Gestion administrative
Ce n'est pas seulement une question de cornes !
Une vache avec des cornes n'est pas convenable en stabulation ; les cornes sont
aussi dangereuses. Donc, on doit les couper. Simple question de logique.
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Une vache doit aussi produire beaucoup de lait : aussi leur donnons-nous le plus
d'aliments concentrés possibles comme à un cochon. Et tout cela dans un cycle de
sélection et de reproduction le plus bref possible, auquel s'adapte aussi le transfert
d'embryons. Seules les clones évoluent encore plus vite.
C'est ainsi que notre vache brune de l'Allgaü exhibe de plus en plus ses côtes et ses
os ; tandis que pend un énorme pis dans la partie inférieure, elle exhibe une « tête de
cerf », sans cornes, dans la partie supérieure.
Celui qui veut aujourd'hui admirer une descente de troupeau d'alpage, ne voit plus
que des grosses cloches suspendues à de petites têtes globuleuses et ne peut évacuer le
sentiment qu'il s'agit là d'animaux handicapés.
Et parce que personne ne veut voir d'une façon ou d'une autre ces productrices de
lait, on les tient toute l'année en stabulation. Au lieu de paître en liberté dans la montagne,
elles ne reçoivent plus que de l'ensilage toute l'année. C'est l'économie qui dicte ses lois.
Comme pour notre vache, il en va de même pour nos prairies, nos champs cultivés,
et pire encore, pour les porcs, les poules et les fermiers.
La main sur la conscience - nous voulons que les choses évoluent tout autrement!
Nos bêtes doivent être une part de notre culture, une part de notre pays de l'Allgaü.
Comme elle était belle pourtant notre brunette de l'Allgaü avec ses formes corporelles
harmonieuses, le pis raide et ferme et les cornes aux courbes dynamiques. J'ai ressenti
avec fierté ce que la ferme-hôpital (Spitalhof) enseignait encore il y a 30 ans : Notre vache
brune a de la noblesse!
Mais qu'importe notre avis, ce qui est important dans l'Allgaü , c'est ce que pensent
les étrangers. Et c'est bien ce que savent les vétérinaires prescripteurs de traitements et ce
qu'ils montrent dans leurs prospectus: un monde assaini, qui n'existe plus depuis
longtemps. Et si une corne vient à manquer à une vache, celle-ci est rapidement
« dupliquée au scanner ». Combien de temps croit-on encore pouvoir continuer de
mentir ?
Je ne peux pas comprendre pourquoi nos fermiers, si conscients de nos traditions,
restent suspendus aux diktats de cette gestion d'entreprise.
Nous avons pourtant une tradition admirable, que personne ne peut imiter dans le
monde. C'est seulement d'après elle qu'on peut se profiler. Et celui qui se profile sur elle,
détient le marché, et fait des affaires.
Ernst Wirthensohn. Ingénieur diplômé en agronomie.
Né en 1939;
Directeur du bureau de l'environnement à Buchenberg.
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Des vaches avec des cornes ? - Oui, c'est évident !
Nous cultivons, avec plusieurs familles, un domaine à proximité de Friesenhofen,
entre Leutkirch et Isny, dans l'Allgaü. La ferme compte trente-cinq hectares de prairies, en
fermage, auxquels s'ajoutent 3 hectares de cultures et 7 hectares de bois. Nous avons
environ 36 vaches laitières, avec leurs veaux (à peu près 6 jeunes bêtes par an), trois truies
et une trentaine de porcs à l'engraissement, des canards, des poules et des chats.
L'étable a entièrement brûlé il y a cinq ans et on a dû en construire une nouvelle.
Nous nous sommes décidés à l'époque pour une étable où les bêtes sont liées. Pour quelles
raisons ? En premier lieu pour soigner les vaches d'une manière conforme à leur nature.
Quant à savoir actuellement ce que veut dire un élevage conforme à la nature des bovins,
voilà une question qu'on a déjà âprement discutée. Je ne veux pas apporter ici ma
contribution, mais simplement exprimer quelques-unes de mes réflexions.
Les vaches nous servent, en nous offrant leur lait, leur viande et surtout leur bouse.
En acceptant tous ces dons, nous sommes invités à fournir une compensation. Et nous ne
pouvons le faire que par des soins appropriés et affectueux - en veillant à fournir aux
vaches tout ce dont elles ont besoin. Agissons-nous dans ce sens, lorsque nous leur
coupons les cornes ? Selon moi, entretenir des animaux conformément à leur nature,
implique de pouvoir laisser l'animal tel qu'il est, sans lui ôter ou lui couper une partie de
son corps. Nous essayons autrement d'élever nos bêtes le plus naturellement possible : par
exemple en les laissant pâturer librement. En pâturage, la vache est exposée à toutes les
influences extérieures de la manière qui lui convient. Si elle peut brouter l'herbe des
montagnes, elle peut donner le meilleur lait. Chacun sait que le meilleur fromage peut être
fabriqué en alpage, là où les vaches peuvent se nourrir de l'herbe qui y pousse et ne
revenir le plus souvent à l'étable que pour la traite. Notre étable d'alpage a donc été conçue
de cette façon : les vaches n'y viennent que pour la traite, autrement elles restent en plein
air jour et nuit. Mais comme nous sommes dans l'Allgaü, nous ne pouvons pratiquer
l'élevage de cette manière que durant un temps limité, à savoir 160 à 180 jours dans
l'année. Durant les autres saisons de l'année, les bêtes sont liées à l'étable. Elles ont malgré
cela besoin de bouger. C'est pour cela que nous avons une cour. Les bêtes peuvent se
dégourdir les pattes en sortant dans la cour le matin et le soir, avant la traite. Même liées à
l'étable, elles disposent de la plus grande liberté de mouvement possible. Chaque bête peut
donc se lécher elle-même, dispose toujours d'une voisine avec laquelle elle peut entretenir
des contacts sociaux. Au contraire de beaucoup d'autres entraves imposées aux bêtes, les
nôtres peuvent avancer ou reculer de 1,2 mètres.
Autrement qu'en d'autres lieux, nous ne sommes pas condamnés à nous tirer
d'affaire avec le moins de travail possible, (ce qui parle toujours en faveur de la
stabulation), bien au contraire, cela nous tient à cœur de créer des emplois dans l'étable, et
globalement dans l'agriculture. Dans l'étable où les bêtes sont liées, les hommes peuvent
entretenir des contacts étroits avec les animaux, par exemple lors du pansage, comme
c'était d'usage courant autrefois. Cela a même une valeur thérapeutique pour les êtres
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humains et c'est aussi essentiel pour l'animal. Plus des contacts de ce genre s'établissent
entre l'homme et les bêtes, de même d'ailleurs qu'entre les bêtes elles-mêmes, moins il y a
de problèmes avec les cornes.
Lorsqu'il se produit des rivalités, des conflits de préséance, la force de la bête est
déterminée par la poussée maximale qu'elle peut mettre en œuvre, c'est-à-dire qu'elle
n'utilise pas ses cornes. Les cornes sont utilisées comme signal pour montrer où l'on se
trouve dans la file et qui doit céder. Si une vache n'y réagit pas, on peut en venir à des
coups de cornes et aux blessures qui en découlent. Une étable doit donc être réalisée de
façon à ce qu'il n'y ait aucun passage étroit ou cul-de-sac, et de manière à laisser
suffisamment de distance entre les bêtes. Chez nous, le moment qui demande le plus
d'attention c'est celui où des vaches quittent le poste de traite, alors que d'autres sont
encore liées. Ces dernières ne pouvant pas s'effacer, nous devons accompagner les bêtes,
c'est-à-dire qu'en général nous sommes par deux dans l'étable. Cet exemple montre qu'on
doit trouver des moyens afin que les vaches conservent leurs cornes. On ne doit pas
conformer les bêtes pour qu'elles répondent aux contraintes de construction de l'étable.
C'est plutôt l'étable qui doit être adaptée aux besoins des animaux. On doit admettre qu'on
a failli à sa tâche, lorsque dans une étable on n'est pas parvenu à ce que les bêtes gardent
leurs cornes, et qu'on cherche d'autres moyens pour cette raison. Ce qui est essentiel de
reconnaître c'est que les vaches portent des cornes et pas seulement un pis. Le fait qu'on
considère la vache comme une machine à lait, c'est à mon avis la cause principale de
nombreuses évolutions erronées amorcées dans la sélection. La décornation en fait aussi
partie. Il sera important de réapprendre à voir la vache comme un tout, pour mener à bien
une sélection conforme à la nature animale. Sinon à la longue, la vache ne va plus nous
servir.
Michael Köhnken
Né en 1962, fermier, marié deux enfants. Travaille depuis 1986 dans la communauté
fermière Boschenhof.
