COPROPRIÉTÉS EN ECOQUARTIERS : FAUT-IL S`INQUIÉTER ?

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COPROPRIÉTÉS EN ECOQUARTIERS : FAUT-IL S`INQUIÉTER ?
COPROPRIÉTÉS EN ECOQUARTIERS :
FAUT-IL S’INQUIÉTER ?
2015
10
avril 2015
TAOUFIK SOUAMI, PROFESSEUR
Taoufik SOUAMI,
Professeur
École d’Urbanisme de Paris - Université Paris Est - LATTS - École des Ponts ParisTech
L
e développement durable a connu plusieurs tentatives de traduction
dans le domaine de l’habitat et de l’urbanisme, parmi lesquelles les
quartiers durables ou éco quartiers. Ces derniers, construits ou en cours
de construction, offrent la possibilité d’interroger les conséquences de l’introduction du développement durable urbain dans les copropriétés. Ils permettent de vérifier si les interrogations, voire les craintes, de certains professionnels de l’immobilier sont justifiées : la « conversion » des copropriétés au
développement durable reproduit-elle les risques de dérives connues ? Ces
dérives passées désignent-elles vraiment les questions que posent désormais
les copropriétés soumises aux nouvelles exigences et attentes du développement durable ?
L’inscription des copropriétés dans les éco quartiers ou quartiers durables les
confrontent à quatre ensembles de changements qui touchent à la manière
de les fabriquer, gérer et vivre :
1. des changements techniques,
2. des changements économiques et financiers,
3. des changements juridiques et organisationnels,
4. des changements sociaux et de conception des espaces.
Examinons-les de plus près pour comprendre les questions qu’ils posent.
• d’une manière encore plus systématique, les
copropriétés sont obligées ou très fortement
incitées à se brancher aux réseaux de chaleur
puisque souvent les nouveaux quartiers et
désormais les anciens en rénovation adoptent
cette solution. Il s’agit de réseaux de chaleur
desservant quelques milliers d’immeubles
ou de petits réseaux fonctionnant avec
une chaufferie propre au quartier. Dans
tous les cas, la finalité est de desservir
ces propriétés avec une énergie « propre »
puisque principalement renouvelable.
Pour les collectivités, c’est un moyen de
prendre la main sur le mix énergétique des
consommations des immeubles. Dans certains
cas, le réseau concerne seulement deux
ou trois copropriétés, une copropriété et un
immeuble de bureaux, deux copropriétés
et un immeuble de logements sociaux qui
partagent ainsi la chaufferie et le réseau de
distribution. Dès que possible, les panneaux
solaires et les cogénérations des immeubles
sont intégrés dans les réseaux de chaleur
comme points de production.
1. CHANGEMENTS TECHNIQUES : MUTUALISATION À L’ÉCHELLE URBAINE
H
ormis les obligations qui pèsent sur les bâtiments au titre des règlements nationaux, les règles d’urbanisme et les cahiers des charges
urbains propres aux quartiers durables introduisent des modifications profondes allant pour la plupart vers la mutualisation des installations
techniques à l’échelle d’un ilot entier (soit plusieurs copropriétés), de plusieurs
ilots, voire d’un quartier. Trois exemples illustrent cela :
• dans les projets de nouveaux quartiers, les collectivités et les
aménageurs veulent créer des cœurs d’îlots totalement végétalisés,
de préférence en pleine terre. Pour cela, ils exigent que les fonds de
parcelles soient réunis pour constituer une sorte de jardin commun
même si les parcelles sont séparées par des grilles ;
• de même, les opérateurs des collectivités prévoient une mutualisation
du stationnement entre plusieurs îlots dans le but de réduire le nombre
d’emplacements puisque les études montrent qu’ils sont sous-utilisés.
Ainsi, des parkings communs sont réalisés dans les sous-sols partagés
de plusieurs propriétés et copropriétés (Fig. 1);

FIG 1 Parking mutualisé – Exemple Ile de Nantes
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Ces dispositifs ne répondent pas seulement à des exigences technico-environnementales prescrites par les collectivités et l’État pour « une vie plus saine
et impactant moins l’environnement en général ». Ils sont choisis pour réaliser
également les attentes des habitants dans un certain nombre de domaines.
