L`ASSURANCE ET LES FONDS D`INDEMNISATION EN MATIERE

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L`ASSURANCE ET LES FONDS D`INDEMNISATION EN MATIERE
L’ASSURANCE ET LES FONDS D’INDEMNISATION
EN MATIERE ENVIRONNEMENTALE
Marie-Luce DEMEESTER,
Professeur à la Faculté de Droit et de
Science politique d’Aix-Marseille
La terre, nous ne l’héritons
pas de nos parents, nous
l’empruntons à nos enfants.
Proverbe Amérindien
1. - L’environnement soulève des questions qui ne sont
comparables à aucune autre matière, essentiellement parce que les
atteintes qui lui sont portées hypothèquent gravement les générations
futures.
Ces atteintes sont de deux types : d’une part, elles concernent la
nature elle-même, les ressources naturelles, les espèces animales et
végétales, la biodiversité selon les textes communautaires ; d’autre part,
les répercussions sur la santé de l’homme et sur ses biens, qui sont les
plus visibles et surtout les plus faciles à réparer en l’état du droit. C’est
essentiellement à ce stade qu’interviennent l’assurance et les fonds
d’indemnisation.
2. - Il est vrai que la réparation des atteintes environnementales
constitue la solution la plus naturelle, à condition qu’elle soit
financièrement possible. Mais face à l’ampleur de certaines catastrophes,
l’idée est désormais admise que la prévention est de loin préférable. Et
justement, l’assurance paraît pouvoir répondre à cette double nécessité
de réparation et de prévention.
Cependant, la nature du risque environnemental heurte la
technique assurantielle : certaines pollutions à l’origine des atteintes
environnementales n’entrent pas dans le champ de l’assurable ; c’est le
cas de la pollution historique, sorte d’héritage environnemental ; de la
pollution chronique, diffuse et progressive, et donc non aléatoire, ou
encore des phénomènes catastrophiques qui échappent, en raison de leur
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ampleur et de leur concentration aux critères de l’opération d’assurance.
L’assurabilité du risque environnemental rencontre ainsi trois types
d’obstacles : un premier d’ordre juridique lorsque l’aléa fait défaut ; un
deuxième d’ordre actuariel, le risque exigeant d’être calculable et
mutualisable ; le troisième est d’ordre économique, la prime devant être
financièrement supportable par l’assuré 1.
Pour l’heure, le marché de l’environnement reste à conquérir par
le monde de l’assurance, qui demeure ouvert sans véritablement se
considérer suffisamment mature pour l’accueillir (Entretiens de
l’assurance 2003). D’ailleurs, la garantie du préjudice écologique pur ne
semble pas encore avoir rassemblé beaucoup de suffrages.
Dès lors, le recours à des techniques alternatives de réparation
des dommages environnementaux s’impose. Qu’il s’agisse de fonds
d’indemnisation qui profiteraient aux victimes de dommages
environnementaux, ou de garanties financières imposées aux acteurs
économiques susceptibles d’être de grands pollueurs, dans les deux cas,
la stratégie implique l’imputation de charges supplémentaires à des
personnes qu’il convient de déterminer : doit-il s’agir de l’ensemble de
la collectivité par le jeu de la solidarité nationale ou de certains acteurs
économiques seulement ? En outre, ces techniques alternatives sont-elles
en mesure d’être transposées à la réparation du préjudice écologique
pur ?
3. – Aujourd’hui, le débat est alimenté par la Directive
communautaire sur la « responsabilité environnementale en vue de la
prévention et de la réparation des dommages environnementaux », qui a
fait l’objet d’une conciliation entre le Conseil et le Parlement européen
en février 2004. Alors que l’idée est unanimement reconnue que
l’environnement mérite la plus grande protection, ni l’assurance
obligatoire, ni le recours à des techniques de réparation éprouvées n’ont
été institués. Il a cependant été admis que, 6 ans après l’entrée en
vigueur de la Directive, la Commission européenne devra présenter un
rapport sur la réparation effective des dommages et sur les instruments
de garantie financière mis en œuvre pour couvrir la responsabilité 2.
