Accès au don du sang des hommes ayant des relations sexuelles

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Accès au don du sang des hommes ayant des relations sexuelles
Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157
État de l’art
Accès au don du sang des hommes ayant des relations sexuelles avec des
hommes et impact sur le risque de transmission du VIH par transfusion :
tour d’horizon international
Access to blood donation of men who have sex with men and impact on the risk of HIV transmission
by transfusion: International overview
J. Pillonel ∗ , C. Semaille
Institut de veille sanitaire, 12, rue du Val d’Osne, 94115 Saint-Maurice cedex, France
Disponible sur Internet le 12 mars 2011
Résumé
Dès 1983, dans de nombreux pays, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ont été exclus du don de sang de façon permanente
car étant à haut risque d’infection par le VIH. Depuis la mise en place en 1985 du dépistage du VIH sur les dons de sang, des progrès considérables
ont été réalisés en sécurité virale des produits sanguins grâce à l’amélioration de la sélection des donneurs et au développement d’outils de dépistage
performant incluant le dépistage génomique viral. Malgré ces améliorations et la forte pression de certaines associations de la société civile, seuls
quelques pays ont limité la durée d’exclusion des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Les études d’impact d’une modification
de la mesure d’exclusion sur le risque VIH ont montré que la réduction de la durée d’exclusion engendre un risque supplémentaire. Certes, ce
risque est très faible, mais est-il acceptable de faire courir un risque additionnel même infinitésimal aux receveurs de produits sanguins ? Ces études
ne prennent, cependant, pas en compte un paramètre important qui est l’amélioration possible de la compliance des hommes ayant des relations
sexuelles avec des hommes avec une exclusion temporaire. Les études les plus récentes s’accordent pour conclure qu’une alternative à l’exclusion
permanente pourrait consister à autoriser le don des hommes abstinents au cours des 12 derniers mois, comme l’ont déjà fait quelques pays. Cette
mesure permettrait de couvrir largement la fenêtre silencieuse pour les hommes ayant récemment pris des risques ou pour ceux dont les partenaires
auraient pris des risques, sous la condition essentielle d’une amélioration de la compliance des donneurs.
© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Homme ayant des relations sexuelles avec des hommes ; Critère d’exclusion ; Don de sang ; Risque VIH ; International
Abstract
As far back as 1983, in many countries, men who have sex with men were permanently excluded from blood donation because of their high risk
of HIV infection. Since the implementation of HIV screening of blood donations in 1985, there has been a remarkable improvement in the viral
safety of the blood supply due to improvements in donor selection and continuous progress in screening assays, including nucleic acid amplification
testing. Despite, these improvements and the strong pressure of certain associations of the civil society, only few countries reduced the deferral
duration for men who have sex with men. Studies that have assessed the impact of a modification of the permanent deferral measure on the HIV
residual risk showed that a reduction in the deferral duration generates an additional risk. Even if this risk is tiny, is it acceptable to expose the
blood product recipients to an additional risk? Nevertheless, these studies do not take into account an important parameter that is the probable
better compliance of men who have sex with men with a temporary exclusion. The most recent studies agree to conclude that an alternative to the
permanent exclusion of all men who have sex with men could consist in authorizing the donation from 12-month abstinent men who have sex with
men, as some countries did already. This measure would allow covering widely the window period for the men having recently taken risks or for
those whose partners would have taken risks, under the essential condition of an improvement of the donor compliance.
© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Men who have sex with men; Deferral criteria; Blood donation; HIV risk; International
∗
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (J. Pillonel).
1246-7820/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.tracli.2011.02.002
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J. Pillonel, C. Semaille / Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157
1. Introduction
Dès mars 1983 aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) avait déclaré que certains individus avaient un risque
élevé de syndrome d’immunodépression acquise (sida) et qu’ils
devaient être exclus du don de sang. Ces individus étaient « les
homosexuels ou bisexuels actifs avec des partenaires multiples »
et « les partenaires sexuels des personnes ayant un risque élevé
de sida ». En 1992, la FDA publia une révision des recommandations en élargissant la population exclue. Étaient dorénavant
exclus tous « les hommes ayant eu au moins une fois des relations
sexuelles avec un autre homme depuis 1977 ».