Leur finalité est d’offrir un cadre de vie de qualité avec ces jardins en cœur
d’ilot. Par exemple, à l’île de Nantes, la création de ces cœurs d’îlot sous
forme de jardins appartenant chacun à une copropriété mais créant un
ensemble vert continu répond aux demandes des habitants d’espaces naturels proches et accessibles dépassant les alignements d’arbres ou quelques
plantations ponctuelles. La réduction du nombre de véhicules doit diminuer
les surfaces qu’ils occupent par le stationnement et les voies de circulation.
Les usagers des villes veulent des espaces plus favorables aux piétons et
plus sécurisés. Les parents préfèrent un voisinage où leur progéniture peut
circuler sans trop de risques d’accident ; les séniors ont une préférence pour
un voisinage moins dépendant du déplacement en voiture. Ces dispositifs
sont également recherchés pour amoindrir les coûts et in fine baisser les
charges pour les habitants. Aux Docks de Saint-Ouen, la mutualisation des
stationnements permet potentiellement d’économiser d'un tiers les coûts des
infrastructures liées à la voiture. A Limeil-Brévannes, l’éco quartier des Quatre
Temps induirait une réduction potentielle d’environ 20% du coût des installations énergétiques en utilisant le réseau commun à la place d’une chaufferie
unique par copropriété. Bref, la mutualisation ouvrirait sur le partage des
coûts et au final sur la réduction des charges dont se plaignent tant les
copropriétaires.
Le tableau n’est évidemment pas aussi « positif ». Ces configurations des
matériels posent au moins deux types de problèmes techniques :
• une plus grande complexité et sophistication de l’entretien et de
la maintenance car les installations sont plus atypiques et parfois
totalement nouvelles pour le monde des copropriétés. Au-delà de la
sophistication des matériels, les complexités tiennent à des détails.
Par exemple, à Limeil-Brévannes, s’est posé le problème de l’accès
aux panneaux solaires placés sur les toits des copropriétés alors qu’ils
appartiennent au gestionnaire de l’énergétique du quartier ;
• une réduction des possibilités d’adaptations techniques en cas
d’incident ou de volontés de changement. La dépendance à des
systèmes techniques plus larges, déployés à l’échelle d’un îlot ou d’un
quartier, fait que la copropriété ne dispose pas de la maîtrise totale
de son matériel. Quand une chaufferie propre à une copropriété
tombe en panne, elle peut être réparée ou changée en toute
indépendance. La copropriété peut également choisir d’adopter
une solution plus efficace ou encore réduire sa puissance suite
à des travaux d’amélioration énergétique... Pris dans un réseau,
l'adaptabilité et la résilience de ces systèmes techniques sont plus
faibles.
Pour bénéficier de toutes ces qualités promises tout en évitant les inconvénients de ces interdépendances techniques et spatiales, les copropriétés et
surtout leurs concepteurs sont face au défi d’un renouvellement important de
leurs conceptions des choix des matériels. Plus précisément, une piste se
profile envisagée par quelques aménageurs et collectivités : concevoir des
systèmes techniques plus flexibles à l’échelle urbaine. Les copropriétés ne
peuvent seules porter une telle révolution dans le monde de l’ingénierie,
mais elles peuvent y encourager très fortement en remontant à l’amont de
la fabrique urbaine pour alerter sur les risques d’une trop grande rigidité de
systèmes qui se déploieraient à l’échelle de plusieurs copropriétés.
2. CHANGEMENTS
ÉCONOMIQUES ET
FINANCIERS : INVESTIR PLUS
POUR PAYER MOINS ?
A
vec ces nouvelles exigences et leur
lot de nouvelles installations techniques, des transformations se font
jour dans le fonctionnement financier des
copropriétés. Elles touchent à trois aspects :
1. Les investissements subiraient des
modifications mais dans directions
différentes selon le type de matériel et son
rôle.
