economie de langue: quelles implications pour le francais au nigeria

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economie de langue: quelles implications pour le francais au nigeria
Linguistique et applications pédagogique : regard sur le français langue
étrangère. Ibadan : Clean Slate Publishers. 2010
Sous la direction de :
Tunde Ajiboye
Chapter 6
RECHERCHES EN ÉCONOMIE DES LANGUES : CONSIDÉRATIONS
PRÉLIMINAIRES POUR LE FRANÇAIS AU NIGERIA.
Samuel Tuesday OWOEYE
Department of Languages, Covenant University, Ota, Ogun State
[email protected]
Introduction
Depuis le lancement du concept de l‟économie des langues, en tant que domaine de
recherche, au milieu des années 1960, les résultats des recherches interdisciplinaires
entreprises par des linguistes en collaboration avec des économistes ont grandement
influencé l‟élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe et en Amérique
du nord plus spécifiquement. Ce demain de recherche se donne essentiellement comme
objectif de juxtaposer les variables économiques avec les données linguistiques. Les
résultats de cette juxtaposition deviennent un guide potentiel pour le choix d‟une langue
étrangère (ou seconde) à apprendre par des individus en particulier et pour l‟élaboration
de la politique linguistique d‟un pays donné en général.
S‟inspirant de ce fondement, cet article fait un survol de quelques travaux
théoriques dans le domaine de l‟économie des langues et va plus loin pour élaborer des
considérations préliminaires pour l‟économie du français au Nigeria. L‟article termine
par lancer un appel aux experts nigérians en langue française d‟entrer en collaboration
avec leurs collègues économistes afin de déterminer ensemble l‟économie du français au
Nigeria et de là savoir mettre la
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juste valeur sur l‟enseignement et l‟apprentissage de la langue dans le pays.
1. Economie des langues : un nouveau plan de recherche
L’économie des langues est un nouveau de recherche interdisciplinaire rassemblant
économistes et linguistes. L‟inauguration de ce paradigme de recherche s‟appuie
principalement sur la nécessité d‟intégrer les atouts économiques dans l‟élaboration des
politiques linguistiques éducatives dans les pays plurilingues et dans d‟autres où des
langues étrangères s‟apprennent. C‟est la raison pour laquelle les premières recherches
empiriques dans ce domaine se sont concentrées sur les pays manifestement bilingues
comme le Canada ou plurilingues comme la Suisse et la Belgique (voir Klein 2004). En
outre cette inauguration devient précieuse car il s‟est avéré que les ressources issues de la
didactique des langues, des sciences de l‟éducation et de la sociolinguistique ne sont plus
suffisantes pour arriver à la politique linguistique éducative d‟un pays donné. C‟est ce
que Grin (1997 :167) remarque lors qu‟il écrit à propos de l‟économie des langues :
Il s‟agit là de questions relevant typiquement de
l‟efficience externe. Ainsi, dans le cas de la politique
d‟enseignement
des
langues,
nous
avons
besoin
d‟informations et d‟analyses sur les questions suivantes :
quelles langues faut-il enseigner ? Jusqu‟à quel niveau de
compétence ? Pour quelles raisons ? et à quel coût ? Les
analyses les plus élaborées, par exemple en didactique
des langues, ne répondent pas à ces questions.
Si la portée des recherches en économie des langues couvre les langues localement
dominantes, elle couvre également les langues étrangères. Par exemple, dans le projet de
recherche titré Langues Etrangères dans l’Activité Professionnelle (LEAP) entrepris par
François Grin et al (2009 : 10), il s‟agit de « compétences en langues autres que la
langue localement dominante : allemand
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Recherches en économie des langues : considérations préliminaires pour le français au Nigeria
en Suisse romande, français en suisse alémanique, anglais en suisse italienne, espagnole
en France, russe en Allemagne etc. »
Partant de cette remarque, nous voulons avancer l‟hypothèse que les résultats issus
des recherches en didactique des langues,
en sciences de l‟éducation et en
sociolinguistique, seuls, ne sont pas adéquats pour situer le statut et la valeur du français
au Nigeria. Pour complémenter ces recherches-là, une optique d‟analyse économique liée
à la langue doit maintenant attirer l‟attention des chercheurs concernés. L‟analyse
économique des processus liés à la langue, en tant que processus affectés aura besoins,
bien entendu, des recherches empiriques.