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Compte rendu d'étude sur le comportement des vaches
laitières ayant conservé leurs cornes en stabulation libre
Lors d'une recherche extrêmement longue en vue de déterminer un système d'étable
pour nos vaches laitières avec leur veau, qui puisse à la fois alléger le travail et garantir un
revenu suffisant, l'ancienne sagesse populaire suivante s'est vérifiée dans notre cas :
« Pourquoi aller chercher bien loin, ce qu'on a déjà à proximité de chez soi? » En effet, à
10 km à peine de chez nous, le collègue Dieter Schapke, qui gère sa ferme selon les
recommandations et directives Demeter, avait mis au point le « système Schapke », à la
réalisation duquel d'ailleurs, j'avais participé par intervalles.
Je pus me laisser impressionner par la disposition d'un équipement, (lors de mes
visites, N.D.T.) à chaque fois à l'improviste, qui offre le bien être aux animaux et à ceux
qui les soignent.
Là-dessus, nous osâmes le « saut quantique » consistant à passer de l'étable où les
animaux sont attachés par la longe, avec des râteliers en bois et un dispositif de collectage
du lait par canalisation, à la stabulation à l'air libre avec des râteliers laissés en libre accès
aux animaux, des boxes profonds garnis de paille étalée, une cour de promenade entourée
d'une palissade de planches (?), l'ensemble dans une étable partiellement couverte et
équipée de deux dispositifs de traite en tandem, permettant une collecte du lait respectant
toutes ses qualités.
Après plus d'une dizaine d'années (?, non précisé en chiffre normal ! N.D.T.) de période
d'essai , avec beaucoup d'éraflures, deux hématomes et trois blessures vaginales (dont une
provoquée par le vétérinaire), nous osons affirmer:
« Ça va bien, à condition que tu remplisses les conditions suivantes! »
1. Calcule les dimensions de l'édifice largement, de manière à conserver les distances de
sécurité entre les bêtes, leur permettant, selon le cas, de pouvoir « s'esquiver et laisser la
place ». Pour une étable de trente vaches, il faut 310 m2 d'accès, de stabulation et d'espace
d'attente.
2. Évite les culs-de-sac et offre des possibilités de replis pour les bêtes de rang inférieur
(disposés chez nous à l'avant des boxes).
3. Veille au calme dans l'espace où les bêtes se nourrissent, au moyen d'un dispositif
d'accès libre au râtelier (chez nous, la largeur d'accès disponible est de 80 cm par vache).
4. Offre à tes vaches un espace individuel de sécurité lors de la traite, au moyen d'une
trayeuse auto-tandem (?).
5. Analyse les éraflures, hématomes et blessures en prenant en compte, globalement pour
l'ensemble de la disposition, la liberté de choix, dont disposent les bêtes à tout moment
pour manger, boire, bouger, se reposer, en renonçant à la décornation.
6. Empêche l'agitation nerveuse en enlevant les bêtes en chaleur. Notre taureau ne circule
pas avec les vaches, mais peut à tout moment entrer en contact avec elles.
7. Sois généreux dans la quantité de nourriture mise à disposition, des vaches repues sont
moins agressives.
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8. Offre-toi le « luxe », de mettre à la disposition de tes bêtes des boxes de repos
abondamment garnis de paille. Les temps de repos s'allongeront de manière nettement
sensible.
9. L'intégration de nouvelles bêtes reste toujours un moment critique. Efforce-toi de
conserver de la pondération, n'utilise le plus possible de (longs) bâtons, que pour guider,
tire (au licol) et pousse en tentant par la nourriture (flocons de céréales). C'est toujours
mieux que de frapper (supprimer tout potentiel d'angoisse).
10. L'absence de concentration, le laisser-aller et l'ajournement des soins ou des
réparations, se payent aussitôt dans l'étable par un surcroît de dépenses.
11. Au moyen « d'études comportementales approfondies », on peut toujours découvrir
des détails significatifs dont la prise en compte sera utile pour une meilleure relation
mutuelle entre les bêtes et ceux qui les soignent.
Au sujet du coût de la construction, j'aimerais dire que notre projet de transformation et
d'aménagement pour 30 vaches, y compris leur veau, en réutilisant le bâtiment ancien pour
le stockage du fourrage d'hiver, fit l'objet d'un emprunt reconnu par l'état de 178000 D.M.
(623 000 FF) au taux de 4%, remboursable sur 20 ans, avec une aide de 10 ans
d'exemption de droit d'exercice comptable. À cela s'ajoutent nos propres moyens, en
argent comptant, bois de construction, solidarité collégiale et un pensum de labeur presque
surhumain pendant l'année qu'a duré approximativement la construction ; tout cela nous a
permis de mener à bien la réalisation du projet à un coût un tant soit peu favorable.
En conclusion:
Les animaux et nous, sommes parfaitement d'accord : en aucun cas nous ne voudrions
revenir à une étable où les bêtes sont attachées. Et les cornes n'ont pas été sacrifiées !
Alfons Notz, né en 1949, s'occupe d'une ferme de 24 ha avec mention Demeter.
88299 LEUTKIRCH, Tel. 07561 /5780
Informations complémentaires sur l'étable:
Dieter Schapke, Bergs/Hofs
Weipoldshofen 6,
88299 LEUTKIRCH
Tel. 07561/1603
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Notre bétail a encore des cornes
À partir d'une observation qui remonte à mon enfance, et surtout durant ces 9
dernières années, depuis que la responsabilité et la gestion de la ferme m'ont été remises,
j'ai pu constater sans cesse que le calme au sein de l'étable et dans l'environnement des
bovins est d'une très grande importance.
En général, il n'existe pas de blessures plus graves avec les bêtes portant des cornes
qu'avec celle qui sont écornées. Le jeune bétail d'une ou deux années séjourne en
stabulation pendant l'hiver, stabulation dans laquelle les boxes, calculés pour accueillir 5
bêtes, ne sont habituellement occupés que par 3 ou 4 bêtes au maximum. C'est un général
un avantage de placer ensemble (en stabulation) ou côte à côte (liées) des bêtes de
caractère et de tempérament voisins. On peut éviter ainsi le refoulement des animaux plus
faibles; les bêtes sont donc plus calmes et se sentent bien.
La première sortie en pâture au printemps est naturellement l'occasion pour
l'ensemble du troupeau de prendre ses ébats. Il n'est donc pas rare que cela dégénère en
combats, lors desquels on peut s'attendre à des blessures. Mais elles ne sont jamais bien
graves.
De la fin mai à la fin septembre, la totalité du troupeau séjourne dans les alpages.
La vache laitière est ramenée à l'étable (sur l'alpage) pour la traite, une opération qui
s'accomplit rapidement par grande chaleur ou quand il pleut, mais qui doit être
adroitement menée avec prudence.
Notre jeune bétail peut passer l'été dehors sur l'alpage, exception fait des périodes
de mauvais temps, où les animaux peuvent venir se mettre au sec dans l'étable. C'est alors
qu'on remarque combien les contacts avec ses bêtes sont importants, justement au moment
où elles se retrouvent à l'étroit, les unes à côté des autres.
Les vaches portent fièrement leurs cornes et leur cloche, ce qui se reflète en nous,
lors de l'élaboration du fromage d'alpage à partir de leur lait.
C'est en y pensant que nous remercions la nature et que nous prenons soin de ses
dons, tels qu'ils nous ont été confiés.
Xavier Herz,
Né en 1966, fermier Bioland depuis 1992.
Kalzhofen, 1
D-87534 OBERSTAUFEN
Vache d'alpage à Hompessen.
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Notre vache a le droit d'avoir des cornes!
Jakl et Andrea Köhler passent l'été dans les alpages, avec environ 70 têtes de bétail,
depuis18 et 13 ans respectivement. Les « danseuses » (ou « Schumpen », terme
intraduisible, dérivé de schampern, vieux terme pour « danser en se balançant »,
dictionnaire encyclopédique Langenscheid 1870) viennent de 5 ou 6 fermes différentes et
portent toutes des cornes en général.
Durant ces 18 ans, il n'y a eu aucune sorte de blessure grave chez les animaux,
comme chez les hommes. Les blessures occasionnelles qui nous sont arrivées (dans les 3
premières années) sont à attribuer exclusivement à notre inattention.
Notre jeune bétail rentre à l'étable (d'alpage) presque tous les jours. Cela signifie
que nous avons un contact direct avec chaque bête, ce qui est aussi important pour nous
que pour elles. Elles sont calmes et on peut les approcher sans les effaroucher.