En France, le 20 juin 1983, une circulaire relative à « la prévention de l’éventuelle transmission du sida par la transfusion
sanguine » recommandait aux établissements de transfusion sanguine d’écarter du don du sang les personnes appartenant aux
populations à risque vis-à-vis du virus du sida, populations
qui incluaient les homosexuels. À partir du 1er aout 1985, le
dépistage du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est
devenu obligatoire sur chaque don de sang, mais la circulaire du
20 octobre 1985 instituant ce dépistage rappelait que celui-ci ne
devait « en aucune façon se substituer aux mesures d’exclusion
du don qui restent en vigueur ». Depuis 1983, les hommes ayant
des relations sexuelles avec des hommes (HSH) doivent donc
être systématiquement exclus du don de sang en France.
Depuis cette époque, dans les pays à hauts revenus, des
progrès considérables ont été réalisés dans le développement
d’outils de dépistage toujours plus sensibles et plus innovants
avec notamment la mise en œuvre, dès la fin des années 1990, du
dépistage génomique viral du VIH-1 et du virus de l’hépatite C
(VHC). Grâce à ces progrès biologiques et à l’amélioration constante de la sélection des donneurs, les produits sanguins labiles
présentent aujourd’hui un risque viral très faible dans l’ensemble
de ces pays. Cependant, il persiste un risque transfusionnel de
transmission virale principalement lié aux dons prélevés pendant
la fenêtre silencieuse qui précède l’apparition des marqueurs
biologiques de l’infection lors de la phase précoce de l’infection.
C’est la raison pour laquelle, la sélection des donneurs reste toujours une étape importante pour la sécurité virale des produits
sanguins labiles.
Dans le contexte de cette réduction du risque VIH, plusieurs
associations de lutte contre le sida et contre l’homophobie ont,
dans beaucoup de pays, demandé d’autoriser le don de sang aux
HSH, considérant que leur exclusion du don était devenue une
« mesure discriminatoire » à leur encontre. En effet, l’exclusion
du don de sang des HSH est le plus souvent permanente alors
que pour les hétérosexuels à risque, l’exclusion est temporaire
variant de quatre à 12 mois selon les pays. En réponse, depuis une
dizaine d’années, plusieurs pays ont essayé de mesurer l’impact
d’une modification de la mesure d’exclusion permanente des
HSH vers une exclusion temporaire sur le risque de transmettre
le VIH par transfusion.
Aujourd’hui, ce sujet reste toujours très controversé et peu
de pays ont assoupli leurs mesures de sélection par rapport aux
HSH. Cet article présente un bilan de ces mesures dans les principaux pays pour lesquels l’information est disponible au regard
de leur situation épidémiologique vis-à-vis du VIH et donne
ensuite quelques exemples de controverses dans certains pays
d’Amérique du Nord et d’Europe. Il fait ensuite une synthèse
des analyses de risque VIH lié à une modification de la mesure
d’exclusion permanente des HSH.
2. Accès au don du sang des hommes ayant des relations
sexuelles avec des hommes dans le monde
Actuellement, la plupart des pays continuent à exclure de
façon permanente les HSH (Tableau 1).
En Europe, parmi les pays pour lesquels l’information est
disponible, seuls l’Italie et l’Espagne n’excluent pas les HSH
de façon permanente. Pour ces deux pays, il n’existe pas de critère d’exclusion spécifique aux HSH : le multipartenariat ou un
changement de partenaire sont considérés comme des comportements à risque, quelle que soit l’orientation sexuelle. La période
d’exclusion est de quatre mois après l’arrêt de ce comportement
à risque pour l’Italie et d’au moins six mois pour l’Espagne
(Enquête de l’European Center for Disease Control 2008 –
Françoise Hamers, communication personnelle). Pour l’Italie,
ces critères basés sur les comportements à risque sont appliqués
depuis 2001 alors que l’Espagne les utilise depuis toujours. La
différence d’attitude dans la sélection des donneurs de ces deux
pays ne s’explique pas par une épidémiologie du VIH particulièrement favorable par rapport aux autres pays européens.
