Téléchargez le PDF - Revue Médicale Suisse

Transcription

Téléchargez le PDF - Revue Médicale Suisse
le point sur…
Céphalées pharmacorésistantes :
nouvelles approches du casse-tête
Les céphalées chroniques primaires ont souvent un impact
fonctionnel important dans la vie sociale, familiale et professionnelle, malgré les différents traitements à disposition du
clinicien. De nouvelles thérapies apparaissent cependant dans
les formes chroniques et pharmacorésistantes du cluster
headache et de la migraine. La neurostimulation occipitale
dans le cluster headache et la toxine botulinique dans la migraine représentent les approches thérapeutiques les plus intéressantes.
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 937-41
B. Nater
C. Dozier
introduction
Les céphalées sont très fréquentes et parfois invalidantes, par­
ticulièrement lorsqu’elles deviennent chroniques. On estime
que 3 à 5% de la population souffrent de céphalées chroniques,
le plus souvent primaires. Parmi ce type de maux de tête, les
céphalées dites de tension et la migraine sont les plus fré­
quemment rencontrées (tableau 1). Les traitements médica­
menteux classiques de la forme chronique de ces céphalées
sont souvent insuffisants. Pour cette raison, de nombreuses
études sont effectuées à la recherche de nouvelles thérapies.
Dans cet article, nous présentons les traitements les plus pro­
metteurs de la migraine chronique et aussi, malgré sa rareté,
du cluster headache chronique, car ce dernier représente un mo­
dèle de traitement par neuromodulation des céphalées.
Dr Bernard Nater
Service de neurologie
Département des neurosciences
cliniques
CHUV, 1011 Lausanne et
2, chemin des Croix-Rouges
1007 Lausanne
[email protected]
Dr Catherine Dozier
6, chemin Antoine-Verchère
1217 Meyrin
[email protected]
Drug-resistant headache : is it the end ?
Chronic primary headache often cause signi­
ficant interference with function and quality
of life despite acute and preventive medi­
cines. New treatments are emerging for phar­
macologically intractable cluster headache
and migraine. Occipital nerve stimulation in
chronic cluster headache and botulinum toxin
in chronic migraine represent the most pro­
mising therapies.
0
cluster headache chronique
Le cluster headache ou algie vasculaire de la face est la principale des céphalées
trigémino­autonomiques. Il se manifeste par des accès de douleurs très sévères
associées à des signes végétatifs (tableau 2). La prévalence est d’environ 0,1%.
Les formes primairement ou secondairement chroniques, très invalidantes, cons­
tituent 10% des cas. Elles sont définies par l’absence de rémission ou par des ré­
missions de moins d’un mois des crises pendant plus d’un an.
La pharmacorésistance est généralement définie par une évolution chronique
de plus de 24 mois, entraînant une atteinte significative de la qualité de vie et des
conditions socio­économiques, ainsi que par une résistance aux traitements de
fond et en particulier au vérapamil et au lithium.2 Elle ne concernerait que 1% des cas.
En cas de pharmacorésistance, de nombreux traitements chirurgicaux ont été
proposés : radiochirurgie de la partie intracisternale du nerf trijumeau, thermorhi­
zotomie du nerf trijumeau, décompression microvasculaire du nerf trijumeau et
du nerf intermédiaire de Wrisberg, thermolésion du ganglion sphénopalatin, lé­
sion sélective du nerf trijumeau par radiochirurgie. Ces techniques destructives
ont des résultats peu satisfaisants et entraînent souvent d’importantes complica­
tions comme une neuropathie douloureuse du trijumeau. Pour ces raisons, elles
sont rarement effectuées.
Sur la base de l’hypothèse physiopathogénique d’une boucle trigémino­hypo­
thalamique, une neurostimulation profonde de la région rétro­hypothalamique
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 mai 2012
17_21_36403.indd 1
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 mai 2012
937
26.04.12 10:35
Tableau 1. Classification des céphalées chroniques
primaires
•Migrainechronique
•Céphaléedetensionchronique
•Clusterheadachechronique
•Hemicrania continua
•Céphaléequotidiennepersistanterécente
Tableau 2. Cluster headache1
A AumoinscinqcrisesrépondantauxcritèresB-D
B Douleursévèreoutrèssévèreunilatérale,orbitaire,
supraorbitaireet/outemporalede15à180minutes
C Céphaléeassociéeaumoinsàundessignessuivants,du
mêmecôtéqueladouleur
•injectionconjonctivaleet/oularmoiement
•obstructionnasaleet/ourhinorrhée
•œdèmepalpébral
•sudationdufrontetdelaface
•myosiset/ouptôsis
•agitationouincapacitéàresterenplace
D D’unecrisetouslesdeuxjoursàhuitcrisesparjour
ipsilatérale a été proposée par Leone. L’efficacité de cette
méthode (réduction de crises M 50%) est de 60%.3 Des effets
secondaires graves comme une hémorragie cérébrale sont
cependant décrits. Cette thérapie doit ainsi être réservée
à des formes très sévères et réfractaires à toute thérapie
du cluster headache chronique.