Lorsqu'une chaude journée semble s'annoncer, nous devons nous dépêcher de traire
les chèvres et quelques vaches laitières, parce que les danseuses attendent déjà pour entrer
dans l'étable. Lors de la mise à l'étable nous veillons à ce que les chefs de file entrent les
premiers. La plus grande attention est requise au moment de les attacher. Cette hiérarchie
de rang entre les bêtes existera toujours, cela fait partie de leur nature.
Lorsque nous observons les bovins, nous remarquons que chacun porte ses cornes
avec une certaine dose de fierté qui est l'expression de son individualité. La forme
corporelle d'une vache cornée rayonne d'une harmonie, que nous ressentons comme
naturellement bienfaisante.
Nous partons donc de la constatation que notre Seigneur a déjà médité cette
harmonie avant de faire naître la créature qui la porte. C'est à cela que chacun doit
réfléchir à son tour, avant de s'immiscer dans Son travail.
Andrea & Jakl Köhler
s'occupent de l'alpage Sonnehalde près d'Oberstaufen
Salzstraße 42, D-87534 OBERSTAUFEN.
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Au sujet des cornes de vaches
par Martin Bienerth
Tout au long de mes 17 ans d'activités de vacher et de berger dans les Alpes
suisses, l'évolution de la vache cornée à la vache sans cornes m'est parfaitement connue.
Nous, habitantes et habitants des Alpes, avons mené des discussions sans fin sur ce thème
avec les fermières et fermiers, par monts aussi bien que par vaux. Ce qui est mis en
pratique « en bas » ou dans le « pays d'en bas » devait tôt ou tard être copié dans la
montagne, que ce soit cette croyance (aveugle, N.D.T.) dans le progrès, dans ces soidisant connaissances modernes ou bien encore simplement dans le « toujours plus » et
« toujours plus gros ». On argumente toujours et encore, dans l'espoir qu'il pleuve dans
l'escarcelle, avec le résultat d'un lent dépérissement des modes de vie et de culture de la
paysannerie de montagne.
la « question des cornes » en tant que telle, ne s'est posése dans le canton des Grisons qu'il
y a vingt ans environ, au moment où les trois premiers fermiers construisirent des étables à
stabulation. L'un d'entre eux écorna toutes ses vaches à cette époque, parce qu'il avait été
écrasé contre un mur par son taureau, et qu'il ne s'en sortit qu'avec une belle frayeur. La
propagation des étables à stabulation dans les années suivantes et les souhaits des
acquéreurs, fermiers du bas-pays, chez lesquels on avait des troupeaux écornés depuis
longtemps, incitèrent également maints fermiers du haut-pays à écorner leurs bêtes. Cette
tendance prévaut jusqu'à aujourd'hui. Dans les grands alpages des Grisons (de 80 à 140
vaches laitières), il arrive déjà que plus de la moitié des bêtes en transhumance soient sans
cornes. J'ai dû travailler, et j'ai acquis mon expérience, avec de tels troupeaux mixtes, mais
aussi avec des troupeaux dans lesquels presque toutes les bêtes arboraient encore leurs
cornes.
Lors de mes études d'agriculture, j'ai appris à connaître comment on obtenait
certains résultats scientifiques et la manière dont on tirait des conclusions. Pour moi,
continuer de m'entretenir, à ce niveau, avec des théoriciens si spécialisés, me semblaient
autant de paroles proférées en l'air, que ce soit sur la question de l'engrais minéral, d'une
sélection raisonnable ou de conditions d'élevages respectueuses de l'animal. Au travers de
mes 5 ans d'activité en tant qu'inspecteur de la Communauté Européenne pour les fermes
Bio, j'ai acquis un large aperçu sur les étables de « nos fermiers » de l'Allemagne du Sud.
La tristesse m'envahissait constamment, lorsque je devais constater comment on se
comportait avec les créatures frères et sœurs, les animaux domestiques. Le thème
« écornage » venait toujours sur le tapis et on me lançait des regards incrédules chaque
fois que je racontais que je devais lier à l'étable quotidiennement, matin et soir, 140
vaches laitières, portant belles cornes, en vue de les traire.
Je devrais reconnaître que les relations homme-animal ne sont pas des meilleures
dans de très nombreuses fermes aujourd'hui. Je voudrais entrer dans le détail sur le thème
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de l'absence des cornes, au travers de petits épisodes qui m'ont permis de fréquenter mes
animaux domestiques favoris, les vaches, en vivant à leurs côtés et en les observant.
Douloureuses expériences d'un blanc-bec
Jusqu'à mes vingt ans, je ne connaissais les vaches que de loin dans les pâtures ;
tout juste si je savais que le lait de mon petit-déjeuner provenait d'elles. En tant que blancbec, je pris alors la décision de m'occuper d'un alpage de 80 vaches dans les Grisons. Trois
semaines plus tard, j'avais déjà subi les premiers contacts douloureux avec les cornes : une
côte enfoncée et quatre semaines d'un travail rendu extrêmement pénible par la
souffrance. Mais selon le médecin, je devais continuer de travailler jusqu'à la limite de la
douleur.
La même chose se répéta dans les deux années suivantes : une fois une côte fêlée
et, une autre fois, une côte cassée tout à fait. Des coups de cornes m'atteignaient
également au visage, au moment de lier la bête à l'étable. Il en résultait toujours de petites
blessures, saignements de la bouche ou du nez; par chance, je n'ai rien eu aux yeux. Je
n'étais précisément pas originaire du milieu agricole, et les vaches et leurs cornes m'étaient
étrangères.
Dans les années qui ont suivi, j'appris à fréquenter les vaches. Pendant des heures,
je me mis à observer attentivement les bêtes en pâture, ou à l'étable, et je me familiarisais
avec leurs habitudes et les relations qu'elles entretenaient entre elles. J'appris que les
vaches étaient des individus, mais qu'elles suivent aussi un instinct grégaire, qu'elles
peuvent être « matoises », mais avoir l'air « stupide ». Les caractères les plus divers
venaient à ma rencontre et je trouvai finalement un accès à la nature de la vache.
Dans les plus grands alpages, il est courant pour nous, les bergers, d'être toute la
journée en route avec les bêtes, pour le mener aux lieux de pâture précis, pour les tenir
éloignée des pentes raides, non protégées par une clôture ou bien pour les ramener à
l'étable au moment de la traite. Nous sommes jour et nuit avec les bêtes, qu'il y ait la
canicule, du vent, de la tempête, de la pluie de l'orage ou de la neige. Nous devons sans
cesse juger correctement le comportement du troupeau et quelques-unes de ses
individualités, pour pouvoir les guider dans les montagnes. Il n'est pas rare que de
mauvaises décisions mènent tout droit à la chute, suivie de graves blessures ou même de
la mort de quelques animaux. J'ai donc appris à vivre avec les vaches, j'ai appris à les
aborder et j'ai même appris à « danser » avec elles. Depuis ce temps, il ne s'est plus rien
passé pour moi avec les vaches, mis à part une fois une paire de coups de queue dans le
visage au moment de la traite.
« Danser » avec les vaches
Cent vaches appartenant à 18 fermiers différents, cela fait 18 petits troupeaux qui
se heurtent au début sur l'alpage. Toutes les bêtes sont liées à l'étable, traites et déliées
deux fois par jour. Cela n'est pas facile dans des étables le plus souvent étroites, parce que
les bêtes ne se connaissent pas encore. Elle suivent leur voix intérieure, elles veulent et
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doivent finir par découvrir leur rang de préséance, et puis tout se rompt simplement, et il
faut recommencer. Dans un espace étroit, cela peut s'avérer dangereux pour les bêtes
autant que pour les hommes.
Au début du séjour en alpage, la règle c'est qu'il vaut mieux faire entrer et installer
dans l'étable que des groupes les plus petits. Dehors, sur l'espace d'attente, les bêtes
peuvent plus facilement s'esquiver ou bien avoir de la place pour s'affronter.
Dans
l'étable, au contraire, il faut particulièrement garder la vue d'ensemble sur l'espace
disponible. Je ne peux jamais me permettre de m'occuper d'une bête, sans conserver une
vue d'ensemble de ce qui se passe autour de moi. On doit apprendre à se déplacer entre les
vaches, à céder le pas, à faire passer sa propre volonté, mais sans toujours insister. C'est
comme la danse sur la piste du bal, où les couples de partenaires évoluent sans se
bousculer constamment. L'attention doit être absolue, c'est la loi suprême! Nous devons
rester très éveillés, sinon ça peut craquer. Un orteil écrasé, une côte froissé ou même pire
encore, peuvent en résulter.
