fiche spectacle Trouble - L`Enfant

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fiche spectacle Trouble - L`Enfant
FICHE SPECTACLE
Trouble in Tahiti de Maurice Ravel /
L'Enfant les Sortilèges de Leonard Bernstein
Premier opéra en anglais surtitré, deuxième opéra en français,
dans une mise en scène de Benoît Bénichou
Représentations les 15 et 16 octobre à 20h
Saison 2012-2013
Sommaire
Présentation
p. 3
p. 4
Distribution
Première partie : Trouble in tahiti
p. 6
p. 7
p. 8
p. 9
p. 10
Leonard Bernstein
Une œuvre résolument moderne
L'histoire
Trouble…la suite
Deuxième partie : L'Enfant et les Sortilèges
Maurice Ravel
Colette
L'invention de l'œuvre
L'histoire
La musique de Ravel…
… et ce qu'en pense Ravel
p. 11
p. 12
p. 12
p. 14
p. 16
p. 17
p. 17
Le spectacle vu par le metteur en scène, Benoît Bénichou
p. 19
Merci à Marie-Pierre Legay et Carmello Agnello pour leurs contributions.
Crédits photos pour Trouble in Tahiti et L'Enfant et les Sortilèges : © Opéra national de Lorraine
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Présentation
Benoît Bénichou, jeune metteur en scène, chanteur et pianiste talentueux, a fait le pari de réunir dans
un même spectacle deux opéras du XXe siècle a priori très différents. En effet, sur la scène du théâtre
de Caen Trouble in Tahiti et L'Enfant et les Sortilèges se partageront la soirée.
Le premier, intitulé Trouble in Tahiti, a été composé et écrit par l'américain Leonard Bernstein, un
passionné de jazz à qui l'on doit également le chef-d'œuvre West Side Story. Il a été créé pour la
première fois le 12 juin 1952 à la Brandeis University de Waltham (Massachussetts). Le second,
L'Enfant et les Sortilèges, est le résultat du travail en duo de Maurice Ravel et de Colette,
respectivement compositeur et écrivaine français. Il est représenté pour la première fois le 21 mars
1925 à l'Opéra de Monte-Carlo.
Si le premier opéra aborde l'usure du couple et les dérives de la société de consommation, le
deuxième s'intéresse aux caprices d'un enfant et touche au fantastique.
Mais dans Trouble in Tahiti comme dans L'Enfant et les Sortilèges, il s'agit à chaque fois de mettre en
évidence une situation onirique. Le rêve de Dinah, le rêve de l'enfant, et, dans les deux cas, des
situations plus que des histoires, des « hors temps » à valeur symbolique qui permettent de poser
un regard à la fois critique et constructif sur le monde sans jamais tomber dans le moralisme.
Et si dans L’Enfant, Ravel s’attelle une fois de plus à cet exercice virtuose de l’instrumentation qui
laisse admiratif encore aujourd’hui autant les compositeurs que les auditeurs, Bernstein, avec des
moyens certes plus modestes, réussit lui aussi à créer des palettes sonores très recherchées.
Deux langues, deux mondes, deux moments du XX
rapprochement.
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e
siècle et une même tentative de
Distribution
Mise en scène
Chorégraphie
Vidéo
Costumes
Décors
Lumière
Benoît Bénichou
Florence Blanco Scherb
Ishrann Silgidjiann
Bruno Fatalot
Amélie Kiritze Topor
Thomas Costerg
Trouble in Tahiti – Leonard Bernstein
Opéra en 7 scènes – livret du compositeur
Créé le 12 juin 1952 à la Brandeis University de Waltham
(Massachusetts)
Ouvrage chanté en anglais, surtitré – durée : 1 h
Version pour Orchestre de Chambre
L'Orchestre Régional de Basse-Normandie
Direction musicale, Jean Deroyer
Dinah, Aurore Ugolin (mezzo-soprano)
Sam, Kevin Greenlaw (bariton)
Héloise Mas (mezzo-soprano), Steven Cole (ténor), Matthew Morris (baryton) Trio
Danseurs :
Veronica Endo, Jérémie Duval
L’Enfant et les Sortilèges – Maurice Ravel
Fantaisie lyrique en deux parties – livret de Colette
Créée le 21 mars 1925 à l’Opéra de Monte-Carlo
Ouvrage chanté en français, surtitré – durée : 45 mn
Version pour Orchestre de Chambre
L'Orchestre Régional de Basse-Normandie
Direction musicale, Jean Deroyer
Chœur : Ensemble Vocal Aedes – direction Mathieu Romano
Chœur des enfants : La Maîtrise de Caen – direction Olivier Opdebeeck
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L’Enfant, Amaya Dominguez
Maman, la Tasse chinoise, Aurore Ugolin
La Bergère, la Chatte, la Libellule, l’Écureuil, un Pâtre, Héloise Mas
La Princesse, le Feu, le Rossignol, Mélanie Boisvert
La Chauve-Souris, la Chouette, une Pastourelle, Natacha Kowalski
Le Fauteuil, un Arbre, Julien Véronèse
L’Horloge Comtoise, le Chat, Matthew Morris
La Théière, le petit Vieillard, la Rainette, Steven Cole
Le Banc, Le Canapé, Le Pouf, La Chaise de Paille,
Les Chiffres, les Pastoures, les Pâtres, les Rainettes, les Arbres, les Bêtes,
La Maîtrise de Caen
Les autres Bêtes, choristes et danseurs
Productions de l'Opéra national de Lorraine.