1
2
V. Les Entretiens de l’assurance 2003, Atelier 12, Les atteintes à l’environnement :
quel rôle pour l’assurance ?, www.ffsa.fr
Le terme de garantie financière étant pris ici en son sens générique.
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Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que la Fédération
Française des Sociétés d’Assurance s’était montrée des plus réservée sur
les propositions du Livre blanc 3, présenté à la Commission européenne
en février 2000 avant la proposition de Directive qui fait l’objet de notre
attention. Les observations de la FFSA s’étaient concentrées sur
plusieurs exigences : la preuve par le demandeur du lien de causalité
entre le dommage et l’activité en cause (alors que les juridictions
facilitent parfois cette preuve) ; des moyens d’exonération spécifiques
(état de l’air, risque de développement, rejets autorisés…) ; l’absence de
solidarité des responsables ; la non-rétroactivité du système qui ne serait
applicable qu’aux faits dommageables postérieurs à l’entrée en vigueur
du texte.
Finalement, aucune obligation d’assurance n’est imposée par la
Directive, le monde de l’assurance pouvant ainsi poursuivre ses travaux
sur l’assurabilité du risque de dommage à la biodiversité. Et s’il convient
d’admettre que les choix sont délicats à opérer, le seul qui ne doit laisser
planer aucun doute est celui de la prévention.
4. – L’état du droit positif et certaines perspectives d’avenir font
apparaître que l’application de la technique assurantielle en matière
environnementale n’est pas négligeable, mais rencontre rapidement
certaines limites (I). Ce sont ces dernières qui justifient le recours à des
techniques alternatives de réparation (II).
I – Les garanties offertes par l’assurance en matière
d’environnement
5. - L’assurance a incontestablement un rôle à jouer dans la
couverture du risque environnemental. Elle offre actuellement un
certains nombre de garanties d’une réelle efficacité 4. Elle est également
prête à investir le marché de l’environnement, mais après une réflexion
3
4
V. Les Entretiens de l’assurance 2000, Atelier 1, Environnement : la réponse des
assureurs au livre blanc de la Commission européenne ; Lamy Assurances, 2003, n°
1885.
V. M.-L. Demeester, Les avancées en matière d’assurance environnementale, in
ouvrage collectif Droit des assurances : Question d’actualité, IDEA Faculté de
droit d’Orléans, editoo.com, p. 37.
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qui n’a pas encore atteint son terme. D’où l’intérêt d’envisager la
question de l’évolution de l’assurance.
A – Les garanties spécifiques existantes
6. – A l’origine 5, les atteintes à l’environnement générées par les
activités industrielles étaient toutes garanties par le contrat d’assurance
« responsabilité civile exploitation », le plus souvent par le rachat d’une
exclusion du risque de pollution. Face à l’évolution du risque
environnemental et à l’ampleur de certains dommages, est institué en
1977 le Garpol, groupement de co-réassurance constitué entre des
compagnies d’assurance et des réassureurs. Un contrat d’assurance
spécifique est alors mis sur le marché. En 1989, un nouveau groupement
de co-réassurance –Assurpol-, d’une capacité financière très supérieure,
vient se substituer au précédent.
Ainsi, et progressivement depuis 1994, alors que la garantie des
risques « diffus », c’est-à-dire les plus faibles, est maintenue dans les
contrats traditionnels, la garantie des risques « lourds » de pollution est
transférée du contrat traditionnel d’assurance RC vers le contrat
spécifique proposé par le GIE Assurpol. Ce dernier prend ainsi
notamment en charge les risques encourus par les installations classées
soumises à autorisation et les risques RC professionnelle des entreprises
de dépollution, et propose un contrat d’assurance Responsabilité Civile
(1°) et deux contrats de dommages aux biens (2°). Parce que ces contrats
sont les plus connus et les garanties proposées les plus étendues du
marché mondial, leur structure est examinée, sachant que toute
compagnie d’assurance a la faculté de proposer des garanties de nature
environnementale, l’obstacle essentiel demeurant leur potentiel de
solvabilité.
