Accès au don du sang des hommes ayant des relations sexuelles
Transcription
Accès au don du sang des hommes ayant des relations sexuelles
Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157 État de l’art Accès au don du sang des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et impact sur le risque de transmission du VIH par transfusion : tour d’horizon international Access to blood donation of men who have sex with men and impact on the risk of HIV transmission by transfusion: International overview J. Pillonel ∗ , C. Semaille Institut de veille sanitaire, 12, rue du Val d’Osne, 94115 Saint-Maurice cedex, France Disponible sur Internet le 12 mars 2011 Résumé Dès 1983, dans de nombreux pays, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ont été exclus du don de sang de façon permanente car étant à haut risque d’infection par le VIH. Depuis la mise en place en 1985 du dépistage du VIH sur les dons de sang, des progrès considérables ont été réalisés en sécurité virale des produits sanguins grâce à l’amélioration de la sélection des donneurs et au développement d’outils de dépistage performant incluant le dépistage génomique viral. Malgré ces améliorations et la forte pression de certaines associations de la société civile, seuls quelques pays ont limité la durée d’exclusion des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Les études d’impact d’une modification de la mesure d’exclusion sur le risque VIH ont montré que la réduction de la durée d’exclusion engendre un risque supplémentaire. Certes, ce risque est très faible, mais est-il acceptable de faire courir un risque additionnel même infinitésimal aux receveurs de produits sanguins ? Ces études ne prennent, cependant, pas en compte un paramètre important qui est l’amélioration possible de la compliance des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes avec une exclusion temporaire. Les études les plus récentes s’accordent pour conclure qu’une alternative à l’exclusion permanente pourrait consister à autoriser le don des hommes abstinents au cours des 12 derniers mois, comme l’ont déjà fait quelques pays. Cette mesure permettrait de couvrir largement la fenêtre silencieuse pour les hommes ayant récemment pris des risques ou pour ceux dont les partenaires auraient pris des risques, sous la condition essentielle d’une amélioration de la compliance des donneurs. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Homme ayant des relations sexuelles avec des hommes ; Critère d’exclusion ; Don de sang ; Risque VIH ; International Abstract As far back as 1983, in many countries, men who have sex with men were permanently excluded from blood donation because of their high risk of HIV infection. Since the implementation of HIV screening of blood donations in 1985, there has been a remarkable improvement in the viral safety of the blood supply due to improvements in donor selection and continuous progress in screening assays, including nucleic acid amplification testing. Despite, these improvements and the strong pressure of certain associations of the civil society, only few countries reduced the deferral duration for men who have sex with men. Studies that have assessed the impact of a modification of the permanent deferral measure on the HIV residual risk showed that a reduction in the deferral duration generates an additional risk. Even if this risk is tiny, is it acceptable to expose the blood product recipients to an additional risk? Nevertheless, these studies do not take into account an important parameter that is the probable better compliance of men who have sex with men with a temporary exclusion. The most recent studies agree to conclude that an alternative to the permanent exclusion of all men who have sex with men could consist in authorizing the donation from 12-month abstinent men who have sex with men, as some countries did already. This measure would allow covering widely the window period for the men having recently taken risks or for those whose partners would have taken risks, under the essential condition of an improvement of the donor compliance. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Men who have sex with men; Deferral criteria; Blood donation; HIV risk; International ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Pillonel). 