N'en va-t-il pas comme dans la circulation routière ? Nous y sommes habitués à ne
pas nous permettre d'inattentions, sinon c'est l'accident avec pareillement des tôles
froissées ou autres conséquences bien pires. Je pense que nous avons simplement
désappris à danser avec les vaches. Ces dernières décennies, les relations entre l'homme et
l'animal ont été réduites au minimum. Les raisons en sont connues. Les bêtes commencent
à en faire les frais, en subissant désormais des mutilations de la part de l'homme. Par
devant, on les décorne, par derrière, on coupe la queue, comme c'est malheureusement
déjà courant aujourd'hui en Nouvelle-Zélande.
Je le répète : nous devons méditer sur notre relation avec l'animal. Lorsque que
nous domestiquons des animaux et que nous nous en servons, nous en sommes
responsables, comme nous sommes responsables de nos propres enfants. Nous devons les
soigner. Les soins apportées aux créatures sœurs, font partie des missions les plus
anciennes confiées à une humanité devenue sédentaire. Soigner, cela veut dire cultiver.
Notre civilisation humaine est en danger, lorsqu'elle délaisse cette idée de soins à
prodiguer. Des exemples illustrant cela, il en existe déjà beaucoup, un autre vient s'y
adjoindre: la mutilation de certaines parties du corps des animaux qui nous ont été confiés.
Luttes de préséance
Chaque été sur l'alpage, le troupeau se trouve dans une combinaison différente. Il
ne forme pas d'emblée une troupe calme. Il existe un structuration au sein du troupeau, et
celle-ci doit être disputée et réglée par le combat chaque année.
Elga, la plus vieille de toutes, était la meneuse l'an dernier, sans être incontestée
mais elle a toujours eu le dernier mot.
Cette année encore, il ne sera pas facile pour elle de défendre et de garder sa
préséance. Quelques bêtes sont nouvelles sur l'alpage, d'autres ont vieilli et mûri en
enrichissant leur expérience depuis l'année précédente.
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Les combats de préséances commencent le plus souvent 2 jours, au plus, après la
montée à l'alpage. Alors, si les plus grandes excitations sont passées et le lieu de séjour
largement adopté, une nouvelle structuration du troupeau doit s'édifier.
Ce qui est intéressant de voir, c'est que chacun ne se met pas à combattre n'importe
qui au point qu'il en résulterait un embrouillamini impénétrable. Quelques exceptions
mises à part, ce qui est en jeu, c'est la fonction de direction du troupeau dans son
ensemble. La décision préliminaire pour savoir qui, en définitive, sera la meneuse du
troupeau jusqu'à la fin de l'été peut à présent échoir.
Très rapidement, les vaches étrangères ont reconnu chez Elga une bête de rang
supérieur et l'ont en partie acceptée. Quelques-unes l'approchent néanmoins pour la tester
quelque peu, et sentir le degré de préséance.
On peut bien deviner et ressentir la tension qui naît lors d'une telle rencontre. La
plupart de ces rencontres se passent sans combat extérieur. Elga avait remporté une
victoire intérieure, son rayonnement était suffisant pour faire reconnaître nettement son
degré de préséance.
Mais quelque chose ne va pas. Quelque chose qui se trouve dans l'air. Une paire de
bêtes se sont arrêtées de paître. Elga se tient là, comme enracinée dans le sol. En face
d'elle, à environ cinq vaches de distance, Julia, une vache solide, élevée par Valentin, a
pris position. La tête baissée, elle avance lentement en direction d'Elga, qui se dresse bien
droite. Julia gratte le sol tantôt avec le sabot antérieur gauche, tantôt avec le droit, des
touffes d'herbe se mettent à voler. Elga ne bouge pas.
Julia passe très lentement devant Elga. Elle reste à côté d'elle, à deux vaches de
distance. Elle lève la tête. Elga aussi met sa tête de travers, typiquement de guingois ; des
plis sont maintenant nettement visibles sur la peau des joues entre l'œil et l'oreille.
Julia aussi fronce la peau de son cou. Les deux bêtes meuvent lentement la tête, absorbées
dans une tension énorme, comme au ralenti; Elga toujours figée au sol, Julia grattant avec
ses sabots antérieurs, mais se retenant nettement.
Elles s'inspectent mutuellement ainsi pendant 5 à 10 minutes, qui paraissent devenir
une éternité, et tout à coup ça craque. Comme sur un signe convenu entre elles, elles se
heurtent violemment du front et Elga est repoussée en arrière.
Elle cède et s'esquive, pour reprendre aussitôt la contre offensive, les deux têtes se
heurtent à nouveau lourdement.
Cette fois, c'est Julia qui est refoulée. Elga se jette sur elle de tout son poids, vient
même à bout de son adversaire, fait balancer ses cornes en direction de Julia, qu'elle
engage seulement maintenant dans le combat. Cette dernière cède, brièvement poursuivie
par Elga.
À cet instant, le rang de préséance est net : la vieille meneuse reste victorieuse sur
le terrain.
(Notes du journal personnel, Alpage Rischuna, 1989)
Ces combats de préséance sont d'une très grande importance pour la réalité sociale
événementielle au sein du troupeau. Par ces luttes de préséance, chaque bête obtient une
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position qui lui est attribuée personnellement dans le troupeau. Les bêtes individuelles
ressentent ensuite moins de stress en se déplaçant, broutant, buvant et se reposant. Les
vaches n'ont aucunement de comportement social, au sens où nous l'entendons lorsqu'il
s'agit de protéger les faibles des forts (en dehors du comportement entre la mère et son
veau). Les bêtes plus petites ou plus faibles sont constamment refoulées et opprimées. Par
une prise de position nette dans le rang de préséance, une chance de survie existe aussi
pour elles.
Des bêtes cornées gagnent leurs conflits de préséance d'une manière autre que celle utilisé
par les bêtes écornées. Les premières mènent des combats plus brefs et plus violents, mais
aussi plus nets, et les résultats persistent plus longtemps. Le plus souvent on n'en vient
même pas à se battre. Par certaines positions de la tête, du mufle, des oreilles et des
cornes, on envoie des signaux que les autres vaches comprennent. Les rangs de préséance
ne doivent pas toujours se régler à chaque fois. Que les cornes fassent défaut et cet
instrument important de « langage » entre les vaches leur fait aussi défaut, c'est justement
ce qu'on peut bien observer dans les troupeaux mixtes.
Des bêtes qui ne se connaissent pas gardent une plus grande distance entre elles,
tandis qu'elles broutent sur l'alpage, lorsqu'elles portent des cornes. Les vaches écornées
mangent côte à côte, même si elles ne se connaissent pas. Si on en vient aux combats, ce
ne sont pas seulement les crânes qu'on utilise pour pousser, dans les formes de
confrontation classique pour l'acquisition d'un rang de préséance dans la structure du
troupeau. Les bêtes sans cornes ont appris à « donner des coups de pelles ». Elles
travaillent leurs collègues en général en intervenant sur le côté : le ventre et la gorge sont
les cibles préférées. Les confrontations durent plus longtemps, et n'apparaissent pas si
violentes, en prenant presque le caractère d'un jeu. En définitive, les animaux ne trouvent
pas aussi rapidement leur rang dans la hiérarchie du troupeau. Les luttes de préséance se
produisent donc plus fréquemment.
Marey est écornée
Entre une meneuse et une guide de troupeau, il existe une différence. La meneuse
est la cheftaine du troupeau, la bête de rang le plus élevé. La guide, c'est la vache de tête,
qui part sur la pâture, ou en revient toujours la première. D'autres membres du troupeau
sont ainsi entraînés, ce qui facilite sensiblement la garde. Une bête peut à la fois être
meneuse et guide, mais ce n'est pas forcé.
Marey assurait cette double fonction depuis des années sur l'alpage Tambo. Elle
avait un rayonnement certain et était acceptée par ses 92 collègues. Pendant l'hiver 1994,
on lui scia les cornes. En été 1995, elle revenait avec nous sur l'alpage. Elle nous fit
l'impression d'être toute désorientée, elle était craintive et hésitante. Le convoi vers la
pâture ne fut plus emmené par elle. On la trouvait toujours perdue au milieu de la masse
du troupeau.
À la moitié du séjour sur l'alpage, elle avait si bien repris des forces qu'elle fut en
mesure de reprendre sa double fonction de chef et de guide. Elle était la même
qu'auparavant, sinon plus « triste ».
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Gerta retrouve de nouveau sa corne
Le 1er août 1989 au matin, au moment de la traite, il commença à neiger un peu. Vers 8 h
30, nous sortîmes les bêtes de l'étable ; la neige était collante et ne tenait pas. Je nettoyai
sommairement les étables, j'endossai mes vêtements d'hiver et je me dépêchai de sortir
derrière les vaches qui étaient déjà hors de ma vue.
