La Dernière nuit

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© Elan Sud - 2008
Dépôt légal Octobre 2008
ISBN : 978-2-911137-11-2
Composition Elan Sud
Photos : tous droits réservés
1er de Couverture : © photo ELAN SUD
4e de Couverture : © photo Jean-Marc BONNEL
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Jean-Marc BONNEL
La Dernière nuit
Roman
Elan Sud
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Arièjo ! Arièjo ô moun païs
Ariège, Ariège ô mon pays
O terre tant aîmado
O terre tant aimée
Maïre tant adorado
Mère tant adorée
Dé prés, dé leign, toutjoun
De près, de loin, toujours
Toun noum mi réjouis
Ton nom me réjouit
Arièjo, Arièjo ô moun païs.
Ariège, Ariège, ô mon pays.
(Hymne ariégeois)
À ma famille.
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C’est dans la nuit que mon histoire voit le jour.
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PROLOGUE
“Veux-tu m’accompagner en Ariège ? L’œil
brillant, Charles, un ami de longue date, m’interpelle,
me défie même.
— Hein ?
— Je viens d’acquérir une ferme pour mes vieux
jours… enfin, tu sais ?
—…
— Je l’ai achetée sans l’avoir visitée, enchaîne
Charles excité comme un diable ; il y a peut-être des
livres anciens ou des papiers de collection, et si tu viens
avec moi…”
Le bouquiniste que je suis, vit dans cette
proposition l’occasion de dénicher une perle rare, un
document exceptionnel, un ouvrage unique… Envoûté,
j’écoutais sa voix chaude me confier qu’en 1975, le
propriétaire s’était retiré dans une région de l’Inde, où
il venait de mourir. Depuis cette date, la ferme
inoccupée se dégradait.
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Devant l’absence d’héritier, le notaire prit la décision de
vendre la propriété aux enchères par le truchement
d’Internet. Charles, séduit par les photographies
exposées sur le site, enleva l’affaire.
C’est ainsi que devant se rendre chez le notaire de Foix,
il me proposa de m’emmener visiter sa nouvelle
demeure, perdue dans la montagne près d’un village
nommé Le Bosc.
Poussé par le sentiment étrange qu’un rendez-vous se
profilait à l’horizon, j’acceptai sans détour de suivre
ce farfelu.
Deux jours plus tard, la cité fuxéenne entourée
de montagnes verdoyantes nous invitait à découvrir son
charme médiéval. Pendant que Charles finalisait son
acquisition, je ne pus m’empêcher de visiter le château
de Foix, et fus transporté, en quelques minutes, au
temps de Phœbus, au sein même de l’hérésie cathare où
se perd le secret d’Esclarmonde dont les soupirs
semblent encore s’échapper de la profondeur sombre
du cachot. Nous nous sommes retrouvés, un peu plus
tard, devant un magret de canard garni de cèpes,
spécialité locale.
Le notaire savait qu’un drame avait secoué la région
dans les années soixante et que le propriétaire de la
ferme avait fui le pays. Que s’était-il passé ? Mystère…
Charles, qui n’était pas du genre à se poser des
questions, ne s’étonna pas des confidences du notaire,
et s’abandonna même à la rêverie en attendant les cafés.
Pour ma part, je ne pus m’empêcher de revivre
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l’émotion ressentie deux jours auparavant. Je chassai
mon trouble en levant mon verre à la santé de ce jeune
retraité et à nos futures découvertes.
— À l’Ariège ! s’exclama-t-il enthousiaste, à ses
vertes vallées, à ses hautes montagnes, à ses gorges
profondes, secrètes, à ses vestiges, témoins muets des
époques passées. Allons ! Dépêchons-nous, j’ai hâte de
fouler cette terre et de découvrir ma nouvelle propriété.
La route sinueuse plongeait dans une mer de
feuillage jaunissant. Des vieilles bâtisses en pierres
bercées par les eaux d’un torrent, et Le Bosc nous
dévoilaient une beauté sauvage.
Le village dépassé, la route se perdait dans une vallée
étroite. Quelques minutes après, un chemin de pierres et
de touffes d’herbes devait nous conduire vers la ferme.