Reprise théâtre de Caen en coproduction avec l'Orchestre Régional de Basse-Normandie.
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Première partie :
Trouble in Tahiti
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Leonard Bernstein
Chef d'orchestre et compositeur américain, Leonard
Bernstein est né le 25 août 1918 à Lawrence,
Massachusetts, et mort le 14 octobre 1990 à New-York.
Issu d'une famille de juifs russes immigrés, Bernstein,
pianiste de talent, chef d'orchestre fougueux, compositeur
populaire, va être, jusqu'à sa mort, l'un des personnages
les plus en vue de la musique américaine. Diplômé
d'Harvard, il étudie le piano et la direction d'orchestre
(avec Fritz Reiner) et l'orchestration à Philadelphie. Il fait
des arrangements musicaux sous le pseudonyme de Lenny
Amber. Chef assistant d'Arthur Rodzinski à l'Orchestre
Philharmonique de New-York, il est amené à remplacer Bruno Walter, et c'est le début d'une grande
carrière de chef d'orchestre. De 1945 à 1948, Bernstein dirige le New-York City Center Orchestra. En
1953, il est le premier chef américain invité à l'Orchestre Symphonique de la Scala de Milan. Puis
encore le premier américain à être nommé directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de
New-York (1958). À partir de 1969, il mène une carrière de chef invité dans le monde entier
(Orchestre Philharmonique de Vienne, Philharmonie d'Israël, Orchestre Symphonique de Londres,
Orchestre National de France...) et il consacre davantage de temps à la composition. L'Orchestre
Philarmonique lui donnera, à son départ, le titre honorifique de « chef lauréat » jamais décerné
auparavant.
En plus de la composition, les activités de Bernstein ont toujours été multiples : concerts,
enseignement, conférences, il joue également en soliste des concertos de Mozart, Ravel et Gershwin,
et publie aussi quelques poèmes. Comme chef d'orchestre, il fait découvrir au public la musique
contemporaine, en créant des œuvres de Ives, Poulenc, Messiaen, Copland, Henze, ou encore Barber.
La gloire arrive réellement en 1957 lorsqu'il compose la comédie musicale West Side Story pour
Broadway, dont le film culte sera tiré. Mais il écrit aussi des œuvres pour orchestre (notamment trois
Symphonies), de la musique de chambre (Brass music, 1948 ; Red, White and Blues pour trompette et
piano, 1984), un opéra (Trouble in Tahiti, 1952), une opérette (Candide, 1955), de la musique sacrée
(Messe, 1971), des musiques de scène (Wonderful town, 1953 ; A Quiet place, 1983), et de
nombreuses musiques de film...
Le style de Bernstein mêle le jazz, la musique populaire, le choral religieux, les songs, l'opéra italien, la
pop music... On retrouve dans ses œuvres les influences de Stravinsky, Copland, Mahler et
Hindemith. Dans un langage universel et accessible, il parvient à traiter certains grands thèmes,
comme celui de la condition humaine ou celui de la foi perdue et reconquise.
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Une œuvre résolument moderne
Trouble in Tahiti était sans nul doute l’une des œuvres préférées
de Bernstein, la version « longue » qu’il reprit : A Quiet Place,
avec des éléments plus proches de la musique atonale, prouve cet
attachement. Dans cet opéra, le penchant tragique est
omniprésent, et les tribulations du couple qui se déchire à
quelque chose de poignant, même si certains passages demeurent
de l’ordre du léger comme la fameuse séance de cinéma ou les
interventions très
« jazz » du trio. Conte désenchanté mais facétieux de l'illusoire
rêve américain, l'opéra relate en effet le dépit de Sam et Dinah, un
couple séduisant, baignant dans l'aisance relative de la banlieue
mais incapable, malgré tout, de trouver le bonheur. Les tableaux
aigris de la "vie en rose" sont plutôt acerbes, et certainement rares
à l'aube des années 50. La musique, pour le moins, s'inscrit dans
la production théâtrale la plus fluide et la plus vibrante de
Leonard Bernstein. Et, si l'œuvre n'a pas remportée en son temps
de succès retentissant, elle a sur rallier, au fil du temps, de sérieux
admirateurs.