En effet, la prévalence du VIH, en population générale, y est
plus élevée et la proportion d’HSH parmi les nouveaux diagnostics d’infection VIH comparable (Tableau 1). Ces deux pays
ont les taux de dons VIH positifs les plus élevés d’Europe de
l’Ouest (3,8 pour 10 000 dons en Italie et 6,0 pour 10 000 dons en
Espagne, en 2006) [1]. Des données non publiées issues d’une
étude faite dans les centres de transfusion de Lombardie n’ont
pas montré d’augmentation significative de la prévalence du VIH
parmi les dons de sang issus d’HSH avant et après 2001. Cependant, ces résultats doivent être vérifiés dans d’autres régions
d’Italie [1].
En Amérique du Nord, le Canada et les États-Unis continuent à exclure de façon permanente les HSH, alors qu’en
Amérique du Sud, l’Argentine et le Brésil ne les excluent que
pendant une période de 12 mois après le dernier rapport sexuel
avec un autre homme. Ces quatre pays ont des prévalences du
VIH comparables (Tableau 1) avec, cependant, une proportion
d’homosexuels parmi les nouveaux diagnostics d’infection VIH
plus faible au Brésil.
En Océanie, avec une prévalence d’environ 0,1 %, l’Australie
et la Nouvelle Zélande sont des pays peu touchés par le VIH,
mais les nouveaux diagnostics d’infection VIH sont majoritairement observés chez les HSH (Tableau 1). En Australie jusque
dans le milieu des années 1990, chaque état avait sa propre
politique concernant la sélection des donneurs, allant d’une
exclusion de cinq années à une exclusion permanente. Entre
1996 et 2000, tous les états ont progressivement changé pour une
exclusion de 12 mois. Une récente étude a montré que le taux
de dons VIH positifs n’avait pas été modifié par ce changement
de politique [2]. En Nouvelle-Zélande, depuis 1999, la période
d’exclusion pour les HSH était de dix ans, mais cette période
a été ramenée à cinq ans suite à un rapport de 2008 du New
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Tableau 1
Prévalence du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), proportion d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) parmi les nouveaux
diagnostics d’infection VIH et critère de sélection des donneurs de sang dans les pays pour lesquels l’information est disponible.
Principaux pays pour lesquels
l’information sur les critères de
sélection des donneurs est disponible
Prévalence du VIH
estimée en 2009a (%)
Proportion d’HSH
parmi les nouveaux
diagnostics VIH
déclarés en 2008b (%)
Critère d’exclusion des
donneurs HSHc
0,1
0,2
0,2
0,4
0,1
0,4
0,1
< 0,1
0,2
0,2
0,3
0,3
0,1
0,2
0,6
0,2
0,1
0,4
65
45
49
48
39
36
67
83
31
32
35
37
31
70
20
38
31
47
Permanent
Permanent
Permanent
Pas d’exclusion spécifique
Permanent
Permanent
Permanent
Permanent
Permanent
Permanent
Pas d’exclusion spécifique
Permanent
Permanent
Permanent
Permanent
Permanent
Permanent
Permanent
0,3
37
États-Unis
0,6
54
Argentine
Brésil
0,5
0,3−0,6
36
20
Permanent (HSH depuis
1977)
Permanent (HSH depuis
1977)
1 an
1 an
0,1
0,1
66
59
1 an
5 ans
Asie
Hong Kong
Japon
Singapour
< 0,1
< 0,1
0,1
∼40
∼50
41
Afrique
Afrique du Sud
17,8
Europe de l’Ouest
Allemagne
Belgique
Danemark
Espagne
Finlande
France
Grèce
Hongrie
Irlande
Israël
Italie
Luxembourg
Norvège
Pays-Bas
Portugal
Royaume-Uni
Suède
Suisse
Amérique
Canada
Océanie
Australie
Nouvelle Zélande
a
b
c
d
Faibled
Permanent
1 an
Permanent
6 mois
Données issues du rapport Unaids 2010 [17].
Données issues de l’ECDC [18], ou directement à partir des systèmes de surveillance du pays.
Données issues d’une enquête faite par l’ECDC, en 2008, auprès des pays européens ou d’articles publiés.