1246-7820/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.tracli.2011.02.002 152 J. Pillonel, C. Semaille / Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157 1. Introduction Dès mars 1983 aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) avait déclaré que certains individus avaient un risque élevé de syndrome d’immunodépression acquise (sida) et qu’ils devaient être exclus du don de sang. Ces individus étaient « les homosexuels ou bisexuels actifs avec des partenaires multiples » et « les partenaires sexuels des personnes ayant un risque élevé de sida ». En 1992, la FDA publia une révision des recommandations en élargissant la population exclue. Étaient dorénavant exclus tous « les hommes ayant eu au moins une fois des relations sexuelles avec un autre homme depuis 1977 ». En France, le 20 juin 1983, une circulaire relative à « la prévention de l’éventuelle transmission du sida par la transfusion sanguine » recommandait aux établissements de transfusion sanguine d’écarter du don du sang les personnes appartenant aux populations à risque vis-à-vis du virus du sida, populations qui incluaient les homosexuels. À partir du 1er aout 1985, le dépistage du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est devenu obligatoire sur chaque don de sang, mais la circulaire du 20 octobre 1985 instituant ce dépistage rappelait que celui-ci ne devait « en aucune façon se substituer aux mesures d’exclusion du don qui restent en vigueur ». Depuis 1983, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) doivent donc être systématiquement exclus du don de sang en France. Depuis cette époque, dans les pays à hauts revenus, des progrès considérables ont été réalisés dans le développement d’outils de dépistage toujours plus sensibles et plus innovants avec notamment la mise en œuvre, dès la fin des années 1990, du dépistage génomique viral du VIH-1 et du virus de l’hépatite C (VHC). Grâce à ces progrès biologiques et à l’amélioration constante de la sélection des donneurs, les produits sanguins labiles présentent aujourd’hui un risque viral très faible dans l’ensemble de ces pays. Cependant, il persiste un risque transfusionnel de transmission virale principalement lié aux dons prélevés pendant la fenêtre silencieuse qui précède l’apparition des marqueurs biologiques de l’infection lors de la phase précoce de l’infection. C’est la raison pour laquelle, la sélection des donneurs reste toujours une étape importante pour la sécurité virale des produits sanguins labiles. Dans le contexte de cette réduction du risque VIH, plusieurs associations de lutte contre le sida et contre l’homophobie ont, dans beaucoup de pays, demandé d’autoriser le don de sang aux HSH, considérant que leur exclusion du don était devenue une « mesure discriminatoire » à leur encontre. En effet, l’exclusion du don de sang des HSH est le plus souvent permanente alors que pour les hétérosexuels à risque, l’exclusion est temporaire variant de quatre à 12 mois selon les pays. En réponse, depuis une dizaine d’années, plusieurs pays ont essayé de mesurer l’impact d’une modification de la mesure d’exclusion permanente des HSH vers une exclusion temporaire sur le risque de transmettre le VIH par transfusion. Aujourd’hui, ce sujet reste toujours très controversé et peu de pays ont assoupli leurs mesures de sélection par rapport aux HSH. Cet article présente un bilan de ces mesures dans les principaux pays pour lesquels l’information est disponible au regard de leur situation épidémiologique vis-à-vis du VIH et donne ensuite quelques exemples de controverses dans certains pays d’Amérique du Nord et d’Europe. Il fait ensuite une synthèse des analyses de risque VIH lié à une modification de la mesure d’exclusion permanente des HSH. 2. Accès au don du sang des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes dans le monde Actuellement, la plupart des pays continuent à exclure de façon permanente les HSH (Tableau 1). En Europe, parmi les pays pour lesquels l’information est disponible, seuls l’Italie et l’Espagne n’excluent pas les HSH de façon permanente. Pour ces deux pays, il n’existe pas de critère d’exclusion spécifique aux HSH : le multipartenariat ou un changement de partenaire sont considérés comme des comportements à risque, quelle que soit l’orientation sexuelle. La période d’exclusion est de quatre mois après l’arrêt de ce comportement à risque pour l’Italie et d’au moins six mois pour l’Espagne (Enquête de l’European Center for Disease Control 2008 – Françoise Hamers, communication personnelle). Pour l’Italie, ces critères basés sur les comportements à risque sont appliqués depuis 2001 alors que l’Espagne les utilise depuis toujours. La différence d’attitude dans la sélection des donneurs de ces deux pays ne s’explique pas par une épidémiologie du VIH particulièrement favorable par rapport aux autres pays européens. En effet, la prévalence du VIH, en population générale, y est plus élevée et la proportion d’HSH parmi les nouveaux diagnostics d’infection VIH