Toutefois, ce présent article est une présentation descriptive de ce domaine de
recherche ayant comme objectif dominant la sensibilisation des enseignants-chercheurs
de la langue française à la nécessité d‟une collaboration avec des économistes pour
arriver à un meilleur jugement sur le statut du français dans ce pays.
A cette fin, l‟article est divisé en trois sections. Dans la première section, nous
donnons un aperçu historico-définitionnel de l‟économie des langues en tant que domaine
de recherche interdisciplinaire. La deuxième section est consacrée à la présentation de la
politique linguistique éducative du Nigeria vis-à-vis du statut du français dans le pays.
Dans la dernière section, nous suggérons les que l‟on peut exploiter pour faire des
recherches portant sur l‟économie de la langue française au Nigeria.
2. Aperçu
historico-définitionnel
L‟économie des langues est une discipline scientifique récente qui n‟a pas encore gagné
beaucoup d‟adhérents et d‟après Chiswick (2008:2), elle peut être définie comme « the study of
the determinants and consequences of language proficiency using the methodology and tools of
economics » (l’étude des déterminants et des conséquences de la compétence linguistique
employant la méthodologie et les instruments des sciences économiques : notre traduction).
Comme le nom suggère, et vue à travers la définition de Chiswick, l‟économie des
langues étudie les rapports qui existent entre
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les variables économiques (coût, quantité produite, taux d‟inflation, salaires, revenu
personnel, revenu national etc.) et ceux linguistiques (bilinguisme, multilinguisme,
niveau de compétence etc.). Cette description semble s‟accorde parfaitement avec la
définition proposée par Grin (1994 :25) :
L‟économie des langues est un champ d‟étude
interdisciplinaire qui mesure les effets réciproques de variables
économiques et variables linguistiques.
Il ressort de cette définition trois expressions clés : étude interdisciplinaire des
variables économiques et variables linguistiques. Pour une représentation visuelle de
cette définition, nous reprenons le schéma proposé par Grin (2006 :2) :
(L)
(E)
(X)
Fig 1 : Représentation schématique du champ de l’économie des langues
Dans le diagramme, l‟ensemble des variables linguistiques est représenté par {L},
l‟ensemble des variables par {E} et l‟ensemble de toutes les autres variables connexes par
{X}. Les flèches représentent les relations qui existent entres ces variables. Par ce
système de relation, on peut voir que la langue, et non pas la science économique, est au
centre des études en économie des langues
et que les relations entre les variables
linguistiques et ceux économiques sont réciproques. Le diagramme montre aussi que ce
domaine de recherche s‟intéresse également à toute autre relation faisant intervenir les
variables linguistiques. L‟implication de ces relations est que l‟économie des langues est,
et doit continuer à être,
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Recherches en économie des langues : considérations préliminaires pour le français au Nigeria
un domaine de recherche interdisciplinaire. Des linguistes et des économistes doivent
collaborer pour réaliser des recherches satisfaisantes.
Essentiellement, des recherches en économie des langues s‟imposent lorsqu‟il est
désiré d‟établir l‟importance d‟une langue donnée vis-à-vis d‟autres langues dans une
société bilingue ou plurilingue et surtout dans les pays où des langues étrangères
paraissent utiles. Par exemple une recherche menée toujours par Grin et al (2009) sur
l‟économie des langues étrangères en Suisse montre qu‟en moyenne, les employés bi- ou
trilingues gagnent davantage que les unilingues parce qu‟ils dégagent une valeur
linguistique supplémentaire.
Selon Schultz (1962), c‟est le prestige que le concept du capital humain connaît au
début des années 1960 qui a eu son influence sur l‟attitude des chercheurs vis-à-vis des
langues. La compétence linguistique est désormais considérée comme un capital humain
car elle satisfait les trois critères du dernier : elle est productive, elle coûte cher à produire
et elle s‟acquiert par les êtres humains. Diachroniquement, les études en économique des
langues ont passé par trois phases de développement (Grin, 2003).