Les équipements propres aux copropriétés et
non mutualisés à l’échelle des îlots conduiraient à une augmentation des coûts. Les promoteurs parlent de surcoûts. Les collectivités
et les BET spécialisés affirment qu’ils donnent
lieu à terme à une réduction des charges et
des coûts de gestion pour les copropriétés.
Autrement dit, il s’agirait de surinvestissements dont l’amortissement serait assuré par
une réduction des montants finaux consacrés
à l’entretien et aux consommations. La vérification de ces considérations n’est pas faite.
Nous avons aujourd’hui quelques retours
d’informations mais elles sont encore insuffisantes pour confirmer ou infirmer.
Les équipements mis en commun à l’échelle
d’îlot ou du quartier aideraient à réduire,
pour chaque copropriété, les immobilisations
nécessaires pour l’investissement. Ils constitueraient une externalisation des investissements pour la copropriété. Cette réduction
vérifiée bénéficie surtout aux promoteurs qui
voient ainsi leur bilan d’opération soulagé
partiellement. Ainsi, ils peuvent afficher des
prix de vente plus faibles : ils en deviennent
plus attractifs et répondent en partie à la
demande de maîtrise des prix de sortie par
les collectivités. Toutefois, nous manquons
de visibilité sur les coûts réels d’entretien
et de consommation liés à ces installations
mutualisées. Plusieurs copropriétés craignent
que la réduction des prix d’achat cache au
final des charges plus importantes à travers
les contributions demandées pour l’entretien
de ces « communs ». Là encore, les retours
d’informations sont insuffisants pour confirmer ou infirmer ces craintes. Les incertitudes
sur ce sujet sont également liées à la méconnaissance des contributions publiques pour 
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réaliser ces investissements. En effet, pour encourager les mutualisations,
les collectivités locales apportent parfois leur soutien par la prise en charge
directe des équipements communs. C’est par exemple le cas des parkings
mutualisés à Saint-Ouen ou encore le réseau de chaleur à Lyon-Confluence.
Dans d’autres cas, la collectivité apporte un appui à travers des subventions
et des aides, ou encore par le biais de ses organismes opérationnels (régies,
offices HLM, opérateurs subventionnés…).
Par exemple, le syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux de communication a constitué une SEM qui doit mettre
en œuvre les moyens de productions locales au sein des quartiers franciliens.
Dans tous les cas, les collectivités attendent un retour sur ces investissements
à travers les abonnements, les règlements de consommations et parfois les
redevances.
2. Les frais de gestion et d’entretien des copropriétés dans les éco
quartiers sont également l’objet d’attention.
La première interrogation concerne leur éventuelle augmentation. Les observations préliminaires réalisées à Bonne (Grenoble) et aux Brichères (Auxerre)
indiquent une augmentation durant les premières années d’occupation aussi
bien pour les parties communes que pour les parties privées. Ces augmentations sont pour beaucoup liées aux problèmes de démarrage, de réglages et
d’apprentissage des nouvelles installations. Les interventions techniques sont
souvent plus importantes pour régler, parfois modifier et d’autres fois apporter
des explications. Ces frais semblent baisser pour certaines copropriétés les
années suivantes. Comme pour les investissements, les données manquent
afin de confirmer ou d’infirmer cette évolution. Une analyse plus large de cas
et surtout plus fine est nécessaire.
Une seconde conséquence de l’inscription des copropriétés dans les éco
quartiers est la transformation des circuits financiers qui deviennent plus
complexes. Les copropriétés doivent verser leurs contributions aux entités en
charge des installations ou des réseaux mutualisés après les avoir prélevées
auprès de propriétaires. Ces entités font régulièrement appel à des sociétés
de gestion et d’entretien technique… Par exemple, la mutualisation des parkings entraine des versements par chaque copropriété à l’entité en charge
de leur gestion. Cette dernière doit également collecter les contributions des
bureaux et des commerces concernés…
La mutualisation fait de la copropriété un co-financeur qui doit décider avec
d’autres des choix en matière budgétaire. Par exemple, il faut engager en
concertation avec les autres copropriétés et immeubles les dépenses concernant la chaufferie commune et son réseau de distribution. En cas de problème non routinier, la cohérence budgétaire suppose un effort particulier.