5
V. not. G. Viney, Les principaux aspects de la responsabilité civile des entreprises
pour atteinte à l’environnement en droit français », JCP G 1996, I, 3900, spéc.
n° 32s. ; M.-L. Demeester, Assurance et environnement, Gaz. Pal. 28-29 nov. 1997,
p. 6 ; F. Chaumet, L’assurance du risque environnemental, suppl. au JCP E 1999,
n° 15, p. 23 ; G.J. Martin, Responsabilité et assurance, Gaz. Pal. « 3-7 juin 2001, n°
1882s.
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1°/ - L’assurance Responsabilité Civile
environnementale
7. - Cette assurance fut le premier modèle proposé par Assurpol ;
il comprend une garantie principale couvrant la dette de réparation de
l’assuré-exploitant pour les dommages environnementaux causés à des
tiers, et une garantie annexe (pour 20 % de la garantie principale) pour
des travaux de prévention destinés à éviter les dommages, source de
responsabilité civile.
Cette assurance RC environnementale est proposée pour diverses
activités. La garantie couvre des faits de pollution survenus soit dans
l’enceinte de l’entreprise, soit à l’occasion de travaux effectués sur un
site appartenant à un tiers (contrat « Chantier »), soit à l’occasion
d’études et de travaux de dépollution réalisés chez des tiers (contrat
« Etudes et travaux).
8. – Répondant aux deux fonctions qui peuvent lui être
attribuées, ce contrat d’assurance RC environnementale garantit à la fois
la réparation (a) et la prévention (b). En outre, se pose la question de la
garantie Responsabilité Civile dans le temps (c).
a) - 9. - La réparation contenue dans la garantie principale joue
en faveur des tiers, victimes de dommages corporels (atteinte à leur
santé), de dommages matériels (détérioration ou destruction d’un bien)
et de dommages immatériels. Ces derniers concernent tout préjudice
pécuniaire résultant de la privation de jouissance d’un droit ou d’un
bien, même non approprié : est donc couvert le préjudice résultant de
l’altération du milieu naturel, comme l’exploitation industrielle ou
touristique d’un site devenue impossible du fait d’une pollution. En
revanche, sont exclus le préjudice d’agrément et le préjudice esthétique
résultant de la privation du libre accès à un élément du milieu naturel
relevant du domaine public.
Les dommages doivent résulter d’une atteinte à l’environnement,
atteinte qui consiste en une pollution définie par le contrat d’assurance
comme « l’émission, la dispersion ou le rejet ou dépôt de toute
substance solide, liquide ou gazeuse diffusée par l’atmosphère, le sol ou
les eaux ». Elle recouvre aussi les nuisances, c’est-à-dire « la production
d’odeurs, de bruits, de vibrations, de variations de température,
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d’ondes, de radiations, de rayonnements excédant la mesure des
obligations ordinaires de voisinage ». Ainsi, l’atteinte à l’environnement
est constituée dès lors qu’il y a diffusion de la substance polluante dans
un élément naturel, comme l’atmosphère, le sol ou les eaux de surface
ou souterraines. Certes, la définition paraît large, mais le risque garanti
est délimité par ailleurs.
Les atteintes à l’environnement doivent en effet être
« consécutives à des faits fortuits qui se produisent dans l’enceinte des
sites de l’assuré ». C’est donc l’origine fortuite du fait générateur du
dommage qui conditionne l’assurabilité du risque. L’atteinte doit être de
nature accidentelle (soudaine, imprévue) ou non accidentelle, c’est-àdire graduelle (lente, répétée, progressive). Sont donc hors de la garantie
les faits de pollution chronique, qui sont les plus imprévisibles et les plus
coûteux.
Quant à l’étendue de la garantie RC, elle est limitée par une série
d’exclusions spécifiques. Ne sont pas garantis les dommages résultant de
l’inobservation par l’assuré des textes légaux et réglementaires
(nombreux concernant les installations classées), les dommages résultant
du mauvais état et du défaut d’entretien des installations, ainsi que ceux
résultant de l’activité normale de l’entreprise, même autorisée par
l’administration. Sont également exclus les dommages issus de champs
électriques et de rayonnements électro-magnétiques, ainsi que ceux
« dont l’éventualité ne pouvait être décelée en l’état des connaissances
scientifiques et techniques en vigueur au moment de l’atteinte à
l’environnement » et qui ne sont autres que le « risque de
développement ». Est enfin exclu le dommage écologique pur.