Les modes principaux de contamination par le VIH sont la transmission hétérosexuelle et la transmission mère-enfant.
Zealand Blood Service montrant par modélisation l’absence
d’augmentation de risque liée à ce raccourcissement [3].
En Asie, dans les trois pays pour lesquels les critères de
sélection des donneurs sont connus, la situation épidémiologique
vis-à-vis du VIH est tout à fait comparable avec une prévalence
faible et une proportion d’homosexuels parmi les nouveaux diagnostics d’infection VIH compris entre 40 et 50 % (Tableau 1).
Seul le Japon permet aux HSH abstinents sur les 12 derniers
mois de donner leur sang, Hong Kong et Singapour les excluant
définitivement.
Enfin, en Afrique du Sud, pays pour lequel la prévalence
du VIH est très élevée, mais où la population homosexuelle
est relativement peu concernée contrairement à la population
hétérosexuelle, la période d’exclusion est de six mois.
Globalement, l’accès au don du sang des HSH n’est pas
corrélé à l’épidémiologie du VIH en population générale et,
notamment, à la proportion d’HSH parmi les nouveaux diagnostics d’infection VIH.
3. La controverse face aux mesures d’exclusion du don
de sang des homosexuels
Aux États-Unis et au Canada, mais aussi en France et dans
d’autres pays européens, la controverse est vive depuis plusieurs années entre les autorités ou personnes compétentes en
transfusion sanguine, les autorités sanitaires et la société civile.
Aux États-Unis, plusieurs boycotts de collectes de sang se
sont produits depuis le début des années 2000 dans des cam-
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pus américains pour protester contre la politique d’exclusion du
don des HSH. L’American Association of Blood Banks (AABB)
avait proposé, dès 1997, que les hommes ne soient exclus que
12 mois après un dernier rapport sexuel avec un homme [4].
Par la suite, en 2006, l’AABB, l’American Red Cross (ARC) et
l’America’s Blood Centers (ABC) ont conjointement proposé à
la FDA de modifier la durée d’exclusion des HSH pour la réduire
à un an [5]. Leurs principaux arguments étaient l’augmentation
extrêmement faible du risque liée à cette modification (partie 4)
et la cohérence avec la durée d’exclusion pour les hétérosexuels
à risque. Cette proposition n’a pas été retenue pour la principale raison qu’aucun risque additionnel n’était acceptable. En
août 2009, l’assemblée de Californie a voté une résolution de
non-discrimination vis-à-vis des donneurs de sang homosexuels.
De même en 2010, le conseil de la ville de New York et celui
de la ville de Washington ont chacun lancé un appel à la FDA
afin d’abolir l’exclusion des HSH du don de sang. En juin 2010,
alors que le comité consultatif américain sur la sécurité transfusionnelle se réunissait afin de reconsidérer l’interdiction de la
FDA, un groupe de bloggeurs créait un « blog swarm » invitant
les internautes à adresser une lettre publique pour demander à
ce comité de revoir l’interdiction. Le comité s’est, néanmoins,
opposé à la levée de l’interdiction. Enfin, une pétition pour
la levée de l’interdiction, en ligne depuis septembre 2010, a
recueilli, fin janvier 2011, plus de 2000 signatures [6].
Au Canada, où plusieurs boycotts de collectes de sang se sont
également produits sur certains campus, les chercheurs Mark
Wainberg et Noël Gilmore de l’université McGill à Montréal
se sont exprimés dans les médias, à l’occasion de la sortie en
2010 de leur article plaidant pour un changement dans la politique de sélection des donneurs de sang [7]. Ils considèrent que
cette mesure d’exclusion permanente était tout à fait justifiée
sur les plans scientifique et éthique dans les années 1980–1990,
mais qu’elle n’a plus sa place en 2010. Ils estiment que le
moment est venu d’accepter les dons des hommes homosexuels
qui vivent une relation monogame et stable à long terme. Ils
pensent, toutefois, que l’interdiction doit être maintenue pour
ceux qui ont de multiples partenaires sexuels et rappellent qu’au
Canada les hétérosexuels qui ont plusieurs partenaires ne sont
écartés que pour une année. En septembre 2010, la cour supérieure de l’Ontario a condamné un homme ayant des relations
sexuelles avec des hommes qui avait été poursuivi par la Canadian Blood Services pour avoir caché son orientation sexuelle
en remplissant le questionnaire prédon. Il a contre-attaqué, affirmant que la politique d’exclusion était en violation de la Charte
canadienne des droits et libertés. Il a perdu et a été condamné
à payer 10 000 dollars à la Canadian Blood Services pour faux
documents. Suite à cette décision, la coalition des organismes
communautaires québécois de lutte contre le sida (Cocq-sida) a
réaffirmé sa position selon laquelle « toute décision portant sur
l’exclusion de donneurs potentiels de sang doit être basée sur la
science et non pas sur les préjugés ou la peur ».