comparable (Tableau 1). Ces deux pays ont les taux de dons VIH positifs les plus élevés d’Europe de l’Ouest (3,8 pour 10 000 dons en Italie et 6,0 pour 10 000 dons en Espagne, en 2006) [1]. Des données non publiées issues d’une étude faite dans les centres de transfusion de Lombardie n’ont pas montré d’augmentation significative de la prévalence du VIH parmi les dons de sang issus d’HSH avant et après 2001. Cependant, ces résultats doivent être vérifiés dans d’autres régions d’Italie [1]. En Amérique du Nord, le Canada et les États-Unis continuent à exclure de façon permanente les HSH, alors qu’en Amérique du Sud, l’Argentine et le Brésil ne les excluent que pendant une période de 12 mois après le dernier rapport sexuel avec un autre homme. Ces quatre pays ont des prévalences du VIH comparables (Tableau 1) avec, cependant, une proportion d’homosexuels parmi les nouveaux diagnostics d’infection VIH plus faible au Brésil. En Océanie, avec une prévalence d’environ 0,1 %, l’Australie et la Nouvelle Zélande sont des pays peu touchés par le VIH, mais les nouveaux diagnostics d’infection VIH sont majoritairement observés chez les HSH (Tableau 1). En Australie jusque dans le milieu des années 1990, chaque état avait sa propre politique concernant la sélection des donneurs, allant d’une exclusion de cinq années à une exclusion permanente. Entre 1996 et 2000, tous les états ont progressivement changé pour une exclusion de 12 mois. Une récente étude a montré que le taux de dons VIH positifs n’avait pas été modifié par ce changement de politique [2]. En Nouvelle-Zélande, depuis 1999, la période d’exclusion pour les HSH était de dix ans, mais cette période a été ramenée à cinq ans suite à un rapport de 2008 du New J. Pillonel, C. Semaille / Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157 153 Tableau 1 Prévalence du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), proportion d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) parmi les nouveaux diagnostics d’infection VIH et critère de sélection des donneurs de sang dans les pays pour lesquels l’information est disponible. Principaux pays pour lesquels l’information sur les critères de sélection des donneurs est disponible Prévalence du VIH estimée en 2009a (%) Proportion d’HSH parmi les nouveaux diagnostics VIH déclarés en 2008b (%) Critère d’exclusion des donneurs HSHc 0,1 0,2 0,2 0,4 0,1 0,4 0,1 < 0,1 0,2 0,2 0,3 0,3 0,1 0,2 0,6 0,2 0,1 0,4 65 45 49 48 39 36 67 83 31 32 35 37 31 70 20 38 31 47 Permanent Permanent Permanent Pas d’exclusion spécifique Permanent Permanent Permanent Permanent Permanent Permanent Pas d’exclusion spécifique Permanent Permanent Permanent Permanent Permanent Permanent Permanent 0,3 37 États-Unis 0,6 54 Argentine Brésil 0,5 0,3−0,6 36 20 Permanent (HSH depuis 1977) Permanent (HSH depuis 1977) 1 an 1 an 0,1 0,1 66 59 1 an 5 ans Asie Hong Kong Japon Singapour < 0,1 < 0,1 0,1 ∼40 ∼50 41 Afrique Afrique du Sud 17,8 Europe de l’Ouest Allemagne Belgique Danemark Espagne Finlande France Grèce Hongrie Irlande Israël Italie Luxembourg Norvège Pays-Bas Portugal Royaume-Uni Suède Suisse Amérique Canada Océanie Australie Nouvelle Zélande a b c d Faibled Permanent 1 an Permanent 6 mois Données issues du rapport Unaids 2010 [17]. Données issues de l’ECDC [18], ou directement à partir des systèmes de surveillance du pays. Données issues d’une enquête faite par l’ECDC, en 2008, auprès des pays européens ou d’articles publiés. Les modes principaux de contamination par le VIH sont la transmission hétérosexuelle et la transmission mère-enfant. Zealand Blood Service montrant par modélisation l’absence d’augmentation de risque liée à ce raccourcissement [3]. En Asie, dans les trois pays pour lesquels les critères de sélection des donneurs sont connus, la situation épidémiologique vis-à-vis du VIH est tout à fait comparable avec une prévalence faible et une proportion d’homosexuels parmi les nouveaux diagnostics d’infection VIH compris entre 40 et 50 % (Tableau 1). Seul le Japon permet aux HSH abstinents sur les 12 derniers mois de donner leur sang, Hong Kong et Singapour les excluant définitivement. Enfin, en Afrique du Sud, pays pour lequel la prévalence du VIH est très élevée, mais où la population homosexuelle est relativement peu concernée contrairement à la population hétérosexuelle, la période d’exclusion est de six mois. Globalement, l’accès au don du sang des HSH n’est pas corrélé à l’épidémiologie du VIH en population générale et, notamment, à la proportion d’HSH parmi les nouveaux diagnostics d’infection VIH. 3. La controverse face aux mesures d’exclusion du don de sang des homosexuels Aux États-Unis et au Canada, mais