Les blocs du grand nerf occipital, ou nerf d’Arnold, par
un corticoïde et/ou un anesthésique local, peuvent per­
mettre de diminuer la fréquence des crises en cas d’exa­
cerbation dans les formes chroniques de cluster headache.
Leur efficacité s’explique vraisemblablement par la conver­
gence sur le noyau caudalis des fibres cervicales et trigé­
minales. Ces résultats ont conduit à des essais de neuro­
stimulation occipitale. Les électrodes sont implantées en
sous­cutané et reliées à un générateur. Une étude récem­
ment publiée montre une efficacité chez 80% des quatorze
patients qui ont eu un suivi moyen de 37 mois.4 Cette tech­
nique est simple et a peu de complications. L’efficacité à
long terme est cependant inconnue. Malgré l’efficacité de
ce traitement, il faut relever la persistance dans un certain
nombre de cas de crises végétatives sans douleur et aussi
l’apparition, sous ce traitement, de crises controlatérales.
Néanmoins, cette technique reste prometteuse dans les
cas de pharmacorésistance. Il faut encore citer des tech­
niques de stimulation du nerf vague ou du nerf supra­orbi­
taire, mais il y a pour le moment peu de résultats publiés.
migraine chronique
La migraine chronique est fréquente puisqu’elle con­
cerne 1,3 à 2,4% de la population. Sa définition est assez
complexe. En effet, elle implique d’une part la survenue
de céphalées pendant au moins quinze jours par mois de­
puis plus de trois mois, dont plus de la moitié répond aux
critères de la migraine sans aura et/ou au traitement spéci­
938
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 mai 2012
17_21_36403.indd 2
fique de la crise migraineuse (triptans, dérivés de l’ergot de
seigle), et d’autre part l’absence d’abus médicamenteux.5
Ce dernier critère est souvent difficile à respecter, car la
majorité des patients souffrant de migraine chronique ont
tendance à prendre régulièrement des médicaments utili­
sés pour la crise migraineuse. En raison de cette difficulté,
les études récentes incluent aussi des migraineux en abus
médicamenteux.
La pharmacorésistance est définie par la présence d’une
migraine chronique provoquant un impact fonctionnel et
une atteinte significative de la qualité de vie malgré la mo­
dification des facteurs de risque, le mode de vie et les trai­
tements médicamenteux des crises et de fond. L’échec d’au
moins deux classes de médicaments de fond à dose adé­
quate (bêtabloquants, antiépileptiques, tricycliques, anti­
calciques) est requis.6
La stimulation du grand nerf occipital a encore été peu
étudiée. Dans quatre études dont trois ont été publiées,
l’efficacité varie fortement entre environ 39 et 88%.7­9 Cette
technique reste expérimentale dans la migraine chronique.
Il n’y a pas de publication sur l’efficacité de la stimula­
tion électrique transcutanée transorbitaire. Il faut encore
mentionner, pour le traitement de la crise migraineuse
avec aura, la stimulation magnétique transcrânienne.10
La toxine botulinique est utilisée depuis de nombreuses
années en neurologie, principalement dans le traitement
de la spasticité et des hémispasmes faciaux et est actuel­
lement surtout connue par le public dans son indication
esthétique. Quel est son rôle dans les céphalées ? On aurait
pu penser que via son action directe, elle serait efficace
dans les céphalées de tension, cela n’a pas été le cas ; par
contre, dans certains cas de migraine, elle peut être une
bonne alternative de traitement. Comment agirait­elle ? On
pense que le mécanisme d’action est lié au blocage des
signaux périphériques allant au système nerveux central.
Elle jouerait donc un rôle indirect inhibant le processus
migraineux au niveau cérébral.
Deux grandes études multicentriques ont été effectuées :
PREEMPT I et PREEMPT II (Phase III Research Evaluating
Migraine Prophylaxis Therapy) ont été incluses dans ces
études des migraineux chroniques.11,12
Rappelons que l’invalidité engendrée chez un cinquième
des migraineux chroniques les rend incapables de travailler.
On parle parfois de transformation de la migraine épisodi­
que en migraine chronique et de plus en plus, un traite­
ment préventif précoce est recommandé pour limiter cette
évolution. En effet, cette dernière ne semble pas unique­
ment liée à un auto­entretien médicamenteux mais à une
évolution défavorable spontanée, fonction de la fréquence
des crises.
