Prise en charge de l`obésité en 2012 : le point de vue d`un

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Prise en charge de l`obésité en 2012 : le point de vue d`un
Prise en charge de l’obésité en 2012 :
le point de vue d’un chirurgien
spécialisé en obésité
J.L. BOUILLOT 1 *, N. CORIGLIANO 2, G. CANARD 1,
S. S ERVAJEAN 2, N. VEYRIE 1
(Versailles, Boulogne-Billancourt)
Résumé
L’obésité est une maladie sévère menaçant la santé des individus du fait des
nombreuses comorbidités qu’elle entraîne avec comme corollaire une diminution de
l’espérance et de la qualité de vie. La chirurgie de l’obésité est un traitement efficace pour
perdre du poids et contrôler les comorbidités (complications métaboliques et celles liées au
surpoids).
La chirurgie de l’obésité s’adresse aux patients atteints d’obésité extrême (IMC >
40 ou > 35 en présence de comorbidités). Elle est au mieux réalisée au sein d’équipes
spécialisées, après décision opératoire prise au sein d’une réunion de concertation
pluridisciplinaire (chirurgien, anesthésiste, nutritionniste, psychologue, diététicien…).
Les techniques opératoires sont multiples, mais en pratique, 3 interventions sont
couramment pratiquées en France : l’anneau de gastroplastie ajustable, la gastrectomie
sleeve, le by-pass gastrique. Chacune de ces 3 interventions a des avantages et des
1 - Université Versailles Saint-Quentin - 5 avenue des États-Unis - 78000 Versailles
2 - Hôpital Ambroise Paré - Chirurgie digestive, oncologique et métabolique - 9 avenue
Charles de Gaulle - 92100 Boulogne Billancourt
* Correspondance : [email protected]
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inconvénients, qui doivent être évalués pour tout candidat à la chirurgie bariatrique.
L’anneau est une intervention simple, réversible, autorisant une perte de poids modérée
mais avec un taux de complications et d’échecs à long terme importants. Le by-pass
présente le meilleur rapport coût-bénéfices (sur la perte de poids et la correction des
comorbidités, notamment du diabète), mais il s’agit d’une intervention complexe, avec
des risques de carence justifiant la prise à long terme de suppléments vitaminiques. La
gastrectomie sleeve, d’apparition plus récente, est une intervention mutilante de gravité
moyenne avec des résultats à moyen terme intéressants (le long terme est encore inconnu),
tant sur le poids que sur la correction des comorbidités. Le choix de telle ou telle procédure
est fonction de l’âge des patients, de la gravité de l’obésité, de la compétence des équipes
et du choix des patients. Il n’y a pas à l’heure actuelle de consensus pour privilégier telle
intervention ou telle autre. La problématique actuelle est de savoir s’il faut d’emblée
proposer l’intervention la plus efficace ou s’il faut, notamment chez les patients jeunes,
s’orienter vers une stratégie à plusieurs étapes, en débutant par un anneau et en cas
d’échecs ou de complications proposer alors une sleeve, laquelle peut être transformée
ultérieurement en by-pass si nécessaire.
Il est vraisemblable qu’à moyen et long termes, d’autres procédures éventuellement
non chirurgicales ou moins invasives verront le jour. Actuellement cependant, la chirurgie
reste le seul traitement ayant prouvé son efficacité. Elle doit être mise en œuvre au sein
d’une stratégie de prise en charge globale et multidisciplinaire des patients obèses.
Mots clés : obésité, chirurgie bariatrique, recommandations, résultats
Déclaration publique d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir d’intérêt direct ou indirect
(financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou
commercial en relation avec le sujet présenté.
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PRISE EN CHARGE DE L’OBÉSITÉ EN
2012 : LE POINT DE VUE D’UN CHIRURGIEN SPÉCIALISÉ EN OBÉSITÉ
L’obésité est définie par un indice de masse corporelle supérieure
à 30 (IMC : poids/taille 2). Elle s’est développée de façon considérable
au cours des 20 dernières années, dans les pays occidentaux comme
dans les pays émergents, devenant un phénomène préoccupant de
santé publique. En France, si l’incidence de l’obésité n’a augmenté que
faiblement au cours des années 80, on observe depuis lors un net
accroissement. De 6,5 % en 1991, l’incidence a grimpé à 13,1 % en
2006. Il existe actuellement environ 3 millions de Français adultes
obèses et 300 000 obèses sévères (IMC > 40). Ces chiffres sont encore
loin de ceux rencontrés outre-Atlantique où on notait en 2002 aux
États-Unis un taux d’obèses supérieur à 30 % et plus de 5 % des adultes
avaient un IMC supérieur à 40 [1].