aussi en France et dans d’autres pays européens, la controverse est vive depuis plusieurs années entre les autorités ou personnes compétentes en transfusion sanguine, les autorités sanitaires et la société civile. Aux États-Unis, plusieurs boycotts de collectes de sang se sont produits depuis le début des années 2000 dans des cam- 154 J. Pillonel, C. Semaille / Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157 pus américains pour protester contre la politique d’exclusion du don des HSH. L’American Association of Blood Banks (AABB) avait proposé, dès 1997, que les hommes ne soient exclus que 12 mois après un dernier rapport sexuel avec un homme [4]. Par la suite, en 2006, l’AABB, l’American Red Cross (ARC) et l’America’s Blood Centers (ABC) ont conjointement proposé à la FDA de modifier la durée d’exclusion des HSH pour la réduire à un an [5]. Leurs principaux arguments étaient l’augmentation extrêmement faible du risque liée à cette modification (partie 4) et la cohérence avec la durée d’exclusion pour les hétérosexuels à risque. Cette proposition n’a pas été retenue pour la principale raison qu’aucun risque additionnel n’était acceptable. En août 2009, l’assemblée de Californie a voté une résolution de non-discrimination vis-à-vis des donneurs de sang homosexuels. De même en 2010, le conseil de la ville de New York et celui de la ville de Washington ont chacun lancé un appel à la FDA afin d’abolir l’exclusion des HSH du don de sang. En juin 2010, alors que le comité consultatif américain sur la sécurité transfusionnelle se réunissait afin de reconsidérer l’interdiction de la FDA, un groupe de bloggeurs créait un « blog swarm » invitant les internautes à adresser une lettre publique pour demander à ce comité de revoir l’interdiction. Le comité s’est, néanmoins, opposé à la levée de l’interdiction. Enfin, une pétition pour la levée de l’interdiction, en ligne depuis septembre 2010, a recueilli, fin janvier 2011, plus de 2000 signatures [6]. Au Canada, où plusieurs boycotts de collectes de sang se sont également produits sur certains campus, les chercheurs Mark Wainberg et Noël Gilmore de l’université McGill à Montréal se sont exprimés dans les médias, à l’occasion de la sortie en 2010 de leur article plaidant pour un changement dans la politique de sélection des donneurs de sang [7]. Ils considèrent que cette mesure d’exclusion permanente était tout à fait justifiée sur les plans scientifique et éthique dans les années 1980–1990, mais qu’elle n’a plus sa place en 2010. Ils estiment que le moment est venu d’accepter les dons des hommes homosexuels qui vivent une relation monogame et stable à long terme. Ils pensent, toutefois, que l’interdiction doit être maintenue pour ceux qui ont de multiples partenaires sexuels et rappellent qu’au Canada les hétérosexuels qui ont plusieurs partenaires ne sont écartés que pour une année. En septembre 2010, la cour supérieure de l’Ontario a condamné un homme ayant des relations sexuelles avec des hommes qui avait été poursuivi par la Canadian Blood Services pour avoir caché son orientation sexuelle en remplissant le questionnaire prédon. Il a contre-attaqué, affirmant que la politique d’exclusion était en violation de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a perdu et a été condamné à payer 10 000 dollars à la Canadian Blood Services pour faux documents. Suite à cette décision, la coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (Cocq-sida) a réaffirmé sa position selon laquelle « toute décision portant sur l’exclusion de donneurs potentiels de sang doit être basée sur la science et non pas sur les préjugés ou la peur ». Au niveau de l’Union européenne, la directive 2004/33/EC prévoit que « les sujets dont le comportement sexuel les expose à un risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves qui peuvent être transmises par le sang » doivent être exclus de façon permanente. Cette définition n’étant pas très spécifique, elle laisse une assez grande liberté d’interprétation aux pays membres de l’Union européenne. Par exemple, la France par l’arrêté du 12 janvier 2009, a transposé cette recommandation de manière plus explicite en contre-indiquant de façon permanente les « hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme ». En 2005, un rapport de l’European Blood Alliance conclut que la politique d’exclusion permanente des HSH doit être maintenue, compte tenu notamment d’une augmentation de l’incidence des nouveaux diagnostics d’infection VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles pour cette population dans plusieurs pays européens. Malgré ce contexte épidémiologique peu favorable, la polémique