AUTORÉGULATION
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AUTORÉGULATION
LA RÉGULATION DES APPRENTISSAGES ET LA MOTIVATION SCOLAIRE Par : Dany Laveault, Faculté d’éducation, Université d’Ottawa Lorsque je pense à la régulation des apprentissages en milieu scolaire, les images qui me viennent spontanément à l’esprit sont des images de cirque. Je pense en particulier à deux numéros d’équilibre bien connus: la pyramide humaine et le numéro des assiettes que l’on fait pivoter sur des tiges. La pyramide humaine illustre bien comment un groupe d’invididus doit coordonner ses efforts pour maintenir l’équilibre de l’ensemble de la structure. Un faux pas, un fléchissement des genoux de l’un des athlètes à la base de la pyramide et le tout s’effondre. Mais l’exemple que je préfère est celui du jongleur qui fait pivoter un nombre sans cesse croissant d’assiettes sur des tiges. Il circule d’une tige à l’autre, surveillant chaque assiette, donnant à celle qui ne tourne pas assez rapidement l’impulsion nécessaire pour qu’elle continue à tournoyer. Une erreur d’inattention, trop d’impulsions à un endroit et pas assez à un autre, et voilà une assiette qui vascille et tombe. Les enseignants sont comme ce jongleur. Ils observent chaque élève, jugent de la condition de ses apprentissages, intervenant si nécessaire pour donner à celui-ci l’impulsion pour continuer, laissant les autres poursuivre leur « cycle » jusqu’à ce qu’une nouvelle impulsion devienne nécessaire. Le but de l’opération n’est pas de faire tourner les assiettes le plus rapidement possible, c’est de les faire tourner suffisamment pour qu’elles demeurent en équilibre et pour ne pas en casser une seule. L’artiste du cirque et l’enseignant ont ce point en commun : ils ont un plan de réussite! On retrouve dans ces deux exemples un certain nombre de constantes : ce sont des systèmes où une série de corrections sont nécessaires pour effectuer les ajustements requis afin de maintenir leur équilibre. Quand on observe de près la pyramide humaine, on est étonné de voir à quel point son équilibre dépend d’une foule de petits ajustements. L’équilibre de la pyramide n’est pas celui d’une statue : en effet, tous les athlètes qui font partie de la pyramide bougent légèrement. On voit ici une épaule qui s’élève, une jambe qui se tasse, un muscle du dos qui tressaille. Bref, à tout moment, on s’attendrait à voir l’ensemble s’écrouler. Mais ce qui, de l’extérieur, passe pour être de l’instabilité, est en fait un ensemble de régulations faites par chacun des membres de la pyramide pour assurer l’équilibre de l’ensemble. De même les questions de l’élève, ses erreurs, ses hésitations, ses reprises sont autant de manifestations non pas d’un dérèglement, mais d’un effort d’ajustement et de recherche d’équilibre. Vous avez sans doute deviné que j’ai choisi ces exemples pour illustrer le concept central de mon exposé : celui de régulation. Ces exemples comportent tous les éléments de la définition que Legendre (1993) donne de la régulation : Ensemble des fonctions et des actions dont le but est de maintenir l’équilibre d’un système complexe en dépit des interventions de son environnement, ou de modifier le système de façon à ce qu’il s’adapte aux conditions environnantes. 1 Cette définition comprend plusieurs mots-clés dont il importe de bien saisir le sens. On y retrouve les concepts d’équilibre, de système, d’environnement et d’adaptation. Nous entendons souvent parler de régulations sans nécessairement pouvoir faire correspondre ce concept à des exemples de la vie courante. Pourtant il est employé dans presque toutes les disciplines qui étudient des systèmes complexes : que ce soit l’administration, l’économie, la psychologie, la cybernétique et maintenant l’éducation. En éducation, le concept s’applique tant au niveau de l’administration scolaire, du développement du curriculum, de l’évaluation des apprentissages, de la pégagogie que de la didactique. Bref, comprendre et utiliser le concept de régulation dans le domaine de l’éducation se mériterait bien le titre de compétence transversale. Mais par où commencer? Exemples tirés de la vie quotidienne Dans la vie de tous les jours, lorsque nous sommes confrontés à la régulation, c’est souvent suite à une catastrophe (ou un déséquilibre). Votre lessiveuse inonde votre soussol pendant votre absence. Elle n’a cessé de se remplir et la cuve a débordé. Votre plancher est sous un centimètre d’eau et vous venez de prendre conscience d’une régulation qui ne s’est pas produite. Vous avez assumé jusque là que votre lessiveuse était un système autorégulé. Vous avez pris pour acquis qu’une fois pré-sélectionnés la température de l’eau, le cycle de lavage et le volume de la brassée, tout allait se dérouler comme d’habitude. Mais voilà, votre technicien en électro- ménager, sans avoir ouvert l’appareil, pose son diagnostic : il s’agit soit d’un problème de capteur, soit d’un problème de valve. Ou la lessiveuse n’a jamais reçu d’information quant au niveau de l’eau à cause d’une défectuosité du capteur, ou elle l’a reçue mais n’a pas été en mesure d’effectuer l’ajustement approprié, c’est-à-dire de fermer la valve d’alimentation en eau. Est-ce un problème de métacognition de votre lessiveuse ou un problème d’application de la procédure appropriée? Dans cet exemple, la catastrophe a été provoquée par une perte de contrôle suite à l’absence d’une régulation. La régulation consis tait à fermer l’alimentation en eau lorsqu’un certain niveau d’eau était atteint dans la cuve. Dans certains cas, une régulation consiste non pas à provoquer une action, mais à l’arrêter ou à la suspendre. Si la valve ne s’était jamais ouverte, vous n’auriez pas eu de dégât d’eau, mais votre linge serait demeuré sale. La régulation nécessaire pour empêcher la catatrophe était non pas le déclenchement, mais l’interruption de l’arrivée d’eau. En éducation, la régulation consiste parfois à faire blocage à d’anciennes habitudes ou à des représentations erronnées, pour qu’il y ait apprentissage. Il arrive aussi que nous ne soyions pas que les victimes innocentes des catastrophes. Nous provoquons, à l’occasion, la catastrophe en question. Voici un autre exemple de plomberie. Il s’agit de l’arrosage des pelouses durant la période estivale. Plusieurs d’entre nous possédons un système d’arrosage réglé par minuterie. Ainsi, à tous les deux jours, la minuterie ouvrira l’alimentation en eau du système d’arrosage pendant la période – dans 2 l’Outaouais de deux heures à quatre heures du matin – où le règlement municipal autorise l’arrosage automatique. Malheureusement, ce système automatique est loin d’être autorégulé. Vous vous en rendez compte lorsque, réveillé par la foudre à trois heures du matin, vous apercevez votre système d’arrosage en train d’inonder votre jardin en plein orage. Vous en concluez qu’un système de minuterie n’est pas très intelligent. Dans ce second exemple, l’absence de régulation n’est pas causée par une défaillance du système, mais plutôt par le fait que le système est trop simple, une autre façon de dire pas assez complexe ou intelligent. Arroser son gazon avec une minuterie automatique nécessite, en cas d’orage, que vous fermiez l’eau vous- mêmes, soit une intervention externe au système. Tout celà est bien ennuyeux et pour ceux qui l’ignorent, certaines minuteries peuvent être munies d’une sonde qui capte l’humidité du sol. Si le sol est