L’obésité sévère (dite morbide) entraîne de nombreuses complications qui font la gravité de la maladie : complications métaboliques
(hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires, diabète de type 2,
dyslipidémies), complications en rapport avec l’excès de poids (problèmes
rhumatologiques, apnée du sommeil), complications gynécologiques
(syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), aménorrhée, infertilité).
Elle est responsable d’un nombre important de décès prématurés, sans
compter le très lourd retentissement psychologique, familial et social.
Les dépenses ainsi engendrées sont estimées par la sécurité sociale à
plusieurs milliards d’euros par an.
Face à cette épidémie et compte tenu du caractère souvent
décevant à long terme des traitements médicaux classiques, on a assisté
à une véritable explosion dans le monde entier de la chirurgie de
l’obésité (encore appelée bariatrique). Elle seule semble à même de
lutter contre la surcharge pondérale massive et de corriger les
comorbidités. L’étude SOS publiée en 2004, suivant une cohorte de
plusieurs milliers de patients, les uns opérés, les autres traités
médicalement, a clairement établi l’efficacité de la chirurgie bariatrique
à long terme dans la prise en charge de l’obésité [2]. Les patients du
groupe traité médicalement (ayant bénéficié d’un traitement médical
optimal) présentent une courbe de poids quasi stable tout au long des
15 années de suivi, résultat fort appréciable si l’on en juge par la
tendance naturelle à une prise pondérale progressive en l’absence de
prise en charge médicale. À l’opposé, chez les patients opérés on
observe une perte de poids d’environ 20 % du poids initial un an après
anneau gastrique ajustable (AGA), de près de 32 % après by-pass
gastrique (BPG), résultat perdurant puisque malgré une certaine reprise
pondérale on observe une perte de poids à 15 ans de l’ordre de 13 et
25 % respectivement. De plus, cette même étude objective montre une
baisse de mortalité dans le groupe chirurgical, comparativement au
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groupe médical, différence liée essentiellement au risque accru de mort
par maladies cardiovasculaires et par cancer dans le groupe médical
[2-4].
Cette efficacité explique le développement considérable de la
chirurgie bariatrique dans les pays occidentaux au cours des
20 dernières années. Bien que les premières interventions chirurgicales
pour obésité (il s’agissait à l’époque de courts-circuits intestinaux) aient
été proposées dès les années 1950, que le premier BPG ait été imaginé
dès l’année 1967, ce n’est réellement qu’au cours des années 1980 et
surtout 1990 que cette discipline a pris son véritable essor. En France,
le nombre d’interventions est passé de quelques dizaines dans les
années 90 à 15 000 en 2003, pour atteindre 25 000 en 2011 (données
PMSI) [1].
I. INDICATIONS CHIRURGICALES
Elles sont bien établies, identiques dans tous les pays où se
pratique cette chirurgie [5, 6].
La chirurgie ne s’adresse qu’à un nombre très restreint de patients
obèses, ceux chez qui l’espérance de vie et la qualité de celle-ci sont
altérées par la surcharge pondérale. Elle s’adresse à des patients adultes ;
il n’y a pas d’indication à l’heure actuelle à opérer des adolescents,
même si une réflexion est en cours pour élargir les indications à ce
groupe d’âge (cadre strict, circonstances particulières, centres experts).
À l’inverse, il n’y a pas d’âge limite supérieur pour poser une indication
opératoire, mais au-delà de 65 ans, il faut peser l’indication avec soin
car le risque opératoire est plus élevé, la récupération postopératoire
plus difficile et le risque de dénutrition plus important que dans une
population plus jeune.