Au niveau de l’Union européenne, la directive 2004/33/EC
prévoit que « les sujets dont le comportement sexuel les expose
à un risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves
qui peuvent être transmises par le sang » doivent être exclus de
façon permanente. Cette définition n’étant pas très spécifique,
elle laisse une assez grande liberté d’interprétation aux pays
membres de l’Union européenne. Par exemple, la France par
l’arrêté du 12 janvier 2009, a transposé cette recommandation de
manière plus explicite en contre-indiquant de façon permanente
les « hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme ».
En 2005, un rapport de l’European Blood Alliance conclut
que la politique d’exclusion permanente des HSH doit être
maintenue, compte tenu notamment d’une augmentation de
l’incidence des nouveaux diagnostics d’infection VIH et
d’autres infections sexuellement transmissibles pour cette population dans plusieurs pays européens.
Malgré ce contexte épidémiologique peu favorable, la polémique enfle en France : en 2006, plusieurs associations de lutte
contre le sida, l’association SOS homophobie relayées par certains hommes politiques ont demandé au ministre chargé de la
Santé d’autoriser le don du sang aux homosexuels. S’appuyant
sur la position du Comité consultatif national d’éthique, le
ministre souhaitait que ne soient plus évoqués les « groupes à
risque » mais les « pratiques à risque ». Après une expertise basée
principalement sur des données épidémiologiques qui montraient que les HSH étaient beaucoup plus touchés par le VIH que
la population hétérosexuelle, l’arrêté du 12 janvier 2009 fixant
les critères de sélection des donneurs de sang maintient leur
exclusion. Cela illustre la complexité de la prise de décision par
rapport à cette question. Les réactions ont alors été vives dans
les médias français.
Le parlement finlandais a lancé une investigation, en 2006, sur
la possible inconstitutionnalité de l’interdiction faite aux HSH
de donner leur sang. La conclusion rendue en 2008 stipulait
que l’interdiction n’était pas illégale en Finlande car basée
sur « des informations épidémiologiques convenablement analysées » et faisait référence à un comportement sexuel plutôt
qu’à l’orientation sexuelle.
Enfin au Danemark, alors qu’une discussion sur la levée de
l’exclusion pour les HSH était en cours, la survenue d’un cas
d’infection VIH chez une petite fille ayant reçu du sang d’un
donneur régulier bisexuel, dont la bisexualité avait été cachée
au moment de l’entretien prédon, a clos le débat.
4. Impact d’un changement de mesure d’exclusion
vis-à-vis des hommes ayant des relations sexuelles avec
des hommes par rapport au risque transfusionnel VIH
Pour notamment répondre à ces nombreuses polémiques et
aider à la prise de décision, plusieurs études ont essayé de
mesurer l’impact d’une modification de la mesure d’exclusion
permanente des HSH vers une exclusion temporaire sur le risque
de transmettre le VIH par transfusion.
La première étude publiée est celle de Germain et al., en
2003 [4]. Elle avait pour objectif d’estimer, d’une part, le risque
d’accepter les HSH abstinents sur les 12 derniers mois aux ÉtatsUnis et au Canada et, d’autre part, le bénéfice en termes de dons
supplémentaires collectés. Ce risque–bénéfice a été comparé à
celui d’accepter les femmes ayant des relations sexuelles avec
des hommes ayant des pratiques homosexuelles. Les auteurs ont
estimé à un don contaminé par le VIH pour 136 000 dons provenant d’HSH, ce qui représentait une augmentation totale du
J. Pillonel, C. Semaille / Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157
risque VIH de 8 % (un don additionnel infecté pour 11 millions
de dons) pour un apport supplémentaire en dons de 1,3 %.