déjà humide, voir inondé, la sonde enverra un signal à la minuterie empêchant l’ouverture de la valve. Vous aurez ainsi un système de régulation rétroactive (qui n’arrose pas si le sol est déjà humide) ou interactive (qui cesse l’arrosage lorsque le sol est assez humecté). Mais là encore, le système n’est pas parfait : si l’orage se déclare tout juste après la période d’arrosage, votre système aura arrosé pour rien. Il faudrait prévoir une régulation proactive en branchant votre minuterie sur le site Web d’une station météo. Malgré les limites de chacune des solutions que je viens d’évoquer pour l’arrosage de la pelouse, l’on sent bien qu’il y a une progression dans les modifications qu’il est possible d’apporter à un système pour qu’il s’adapte aux conditions environnantes. Entre se lever tous le deux jours pour démarrer manuellement le système d’arrosage, jusqu’au système entièrement autorégulé que je viens de décrire, il y a une progression qui rappelle le caractère progressif et continu de tout apprentissage. Dans bien des circonstances, nous saurons nous satisfaire d’un système partiel, en assumant que ce n’est qu’une étape dans l’élaboration d’un système encore plus complet. Le plus bel exemple du caractère progressif de l’élaboration d’un système nous est sans doute fourni par les efforts considérables que nous faisons, nous les Québécois, pour faire de nos demeures des zones habitables confortables durant l’hiver. Si l’on s’y arrête un moment, on s’aperçoit à quel point un système de climat- maison est constitué d’un ensemble de régulations internes et externes. Le chauffage d’une maison est une entreprise relativement simple, la rendre confortable lorsque les températures sont extrêmes est beaucoup plus complexe. Si vous avez un chauffage par plinthe électrique, possédant chacune un régulateur de temparature dans chaque pièce, vous n’êtes pas forcément dans ce que l’on peut appeler une « zone climatique autocontrôlée ». D’abord, votre système de chauffage n’est pas réversible : il ne peut que chauffer, pas refroidir. Baisser le thermostat en été n’aura pas pour conséquence de rafraîchir la pièce. Par contre, pour ce qui est d’augmenter la température au-dessus de 40 degrés, c’est toujours possible, même si ce n’est guère utile. Comme plusieurs proprétaires et locataires, nous cherchons à accroître le confort de notre habitation par des mesures ad hoc. En été, on installera un climatisateur dans une pièce : par exemple, dans la chambre à coucher pour passer une bonne nuit. En hiver, on 3 disposera des humidificateurs là où le besoin s’en fait sentir : rarement dans les salles de bain ou de lavage. Chacun de ces appareils dispose de son propre système de contrôle de température, d’humidité. Il vous faut dans chaque pièce faire les ajustements qui s’imposent. Avec trois humidificateurs, 10 régulateurs de température dans chaque pièce, vous avez donc plusieurs zones de confort à déterminer manuellement. Cet exemple n’est pas s’en rappeler celui du jongleur d’assiettes ou la situation de l’enseignant chargé d’intervenir pour ajuster l’activité d’apprentissage de l’élève afin de créer autant de « zones de confort» ou de développement proximal (Vygotsky). Dans certains cas, des régulations simples au niveau de l’environnement permettront de favoriser des apprentissages suffisants en utilisant un minimum de ressources : tout dépend des compétences à acquérir, mais aussi des ressources que nous sommes disposés à mobiliser pour y arriver. Parfois, il faut faire des régulations au niveau des individus. Entre alors en ligne de compte les différences individuelles. Dans une classe, tout comme dans une maison, les gens n’ont pas tous les mêmes besoins. La zone de « confort » n’est pas la même pour tous. Mais peu importe le système de chauffage à notre disposition, nous poursuivons les mêmes objectifs : (1) réduire l’écart qui nous sépare de la zone de confort; et (2) obtenir un confort maximum nécessitant le moins possible d’intervention de notre part. Le même objectif caractérise l’intervention de l’enseignant en salle de classe : réduire l’écart qui sépare le niveau actuel de l’élève du niveau suivant, afin d’obtenir un apprentissage maximum pour une intervention minimale de sa part. Lorsque nous atteignons ce double objectif, nous sommes en présence d’un apprentissage dit autorégulé. En comparant les trois exemples précédents de situations de régulation se produisant dans l’apprentissage, nous nous rendons compte que trois difficultés peuvent se présenter en rapport avec la régulation: (1) tout comme dans le cas de la lessiveuse, il peut y avoir perte ou absence de contrôle, que ce soit parce que l’élève ne perçoive pas le problème – ce que nous appelerions une difficulté d’attention ou de surveillance métacognitive – ou qu’il ne dispose pas de la procédure pour effectuer la bonne opération ou correction requise. (2) tout comme dans le cas du système d’arrosage, il peut y avoir un contrôle partiel ou inefficace, parce que l’élève ne dispose pas encore d’une « sonde » appropriée sous la forme d’observations qui lui permettraient d’effectuer des régulations rétroactives, interactives ou proactives. (3) tout comme dans le système de climatisation de la maison, il peut y avoir un contrôte plus ou moins autorégulé, où l’enseignant est appelé dans certains cas à intervenir plus fréquemment. Le concept de régulation est donc fort utile pour appréhender une situation d’apprentissage. Il permet de concevoir l’apprentissage comme faisant partie d’un système et d’intervenir simultanément sur ses aspects cognitifs, sociaux et motivationnels. Mais avant d’aller plus avant dans ce domaine, voyons quelques exemples de régulation de « systèmes humains ». 4 Régulation et contrôle Les ratés de la régulation n’ont pas que des conséquences déplorables chez les systèmes mécaniques. Une perte de contrôle à cause de mauvaises régulations entraîne chez l’être humain des difficultés qui ne se limitent pas qu’à l’apprentissage. Les problèmes d’alcoolisme, de boulimie, de toxicomanie, de magasinage ou de pari compulsif sont tous des situations où l’individu ne parvient pas à s’autocontrôler et a besoin d’aide extérieure. La régulation peut donc échouer lorsque les conditions suivantes se présentent (Baumeister, Heatherton & Tice, 1994) : (1) l’individu poursuit des objectifs trop nombreux ou n’a pas de connaissance claire des critères qui serviront à juger de son action; (2) l’individu cesse de porter attention à ce qu’il fait : soit à cause d’expériences antérieures désagréables, soit à cause de son attitude (manque d’intérêt); (3) l’individu ne mobilise par les efforts nécesaires, soit à cause de difficultés chroniques ou de facteurs temporaires tels que la fatigue ou la nouveauté de la tâche, soit à cause de conditions externes plus ou moins favorables. Les effets de la régulation sont étroitement liés au contrôle. En cas d’absence de contrôle, perte de contrôle ou contrôle défecteux, nous savons que les effets peuvent être désastreux. Les régulations ont pour but d’accroître notre contrôle sur les conditions d’apprentissage, tant au niveau de l’individu que de son environnement. Voyons donc deux exemples de régulation où il y a augmentation du contrôle de l’individu sur luimême ou sur son environnement. Exemple 1 : observation et contrôle Il y a 20 à 30 ans, les chercheurs en psychologie du comportement ont été confrontés