La plupart d'entre elles cheminaient selon toute attente en direction de Grava,
toutefois quelques-unes se tenaient sur la pente au-dessus du plateau. Or la neige tenait à
cet endroit, et je me faisais du souci.
J'atteignis bientôt la vache de tête, et je pus la faire revenir d'un couloir d'avalanche
et la ramener au sec. L'herbe humide ou la neige peut provoquer des glissades
dangereuses. C'est alors que je découvris deux traces de glissade qui disparaissaient dans
le bas, sans que je pusse apercevoir de bêtes blessées ou couchées.
En proie à une inquiétude extrême, et avec beaucoup de patience, afin de ne pas
occasionner de mouvement brusque et fatal chez les bêtes, je pus ramener trois vaches en
descendant précautionneusement la pente glissante pour les mettre hors de danger.
Jusqu'alors, j'avais seulement appris et entendu dire que les moutons escaladent la pente
quand il neige. C'est peut-être général, pourtant aujourd'hui, j'allais en apprendre bien
mieux.
Arrivé en bas, je partis à la recherche des deux bêtes, dont j'avais aperçu les traces
de glissade et je ne trouvai qu'une vache blessée : Gerta se tenait là, plutôt embarrassée,
entourée de ses deux copines d'étable, paissant à contrecœur et la tête pendante. De
nombreux filets de sang entre les oreilles et les yeux me révélèrent ses souffrances: la
corne droite était brisée, ainsi que l'os cornu, mais la corne pendait encore attachée sur la
tête, et saignait abondamment.
Le soir, j'informai par radio le fermier sur l'état de santé de sa vache, afin qu'il
monte le plus tôt possible. Le jour suivant, Robert était déjà là avec un sachet plein de
bandes de plâtre. Il décida de tenter de sauver la corne en la plâtrant. J'en doutais car pour
moi la cicatrisation de l'os serait à peine possible suite aux secousses permanentes lors de
la marche. De plus, broutant dans les buissons, la vache accrocherait sa corne à la
végétation, à un moment ou à un autre, ou bien la cicatrisation serait entravée par les
petites chamailleries auxquelles les vaches se livrent pour gagner leur rang, à la fois à
l'extérieur et pire encore à l'intérieur de l'étable. Par ailleurs, Gerta tenterait certainement
de soulager les démangeaisons provoquées par la cicatrisation, en grattant les talus ou sur
les troncs d'arbre avec ses cornes.
Qu'un fermier tente de sauver la corne de sa vache, voilà ce qui représente pour moi
une expérience étonnante ; n'avais-je pas perçu chez de nombreux collègues la propension
à couper les cornes déjà chez leurs veaux ?
Tout le restant de l'été, j'observais Gerta et sa corne plâtrée. Elle évita
soigneusement les buissons, ne défendit pas son rang en restant prudemment à l'écart, et
dès qu'elle pénétrait dans l'étable, elle tournait soigneusement la tête de côté, de façon à ce
que la corne cassée pointe bien en l'air (et on dira que les vaches ne sont pas intelligentes!
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N.D.T.). Au bout d'un mois, je pus constater que la corne bougeait encore, et donc que la
cicatrisation n'était pas encore complète. La période d'alpage passée, Robert me raconta
par la suite que Gerta avait recouvré deux cornes bien solides, après qu'il lui eut ôté son
plâtre.
Martin Bienerth
Né en 1957, Ingénieur diplômé en agriculture, journaliste et reporter photographe sur les
sujets liés à l'économie des alpages, du lait et de l'agriculture de montagne ; chaque été
depuis 1982, berger et vacher dans les Alpes suisses. Directeur des éditions Alpsicht (Vue
d'alpage) et co-auteur du « traité de l'Alpage ».
Tobel 3, D- 88279 AMTZELL
Littérature:
Giorgio Hösli, Kaspar Schüler entre autres:
Traité de l'Alpage, 368 P. 56,40 DM (197,4 FF), à commander chez Martin Bienerth.
16
Les soins d'élevage des vaches cornées
en stabulation libre
L'évolution prise avec l'écornation croissante des bovins va fréquemment de paire
avec le choix de la stabulation, comme système d'élevage, ce qui est à coup sûr une
conséquence des changements structuraux intervenus dans l'agriculture. À côté d'autres
conséquences, ces changements mènent à l'élevage de troupeaux plus vastes.
On recommande l'écornage de manière prépondérante surtout du côté du
vétérinaire et du gestionnaire d'exploitation. Pour le premier, les blessures avec les bêtes
écornées deviennent autant dire non perceptibles, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en ait
plus. Car le plus souvent, les heurts directs entre bêtes sans cornes sont plus fréquents et
plus violents qu'entre bêtes cornées.
Les épanchements sanguins qui en résultent donnent lieu à des hématomes,
difficilement visibles donc, au contraire de blessures ouvertes.
Pour le second, les bêtes écornées peuvent être élevées en espace réduit, ce qui
diminue le prix de revient de la place occupée dans l'étable. Quant à la question de savoir
si on fait plaisir aux bêtes, on doit sérieusement se la poser, puisqu'on ne tient pas compte
d'une distance individuelle conforme à leur espèce.
Que l'élevage d'animaux conservant leurs cornes soit aussi possible en stabulation,
c'est ce qu'ont démontré entre temps de nombreux fermiers, qui le pratiquent avec succès.
Dans le cadre d'un projet de recherche helvétique, S. Waiblinger, C. Menke et D.
W. Fölsch ont réalisé une étude exhaustive sur 35 exploitations en Allemagne et en
Suisse, qui élèvent des vaches en stabulation tout en leur laissant les cornes. Ils ont
analysé les résultats obtenus à partir de certains critères comme le système de stabulation,
l'offre d'espace disponible, les aménagements de l'étable proprement dits, la gestion du
troupeau et la relation bêtes-éleveur.
Système d'étable
Les systèmes avec paille étalée, évacuateur de fumier et mise à disposition de
boxes, ont été comparés entre eux. Il s'est révélé que la forme de l'étable exerce à peine
une influence sur le fonctionnement du type d'élevage. Les trois systèmes étudiés peuvent
bien fonctionner.
Offre de place disponible
L'élevage de bêtes à cornes en stabulation est facilité par la mise à disposition
d'emplacements plus grands. Le maintien de la distance indispensable à respecter entre les
animaux est rendu possible si on leur accorde suffisamment de place. Tout fermier, qui
pratique la mise en pâture en été, peut parfaitement le constater. Plus l'offre d'espace est
importante, et avec elle la possibilité de s'esquiver chez les vaches, moins les
confrontations sont nombreuses dans le troupeau de bovins. Quoi qu'il en soit, parmi les
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fermes étudiées, il en existait qui n'offraient à leurs bêtes que 5 m² par tête, et qui
fonctionnaient bien malgré ce moindre espace disponible.
Aménagement dans l'étable
Il joue un rôle important. Les systèmes de râtelier à palissade ont un net avantage
sur les systèmes de râtelier en parallélogramme, qui présentent sur le dessus un dispositif à
verrouillage. Ce dernier à pour conséquence d'empêcher qu'une bête de rang inférieur, qui
vit une situation de stress à proximité d'une bête de rang plus élevé, puisse suffisamment
rapidement se dégager de l'ouverture du râtelier. Elle doit en effet tourner la tête de 90°
degrés pour y parvenir et elle n'y parvient plus en situation de stress. Elle tente alors de le
faire violemment. Dans les systèmes de râtelier en palissade, au contraire, il suffit
simplement qu'elle lève légèrement la tête pour se libérer. Dans l'étude suisse, on a mesuré
que toutes les bêtes peuvent se libérer en moins de deux secondes d'un système de râteliers
en palissade, tandis que 10% d'entre elles ne parviennent pas à se libérer du râtelier en
parallélogramme en moins de trois secondes.
Permettre aux vaches de sortir facilement, outre les effets positifs sur la santé des
animaux qui peuvent se dégourdir les pattes à l'air libre, amène en outre une détente dans
les relations sociales au sein du troupeau. On a observé que les bêtes de rang inférieur
peuvent plus facilement trouver à s'esquiver dehors, et elles peuvent donc échapper aux
confrontations.
Dans tous les cas, il vaut d'éviter les culs-de-sac et les accès trop étroits dans l'étable. Ils
empêchent le maintien des distances individuelles.
Relation éleveurs-bêtes
L'investigation menée dans le cadre du projet suisse ne laisse planer aucun doute
sur l'importance décisive de la relation de l'éleveur avec ses animaux. On a fait valoir ce
comportement en observant les bêtes, et tout particulièrement en estimant la distance
d'évitement des animaux vis-à-vis de personnes étrangères. D'autre part, la fréquence et la
qualité du contact de l'éleveur avec ses bêtes ont été prises en compte. Elles se manifestent
entre autres dans la fréquence du pansage et de la tonte, dans l'identification personnalisée
de chaque bête par son éleveur et dans les relations qu'il entretient avec elles, dans le
nombre de personnel trayant et la fréquence des changements de personnel.
