Copi n`est pas Copi

Transcription

Copi n`est pas Copi
Le théâtre doit être ce
que le théâtre n’est pas.
PASOLINI
!
¿ COP i ?
Copi n’est pas Coppi,
Fausto, la légende du
Tour de France. Il préfère le frigo au vélo.
Copi n’est pas poli. Il
suffit que nous disions
Madame ou Monsieur
pour nous croire polis.
Monsieur (Monseigneur)
est pourtant la première
riposte d’un homme
politique à un journaliste contrariant. Telle
est souvent la politesse :
une parole sociale lénifiée par l’ironie, une vaporisation soporifique
à la face de l’adversaire.
Le bourreau même se
plaît à rester civil avec
sa victime. En cela,
évidemment, le classicisme est maître. Pour
une gasconnade de Matamore ( Je vais t’assassiner d’un seul de
mes regards, / Veillaque
[saligaud] ) , combien
de Seigneur (Ordure) !
combien de Madame
(Garce) ! que d’insolence et d’agressivité !
C’est Andromaque à Pyrrhus, qui la tient prisonnière et qui ose l’aimer, lui, le fils du meurtrier
de son mari : Branleur ! lâche-moi les pompes et va voir chez ta meuf si j’y suis → Seigneur :
c’est un exil que mes pleurs vous demandent… / Retournez, retournez à la fille d’Hélène.
C’est Pyrrhus, en rage d’être éconduit par Andromaque : Bon ! tu l’auras voulu, pétasse…
→ Eh bien, Madame, eh bien ! il faut vous obéir : / Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr. La
palme est à Burrhus, qui sort de chez Néron et barre le passage à sa mère en furie : Casse-toi,
la vioque, et moufte pas : ton fiston n’a pas le chiro dans les Nike → Madame, / Au nom de
l’empereur j’allais vous informer / D’un ordre qui d’abord a pu vous alarmer, / Mais qui n’est
que l’effet d’une sage conduite… Non, Copi n’est pas classique. Chez lui, l’irrévérence ne
prend de gants que pour gifler plus fort ; mais elle gifle aussi avec nos mots, parce que,
proféré en public, tout gros mot quotidien prend une force formidable. Et ce n’est pas la faute
de Copi si le féminin de salaud n’est pas salaude. Aussi sature-t-il son théâtre du féminin
« correct », au point d’en faire une didascalie. À moins qu’il ne soit le nom copien de l’amour
qu’il faut vivre et de la vie qu’il faut quitter — car l’essentiel est ailleurs. Rien de tel chez
Jarry, ce qui n’empêche pas Ubu d’y gourmander sa moitié : Merdre… Madame ma femelle…
Madame de ma merdre, garde à vous, car je ne souffrirai pas vos sottises. La grossièreté de
Copi est de cet ordre : elle cite la vulgarité, elle se fait vulgarisme, elle n’est jamais la
vulgarité même — un dandy dort dans le travesti. Puis la pudeur, comme la modestie, est souvent fausse. Quel beau masque alors, pour une pertinence vraie, que celui de l’impertinence !
Obscénité que d’insulter à la mort et au mal, pour chanter la vie, la joie de vivre, la comédie
de vivre ? Tout en devient si scandaleusement drôle : Ah, non, attendez. Puisque vous êtes
venue lui faire une déclaration d’amour vous allez la faire. Et tout de suite ! Parce que vous
nous preniez pour des bourgeoises à la gomme, madame Garbo, vous preniez la petite pour une
connasse bourgeoise comme vous, qui aurait passé sa vie avec son gros derrière assis à côté du
vôtre en train de jouer du piano à quatre mains, hein ? Mais allez-y, osez, regardez-la bien en
face, regardez-la, allez, cherchez-y du romantisme… Mais demandez-moi sa main, allez, gouine,
osez, demandez-moi sa main, gouinasse, allez-y ! (L’ Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer).
Copi n’est pas comique. Si, mais comme Rabelais, franchement, franchouillardiment, avec
tous les seconds degrés du monde et l’effronterie suprême, vitale, de l’autodérision. Un franc
carnaval. La fête du langage dans un festival du déguisement. Panurge et frère Jean risquent
naufrage : Panurge restoit de cul sus le tillac pleurant et lamentant. Frère Jan l’apperceut
& luy dist : « Par Dieu ! Panurge le veau, Panurge le pleurart, Panurge le criart, tu feroys
beaucoup mieulx nous aydant icy, que là pleurant comme une vache, assis sus tes couillons,
comme un magot. — Be be be bous, bous, bous (respondit Panurge), frère Jan mon amy, mon
bon père, je naye, je naye mon amy, je naye. C’est faict de moy, mon père spirituel, mon amy,
c’en est faict. Vostre bragmart ne m’en sçauroit saulver. […] Ha ! mon père, mon oncle, mon
tout. L’eau est entrée en mes souliers par le collet. Bous, bous, bous, paisch. Hu, hu. Hu, ha
ha. Ha. Ha. Ha. Je naye. Zalas, Zalas, hu, hu. Hu, hu, hu, hu. Bebe bous, bous bobous,
bobous, ho, ho, ho, ho, ho. » Loretta panique : Le Frigidaire qui parle, il y a quelqu’un à
l’intérieur ? Oh, non, c’est dégoûtant, pas ça ! Je ne sais pas mais c’est horrible ! Je le
referme ! Ça explose ! Ça jaillit le sang ! Ça inonde tout ! Où êtes-vous, Linda ? Je nage !