Accepter toutes les femmes ayant eu des relations sexuelles
avec des HSH augmenterait le risque de un don contaminé pour
734 000 dons provenant de ces femmes pour un apport supplémentaire de dons de 0,52 %. Le ratio risque–bénéfice d’accepter
les femmes partenaires d’HSH s’est avéré cinq fois plus faible.
Soldan et Sinka, dans un article publié également en 2003,
montrent qu’en Angleterre, le risque d’accepter les HSH abstinents sur les 12 derniers mois augmenterait le risque VIH de
0,45 à 0,75 don infecté par an, soit une augmentation de 60 %.
Le risque d’accepter tous les HSH représenterait une augmentation de 500 % (2,5 dons infectés par an) avec seulement une
augmentation de 2 % du nombre de dons [8].
Dans son article de 2004 intitulé « Les droits des receveurs
devraient l’emporter sur toutes les revendications des donneurs
de sang », Brooks a fait une synthèse des deux articles précédents
en concluant que le risque augmente alors que le nombre de dons
supplémentaires récupérés reste faible [9]. Il préconise donc de
s’intéresser davantage à la « pertinence » du donneur plutôt qu’à
ses désirs.
En utilisant des données du Retrovirus Epidemiology Donor
Study, Sanchez et al. ont réalisé une enquête anonyme par courrier auprès d’un échantillon de 25 000 donneurs juste après qu’ils
aient donné leur sang [10]. Cette étude, publiée en 2005, a montré
qu’aux États-Unis, 2,4 % des hommes donnant leur sang étaient
des HSH et que la prévalence des dons dépistés positifs pour les
virus transmissibles par transfusion, chez les hommes ayant eu
des relations sexuelles avec d’autres hommes au cours de cinq
dernières années était significativement plus élevée que chez les
donneurs non homosexuels. Cependant, comme ces donneurs
actifs sur les cinq dernières années ne représentent que 0,6 % de
la totalité dans donneurs masculins, l’impact sur le risque global
est faible. La différence de prévalence n’était pas significative
pour les hommes ayant des pratiques homosexuelles au-delà
de cinq ans. Cette étude met aussi en évidence le problème de
compliance à la mesure d’exclusion des donneurs homosexuels :
la proportion d’HSH chez les donneurs de sang est, certes, inférieure à celle de 5,2 % estimée dans la population masculine
américaine, mais elle n’en reste pas moins importante [11]. En
conclusion, les auteurs préconisaient de continuer à exclure les
hommes ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes
au cours des cinq dernières années. Pour les donneurs avec une
histoire ancienne de sexe avec des hommes, les conclusions de
l’étude étaient plus équivoques.
Dans une étude publiée en 2008, Leiss et al. ont évalué, au
Canada, différentes alternatives d’exclusion des HSH (dix, cinq,
un an d’exclusion et pas d’exclusion) au regard des principes de
la gestion des risques en y incluant des considérations éthiques
[12]. L’ouverture aux HSH abstinents sur les 12 derniers mois
augmente le risque de transmettre une infection par transfusion, ce qui n’est donc pas éthique et donc pas acceptable. En
revanche, l’ouverture aux HSH abstinents cinq ou dix ans ne
semble pas augmenter ce risque mais l’incertitude importante
autour des estimations rend les conclusions difficiles. Les risques
devenant de plus en plus faibles, une augmentation de risque
est de plus en plus difficile à mettre en évidence et les auteurs
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concluent par cette phrase : « Nous ne devrions pas essayer d’être
plus précis que les données disponibles ne nous permettent de
l’être ».