Les patients doivent avoir un IMC supérieur à 40. Cette limite a
été établie au vu du risque relatif de mortalité augmentant de façon
importante au-delà de cette valeur. Cette borne est abaissée à 35 en
présence de comorbidités : syndrome d’apnée du sommeil, asthme,
insuffisance respiratoire, diabète, affections cardiovasculaires, hypertension artérielle, syndrome métabolique, dyslipidémie, affections
rhumatologiques, stéatose hépatique non alcoolique (NASH), incontinence urinaire d’effort, reflux gastro-œsophagien, insuffisance veineuse,
SOPK…
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Le patient doit avoir bénéficié d’une prise en charge médicale et
diététique au moins 6 mois avant la décision chirurgicale. Cette période
permet au patient de ne s’engager dans cette démarche qu’en toute
connaissance de cause après s’être informé des avantages, inconvénients,
risques et contraintes des interventions.
Enfin, la décision d’opérer doit être prise au sein d’une réunion de
concertation pluridisciplinaire réunissant des médecins, des chirurgiens,
des anesthésistes, des psychologues ou des psychiatres, des diététiciennes, décision devant être communiquée au médecin traitant.
Le bilan préopératoire est plus ou moins large selon les patients et
les habitudes des équipes. Il convient dans tous les cas de rechercher
et traiter un syndrome d’apnée du sommeil extrêmement fréquent dans
cette population souvent défavorisée, d’évaluer la fonction cardiovasculaire, d’explorer l’estomac à la recherche de pathologie pouvant
contre-indiquer une intervention, de rechercher une éventuelle
infection à Helicobacter pylori qu’il conviendra d’éradiquer avant toute
intervention, d’évaluer l’état dentaire (une bonne fonction masticatoire
est un prérequis indispensable à toute intervention bariatrique) et chez
les femmes de s’assurer de l’absence de pathologie gynécologique
(bilan sénographique et examen gynécologique récent). Les contreindications à la chirurgie sont rares : obésités curables d’origine
endocrinienne, troubles psychiatriques graves, pathologie cancéreuse
en évolution, addictions aux drogues ou à l’alcool, et pour certains
obésité d’origine génétique [6].
II. INTERVENTIONS CHIRURGICALES
L’intervention idéale n’a pas encore été inventée. Elle devrait
permettre une perte de l’excès de poids (PEP) à long terme d’au moins
50 %, avec une morbi-mortalité péri-opératoire faible et peu de
réinterventions à distance.
Les interventions se répartissent selon leur mécanisme d’action.
On distingue ainsi les interventions restrictives qui réduisent l’apport
alimentaire (AGA, gastrectomie en manchon encore nommée sleeve
gastrectomie), les interventions malabsorptives (diversion bilio-pancréatique) et les interventions mixtes type BPG.
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II.1. Anneau gastrique ajustable (AGA)
Le principe de cette intervention est de créer une petite poche
gastrique se déversant au travers d’une zone rétrécie dans le reste de
l’estomac. L’importance du rétrécissement est ajustable grâce à un
anneau en silicone placé au pourtour de l’estomac et dont le diamètre
intérieur est modulé par un ballonnet extensible qui peut être plus ou
moins rempli, par l’intermédiaire d’une chambre placée en sous-cutané.
Ainsi, on peut ponctionner la chambre et injecter une quantité variable
d’eau stérile, calibrant ainsi à la demande le diamètre du passage
autorisé pour les aliments. Il s’agit d’une technique chirurgicale simple,
menée sous laparoscopie avec une mortalité quasi nulle (0,1 %) [7]. Les
complications chirurgicales postopératoires immédiates sont rares et les
complications générales (notamment thromboemboliques) sont
exceptionnelles compte tenu de la brièveté de l’intervention (40 min en
moyenne) et de l’hospitalisation courte, voire ambulatoire pour certains.
À distance, deux complications sont souvent rencontrées, outre
celles bénignes en rapport avec le boîtier (bascule, infection) ; la
dilatation de poche, appelée par certains glissement, survient 1 à 2 ans
après la chirurgie, favorisée par des erreurs diététiques et un anneau
trop serré. Elle se manifeste par une gêne alimentaire, un reflux et
parfois par une aphagie aiguë. Le diagnostic est fait par un TOGD
(transit œso-gastro-duodénal). Il faut alors desserrer l’anneau, parfois en
urgence, et refaire le point quelques semaines plus tard. Bien souvent il
ne sera pas possible de resserrer à nouveau le dispositif et il faudra donc
retirer cet anneau et s’orienter vers une nouvelle procédure bariatrique.