3. Les charges individuelles sont l’objet des plus grandes attentions dans
les copropriétés en quartier durable.
Dans certains cas, elles augmentent et, dans d’autres, elles diminuent. Le
recul est insuffisant et les études systématiques et fines manquent pour donner
des conclusions définitives. En revanche, durant ces premières années de vie
des copropriétés en éco quartier, le problème prioritaire lié à ces mutualisations est la lisibilité des charges. Dans l’éco quartier de Bonne à Grenoble,
trois ans après leur emménagement, les copropriétaires ne connaissaient
toujours pas leurs consommations réelles en chauffage car les compteurs individuels n’étaient pas installés. La répartition des consommations de chaleur et
d’eau chaude se faisaient toujours aux tantièmes alors que les copropriétés
devaient effectuer cette répartition en fonction des consommations réelles
des logements. La réalité des charges s’en trouvait encore plus embrouillée.
A Limeil-Brévannes, les nouveaux résidents ont eu des difficultés pour comprendre leurs charges concernant le chauffage et l’eau chaude sanitaire
parce que les promoteurs et l’opérateur du
réseau étaient en désaccord sur le prix du
KWh. Il faut ajouter à cela l’utilisation d’une
chaudière fuel classique durant les deux premières années à la place de la chaufferie
biomasse prévue pour comprendre le mécontentement des premiers résidents concernant
la lisibilité de leurs charges.
Dans les copropriétés d’éco quartiers, l’attente en matière de lisibilité des charges
semblent encore plus forte qu’en situation
ordinaire. L’annonce d’un quartier permettant
par ses équipements mutualisés de réduire
les consommations et les charges conduit les
copropriétaires à y porter une plus grande
attention. Cette lisibilité n’est pas au rendezvous dans les cas observés pour des raisons
conjoncturelles (retards dans les installations
et les systèmes de gestion…) et d’autres plus
structurelles.
L’appréhension même des charges tend
à être transformée par l’annonce du développement durable et appelle donc à anticiper les attentes des copropriétaires en
la matière. La conception classique de la
copropriété a tendance à rapporter les
consommations et les charges aux caractéristiques du logement, en particulier sa surface. La traduction de la durabilité pour les
copropriétés pousse à considérer les usages
et les consommations indépendamment de
la dimension et des qualités du logement
(étage, surface…) en tentant de les mesurer
directement. Autrement dit, la copropriété
classique affecte les charges en fonction
de la dimension du logement alors que la
copropriété durable tend à les considérer
en fonction des pratiques et des usages des
occupants.
Cela signifie qu’avant même de mesurer
les charges et leur éventuelle variation pour
cause de « durabilité », il faut commencer par
travailler à leur lisibilité dans une perception
fondamentalement changée.
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3. CHANGEMENTS JURIDIQUES ET
ORGANISATIONNELS
L
a mise en place de ces dispositifs de mutualisation et de mise en commun entraine aussi des questionnements sur les modalités d’organisation
des copropriétés et leur cadre juridique. Ces changements inquiètent les
professionnels de l’immobilier et provoquent les alertes des spécialistes des
copropriétés dégradées. Ces derniers voient dans les choix d’organisation
juridique qui se profilent la reproduction des choix opérés par le passé qui,
pour eux, constituent l’origine des problèmes rencontrés aujourd’hui. Qu’en
est-il ?
Cadre juridique de la copropriété et durabilité : une incompatibilité de fond ?
Les lois traitant des copropriétés ont souvent eu pour principales préoccupations de préciser les rôles et les responsabilités, obliger aux décisions
collectives, protéger les copropriétés des dérives liées à la multiplication des
intermédiaires et gérants indélicats. Autrement dit, elles tentent de faire de la
copropriété une « boite » solide et cohérente, la moins soumise possible aux
aléas extérieurs (les difficultés et défaillances individuelles étant également
considérées comme exogènes).
