Star Wars.

Transcription

Star Wars.
GRAND DOSSIER
EXCLUSIF !
Le retour de
Star Wars Kid
Il est devenu, malgré lui, l’une des plus grandes vedettes de
l’histoire du Web. Des centaines de millions d’internautes l’ont
vu imiter maladroitement, dans une vidéo, un personnage de la
saga Star Wars. Victime de railleries à l’échelle planétaire,
Ghyslain Raza s’était emmuré dans le silence. Dix ans plus tard,
il parle. Pour aider d’autres jeunes à tenir le coup.
par Jonathan Trudel • photo de Mathieu Rivard
C e u x q u i l e c ro i s e n t
dans les rues de TroisRivières, sa ville natale,
ou de Montréal, où il
étudie le droit, ont parfois la
vague impression de l’avoir vu
quelque part. Il se contente souvent de leur sourire, même s’il
sait qu’ils ont probablement raison. Après tout, il est, bien malgré lui, l’une des plus grandes
vedettes de l’histoire du Web.
Ses amis et sa famille le
connaissent sous le nom de
Ghyslain Raza.
Mais pour des centaines de
millions d’internautes aux quatre
coins de la planète, le jeune
homme assis en face de moi, dans
22 { 1ER JUIN 2013 l’actualité
une maison de brique centenaire
du Vieux-Trois-Rivières, n’est
nul autre que Star Wars Kid.
« Le » Star Wars Kid.
Celui-là même qui, à l’âge de
14 ans, s’est filmé dans un studio
de son école secondaire, le séminaire Saint-Joseph, en train de
manier maladroitement un
ramasse-balle de golf en guise
de sabre laser. Et dont la vidéo
s’est retrouvée, à son insu, sur le
Web quelques mois plus tard.
C’était il y a 10 ans, au printemps
2003. Des condisciples de Raza
découvrent par hasard la cassette
VHS, rangée sur une étagère.
Amusés, ils numérisent la vidéo,
qui est par la suite mise en ligne
sur un site de partage de fichiers
(Kazaa). Elle se répand comme
un virus dans les ordinateurs de
la planète. Et l’univers du timide
adolescent s’effondre.
Victime d’intimidation à
l’école et sur le Web — à l’échelle
mondiale —, Ghyslain Raza a dû
quitter son établissement scolaire. Malgré une avalanche de
demandes de la part des médias
du monde entier, il s’est ensuite
emmuré dans le silence.
Depuis, les rumeurs les plus
folles ont couru à son sujet. Il
aurait été interné dans un asile
psychiatrique. Il serait mort
dans un accident. Il se serait
enlevé la vie…
SABRES : SCANRAIL / DREAMSTIME
« Des faussetés, j’en ai vu passer des centaines dans les médias
et les sites Web du monde
entier », dit Ghyslain Raza, aujour­
d’hui âgé de 25 ans.
Mais il préférait ne rien dire.
De crainte d’alimenter le cirque
médiatique.
Depuis 10 ans, il a décliné des
centaines de demandes d’entrevues. Dont plusieurs de ma part.
Ces cinq dernières années, à cha­
que changement de saison, je lui
ai envoyé un courriel. Auquel il
finissait par répondre, poliment,
que le moment n’était pas venu.
Il y a quelques années, il a
accepté de prendre un café. Pour
faire connaissance.
Puis, il y a quelques mois, il
a accepté de m’accorder une
entrevue.
Ébranlé par les récents cas
de cyberintimidation, dont certains ont mené à des suicides,
il s’est dit que son histoire pouvait peut-être aider de jeunes
victimes à tenir le coup pendant
la tem­pête. Après tout, même s’il
a eu l’impression de marcher
dans un champ de mines planétaire, même si des internautes
l’ont invité à s’enlever la vie,
le jeune diplômé en droit de
McGill n’échangerait aujour­
d’hui sa place avec personne.
« L’intimidation, on y survit »,
dit-il avec aplomb.
« Il faudrait
que les jeunes
soient mieux
sensibilisés au
phénomène de
l’intimidation.
Il faut leur
demander :
“Ce que vous
écrivez sur
Internet, le
diriez-vous
en personne ?
En public ?”
Quand on est
conscient
de la portée
de ses gestes,
on en est
déjà plus
responsable. »
▼▼▼
Pourquoi avoir gardé le silence
pendant 10 ans ?
Il faut remonter à mai 2003,
quelques semaines après la diffusion de la vidéo sur Internet.