b) – 10. – Ceci étant, toute l’originalité de ce contrat réside dans
une garantie annexe couvrant des travaux de prévention, pour des frais
engagés par l’assuré pour contenir ou atténuer les effets dommageables
pour les tiers des atteintes à l’environnement. Le contrat prend donc en
charge les frais d’opérations visant à éviter l’aggravation des dommages
garantis (par la garantie principale) et le coût des mesures destinées à
prévenir la survenance de ces dommages. La menace de dommages doit
cependant être réelle et le dommage doit être « imminent ». En d’autres
termes, le coût des travaux de prévention n’est assuré que s’il permet de
prévenir la survenance de dommages ou d’éviter l’aggravation d’un
sinistre mettant en jeu la garantie RC.
98
c) - 11. – La durée de la garantie environnementale dans le
temps a, quant à elle, fait l’objet d’un aménagement récent par
Assurpol, suite à la loi de sécurité financière du 1er août 2003 6.
Outre le fait que cette loi réinstitue les clauses dites de
« réclamation de la victime » qui avaient été radicalement condamnées
par la Cour de cassation en 1990 7, elle offre désormais aux assureurs une
option entre la « base fait dommageable » et la « base réclamation ». En
outre, la loi impose la reprise du passé inconnu de l’assuré, c’est-à-dire
la garantie des faits de pollution antérieurs à la prise d’effet du contrat,
ainsi qu’une garantie subséquente d’un minimum de 5 ans, en ce sens
que la faculté pour la victime de réclamer la réparation de son dommage
est prolongée jusqu’à l’expiration du terme. Assurpol a opté dans ses
contrats RC pour la formule « réclamation ». Ainsi, les victimes peuvent
demander la réparation de leur dommage jusqu’à l’expiration d’un délai
de 5 ans après la résiliation du contrat d’assurance, pour un fait
générateur dommageable survenu avant la cessation de la garantie. La
couverture offerte par Assurpol est ainsi de longue durée tout en étant
assortie d’un terme connu (expiration de la garantie subséquente) ; au
contraire, l’autre option laisse l’assureur dans l’incertitude de la date de
la réclamation de la victime qui peut intervenir jusqu’à l’expiration du
délai de prescription de son action (de dix ans en matière délictuelle).
Outre une garantie d’assurance RC, existent des garanties
d’assurance de dommages aux biens.
6
7
L. n° 2003-706, 1er août 2003, J.O. 2 août, p. 13220 ; J. Bigot, La loi sur la sécurité
financière, JCP G 2003, I, 177 ; L. Mayaux, La durée de la garantie en assurances
de responsabilité depuis la loi de sécurité financière, les rayons et les ombres,
RGDA 2003, n° 4.
Cass. civ. 19 déc. 1990, JCP G 1991, II, 21656 et RGAT 1991, p. 155, notes J.
Bigot ; RCA 1991, comm. 81 et H. Groutel, chr. 4. Rappelons que le mécanisme
des clauses de réclamation de la victime utilisé par les assureurs imposait à celle-ci
de réclamer la réparation de son dommage avant la date de résiliation du contrat
d’assurance et donc d’expiration de la garantie RC de l’assuré.
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2°/ - L’assurance dommages aux biens
12. - Deux types de garanties, bien que très différentes, sont
également proposées aux entreprises par Assurpol soit pour garantir les
frais de dépollution des sites industriels, soit pour garantir le risque de
pollution du littoral. De façon marginale, la loi Bachelot du 30 juillet
2003 élargit, au profit des particuliers, la garantie des dommages
immobiliers provenant d’une catastrophe technologique.
* l’assurance des sites et sols pollués
13. - L’obligation de réhabilitation des sols pollués qui pèse sur
les exploitants d’installations classées, a engendré de nouveaux besoins
de garantie auxquels Assurpol a partiellement répondu. En effet, depuis
1998, Assurpol a mis sur le marché un contrat d’assurance destiné à
garantir les dommages que l’exploitant assuré se cause à lui-même ou
qu’il subit de la part d’un tiers, à l’occasion d’une pollution du sol. Cette
assurance de dommages « frais de dépollution des sols » est souscrite
seule ou, depuis 2000, dans le cadre d’un contrat multirisques
environnement qui y associe une garantie RC.
