Les duos diablement et drôlement logiques d`Alice Lescanne et

Transcription

Les duos diablement et drôlement logiques d`Alice Lescanne et
Les duos diablement et drôlement
logiques d'Alice Lescanne et Sonia
Derzypolski
20 AVRIL 2015 | PAR JEAN-PIERRE THIBAUDAT
Double autoportrait d'aalliicceessccaannnnee&ssoonniiaaddeerrzzyyppoollsskkii © dr
Quels chemins mènent de la pantalonnade aux Sans culottes, de la
collection « Que sais-je ? » à un authentique peintre qui a pour
unique sujet les trognons de pommes ? Ce sont là quelques-uns des
itinéraires exploratoires de notre monde avec les armes d’une
logique sans peine (Lewis Carroll) assortie d’un gros boulot, que
façonnent, respirez bien et ouvrez grands vos mirettes,
aalliicceelleessccaannnnee&ssoonniiaaddeerrzzyyppoollsskkii.
"Pardon du jeu de mots"
Ne me demandez pas laquelle est Alice Lescanne et laquelle est Sonia
Derzypolski, ces deux-là toujours habillées en noir sont quasi comme
un corps divisé en deux entités avec juste ce qu’il faut de différences
pour mieux faire chauffer la colle de la réflexion commune et son
arme de persuasion massive qu’est la déduction. Quand l’une se tait
l’autre prend le relais. On marche avec elles (car elles nous font aussi
marcher), en tout confiance vers l’inéluctable. C’est comme la
traversée d’un tunnel dont au bout la lumière éclairerait
rétrospectivement un parcours où elles n’ont cessé de relier des
données que l’on croyait sans liens. « Où veulent-elles en venir ? » se
demande plus d’un spectateur biberonné par Descartes. Ce qui est sûr
c’est qu’elles y vont et nous, trop contents, on les suit au bout de leur
monde qui est le nôtre.
1/3
On les a croisées ces derniers temps au 104 (artistes associées), on
les a signalées à la biennale de Lyon, elles étaient samedi dernier au
Centre Pompidou de paris à l’affiche de la « Tangram Posture »
proposée par Florencia Chernajovsky dans le cadre du festival « Air
de jeu ». Pour leur « Pardon du jeu de mots », c’est d’ailleurs de cet
intitulé qu’elles sont parties, d’air en aire en hair en cheveu et ainsi
de suite. Le jeu de mots est l’une des cordes de leur arc mais leur jeu
de flèches et de fléchettes consiste moins à viser la cible qu’à
explorer toutes les voies qui y mènent et de ne pas s’arrêter là, pour
solde de tout compte ou plutôt de tout conte car elles nous captivent
sans pour autant élever le ton ou se livrer à des contorsions. Elles
nous racontent des histoires merveilleuses mais vérifiables. Leur
calme ajoute au sérieux de leur charme. Assises dans des fauteuils ou
pas, notes en main comme un conférencier, concentrées sur leur
démonstration, elles ne rient jamais, nous souvent. Elles sont
redoutablement loufoques.
"Le titre du spectacle est : aléatoire"
Tout ce que je sais, c’est qu’elles ont fait l’école des Beaux-arts, un
nom qu’elles n’aiment probablement pas le jugeant par trop exclusif.
De fait, Alice&Sonia mettent sur le même plan de leur travail aussi
ludique que rigoureux le beau et le laid, Velasquez et le peintre du
dimanche, le salon de coiffure de la rue Mirepoix et la biennale de
Venise. Il en ressort un rafraîchissement de l’approche des choses de
ce monde, une liberté de circuler sans limites entre les mots, les
concepts et les faits, un art de marier imparablement la carpe et le
lapin, le parapluie et la machine à coudre. Leur curiosité est sans
bornes et surtout sans œillères.
Par exemple dans « Le titre du spectacle est : aléatoire », elles
exploraient la notion d’égalité à la lueur de la collection « Que saisje ? » : même format, même nombre de pages, même prix, on traite
sur le même plan « La Mongolie » (N°1663), « Les animaux
préhistoriques » (N°1664), « Les maladies de la circulation sanguine »
(N°1665). Soit. Il y a bien un « Que sais-je ? » sur l’égalité, un autre
sur la liberté, mais pourquoi aucun sur la fraternité, se demandentelles. Et ainsi de suite.
On peut en savoir plus en allant sur leur site où elles se présentent
comme « un groupuscule de deux personnes issues des arts visuels et
des sciences politiques » dont la préoccupation est de « pousser le
bouchon, et de faire réussir à faire coexister des questions graves
(comme la mort des idées, la crise de la démocratie ou la fin du
monde) avec un imaginaire léger (nuages coureurs, fleurs bègues,
animaux sans tête) ».
C’est aussi sur leur site que l’on peut suivre les torrides aventures du
« post-impossible », l’évolution de leur « roman réaliste » ou le
2/3
délicieux feuilleton « Negopif ». Sous ce nom de code, les bien
nommées aalliicceessccaannnnee&ssoonniiaaddeerrzzyyppoollsskkii
négocient à vue l’achat d’une de leurs œuvres par la bibliothèque
Kandinsky du centre Pompidou (à suivre sur negopif.com). Elles
voudraient que le prix ne soit « ni arbitraire, ni discrétionnaire ».
Elles se demandent à qui la tractation va profiter. « A l’acheteur ? A
l’artiste. Au public ? A personne ? ». Elles posent de bonnes
questions.
« Le titre du spectacle est : aléatoire » sera repris au 104 à la
rentrée prochaine
http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-thibaudat/200415/lesduos-diablement-et-drolement-logiques-dalice-lescanne-etsonia-derzypolski
3/3