L’affaire commençait déjà à
pren­d re de l’ampleur, mais
quand le New York Times a
publié un arti­cle sur moi, ça a
donné un grand coup. Comme si
les médias du monde entier
s’étaient dit : c’est une nouvelle
de calibre international, il faut
en parler. Il y avait des journalistes à la porte chez nous, le
téléphone ne dérou­gissait pas,
au point qu’on l’a débran­ché. Je
me disais que j’allais ali­
l’actualité 1ER JUIN 2013 } 23
GRAND DOSSIER LE RETOUR De STAR WARS KID
menter la tempête médiatique
en acceptant des entrevues.
C’était une célébrité imposée, je
ne l’avais pas demandée. Je
n’avais pas à me prêter au jeu, à
être la bête de cirque qu’on présente comme un phénomène.
J’ai donc décidé de ne plus
répondre aux journalistes. Mais
je me suis toujours dit qu’un jour
je pourrais en parler. Je suis prêt.
Le monde a changé en 10 ans.
Mais il y a peut-être des leçons
à tirer de l’histoire qui m’est arrivée. Le phénomène de l’intimidation, de la cyberintimidation
en particulier, a pris de l’ampleur.
nant un ramasse-balle comme
sabre laser. Beaucoup de garçons de 14 ans vont faire quelque
chose de similaire si tu leur mets
un bâton dans les mains. Sans
doute plus gracieusement, mais
se serait fait différemment, je l’ai
vite compris. J’ai commencé à me
sentir mal, parce que je me rappe­
lais que ce n’était pas une œuvre
d’excellence en arts martiaux...
À ce moment-là, la diffusion
était encore relativement limitée
au Québec. Mais ça n’a pas duré.
La vidéo s’est mise à circuler
dans des blogues américains,
dont ceux de fans de Star Wars.
Des gens se sont amusés à ajouter des effets spéciaux dans la
vidéo. Il y a rapidement eu des
dizaines de millions de visionnements. Ça a suivi une courbe
exponentielle.
l’infinie saga d’une vidéo
NOVEMBRE 2002 : Ghyslain
Raza se filme dans son école
secondaire, le séminaire
Saint-Joseph, à Trois-Rivières.
Il y a eu des cas extrêmement
tragiques, bien pires que le mien
à certains égards. Raconter mon
expérience peut-il contribuer à
la réflexion sociale ? Peut-on en
faire plus, doit-on agir différemment ? Et qu’est-ce qui a vraiment changé depuis mon histoire, qui a pris des dimensions
inimaginables ?
Quel souvenir te reste-t-il du
tournage de la vidéo qui a fait
le tour du monde ?
Je ne m’en souviens pas beaucoup, ce n’était pas quelque
chose de voué à la postérité, loin
de là... C’était en novembre
2002, je participais à l’époque
à la télé scolaire. Avec d’autres
élèves, j’essayais de créer une
parodie de Star Wars pour un
gala à l’école. Un soir, alors que
j’étais seul dans le studio, j’ai
pratiqué la chorégraphie en pre24 { 1ER JUIN 2013 l’actualité
AVRIL 2003 : La vidéo est
trouvée par des camarades
de classe et envoyée sur
Internet. Elle fait le tour
des forums et autres
lieux de rencontre des
adeptes de Star Wars sur
le Web.
comme on dit en bon québécois,
je déconnais...
J’ai ensuite rangé la cassette
sur une étagère du local. Je n’ai
pas cherché à la cacher. Qui
allait prendre le temps de regarder mes cassettes pour voir ce
qu’il y avait dessus ? Dans quel
intérêt ?
Quand as-tu su que la vidéo
avait été diffusée ?
Un beau jour du printemps 2003,
en rentrant dans le studio, j’ai vu
un extrait de la vidéo comme fond
d’écran de l’ordinateur. Je me suis
demandé ce que ça faisait là. Un
ami m’a dit : « Il y a une vidéo de toi
qui circule, t’es pas au courant ? »
Tout a déboulé à partir de là.
Si ça avait été un gag pour les
membres de la télé scolaire, ça
MAI 2003 : Des dizaines de
millions de personnes ont
déjà vu la vidéo, qui fait
l’objet d’un article dans le
New York Times. Les
propos disgracieux, parfois
haineux, à l’égard de
Ghyslain Raza se
multiplient sur Internet.
Victime d’intimidation, le
jeune ado est contraint de
quitter son école.