Plus récemment, Anderson et al. ont estimé aux États-Unis à
0,5 % l’augmentation du risque VIH si les donneurs masculins
ayant des pratiques homosexuelles avec des hommes abstinents
sur les cinq dernières années étaient acceptés au don du sang
(0,03 don additionnel infecté par le VIH par an) et à 3 % si les
donneurs abstinents sur les 12 derniers mois étaient acceptés
(0,18 cas additionnel par an) [13]. Ces estimations sont environ
dix fois plus faibles que celles qui avaient été faites aux ÉtatsUnis dix ans avant et le risque semble maintenant moindre que
celui lié aux plaquettes réalisées en pools de quatre à six donneurs [14]. Anderson et al. ont également estimé le risque lié
à l’infection par le VHB et l’impact d’une modification de la
politique d’exclusion des HSH est encore plus faible que pour
le VIH [13].
En France, une analyse de l’impact des HSH qui donnent leur
sang sur le risque résiduel de transmission du VIH par transfusion a été présentée au dernier congrès de l’International Society
of Blood Transfusion, en juin 2010 à Berlin et à la conférence
mondiale du sida, en juillet 2010 à Vienne [15]. Le risque global
de transmission du VIH par transfusion sanguine en France a
été estimé sur la période 2006–2008 à un don sur 2 440 000, ce
qui correspond à environ un don potentiellement contaminant
par an. La première partie de l’analyse de risque a consisté à
mesurer la part de ce risque résiduel attribuable aux HSH. Au
cours de ces trois années, 31 séroconversions VIH se sont produites chez des donneurs de sang réguliers dont il s’est avéré
au cours de l’interrogatoire post-don que 15 étaient des HSH.
Cela correspond à une incidence du VIH chez les HSH qui
donnent leur sang malgré la mesure d’exclusion actuelle, entre
45 fois et 120 fois plus élevée que celle observée chez les autres
donneurs. La seconde partie de l’analyse de risque était une
évaluation de l’impact d’une mesure consistant à n’exclure que
les hommes ayant des pratiques homosexuelles multipartenaires
sur les 12 derniers mois, mesure proche de celle utilisée pour
les hétérosexuels multipartenaires (exclusion de quatre mois).
Cette analyse a estimé que la modification de la mesure actuelle
(contre-indication systématique pour tous les HSH), pourrait
aboutir à un risque allant d’un don sur 3 000 000 (proche du
risque actuel) à un don sur 670 000 (risque 3,6 fois plus élevé que
le risque actuel) selon le scenario utilisé. Cette analyse de risque
montre que la levée de l’exclusion du don de sang des hommes
ayant des pratiques homosexuelles non multipartenaires pourrait
induire une augmentation du risque résiduel transfusionnel du
VIH. Cependant, cette analyse quantitative ne tient pas compte,
d’un éventuel changement de comportement des HSH face à une
modification des critères de sélection et nécessite donc d’être
complétée par une analyse qualitative.
Il ressort de la plupart de ces analyses que la réduction de
la durée d’exclusion engendre un risque supplémentaire. Les
études les plus anciennes montrent que cet impact était relativement élevé alors que les plus récentes, tendent vers un risque
additionnel plus faible, compte tenu notamment du niveau de
risque VIH devenu très faible. La comparaison de ces analyses
de risque reste, cependant, délicate car les méthodes utilisées ne
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J. Pillonel, C. Semaille / Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157
sont pas les mêmes et les critères étudiés pas toujours identiques. Par exemple, en France, le critère analysé était une
exclusion des seuls hommes ayant des relations sexuelles multipartenaires avec des hommes sur les 12 derniers mois, alors que
dans les autres études, il s’agissait d’une exclusion de tous les
hommes ayant eu des relations sexuelles avec un homme sur une
période de temps (un, cinq et dix ans). De plus, ces analyses de
risque sont vulnérables car reposant sur de nombreuses hypothèses rendant les intervalles de confiance relativement larges.
Enfin, un point important est qu’aucune de ces études n’a pu
inclure dans son modèle un paramètre de compliance des donneurs pour évaluer l’impact d’un changement des mesures de
sélection sur cette compliance. Dans l’étude de Sanchez et al.
aux États-Unis, 2,4 % des hommes donnant leur sang étaient
des HSH, alors qu’ils sont théoriquement exclus du don [10].
En France, il s’avère que presque la moitié des donneurs trouvés VIH positifs ont été contaminés par des rapports sexuels
entre hommes alors qu’ils sont, en principe, exclus à vie [15].