enfle en France : en 2006, plusieurs associations de lutte contre le sida, l’association SOS homophobie relayées par certains hommes politiques ont demandé au ministre chargé de la Santé d’autoriser le don du sang aux homosexuels. S’appuyant sur la position du Comité consultatif national d’éthique, le ministre souhaitait que ne soient plus évoqués les « groupes à risque » mais les « pratiques à risque ». Après une expertise basée principalement sur des données épidémiologiques qui montraient que les HSH étaient beaucoup plus touchés par le VIH que la population hétérosexuelle, l’arrêté du 12 janvier 2009 fixant les critères de sélection des donneurs de sang maintient leur exclusion. Cela illustre la complexité de la prise de décision par rapport à cette question. Les réactions ont alors été vives dans les médias français. Le parlement finlandais a lancé une investigation, en 2006, sur la possible inconstitutionnalité de l’interdiction faite aux HSH de donner leur sang. La conclusion rendue en 2008 stipulait que l’interdiction n’était pas illégale en Finlande car basée sur « des informations épidémiologiques convenablement analysées » et faisait référence à un comportement sexuel plutôt qu’à l’orientation sexuelle. Enfin au Danemark, alors qu’une discussion sur la levée de l’exclusion pour les HSH était en cours, la survenue d’un cas d’infection VIH chez une petite fille ayant reçu du sang d’un donneur régulier bisexuel, dont la bisexualité avait été cachée au moment de l’entretien prédon, a clos le débat. 4. Impact d’un changement de mesure d’exclusion vis-à-vis des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes par rapport au risque transfusionnel VIH Pour notamment répondre à ces nombreuses polémiques et aider à la prise de décision, plusieurs études ont essayé de mesurer l’impact d’une modification de la mesure d’exclusion permanente des HSH vers une exclusion temporaire sur le risque de transmettre le VIH par transfusion. La première étude publiée est celle de Germain et al., en 2003 [4]. Elle avait pour objectif d’estimer, d’une part, le risque d’accepter les HSH abstinents sur les 12 derniers mois aux ÉtatsUnis et au Canada et, d’autre part, le bénéfice en termes de dons supplémentaires collectés. Ce risque–bénéfice a été comparé à celui d’accepter les femmes ayant des relations sexuelles avec des hommes ayant des pratiques homosexuelles. Les auteurs ont estimé à un don contaminé par le VIH pour 136 000 dons provenant d’HSH, ce qui représentait une augmentation totale du J. Pillonel, C. Semaille / Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157 risque VIH de 8 % (un don additionnel infecté pour 11 millions de dons) pour un apport supplémentaire en dons de 1,3 %. Accepter toutes les femmes ayant eu des relations sexuelles avec des HSH augmenterait le risque de un don contaminé pour 734 000 dons provenant de ces femmes pour un apport supplémentaire de dons de 0,52 %. Le ratio risque–bénéfice d’accepter les femmes partenaires d’HSH s’est avéré cinq fois plus faible. Soldan et Sinka, dans un article publié également en 2003, montrent qu’en Angleterre, le risque d’accepter les HSH abstinents sur les 12 derniers mois augmenterait le risque VIH de 0,45 à 0,75 don infecté par an, soit une augmentation de 60 %. Le risque d’accepter tous les HSH représenterait une augmentation de 500 % (2,5 dons infectés par an) avec seulement une augmentation de 2 % du nombre de dons [8]. Dans son article de 2004 intitulé « Les droits des receveurs devraient l’emporter sur toutes les revendications des donneurs de sang », Brooks a fait une synthèse des deux articles précédents en concluant que le risque augmente alors que le nombre de dons supplémentaires récupérés reste faible [9]. Il préconise donc de s’intéresser davantage à la « pertinence » du donneur plutôt qu’à ses désirs. En utilisant des données du Retrovirus Epidemiology Donor Study, Sanchez et al. ont réalisé une enquête anonyme par courrier auprès d’un échantillon de 25 000 donneurs juste après qu’ils aient donné leur sang [10]. Cette étude, publiée en 2005, a montré qu’aux États-Unis, 2,4 % des hommes donnant leur sang étaient des HSH et que la prévalence des dons dépistés positifs pour les virus transmissibles par transfusion, chez les hommes ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes au cours de cinq dernières années était significativement plus élevée que chez les donneurs non homosexuels. Cependant, comme ces donneurs actifs sur les cinq dernières années ne représentent que 0,6 % de la totalité dans donneurs masculins, l’impact sur le risque global est faible. La différence de prévalence n’était pas significative