Deux volets clos et une porte marron s’alignaient sous
le même linteau de bois. La façade décrépie coiffée
d’un pignon triangulaire donnait à l’ensemble une
impression de grandeur. Sur la gauche, une remise
s’appuyait contre la ferme. De larges fissures
reptiliennes griffaient le mur jusqu’à l’avancée du toit.
Charles, le buste bombé, l’œil ravi, ne parut pas
s’inquiéter de la vétusté de sa nouvelle acquisition.
— Faudra que je vérifie la toiture, il peut y avoir des
fuites… me dit-il d’un ton presque enjoué tout en
poussant la porte. Une fois les volets ouverts, le soleil
posa une nappe de lumière sur les murs cloqués
d’humidité. La pièce immense tenait lieu de cuisine, de
séjour et de salle à manger. Le parquet aux larges lames
usées s’affaissait près de l’évier en pierre. Dans l’âtre,
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une longue crémaillère glissait vers une immense plaque
de fonte noire, posée à même le sol et saupoudrée de
suie. À l’extrémité, un escalier en bois flanqué contre le
mur desservait l’étage supérieur. Un rapide coup d’œil
m’avertit que ce lieu modeste ne pouvait cacher
quelconque ouvrage susceptible d’intéresser un
bibliophile. Un buffet sans âge, un poste à galène, de la
vaisselle plus ou moins ébréchée, des cuivres rongés de
vert-de-gris, des pots vernissés… enfin, où Charles
voyait trésors, je ne voyais que banalités et préférais me
taire, respectant ainsi le repos d’une vie rurale endormie
depuis le début du siècle dernier.
Soudain un bruit nous fit sursauter. Dans l’embrasure de
la porte surgit la silhouette d’un homme. Charles se
présenta comme futur voisin, et s’exclama d’un ton
badin :
— Voici le plus sympa des bouquinistes de
Marseille.
Grand, maigre, un béret noir sur les oreilles, le vieil
homme nous observa longuement. Finalement il nous
confia qu’il vivait dans les parages, qu’il passait
souvent par-là et s’était étonné de voir la maison
ouverte. Il se montra désolé de nous avoir dérangés,
demeura un instant immobile, absorbé, presque
énigmatique. L’envie de le questionner sur le drame et
sur l’ancien propriétaire me brûla la langue.
— C’est donc qu’il est mort ! marmonna-t-il en
faisant demi-tour, comme s’il se parlait à lui-même.
— Vous disiez ? Il s’arrêta, tourna vers moi son
visage anguleux, ses yeux étaient plongés dans l’eau
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trouble d’un souvenir.
— C’est sans importance ! finit-il par lâcher en
s’éloignant. Après son passage, je restais perplexe tant
l’homme avait laissé un mystère dans l’air encore
humide de la pièce.
— Je monte à l’étage ! cria Charles, alors que le bois
de l’escalier craquait sous son poids.
Sans doute dans l’espoir de renouer la conversation
avec le mystérieux personnage, je sortis. Plus preste
qu’un projectile de sarbacane, il s’éloignait déjà dans sa
2CV grise brimbalante au bas du chemin.
Je me dirigeai pensif vers la remise accolée à la maison.
Des planches, disparates, maintenues par deux longues
pentures rouillées, faisaient fonction de porte. Je me
retins d’ouvrir. Ne me sembla-t-il pas qu’un fantôme
attendait cet instant pour se jeter sur moi ? Victime de
mon impression, je reculai et tendis l’oreille dans une
immobilité absolue. Puis, ma main tira doucement la
bobinette, la porte refusa de céder et un gémissement
s’échappa de la targette. Redoublant mon effort, les
planches eurent un sursaut de colère, regimbèrent en
claquant violemment. Les gonds grincèrent et enfin la
porte céda. Il régnait dans le réduit une odeur de
renfermé. Çà et là, quelques outils aratoires revêtus de
poussière s’amassaient sous des toiles d’araignées. Sur
le mur recouvert de salpêtre s’appuyait un lit ou plutôt
une paillasse. Non loin de là, une table — si l’on peut
appeler ainsi une planche posée sur des cageots —
laissait supposer qu’un individu avait dû se cacher dans
ce lieu sombre.