Cette architecture juridique tend à apparaître pour les promoteurs et développeurs des nouvelles solutions en éco quartiers comme des obstacles à
la mutualisation. La loi de 1965 et ses ajustements tendent à consolider les
capacités de décision en autonomie des copropriétés alors que la mutualisation suppose des entités juridiques plus ouvertes. Par exemple, la gestion
commune d’un jardin conduit à ajouter une convention entre copropriétés et
apporter un appendice juridique dans le fonctionnement de la copropriété.
Ces compléments juridiques successifs introduisent des failles dans le système
visé par le législateur où idéalement les décisions sont centrées sur la seule
l’assemblée générale de la copropriété et son conseil syndical.
Sur le plan pratique, les finalités sont bien différentes. Dans la vision classique de la copropriété, l’objectif est de réduire au maximum les risques en
ordonnant avec la plus grande précision possible les instances de décision,
les modalités de décision (vote selon les articles 24, 25 et 26) et l’objet de
ces décisions.
Pour les défenseurs de cette vision, les contrats ou les instances ad hoc
(copropriétés principales, ASL, AFUL…) qui se greffent pour partager des
équipements dans un éco quartier viennent introduire des risques et les augmenter. Dans ce cas, les choix ne dépendent en effet plus de la seule assemblée générale mais également des actes juridiques réalisés par ces autres
instances.
Pour les porteurs de ces mutualisations, il ne s’agit pas de risques mais au
contraire de la formalisation juridique de liens offrant la possibilité aux copropriétés de réduire leur responsabilité juridique en la partageant justement
avec d’autres. Autrement dit, les risques seraient fixes mais partagés et donc
réduits pour chacune des copropriétés.
Il y a une divergence fondamentale entre ces deux conceptions juridiques
que le législateur devra résoudre : d’un côté une copropriété focalisée sur son
bon fonctionnement et sa viabilité, d’un autre côté, une copropriété considérée comme actrice de la fabrication d’équipements et d’espaces communs
à l’échelle urbaine.
Des outils juridiques : vers des solutions complexes ?
Pour mettre en place ces mutualisations, il est fait appel à une multiplicité de
solutions juridiques connues ou renouvelées : ASL, découpages en volumes,
société de gestion commune, AFUL...
Par exemple aux Docks de Ris (Ris Orangis),
l’aménageur a créé une AFUL pour encadrer
dans un premier temps la réalisation et la
mise en fonctionnement du réseau de chaleur biomasse. Il est prévu qu’il se retire de
cette AFUL au bénéfice des copropriétés au
fur et à mesure de leur mise en place.
Ces montages juridiques suscitent les craintes
des gestionnaires et de ceux aujourd’hui en
charge du traitement des copropriétés en
difficultés. Ces solutions portent pour eux les
germes des difficultés à venir : la multiplication des décideurs, la complexification des
comptes, la superposition des missions (… )
dans ces contrats où entités ad hoc entraineraient nécessairement des mises en danger
des copropriétés. Le déterminisme affirmé
ici entre forme juridique et problèmes de
gestion n’est pas vérifié puisque nombre de
copropriétés continuent à fonctionner correctement tout en étant associées de la sorte.
L’affinement de l’analyse montre que les difficultés ne tiennent pas intrinsèquement à ces
solutions juridiques particulières mais à deux
ensembles de raisons :
• l’inadéquation de certaines
solutions génériques aux ressorts de
fonctionnement des copropriétés : les
ASL sont basées sur un système de
décision fermé qui ne permet pas le
jeu de rectification et de correction
sauf à les démonter. Face aux ASL,
la décision démocratique - règle
incontournable en copropriété - en
devient tout simplement impossible ;
• l’inadaptation entre les solutions
juridiques et les particularités des
copropriétés. Par exemple, la mise en
place d’une division par volumes ne
se justifie que dans des cas précis.
Son utilisation pour « soulager » les
commerces ou les bureaux des
obligations de la copropriété au
sein d’un immeuble simple (une
cage d’escalier et 40 lots) n’est pas
pertinente. La mise en place de ces
solutions juridiques surdimensionnées
pour les questions à traiter peut en
effet conduire à des difficultés car la
copropriété s’en trouve noyée sous ses
lourdeurs.