Des mordus de
Star Wars lancent
une pétition pour
convaincre
George Lucas, le
créateur de Star
Wars, de donner
un rôle à Ghyslain
Raza dans le
prochain épisode
de la saga.
SÉMINAIRE SainT-JOSEPH : ANDRÉ PLANTE / FLICKR ; GEORGE LUCAS : RICHARD LEWIS / EPA ; STEPHEN
COLBERT : JASON KEMPIN / FILMS MAGIC / GETTY IMAGES.
Quelles ont été les répercussions
à l’école ?
La situation a rapidement dégénéré. Dans la salle commune, des
élèves montaient sur les tables
pour m’invectiver. Certains
essayaient d’imiter la vidéo en
l’exagérant. Les insultes visaient
mon apparence physique, mon
surplus de poids. On me traitait
de Star Wars Kid,
et ce n’était pas un
compliment. Je ne
pouvais pas rester
deux minutes avec
mes amis sans
être victime d’intimidation. Très
rapidement, c’est
SEPTEMBRE 2005 :
L’émission
American Dad
se dote de son
personnage
Star Wars Kid.
devenu impossible d’aller à mes
cours.
Étais-tu au courant de ce qui
s’écrivait sur toi au même
moment sur Internet ?
Au début, oui. Je ne faisais pas
exprès pour aller lire tout ce qui
s’écrivait, mais j’avais une certaine curiosité, je voulais voir ce
qui se passait. Et ce qui me parvenait, c’était méchant, violent.
On m’encourageait souvent au
suicide. Je me souviens de
phrases comme : « T’es une honte
pour l’humanité », « Si j’étais toi,
je m’enlèverais la vie ». J’ai lu cela
en français, en anglais, et ça a
probablement été écrit en
AVRIL 2006 : La famille Raza obtient
un dédommagement d’une
somme non dévoilée
dans le cadre d’un
règlement à l’amiable avec
la famille des trois élèves
accusés d’avoir mis la
vidéo en ligne.
en train de m’arriver ? La pla­
nète entière rit de moi. » À un
moment donné, je n’ai plus eu le
choix, je leur ai tout raconté. Au
début, ils se demandaient ce que
la vidéo avait de si spécial. Mais
ils ont vite saisi que c’était
sérieux. Déjà, des journalistes de
l’étranger essayaient de me
joindre.
Mon père a contacté l’école,
mais ni les professeurs ni la direc­
tion ne comprenaient l’ampleur
de ce qui se passait, et ils ne semblaient pas vouloir intervenir.
Mon père a alors appelé la police,
qui a dit qu’elle ne pouvait rien
faire. Elle nous a conseillé d’appe­
ler un avocat.
AOÛT 2006 : L’humoriste
américain Stephen Colbert
fait une parodie de Star
Wars Kid dans son émission
The Colbert Report. Il invite
les téléspectateurs à ajouter
des effets spéciaux et à
créer leur propre vidéo.
d’autres langues. On ne
permettrait pas
de tels commentaires dans la vie
de tous les jours, c’est
criminel d’encourager quelqu’un
à se suicider. Mais sur Internet,
il n’y avait pas de limites, pas de
contrôle. J’ai rapidement compris que ça ne donnait rien de
lire ça, que c’était poison.
As-tu rapidement alerté tes
parents ?
Dans les premiers jours, je
n’ai rien dit. J’avais honte. Pas
un fils au monde ne veut revenir
à la maison en disant : « Papa,
maman, savez-vous ce qui est
SEPTEMBRE 2006 : Après une année de cours
privés, Ghyslain Raza
retourne à l’école, à la
polyvalente Chavigny.
Pour faire quoi ?
Au début, on voulait
surtout de l’aide pour
gérer la situation. Juste
prendre en charge les
requêtes des médias, c’était
déjà beaucoup : les demandes
affluaient par centaines, de partout dans le monde. Mais il y
avait aussi ma situation scolaire.
Je ne pouvais plus aller à l’école.
Le cabinet d’avocats nous a
aidés à trouver un endroit où
passer mes examens de fin
d’année et éviter ainsi de rater
ma 3e secondaire. J’ai fait mes
examens dans une école affi­
liée à l’aile psychiatrique d’un
hôpital, parce que c’était la
seule école tranquille qu’on
l’actualité 1ER JUIN 2013 } 25
GRAND DOSSIER LE RETOUR De STAR WARS KID
conclue, je ne peux pas révéler
de chiffres, mais nous ne nous
sommes pas enrichis, ni moi ni
mes parents. Ça ne couvrait
même pas nos frais.
