Guillaume Guillon, dit Lethière

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Guillaume Guillon, dit Lethière
Guillaume Guillon, dit Lethière
Suite de douze dessins inédits pour La Mort de Virginie
Les douze dessins présentés sont en rapport avec un tableau conservé
au musée du Louvre, La Mort de Virginie (INV. 6229), signé et daté de 1828
(4,58 X 7,78 m), exposé au Salon de 1831 et offert au musée en 1848 par
Édouard (ou Edmond ?) Boyard (l’œuvre est accrochée au pavillon Denon,
mais cachée par les Noces de Cana de Véronèse). Une esquisse de ce tableau
se trouve au musée des Beaux-Arts de Lille.
Le sujet
La mort de Virginie est relatée par Tite-Live et par Valère Maxime. C'est un
des épisodes dramatiques de l'histoire de Rome sous le gouvernement des
décemvirs (451 - 450 avant J.-C.). Fille du centurion Virginius, Virginie est convoitée
par le décemvir Appius Claudius. À la demande de celui-ci, l'un de ses clients,
Marcus Claudius, la réclame comme son esclave sous le faux prétexte que la mère
de Virginie était une de ses anciennes esclaves. Ne pouvant s'opposer à cette
décision, rendue publique par un jugement d'Appius Claudius, Virginius poignarde sa
fille en maudissant le décemvir.
L'artiste
Né à Sainte-Anne (La Guadeloupe) en 1760, Lethière vient en France en 1774
et travaille trois ans à l'Académie royale de Rouen sous la direction de Descamps. À
Paris, il a pour professeur Gabriel-François Doyen. Il obtient en 1786 le second
grand prix de Rome avec La Cananéenne aux pieds de Jésus (musée d'Angers) et,
par faveur spéciale, est admis comme élève pensionnaire à Rome. Très marqué par
les événements politiques survenus en France, il envisage dès son arrivée à Rome
le projet fort ambitieux d'illustrer par quatre compositions monumentales les épisodes
les plus marquants des quatre grandes époques révolutionnaires de l'histoire antique
romaine : Junius Brutus condamnant ses fils à mort, La Mort de Virginie, La Mort de
César et La Défaite de Maxence. Seules les deux premières furent réalisées et sont
au Louvre. L'une et l'autre connurent une gestation prolongée : pour Brutus entre
1786 et 1811, pour Virginie entre 1795 et 1828 ! De retour à Paris en 1792, Lethière
expose assez irrégulièrement au Salon, de 1793 jusqu'à sa mort (1832). Après un
voyage en Espagne en 1804 avec Lucien Bonaparte qui l'avait chargé de lui
constituer une collection de maîtres espagnols, il devient, à la mort de Suvée,
directeur de l'Académie de France à Rome, poste qu'il occupe de 1807 à 1817. En
1819, il est nommé professeur de l'École des beaux-arts et, en 1825, membre de
l'Institut.
Les dessins
Le Louvre ne possédait jusqu'alors aucun dessin de Lethière. Ceux qui
viennent d'être acquis attestent la lente et même difficile élaboration d'une de ses
œuvres majeures. Non seulement ils montrent les changements apportés par l'artiste
dans l'organisation de sa composition et dans les attitudes des principaux
personnages, mais leur style est extrêmement varié, même si la recherche du
contour prédomine d'une feuille à l'autre. Très marqué par le retour à l'antique et le
culte du « beau idéal », Lethière apparaît ainsi touché par un certain préromantisme,
principalement sensible dans l'expressivité des regards.
Parmi les douze dessins, il y a quatre études d'ensemble (RF 52607, RF
52608, RF 52609 et RF 52610). Si l'idée générale d'une composition en frise,
comportant de nombreux personnages et un cadre architectural imposant (idée qui
n'est pas sans rappeler le tableau de même sujet de Vincenzo Camuccini, 1793, à
Naples, Museo di Capodimonte), semble avoir été arrêtée très vite (RF 52607),
Lethière, suivant en cela le modèle davidien, discipline sa mise en scène en
cherchant une répartition plus rythmée des groupes de figures. À cet égard, la
modification la plus sensible concerne le groupe de Virginie, relégué vers l'extrême
droite (RF 52608). On note aussi que le principal protagoniste de la scène, Virginius,
est peu à peu ramené vers le milieu et souligne ainsi l'axe dramatique de la
composition (RF 52609 et RF 52610). Finalement, l'artiste a apporté une ultime
variante sur sa toile, en déplaçant de la gauche vers le centre le groupe d'Appius
Claudius et des patriciens, et en dressant debout, sur l'estrade, la figure massive
d'Appius Claudius jusque-là assis, la main crispée sur son fauteuil.
Sept dessins se rapportent au groupe de Virginie expirante, soutenue par un
homme et par une femme (RF 52611, RF 52612, RF 52613, RF 52614, RF 52615,
RF 52616 et RF 52617). Parmi ceux-ci, quatre feuilles illustrent une étape
intermédiaire des recherches de Lethière quant à l'attitude même de Virginie, dont la
tête est inclinée sur l'épaule droite. Dans le tableau, sa tête repose en effet sur
l'épaule gauche. L'étude comparative de ces quatre dessins montre que l'artiste avait
poussé très loin sa réflexion avant de changer d'avis. Un dessin (RF 52613) exécuté
au crayon noir estompé et repris au crayon graphite, avec quelques rehauts de
sanguine et de craie blanche, constitue en effet une proposition très aboutie pour la
figure de Virginie, la tête penchée sur l'épaule droite, tournée vers la femme voilée
qui la soutient.
Dans ce lot, une grande feuille s'avère particulièrement significative puisqu'elle
comporte trois études montrant Virginie une fois avec la tête penchée à droite et
deux fois avec la tête renversée sur l'épaule gauche (RF 52615). La comparaison de
cette feuille avec les deux dernières du lot et avec le tableau montre comment
Lethière est parvenu à une pose presque frontale, librement inspirée des bas-reliefs
antiques.
Le dernier dessin (RF 52618) est une académie d'homme, pour la figure du
père de Virginie, pratiquement sans changements par rapport à l'attitude définitive.
Texte d'Arlette Sérullaz