La garantie d’assurance porte sur les frais de dépollution
nécessaires à une remise en état du site, comparable à ce qu’il était avant
le sinistre. Ces frais correspondent d’une part, aux opérations destinées à
neutraliser, isoler, confiner, détruire ou éliminer des substances
dangereuses, d’autre part, à l’enlèvement, au transport et à la mise en
décharge de matières polluées, voire à leur traitement éventuel avant la
mise en décharge ou destruction. La dépollution garantie comprend le
sol, le sous-sol et les eaux de surface et souterraines.
Si la garantie paraît étendue au regard de la définition, elle est
sérieusement limitée par la nature de l’évènement à l’origine de la
pollution. Ainsi seule la pollution accidentelle est prise en compte dans
ce contrat, à l’exclusion de la pollution graduelle. Les évènements
garantis, limitativement énumérés dans la police, sont donc notamment
l’incendie, l’explosion, la rupture de canalisations ou de réservoirs non
enterrés, la fausse manœuvre accidentelle, un évènement naturel (la
foudre, l’action du vent, de la grêle ou de la neige, les catastrophes
naturelles), ainsi que le vandalisme ou les actes de terrorisme.
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Quant aux principales exclusions de garanties, elles concernent
notamment les pollutions résultant de l’inobservation par l’assuré des
textes légaux et réglementaires, du mauvais état des installations ou de
leur entretien défectueux, ainsi que les pollutions issues de décharges
internes, celles constatées après la vente ou la cessation d’exploitation
du site, les dommages immatériels comme les pertes d’exploitation
pendant les travaux de dépollution, ainsi que les dommages corporels.
En l’état, cette garantie n’en est pas moins très précieuse et
permet à l’exploitant de respecter ses obligations réglementaires, du
moins lorsque le fait de pollution est de nature accidentelle.
* l’assurance directe « risques de pollution du littoral »
14. - Une nouvelle garantie est proposée par Assurpol depuis l’an
2000 à certaines victimes potentielles de marées noires : les collectivités
publiques et les entreprises industrielles et commerciales. Celles-ci
s’assurent directement par une assurance de choses, alors que leur
dommage devrait en principe être garanti par l’assurance de RC de
l’auteur de la pollution par les hydrocarbures. En réalité, cette assurance
directe relève de la technique de l’avance sur recours avant subrogation
de l’assureur, favorisant et accélérant l’indemnisation des victimes de
marées noires sans attendre la condamnation des responsables de
celles-ci 8.
La garantie d’assurance est déclenchée par la survenance de l’un
des évènements limitativement énumérés dans la police : le naufrage,
l’abordage, l’échouement, la collision d’un ou plusieurs navires
identifiés.
La garantie s’étend aux dommages matériels et aux pertes
d’exploitation subies du fait de la pollution du littoral par les marées
noires, ainsi qu’aux frais de dépollution engagés pour éviter la
réalisation ou l’aggravation des dommages. Seul le préjudice
économique est garanti, le préjudice écologique n’étant pris en compte
que lorsque la situation économique de la victime en dépend. Les
8
A noter que la technique de l’assurance directe a pour objet de transférer sur la
victime le coût d’une prime qui devrait normalement incomber au responsable ; v.
aussi Ch. Russo, De l’assurance de responsabilité à l’assurance directe,
Contribution à l’étude d’une mutation de la couverture des risques, préf. G. J
Martin, Dalloz, coll. Nouv. Bibl. des thèses, Paris 2001.
101
entreprises touristiques dont la saison est perdue par une marée noire
seront indemnisées pour le nettoyage du littoral dont l’agrément et
l’accès valorise largement leurs activités.
Sont cependant exclus les frais d’enlèvement et de renflouement
des épaves, ainsi que les frais engagés pour la sauvegarde des espèces
végétales et animales.
* la loi Bachelot et l’assurance des catastrophes
technologiques
15. – De façon marginale par rapport à l’offre d’assurance
environnementale proposée aux professionnels, la loi Bachelot institue
au profit des particuliers une garantie d’assurance des catastrophes
technologiques, qui engendrent le plus souvent une pollution du
milieu 9.