Cette proportion est la même que celle observée en population générale parmi les nouvelles infections à VIH en France
[16]. Ce constat, en France comme aux États-Unis, témoigne
des limites de la mesure d’exclusion permanente. Il est possible
que l’interdiction permanente, vécue par certains HSH comme
une discrimination, engendre un détournement de la mesure. La
levée de l’exclusion permanente pourrait être perçue comme une
responsabilisation et favoriser une meilleure auto-exclusion des
HSH à risque d’infection VIH, changement de comportement
qui est malheureusement difficilement modélisable. Toutefois,
d’autres motifs sont peut-être à l’origine de la non révélation de
l’orientation sexuelle des HSH lors de l’entretien prédon (personnes recherchant un test notamment), ce qui montre toute la
difficulté d’estimer le réel impact qu’aurait la levée de la mesure
d’exclusion permanente.
Malgré les limites de ces études, la plupart des experts
s’accordent aujourd’hui pour conclure qu’une alternative à
l’exclusion systématique de tous les hommes ayant eu au cours
de la vie des relations sexuelles avec des hommes pourrait
consister à n’exclure que ceux ayant eu des relations sexuelles
avec des hommes au cours des 12 derniers mois, comme l’ont fait
déjà quelques pays. Cette mesure permettrait, en effet, de couvrir
largement la fenêtre silencieuse du VIH (estimée aujourd’hui à
dix jours en moyenne avec le dépistage génomique viral) pour les
hommes ayant récemment pris des risques ou pour ceux dont le
(ou les) partenaire(s) a (ont) pris ou pu prendre des risques. Afin
que cette alternative puisse assurer un niveau de sécurité optimal, il est, cependant, indispensable qu’elle soit bien acceptée
et respectée par les HSH. Pour cela, elle devrait être accompagnée d’une campagne d’information ciblée sur la responsabilité
du donneur en rappelant que donner son sang n’est pas un droit
comme le souligne la résolution CM/Res(2008)5 du conseil de
l’Europe.
5. Conclusion
Les HSH sont généralement exclus du don de sang car
considérés comme étant à haut risque d’infection par le VIH,
virus qui est transmissible par transfusion. Malgré l’amélioration
des techniques de dépistage qui ont considérablement réduit le
risque de transmission du VIH par transfusion, peu de pays ont
limité la durée d’exclusion des HSH du don de sang, exclusion
qui reste donc permanente dans la majorité des pays. Dans les
principaux pays pour lesquels l’information sur l’exclusion des
HSH du don de sang est disponible, il apparaît que l’accès au
don du sang de ces hommes n’est pas corrélé à l’épidémiologie
du VIH en population générale de ces pays.
Plusieurs études ont essayé de mesurer l’impact d’une modification de la mesure d’exclusion permanente des HSH vers une
exclusion temporaire sur le risque de transmission du VIH par
transfusion. Il ressort de la plupart de ces analyses que la réduction de la durée d’exclusion engendre un risque supplémentaire
variable selon les études. Certes, les études les plus récentes
montrent que ce risque est très faible, mais est-il acceptable
de faire courir un risque additionnel même infinitésimal aux
receveurs de produits sanguins ? Il apparaît ainsi qu’au-delà des
données épidémiologiques et des analyses de risque, d’autres
considérations notamment d’ordre éthiques doivent être prises
en compte, avec en premier lieu l’intérêt du receveur.
D’un autre côté, certaines études montrent que la mesure
actuelle d’exclusion permanente est détournée et qu’elle
présente donc des limites [10,15]. Mieux comprendre les motivations des donneurs qui détournent la mesure (discrimination,
dénie de l’homosexualité, volonté de se faire tester dans un cadre
neutre, méconnaissance des risques de transmission du VIH. . .)
permettrait probablement de mieux adapter cette politique à la
réalité des comportements des donneurs.
Conflit d’intérêt
Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêt en lien avec l’article
TRACLI 2565.
Remerciements
Les auteurs remercient Christine Saura, responsable du
département des maladies infectieuses à l’InVS et Gilles Follea, directeur de l’European Blood Alliance, pour leur relecture
attentive et leurs remarques constructives.
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