La première phase rassemble les travaux qui considèrent la langue comme un
attribut ethnique. Le fait d‟avoir une langue particulière comme langue maternelle
détermine le statut socioéconomique de cette personne et par conséquent influence ses
revenus. Selon Grin (2003 :13), « cette approche a été utilisée pour analyser les écarts de
revenus entre Noirs et Blancs aux États-Unis, ou entre anglophones et francophones au
Canada ».
La deuxième phase de développement de l‟économie des langues regroupe les
publications qui voient la langue comme un capital humain. Par cette optique, des
compétences linguistiques deviennent quelque chose dans laquelle les individus et les
sociétés peuvent investir et qui peut être interprétée comme les autres biens économiques.
La troisième phase, selon Grin (ibid), combine les deux premières en désignant
l‟économie des langues comme une étude de l‟ensemble des attributs linguistiques
(incorporés dans des individus) exerçant
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une influence sur le statut socioéconomique des acteurs. Depuis l‟inauguration de ce
domaine de recherche, bon nombres de travaux théoriques et empiriques ont été entrepris
par ses adhérents (voir par exemple Marschak, 1965; Carliner, 1981; McManus, 1983;
Trainer, 1988; Dustmann, 1994 ; Grin, 1996 ; 1997a ; 1997b ; 1997c ; 1997d ; 2003 ;
Bruthiaux, 2003 ; Chiswick, 2008 ; Grin et al, 2009).
3. La politique linguistique éducative au Nigeria et la place du français
Le choix des langues à enseigner dans les écoles d‟un pays donné est déterminé par la
politique linguistique de ce pays. D‟ordinaire, ces langues sont reconnues par leur ordre
d‟importance et pertinence vis-à-vis le développement national et l'intégration
internationale. Pour cette raison, en particulier, la politique linguistique du Nigeria
reconnaît l'anglais comme la langue officielle et quelques langues locales comme des
langues nationales et par conséquent, l‟enseignement de l‟anglais et de ces langues
locales est privilégié dans les écoles.
Traînant derrière l‟anglais et ces langues locales sont des langues considérées
étrangères mais dont leur enseignement est largement facultatif. Ce dernier groupe de
langues inclut le français et l'arabe qui, à juste titre, occupent la position privilégiée parmi
les langues étrangères. Ce statut privilégié a motivé l'établissement, par le gouvernement
fédéral, du Village Français du Nigeria à Badagry, dans l'état de Lagos en 1991 et du
Village Arabe du Nigeria à Ngala, dans l‟état de Bornu en 1992.
En analysant les facteurs responsables du choix d'une langue étrangère à enseigner
dans les écoles d‟un pays quelconque, Ajiboye, cité par Bariki (1999), formule quatre
principes. Nous adapterons ces principes pour soutenir la position prestigieuse du français
comme première langue étrangère au Nigeria. Ces principes sont comme énoncés cidessous :
1. principe de voisinage géographique
2. principe de diplomatie
3. principe d‟avancement technologique
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Recherches en économie des langues : considérations préliminaires pour le français au Nigeria
4. principe d‟interdépendance globale
Tandis que l‟on peut indiquer que le français satisfait incontestablement tous les
quatre principes, le même ne peut pas être vrai de l'arabe. Tous les pays limitrophes du
Nigeria sont officiellement francophones (Bénin, Niger, Tchad, Cameroun). Le français
et l'arabe sont des langues de diplomatie, ainsi, les deux langues satisfont le deuxième
principe. Cependant, alors que le français est une langue maternelle et une langue
officielle des nations fortement avancées sur le plan technologique – on peut citer la
France le Canada, La Belgique parmi d‟autres pays membres de la Francophonie - aucune
des nations ayant l‟arabe comme la langue maternelle ou officielle n'est célébrée comme
un pays fortement avancé du point de la technologie. Les deux langues satisfont le
principe de l'interdépendance globale. Partant de cette analyse, le français remplit toutes
les quatre conditions tandis que l'arabe n‟en remplit que deux. Quand les principes
ajiboyiens sont employés comme paramètres pour déterminer la langue étrangère la plus
pertinente au Nigeria et pour les Nigérians, le français sera le choix indiscutable.