Ainsi, à condition que la catastrophe soit survenue dans une
installation classée « Seveso risque haut » (au sens du Titre I livre V du
code de l’environnement), c’est-à-dire particulièrement dangereuse, que
soit édicté un arrêté ministériel de catastrophe technologique et que les
dommages soient de grande ampleur, une indemnisation pourra être
allouée aux particuliers victimes qui ont souscrit un contrat d’assurance
de choses. Les dommages indemnisés sont ceux touchant leurs
immeubles, leurs biens mobiliers placés dans ces immeubles, ainsi que
leurs véhicules. La loi aménage en effet une garantie obligatoire
« catastrophe technologique » attachée au contrat principal, qui
représente un coût de quelques euros par contrat. Le mécanisme
d’indemnisation est inspiré de celui prévu pour les catastrophes
naturelles, et s’éloigne en cela de l’opération d’assurance traditionnelle.
Au regard de l’ensemble des dommages environnementaux et du
panorama des garanties d’assurance existant actuellement sur le marché,
on constate un sérieux déficit de couverture. D’où une nécessaire
réflexion portant sur d’autres solutions de nature assurantielle.
9
J. Bigot, La loi Bachelot et l’assurance ; loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003, JCP G
2003, I, 167.
102
B – Des solutions d’avenir de nature assurantielle
16. – La première solution qui vient à l’esprit est le recours à
l’assurance obligatoire.
Alors que le législateur français a multiplié les obligations
d’assurance, essentiellement en matière de RC professionnelle, il n’a pas
encore franchi le pas dans le domaine environnemental. Le principe est
encore aujourd’hui l’assurance facultative, sauf exception légale pour les
entreprises nucléaires et les propriétaires de navires transportant des
hydrocarbures.
L’assurance obligatoire aurait incontestablement pour mérite la
création d’une véritable mutualisation des risques. Mais reste à
déterminer les personnes ou entreprises qui devraient être soumises à
l’obligation d’assurance. Or n’imposer celle-ci qu’à certaines
entreprises, en particulier celles susceptibles d’être les plus polluantes,
aurait pour effet de concentrer les « mauvais risques », et aurait ainsi
toutes les chances de faire échouer l’opération d’assurance. Dans ces
conditions, on comprend que ni les assureurs (qui préfèrent conserver
une entière liberté dans l’élaboration de leurs garanties), ni les
industriels (peu désireux de supporter une prime d’assurance par nature
élevée) ne soient favorables à cette obligation. La Directive
communautaire a d’ailleurs elle-même renoncé à ce choix.
17. - Une seconde solution réside dans le rôle de l’assureur
dans la prévention.
Pour l’heure, la prévention se manifeste très sensiblement au
stade de la souscription du contrat d’assurance.
On sait que l’assurabilité du risque dépend d’une excellente
connaissance de celui-ci. L’assureur soumet donc la demande de
garantie à un questionnaire détaillé, exige de l’entreprise l’ensemble des
documents et informations fournis à l’administration pour l’obtention de
l’autorisation d’exploiter et prévoit un audit environnement ou
diagnostic de site auprès de l’assuré. Des experts spécialisés, agréés par
Assurpol ou par l’Association de certification des auditeurs
environnementaux (ACAE) procèdent alors à une étude historique du
site pour déceler son état de pollution et les risques de transmission de
substances polluantes aux propriétés voisines. Si l’assureur offre sa
103
garantie, il peut se réserver le droit de visiter les installations à tout
moment sans préavis.
L’intérêt essentiel de la démarche est de procéder à un état des
lieux et d’inviter l’assuré à aménager ses installations dans un but
préventif. L’assureur peut alors soit subordonner sa garantie à la
réalisation de certains travaux, soit suggérer ceux-ci à l’assuré pour
diminuer la prime d’assurance. Si cette démarche se développait, il
deviendrait dès lors assez naturel de considérer l’assureur comme un
partenaire et un conseiller, à l’exclusion de tout climat de défiance
néfaste aux relations contractuelles en cause.
Les assureurs ont plus que jamais la volonté de jouer un rôle
« dans l’ingénierie et la prévention, à la condition de travailler plus
étroitement avec les pouvoirs publics et la recherche » (Entretiens de
l’assurance 2003).