pour les hommes ayant des pratiques homosexuelles au-delà de cinq ans. Cette étude met aussi en évidence le problème de compliance à la mesure d’exclusion des donneurs homosexuels : la proportion d’HSH chez les donneurs de sang est, certes, inférieure à celle de 5,2 % estimée dans la population masculine américaine, mais elle n’en reste pas moins importante [11]. En conclusion, les auteurs préconisaient de continuer à exclure les hommes ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes au cours des cinq dernières années. Pour les donneurs avec une histoire ancienne de sexe avec des hommes, les conclusions de l’étude étaient plus équivoques. Dans une étude publiée en 2008, Leiss et al. ont évalué, au Canada, différentes alternatives d’exclusion des HSH (dix, cinq, un an d’exclusion et pas d’exclusion) au regard des principes de la gestion des risques en y incluant des considérations éthiques [12]. L’ouverture aux HSH abstinents sur les 12 derniers mois augmente le risque de transmettre une infection par transfusion, ce qui n’est donc pas éthique et donc pas acceptable. En revanche, l’ouverture aux HSH abstinents cinq ou dix ans ne semble pas augmenter ce risque mais l’incertitude importante autour des estimations rend les conclusions difficiles. Les risques devenant de plus en plus faibles, une augmentation de risque est de plus en plus difficile à mettre en évidence et les auteurs 155 concluent par cette phrase : « Nous ne devrions pas essayer d’être plus précis que les données disponibles ne nous permettent de l’être ». Plus récemment, Anderson et al. ont estimé aux États-Unis à 0,5 % l’augmentation du risque VIH si les donneurs masculins ayant des pratiques homosexuelles avec des hommes abstinents sur les cinq dernières années étaient acceptés au don du sang (0,03 don additionnel infecté par le VIH par an) et à 3 % si les donneurs abstinents sur les 12 derniers mois étaient acceptés (0,18 cas additionnel par an) [13]. Ces estimations sont environ dix fois plus faibles que celles qui avaient été faites aux ÉtatsUnis dix ans avant et le risque semble maintenant moindre que celui lié aux plaquettes réalisées en pools de quatre à six donneurs [14]. Anderson et al. ont également estimé le risque lié à l’infection par le VHB et l’impact d’une modification de la politique d’exclusion des HSH est encore plus faible que pour le VIH [13]. En France, une analyse de l’impact des HSH qui donnent leur sang sur le risque résiduel de transmission du VIH par transfusion a été présentée au dernier congrès de l’International Society of Blood Transfusion, en juin 2010 à Berlin et à la conférence mondiale du sida, en juillet 2010 à Vienne [15]. Le risque global de transmission du VIH par transfusion sanguine en France a été estimé sur la période 2006–2008 à un don sur 2 440 000, ce qui correspond à environ un don potentiellement contaminant par an. La première partie de l’analyse de risque a consisté à mesurer la part de ce risque résiduel attribuable aux HSH. Au cours de ces trois années, 31 séroconversions VIH se sont produites chez des donneurs de sang réguliers dont il s’est avéré au cours de l’interrogatoire post-don que 15 étaient des HSH. Cela correspond à une incidence du VIH chez les HSH qui donnent leur sang malgré la mesure d’exclusion actuelle, entre 45 fois et 120 fois plus élevée que celle observée chez les autres donneurs. La seconde partie de l’analyse de risque était une évaluation de l’impact d’une mesure consistant à n’exclure que les hommes ayant des pratiques homosexuelles multipartenaires sur les 12 derniers mois, mesure proche de celle utilisée pour les hétérosexuels multipartenaires (exclusion de quatre mois). Cette analyse a estimé que la modification de la mesure actuelle (contre-indication systématique pour tous les HSH), pourrait aboutir à un risque allant d’un don sur 3 000 000 (proche du risque actuel) à un don sur 670 000 (risque 3,6 fois plus élevé que le risque actuel) selon le scenario utilisé. Cette analyse de risque montre que la levée de l’exclusion du don de sang des hommes ayant des pratiques homosexuelles non multipartenaires pourrait induire une augmentation du risque résiduel transfusionnel du VIH. Cependant, cette analyse quantitative ne tient pas compte, d’un éventuel changement de comportement des HSH face à une modification des critères de sélection et nécessite donc d’être complétée par une analyse qualitative. Il ressort de la plupart de ces analyses que la réduction de la durée d’exclusion engendre un risque supplémentaire. Les études les plus anciennes montrent que cet impact était relativement élevé alors que les plus récentes, tendent vers un risque