La migration intragastrique de l’anneau est une complication plus rare
(1 %/an/anneau). Le diagnostic de cette complication souvent
asymptomatique est suspecté par le TOGD et confirmé par
l’endoscopie. Il n’y a pas d’urgence et le patient peut être réadressé à
son chirurgien qui pourra alors retirer par laparoscopie cet anneau [8].
II.2. Sleeve gastrectomie (SG)
Il s’agit d’une intervention d’apparition récente, initialement
imaginée comme le premier temps d’une intervention plus complexe.
Sa relative simplicité technique et ses résultats très satisfaisants à court
terme l’ont rendue très populaire tant auprès des patients que des
chirurgiens. Cette intervention consiste à tubuliser l’estomac en
réalisant une gastrectomie des 2/3, emportant toute la grande courbure
de l’estomac de l’angle œso-cardio-tubérositaire jusqu’à l’antre. Le
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volume de l’estomac ainsi laissé est de l’ordre de 250-300 cc. Il s’agit
d’une intervention qui a comme principal inconvénient d’être définitive
et irréversible.
La mortalité postopératoire est faible, environ 0,2 % [9]. La
principale complication postopératoire observée est la survenue d’une
fistule gastrique au sommet de la ligne d’agrafes. Son incidence est de
l’ordre de 1 à 5 % selon les séries. Le traitement en est chirurgical et
de plus en plus fréquemment gastro-entérologique, avec mise en place
de prothèses endoscopiques pour couvrir la brèche. On arrive ainsi,
après un temps parfois long, à obtenir l’obturation de la fistule [8]. À
distance, le principal effet secondaire observé est la survenue de reflux
gastro-œsophagien [10]. Dans notre expérience, l’existence en
préopératoire d’un reflux contre-indique la réalisation d’une SG et doit
faire préférer un by-pass qui aura l’avantage de traiter le reflux. Le
risque de carence à long terme est peu connu, sans doute inférieur à ce
qui est observé après interventions malabsorptives du fait de la
persistance du circuit digestif normal.
II.3. Diversion bilio-pancréatique (DBP)
La diversion bilio-pancréatique associe une gastrectomie et un
by-pass distal, limitant aux derniers 50 cm de l’intestin grêle le contact
entre les aliments et les sécrétions bilio-pancréatiques, réduisant ainsi la
digestion et l’absorption des lipides et des protides. Une modification
de l’intervention initiale (DBP avec duodenal switch) a été imaginée pour
pallier certains effets secondaires de la DBP originale : la gastrectomie
est identique à celle réalisée pour sleeve, le 1er duodénum étant ensuite
anastomosé à l’anse alimentaire (qui mesure 250 cm) et l’anse commune
est rallongée à 100 cm.
La mortalité globale de l’intervention rapportée dans la littérature
est de l’ordre de 1 % ; le taux de complications varie de 2,8 à 34 %
selon les séries. À distance, la principale complication observée est la
survenue de carences sévères avec dénutrition. Cette intervention n’est
que très peu pratiquée en France et s’adresse essentiellement aux
obèses avec IMC > 60. C’est dans ce groupe de patients chez qui la
morbi-mortalité postopératoire est spécialement élevée que certains ont
imaginé de réaliser l’intervention en 2 temps opératoires distincts : SG
dans un premier temps, puis après réduction pondérable notable,
réalisation 12 à 18 mois plus tard du switch duodénal [11].
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II.4. By-pass gastrique sur anse en Y (BPG)
L’idée du BPG est née de l’amaigrissement observé après gastrectomie pour cancer. L’intervention imaginée dès 1967 consiste en une
partition de l’estomac avec une petite poche gastrique d’un volume
d’environ 20-30 cc reliée directement à une anse en Y intestinale de
150 cm de longueur. Ainsi les aliments ne transitent plus par le circuit
normal (estomac, duodénum, grêle), mais empruntent le trajet de l’anse
en Y (dite alimentaire) et ne sont digérés dans l’anse commune qu’après
l’arrivée par l’anse bilio-pancréatique des sécrétions gastriques, de la bile
et des enzymes pancréatiques. À la différence de la sleeve, il n’y a pas
d’exérèse gastrique, la plus grande partie de l’estomac étant exclu mais
gardant toutes ses capacités sécrétoires. Les mécanismes de perte de
poids sont multiples : restriction alimentaire de par la petite taille de
l’estomac, malabsorption du fait du montage court-circuitant une partie
de l’intestin grêle, réduction des apports riches en glucides et lipides du
fait du risque de survenue de dumping syndrome, rôle hormonal encore
mal élucidé.
