presse - Unzero Films
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PRESSE IL GIOVEDI de Dino Risi POSITIF / Jean Gili (Mars 2012, N°613) Cinéma retrouvé La fausse banalité du quotidien Il giovedi appartient à la période la plus féconde de Dino Risi. Au début des années 60, le cinéaste réalise successivement Une vie difficile, La Marche sur Rome, Le Fanfaron, Les Monstres… Il giovedi se place entre les deux derniers titres, et, comme un clin d’oeil, la voiture américaine des protagonistes est doublée par un corbillard qui ouvre sa route avec un klaxon à trompes émettant les mêmes notes que la Lancia Aurelia de Gassman dans Le Fanfaron. Plus loin, sur la bande-son du Giovedi, où se succèdent de nombreux airs à la mode, on entend une chanson qui sera reprise dans un sketch des Monstres. Il giovedi passe pour un film mineur, qui n’est pas porté par un scénario signé Age-Scarpelli ou MaccariScola, et qui n’est pas interprété par Alberto Sordi, Vittorio Gassman ou Ugo Tognazzi : ici, c’est le plus modeste Walter Chiari. Bien que ce soit en apparence une bande moins ambitieuse que d’autres, Risi, lui, a souvent déclaré que c’était un film qu’il aimait particulièrement, une oeuvre tendre dont l’humour cerne les travers du quotidien et souligne les médiocrités d’une vie ordinaire. De fait, le film repose avant tout sur la précision d’une mise en scène qui sait tirer le meilleur parti des suggestions du moment. Le passage au Luna Park, les arrêts à la terrasse d’un café, la partie de football sur un terrain vague de la périphérie, l’escapade à la plage, la panne de la voiture… sont autant de moments qui vivent grâce au regard du cinéaste, sa manière unique de faire exister les personnages à partir du détail le plus mince. À l’évidence, il entre une part d’improvisation dans un filmage qui adopte parfois un point de vue documentaire. Il giovedi est un film de metteur en scène : à partir des indications ténues d’un scénario minimaliste, Risi joue sur la gamme des sentiments qui s’instaurent entre un adulte et un enfant. Le premier contact est un peu froid, voire superficiel : en fin de matinée, le père ramènerait volontiers son fils à la gouvernante pour l’heure du déjeuner. Le lien ne s’est pas établi, puis les choses s’accélèrent. Le rapport se crée alors sous forme d’une connivence encore fragile. Au soir de ce jeudi, ramené à sa mère avec retard, l’enfant a pris la mesure de l’affection qu’il porte à son père, et celui-ci se sent enfin chargé d’une responsabilité affective dont il aurait bien voulu s’épargner les contraintes. Ainsi le rapport qui se construit sous nos yeux entre un père et son fils – des inconnus ou presque au départ – constitue la trame d’une journée singulière où le plus enfant des deux n’est pas celui qu’on pense. Dans un récit concentré dans le temps et dans l’espace – un jeudi du mois de septembre à Rome –, Risi prend le temps de décrire ses personnages avec soin : Dino, le père, est un homme qui vit de l’air du temps. Entretenu par sa maîtresse, poursuivi par les huissiers, il a accumulé les mauvaises affaires. Aujourd’hui, il cherche à vendre des encyclopédies… Robertino, son fils (âgé de huit ans), vit avec sa mère ; il est élevé par une gouvernante suisse, et la fréquentation d’un collège huppé a fait de lui un enfant modèle à la politesse exquise. Le matin, le père emprunte « une belle américaine » sans même avoir assez d’argent pour acheter l’essence que ce monstre consomme. Il emmène l’enfant dans un magasin de jouets et lui offre un jouet démodé : une grosse boîte de Meccano. Il l’entraîne ensuite dans un Luna Park, avec un grand 8, surtout, où le père est plus secoué que le fils : déjà s’impose l’idée que, par certains aspects, l’enfant a plus de maturité que l’adulte. Dans un terrain vague, près d’une église, le gamin connaît des sensations de son âge dont il est généralement privé : il joue au football avec d’autres garçons ; parmi eux un enfant de choeur en soutane. Plus tard, à la plage de Fregene, il continue de découvrir une liberté nouvelle pour lui : son père l’encourage à manger avec les doigts… De retour en ville, le couple rend visite à la mère de Dino, une vieille dame qui, pour gâter son petit-fils, ne sait plus quoi inventer. En fin de journée, dans un studio d’enregistrement, les soeurs Kessler interprètent une chanson en dansant, une sorte d’intermède musical, comme pour souligner la liberté d’un récit qui ne cherche pas systématiquement à fabriquer du sens. Dino se fait renvoyer par le patron du studio à cause de ses habituelles embrouilles. La séparation d’avec l’enfant arrive, pleine de mélancolie. Mais elle indique aussi une ouverture : un père et un fils se sont « rencontrés » ; ils ont même inventé un langage fait de sifflements échangés. Au finale, Dino rejoint sa compagne en ayant acheté du lait et des yaourts ; il jette des pétards dans les escaliers qui escaladent la colline, tout à la joie d’avoir retrouvé son fils. À l’inverse, ici, le sens (très fort) est rendu avec une étonnante économie de moyens. Il giovedi est un film presque entièrement tourné en extérieurs : le quartier de l’Eur, avec ses édifices imposants, des immeubles en construction à la périphérie. Ces lieux où la ville grignote peu à peu la campagne, la plage surtout, si souvent présente dans l’oeuvre de Risi. Là où le cinéaste peut donner libre cours à son goût de l’observation ironique : le maître-nageur grincheux, les jolies filles en bikini, les séducteurs qui prennent la pose, les matrones replètes, et même les religieuses qui trempent leurs pieds dans l’eau. À cela s’ajoute un montage nerveux et un grand sens de la bande-son, du tempo musical : les chansons à la mode s’enchaînent, datant une époque et servant de fil conducteur. Pour souligner discrètement les émotions ou l’amertume souterraine, il y a encore la partition d’Armando Trovaioli, toute empreinte d’une fausse gaîté. Comme le dit Edouard Waintrop dans son blog : « Il giovedi est en quelque sorte le sommet de cette manière d’être et de filmer. Que du futile à première vue, et en fait que de l’indispensable. » Italie (1963). 1 h 41. Réal. : Dino Risi.