Il était une fois
l'Amérique, l'envers du
décor
Dans les années 50, loin de
répondre aux appels de la
société de consommation,
nombre d'artistes et
d’intellectuels s’insurgent
contre une uniformisation de
l'individu qu’ils théorisent et
associent à un asservissement
de l’humanité tout entière.
Ces mêmes analyses
alimenteront, quelques
années plus tard, sur fond de
guerre du Vietnam, la vague
de contestation qui déferlera
sur tout le monde occidental.
Sans porter sa vision du
monde sur le plan de la
Inspiré par Gershwin qui travaillait déjà à la fusion des formes
classiques et jazz, Bernstein a créé un opéra où se mêlent la
vocalité lyrique classique, le blues, le jazz et la musique
radiophonique. Ces « emprunts » à des genres a priori très
différents ont servit à enrichir son réquisitoire politique et moral
contre la société américaine des premières années d’après-guerre.
Tout en pratiquant une écriture d’une extrême finesse, Bernstein
s’est emparé du langage parlé le plus simple, de situations qui
respirent la banalité du quotidien, pour en extraire de la poésie
et de l’émotion.
Quant à la composition de l’orchestre, elle nous rappelle
l’influence du répertoire des comédies musicales de Broadway
sur le compositeur.
contestation politique ou
même de la polémique, dans
Trouble in Tahiti, Bernstein
réussit à cerner point par
point tous les éléments qui
caractérisent cette mutation
dans laquelle s’engage la
société moderne. Cet
investissement dans la vie
politique et sociale de son
pays sera une préoccupation
majeure de l’artiste tout au
long de sa vie. Avec son
opéra, il parvient à la
transmettre, tout en élaborant
une forme artistique
accessible au plus grand
nombre.
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L'histoire
Situé dans une banlieue américaine, Trouble in Tahiti
expose le désenchantement d'un amour entre Dinah et
Sam, son mari, qui est plus intéressé par sa carrière et ses
loisirs que par sa famille. Bien que les deux personnages
semblent se réconcilier à la fin de l'opéra, leur couple
semble condamné.
L'opéra débute par un chant joyeux, le chœur entre sur
scène et chante la vie de banlieue en citant des noms de
villes de banlieue où l'histoire pourrait se dérouler. Puis l'action commence au milieu du petitdéjeuner du jeune couple, durant une dispute. Dinah rappelle à son mari que leur fils cadet joue une
pièce à l'école ce jour-là, mais Sam explique qu'il ne peut pas y aller à cause d'un tournoi de handball.
Il quitte la maison en furie et part travailler.
Dans la scène suivante, Sam traite avec des clients et nous est montré comme quelqu'un de
charmant. Après chaque client Sam parle, le chœur chante pour lui en décriant son génie et ses
compétences en affaires.
On se retrouve ensuite auprès de Dinah dans un cabinet de psychiatre. Elle a l'air affolé et commence
à raconter au médecin le rêve qu'elle a fait la nuit précédente, dans laquelle elle se tient debout dans
un jardin où toutes les plantes sont fanées. Elle entend alors la voix de son père qui lui crie de sortir
du jardin immédiatement. Elle veut partir, mais semble être perdu. À ce moment, elle entend une
seconde voix à peine perceptible mais dont les mots sont gravés dans sa mémoire. Le son de cette
belle voix l'intrigue et elle court vers elle. Tout autour d'elle devient de plus en plus effrayant. Le
terrain commence à se dérober, mais elle ne rebrousse pas chemin…
Pendant ce temps, Sam est dans son bureau et demande à sa secrétaire d'oublier qu'il a essayé de la
séduire.
Dinah continue ensuite de raconter son rêve. Le désir a maintenant pris le dessus. Tout ce qu'elle
veut, c'est toucher le visage et la main de cette voix mystérieuse. Elle voit enfin son visage et une fois
de plus court vers lui. Or, quand elle se rapproche, il disparaît, la laissant seule dans le jardin. Le rêve
s'achève à cet instant et elle se réveille.