Une autre optique a partir de laquelle on peut apprécier la place pertinente du
français au Nigeria est la position du pays dans la sous-région ouest-africaine. Selon
Okeke (1999), le rôle du leadership du Nigeria dans la CEDEAO serait plus significatif si
les Nigérians peuvent parler le français, la langue officielle de plus de la moitié des pays
que comprend cette communauté sous-régionale. Sur les quinze pays membres de la
CEDEAO, huit ont le français comme la langue officielle et de l‟enseignement dans leurs
écoles, cinq l‟anglais et deux le portugais.
De ce qui précède, il a sans dire que le français occupe une place très importante
dans la CEDEAO.. Il semble également raisonnable sur le plan économique de suggérer
au gouvernement nigérian de stimuler l‟apprentissage du français plutôt qu'encourager
les gouvernements Francophones ouest africains de financer l‟apprentissage de l'anglais,
la langue officielle du Nigeria. Le Nigeria en tant que géant et le „grand frère‟ de
l'Afrique en général et de l'Afrique de l'ouest en particulier est plus riche que l‟ensemble
de tous les pays de l‟Afrique occidentale. Implicitement, le Nigeria est censé être plus
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économiquement capable de favoriser l'apprentissage du français dans le pays.
La pertinence économique du français au Nigeria est aussi un aspect à ne pas
ignorer lorsqu‟on discute l'importance de cette langue pour le pays. Il y a plusieurs usines
et sociétés françaises exerçant
au Nigeria qui auraient besoin des services de
professionnels ayant la connaissance de la langue française. Ces entreprises incluent mais
ne sont pas limitées à CFAO, SCOA, BNP, total, Elf, Michelin, Peugeot, Fougerolle,
SGE, Bouygues, SAE, SPIE-Batignolles, Degremont et BEC Frères.
Quand tous ces facteurs sont pris en compte, l'importance du français comme
langue étrangère au Nigeria ne serait plus contestée. Au cours de la conférence nationale
de réformes politiques (NPRC) à Abuja en 2005, ce poit a été identifiée et une des
résolutions contenues dans le rapport présenté au Président était une poursuite vigoureuse
de l'enseignement du français devrait être vigoureusement au niveau du secondaire.
Certes, la place du français dans la politique linguistique du Nigeria paraît
privilégiée. Toutefois, nous pensons que, pratiquement, cette place prestigieuse laisse
toujours à désirer car son apprentissage ainsi que son enseignement dans les écoles
nigérianes reste incontestablement défavorable et décourageant. Même avec la
déclaration de l‟ancien chef d‟état, le feu Sani Abacha, en 1996, selon laquelle le français
serait la deuxième langue officielle du Nigeria, rien n‟a pratiquement changé concernant
le sort de cette langue dans le pays.
C‟est en vue de cette situation que nous suggérons une collaboration entre des
linguistes (de la langue française) et des économistes nigérians pour déterminer
l‟économie de la langue française au Nigeria. Nous pensons que les résultats émanant des
recherches collaboratives vont changer positivement le statut du français dans le pays.
Dans la section qui suit, alors, nous présentons les démarches à suivre pour entreprendre
ces recherches linguistico-économiques.
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Recherches en économie des langues : considérations préliminaires pour le français au Nigeria
4. Vers une exploitation linguistique des rapports économiques franconigérians
Quels sont précisément
les variables économiques que la langue française peut
possiblement mettre en jeux au Nigeria ? Voici une question pertinente qui doit servir de
base pour des recherches empiriques potentielles en économie du français dans le pays.
Parmi une variété de paramètres économiques, nous somme de l‟opinion que le revenu
personnel des Nigérians en particulier et le Produit Intérieur Brut (PIB) du pays en
général seront positivement affectés par l‟apprentissage de la langue française. Notre avis
est justifié par le fait que l‟acquisition (ou apprentissage) d‟une langue étrangère
augmente la valeur du capital humain de l‟apprenant à long terme.