Notre but premier était d’envoyer un message. Un message
que les médias comprendraient.
l’infinie saga d’une vidéo (suite)
NOVEMBRE 2006 :
AVRIL 2007 : Et Dieu créa...
Laflaque s’y met aussi.
Le nombre de visionnements
des différentes versions de la
vidéo atteint près d’un milliard,
selon une estimation de Viral
Factory, une agence britannique
spécialisée dans le marketing
interactif.
AVRIL 2008 :
Star Wars Kid fait son
apparition dans la célèbre
émission américaine
South Park.
1 milliard
Beaucoup d’internautes ont mal
réagi à cette poursuite…
Dans les médias, on a dit qu’on
cédait à l’appât du gain. Certains
ont même dit publiquement que
les vraies victimes de l’histoire
étaient les personnes poursuivies. Les rôles étaient inversés :
je n’étais plus la victime et mes
parents étaient des profiteurs.
C’est un non-sens. En raison de
l’entente à l’amiable qu’on a
26 { 1ER JUIN 2013 l’actualité
AVRIL 2008 : Les
organisateurs d’une
conférence sur la culture
Internet au prestigieux MIT
tentent de recruter Star
Wars Kid.
erreurs, mais il commence dans
la vie. Pourquoi je n’avais pas
droit à la même protection ?
As-tu envisagé de jouer le jeu et
de profiter de cette notoriété ?
Tous les talk-shows d’Amérique
du Nord, sans exception, m’ont
invité. J’ai encore chez moi, dans
une boîte, l’invitation de Jay
Leno. Une émission japonaise
m’a offert une forte somme
d’argent pour m’inviter en studio
au Japon. Mais pourquoi tout ce
monde m’invitait ? Pour voir la
bête de cirque. Pour savoir si le
lion allait rugir quand on lui grattait le bedon.
2009 : Ghyslain Raza fait
son entrée en droit à
l’Université McGill.
MAI 2013 : La version originale
de la vidéo mise en ligne
sur YouTube en 2006 (ce
site n’existait pas lorsque
la vidéo a été créée)
a suscité plus de
125 000 commentaires,
et des internautes
en ajoutent
quotidiennement.
Lequel ?
Celui d’agir de façon plus responsable. Une fois, une chaîne
de télé québécoise a diffusé ma
vidéo en boucle durant plusieurs
minutes, pendant que des intervenants commentaient. On donnait mon nom, mon prénom,
mon lieu de résidence, le nom de
mon école. On voyait mon visage
sur la vidéo. J’avais 14 ans !
Quand un jeune délinquant se
retrouve aux nouvelles, on ne
montre pas son image, on ne
donne pas son nom, parce qu’il
est mineur. Il a peut-être fait des
automne 2013 : Ghyslain Raza
commencera une
maîtrise en droit sur
l’histoire du système
judiciaire québécois.
Vivre tes 15 minutes de gloire
quand t’as fait quelque chose de
vraiment glorieux, c’est une
chose. Moi, c’était dû à un
moment embarrassant, humiliant, honteux. On se moquait
de moi, de mon apparence physique. La vidéo fait, quoi, deux
minutes ? Pour un milliard de
personnes, c’est comme ça qu’on
me connaît. À partir de cette
image, les gens se sont faus­
sement imaginé tout plein de
choses sur ma personnalité,
mon caractère, mes centres
d’intérêt.
EXTRAIT DE ET DIEU CRÉA LAFLAQUE : © PRODUCTIONS VOX POPULI 1 INC. ;
MIT : huntstock GETTY images.
avait pu trouver. D’où les rumeurs
sur mon internement dans un
asile.
On s’est ensuite demandé
quels étaient nos recours.
Pouvait-on poursuivre les
médias pour leur demander
de ne plus utiliser la vidéo ?
Poursuivre l’école parce qu’elle
avait manqué à ses devoirs de
protection ? On a fini par se
dire qu’en visant les quelques
jeunes qui avaient vraiment lancé
le mouvement en diffusant la
vidéo, on enverrait un message
fort.
Pourquoi Star Wars Kid reste un
incontournable de la culture Internet
Cette carte de visite a fait le
tour du monde, et ce n’est pas
une image à laquelle tu tiens à
t’associer, certainement pas au
début, quand c’est encore très
vif. Pas quand t’as 14, 15 ans et
que tu construis ton identité.
Dix ans plus tard, je peux en
parler assez ouvertement, mais
à l’époque, ce n’était pas facile.