Il n’en demeure pas moins que, tout particulièrement pour les
dommages environnementaux, l’assurance rencontre rapidement ses
limites. Il est alors nécessaire de se tourner vers des techniques
alternatives de réparation.
II – Les techniques alternatives de réparation des dommages
environnementaux
18. – La diversité des répercussions dommageables des atteintes
à l’environnement, ainsi que la difficulté que représente la couverture du
préjudice écologique pur oblige à rechercher des mécanismes de
réparation autres que la pure technique assurantielle. Le recours aux
fonds d’indemnisation et à la garantie financière représente sans aucun
doute une partie des solutions de demain.
A – Les fonds d’indemnisation
19. - Le recours aux fonds d’indemnisation est devenu une
technique courante pour faciliter l’indemnisation des dommages subis
par des victimes non assurées ou ne disposant d’aucun recours contre un
responsable. En France, des fonds spéciaux nationaux permettent ainsi la
réparation des dommages causés par le grand gibier (Office national de
la chasse), le financement d’opérations visant à atténuer les nuisances
subies par les riverains d’aérodromes, la réparation de dommages
104
consécutifs à l’exploitation minière et la prévention des risques miniers
en fin d’exploitation, ou encore la réparation des dommages causés par
l’amiante. Mais retiendront essentiellement notre attention le FIPOL qui
intervient en cas de pollution des mers par les hydrocarbures et le fonds
de garantie des assurances obligatoires de dommages intervenant en cas
de catastrophe technologique.
* Le FIPOL (Fonds international d’indemnisation pour les
dommages dus à la pollution par les hydrocarbures).
20. - Le FIPOL a été créé par une convention internationale
signée à Londres en 1992 et ratifiée par la France en 1994. Il s’agit
d’une organisation intergouvernementale à vocation mondiale, destinée
à réparer à titre complémentaire les dommages de pollution des mers par
les hydrocarbures qui n’auraient pas été pris en charge par le
responsable. Le fonds est financé par des contributions à la charge des
sociétés qui reçoivent les hydrocarbures à la suite de leur transport par
mer.
L’intérêt d’un tel fonds d’indemnisation est bien compris. Les
dommages résultant d’une pollution par les hydrocarbures sont
considérables et chaque catastrophe révèle les insuffisances financières
du FIPOL dont le plafond d’indemnisation doit être ponctuellement
relevé. Un fonds complémentaire a d’ailleurs été créé par l’Organisation
maritime internationale courant 2003. On peut regretter que les
indemnités affectées à la remise en état de l’environnement soient
strictement dépendantes de la réparation du préjudice économique subi
par le demandeur.
* Le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages
21. – Quant au fonds de garantie des assurances obligatoires
de dommages 10, il n’est autre que le fonds de garantie des accidents de
circulation et de chasse, réintitulé par la loi Bachelot du 30 juillet 2003.
Il a pour mission d’indemniser les victimes de catastrophes
technologiques qui n’auraient pas souscrit de contrat d’assurance de
10
S. Abravanel-Jolly, Le fonds de garantie des accidents de circulation et de chasse
rebaptisé fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, RCA 2004
n° 4.
105
choses pour protéger leur patrimoine immobilier ou mobilier. Cette
indemnisation, qui a lieu même en l’absence de tout responsable, ne vise
que les habitations principales et est plafonnée à un montant fixé par
décret. Rappelons que le rôle assigné à ce fonds ne concerne
l’environnement proprement dit que si la catastrophe technologique en
cause a créé une pollution du milieu.
22. - La technique des fonds d’indemnisation ayant fait la
preuve de son efficacité au bénéfice des victimes de dommages, on
pourrait être tenté de la proposer pour la réparation du préjudice
écologique.
Outre le fait que la victime est cette fois la nature elle-même et
que le dommage écologique est parfois difficilement réparable, sauf à
très grands frais, l’intervention d’un fonds d’indemnisation soulève le
problème majeur de son financement.