à un résultat inattendu de leurs recherches. Afin de vérifier l’efficacité d’un plan de modification du comportement pour arrêter de fumer, ils avaient demandé aux participants, avant de débuter le traitement, de prendre en note à chaque jour le nombre de cigarettes fumées. Cette mesure de la consommation quotidie nne était absolument nécessaire pour établir l’existence d’un effet significatif du traitement devant se traduire par une diminution de la consommation de cigarettes après traitement. Les chercheurs ne voyaient pas de problèmes à demander aux participants de noter eux- mêmes leur consommation de cigarettes. Ils furent étonnés de constater qu’avant même que ne débute le traitement, plusieurs sujets n’avaient pas attendu pour réduire leur consommation. Jour après jour d’autoobservation, ils indiquaient des consommations de moins en moins grandes de cigarettes et ce, sans aucune intervention de la part des chercheurs. L’auto-observation avait donc une valeur de « stimulus interne » qui affectait la consommation de cigarettes. Les fumeurs, prenant graduellement conscience de la quantité de cigarettes qu’ils fumaient, ont spontanément réduit leur consommation. La même chose se produit en salle de classe. Spontanément, certains élèves font les ajustements requis par leur situation, sans l’aide de personne. Il arrive qu’ils prennent 5 conscience d’une difficulté et que dès qu’ils s’en aperçoivent, ils effectuent les ajustements requis parce qu’ils en possèdent déjà les moyens. Dans le cas de l’exemple des fumeurs, la volonté de réduire la consommation ou d’arrêter de fumer était acquise lors de leur participation à la recherche. Plusieurs n’étaient tout simplement pas conscients de leur consommation réelle de cigarettes. Ceux qui en ont pris conscience – particulièrement ceux qui fumaient beaucoup plus que ce qu’ils avaient anticipé – ont réduit spontanément leur consommation de cigarettes pour l’ajuster à leur perception de départ. Exemple 2 : objectifs et contrôle Peu d’élèves sont vraiment intéressés à faire du sur place. À de nombreuses occasions, l’élève se fixe un objectif plus difficile à atteindre pour la fois suivante. C’est ce que j’ai déjà nommé l’effet Nintendo (Laveault, 1999). L’effet Nintendo s’explique facilement dans le cadre des théories socio-cognitives de la motivation et aide à comprendre les conditions qui contribuent à aider l’élève à se fixer des objectifs toujours plus élevés. L’effet Nintendo, c’est ce qui conduit l’enfant à entreprendre des scénarios de jeu de plus en plus difficiles. L’engagement cognitif de l’enfant dans ces jeux d’adresse fait l’envie de tous : enseignants comme parents. Des enfants incapables de concentration en classe y manifestent des aptitudes exceptionnelles. Mais ce qui caractérise sans doute le plus l’effet Nintendo, c’est cette caractéristique tout à fait humaine de la motivation : sa nature proactive. Celle-ci consiste à se fixer sans cesse des objectifs plus difficiles en repoussant plus loin les limites de l’écart à atteindre, en fixant de nouvelles frontières, de nouveaux sommets. L'ajustement des objectifs et des standards de l'élève reflète selon Bandura (1988) la double nature de la motivation de soi. Voici ce qu'il affirme à ce sujet : Human self-motivation relies on both discrepancy production, and discrepancy reduction. It requires feedforward control as well as feedback control. (page 38, italiques dans le texte). Selon lui, l'être humain se motive non seulement en cherchant à réduire l'écart qui le sépare du but à atteindre, mais aussi en créant de nouveaux écarts. Dans une telle perspective, la motivation de soi comporte tout aussi bien un mécanisme proactif que rétroactif de contrôle : c’est ça l’effet Nintendo. C’est dans la nature humaine non seulement d’apprendre à se connaître, mais aussi de chercher à dépasser ses limites. Exemple 3 : régulation cognitive et contrôle Pour approfondir des exemples de régulation d’apprentissage au niveau cognitif, je suggère de relire Piaget. C’est sans doute celui qui a étudié de plus près comment le développement de systèmes de plus en plus complexes de régulations cognitives conduit l’enfant à être de mieux en mieux adapté à son environnement. 6 En guise d’exemple, je rappellerai ici la célèbre expérience de conservation de la matière. Piaget demande à l’enfant de préparer deux boules de plasticine de même grosseur. Pour bien faire comprendre la tâche à l’enfant, il lui demande s’ils auront tous deux la même chose à manger s’il prend la première boule et l’enfant la seconde. Une fois assuré que l’enfant comprend que les quantités sont les mêmes dans les deux boules, il lui demande de transformer l’une d’elle en saucisson, puis en spaghetti. Puis, il pose à nouveau la question initiale : « Y a-t- il toujours la même chose à manger? ». Plusieurs enfants de cinq et six ans hésitent : le spaghetti est plus long, mais il est plus mince. Régulation A : Plus long -- plus à manger ; régulation B : plus mince -- moins à manger. Ça ne va pas! L’enfant de cet âge doit concilier deux régulations contradictoires, parce qu’il n’arrive à se concentrer que sur plus une dimension à la fois, phénomène connu sous le nom de « centration ». De plus, il ne coordonne pas la représentation actuelle « spaghetti » avec la représentation antérieure « boule ». S’il établissait un lien entre ces deux représentations, il serait capable de dire que rien n’a été ajouté ou soustrait de la quantité de plasticine et que seule la forme a changé. Dans cet exemple, nous pouvons observer que les régulations qui interviennent sont très fines : elles portent sur des actions très spécifiques, sur des schèmes cognitifs pointus. Il existe donc différents niveaux hiérarchiques, du général au particulier, où les régulations peuvent intervenir. Dans cet échange typique entre Piaget et l’enfant, les manipulations de l’enfant et le questionnement très précis n’entraînent pas des régulations aussi globales que celles qui interviennent dans l’exemple du fumeur. Cette épreuve mise au point par Piaget constitue aussi un bel exemple d’évaluation authentique. Mais on remarque qu’à six ans, une opération aussi élémentaire que la conservation de la substance n’est pas acquise par une majorité d’enfants. Que dire alors de ses capacités à s’autoévaluer? Régulation et développement Les recherches de Piaget et de ses collaborateurs servent à nous rappeller à quel point nous devons demeurer réalistes quant à la possibilité de changer rapidement le type de régulations dont l’élève est capable. Il est sans doute difficile d’admettre que l’enfant persiste dans ses erreurs malgré nos efforts à faire les ajustements nécessaires. Même si l’on transforme le spaghetti en boule à nouveau et que l’on prouve que la quantité n’a pas changé, certains enfants n’en seront pas ébranlés tant qu’ils n’auront pas les outils nécessaires pour prendre conscience, d’abord, puis réguler ensuite, ce qui semble être contradictoire mais ne l’est pas. Pour Piaget, il existe quatre principaux facteurs de développement : (1) l’interaction avec le milieu physique; (2) l’interaction avec le milieu social; (3) l’équilibration; (4) la maturation. 