J’ai la tête incrustée contre le lustre ! Gloug, gloug ! Au secours, Linda ! Gloug, gloug ! Je me
suis noyée ! C’est glacé ! Gloug, gloug ! (Loretta Strong). On pense à Queneau dans Zazie :
« Y a pas que la rigolade, y a aussi l’art ». Est-ce que votre Frigidaire est assez grand pour
John ? On n’est pas très bien équipées ! Sans compter que c’est pas facile à scier des hommes
aussi grands ! (Loretta Strong) Le théâtre n’est pas à lire, il est à jouer. Cette vérité prend tout
son sens avec Copi. Racine peut se passer du comédien, Bach du musicien : leurs partitions
comblent presque à la lecture. Pour Copi, l’enjeu est autre, il est (dans) le jeu lui-même. Copi a
joué Copi. Vie et scène se sont toujours mêlées, souvent confondues. L’homme a toujours été
conforme, mais conforme à lui seul, au plus fidèle, au plus débridé des anticonformismes. Il
est sain si nous le sommes, ni glauque ni gore, parce qu’il dénonce ce qu’il montre, la cruauté
de vivre. Féroce en diable, son rire invite à la plus urgente tolérance. Ici, le désir frénétique du
mauvais goût vient d’une vie survécue, d’une vie à vif, à la fois épidermique et intime, sociale
et viscérale, au même moment. Comme Cocteau, quoique plus subversif, Copi a été aimé (et
détesté) de son vivant. De cet ancrage, comme de leur éclectisme (autre trait coctellien), ses
œuvres peinent à se remettre, et l’éditeur s’y fait rare. Tant de fantaisie dans la satire, tant de
poésie drolatique, un humour si noir contre la pruderie mériteraient pourtant mieux que
l’oubli : ÉVITA – Ils croient que j’ai un pied dans la tombe, alors que je tiens encore le coup.
IBIZA – Mais tu as un pied dans la tombe, chérie. Tu tiens le coup bourrée de morphine ! (Eva
Perón). — LA MÈRE – Ouvre-moi ce Frigidaire, qu’on mange vite ton gâteau d’anniversaire !
L. – Maman, ton diabète ! LA MÈRE – Mais je veux le voir, ce gâteau d’anniversaire ! Il doit
être si beau avec ses cinquante petites bougies ! L. – Je n’ai pas cinquante ans, maman. LA
MÈRE – Mais tu en fais le double. Ne me dis pas que tu as attrapé le cancer gay ! (Le Frigo).
C O P I (E) CONFORME
ADAPTATION ET MISE EN SCÈNE : Laurent EYLLIER (Théâtre de la Skênê),
intervenant de l’Illustre-Atelier du lycée Jay-de-Beaufort
ADAPTATION ET MISE EN VOIX DES PARTIES CHANTÉES : Séverine FARAMOND, chanteuse
MARDI 3 JUIN 2014 - AUDITORIUM DE L’AGORA (490 places)
Copi n’est pas Molière. Non, mais comme Molière, il a failli mourir en scène. Molière, à 51
ans, jouait son dernier Malade imaginaire. Copi, à 48 ans, répétait Une visite inopportune,
une comédie où Cyrille meurt du sida dans un lit d’hôpital, quand le sida l’a emporté.
Copi n’est pas Copi. Copi n’est pas que Copi. Parce que tout ce qui sépare unit, la sexualité
par exemple, Copi, c’est aussi nous, la provocation en plus. C’est ce besoin de tendresse qui a
tant besoin de colère. C’est FAUVE dans « Blizzard »… Vous serez bonne avec moi, doctoresse ? Vous allez être gentille avec moi ? Vous allez me laisser vous frotter de ma
moustache ? Tu ne veux pas ? Je te tue ! (Le Frigo). Mais si telles sont les folles de Copi, le
monde qu’elles peignent est laid : violent, cupide, égoïste, tout décadent de drogue et de
paradis morts. Tiendrait-il du nôtre ? Voilà comment le choix de jouer Copi a mis dans notre
troupe de la gravité. Pas seulement celle du défi, où les adolescents sont experts. Dans les fous
rires qui ont ponctué notre travail, la gravité véritable, celle qui fait pleurer : la nostalgie de la
grandeur. Merde ! j’ai encore tué. (Les Quatre Jumelles). Copi est iconoclaste, mais son
incorrection la plus rebelle est d’être inclassable, donc incorrigible.