Dinah quitte le bureau de son médecin et rencontre Sam. Ils expliquent tous deux qu'ils doivent
déjeuner avec quelqu'un, cherchant une excuse pour ne pas manger ensemble. Le couple se sépare à
nouveau mais chacun s'arrête se rendant compte de ce qu'il vient de se passer. Ils sont tous deux
seuls sur scène et se remémorent l'époque où ils étaient heureux ensemble. Puis ils quittent (tous les
deux) la scène avec regret pour aller déjeuner seul.
Le chœur chante alors les joies de la vie conjugale. On retrouve ensuite Sam à son club de gym où il
chante, juste après avoir remporté son tournoi de handball.
On voit ensuite Dinah dans un magasin de chapeaux. Elle entre et chante à propos d'un "terrible"
film qu'elle vient de voir, intitulé "Trouble in Tahiti". Elle explique en se moquant le ridicule du film,
mais semble tout de même se laisser entraîner dans le scénario romantique. Au paroxysme de l'air,
elle se souvient qu'elle doit préparer le dîner de Sam et retourne dans la solitude.
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La dernière scène de l'opéra se passe au retour du couple
à la maison. Dinah vient de mettre le dîner sur la table
alors que Sam reste dehors devant la porte, craignant la
soirée qu'il va devoir affronter. Il entre finalement.
Dinah fait du tricot et Sam lit le journal.
Malheureusement, ils commencent à se chamailler à
nouveau. Sam demande si la pièce de Junior s'est bien
passée. Dinah répond qu'elle n'y a pas été. Sam lui donne
alors une dernière chance et lui demande de venir voir le
nouveau film "Trouble in Tahiti" avec lui. Dinah accepte, en se disant qu'une réconciliation est
encore possible.
Durant l'entracte, ils se contentent des images de bonheur affichés sur l'écran géant…
Trouble…la suite
En 1952, au Mexique, en pleine lune de miel avec sa femme Felicia, et entre deux comédies
musicales ayant elles aussi pour thème la ville On the Town (1944) et Wonderful Town (1953),
Bernstein écrit cet opéra de chambre (orchestre réduit) à cinq voix où s’affrontent, toujours dans
un cadre urbain, les valeurs traditionnelles du couple, de la famille, et les nouvelles valeurs de la
société de consommation. Musicalement inspirée de la chanson populaire et de la musique
publicitaire, la pièce, avec ses expressions et ses situations trop quotidiennes, semble légère et prend
parfois même des accents comiques.
Cette plongée dans une journée de la vie morose d’une famille de la classe moyenne
américaine voit mis à mal tous les stéréotypes de l’idéal américain des années cinquante. L’occasion
pour Bernstein d’entrer dans le concert de la contestation de l’Amérique d’après-guerre.
En 1980, poursuivant le projet d’écrire un grand opéra américain, Bernstein transpose Trouble in
Tahiti dans une œuvre plus vaste qu'il intitulera A quiet Place. Le titre reprend une expression
de Dinah que l'on trouve dans Trouble lorsqu'elle chante l'aspiration du couple à une autre vie.
A quiet Place commence par la scène des funérailles de Dinah auxquelles assiste toute la famille y
compris Junior, l’enfant qui est désormais adulte et le protagoniste de l’œuvre. Trouble in Tahiti
est alors vécu comme un flash-back, où l’on mesure les conséquences du comportement du «
couple moderne » sur l’enfant.
Junior approche maintenant la quarantaine. Homosexuel, psychotique, bègue, il arrive en retard
aux obsèques de sa mère. Il retrouve son père Sam après vingt ans ainsi que sa sœur, Dede, à qui
le lient des sentiments incestueux, et son mari François, un canadien francophone dont il a été
l'amant. Malgré tout, la réconciliation avec le père a quand même lieu.
Bernstein continue inlassablement son réquisitoire contre la société moderne, une société qui n’est
plus désormais seulement la société américaine mais la société occidentale dans son ensemble.
L’opéra sera créé à l’Opéra de Houston en 1983, à la Scala de Milan en 1984, à l'Opéra de Vienne
en 1986 mais toujours à condition que Bernstein la dirige. Son talent et sa renommée de chef
d'orchestre servant de caution à une œuvre qui ne connaîtra jamais de réel succès.