7 Dans notre enseignement, nous avons prise essentiellement sur les trois premiers facteurs. Avec une pédagogie qui fait large place aux interactions sociales entre élèves et à des activités complexes et contextualisées d’apprentissage, nous cherchons certainement à favoriser les deux premiers facteurs. Quant au troisième, l’équilibration, c’est ce qui permettait à Piaget de décrire des niveaux plus ou moins achevés de développement de connaissance : un peu comme le caractère plus ou moins achevé de nos systèmes d’arrosage ou de climatisation. Les enfants passent par différents stades, selon un ordre qui ne change pas et sensiblement aux mêmes périodes de vie. À chaque nouveau stade, de nouvelles régulations deviennent possibles, de même que des régulations de plus en plus complexes. Qu’est-ce que la régulation? Jusqu’ici, j’ai cherché à définir la régulation à l’aide d’exemples multiples tirés du quotidien ou de la psychologie. Avant d’étudier comment la régulation s’applique aux problèmes d’apprentissage, et en particulier, à ceux de la mo tivation, j’aborderai les points suivants : 1. pour réguler, il faut quoi? 2. qui fait de la régulation? 3. qu’est ce qui fait l’objet d’une régulation? 4. qu’est-ce que l’autorégulation? Pour réguler, il faut quoi? Dans le projet de politique d’évaluation des apprentissages, la régulation est définie comme « le procédé, lié à l’évaluation, qui consiste pour l’élève ou pour l’enseignant à ajuster les actions afin que l’apprentissage puisse progresser » (MEQ, 2000). Mais que faut- il pour qu’il y ait ajustement? Pour qu’il y ait ajustement, il faut essentiellement trois choses : (1) un objectif et un standard à partir duquel on pourra juger que l’on se rapproche plus ou moins de l’objectif; (2) une rétroaction, qui permet de rendre compte de façon continue de l’écart qui sépare l’élève du but à atteindre. (3) une action qui vise à réduire l’écart entre la situation actuelle de l’élève et la situation attendue. Pas d’ajustement, donc pas de régulation, s’il n’y a pas d’objectif et de standard et pas de régulation s’il n’y a pas de rétroaction. Pas de régulation non plus si l’élève fonctionne déjà au niveau des standards. La qualité de la régulation dépendra de la qualité de ces composantes de la régulation : des objectifs flous, distants, multiples et confus, des standards imprécis et un feed-back absent ou incomplet ne sont pas de nature à favoriser l’ajustement des actions de l’élève ou du maître. Mais des objectifs précis, mais aussi trop faciles, ne nécessitent pas plus d’ajustements que de rétroaction. 8 Par exemple, avant de débuter une dictée, on peut demander aux élèves de vérifier certaines règles d’accord du nombre. L’objectif de cette dictée sera de porter une attention particulière aux erreurs à ce niveau. Mais comment savoir que l’objectif sera atteint? Chaque élève peut se fixer un handicap : un élève tentera, par exemple, de ne pas faire plus de six fautes. Ce sera le standard de l’élève. Il y a fort à parier que l’élève sera plus attentif lors de la correction des fautes en classe sachant qu’il souhaite ne pas dépasser ce standard. Le feed-back sera d’autant plus intéressant qu’il se fera par rapport à un objectif précis, dont le standard a été fixé à l’avance, et par l’élève de surcroît. Dans le cadre de référence en évaluation des apprentissages au préscolaire et au primaire, la régulation est abordée dans le contexte de la fonction d’aide à l’apprentissage, ce qui est tout à fait cohérent avec l’orientation de la politique d’évaluation qui met l’évaluation au service de la réussite éducative. La régulation doit perme ttre au maître et à l’élève de réduire l’écart entre sa situation actuelle et la situation visée : bref, elle doit favoriser le progrès individuel de l’élève. Qui fait de la régulation? En principe, toutes les personnes impliquées dans l’apprentissage de l’élève effectuent des régulations, c’est à dire peuvent initier les ajustements utiles de manière à favoriser l’apprentissage de l’élève. (1) l’élève, au premier titre, doit ajuster son action en fonction des feed-backs reçus, de ses observations et de ses résultats; (2) l’enseignant doit ajuster son action en fonction de la performance des élèves, des observations faites en classe, du feed-back reçu en cours d’activité; (3) le parent doit ajuster ses attentes et son aide en fonction des résultats de son enfant, du feed-back de l’enseignant; (4) l’élève ajuste son action dans le contexte de ses interrelations sociales avec les autres élèves. Prenons la situation où les élèves doivent construire une maquette. Cette activité nécessitera la mesure, l’assemblage et le montage de plusieurs pièces. Or, l’enseignant sait que tous les élèves de la classe ne sont pas tous parvenus au même niveau en ce qui concerne la prise de mesure. Il anticipe que si rien n’est fait, certains élèves ne seront pas capables de procéder à l’assemb lage de leur maquette parce qu’ils auront fait des erreurs quant aux dimensions des pièces. L’enseignant prévoit donc ajuster l’activité pour tenir compte de ces différences anticipées entre élèves : (1) chaque élève devra mesurer et préparer les pièces individuellement, mais avant d’effectuer le montage, il devra comparer les dimensions de ses pièces avec celles de deux autres camarades; (2) en cas de différence, les mesures devront être reprises et si la difficulté persiste, les élèves pourront toujours comparer les dimensions de leurs pièces avec celles d’une autre équippe ou celles de l’enseignant; (3) l’assemblage ne débutera que lorsque toutes les pièces seront de même taille, et que ceux qui auront pris correctement leurs mesures auront porté assistance aux élèves en difficulté. Pour éviter que les élèves aidants ne fassent l’activité à la place de ceux qui éprouvent des difficultés, l’enseignant pourra les contraindre à 9 placer leurs mains dans le dos au moment de l’explication. Cette contrainte vise à motiver les élèves aidants à formuler verbalement leurs commentaires plutôt qu’à effectuer directement les manipulations à la place de l’autre élève. Comme on le voit, cette activité implique plusieurs régulations faites en fonction des anticipations de l’enseignant : c’est lui qui choisit comment l’activité va se dérouler, dans quelles conditions les élèves travailleront d’abord individuellement, puis en petits groupes; c’est lui aussi qui fournit les conditions dans lesquelles la collaboration entre élèves devra s’exercer (les mains dans le dos). Tous ces ajustements ont été faits dans le but de tenir compte des différences individuelles anticipées au niveau de la mesure et de réduire ces différences en utilisant de façon optimale l’aide que les élèves peuvent s’apporter les uns aux autres. Pour l’élève, l’activité implique qu’il comparera sa production avec celle de ses paires, qu’il devra, éventuellement, la comparer au modèle du maître. Pour ajuster son travail, il devra travailler en équippe et obtenir de l’aide, tout en assumant une certaine autonomie dans son action. Tous ces ajustements ont pour but de parvenir à l’étape suivante : un assemblage réussi. Dans ce cas-ci, le bon ajustement des pièces sera indicateur du bon ajustement de l’élève! Qu’est-ce qui fait l’objet d’une régulation? Pour répondre à cette question, il faut voir à quel niveau peut se faire l’ajustement. Globalement, il peut se faire à deux niveaux : • on peut modifier l’individu, l’élève ou l’enseignant, ou • on peut modifier l’environnement ou si l’on préfère, la situation d’apprentissage. Reprenons l’exemple précédent. Un enseignant, de même niveau scolaire que le précédent, fait construire la même