Les relations homme-bêtes examinées dans chaque ferme individuelle se
distinguent très nettement les unes des autres. La distance moyenne d'évitement des
troupeaux varient entre 0 et 1,35 m. On a constaté ici qu'elle était d'autant plus réduite que
les contacts avec l'éleveur étaient d'autant plus fréquents et de meilleure qualité. Dans les
fermes ayant des animaux plus confiants, il y avait peu de changements de personnel. Les
vaches étaient le plus souvent régulièrement pansées, les fermiers connaissaient toutes les
bêtes de l'étable par leur nom.
Les investigation ont montré que la manière de s'y prendre dans la fréquentation
des animaux était très importante. La distance d'évitement diminuait lorsque le fermier
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savait s'y prendre calmement et avec patience. Au contraire, des rapports entretenus dans
la nervosité, le manque de patience, rendaient des bêtes plus difficiles à manier. Des
relations évidentes ont pu être mises en évidence entre la fréquence des blessures
superficielles par coups de cornes entre les animaux et la qualité de la relation entretenue
avec l'éleveur.
Les bons éleveurs sont aussi de bons managers de troupeau. Pour la réussite de
l'introduction d'une génisse dans le troupeau de vaches, par exemple, il faut dire que
certains critères jouent un grand rôle, comme de remédier rapidement aux installations
défectueuses d'une étable, d'éloigner rapidement les bêtes en chaleur.
Intéressante aussi l'observation selon laquelle il est possible de compenser des
inconvénients du système d'élevage en entretenant de bons rapports avec les bêtes.
Bilan
Lorsque le fermier entretient de bons rapports avec ses animaux, qu'il a bien en
main la direction et l'encadrement du troupeau, et qu'il prend en compte les exigences d'un
élevage respectueux de l'animal dans l'édification de l'étable, les vaches peuvent aussi être
gardées pratiquement sans problème dans l'étable en conservant leurs cornes. On doit
cependant constater que la relation homme-bêtes n'est que très difficilement influençable
de l'extérieur. C'est certainement la mission qui revient à l'éleveur de s'y employer et de
s'y investir en développant ses propres capacités. Il est bien évident que toute disposition
caractérielle ne parviendra pas à évoluer de manière telle que la conduite de bêtes gardant
leurs cornes à l'étable reste toujours possible en toute circonstance.
(Documents de référence sur demande)
Christophe Metz,
Conseiller Demeter régional dans l'Allgaü.
19
Réflexions sur l'importance de la corne de vache
Pour cela je dois d'abord revenir un peu sur l'évolution animale. Aux premiers
stades embryonnaires, l'animal développe un embryon plat, comme la plante, mais il se
produit bientôt une invagination. Il en résulte un endoderme (intérieur) et un ectoderme
(extérieur). L'endoderme forme ensuite les organes digestifs et l'appareil locomoteur,
l'ectoderme forme la peau, les nerfs et l'ensemble du système sensoriel. Nous avons donc
deux centres, d'une part le cerveau avec la moelle épinière et, d'autre part, le tractus
digestif. On ne doit cependant pas se représenter cette séparation entre le système des
nerfs et des sens et le système digestif et des organes locomoteurs comme totalement
prononcée : les deus systèmes empiètent en effet l'un sur l'autre.
Si nous faisons maintenant abstraction de tout ce qui est extérieur au système
nerveux et nous aurons devant nous l'organisation nerveuse purement animale. Son centre
est localisé à l'avant-supérieur du corps, là où la masse nerveuse cérébrale est presque
parvenue au repos. Elle n'est pratiquement plus susceptible de développement, coincée et
entourée de tous côtés par un squelette externe, le crâne. Mais c'est le pôle sensible.
Considérons à présent le tractus digestif incluant le système afférent d'irrigation sanguine
et les ganglions lymphatiques, au pôle arrière et inférieur de l'animal. Il est porté par un
squelette interne. Le pôle métabolique s'y centralise, traversé par la pulsation des
processus vitaux, mais à peine envahi par l'activité des sens, c'est le pôle végétatif de
l'animal.
Au niveau de la cage thoracique, qui reste fermée vers l'avant-supérieur et s'ouvre
vers l'arrière-inférieur, les deux systèmes sont rythmés. La cœur et le système circulatoire
sont à mettre du côté du système métabolique, tandis que le système respiratoire relève du
pôle nerveux et des sens. Selon les diverses espèces animales, on assiste à une
accentuation de l'une ou de l'autre de ces deux composantes.
Chez nos animaux domestiques, qui sont pour la plus grande partie d'entre eux des
animaux de pâture, le tractus digestif - et tout particulièrement chez les bovins - est
particulièrement développé. Considérons donc les animaux de pacage, en relation avec la
rumination, et cela d'une manière purement morphologique et non au plan de la
phylogénie. Le porc, en tant qu'animal paissant, n'est pas encore spécialisé au plan digestif
(Chacun doit savoir que le porc consomme volontiers de l'herbe comme l'être humain de
la salade d'ailleurs... N.D.T.). Il possède encore une denture complète, les canines se
transforment en défenses chez le mâle. l'appareil digestif est encore simple, sans grande
extension comme chez les ruminants. Une autre espèce, les tylopodes ou camélidés, sont
aussi des animaux de pâture. La semelle du pied est encore charnue, ce sont des ongulés,
dépourvus de sabot fendu. Ils ne présentent pas encore d'excroissances frontales. Dans la
denture, on trouve encore des canines parfaitement développées. Dans l'os maxillaire
supérieur, il existe seulement une paire d'incisives. Les panses ne sont pas parfaitement
développées et on ne peut encore parler de panse quadripartite. Ce n'est qu'à partir des
girafes que l'on rencontre une panse de ruminant caractérisée. Ce sont aussi les premières
20
à tenter le développement d'excroissances frontales : des cônes ossseux recouverts par la
peau. Ils ne se développent qu'en une fois et restent tels quels. La canines et les incisives
ont disparu de la mâchoire supérieure et à la mâchoire inférieure, les canines adoptent la
forme d'incisives. Dans sa constitution extérieure, la girafe tend à devenir un animal aux
membres particulièrement développés.
Ce qui reste pour ainsi dire une tentative figée chez la girafe, se réalise
parfaitement chez le cerf : le bois ou ramure. Les cervidés ont un estomac de ruminant
parfaitement formé. Mais en tant que ruminant, ils font aussi un pas en arrière. Ce sont des
animaux aux nerfs et aux sens extrêmement développés. Ils sont entièrement tournés sur
l'environnement extérieur, la pesanteur du bovin leur fait défaut. Le cerf jette ses bois et
les reforme chaque année. Ces derniers disparaissent passablement vite dans la forêt. Le
crâne est relativement mince, et présente des cavités dans l'os. Il reste ouvert sur
l'environnement.
Considérons ensuite les antilopes. Chez elles, le créateur s'est approché du type
purement ruminant. Des graciles antilopes eleotragus et des gazelles, jusqu'aux antilopes
des tropiques et des gnous, c'est toute un multiplicité de formes qui surgissent, mais
toujours avec la même spécialisation unilatérale.
Aucun de ces animaux ne peut se domestiquer. Ils ont bien des excroissances sur
l'os frontal et portent des cornes, mais cet os ne présente pas l'extension qu'on rencontre
chez le bovidé. Les cornillons, bien que portant parfois de merveilleuse cornes, ne sont
pas encore évidés. Exception faite des chamois isard, les seules antilopes européennes. Il
forment la transition vers les chèvres et les moutons. Chez ces deux derniers, le type
ruminant a atteint son plein développement. Seul l'os frontal n'exhibe pas encore la
perfection des bovidés, la dernière étape de l'évolution des ruminants.
Avant d'en venir aux bovins, nous devons brièvement jeter un coup d'œil aux
bisons. Eux non plus ne présentent pas un os frontal dans toute son extension. Outre le
bison nord-américain (buffalo ou Bos americanus), le bison européen (Bos bonasus)
appartient aussi à cette famille et vit dans les forêts. Ces troupeaux de bovins en Asie,
Europe et au Nord de l'Amérique ont rendu les steppes fertiles. Quoiqu'ils ne fussent
jamais domestiqués, ils ont permis l'agriculture dans ces régions (« en "ouvrant » les sols
par leur fumure, entre autres. N.D.T.). Chez ces animaux, l'os frontal s'est élargi sur les
côtés et vers l'arrière de la tête.