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Deuxième partie :
L'Enfant et les Sortilèges
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Maurice Ravel
Maurice Ravel est né à Ciboure, le 7 mars 1875, mais ses parents
s'installent rapidement à Paris. C'est donc dans la capitale que l'enfant
reçoit ses premières leçons de piano. Il se lie alors avec un jeune
pianiste espagnol, Ricardo Viñes, qui lui fait découvrir les peintres
symbolistes. Au Conservatoire, il suit l'enseignement de Gabriel Fauré
(composition) et d'André Gédalge (contrepoint). Ravel démontre un
vrai talent pour les expériences musicales nouvelles. Il connaît son
premier succès en 1898 avec la Pavane pour une infante défunte. À
partir de 1900, il tente en vain, quatre années consécutives, d'obtenir le
Prix de Rome en composition. Après son dernier échec, il doit quitter
le conservatoire, et faire face à des différends artistiques
irréconciliables avec la direction.
À l'écart des milieux officiels, il connaîtra une période particulièrement féconde avec ses Histoires
naturelles (1905), la Rhapsodie espagnole (1908), Gaspard de la nuit (1909), Ma Mère l'Oye (1910), les
Valses nobles et sentimentales (1911). Avec Daphnis et Chloé (1912) dansé par Nijinsky, il collabore
avec Serge de Diaghilev et ses Ballets russes.
La guerre a eu une influence dévastatrice sur la vie de Ravel. Il est d'abord persuadé que le devoir des
artistes est de participer à tout effort consenti pour la nation. Disqualifié pour le service militaire
alors qu'il tenta d'être enrôlé dans l'aviation, il devient conducteur de camions. En 1916, il se lance
dans la composition de L'Enfant et les Sortilèges, en plein milieu de la guerre. En 1917, sa santé fragile
entraîne, contre sa volonté, sa démobilisation. Aussitôt revenu à Paris, sa mère meurt. Les années de
guerre et la perte de cette dernière vont mettre à mal ses capacités de composition.
En 1920, après avoir refusé l'ordre de la Légion d'honneur et dans le but de se soustraire aux
manœuvres politiques, il s'installe dans une maison à Montfort-l'Amaury où il vivra retiré jusqu'à sa
mort. C'est là qu'il achèvera la partition de L'Enfant et les Sortilèges, les deux Concertos pour piano,
et en 1928, son œuvre la plus célèbre, le Boléro. Lors de tournées en Europe et aux États-Unis il reçoit
un accueil triomphal.
En 1933, une infirmité cérébrale le frappe et le condamne à vivre ses dernières années sans écrire la
moindre note. Il meurt le 28 décembre 1937.
Colette
Grande figure littéraire du XXe siècle, Colette mena une vie
romanesque et tumultueuse marquée par l’amour, le scandale et la
gloire littéraire. Véritable célébration sensuelle et passionnée de la
nature et des relations sentimentales, son œuvre témoigne de la
profondeur de sa quête sur la nature humaine.
De son enfance en Bourgogne, elle gardera une effronterie naturelle et
un goût pour l’univers animalier qu’elle décrit dans de nombreux
romans comme Dialogues de bêtes (1934) et Prison et paradis (1932).
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À la demande de son premier mari, Henri Gauthier-Villars, Colette écrit un livre sur les souvenirs
d’enfance. C’est ainsi qu’en 1900 paraît Claudine à l’école. Devenu un succès, ce roman donnera suite
à plusieurs volets dont Claudine à Paris, Claudine en ménage et Claudine s’en va. Elle signera chacun
d'eux du pseudonyme de son mari : Willy.
Ses souvenirs d’enfance seront ainsi une source d’inspiration pour nombre de ses romans tels la
Naissance du jour (1928) et Sido (1929) qui célèbrent tous deux la sagesse et la générosité maternelle.
Colette s’initie également à la pratique journalistique et poursuit son œuvre littéraire en publiant
plusieurs romans à succès dont L’Entrave (1913), L’Envers du music-hall (1913) et Chéri (1920). Ce
n’est qu’en 1923, lors de sa séparation avec son deuxième mari Henry de Jouvenel, qu’elle signe pour
la première fois de son nom son roman Le Blé en herbe. Elle collabore avec Maurice Ravel dès 1916 et
écrit pour lui le livret de L'Enfant et les Sortilèges, une fantaisie lyrique qui reprend la thématique de
l'enfance.
Sa notoriété ne cesse de s’accroître après la seconde guerre mondiale où elle est élue à l’unanimité à
l’Académie Goncourt et élevée à la dignité de grand officier de la légion d’honneur en 1953.
Journaliste émérite, elle continue à écrire de nombreux romans dont Journal à rebours (1941),
l’Etoile Vesper (1946) et le Fanal bleu (1949).
En dépit de sa réputation sulfureuse et du refus par l'Église catholique d'un enterrement religieux,
Colette est la première femme à laquelle la République ait accordé des obsèques nationales.