maquette dans sa classe. Cependant, pour respecter le rythme d’apprentissage de chaque élève, il choisit de ne pas faire de pause entre la mesure et l’assemblage des pièces. Les élèves qui prennent des mesures exactes et précises pourront procéder immédiatement à l’assemblage. Il se chargera des élèves qui éprouvent de la difficulté avec la mesure des pièces. Voici ce qui se produisit. Les élèves éprouvant de la difficulté en mesure ont vite été distanciés par les autres. Ils peinaient encore à prendre leurs mesures et à les vérifier pendant que plusieurs autres élèves avaient déjà débuté l’assemblage. La motivation de ces élèves commençait à fléchir. En plus d’avoir à résoudre un problème cognitif, l’enseignant devait maintenant trouver comment maintenir l’intérêt de ce groupe d’élèves marginalisés dans le déroulement de l’activité. Le problème a encore été accru lorsque certains élèves ayant terminé leur montage se cherchaient quelque chose à faire. Dans la classe où il a fallu que tout le monde soit parvenu à prendre ses mesures correctement pour poursuivre l’activité, l’atmosphère était tout autre. Au départ, certains élèves ont bien rechignés à l’idée d’aider d’autres élèves, mais le jeu des « mains dans le dos » leur posait un défi intéressant. Lorsqu’enfin tous les élèves ont été en mesure de 10 procéder à l’assemblage, il en est ressorti un sentiment de fierté collective et d’esprit de groupe. Dans ces deux exemples, il y a eu des interventions tant au niveau de l’individu que du groupe, ainsi que des interventions au niveau de la situation d’apprentissage. Pour la situation d’apprentissage, les interventions étaient essentiellement les suivantes : • Dans une classe, l’activité était à la fois individuelle et de groupe, dans l’autre, strictement individuelle. • Dans une classe, la rétroaction provenait de l’enseignant et des autres élèves, dans l’autre classe de l’enseignante seulement. En ce qui concerne la modification au niveau de l’individu, les interventions étaient les suivantes : • Dans une classe, l’élève pouvait obtenir de l’aide mais la personne aidante ne pouvait le faire que les mains dans le dos. • Dans l’autre classe, il n’y avait pas vraiment de coopération entre les élèves. Bref, nous pourrions conclure en notant que la situation dans la première classe est un meilleur exemple de régulation contribuant à la motivation et à l’apprentissage des élèves que la situation ayant prévalu dans la deuxième classe. C’est aussi une bonne illustration de l’application du principe suivant que l’on retrouve dans le projet de politique d’évaluation : L’évaluation des apprentissages doit s’effectuer dans le respect de la diversité et des différences et ainsi orienter les actions vers la réussite du parcours de tous les élèves. (Principe 3, page 22; Projet de politique d’évaluation des apprentissages, 6 novembre 2000). Régulation au niveau de la situation d’apprentissage La régulation de la situation d’apprentissage est sans doute celle qui a été la plus favorisée et valorisée par le passé. En modifiant les conditions de l’environnement, on peut favoriser l’apprentissage. C’est ce qui est le plus facile parce que nous pouvons observer ces conditions concrètement et les modifier directement. Il est plus difficile d’observer et de contrôler ce qui se passe dans la tête d’un élève. Pour contrôler la situation d’apprentissage, l’enseignant dispose à cet effet d’un arsenal impressionnant. Par exemple : • il peut choisir l’activité en fonction des compétences à acquérir; • il peut décider du découpage et de l’habillage de l’activité, bref, il peut décider de tous les aspects de sa planification ou de sa difficulté; • il peut choisir les moyens d’évaluation, les outils et les formes d’aide à disposition des élèves; • il peut décider de la durée, de l’échéancier, etc… • il peut décider des modalités de réalisation : individuelles ou en équippes; • etc. 11 Mais la régulation au niveau de l’activité d’apprentissage consiste trop souvent à des régulations globales, non différenciées, qui servent à ajuster le matériel au niveau du groupe plutôt qu’à celui de l’individu. Pour ajuster le matériel à l’individu, il faut faire preuve de plus d’ouverture et de flexibilité, bref prévoir des situations différenciées où les apprentissages ne seront pas les mêmes pour tous, donc asymétriques. Mais même si les apprentissages ne sont pas symétriques, il peut y avoir progression pour tous dans l’atteinte des compétences au programme. La différenciation des régulations est à l’apprentissage ce que le vêtement sur mesure est à l’habit. L’ajustement y est meilleur. De plus, dans le cas de situations authentiques ou d’apprentissage de type expérientiel, il n’est pas possible de faire autrement. C’est le cas des jeux de rôle, des jeux de simulations ou des pièces de théâtre. Prenons l’exemple du jeu des Grands Esprits. Une enseignante a l’idée d’utiliser ce jeu de rôle pour rendre plus vivante la présentation des travaux de recherche sur des personnes célèbres. Un élève jouant le rôle de Terry Fox discute avec un autre élève qui personnifie Jacques Villeneuve. Il est bien clair que les élèves, parce qu’ils jouent des personnages différents, ne vont pas acquérir les mêmes connaissances. Mais l’intérêt n’est pas là : il est dans l’acquisition d’habiletés visant certains compétences disciplinaires en français et certaines compétences transversales. C’est là-dessus que la rétroaction portera principalement. En fait, il ne faut pas oublier que les autres élèves apprendront des choses sur Terry Fox et Jacques Villeneuve en assistant à la représentation. Une fois que toute la classe aura participé au jeu des Grands Esprits, tous les élèves auront fait un pas de plus vers l’acquisition de connaissances sur des personnes célèbres, mais aussi dans l’acquisition de compétences transversales et disciplinaires. Il peut même être intéressant d’évaluer les connaissances acquises par les élèves dans le contexte de ce jeu de rôle. Ceci peut se faire par un jeu-questionnaire entre équippes dont les questions auraient été préparées par les élèves, chaque élève préparant une question sur son personnage. La liste des questions pourrait également être remise à l’avance : de cette manière, les élèves seraient plus attentifs lors du jeu de rôle et auraient des objectifs précis d’observation. Ce pourrait aussi être un quizz ou un examen écrit à choix multiples. Bref, une situation authentique, complexe et contextualisée, n’empêche pas ni ne dispense d’évaluer les connaissances. Au contraire, elle permet de les acquérir dans un contexte plus signifiant, donc plus susceptible de favoriser la rétention des informations. Régulation au niveau de l’individu Au niveau de l’individu, il est parfois difficile de connaître l’effet des régulations. Le jeu « mains dans le dos » conçu au préalable comme une régulation cognitive visant à contraindre l’élève à verbaliser son intervention, s’est également avéré une régulation motivationnelle, parce qu’il a créé un défi intéressant. Mais en bout de piste, je crois qu’il n’est pas nécessaire de qualifier les régulations de cognitives, motivationnelles ou métacognitives : ce sont tous des ajustements qui visent à favoriser l’apprentissage et dans plusieurs des cas, il est impossible de les dissocier, l’élève formant un tout. 12 Les régulations que l’on peut faire au niveau de l’individu peuvent porter sur différents