Sur le plan économique, la France est bien implantée au Nigeria. En 2009, lors de
sa visite officielle au Nigeria, le Premier Ministre de la France, M. François Fillon,
remarque la présence économique de son pays au Nigeria et nous le citons expressément :
C‟est vrai qu‟il y a eu parfois des relations plus difficiles
entre la France et le Nigeria, mais depuis quelques années,
nos deux pays ont appris à se connaître. Les échanges se
sont développés de façon spectaculaire. Le Nigeria est
aujourd‟hui le premier partenaire économique de la France
dans l‟Afrique subsaharienne. Plus de 120 entreprises
françaises sont présentes ici au Nigeria, dans des secteurs
clés comme les infrastructures, comme l‟électricité, comme
les services ; et nombre de ces entreprises sont des leaders
mondiaux – je pense en particulier au groupe TOTAL. La
France est ensuite le second investisseur direct au Nigeria.
(voir http://www.ambafrance-ng.org/france_nigeria/spip.php?article1195)
À part les propos ci-dessous prononcés par le Premier Ministre, nous citons aussi
quelques remarques publiées sur les sites web du Sénat et de l‟Assemblée Générale
français sur les partenariats économiques entre le Nigeria et la France :
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Samuel Tuesday Owoeye

En 2007, des flux record de 12,5 milliards de dollars américains auraient porté le
total d'investissements directs étrangers (IDE) au Nigeria à 62,8 milliards de dollars
américains selon la CNUCED. En 2000, des estimations locales attribuaient à la France
le deuxième stock d'investissements derrière les États-Unis. En 2007, la Banque de
France recensait un total d'IDE français de 2,7 milliards d'euros, faisant du Nigeria
notre première destination subsaharienne en termes d'IDE et notre 27e au niveau
mondial.

En 2008, les échanges commerciaux entre la France et le Nigeria ont progressé de
54 % par rapport à 2007, pour dépasser les quatre milliards d'euros. Le Nigeria
conforte ainsi sa place de premier partenaire commercial de la France en Afrique
subsaharienne, devant l'Afrique du Sud.(voir http://www.senat.fr/ga/ga87/ga871.html).

L'honorable parlementaire ayant souligné l'importance de notre partenariat
économique avec le Nigeria, il convient de préciser que le secteur privé français
s'implique également dans la promotion de notre langue. De nombreuses entreprises
françaises organisent - grâce au recrutement direct d'enseignants ou de consultants pour
le français - ou financent des cours de français dispensés par les Alliances françaises à
leurs collaborateurs nigérians et originaires de pays non francophones. En 2008, les
cours en entreprises françaises représentaient 20 % des recettes générées par les
activités d'enseignement à l'Alliance française de Port-Harcourt (Total, Geoservices,
SPIE, Novotel), avec une nette prépondérance du secteur pétrolier. Il faut également
souligner que l'avantage concurrentiel certain représenté par la maîtrise du français
permet à nos Alliances d'être prestataire de service pour de nombreuses entreprises
nigérianes, notamment les banques (UBA par exemple). Notre coopération linguistique et
éducative
dispose
donc
de
plusieurs
outils
et
de
nombreux
atouts.
(voir
http://recherche.assembleenationale.fr/questions/out/S27/LGEOLUQ0XGENKUQ0XRN.
pdf).
Les quelques remarques citées ici, parmi d‟autres, montrent non seulement que la
France est superbement présente au Nigeria sur le plan économique, mais également que
l‟apprentissage de la langue française est un atout économique pour les Nigérians. Les
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Recherches en économie des langues : considérations préliminaires pour le français au Nigeria
professionnels nigérians qui veulent travailler dans les entreprises françaises installées
dans le pays ont besoin de la langue française pour bénéficier de façon optimale de ces
entreprises. Prenons par exemple l‟hypothèse suivante: si un professionnel A parle
français et un autre professionnel B ne le parle pas, il s‟ensuit que le professionnel A
dispose d‟un capital humain plus rémunéré que le professionnel B. Par conséquent, on
peut théoriquement postuler que l‟apprentissage du français par les Nigérians qui
travaillent dans les entreprises françaises installées au Nigeria à un impact positif sur
leurs rémunérations individuelles. Egalement, la population nigériane parlant la langue
française est un facteur qui peut faciliter l‟augmentation des partenariats économiques
entre le Nigeria et le monde francophone. On peut ainsi postuler que plus il y a de
partenariats économiques entre le Nigeria et d‟autres pays étrangers, plus puissant sera
son PIB.