Dans les éco quartiers, la tentation est forte
de recourir à ces solutions en ne prenant
pas en compte la particularité des copropriétés. L’ajustement est pourtant possible.
A Kreuzberg (Berlin), la mise en place de 
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deux chaufferies communes à l’échelle de tout un îlot n’a pas donné lieu
à une division en volumes complexe avec création d’une entité de gestion
particulière. Les copropriétés ont passé une convention enregistrée auprès
du notaire indiquant les obligations réciproques : l’accueil des chaufferies
dans les sous-sols des deux bâtiments adaptés, le reversement des droits
pour ces dernières, les puissances consommées par chaque bâtiment et une
clé simple de répartition des charges. Par ailleurs, les conditions éventuelles
de sortie de la convention étaient précisées. Cette convention remplissait
toutes les exigences pour assurer le bon fonctionnement de ce mini-réseau
entre plusieurs copropriétés simples : lisibilité (convention accessible et lisible)
et adaptabilité (les copropriétés pouvaient se retirer de ce système contre
indemnisation en fonction de l’amortissement). L’ensemble est toujours en
fonctionnement plus de 15 ans après et aucune copropriété n’est aujourd’hui
en difficultés alors que la majorité des habitants demeurent plutôt modestes.
La question est donc moins l’outil juridique en soi, qui serait porteur d’un
« virus » produisant son effet à retardement que de trouver la solution juridique
la plus ajustée aux situations.
Rappelons à cette occasion que les outils juridiques servent d’abord à formaliser les accords et les principes de fonctionnements convenus entre les
différents acteurs. Ils donnent forme à ces accords et à la confiance entre les
protagonistes, en particulier pour procéder à des actes de gestion dans la
durée et pas seulement pour réaliser une transaction ponctuelle.
Les outils juridiques n’instituent pas ces accords et ne créent pas la confiance
dont ils ne sont que l’armature juridique. En entrant en copropriété, on est
supposé accepter ces accords et adhérer à la base minimale de confiance.
Autrement dit, les meilleurs outils juridiques ne peuvent remédier en euxmêmes à l’absence d’accord et à la généralisation de la défiance dans une
copropriété. Ils sont les moyens, quasiment le prétexte, pour retravailler cette
confiance et pour renouer les liens entre les décideurs de la même copropriété quand celle-ci connaît une dérive.
La question est dès lors de savoir quels sont les outils juridiques pertinents.
Le recours à certaines solutions ad hoc, appendices de la copropriété,
montrent, particulièrement en éco quartier, que l’outil central et classique est
insuffisant : le règlement de copropriété ne permet pas de mettre à profit certaines opportunités, alors on recourt à des montages spécifiques. Ces limites
ne concernent pas les seules questions de mutualisation mais un panel plus
large de sujets induits par les enjeux de développement durable. La revente
d’électricité produite par cogénération, l’exploitation de toits et terrasses
pour les producteurs d’énergie ou d’agriculture urbaine, le remembrement
de parties communes pour faciliter de nouveaux usages(…) sont particulièrement difficiles à mettre en place avec la conception actuelle du règlement
de copropriété qui, de plus, est souvent considéré comme immuable. Ce
constat appelle au moins deux transformations :
• consacrer à la mise en place des règlements de copropriétés une
attention plus importante. Souvent, les promoteurs y réservent peu de
temps réutilisant des modèles types et intégrant des règles générales
peu adaptées, d’une part, aux spécificités des immeubles construits,
d’autre part, aux exigences en matière de développement durable.