aspects de son fonctionnement intellectuel : (1) son attention : quoi, quand et comment faire des observations? (2) ses buts : qu’est-ce qui est souhaité comme performance ou produit final? quels sont les standards individuels qui permettront à l’élève de confirmer sa réussite? quelle est la priorité et la hiérarchie des buts à atteindre? (3) son action : quel est son degré de contrôle, d’autonomie? Il existe de nombreuses permutations de ces régulations au niveau de l’individu. Elles ont chacune leur mérite respectif selon la compétence à acquérir, les prérequis de l’élève et le contexte propre à la situation d’apprentissage et au groupe-classe. L’important dans ce cas-ci, ce n’est pas de retenir la multiplicité des régulations possibles, mais plutôt de considérer la grande flexibilité que nous autorisent différentes combinaisons de ces régulations au niveau de l’individu. Très souvent on retrouve ces régulations dans des méthodes interactives d’enseignement, en particulier les méthodes inductives ou socratiques, qui consistent à utiliser le questionnement pour attirer l’attention de l’élève sur un point particulier, lui faire rechercher des informations qu’il lui manque mais qui sont à sa portée, ou pour lui faire établir des liens. Socrate prétendait ainsi pratiquer l’art de l’accouchement (la maieutique). Il y a encore beaucoup à apprendre sur le rôle régulateur du questionnement en lisant les dialogues de Socrate. Vers l’autorégulation Parmi l’ensemble des régulations que nous venons de voir, toutes ont cherché, avec plus ou moins de succès, à rapprocher l’élève d’un standard, d’une attente qui représente un progrès par rapport à son état actuel. Dans certains cas, ces régulations étaient le fait de l’élève lui- même, de l’enseignant ou des autres élèves. Notre système d’éducation ne vise pas seulement à favoriser l’apprentissage chez les jeunes. Il vise aussi à développer leur autonomie de sorte que la régulation de cet apprentissage puisse se faire sans aide extérieure. Bref, les régulations externes à l’élève doivent en quelques sortes servir à préparer leur disparition en remettant progressivement à l’élève un plus grand contrôle sur ses propres activités (Boekaerts, 1997). Il n’est donc pas étonnant de retrouver parmi les composantes de l’autorégulation les mêmes composantes que dans la régulation en général, à cette différence que le contrôle revient à l’élève plutôt qu’à des partenaires externes. Selon Butler et Winne (1995; in Louis, 1999), pour qu’il y ait autorégulation, il faut qu’il y ait une forme d’engagement de l’élève dans la tâche à accomplir, engagement au cours duquel il exerce une suite d’activités importantes : (1) la détermination du but d’apprentissage; (2) la planification des activités à entreprendre; (3) le contrôle d’activités (monitoring) en cours de réalisation; (4) la vérification et l’ajustement en fonction de critères d’efficience ou d’efficacité. 13 Selon Zimmerman (1994), l’auto-régulation est une question de degré. Elle dépend de l’étendue de la participation active de l’élève à ses processus d’apprentissage, que ce soit au niveau métacognitif, motivationnel ou comportemental. Par exemple, l’élève peut s’autoréguler au niveau du contrôle d’activités en cours de réalisation, mais ne pas intervenir dans la détermination du but d’apprentissage. Un élève qui a peu confiance en lui et qui se fixe des objectifs en dessous de ses capacités pourrait voir ses objectifs fixés par le maître ou les parents avec des encouragements du genre : « Je suis convaincu que tu es capable de faire mieux que ce que tu crois! ». Préparer à l’autorégulation suppose donc une démarche pédagogique progressive, poursuiva nt des objectifs bien particuliers. Elle se fera en réduisant les régulations externes sur l’activité de l’élève et en remplaçant ces dernières par des régulations faites par l’élève. Elles pourront se faire différemment selon l’aspect de l’autorégulation de l’activité d’apprentissage qui est visé, tout comme dans l’exemple précédent. Y a-t-il une dose adéquate d’autorégulation? La définition de Zimmerman (1994) sousentend qu’il peut y avoir trop ou pas assez de régulations externes. Baumeister, Heatherton & Tice (1994) affirment aussi que certaines formes d’autorégulations peuvent être fautives (misregulation), en plus d’être excessives (overregulation) ou insuffisantes (underregulation). Effectivement, tout comme il peut arriver que l’enseignant ne fasse pas les meilleurs choix d’ajustement pour une activité d’apprentissage, il peut arriver la même chose à l’apprenant qui a le contrôle de certains aspects de son action. Par exemple, certains Québécois, en visite en France, font des efforts pour dissimuler leur accent québécois ou encore pour adopter celui de nos cousins. Il en résulte qu’en portant une attention indue à leur prononciation, ils font des erreurs de sens ou s’expriment de façon maladroite. Il est plus difficile de faire attention à ce qu’on dit, lorsqu’une grande partie de notre attention est centrée sur la manière dont on le dit. Ceci est un exemple d’autorégulation excessive. Enfin, une autre distinction conceptuelle s’impose entre régulation insuffisante et régulation réduite. Réduire le nombre de régulations externes est une étape nécessaire pour accéder à un apprentissage autorégulé. C’est ce que Boekaerts (1997) et plusieurs autres chercheurs nomment le désétayage. Selon Boekaerts (1997, page 171), la régulation externe est une forme d’aide qui laisse peut de place à l’autonomie et à la responsabilité de l’élève dans le processus d’apprentissage. La métaphore du désétayage (scaffolding) sert à rendre l’idée d’un système d’aide adaptable et temporaire qui assiste l’individu lors de la phase initiale d’acquisition de l’expertise. Boekaerts (1997) donne comme exemple les petites roues que l’on ajoute aux bicyclettes des enfants pour qu’ils maintiennent leur équilibre. Toutefois, il faut bien enlever ces petites roues lorsqu’elles ne sont plus d’aucune aide, sinon elles seront une entrave au bon développement des habiletés de l’enfant en vélo. Difficile de faire du vélo de montagne avec des petites roues! 14 Le nouveau chantier de l’apprentissage Si j’ai raconté la petite histoire de la régulatio n, c’est pour indiquer comment le pilotage des apprentissages de l’élève est maintenant progressivement « décentralisé » vers l’élève. Cependant, ce transfert de responsabilité du maître vers l’élève ne peut se faire sans une préparation adéquate : nous ne pouvons subitement décréter que l’élève doit réguler par lui- même ses apprentissages sans l’y préparer adéquatement. Principes favorisant l’apprentissage autorégulé Les systèmes d’éducation reconnaissent de plus en plus l’importance de mettre l’élève en contrôle de ses apprentissages, de le responsabiliser et de favoriser le développement de son autonomie personnelle. Nous voyons apparaître des activités pédagogiques plus ouvertes qui se caractérisent par l’une ou plusieurs des caractéristiques suivantes : 1. des activités dites « authentiques » faisant intervenir des performances complexes; 2. des activités impliquant l’intégration des matières; 3. des activités inscrites dans un projet de longue durée; 4. des activités centrées davantage sur le développement de compétences. Or, si ces activités ont le potentiel bien réel de favoriser le développement d’habiletés d’autorégulation, elles peuvent aussi