Ce dernier pourrait peser exclusivement sur les entreprises les
plus polluantes sous la forme d’une taxe, ce qui ne serait juste que si
étaient répertoriées précisément ces pollueurs. Or, dès lors que la
pollution est parfois historique, que l’origine de la pollution est en réalité
très diversifiée et repose sur tous les acteurs de la société civile pour la
pollution chronique et graduelle, peut-être serait-il préférable de
proposer un financement généralisé et gradué selon la vocation à générer
de la pollution environnementale. Un immense travail d’identification de
tous les facteurs de pollution s’impose alors.
Pour l’heure, la directive qui n’a procédé sur ce point à aucune
option reporte indirectement le coût de la réparation de la pollution sur
l’Etat d’abord, à charge pour ce dernier de retrouver le véritable
responsable, débiteur final de la réparation.
Reste la technique de la garantie financière qui représente peutêtre l’une des voies d’avenir à explorer.
B – La garantie financière
23. - La garantie financière a un objet précisément défini
lorsqu’elle est rendue obligatoire, comme c’est parfois le cas dans le
domaine environnemental. Elle consiste généralement en un
cautionnement consenti par un établissement financier ou une
106
compagnie d’assurance, pour le compte de la personne dont l’activité est
garantie, et pour un montant en principe déterminé.
24. - L’exploitant d’une installation nucléaire a, selon la
Convention de Paris de 1960, l’obligation de souscrire une garantie
financière ou une assurance, pour un montant correspondant à la limite
supérieure de sa responsabilité civile. Celle-ci est plafonnée en France à
un niveau qui varie selon le risque que représente l’installation : 22,5
millions d’euros pour les installations à risques réduits et 90 millions
d’euros pour les installations présentant des grands risques. Au-delà de
ce plafond, l’Etat prendra en charge les sinistres.
25. - Par ailleurs, dans le cadre d’une politique de réhabilitation
des sites et sols pollués, la loi du 4 janvier 1993 a introduit dans la
réglementation relative aux installations classées (loi 19 juillet 1976)
l’obligation pour les exploitations les plus polluantes de constituer des
garanties financières 11. Celles-ci conditionnent en réalité la mise en
activité et/ou le changement d’exploitation. Elles sont destinées à assurer
le maintien en sécurité de l’installation au cours de l’activité et à couvrir
la remise en état des sites pollués après cessation d’activité, à l’exclusion
des dommages causés aux tiers couverts par la responsabilité civile. Leur
montant est fixé par l’arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter ou par
arrêté complémentaire pour une réactualisation éventuelle. La loi
Bachelot du 30 juillet 2003 (art. l 514-20 c. env.) a renforcé cette
obligation en ce qu’elle institue à la charge du préfet un suivi des
capacités techniques et financières de l’exploitant à procéder à la
dépollution de son site, autant pendant l’activité qu’après la cessation de
celle-ci.
26. – Certes, le dispositif des garanties financières ne résout pas
pour autant l’ensemble des problèmes de financement des travaux de
décontamination des sols pollués. Mais dans la mesure où la pollution
des sols et des eaux par les exploitations industrielles constitue l’une des
11
Les exploitations visées sont les installations de stockage de déchets, des carrières
et des installations à risques importants pour la sécurité des populations et pour
l’environnement (visées par l’art. L 516-1, c. env.). V. C. Lepage, Garanties
financières : quelles perspectives d’évolution ?, Gaz. Pal. 1999, n° spécial Droit de
l’Environnement et Entreprise, 9 oct. 1999, p. 1440.
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sources du dommage écologique, le mécanisme des garanties
financières pourrait s’avérer d’une certaine efficacité si la mise en œuvre
des règles existantes se faisait avec la plus grande rigueur. Reste à
trouver les entreprises disposées à proposer ces garanties qui dépendent
largement, comme dans la technique assurantielle, du niveau de risque
que représente l’exploitation considérée. Mais plus ces souscriptions
seront nombreuses, plus le risque sera neutralisé.
27. – Assurance, fonds d’indemnisation ou garantie financière,
ou encore constitution de provisions auprès d’un établissement financier
ou un assureur, totalement dédiées au financement des obligations issues
de la loi, le tout éventuellement accompagné d’incitations fiscales, les
solutions ne manquent pas pour garantir le dommage environnemental.
Reste à opter pour les mécanismes les plus appropriés, ce qui n’est
certainement pas le plus facile.
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