J’avais beau essayer de ne pas
prêter attention aux gens qui
m’encourageaient au suicide,
c’était difficile d’éviter la con­
clusion que je ne valais rien,
même pas de rester en vie. Je n’ai
pas fait de tentative de suicide,
mais c’était une période très
sombre. Dans ce contexte-là,
te faire dire : « Ce sont tes
15 minutes de gloire, profites-en
donc », c’est une contradiction
incroyable.
Un mouvement de solidarité à
ton égard s’est formé sur Internet, où 140 000 personnes ont
signé une pétition demandant
au créateur de Star Wars,
George Lucas, de te donner un
rôle dans les futurs épisodes de
sa saga. Des gens ont même collecté des dons pour toi. Les as-tu
reçus ?
J’ai reçu un iPod, des jeux vidéo
et quelques objets de Star Wars.
La communauté de Star Wars
sur Internet m’a adopté, et c’est
ironique, parce que je n’étais pas
le plus grand fan de la saga. Je
ne sais pas si je le serais devenu
un jour, mais ce qui m’est arrivé,
ça refroidit les ardeurs. [Rire]
Cela dit, je sais que les gens
qui m’ont offert ces cadeaux
étaient animés des meilleures
intentions, mais c’était une
goutte d’eau dans l’océan de
mépris sur Internet.
À quel moment ta vie a-t-elle
commencé à retrouver son cours
normal ?
Tim Hwang organise, tous les deux ans,
une grande conférence sur la « culture
Internet ». « J’ai grandi avec le Web et j’ai
eu l’idée, avec quelques amis, de célébrer
les auteurs des vidéos les plus connues du
Web », explique ce Californien de 26 ans.
La première rencontre, tenue sur le campus
du Massachusetts Institute of Technology
en 2008, a attiré plus de 1 000 participants.
Les deuxième et troisième ont aussi connu
un vif succès et capté l’attention de médias
du monde entier. Mais aux yeux de Hwang,
il manquait un invité de marque : Star Wars
Kid, qu’il a tenté d’attirer, en vain, à plusieurs reprises. « Il aurait été “la” vedette
de la conférence ! »
Selon Hwang, Star Wars Kid est sans
conteste l’un des personnages les plus
importants de l’histoire de la culture Internet. « Il est vraiment un des tout premiers
qui soient devenus si célèbres si rapidement. Il représente aussi l’autre côté de
la médaille. Qu’arrive-t-il quand la célébrité te tombe dessus et que tu ne la
recherches pas ? »
De nos jours, dit-il, une multitude
d’internautes connaissent une célébrité
rapide grâce à une vidéo — ou à cause
d’elle. Mais ils sombrent ensuite rapidement dans l’anonymat. En ce sens, Star
Wars Kid est un cas unique. « Même si la
vidéo date de 10 ans, tout le monde s’en
J’ai fait ma 4e année du secondaire en cours privés, en dehors
de l’école, et ça m’a vraiment aidé.
Le programme conçu par mes
profs prévoyait de récupérer avec
la pédale d’accélérateur au plancher. Dans ce type de situation,
il ne faut surtout pas s’apitoyer
sur son sort. Il faut apprendre à
surmonter l’obstacle et continuer
à avancer. Ça peut être d’un
pouce, l’important c’est d’avancer. Sur le plan humain et scolaire, cette période m’a permis
de revenir à l’essentiel. Lors de
cette traversée du désert, je me
suis découvert un grand intérêt
pour la philo, l’histoire et le droit.
L’année suivante, j’étais prêt
à « affronter » la vie normale,
souvient parmi mes amis et mes collègues. D’ailleurs, j’en profite pour lancer à
Ghyslain une invitation pour notre prochaine rencontre… »
Le New York Times a inscrit la vidéo
dans une liste des « incontournables » de
la culture Internet. De nombreux sites Web
l’ont classée au sommet du palmarès des
vidéos les plus marquantes. Et elle a été
citée dans d’innombrables études universitaires aux quatre coins du monde.
« C’est une illustration particulièrement
puissante des problèmes que peut causer
la dissémination rapide de l’information
sur Internet », dit Daniel Solove, professeur
à l’École de droit de l’Université George
Washington, qui cite longuement le cas
de Star Wars Kid dans son livre The Future
of Reputation.
En plus de soulever des questions troublantes sur le droit à la vie privée, la vidéo
est souvent évoquée quand éclatent de
nouveaux cas de cyberintimidation.