être détournées de leur but véritable. Si certaines anciennes pratiques sont maintenues, il sera difficile de profiter réellement de ces innovations. Dans une publication antérieure, j’avais identifié trois principes devant guider les pratiques nouvelles en matière d’autorégulation des apprentissages (Laveault, 1999). J’en ajoute maintenant deux autres. Les voici ainsi que quelques exemples : 1. le principe de tout évaluer doit être remplacé par celui d’évaluer un tout. Lors de l’évaluation d’une performance complexe, faisant intervenir des compétences dans plusieurs matières, il est impossible de tout évaluer. L’approche centrée sur la mesure est possible lorsque ce qui est évalué porte sur des objectifs définis principalement en termes de contenu. Dans le cadre d'une approche globale, cette approche traditionnelle doit céder la place à une approche centrée sur des standards qui expriment des attentes plus générales et de nature plutôt qualitative. Dans ce contexte, il est plus indiqué, comme le dit Inchauspé (1997), de « mesurer ce que l’on valorise, plutôt que de valoriser ce que l’on mesure ». Mesurer ce que l’on valorise pourrait bien constituer la meilleure définition de standard. Naturellement, enseignant et élève doivent avoir la même représentation de ce qui sera valorisé dans une activité. Dans une évaluation formative, on ne peut tout valoriser. 2. le principe de symétrie des apprentissages (tous les élèves font les mêmes acquisitions) doit être remplacé par le principe d’asymétrie (tous les élèves n’apprennent pas les mêmes choses parce qu’ils ne font pas les mêmes expériences). Si l’on accepte que les élèves fassent des expériences différentes parce que non seulement leur préparation cognitive, mais aussi leur motivation sont différentes, il est important que cette différenciation des moyens se traduise également par une différenciation des objectifs. On ne saurait avoir les mêmes attentes envers chaque élève si, dans la réalisation d’une pièce de théâtre, les rôles 15 (comédien, éclairagiste, costumes) ont été différents et ont donné lieu à des apprentissages individuels. 3. le principe de l’équité qui veut qu’il faille donner à chaque élève la même chose doit être subordonné au principe de pertinence qui consiste à donner à chacun ce qu’il a besoin. Perrenoud (1998, 142) affirme en effet : « Lorsque l’on pense évaluation formative, il faut rompre avec ce schéma égalitariste. Il n’y a aucune raison de donner à tous les élèves la même « dose » d’évaluation formative ». En effet, l’évaluation formative est intéressante dans la mesure où la rétroaction fournie à l’élève peut l’être. À la nécessité de différencier le soutien en fonc tion des besoins des élèves, s’ajoute aussi l’importance de soumettre les élèves à des situations d’évaluation différenciées et adaptées qui les motivent au départ. Par exemple, certains bons élèves profitent très peu du soutien offert par des formes instrumentées ou collectives d’évaluation lorsqu’ils n’éprouvent aucune difficulté particulière et lorsque les exigences sont les mêmes pour tous. 4. le principe d’équilibre entre régulations cognitives et régulations motivationnelles. Ce qui est dans l’intérêt de l’élève, n’est pas toujours ce qui intéresse l’élève. Cette observation de Philippe Meirieu lors d’une conférence publique à l’Université d’Ottawa résume bien la dynamique à laquelle l’enseignant et l’élève sont confrontés. À trop vouloir l’intérêt de l’élève, l’enseignant risque de ne pas tenir compte de ce qui le motive. À trop tenir compte de l’intérêt de l’élève, il risque de passer rapidement de la pédagogie à la démagogie. Il y a un équilibre à trouver entre les deux, en évitant le piège le plus courant qui consiste à exploiter les intérêts de l’élève pour lui faire faire ce qui, en fait, intéresse l’enseignant. Cette vieille ruse de la pillule enrobée de sucre est vite comprise par l’élève. Le danger est de transformer des activités intéressantes en activités intéressées qui perdent leur charme et où le plaisir d’apprendre est abandonné à cause des nécessités de l’évaluation ou des objectifs à atteindre. Partir de l’intérêt de l’élève signifie aussi lui laisser le choix d’activités d’apprentissage : l’autocontrôle dans le choix des activités est nécessaire pour qu’« éclatent les passions ». 5. le principe de l’auto-contrôle progressif. Traditionnellement, nous avons opposé une pédagogie à contrôle largement externe à l’élève – la pédagogie fermée – à une pédagogie à contrôle largement interne à l’élève – la pédagogie ouverte. Or, il n’y a pas à choisir entre les deux. Le véritable problème se pose à savoir comment passer d’une situation où une grande partie du contrôle de l’activité d’apprentissage est assumée par l’enseignant à une situation où elle sera de plus en plus assumée par l’élève. Ce problème est celui du désétayage. Il est tout aussi absurde de penser aider l’élève en contrôlant tous les aspects de son apprentissage que de croire qu’il apprendra de façon autonome en l’abandonnant à lui- même. Le désétayage consiste à assurer cette transition, ce passage graduel de la régulation externe à la régulation interne : il se fait différemment selon le niveau atteint par l’élève, selon le domaine d’apprentissage, selon sa propre motivation. En bout de piste, l’apprentissage est réussi lorsqu’il est autonome . Si l’on ne tient pas compte de ces nouveaux principes, il sera difficile de faciliter l’autorégulation des apprentissages dans des activités pédagogiques plus ouvertes. Il faut 16 accepter que, partant de nouveaux principes, certaines des choses qu’il était possible de faire auparavant ne le seront plus ou seront faites autrement. Enfin, si les activités d’enseignement ne sont pas revues pour tenir compte de ces nouveaux principes, le sens de toute réforme de l’enseignement visant l’autorégulation des apprentissages ne sera que pure façade. Logique ancienne et logique nouvelle L’intérêt pour le rôle de la motivation dans l’enseignement n’est pas nouveau. Gagné (1975/1976) ne place-t- il pas celle-ci au début de toute séquence d’enseignement? Krathwohl, Bloom et Massia (1964/1970) n’ont- ils pas, parallèlement à une taxonomie d’objectifs cognitifs, participé à l’élaboration d’une taxonomie d’objectifs affectifs? La motivation a toujours intéressé les pédagogues. Ce qui a changé depuis les travaux réalisés par ces chercheurs, c’est le contexte éducatif dans lequel cette motivation est appelée à s’exercer. Dans un système d’enseignement magistral favorisant la transmission du savoir, le rôle de la motivation se restreint à une série de régulations externes visant à maintenir l’intérêt et l’attention de l’élève et à s’assurer de son assentiment. Le rôle de l’enseignant est considéré davantage comme celui d’un animateur ou d’un motivateur capable de susciter et de maintenir l’intérêt pour des objectifs d’apprentissage prédéterminés. Dans le cas de l’apprentissage autorégulé, la motivation origine de l’élève. Le rôle de motivateur de l’enseignant est indirect : il part d’un approfondissement des régulations affectant la motivation de l’élève pour favoriser l’émergence d’activités qui lui permettront de faire l’expérience de l’apprentissage par l’autocontrôle et ainsi développer un sentiment positif d’efficacité personnelle. Dans le cadre d’un apprentissage autorégulé, l’engagement cognitif ne saurait être de l’ordre de l’assentiment ou de