La mortalité après BPG est évaluée à 0,5 % [12]. Elle est liée pour
moitié à des complications générales (pulmonaires, thromboemboliques) et pour moitié à des complications abdominales, notamment la
survenue d’une fistule digestive. Il s’agit en effet d’une intervention de
réalisation technique plus difficile que la sleeve, avec une courbe
d’apprentissage d’environ 75 à 100 cas, période au cours de laquelle la
morbi-mortalité n’est pas négligeable. Comme pour toutes les
opérations bariatriques, l’abord laparoscopique est privilégié,
permettant de réduire l’incidence des complications pulmonaires et
pariétales (abcès, éventrations fréquents après laparotomie chez
l’obèse).
À distance, plusieurs complications peuvent survenir : occlusions
par bride et hernie interne de diagnostic radiologique pas toujours
facile (2 %), ulcère anastomotique justifiant la détection et l’éradication
de toute infection par Helicobacter pylori avant la chirurgie (2 %),
survenue d’une lithiase biliaire favorisée par un amaigrissement
important et rapide. La prévention de cette dernière complication
passe par la détection, avant la chirurgie, d’une possible lithiase
vésiculaire justifiant une cholécystectomie dans le même temps
opératoire que la chirurgie bariatrique. Dans les autres cas, il est
recommandé de prescrire des sels biliaires lors des premiers mois
postopératoires [13].
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II.5. By-pass gastrique en oméga (mini by-pass)
Dans le but de simplifier la technique du BPG, il a été proposé de
remplacer le montage avec anse en Y par une simple gastro-entéro-anastomose, comme cela avait été décrit au début de l’expérience du by-pass.
Rutledge et al. ont rapporté leurs résultats sur plus de 1 200 patients
faisant état d’une durée opératoire réduite (moyenne de 36 min), d’une
durée d’hospitalisation raccourcie (1,5 jours en moyenne), ainsi que
d’un faible taux de complications de 5,2 % [14].
À moyen terme, la principale complication observée après cette
intervention est liée au reflux bilieux dans l’estomac et l’œsophage,
pouvant être à l’origine d’ulcère et de gastrite à la bile, d’œsophagite
alcaline de traitement difficile, avec à long terme un risque potentiel de
cancérisation. Le mini by-pass présente en outre deux inconvénients
potentiels : il est parfois difficile chez les superobèses et il entraîne,
semble-t-il, plus de diarrhées et de malabsorptions que le BPG
classique. Largement pratiqué en France, il continue à faire l’objet de
nombreuses discussions polémiques et il faut attendre le résultat
d’études sérieuses avant de porter un jugement scientifique sur cette
intervention, études qui pour l’instant font défaut puisqu’on ne dispose
que d’une seule étude randomisée portant sur 80 patients [15].
III. CHOIX D’UNE PROCÉDURE
•
Trois données sont à prendre en compte dans le choix de telle
ou telle technique :
— caractéristiques du patient : âge, type et gravité de l’obésité
(ancienneté, IMC < ou > 50, présence ou non de comorbidités),
morphologie androïde ou gynoïde du patient, comportement
alimentaire, antécédents chirurgicaux abdominaux bariatriques
ou autres, statut socio-économique, niveau de compréhension… ;
— compétences et moyens techniques dont disposent les équipes
chirurgicale et anesthésique. Matériel adapté pour la prise en
charge des obésités extrêmes, structure de réanimation… ;
— choix du patient. Choix souvent subjectif, fait au hasard des
rencontres, des renseignements glanés ici ou là (internet, forum…).