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L'invention de l'œuvre
"La partition de L'Enfant et les
Sortilèges est maintenant
célèbre. Comment dire mon
émotion aux premiers
bondissements des premiers
tambourins qui
accompagnent le cortège des
pastoureaux, l'éclat lunaire du
jardin, le vol des libellules et
des chauves-souris… "N'estce pas amusant ?" disait Ravel.
Cependant, un nœud de
larmes me serrait la gorge : les
bêtes avec le chuchotement
pressé, syllabé, à peine, se
penchaient sur l'enfant,
réconciliés… Je n'avais pas
prévu qu'une vague
orchestrale, constellée de
rossignols et de lucioles,
soulèveraient si haut mon
œuvre modeste. "
Colette
L’histoire de L’Enfant et les Sortilèges commence en 1915
lorsque Jacques Rouché, directeur de l’Opéra de Paris,
propose à Colette d’écrire un livret de féerie-ballet. Celle-ci
qui a été danseuse et mime, est immédiatement
enthousiasmée par l’idée d’écrire pour la danse. Colette
accepte donc la proposition de Rouché. Elle trouve
rapidement l’argument de son livret et, comme elle se plaît à le
souligner, le rédige en moins de huit jours, elle qui a plutôt
l’habitude d’écrire lentement.
Colette commence la rédaction de son livret à une époque
particulière de sa vie : en 1912, elle a perdu le personnage
principal de toute sa vie, sa mère Sidonie Landoy,
immortalisée par la littérature sous le nom de Sido. Elle a
également mis au monde l’année suivante sa fille Bel-Gazou.
Colette intitule singulièrement son livret « Ballet pour ma fille
» car, avant d’être une histoire d’enfant, L’Enfant et les
Sortilèges est donc d’abord une histoire pour Bel-Gazou.
L’écrivain disait qu’elle n’aurait jamais écrit cette petite
histoire morale si elle n’avait voulu distraire sa fille.
Le livret plaît immédiatement à Rouché qui encourage Colette
à chercher un compositeur. Celle-ci refuse toutes les
propositions de Rouché jusqu’à ce que celui-ci lui suggère
Maurice Ravel. Il faut dire que Colette a déjà rencontré le
compositeur en 1900 lors des soirées musicales de Madame de
Saint-Marceaux et qu’elle admire sa musique. Elle décrivait
ainsi le jeune compositeur : « Peut-être secrètement timide,
Ravel gardait un air distant, un ton sec. Sauf que j’écoutai sa
musique, que je me pris, pour elle, de curiosité d’abord, puis
d’un attachement auquel le léger malaise de la surprise, l’attrait
sensuel et malicieux d’un art neuf ajoutaient des charmes, voilà
tout ce que je sus de Maurice Ravel pendant bien des années. Je
n’ai à me rappeler aucun entretien particulier avec lui, aucun
abandon amical. »
Le petit poème plaît à Ravel qui accepte la proposition de
Colette, mais qui tarde à se mettre au travail. Le livret est
d’abord envoyé au compositeur alors qu'il est au front près de
Verdun. Il n’arrivera cependant jamais à son destinataire.
Finalement, en 1918, Ravel reçoit un deuxième exemplaire,
mais il ne commence à y travailler de manière continue qu’au
printemps 1920. Son mauvais état de santé ainsi que la mort
de sa mère l’empêchent de commencer à travailler. Pendant ce
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temps, Colette désespère de voir un jour son livret devenir un ballet. Finalement, obligé par un
contrat avec l’Opéra de Monte-Carlo de fournir sa partition avant la fin de l’année 1924, Maurice
Ravel réussit à livrer à temps la musique du livret de Colette, rebaptisé d’un commun accord
L’Enfant et les Sortilèges.
L’Enfant et les Sortilèges est donc finalement créé le 21 mars 1925 au Théâtre de Monte-Carlo sous la
direction de Victor de Sabata. La chorégraphie et la mise en scène sont confiées à Georges
Balanchine. La réception de l’opéra est mitigée à ses débuts : enthousiaste à la première de MonteCarlo, plus froide à Paris un an plus tard. Certains reprochent à Ravel l’aspect imitatif de sa musique.
Francis Poulenc et les autres membres du « Groupe des 6 » (réunissant les auteurs français
antiromantiques), se disent impressionnés.
Ravel et Colette ont réussi à faire de L’Enfant et les Sortilèges une œuvre où musique et texte
s’harmonisent parfaitement. L’œuvre demeure l’une des plus grandes réussites du compositeur, qui
exprime avec lyrisme et humour la sublimation exemplaire du monde pur et violent de l’Enfant.
