Présentation de l`enquête" fratrie"

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Présentation de l`enquête" fratrie"
II.
Présentation de l'enquête« Fratrie»
Hélène DA VTIAN, psychologue, UNAFAM
J'aborderai pour ma part la question des fratries de malades à travers une enquête que
nous avons réalisée en 2003 auprès de 600 frères et sœurs de malades.
Depuis cette enquête, j'ai animé de nombreuses réunions pour les frères et sœurs, et ce
que j'y ai entendu n'a fait qu'amplifier les résultats de l'enquête.
Les personnes qui ont répondu à l'enquête ont entre 10 ans et 79 ans: vous voyez que
la problématique reste présente tout au long de la vie.
Faut-il informer les frères et sœurs? Dans l'enquête, il apparaît que près d'un tiers des
concernés ne savent pas de quoi souffre leur frère ou sœur malade. Ils n'ont pas de
mots, seulement des impressions. Ils sont 60 % à réclamer de l'information.
Cependant, ce n'est pas si simple car il existe un malaise réel autour de cette question
de l'information. D'une part, les frères et sœurs ne demandent rien et s'informent
souvent par eux-mêmes, en fouillant dans la boîte de neuroleptiques et en se
renseignant sur internet par exemple. D'autre part, les parents sont souvent très
réservés sur l'information à donner à la fratrie; ils pensent souvent que le silence
permettra de les tenir à l'écart. Enfin, les soignants jouent un rôle puisqu'ils m'ont dit
répondre quand les frères et sœurs leur demandaient quelque chose. Nous parlions
tout à l'heure des malades qui ne demandent rien. Nous savons que ce n'est pas
toujours celui qui en a le plus besoin qui demande le plus, je dirai que c'est la même
chose pour les frères et sœurs. Pourquoi les fratries font-elles si peu savoir qu'elles ont
besoin d'aide et d'information alors que c'est flagrant dans l'enquête? A mon avis, la
difficulté de formuler cette demande provoque ce silence. Les fratries sont dans la
confusion, elles subissent des attaques de la capacité de penser, comme tous ceux qui
vivent auprès de personnes psychotiques.
Dans une réunion que j'animais, j'ai entendu un frère exprimer sa reconnaissance
envers un psychiatre qui avait été capable d'écouter sa confusion et de s'en tenir là. En
effet, les frères et sœurs craignent de sortir avec une étiquette, ils appréhendent qu'on
leur confirme l'idée qu'ils sont eux-mêmes malades. Ils consultent très peu. Il ne faut
pas les voir d'emblée comme des malades potentiels. Souvent, ils restent dans la salle
d'attente dans l'espoir qu'on vienne les voir, mais ils ne demandent jamais rien.
L'UNAFAM a mis en place des réunions thématiques réservées aux frères et sœurs.
Elles sont organisées dans un endroit qui n'est pas un lieu de soin, où le temps est
réservé aux frères et sœurs et où ils peuvent rencontrer un psychiatre et moi-même
pour débattre des questions qui les préoccupent.
L'enquête évoque également le retentissement de la maladie. Ils sont tous inquiets
d'être également malades, ils se demandent s'ils vont transmettre la maladie, etc. Les
frères et sœurs expliquent que, impliqués ou non, ils sont touchés de fait. Je citerai
cette phrase d'une sœur qui disait «j'ai absorbé les délires de mon frère comme une
éponge », ou d'un frère de 22 ans : «j'étais le confident de tous ses délires ». Les
chiffres de l'enquête sont éloquents. 43 % des frères et sœurs disent s'être sentis en
danger. Cette peur est très rarement formulée, ni auprès de parents, ni auprès des
soignants, ils continuent ainsi à vivre, pour certains avec la peur au ventre. 53 %
pensent que la maladie de leur frère ou sœur à des répercussions sur leur propre santé,
somatique ou psychique, avec un pic chez les 10 à 21 ans. 30 % affirment qu'ils
n'auront pas d'enfant de peur de transmettre la maladie: ce chiffre me fait dire qu'il
faut informer et accompagner les questions que cette information suscite.
Comment les frères et sœurs font-ils face? Ils réagissent en fait de manière très
déconcertante et parfois très risquée. La première réaction est la prise de distance: les
frères et sœurs s'en vont en laissant les parents se débrouiller avec le malade. La
phrase que j'ai beaucoup retrouvée est « c'était lui ou moi ». On voit par la suite que
ceux qu'on a laissés s'éloigner, faire des allers-retours, ont des rapports plus apaisés
avec le malade. La seconde réaction est la mise au défi de sa propre santé psychique,
afin d'expérimenter si on est atteint ou non. Le sujet se met alors en situation à risque
afin de revenir plus fort. Beaucoup se sont mis dans des situations type voyages
extrêmes, fréquentation de groupes marginaux, prise de toxiques, missions
humanitaires, etc. Il s'agit ici de tester sa capacité à tenir et à revenir. Il faut souligner
que certains ne reviennent pas et s'enlisent notamment dans des conduites addictives.
Le frère, «cet autre qui aurait pu être moi », doit faire l'expérience de ce qui le
différencie de son frère ou de sa sœur malade. Quand je les vois, ils sont souvent
coincés dans une problématique de destin. A tel point que nous avons posé 1
'hypothèse de délire par empathie fraternelle. Certains ont expliqué être passés par des
temps délirants, et quelques-uns s'y sont enlisés. D'autres ont l'impression de ne plus
avoir de famille car l'autre y a pris toute la place.
. Pour conclure, je présenterai quelques points qui peuvent être des pistes pour
les soignants.
.Reconnaître que les frères et sœurs sont concernés
Cela semble évident mais cela ne l'est pas pour eux: il faut tenir pour vrai ce qu'ils
disent VIvre.
.Reconnaître qu'ils ne sont pas qu'une complication supplémentaire mais qu'ils sont
aussi une source de richesse
Ils appartiennent souvent à la même génération que leur frère ou sœur et peuvent
l'aider à respecter son âge et à ne pas s'installer dans une position d'éternel enfant.
.Donner aux familles une information partageable par tous
Quand on cloisonne l'information, on cloisonne la communication et les relations
familiales. Il faudrait chercher le plus petit dénominateur commun de l'information.
.Ne pas voir les frères et sœurs comme une population à risque
Ils le font déjà eux-mêmes: les enfermer dans cette logique, c'est les fragiliser.
Paris, le 26 septembre 2005