Les formes de migraine suivantes ont été exclues de
l’étude : migraine hémiplégique, migraine basilaire, migraine
ophtalmoplégique ou migraine compliquée (infarctus mi­
graineux), ainsi que les patients présentant une maladie
neuromusculaire, les femmes enceintes, les sujets ayant
préalablement eu un traitement préventif dans les 28 jours
précédant l’entrée dans l’étude, les sujets atteints de dé­
pression. Par contre, les sujets qui répondaient à la défini­
tion de céphalées sur abus médicamenteux ont été inclus
dans ces deux grandes études.
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 mai 2012
0
26.04.12 10:35
Ces deux études ont été conçues pour évaluer l’efficacité,
la sécurité et la tolérance de ce traitement chez des sujets
adultes souffrant de migraine chronique. Il s’agit d’études
multicentriques, effectuées entre 2006 et 2008, PREEMPT I
dans 56 sites aux Etats­Unis et PREEMPT II dans 66 sites,
50 aux Etats­Unis et 16 en Europe. Près de 700 patients ont
été inclus, la grande majorité étant des femmes (85­87%)
d’origine caucasienne (89­90%), d’un âge moyen de 41 ans,
présentant en moyenne dix­neuf jours de céphalées par
mois, principalement migraineuses correspondant à 11­12
crises par mois. Les sujets ont été observés pendant qua­
tre semaines, puis l’étude a été effectuée en deux parties :
une première de 24 semaines en double aveugle contre
placebo (comprenant deux injections) et une deuxième de
32 semaines ouverte (comprenant trois injections). Les in­
jections de Botox ont été effectuées toutes les douze se­
maines, sur 31 sites d’injection, avec un total de 155 à 195
unités de toxine botulinique : dose fixe de cinq unités par
injection, soit 5­20 unités selon la localisation. Les injec­
tions ont été effectuées au niveau antérieur dans les mus­
cles suivants : frontaux (deux de chaque côté), corrugateurs
(une de chaque côté), procerus (une injection) ; au niveau
latéral dans les muscles temporaux (quatre injections de
chaque côté), au niveau postérieur (occipitaux, trois de
chaque côté), et au niveau cervical dans les muscles para­
spinaux (deux injections de chaque côté), trapèzes (trois
de chaque côté).
La fréquence des crises s’est révélée inchangée, l’issue pri­
maire (primary endpoint) est donc négative. En effet, la fré­
quence a diminué de 5,2 crises par mois avec le traitement
par Botox comparé à 5,3 pour le placebo. L’effet placebo
est connu comme élevé dans la migraine, atteignant en
moyenne 30% dans les études.
Par contre, des critères de jugement secondaires ont été
examinés : points que l’on se doit d’examiner également
lors du suivi des céphalées quel que soit le traitement pré­
ventif ; il s’agit du nombre de jours de céphalées, du nombre de
jours de migraine, du nombre d’heures de céphalées et de la sévérité
des crises. Tous ces points sont très importants ; en effet, une
crise de migraine dure entre 4 et 72 heures, s’il y a une
crise par semaine durant chaque fois trois jours, on se re­
trouve avec douze jours de migraine par mois. C’est une
importante invalidité, liée également à la fatigue consé­
cutive aux migraines. Un traitement de fond peut limiter la
crise à quelques heures, et s’il diminue l’intensité de ces
dernières, va permettre de limiter l’invalidité à quelques
heures par mois et favoriser son interruption par un traite­
ment de crise spécifique ou non. Avec un traitement pré­
ventif efficace, les céphalées peuvent également prendre
ensuite des caractères non migraineux, ce qui change tota­
lement l’appréhension de ces dernières. Par ailleurs, corol­
laire des différentes appréciations précédentes, il a été re­
levé, dans l’étude PREEMPT II, que la fréquence de prise des
triptans était diminuée dans le groupe traité par Botox. Cet
aspect est également très important indépendamment de
la qualité de vie du patient, car le risque de voir se déve­
lopper des céphalées sur abus médicamenteux pour les­
quels un sevrage doit être proposé, est toujours présent
dans les céphalées fréquentes. Il faut relever que le traite­
ment par injection botulinique serait le seul ayant prouvé
une certaine efficacité lors de céphalées chroniques sur
abus médicamenteux. En effet, si nous avons des éléments
montrant que l’amitriptyline facilite le sevrage que l’on
propose lors de ce type de céphalées, seul le traitement
préventif de topiramate avait jusque­là montré une effica­
cité sans sevrage préalable lors d’abus médicamenteux.