Le banteng (?), le guèbre, le yak de l'Asie centrale, font partie des bovins authentiques,
tout comme l'aurochs, une race primitive, complètement disparue. Chez eux, l'évolution de
l'os frontal dans toute son extension est nettement perceptible.
Nous sommes maintenant parvenus au type idéal de ruminant, le bovin, tel qu'il
s'incarne dans nos races domestiques, qui descendent toutes de l'aurochs. Les côtés du
crâne sont totalement refoulés sur les surfaces arrières de la tête et vers les fosses
lacrymales (larmier), l'os frontal s'est étendu plus largement vers l'arrière sur les côtés,
plus que chez aucun autre mammifère. Cette évolution atteint ici un point culminant.
De ces considérations morphologiques, nous pouvons conclure : l'évolution de la
denture procède de concert avec la formation d'une panse parfaite. À la mâchoire
21
supérieure, les canines et les incisives disparaissent. Dans le même temps, les os cornus se
forment et grossissent. Chez le descendant de l'aurochs, notre bovin, ils se sont
particulièrement bien développés. La corne de vache en a surgi, qui, à la différence des
cornes d'autres ruminants, peut se charger de nouvelles tâches fonctionnelles.
La vache présente de remarquables sinus frontaux particulièrement bien
développés ; plus l'animal vieillit, plus ils se prolongent jusqu'à la pointe des os cornus.
Les sinus frontaux d'une vache qui a eu deux ou trois veaux atteignent bel et bien le milieu
des cornillons (os cornus). Ce cornillon est désormais revêtu de la corne. Entre l'os cornu
et la corne s'installe une forte irrigation sanguine. Cela s'accompagne en outre d'une forte
ramification nerveuse. Dès la formation des cornillons, la peau s'épaissit fortement à cet
endroit et la corne naît des multiples repliements des couches inférieures de la peau. Ce
« repli sur soi » est si puissant que le cornillon ne peut plus croître pour former une
ramure comme chez le cerf. Dans cette corne agissent de puissantes forces de retenue et
de réserve. Lorsque la vache rumine, et que des éructations remontent de la panse,
accompagnées de gaz divers. Ces derniers se mélangent à l'air inspiré et pénètrent
profondément dans les sinus jusqu'à la pointe de l'os cornu. C'est pourquoi la vache n'a
qu'une conscience relativement étouffée du monde extérieur. Le cerveau est comme
embrumée (elle est embrumée dans les vapeurs de fermentation de sa panse ; en
plaisantant on pourrait dire qu'elle « se hume un joint », N.D.T.). Les forces qui rayonnent
de l'intérieur de la vache se trouvent ainsi stoppées, contenues par les cornes qui, à la
manière de miroirs, les renvoient vers l'intérieur. Les cornes perçoivent donc ce qui se
passe dans la digestion. Les gaz, les forces et tout ce qui est perçu par les cornes, sont
renvoyés dans le tractus digestif.
La vache dirige de ce fait la totalité de sa conscience sur la digestion. Son appareil
digestif agit comme une sorte de cerveau, mais un cerveau totalement vivant. Toutes les
forces qui sont renvoyées vers l'intérieur par les cornes, et cela commence déjà dans la
panse, lui confère la possibilité de former des protéines avec l'aide des bactéries qu'elle
héberge à partir des hydrates de carbone (cellulose).(C'est là un aspect des choses ; l'autre,
c'est aussi le fait que la vache procède ainsi à une analyse attentive, comme en la
« méditant », de la nourriture ingérée. Cette nourriture ingérée, produite sur le domaine,
elle la restitue dans sa bouse après « digestion méditative »; on comprend que cette bouse
devienne apte à former la fumure idéale pour le domaine en question, qui est inséré dans
un contexte géographique et écologique original, dont les plantes absorbées par la vache
sont autant de reflets, N.D.T.).
Plus la nourriture est riche en fibres végétale brutes, plus les vaches ont de grandes
cornes. On peut donc considérer les cornes comme des organes des sens. La température
des cornes varie en fonction du moment où la vache mange ou rumine et dépend
habituellement de son sentiment de bien-être. La peau est aussi une sorte d'organe des
sens tourné vers l'extérieur. La corne, qui est effectivement formée de peau, étend ses
sensations et ses perceptions vers l'intérieur. Un échange s'installe donc entre la digestion
et l'activité des sens.
22
Si maintenant nous coupons les cornes, en enlevant même l'os cornu, cette
perception intérieure de la digestion se restreint pour la vache. Il en résulte logiquement
la perte de qualité des produits, le lait et la bouse, que la vache veut en réalité faire don à
la terre et à l'être humain (par les caractéristiques - détaillées plus haut - inhérentes à son
espèce d'animal domestique particulier. N.D.T.). La terre devient moins fertile et l'homme
tombe malade.
Dans cet article, j'ai brièvement donné quelques indications que l'on peut retirer
d'une vision anthroposophique de ce problème biologique de la corne chez les bovins.
L'expliquer et le fonder en détail dépasserait le cadre imposé ici. Mes indications veulent
être une incitation à continuer de réfléchir et d'observer, afin de mieux aborder le
problème de l'écornation et d'autres problèmes qu'on rencontre dans l'agriculture actuelle.
Helmut Hoffmann
Né en 1928
Fermier sur le domaine Boschenhof.
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L'importance des cornes chez la vache – Expériences et
connaissances acquises
Dans la nature tout est fondé et rempli de sens. C'est une création pleine de sagesse,
elle est parfaite et elle a toujours raison. Tout y est essentiel et plein de significations.
Conformément à sa race, une vache, avec ses cornes harmonieuses, incarne la beauté et la
vénérabilité de la création, du Créateur. Elle porte ses cornes comme une couronne (ce qui
n'échappait pas aussi anciens Égyptiens avec la déesse Hathor du temple de Dendérah.
N.D.T.). Les cornes font partie de sa nature. Avec la vache elle-même, elles appartiennent
à l'environnement, à la nature et au paysage. On perçoit peut-être inconsciemment les
relations vivantes, l'écologie. Aux belles cornes harmonieuses, on reconnaît la sagesse, le
pouvoir et aussi la bonne volonté de l'éleveur.
Les cornes sont un repère très instructif pour estimer les forces de vie, de l'hérédité,
et la vigueur des processus métaboliques à l'œuvre dans l'organisme de l'animal. Ce sont
des organes qui croissent vers l'extérieur; c'est là un point très important.
Pour une compréhension moderne et correcte de tous les phénomènes de la nature,
il est important et indispensable que l'on ne tienne pas seulement compte - et que l'on
n'admette pas seulement - de la matière, ce qui est mesurable et pesable. On doit aussi
tenir compte des forces de vie et d'organisation, qu'on peut apprendre à percevoir, à
prendre en compte et à comprendre, dans leurs activités et leurs effets. On ne peut jamais
construire une maison quand on ne dispose que de la matière, c'est-à-dire des matériaux,
pour le faire. Ce sont des forces spirituelles et des forces physiques qui peuvent construire
cette maison à partir de la matière et des matériaux. Sans ces forces, ça ne marche pas.
Dans la forme des cornes, s'annoncent des forces qui rassemblent, structurent et
rayonnent vers l'intérieur de l'animal. Par l'identification avec l'objet observé, au moyen
d'une observation attentive, il se révèle que la corne doit être le siège d'une processus
vivant très important. Déjà cette variation de température du chaud, au moins chaud, puis
au froid, est un indice instructif à de nombreux égards. Si, par exemple, la vache rumine
avec force, profondément plongée dans un sentiment de bien-être, les cornes deviennent
de plus en plus chaudes. Lors de la rumination, en particulier avec de la bonne herbe riche
en fibres et en plantes médicinales, il se produit un processus de libération de forces de vie
et d'organisation qui afflue du mufle vers les cornes et dans les cornillons. On peut
reconnaître le cours de ce flux dans l'anatomie et le suivre parfaitement. Les os des cornes,
ou cornillons possèdent des cavités, artistiquement formées et disposées, qui se ramifient
de plus en plus finement vers l'extérieur, vers la périphérie et la pointe. Entre les
cornillons et la corne proprement dite, se trouve une couche (chaude) plus ou moins
fortement irriguée par le sang. On peut la comparer au cambium, qui est la couche vivante
des arbres et des buissons, située entre l'écorce et le bois. Le cambium des arbres est en
effet une sorte de matière lumineuse, voire primordiale, de laquelle émane toute
croissance et toute pousse végétales. Dans le cambium de la corne, si on peut le désigner
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ainsi, les forces formatrices et structurantes sus nommées passent dans le sang, dans la
circulation sanguine dans son ensemble.