Il importe d’apporter au patient une information objective
détaillant les avantages, inconvénients, et risques des différentes
procédures (Tableau 1). Cette information concerne :
•
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Tableau 1 - Avantages-inconvénients des 3 interventions bariatriques les plus courantes
(d'après Farell [17])
— la morbi-mortalité postopératoire : l’AGA est une intervention
simple. Le BPG est une intervention plus complexe avec des
sutures digestives. Les études, ainsi que la méta-analyse de
Buchwald comparant les suites opératoires après AGA ou après
BPG, s’accordent pour retrouver après anneau une durée
opératoire plus courte, un séjour hospitalier plus bref de 2 jours et
une mortalité trois fois inférieure [16, 17]. Concernant la SG, une
revue récente de la littérature regroupant près de 1 000 patients
fait état d’une durée opératoire de 100 min (versus 164 pour le
BPG) et d’une mortalité deux fois inférieure à celle retrouvée après
BPG (0,3 versus 0,56 %) [9] ;
— les effets sur la perte de poids : selon la méta-analyse de Buchwald
et de nombreuses autres publications, on peut escompter après
AGA une perte de 25 à 30 kg (20 à 25 % du poids du corps,
50 % de PEP) et de 45 à 50 kg après BPG (soit environ 35-40 %
du poids initial, 60-70 % de PEP) [6, 17-19]. Ces résultats sont à
interpréter en fonction du poids initial et de la durée du suivi
postopératoire. Ainsi, après anneau, le taux d’échecs est d’autant
plus important que l’IMC est élevé, et on ne peut guère espérer
de bons résultats pour les IMC > 50 [20]. Ces résultats ont
tendance à se détériorer avec le temps, et dans l’étude de suivi à
long terme SOS, on peut noter que la perte de poids est maximale
à la deuxième année postopératoire et qu’elle a ensuite tendance
à décroître, pour finalement se stabiliser à 15 ans autour de 15 %
du poids initial après anneau et 25 % après BPG [4]. Notre
expérience portant sur plus de 1 300 patients opérés (1 000 BPG,
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150 AGA, 150 SG) est concordante avec ces résultats. Parmi les
patients opérés d’anneau, la moitié est globalement satisfaite mais
nous avons déjà retiré un tiers des anneaux posés. Concernant la
sleeve, les publications rapportant des résultats à moyen terme sont
encore rares [21] : une étude rétrospective multicentrique française
rapportait à 2 ans une perte de l’excès de poids de 62 % sur un
groupe de 446 patients, avec un résultat significativement meilleur
en cas d’obésité modérée versus sévère [22]. L’efficacité maximale
sur la perte de poids est apportée par la DBP. Il s’agit de la seule
technique montrant une telle efficacité sur le long terme [23] ;
— les effets sur les comorbidités : la réduction du poids entraîne une
amélioration, voire une résolution des comorbidités (hypertension artérielle, hyperlipémie, syndrome d’apnée du sommeil,
stéatose hépatique) [18]. Ce résultat est lié pour partie à la perte
de poids, mais est aussi la résultante de phénomènes endocrinologiques encore mal connus (rôle des hormones digestives
peptidiques), expliquant sans doute la meilleure efficacité du
BPG que de l’AGA dans la correction des comorbidités
métaboliques. L’efficacité de la chirurgie sur le diabète dépend du
type d’intervention réalisée [24]. Elle est de 99 % après DBP,
84 % après BPG et seulement de 48 % après AGA. Compte tenu
de cette efficacité remarquable sur le diabète, peut-être pourra-t-on
à l’avenir proposer ce type d’intervention à des patients
diabétiques non obèses. La SG a un effet sur les comorbidités
comparable à celui observé après BPG [21-22]. La résolution
spectaculaire du diabète après sleeve était inattendue et suscite des
interrogations sur son mécanisme ;
— les carences nutritionnelles : des carences nutritionnelles sont
fréquentes après certaines chirurgies bariatriques : rares après
AGA, elles sont fréquentes après BPG (fer, calcium, vitamines
B1, B6, B12 et vitamines liposolubles), justifiant la prise de
substituts vitaminiques et d’oligo-éléments à vie [25]. La nonsubstitution peut avoir des conséquences dramatiques
(encéphalopathie de Gayet Wernicke en cas de carence de
vitamine B1…). Il n’existe habituellement pas de carence
protéique après BPG, contrairement à ce que l’on observe après
DBP. Celle-ci reste la complication la plus redoutable de la
chirurgie bariatrique à l’origine de certains décès par
insuffisance hépatique. Peu de choses sont connues concernant
la sleeve. On peut supposer des carences rares, compte tenu de
l’absence de court-circuit.