« Je suis content que le Kid s’en soit
sorti et qu’il prenne la parole, dit Solove.
Son histoire pourra conscientiser le public
sur les effets dévastateurs de l’intimidation. Les gens — jeunes et moins jeunes
— doivent se rendre compte à quel point
ce qui peut ressembler au départ à une
simple blague peut profondément blesser
quelqu’un. »
cette fois à la polyvalente Chavigny. Je suis ensuite allé au collège Laflèche, en histoire et civilisation, avant de faire mon droit
à McGill.
À elle seule, la version originale
de ta vidéo mise en ligne des
années plus tard sur YouTube
compte des dizaines de millions
de visionnements. As-tu pensé
à exiger une compensation
financière ?
Non. Ça fait partie de mon processus de détachement par rapport à ces événements. Est-ce
que je trouve ça parfaitement
juste que des gens fassent de
l’argent avec ma vidéo ? Non.
Mais il faut apprendre à tourl’actualité 1ER JUIN 2013 } 27
GRAND DOSSIER LE RETOUR De STAR WARS…
ner la page. Cela dit, je n’ai jamais
renoncé à mon droit à l’image.
J’ai choisi, pour des raisons
d’ordre personnel, de ne rien
faire. Est-ce qu’un jour je changerai d’idée ? Qui sait ?
Il y a eu de nombreux cas de
cyber­intimidation ces dernières
années. La société en a-t-elle
tiré les leçons ?
Si ce qui m’est arrivé en 2003 se
produisait aujourd’hui, j’ose
croire que la situation serait gérée
différemment. Par exemple, que
des professionnels de mon école
seraient là pour m’épauler. Mes
parents ont dû aller chercher au
privé un service qui aurait dû être
offert par l’établissement. Je crois
que les écoles se sentent plus responsables de ce qui se dit sur le
Web. Le projet de loi 56 sur l’intimidation à l’école [NDLR : adopté
par Québec en juin 2012] envoie
un bon signal.
Il faudrait aussi que les jeunes
soient mieux sensibilisés au phénomène de l’intimidation. Il faut
leur demander clairement : « Ce
que vous écrivez sur Internet, le
diriez-vous en personne ? Le
diriez-vous en public ? » Quand
on est conscient de la portée de
ses gestes, on en est déjà plus
responsable. Il pourrait y avoir
un cours sur l’intimidation, mais
ce serait encore mieux si c’était
intégré à l’enseignement général,
pour que tous les profs sachent
quoi dire pour prévenir des
drames.
Que dirais-tu à une jeune victime de cyberintimidation dont
l’univers s’écroule ?
Première des choses : on y survit,
tu peux t’en sortir. Et t’es pas tout
seul. Il y a du monde autour de
toi qui t’aime. Il faut surmonter
la honte que tu peux ressentir et
chercher de l’aide. Si t’as la
chance d’avoir des parents présents, va les voir. Sinon, va chercher de l’aide à l’école, auprès de
professeurs ou d’amis.
Dans mon cas, je n’étais pas
Monsieur Populaire à l’école, je
n’avais pas 350 amis et, dans le
tourbillon, j’ai perdu de vue
ceux que j’avais. Il n’y avait que
mes parents et mes avocats
autour de moi. Mais leur présence a été fondamentale pour
sur­vi­vre à l’ouragan. Sans eux,
j’aurais pu partir avec les
poteaux d’électricité.
Avec le recul, y a-t-il des choses
que tu referais différemment ?
Je suis en paix avec toutes les
décisions qui ont été prises. Si
on me donnait l’occasion de
changer le passé, est-ce que
j’accepterais ? Non. Je n’y changerais rien, parce qu’aujourd’hui
je suis content de qui je suis, et
je ne prendrais pas le risque de
changer. Qui sait, j’aurais peutêtre abouti ailleurs et ce ne serait
pas mieux. À travers ça, j’ai rencontré des gens, je me suis ouvert
à de nouvelles choses, j’ai appris
sur le plan personnel. Je suis le
résultat des bonnes et des moins
bonnes expériences. Évidemment, si on me disait : « Demain
matin, tu vas revivre tout ça »,
pas sûr que je prendrais la nouvelle avec joie et bonheur. Mais
je ne chercherais pas à m’épargner ça.
Une question de principe
L’actualité a accepté, à la demande de Ghyslain Raza, de ne pas diffuser d’extraits ou d’images de la vidéo originale. Celle-ci, maintenant
très largement disponible sur le Web, devait à l’origine rester privée.

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