additionnel plus faible, compte tenu notamment du niveau de risque VIH devenu très faible. La comparaison de ces analyses de risque reste, cependant, délicate car les méthodes utilisées ne 156 J. Pillonel, C. Semaille / Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157 sont pas les mêmes et les critères étudiés pas toujours identiques. Par exemple, en France, le critère analysé était une exclusion des seuls hommes ayant des relations sexuelles multipartenaires avec des hommes sur les 12 derniers mois, alors que dans les autres études, il s’agissait d’une exclusion de tous les hommes ayant eu des relations sexuelles avec un homme sur une période de temps (un, cinq et dix ans). De plus, ces analyses de risque sont vulnérables car reposant sur de nombreuses hypothèses rendant les intervalles de confiance relativement larges. Enfin, un point important est qu’aucune de ces études n’a pu inclure dans son modèle un paramètre de compliance des donneurs pour évaluer l’impact d’un changement des mesures de sélection sur cette compliance. Dans l’étude de Sanchez et al. aux États-Unis, 2,4 % des hommes donnant leur sang étaient des HSH, alors qu’ils sont théoriquement exclus du don [10]. En France, il s’avère que presque la moitié des donneurs trouvés VIH positifs ont été contaminés par des rapports sexuels entre hommes alors qu’ils sont, en principe, exclus à vie [15]. Cette proportion est la même que celle observée en population générale parmi les nouvelles infections à VIH en France [16]. Ce constat, en France comme aux États-Unis, témoigne des limites de la mesure d’exclusion permanente. Il est possible que l’interdiction permanente, vécue par certains HSH comme une discrimination, engendre un détournement de la mesure. La levée de l’exclusion permanente pourrait être perçue comme une responsabilisation et favoriser une meilleure auto-exclusion des HSH à risque d’infection VIH, changement de comportement qui est malheureusement difficilement modélisable. Toutefois, d’autres motifs sont peut-être à l’origine de la non révélation de l’orientation sexuelle des HSH lors de l’entretien prédon (personnes recherchant un test notamment), ce qui montre toute la difficulté d’estimer le réel impact qu’aurait la levée de la mesure d’exclusion permanente. Malgré les limites de ces études, la plupart des experts s’accordent aujourd’hui pour conclure qu’une alternative à l’exclusion systématique de tous les hommes ayant eu au cours de la vie des relations sexuelles avec des hommes pourrait consister à n’exclure que ceux ayant eu des relations sexuelles avec des hommes au cours des 12 derniers mois, comme l’ont fait déjà quelques pays. Cette mesure permettrait, en effet, de couvrir largement la fenêtre silencieuse du VIH (estimée aujourd’hui à dix jours en moyenne avec le dépistage génomique viral) pour les hommes ayant récemment pris des risques ou pour ceux dont le (ou les) partenaire(s) a (ont) pris ou pu prendre des risques. Afin que cette alternative puisse assurer un niveau de sécurité optimal, il est, cependant, indispensable qu’elle soit bien acceptée et respectée par les HSH. Pour cela, elle devrait être accompagnée d’une campagne d’information ciblée sur la responsabilité du donneur en rappelant que donner son sang n’est pas un droit comme le souligne la résolution CM/Res(2008)5 du conseil de l’Europe. 5. Conclusion Les HSH sont généralement exclus du don de sang car considérés comme étant à haut risque d’infection par le VIH, virus qui est transmissible par transfusion. Malgré l’amélioration des techniques de dépistage qui ont considérablement réduit le risque de transmission du VIH par transfusion, peu de pays ont limité la durée d’exclusion des HSH du don de sang, exclusion qui reste donc permanente dans la majorité des pays. Dans les principaux pays pour lesquels l’information sur l’exclusion des HSH du don de sang est disponible, il apparaît que l’accès au don du sang de ces hommes n’est pas corrélé à l’épidémiologie du VIH en population générale de ces pays. Plusieurs études ont essayé de mesurer l’impact d’une modification de la mesure d’exclusion permanente des HSH vers une exclusion temporaire sur le risque de transmission du VIH par transfusion. Il ressort de la plupart de ces analyses que la réduction de la durée d’exclusion engendre un risque supplémentaire variable selon les études. Certes, les études les plus récentes montrent que ce risque est très faible, mais est-il acceptable de faire courir un risque additionnel même infinitésimal aux receveurs de produits sanguins ? Il apparaît ainsi qu’au-delà des données épidémiologiques et des analyses de risque, d’autres considérations