D'où le fort réchauffement des cornes lors de la rumination. Ce processus est
certainement d'une grande importance pour les forces de vie, la santé et la force de
résistance de la vache, mais aussi pour toute la production qu'elle fournit. On parle aussi
de force formatrice d'individualisation (du « Je », N.D.T.), par exemple la force formatrice
d'individualisation du lait. Le mot « Milch » (lait) parle de lui-même quant à son sens en
allemand: Milch - Mich (Moi) - Ich (Je). Le bon lait bien frais n'est pas seulement une
substance de haute valeur, mais il contient aussi cette qualité formatrice
d'individualisation et les forces formatrices structurantes afférentes.
Pour la vache et le courant héréditaire d'un animal ,ou du troupeau selon le cas, ces
processus et ces forces sont très décisifs. On le reconnaît par exemple dans la vigueur et la
résistance des veaux. Même le fumier que les bêtes fournissent en est imprégné. Le circuit
écologique (conditions de vie des êtres vivants) plante - animal - fumure - sol - plante homme en est marqué. Des vaches avec leurs cornes, cela signifie: renforcement de la
fertilité des sols et renforcement des forces de vie chez la plante, l'animal et l'homme.
Chez les vaches écornés, il se forme un chicot ou bien un bourrelet frontal. L'écornation,
c'est une vraie mutilation ! Les processus de vie et d'organisation ne peuvent que
s'affaiblir et devenir déficients.
Un veau, dont l'instinct n'est pas corrompu, commence à manger au bout de deux
ou trois semaines. Il cherche autant que possible des tiges d'herbe et des plantes
médicinales bien mûres et commence à exercer l'activité la plus essentielle de son
existence: la rumination. C'est aussi à ce moment que débutent la formation et la
croissance des cornes. La formation-tige dans le monde végétal devient formation-corne
chez l'animal. Beaucoup de tiges dans de l'herbe mûre, ou selon le cas du bon foin, la mise
à pâture, beaucoup de lumière, d'air frais et suffisamment de mouvements forment un
organisme sain, résistant et, comme un signe visible de tout cela, de belles cornes bien
formées et correctement implantées.
La nature révèle et manifeste l'activité d'une sagesse parfaite. Agir à l'encontre de
cette sagesse, c'est de la démence.
Walter Heim, fermier (Maître d'agriculture) à Maierhöfen.
Légendes des illustrations:
Page 2: Vache grise du Tyrol.
Page 4: Maman, pourquoi n'as-tu pas de cornes?
Page 5: Vaches brune de l'Allgaü en prairie.
Page 7: Qui sera la plus forte? Vaches grises du Tyrol en lutte de préséance au sein du
troupeau.
Page 10: Les bêtes ont besoin de contacts sociaux.
Page 13: Un bétail bien traité, qui garde ses cornes et paît librement, reste tranquille et
confiant.
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Page 17: Gerta avec son plâtre. Elle reste peu sûre d'elle et a une mine angoissés. (On
remarquera le magnifique "soleil" sur son large front! N.D.T.)
Page 20: Après s'être repue, on rumine tranquillement allongée.
Page 23: L'aurochs est l'ancêtre de tous nos bovins.
Page 24: Nous avons le droit de garder nos cornes!
Page 25: Influence de l'écornation sur les forces formatrices du lait de vache:
La lait a été distillé, Le résidu calciné et les sels sont extraits à l'eau et purifiés. Le sel uni
au distillat, donne la solution à partir de laquelle on obtient ces images de cristallisation.
Avec cette méthode, on utilise aucun additif. L'image de cristallisation est examinée au
microscope et jugée dans son aspect global. L'image de cristallisation spagirique est un
reflet des forces formatrices vivant dans l'ensemble de l'animal. À la périphérie de l'image,
se reflète le système des nerfs et des sens, au milieu le système métabolique.
Dans l'illustration du haut (lait de Lisa, vache brune cornée de l'Allgaü, grossissement 40
fois), les formes densément structurées, rayonnent avec dynamisme de la périphérie vers
le centre.
Dans l'illustration du bas (Lait d'Inge, vache brune écornée de l'Allgaü, grossissement 40
fois), Au bord, une structuration en aiguilles isolées, disposées à angles droit, donne une
image figée, statique. Au milieu, les structures deviennent plus denses et vivantes.
Dans la cristallisation du lait de Lisa (haut), les formations cristallines, finement
structurées signalent une forte activité du domaine des nerfs et des sens, en relation étroite
avec le système métabolique (absence de discontinuité sur l'image , N.D.T).
Inversement, avec Inge, une vache dont on a coupé les cornes (bas), on voit bien que les
deux domaines sont nettement séparés l'un de l'autre: ce qui signifie que le système des
nerfs et des sens n'a plus de relation vivante avec les organes. Les structures en lignes
droites révèlent une situation de durcissement dans le domaine des sens.
On peut donc constater par l'image que l'écornation exerce un affaiblissement au sein des
conditions de vie régnant dans le lait de vache. (laboratoire Demeter - illisible sur la
photocopie)
Page 26 & 27: Investigations comparées du lait de vaches brunes de l'Allgaü, cornée
et sans cornes:
Par Mme Dipl. Troph. Renate Irion, Labor für bildschaffende Methoden, Hof Grub, D83567 UNTERIED (illisible sur la photocopie)
Page 26: Trois échantillons provenant de trois vaches avec leurs cornes:
Cristallisation (ci-contre): forte structuration, en aiguilles se ramifiant de manière
équilibrée à partir d'un centre. Structure plastique et organisée de manière équilibrée.
Chromatographie du lait (ci-dessous, à gauche): Structure régulière, aux formes rhytmées,
finement ordonnées. Zones colorées en forme de gouttes au front de migration.
Chromatographie de l'urine: (ci-dessous à droite): Image ordonnée de manière
harmonieuse.
On peut conclure que ces images indiquent un lait de haute qualité, tant au plan des forces
de vie qu'au plan thérapeutique.
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Page 27: Trois échantillons provenant de trois vaches sans leurs cornes:
Cristallisation (ci-contre): Images présentant de nombreux centres, une structuration aux
aiguilles de cristallisation irrégulièrement enchevêtrées. Il faut noter le peu de
ramifications principales et de ramifications en général.
Chromatographie du lait (ci-dessous, à gauche): Moins de structures élaborées, plus de
structures grossières. Ruptures dans l'ordonnancement général, reflétant des stases
(coagulations). Front de migration déchiqueté, riche d'anfractuosités.
Chromatographie de l'urine: (ci-dessous à droite): Rupture de l'harmonie de la structure
par distorsions dues à des stases..
On peut conclure que ces images signalent la perturbation des forces de vie et des forces
thérapeutiques du lait.
Page 28: Vivre en harmonie avec la création, encourager aussi la liberté entre les hommes.
Dernière de couverture: Être respons-able, c'est être apte à "donner une réponse" (plus
évident encore en français qu'en allemand! N.D.T.)
IMPRESSION
Éditeur:
Bio-Ring Allgaü e.V.
Cercle de réflexions sur les Vaches "portant haut" leurs Cornes
Kapellenplatz 4
D-87439 KEMPTEN
Tel. (0)831/22790
Fax (0)831/18024
Responsables du contenu:
Les auteurs eux-mêmes
Mise en page et composition:
Gunther Steinbach
Impression:
Offset-Feldmeier, Kempten
Nombre d'exemplaires: 3000
Copyright pour les illustrations et le texte:
Les auteurs
Toute publication des textes est autorisée, sous réserve d'une
indication claire et complète de la source
Dons souhaités auprés du Bio-Ring Allgaü e.V.
Contact bancaire: Sparkasse (Caisse d'Épargne) Kempten, BLZ 733 500 00
Compte N° 500 888 3
Illustrations:
Martin Bienerth: 1ère Page de couverture;
P. 4, 5, 17, 20, 24;
Helmut Diller: graphique P. 23;
Dr. Wilhelm Höfer: P. 25;
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Renate Irion: P. 26/27;
Gunther Steinbach: P. 2, 7, 10, 13, 28, 4ème de couverture
REMERCIEMENTS
Les investigations scientifiques qui ont mené à cette brochure et à sa publication ont été
rendues possibles grâce aux dons des personnes et sociétés suivantes:
Walter Heim
(Preisgeld Sipplinger Nadel 1998
et don Steigmühle)
Dr. Jachens Bub
Verein für anthroposophisches Heilwesen
Kulturgemeinschaft zur Pflege
des Biologisch Dynamischen Landbaus e.V.
Löwenzahn e.V.
Eva Messmer
Verein für Natur und Tanz e.V.
Käserei zur Wies
Gunter Steinbach
(Pour la mise en page et la composition)
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