On sait que Maurice Ravel s’est immiscé dans l’écriture du livret, sans toutefois collaborer
étroitement avec l’écrivaine. Il a proposé à Colette quelques changements ou rajouts que celle-ci
acceptait systématiquement. Les témoignages de Colette ou sa correspondance fournissent peu
d’indications sur ce qui vient de Ravel. Qui plus est, le premier manuscrit n’a jamais été retrouvé.
Toutefois, le livret paraît authentiquement colettien à toute personne connaissant l’univers de
l’auteur. Tout Colette, ou du moins les thèmes récurrents de son œuvre se retrouvent dans ce petit
texte : l’enfance, la figure maternelle, la maison et le jardin, les animaux.
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L'histoire
Dans une vieille maison de campagne, au beau milieu de l'après-midi, un enfant de sept ans est assis,
grognon, devant ses devoirs d'école. La mère entre dans la pièce et se fâche devant la paresse de son
fils. Puni, il est saisi d'un accès de colère : il jette la tasse chinoise et la théière, martyrise l'écureuil
dans sa cage, tire la queue du chat ; il attise la braise avec un tisonnier, renverse la bouilloire. Il
déchire aussi son livre, arrache le papier peint, démolit la vieille horloge. « Je suis libre, libre, méchant
et libre !… ».
Épuisé, il se laisse tomber dans le vieux fauteuil… mais celui-ci recule. Commence alors le jeu
fantastique. Tour à tour, les objets et les animaux s'animent, parlent et menacent l'enfant pétrifié.
Dans la maison, puis dans le jardin, les créatures exposent une à une leurs doléances et leur volonté
de vengeance. Alors que l'enfant appelle sa maman, toutes les créatures se jettent sur lui pour le
punir. Mais avant de s'évanouir, il soigne un petit écureuil blessé dans le tumulte. Prises de regret, les
créatures lui pardonnent et le ramènent à sa mère en l'appelant en chœur avec lui. L'œuvre se
termine par les deux syllabes chantées par l'enfant: "ma man".
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La musique de Ravel…
L'Enfant et les Sortilèges est une succession de tableaux indépendants
mêlant une multitude de genres musicaux, du jazz au foxtrot en
passant par un ragtime, une polka, un duo miaulé, une valse et, en
conclusion, un choral sacré. Ce fut pour Ravel l'occasion de
démontrer l'ampleur de son génie orchestral, déployant toute sa
palette et ayant recours, pour traduire les onomatopées dont regorge
le livret de Colette, à des instruments pour le moins inhabituels : râpe
à fromage, crécelle à manivelle, fouet, crotales, wood-block, éoliphone
(machine à vent), flûte de lotus. Plus proche des actuelles comédies
musicales que d'un opéra, L'Enfant et les Sortilèges est une œuvre sans
équivalent dans le répertoire ravélien. Il exprime la sensibilité du
compositeur en même temps que son goût pour la féerie et la minutie
de son orchestration. Son art s'accommode à merveille avec l'humour
et le non-conformisme de Colette. Mais comme souvent avec les
œuvres singulières, l'accueil fut mitigé lors de la création en 1925,
devant le public monégasque. Pourtant, le succès de cet opéra, aussi
bien auprès des enfants que des adultes (car les niveaux
d'interprétation sont nombreux), ne s'est jamais démenti depuis.
Dans la version présentée cette saison au théâtre de Caen,
l’orchestration réduite cherchera à retrouver toute la féérie et le
modernisme de la composition originale de Ravel.
crotales
wood-block
crécelle à manivelle
flûte de lotus
…et ce qu'en pense Ravel
« Je ne suis pas un compositeur moderne au sens strict du mot. Ma musique est en évolution,
non en révolution. Si j’ai toujours accueilli les nouvelles idées dans la musique, je n’ai jamais tenté
de rejeter dans le discrédit les lois de l’harmonie ou de la composition. Bien au contraire, j’ai
toujours largement cherché l'inspiration chez les maîtres. Je n’ai jamais cessé d’étudier Mozart.