l’obéissance aux règles extérieures. Il est difficile de concevoir comment la motivation de l’élève pourrait avoir une quelconque utilité dans un enseignement de type frontal où tout est réglé d’avance. Dans une telle situation, nous sommes davantage dans une dynamique de conditionnement (système de récompenses et punitions externes) que d’autorégulation. Conclusion Un programme de formation devrait « poser les jalons d’une nouvelle pédagogie axée sur le vécu, les exemples concrets, la méthode intuitive et le respect des étapes préalables dans le développement des potentialités » (Legendre, R. 1983). Ne vous y méprenez pas, ce n’est pas une citation récente. En fait, si j’ajoutais que l’enseignement devrait se dérouler dans la langue maternelle des élèves et non en latin, vous seriez étonnés que des idées aussi « modernes » côtoient une idée aussi ancienne. De fait, les principes et les idées que je viens d’énumérer datent de Coménius (1649) dans son traité « Didactica Magna ». De même, Jean-Louis Vivès (1538; in Allal, 1999) donnait, cent ans avant Coménius, le conseil suivant en matière de « dossier d’apprentissage » : « Faites en sorte que les élèves conservent leurs résumés écrits dans les premiers mois afin de les comparer avec ceux qu’ils ont fait l’an dernier… ». 17 En passant d’une conception de l’apprentissage régulé de l’extérieur à un apprentissage de type réflexif à régulation majoritairement interne, nous serons appelés dans les prochaines années à restructurer nos conceptions du rôle de l’enseignant et du rôle de l’évaluation. Cette transition s’accompagnera de retours du pendule, de régressions, de recentrations, bref de tous ces tâtonnements qui marquent autant le développement collectif qu’individuel. L’histoire de l’éducation nous enseigne que ces tâtonnements ne sont pas nouveaux et qu’ils sont même souhaitables. Il ne faut pas les considérer comme des erreurs, mais plutôt comme des indicateurs des efforts à consentir pour franchir une nouvelle étape. Car, tout comme l’élève, les systèmes d’éducation sont appelés à s’autoréguler pour progresser et poursuivre leur développement. 18 RÉFÉRENCES Allal, L. (1999). Impliquer l’apprenant dans le processus d’évaluation : promesses et pièges de l’autoévaluation. In In C. Depover & B. Noël (Éds.). L’évaluation des compétences et des processus cognitifs. Bruxelles : DeBoeck-Université. Bandura, A. (1988). Self-regulation of motivation and action through internal standards and goal systems. In V. Hamilton, G.H. Bower & N.H. Frijda (Eds.), Cognitive Perspectives on Emotion and Motivation. Dordrecht: Kluwer Academic Publishers. Baumeister, R.F., Heatherton, T.F. & Tice, D.M. (1994). Losing control : How and why people fail at self-regulation. Toronto : Academic Press. Boekaerts, M. (1997). Self- regulated learning : A new concept embraces by researchers, policy makers, educators, teachers, and students. Learning and Instruction, 7(2), 161186. Gagné, R.M. (1975, traduit en 1976). Les principes fondamentaux de l'apprentissage : application à l'enseignement. Montréal : Les Éditions HRW. Inchauspé, P. (1997). Réaffirmer l’école : prendre le virage du succès Québec : Rapport du Groupe de travail sur la réforme du curriculum, Ministère de l’éducation, Gouvernement du Québec. Krathwohl, D.R., Bloom, B.S. et Masia, B.B. (1964, traduit en 1970). Taxonomie des objectifs pédagogiques, tome 2 : domaine affectif. Montréal : Éducation nouvelle. Laveault, D. (1999). Autoévaluation et régulation des apprentissages. In C. Depover & B. Noël (Éds.). L’évaluation des compétences et des processus cognitifs. Bruxelles : DeBoeck-Université. Legendre, R. (1993). Le dictionnaire actuel de l'éducation. Paris : Éditions ESKA. Louis, R. & Bernard, H. (1999). L’évaluation des apprentissages en classe : théorie et pratique. Laval, Québec Éditions Études Vivantes. Ministère de l’éducation du Québec (6 novembre 2000). Projet de politique d’évaluation des apprentissages. L’évaluation au coeur des apprentissages. Québec : Formation générale des jeunes; Formation générale des adultes; Formation professionnelle. Zimmerman, B.J. (1994). Dimensions of academic self-regulation : A conceptual framework for education. In D.H. Schunk & B.J. Zimmerman (Éds.). Self-regulation of learning and performance. Issues and educational applications. Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum. 19 TABLE DES MATIÈRES LA RÉGULATION DES APPRENTISSAGES ET LA MOTIVATION SCOLAIRE .............................. 1 EXEMPLES TIRÉS DE LA VIE QUOTIDIENNE...............................................................................................................2 RÉGULATION ET CONTRÔLE .......................................................................................................................................5 Exemple 1 : observation et contrôle.................................................................................................................. 5 Exemple 2 : objectifs et contrôle........................................................................................................................ 6 Exemple 3 : régulation cognitive et contrôle................................................................................................... 6 RÉGULATION ET DÉVELOPPEMENT ............................................................................................................................7 QU’EST QUE LA RÉGULATION?...................................................................................................................................8 Pour réguler, il faut quoi?................................................................................................................................... 8 Qui fait de la régulation? .................................................................................................................................... 9 Qu’est-ce qui fait l’objet d’une régulation?...................................................................................................10 Régulation au niveau de la situation d’apprentissage ........................................................................................11 Régulation au niveau de l’individu....................................................................................................................12 Vers l’autorégulation .........................................................................................................................................13 LE NOUVEAU CHANTIER DE L’APPRENTISSAGE .....................................................................................................15 Principes favorisant l’apprentissage autorégulé..........................................................................................15 Logique ancienne et logique nouvelle.............................................................................................................17 CONCLUSION ..............................................................................................................................................................17 RÉFÉRENCES ............................................................................................................................................................19 TABLE DES MATIÈRES .........................................................................................................................................20 20