Copi n’est pas copie. Reste la question socratique (on accusait Socrate de corrompre la
jeunesse) : fallait-il donner Copi à des élèves, ou des élèves à Copi, en le déconseillant aux
moins de douze ans ? Il est vrai que, même conseillé à partir de douze ans, Copi n’en devient
pas plus scolairement correct. Si notre affiche prétend qu’il est pudique, élégant et génial, elle
reconnaît qu’il est aussi indécent, grossier, dérisoire. Mais les lycéens n’ont pas douze ans —
sentence affectueuse entendue sur notre passerelle : « Vingt en maths ! Ben, mon salaud ! ».
Au reste, on n’est plus à l’école. Au théâtre, pas de notes, pas de copies. Toutefois, parler sur
scène comme on parle (ou pense) en ville, ou à l’école entre les cours, ne risquait-il pas d’être
mal vécu ? Nous avons d’emblée demandé à nos comédiens s’ils étaient prêts à tenter
l’aventure. Certains ont peut-être hésité, mais la suite de l’entreprise les a tous enthousiasmés.
C’est qu’aux événements de l’étude le théâtre ajoute un avènement. Copi-lu ne franchit pas
l’Agora bellifortine, Copi-joué non plus d’ailleurs. Mais si le lycée est un sanctuaire, il n’est
pas une prison. Les élèves en sortent, ils rencontrent, ils jouent dans une autre Agora des êtres
de papier et de paroles qui pestent et jurent. Ce ne sont pas les lycéens qui jurent, ce ne sont
même pas les acteurs qu’ils deviennent, ce sont leurs personnages que personne ne dit
exemplaires, et surtout pas Copi. L’outrance et le parfum stimulant de la transgression
favorisent un dédoublement plus édifiant. Nos élèves sauront mieux, après Copi, où ils en
sont de deux questions : le langage et eux-mêmes. Quant à la qualité littéraire et esthétique, il
faut en débattre ; et l’on admettra que nous n’avons pas cherché la facilité. Il est certain que
Copi n’est pas un immense écrivain. Mais ne faut-il pérenniser que les grands génies ? Leurs
monuments doivent-ils paralyser, stériliser et interdire tout ce qui n’est pas eux ? Dans Copi, il
y a de l’Artaud et du Duchamp. Comme eux, il est anti chef-d’œuvre : pourquoi en ferait-il
un ? S’il ne le pouvait pas, il nous rassure : il ne le voulait pas. Qui est Copi ? Un « désenchantement joyeux » (Olivier Celik), une audace « qui bouscule les frontières de l’imaginaire,
et qui s’empare de stéréotypes véhiculés par l’inconscient collectif pour en faire aussi bien des
dessins humoristiques acides que des pièces de théâtre aux confins de l’absurde ou de
l’extravagance » (Henry Chapier). Quelles raisons de ne pas jouer Copi ?
C. A.
U
DISTRIBUTION
V
L E S Q UA T R E J UM E LL E S (1)
Maria : Esther Boerkmann [ Leïla : Delphine Dausque
Fougère : Narayan Aylward [ Joséphine : Valentine Dutreux
L’H O M O SE X UEL O U LA D IF F IC ULTÉ D E S ’ E X P R IME R
Madre : Laura Bigaroli [ Irina : Lucas Huguet
Garbo : Ina Mignon [ Garbenko : Tom Juquel
L E FR IGO
L. : Benjamin Seguin
[
La Mère : Laurine Ben El Fahsi
E V A PERÓ N
Évita : Mathilde Klabuhn [ La Mère : Claire Doury
Ibiza : Antony Gourvat
L O R E T T A S T RO N G
Loretta : Myrianne Mélotti
[
Claire Giudici
L E S Q UA T R E J UM E LL E S (2)
Maria : Hélène Marcoult [ Leïla : Blandine Van Meer
Fougère : Alexandra Eyada Avomba [ Joséphine : Astrid Moreau
Astrid Moreau
[
Musiciens
Laura Bigaroli [ Lucas Huguet
[
Tom Juquel
U7V
U PARTENARIAT CULTUREL ET FINANCIER V
Centre culturel de l’Agora de Boulazac
PARTENARIAT CULTUREL : THÉÂTRE DE LA SKÊNÊ
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PARTICIPATION : CONSEIL RÉGIONAL
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