Dans toute la mesure du possible, j’ai construit ma musique sur la tradition, elle y prend
racine. Je n’ai jamais été esclave de tel ou tel style de composition. Je n’ai jamais, dans ma
musique, suivi d’orientation particulière. J’ai toujours pensé qu’un compositeur doit traduire
ce qu’il éprouve comme il l’éprouve : sans prêter attention à ce qui peut être la tendance du
moment. Toute grande musique doit venir du cœur. La musique qui n'est qu'affaire de
technique ou d’intelligence ne vaut pas le papier pour l'écrire. C’est l’argument que j’ai toujours
utilisé à l'encontre de la musique dite moderne des jeunes compositeurs rebelles. Elle vient de
leurs têtes, pas de leurs cœurs. Ils commencent par édifier des théories compliquées, puis ils
écrivent une musique qui doit confirmer leurs théories. […] Qui pourrait composer de la
musique à partir de syllogismes ou de formules de mathématiques ? Qui s ' y r i s q u e p e r d l a
qualité distinctive de la musique en tant qu'expression des sentiments humains. La musique
doit toujours être marquée d'abord par l'émotion et n’être intellectuelle qu'après. Je conviens de
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ce que le style radical des jeunes compositeurs exerce une certaine fascination, qu’il y a aussi,
chez eux, de la puissance et une part considérable d’originalité, mais je ne trouve ni cœur, ni
sentiment. C’est pourquoi, à ce point de vue du moins, ces expérimentations constituent un
échec de l’Art, même si l’on peut dire beaucoup en leur faveur. Je ne comprends pas ce
qu’entendent exprimer les compositeurs qui veulent me faire croire que la musique doit être
laide parce qu’elle est l'expression d’une époque de laideur. Pourquoi la laideur de l’époque doitelle être exprimée ? Et que reste-t-il d’une musique lorsqu'elle a perdu sa beauté ? La théorie c'est
bien joli mais un compositeur n'écrit pas de musique d’après les théories. Il doit créer la beauté
qui sort de son cœur. Il doit intensément éprouver ce qu’il compose. »
M. Ravel, interview avec David Ewen
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Le spectacle vu par le metteur en scène,
Benoît Bénichou
" Le projet portait au départ simplement sur L’Enfant et les Sortilèges de Ravel, un opéra que
je connaissais bien, d'une part à cause d’un goût personnel pour les ouvrages à destination
des enfants, ensuite pour y avoir chanté moi-même le rôle de l’Arithmétique. Le spectacle ne
durant que quarante-cinq minutes, très vite s'est posée la question d’un couplage avec une
autre œuvre. Notre choix s’est porté sur Trouble in Tahiti, un opéra de Bernstein trop peu joué
selon moi, qui dresse un portrait sans complaisance de la classe moyenne des États-Unis au
début des années cinquante.
D’emblée, il m’est apparu évident qu’il ne fallait pas faire de cette soirée deux parties séparées
et, en écoutant la musique, j'avais l'intuition qu'une unité pouvait être trouvée entre les deux
ouvrages. L'enfant, seulement évoqué dans Trouble in Tahiti allait servir de fil conducteur et
réaliser cette unité.
Il s’agit donc presque d’une pièce en deux actes qui commence par un portrait de famille
et qui, dans un second temps, présente les effets de ce monde sur l’enfant qui tente de s'y
frayer un chemin et d’y trouver sa place.
L'œuvre de Ravel, sans pour autant perdre sa dimension onirique, prend ainsi une dimension
différente. Les aspirations et les angoisses de l'enfant qui affronte la réalité du monde trouvent
leurs justifications dans un contexte psychologique et social qui nous ramène à nos propres
interrogations contemporaines.
Dans ce parcours initiatique de l’enfant, j’ai pensé que les objets pouvaient être remplacés par
une série de personnages parmi les plus familiers – autant de démons qui hantent sa vie
quotidienne et nourrissent ses angoisses.
Dans un décor unique mais évolutif, la lumière va baliser l'espace au sol en dessinant un
quadrillage projeté en vidéo que l’on pourra interpréter dans la première partie (sol noir
et traits blancs) comme la marque de l’espace urbain et dans la seconde partie (sol blanc et
traits noirs) comme un échiquier sur lequel l'enfant voit évoluer chaque personnage du
rêve et essaie désespérément de se trouver une place tout en évitant la mise en échec… Le sol
servira par ailleurs d’espace de projection et recevra une série d’images colorées et abstraites
qui renforceront la dimension irréelle des moments vécus par l’enfant.
L’esthétique générale de l’image doit beaucoup à la ville américaine des années
cinquante, q u ' e l l e soit photographiée ou peinte ; je pense surtout à quelqu’un comme
Edward Hopper, à l’empreinte graphique et lumineuse dans le paysage urbain de la
publicité, rappelée régulièrement dans Trouble in Tahiti par le chœur. "
Propos recueillis par Carmello Agnello.
théâtre de Caen
Pour tout renseignement :
Soraya BRIÈRE
Médiatrice culturelle
02 31 30 48 26
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[email protected]
135, boulevard du Maréchal Leclerc
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