notamment d’ordre éthiques doivent être prises en compte, avec en premier lieu l’intérêt du receveur. D’un autre côté, certaines études montrent que la mesure actuelle d’exclusion permanente est détournée et qu’elle présente donc des limites [10,15]. Mieux comprendre les motivations des donneurs qui détournent la mesure (discrimination, dénie de l’homosexualité, volonté de se faire tester dans un cadre neutre, méconnaissance des risques de transmission du VIH. . .) permettrait probablement de mieux adapter cette politique à la réalité des comportements des donneurs. Conflit d’intérêt Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêt en lien avec l’article TRACLI 2565. Remerciements Les auteurs remercient Christine Saura, responsable du département des maladies infectieuses à l’InVS et Gilles Follea, directeur de l’European Blood Alliance, pour leur relecture attentive et leurs remarques constructives. Références [1] Suligoi B, Raimondo M, Regine V, Salfa MC, Camoni L. Epidemiology of human immunodeficiency virus infection in blood donations in Europe and Italy. Blood Transfus 2010;8:178–85. [2] Seed CR, Kiely P, Law M, Keller AJ. No evidence of a significantly increased risk of transfusion-transmitted human immunodeficiency virus infection in Australia subsequent to implementing a 12-month deferral for men who have had sex with men. Transfusion 2010;50:2722–30. [3] Behavioural donor deferral criteria review. Final Report to the New Zealand Blood Service, 2008, 78 p. Disponible sur : http://www.nzblood. co.nz/site resources/library/News and Events/Behavioural Donor Deferral Criteria Review Final Report.pdf. [4] Germain M, Remis RS, Delage G. The risks and benefits of accepting men who have had sex with men as blood donors. Transfusion 2003;43:25–33. [5] United States, Food and Drug Administration, Blood Products Advisory Committee: transcript, minutes of meeting, Bethesda, MD. http://www.fda.gov/ohrms/dockets/ac/06/transcripts/2006-4206t1.pdf. J. Pillonel, C. Semaille / Transfusion Clinique et Biologique 18 (2011) 151–157 [6] Save a life petition to repeal the FDA’s MSM blood ban [site Internet]. URL : http://www.change.org/petitions/save a life petition to repeal the fdas msm blood ban?nonprofit=savealifemovie. [7] Wainberg MA, Shuldiner T, Dahl K, Gilmore N. Reconsidering the lifetime deferral of blood donation by men who have sex with men. CMAJ 2010;182:1321–4. [8] Soldan K, Sinka K. Evaluation of the de-selection of men who have had sex with men from blood donation in England. Vox Sang 2003;84:265–73. [9] Brooks JP. The rights of blood recipients should supersede any asserted rights of blood donors. Vox Sang 2004;87:280–6. [10] Sanchez AM, Schreiber GB, Nass CC, Glynn S, Kessler D, Hirschler N, et al. The impact of male-to-male sexual experience on risk profiles of blood donors. Transfusion 2005;45:404–13. [11] Xu F, Sternberg MR, Markowitz LE. Men who have sex with men in the United States: demographic and behavioral characteristics and prevalence of HIV and HSV-2 infection: results from National Health and Nutrition Examination Survey 2001–2006. Sex Transm Dis 2010;37: 399–405. [12] Leiss W, Tyshenko M, Krewski D. Men having sex with men donor deferral risk assessment: an analysis using risk management principles. Transfus Med Rev 2008;22:35–57. 157 [13] Anderson SA, Yang H, Gallagher LM, O’Callaghan S, Forshee RA, Busch MP, et al. Quantitative estimate of the risks and benefits of possible alternative blood donor deferral strategies for men who have had sex with men. Transfusion 2009;49:1102–14. [14] Vamvakas EC. Relative risk of reducing the lifetime blood donation deferral for men who have had sex with men versus currently tolerated transfusion risks. Transfus Med Rev 2011;25:47–60. [15] Pillonel J, Bousquet V, Pelletier B, Semaille C, Velter A, Saura C, Desenclos JC, Danic B. Deferral from donating blood of men who have sex with men: impact on the risk of HIV transmission by transfusion. Vienne: XVIII International AIDS conference; 2010. Disponible sur : http://pag.aids2010.org/PDF/8268.pdf. [16] Le Vu S, Le Strat Y, Barin F, Pillonel J, Cazein F, Bousquet V, et al. Population-based HIV-1 incidence in France, 2003–2008: a modelling analysis. Lancet Infect Dis 2010;10:682–7. [17] Unaids report on the global AIDS epidemic 2010. Genève: Joint United Nations Programme on HIV/AIDS (UNAIDS); 2010. Disponible sur: http://www.unaids.org/documents/20101123 GlobalReport em.pdf. [18] European centre for disease prevention and control (ECDC) [site Internet]. Stockholm: ECDC; 2005–2011. Disponible sur : http://www.ecdc.europa. eu/en/activities/surveillance/Pages/Surveillance Tessy.aspx.