Le traitement par injections de toxine botulinique selon
le protocole de l’étude s’est révélé être un traitement sûr
et bien toléré, seuls 5,9% des sujets ayant présenté une fai­
blesse musculaire résolue sans séquelle. D’ailleurs, la com­
pliance dans les deux groupes s’est révélée importante,
puisque s’élevant à plus de 93%.
conclusion
La neurostimulation occipitale semble être le traitement
le plus prometteur dans les formes pharmacorésistantes
de cluster headache chronique alors que le traitement pré­
ventif de la migraine chronique par injection de toxine bo­
tulinique a sa place dans notre arsenal thérapeutique. Lors
d’un traitement par toxine botulinique, il est toutefois très
important que le diagnostic soit vérifié et que les injec­
tions se fassent selon le modèle des deux études PREEMPT
I et II. Il faut également souligner que le nombre de crises
n’est pas modifié par cette procédure mais que les élé­
ments secondaires, très importants pour la qualité de vie
du patient et sa santé, le sont, en particulier le nombre de
jours de céphalées, le nombre d’heures cumulées et la sé­
vérité des céphalées qui est moindre. Ainsi, c’est globale­
ment le handicap fonctionnel qui s’en trouve diminué. Ce
traitement implique cependant un suivi spécifique et des
injections pour certaines assez profondes (muscles para­
spinaux), ceci si l’on veut respecter la technique effectuée
dans ces deux études multicentriques, ce traitement ayant
jusque­là fait débat.
Implications pratiques
> La neurostimulation occipitale est l’une des techniques les
plusprometteusesdesformespharmacorésistantesducluster
headachechronique
> La neurostimulation occipitale est une technique simple et
bien tolérée. Son efficacité à long terme dans le cluster
headacheestencoreàdémontrer
> Latoxinebotuliniquemontreuneefficacitéetunebonne
tolérancedanslamigrainechronique
Bibliographie
1 HeadacheClassificationCommitteeoftheInterna- facialpain.Cephalalgia2004;24(Suppl.1):1-160.
tionalHeadacheSociety.Classificationanddiagnostic 2 LeoneM,MayA,FranziniA,etal.Deepbrainstimucriteria for headache disorders, cranial neuralgia and lationforintractablechronicclusterheadache:Propo-
940
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 mai 2012
17_21_36403.indd 3
salsforpatientselections.Cephalalgia2004;24:934-7.
3 LeoneM,ProiettiCecchiniA,FranziniA,etal.Lessonsfrom8years’experienceofhypothalamicstimu-
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 mai 2012
0
26.04.12 10:35
lationinclusterheadache.Cephalalgia2008;28:787-97.
4 MagisD,GerardyPY,RemavcleJM,etal.Sustained
effectivenessofoccipitalnervestimulationindrug-resistant chronic cluster headache. Headache 2011;51:
1191-201.
5 OlesenJ,BousserMG,DienerHC,etal.Newappendixcriteriaopenforabroaderconceptofchronic
migraine.Cephalalgia2006;26:742-6.
6 SchulmanEA,LakeAE,GoadsbyPJ,etal.Defining
refractory migraine and refractory chronic migraine:
Proposedcriteriafromtherefractoryheadachespecial
interest section of the American Headache Society.
Headache 2008;48:778-82.
7 PopeneyCA,AlóKM.Peripheralneurostimulation
0
forthetreatmentofchronic,disablingtransformedmigraine.Headache2003:43:369-75.
8 SchwedtTJ,DodickDW,HentzJ,etal.Occipital
nervestimulationforchronicheadache-long-termsafety
andefficacy.Cephalalgia2007;27:153-7.
9 SaperJR,DodickDW,SilbersteinSD,etal.Occipitalnervestimulationforthetreatmentofintratable
chronicmigraine:ONSIMfeasibilitystudy.Cephalalgia
2011;31:271-85.
10 Lipton RB, Dodick DW, Silberstein SD, et al.
Single-pulsetranscranialmagneticstimulationforacute
treatmentofmigrainewithaura:Arandomised,doubleblind,parallel-group,shamcontrolledtrial.LancetNeurol2010;9:373-80.
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 mai 2012
17_21_36403.indd 4
11 * AuroraSK,DodickDW,TurkelCC,etal.OnabotulinumtoxinA for treatment of chronic migraine:
Results from the double-blind, randomized, placebocontrolled phase of the PREEMPT I trial. Cephalalgia
2010;30:793-803.
12 * DienerHC,DodickDW,AuroraSK,etal.OnabotulinumtoxinA for treatment of chronic migraine:
Results from the double-blind, randomized, placebocontrolledphaseofthePREEMPTIItrial.Cephalalgia
2010;30:804-14.
* à lire
** à lire absolument
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 mai 2012
941
26.04.12 10:35