Nous avons souligné plus haut, que pour bien cerner l‟importance de la langue
française au Nigeria, sa pertinence économique est une optique à ne pas négliger. Certes,
mais pour valider cette assertion, des recherches empiriques doivent être entreprises dans
le domaine de l‟économie des langues pour déterminer le vrai statut économique de cette
langue dans le pays.
A notre avis, il est aujourd‟hui devenu un cliché de citer la position géographique
du Nigeria ainsi que la présence des entreprises françaises et francophones comme
facteurs en faveur de la promotion du français dans le pays. Ces facteurs ne sont plus assez
convaincants dans le 21e siècle pour motiver les nigérians à apprendre la langue. Egalement,
l‟ambition de faire du français une seconde langue officielle du pays nous paraît utopique et
par conséquent ne doit pas occuper le premier rang pour déterminer la pertinence de la
langue pour les nigérians. A l‟heure actuelle, l‟économie du français nous semble le domaine
de recherche qui doit mériter l‟attention des chercheurs intéressés dans le devenir du français
au Nigeria. Force nous est de noter cependant que tant de remarques ont été faites sur le
statut économique du français dans le pays. Les citations suivantes,
résument les
remarques passantes que les chercheurs nigérians ont faites sur le statut économique du
français au Nigeria :
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Les buts se justifient aussi par des fins pratiques, politiques, économiques
et culturelles (Emordi, 2000 :122).
Ils comprennent bien maintenant que le fait d‟apprendre le français leur
ouvrira beaucoup de portes dans leur vie active et sur le marché du travail
(Emordi, 2000 :127).
Du point de vue économique, le Nigeria est une puissance économique qui
attire les partenaires étrangers, notamment les pays de la CEDEAO. Il leur
fournit des produits pétroliers à partir ils tirent beaucoup de profit
(Onumajuru, 2004 :84).
Une étude plus poussée et plus répandue du français peut attirer d‟autres
investisseurs français ou francophone au Nigeria (Bariki, 1999 : 28).
Bref, ce que nous préconisons un scénario où des linguistes et des économistes
intéressés collaborent pour entreprendre des recherches empiriques sur le statut
économique du français dans le pays. C‟est là où les économistes auront l‟occasion de
mettre les variables économiques au regard du potentiel associe au français langue
étrangère. Ce faisant, le potentiel économique de cette langue sera, à son tour, déterminé.
Conclusion
Dans cet article, nous avons jeté un coup d‟œil sur le concept de l‟économie des langues,
un domaine de recherche interdisciplinaire qui n‟est pas encore attiré l‟attention des
chercheurs au Nigeria. Ayant présenté l‟aperçu historico-définitionnel de ce concept,
l‟article est allé plus loin pour revoir le statut de la langue française vu à travers la
politique linguistique du pays. Partant du constat que la langue n‟attire pas encore
l‟attention prestigieuse qui peut être due à elle parmi les langues connues dans le pays,
nous avons préconisé des recherches empiriques interdisciplinaires linguistique-sciences
économiques. Ces recherches, à notre avis, vont galvaniser des actions positives vers
l‟activation optimale de l‟enseignement et de l‟apprentissage du français au Nigeria.
Pour entreprendre ces recherches les démarches à suivre ont été également suggérées.
Finalement, nous insistons que ce n‟est pas l‟ambition de fait du français une deuxième
langue officielle qui va aider le sort de cette langue dans le pays. C‟est plutôt son potentiel
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Recherches en économie des langues : considérations préliminaires pour le français au Nigeria
économique qui est susceptible de déterminer son devenir et, même là, ce statut ne peut
pas être établi par des affirmations gratuites.
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