Pour quelques poignées de Mamie Julien Weber
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Pour quelques poignées de Mamie Julien Weber
Pour quelques poignées de Mamie Julien Weber En plein après-midi, sous le dernier baroud d’honneur d’un soleil de fin septembre, une vieille mamie promène son petit-fils au milieu des foules du dimanche. Tous deux marchent très calmement sur les pavés, en cadence, au rythme de la vieille qui prend bien soin d’épargner l’os de sa hanche déjà bien rogné par les mâchoires du temps. Pour le passer, justement, ce temps d’une étonnante relativité selon l’âge et les jours de la semaine, la grand-mère tente d’intéresser le petit garçon aux activités locales jetant des coups d’œil faussement intrigués aux caricatures de peintres qu‘elle connait par cœur ou sur les cartes postales des devantures de magasins. L’astre solaire brille de mille feux, cela ne va pas durer ! Les citadins le savent, tout du moins ils le pressentent et profitent donc des dernières bouffées de chaleur en se massant sur les terrasses des cafés. Chacun voudrait figer l’instant, le garder pour lui, surtout ne pas penser aux affres du lendemain, ces lundi matins embouteillés, repeints aux couleurs de grisailles et de turbins… Hélas, le temps est une machine dont les suppliques de l’oisiveté n’atteignent en rien des engrenages si bien huilés. w w w. m o n s i e u r j u l i e n . c o m Au bras de mamie pourtant, la cadence est lente, galérien. Chaque effort est pesé, calculé, chaque risque maîtrisé. C’est un réel supplice pour de jeunes jambes d’enfants que d’être obligée d’attendre ainsi, devoir tempérer cette fougue et ce chahut qui rêvent de se déchaîner. Le petit garçon trépigne, gigote, fait la moue, tente de libérer sa main de l’étau ridé. Il tire de toutes ses forces mais mamie ne cède pas, elle le gronde, le menace de le priver de glace ou de rebrousser chemin. « La privation, ça c’est vraiment le trucs des grands ! » Se dit-il à lui-même. Ils pensent nous faire peur en nous menaçant mais finalement ce sont eux qu’ils punissent. Il aurait bien voulu voir la tête de mamie s’ils avaient dû rentrer maintenant et passer le reste de l’après-midi ensoleillé, vissé dans le minuscule appartement. Soudain, n’y tenant plus, le marmot prend son courage à deux main et aux prix d’un ultime effort, réussi à se délier de la main sa grand-mère. Il court enfin, sans nulle autre raison que le simple plaisir de se défouler quelques instants, goûter au doux parfum de liberté et d’indépendance, comme un oisillon qui déplierait ses ailes pour la première fois. Ses yeux se plissent de bonheur, il laisse libre-cours à la fantaisie de ses cris de joies. w w w. m o n s i e u r j u l i e n . c o m Mamie, avec la grâce du pachyderme s’est lancée à la poursuite du fugitif. Elle vocifère, se frayant un chemin à coup de sac entre les passants, priant le ciel pour qu’aucune voiture ne vienne précipitamment freiner la course de son petit-fils. Elle l’appelle « petit garnement » , «brigand », « attends voir si je t’attrape », elle peste sur la lourdeur de ses articulations rouillés qui lui rappellent que tout ceci n’est plus de son âge. Soudain le gamin s’arrête net, coincé tout seul, pris au pièges entre une façade d’immeuble et un enchevêtrement de tables, de chaises et de clients des cafés qui se disputent pignon sur rue. Il n’ose se retourner car il sait déjà que sa grand-mère se dresse derrière lui, tel un vieux gorille dont il ne faut surtout pas croiser le regard. Pourtant, l’affrontement est désormais inéluctable ! Que faire ? Attendre que la main ridée l’attrape par l’épaule et lui fasse endurer une séance de critiques ? Ou se retourner, digne et faire face ? Il ne s’agit pas d’un western, pourtant cet après-midi là sur la butte on pourrait apercevoir des bottes de foin rouler dans la rue déserte, abandonnée au duel entre un petit-fils et sa grandmère. « Pour quelques poignées de Mamies », ça aurait pu en être le titre ! w w w. m o n s i e u r j u l i e n . c o m Un souffle d’harmonica, une porte de saloon qui grince, un dernier instant de calme et en un éclair, tout s’accélère. Mamie se penche pour empoigner le bras du fugitif qui esquive l’attaque d’un remarquable contre-pied. Elle est totalement déstabilisée et manque de tomber pendant que son adversaire s’échappe, majestueusement. Vaincue, humiliée, elle se redresse pourtant, se retourne et reste digne face au petit garçon qui manifeste la joie de sa victoire en tournant comme un fou autour d’elle. Il crie, rit aux éclats, rabroue la vieille avec toute l’insolence de sa jeunesse. Mamie fronce les sourcils, se renfrogne, manifeste contrariété et énervement… elle en colère… mais pas tant que ça ! La voilà qui craque, qui se met à rire en regardant tendrement son petit-fils, avec tout l’amour et l’indulgence d’une gentille grand-mère, prête à tout pardonner pourvu que cet après-midi dure encore une éternité. Elle se penche vers lui, lui ouvre ses bras et tous deux fondent de bonheur le temps d’un câlin. Ils sont heureux. FIN. w w w. m o n s i e u r j u l i e n . c o m