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Je n’entrai pas. Peut-être par souci de ne pas violer le
repaire d’un contrebandier ou de découvrir la cachette
d’un proscrit. À moins que ce ne fut par peur d’entendre
la porte se refermer derrière moi et qu’une force
invisible me retienne à l’intérieur. Je trouvai plus
raisonnable de quitter ce lieu, et me dirigeai vers
l’arrière de la ferme. Des fruitiers, à l’abandon, s’étouffaient dans leurs fatras de branches sèches. Une
végétation de ronces, chiendents, et herbes folles
enchevêtrées, jetait son désordre jusqu’au pied de la
forêt.
Des piaillements d’oiseaux égratignaient le silence.
Leurs chants aigus piquetaient l’air frais. Un geai
traversa le soleil avant de se perdre dans la canopée des
arbres. Aux abords de la ferme, un jardin de pissenlits
fleurissait d’or le squelette d’une charrette abandonnée
depuis longtemps au cimetière du temps. Le mur arrière
de la maison, tapissé de lierre, ressemblait à un
immense rideau vert que le vent peignait à rebroussefeuilles.
Alerté par un ronflement de moteur, je revins aussitôt
vers la cour et aperçus la 2CV grise arrêtée au fond du
chemin. Le vieil homme s’approchait d’un pas hésitant.
— Excusez-moi, je… chuchota-t-il d’une voix
tremblotante, je suis revenu vous remettre ceci. Il me
présenta un cahier soigneusement rangé dans une
serviette de vieux cuir. C’est toute l’histoire de…
d’un… d’un enfant du pays pas comme les autres. Il
vivait ici. Depuis longtemps je possède ce récit que le
pauvre Pierre a écrit.
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Des larmes noyèrent ses yeux et les mots s’étranglèrent
dans sa gorge.
— Excusez-moi, cela fait plus de trente ans…
depuis… jour et nuit défilent les mêmes images dans
ma tête. J’ai été le témoin bien malgré moi de ce
calvaire, et ce cahier, je pourrais le lire les yeux fermés
tant les phrases, tant les mots sont présents dans ma
mémoire. De nouveau il s’arrêta de parler, s’essuya les
yeux d’un revers de manche.
— Je suis veuf depuis peu, poursuivit-il. En vous
remettant ce… cette histoire, je libère ma conscience
d’un poids bien trop lourd pour moi. Lorsque vous la
connaîtrez, vous verrez ce qu’il conviendra d’en faire…
Promettez-moi ! insista-t-il en agrippant mon bras, vous
qui vous occupez de livres, de mettre en lumière la vie
terrible de ce gosse qui ne demandait qu’un peu
d’amour.
L’avalanche de mots m’avait glacé les veines.
L’émotion passée, je l’assurai de mon concours. Dans
ses yeux profondément bleus transparut une sincère
compassion. Nos mains se serrèrent longuement,
scellant ainsi notre nouvelle alliance, puis il partit d’un
pas tranquille.
Le sentiment étrange éprouvé lors de l’invitation de
Charles, commençait à prendre tout son sens. Le cahier
soudainement en ma possession allait lever le rideau sur
la tragédie dont ce lieu avait été autrefois le théâtre.
— C’est génial ! la chambre est en bon état et les
poutres sont apparentes ; de plus ils ont laissé une
immense armoire campagnarde, je te dis pas ! Non,
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vraiment, je suis content… Qu’est-ce qu’il voulait
encore ? dit Charles, en regardant la 2CV disparaître
dans un nuage de poussière. Il enchaîna en ne me
laissant pas le temps de répondre : j’ai oublié de te dire
que le domaine comprend cinq hectares de prairies et de
forêts, ainsi qu’une étable qu’on ne peut voir d’ici. J’ai
dans l’idée de m’acheter un cheval, ne manque plus
qu’une marquise et c’est la vie de château. Un clin d’œil
termina sa phrase, et les paumes de ses mains se
frictionnèrent de plaisir.
Notre retour se fit en silence, nous avions tous deux
l’esprit habité de projets confus. Charles rêvait de
vacances, de promenades, de champignons, de
bricolage… Moi, je ne pensais qu’à ce mystère qui
allait émerger, comme par miracle, de sa longue nuit.
Ma montre marquait 22 heures 30. Je me servis un café
puis ouvris le cahier.
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