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En pratique : trois interventions sont couramment pratiquées. En
2010, elles se répartissaient en 3 tiers équivalents :
— l’AGA garde des adeptes. Elle est proposée par certains comme
intervention de première intention du fait de son caractère
réversible, du risque opératoire très faible, de son risque
carentiel limité et de la possibilité d’évoluer vers toute autre
technique en cas d’échecs. Schématiquement, on propose cette
intervention à des patients jeunes avec obésité peu sévère et peu
ou pas de comorbidités ;
— le BPG a été considéré jusque récemment comme l’intervention
gold standard. Elle reste à nos yeux l’intervention de base de la
chirurgie bariatrique, compte tenu du recul dont on dispose
(> 40 ans), de la très large expérience rapportée dans la
littérature, de ses excellents résultats sur la perte de poids, la
correction des comorbidités et la satisfaction des patients opérés.
Elle reste cependant une intervention chirurgicale délicate, qui
ne peut être proposée que par des équipes expertes ;
— la place de la SG entre ces 2 interventions n’est pas encore bien
établie. Elle s’est imposée rapidement, compte tenu de sa
« fausse » simplicité technique, de sa faible morbi-mortalité
postopératoire, de son efficacité immédiate sur la perte de poids
et le contrôle des comorbidités, et du risque faible de carences
à distance. Elle a l’inconvénient d’être définitive (pas de
réversibilité possible) et de n’avoir qu’un recul encore limité
avec des résultats à long terme mal connus. Malgré tout, de
nombreuses équipes proposent maintenant la sleeve comme
intervention de première intention, quitte à transformer celle-ci
en BPG en cas de perte de poids insuffisante ou de reprise de
poids à distance.
IV. CHIRURGIE BARIATRIQUE ET GROSSESSE
L’obésité réduit la fertilité des femmes. La perte de poids est un
objectif pour faciliter l’obtention d’une grossesse, que ce soit par des
moyens conventionnels ou par la chirurgie bariatrique qui a montré
son efficacité pour améliorer la fertilité [26]. Cette amélioration parfois
rapide et le risque de carences après chirurgie justifie une contraception
efficace au décours de la chirurgie afin d’éviter toute grossesse dans les
12 mois qui suivent la chirurgie bariatrique. Les modalités de cette
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contraception sont discutées compte tenu du terrain cardiovasculaire
des patientes.
Concernant la grossesse, le pronostic obstétrical et périnatal des
femmes semble être amélioré par le BPG : dans notre expérience
comparant un groupe de femmes obèses non opérées à un groupe
ayant bénéficié d’un BPG, on notait moins de diabète gestationnel, une
diminution de macrosomie et des troubles hypertensifs. Il n’y avait pas
de différence du poids moyen de l’enfant à la naissance. Par contre, il
ne faut pas méconnaître la possibilité d’une complication chirurgicale
au cours de la grossesse, notamment une occlusion par hernie interne
et tout syndrome douloureux chez une femme enceinte opérée d’un
BPG doit être pris en compte avec ce risque en arrière-pensée.
Après anneau, on ne note pas de risque spécifique de la grossesse
si ce n’est la possible exacerbation des vomissements qui peut justifier
un desserrage de l’anneau qui sinon n’est plus préconisé de façon
systématique comme cela a pu l’être dans le passé.
CONCLUSION
À l’avenir, les sujets de recherche dans le domaine de l’obésité
seront toujours plus nombreux, intéressant des domaines et des
spécialités variés, tant les inconnues concernant cette pathologie sont
grandes de nos jours. Il est probable que d’autres procédures
(chirurgicales ou endoscopiques) verront le jour dans les années qui
viennent. Peut-être pourra-t-on un jour se dispenser de geste invasif.
Entre-temps cependant, la chirurgie reste le seul traitement ayant
montré une efficacité sur le long terme dans la prise en charge de
l’obésité sévère. Ses indications, sa réalisation et son suivi nécessitent
une prise en charge médico-chirurgicale adaptée au sein d’équipes
expertes.
115
BOUILLOT
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COLL.
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