Ce moment clé devrait faire l’objet d’un investissement conséquent en
temps et en ingénierie pour aboutir à un document adapté ;
• associer bien plus tôt dans sa rédaction les copropriétaires et
les gestionnaires effectifs de l’ensemble immobilier concerné. Les
règlements actuels sont souvent la reproduction de modèles qui sont
ajustés à la marge, traitant d’aspects génériques. Les copropriétaires,
y compris les acquéreurs dans le neuf, le considèrent comme extérieur
à eux, comme un ensemble de « lois » qui leur sont imposées par
d’autres. Ils ne l’appréhendent donc pas comme le leur et tendent
par conséquent à l’estimer comme
hors de portée de leur influence. Ceci
ne facilite pas son utilisation et son
éventuelle adaptation.
Au-delà du règlement, la question se pose
d’équiper les copropriétés de réels outils
de gestion. Difficile de faire du management avec des règlements. Ces outils juridiques de gestion concernent en premier
lieu le statut même des copropriétés qui ne
permet pas d’agir totalement comme une
personne morale en charge de la gestion,
telle une entreprise ou une régie. Les outils
comptables améliorés par les réformes ne
résolvent pas totalement la distorsion entre
les deux fonctions affectées aux copropriétés : garante du respect des droits dans la
durée et gestionnaire de travaux et de relations commerciales avec des intervenants ou
des partenaires.
Dans la continuité, les interrogations
concernent l’organisation de la décision au
sein des copropriétés. Assemblée générale
annuelle, conseil syndical et syndic constituent un maillage trop lâche pour la gestion
durable de deux points de vue au moins.
Ils tendent à diluer les responsabilités et les
instances de décision. Ils posent des délais
trop éloignés entre les décisions de gestion
qui exigent des rythmes bien plus soutenus.
Certains en arrivent à proposer l’équivalent
de conseils d’administration de manière
à faire glisser les principes de décision
d’un format associatif et volontaire vers
un format plus professionnel, responsabilisant et plus resserré dans le temps. C’est
par exemple le choix opéré par un ensemble
d’habitants de Clairlieu (Nancy) qui, pour
mener la réhabilitation de leur lotissement
de 1 300 pavillons, a préféré la constitution
d’une société coopérative avec son conseil
d’administration, au syndic de lotissement
ou à la constitution d’une copropriété. Cette
organisation de la décision par un conseil
d’administration permet, pour eux, de faciliter la gestion des relations contractuelles
avec l’extérieur et d’instituer d’autres formes
de travail entre propriétaires plus claires
et rationnelles. Dans ce cas, c’est bien la
société coopérative qui se propose de réaliser un réseau énergétique utilisant les panneaux solaires sur les toits pour en réduire les
coûts pour chacun. Même si les actionnaires
de cette société sont bien les propriétaires
et les porteurs de projets, les relations sont
bien établies entre chaque propriété et cette

entreprise.
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4. CHANGEMENTS SOCIAUX ET DE
CONCEPTION DES ESPACES
L
es nouveaux dispositifs techniques appellent en partie des changements
de comportements individuels et collectifs. Aux dispositifs techniques
mêmes, s’ajoutent également des règles et des instructions d’usages
données par les collectivités ou leurs gestionnaires afin d’assurer le fonctionnement des quartiers.
Par exemple, du tri sélectif classique on passe à un tri plus sophistiqué supposant l’utilisation de plusieurs lieux de dépôt pour certains dans l’immeuble,
pour d’autres situés dans l’espace public. Autrement dit, les propriétaires,
comme individus, et la copropriété, comme collectif social, se voient dans
l’obligation de reconsidérer les principes d’usages qui règlent la vie commune de leur immeuble. Certains habitants, copropriétaires ou pas, se
réapproprient ces nouvelles règles, parfois les accentuent, d’autres fois se
considèrent garants de leur respect. D’autres propriétaires rejettent ces nouvelles règles et remettent en cause leur validité.
Les gestionnaires redoutent ce dernier cas de figure car les conséquences
peuvent être relativement importantes :
• les éventuelles dégradations de l’environnement et des locaux des
copropriétés. On constate alors leur accumulation d’une manière
désordonnée dans et hors des espaces qui leur sont réservés avec les
conséquences sur l’hygiène.
• les augmentations des coûts pour la copropriété. Cette dernière doit
non seulement remédier à des dysfonctionnements, mais se retrouve
financièrement responsable de l’absence de respect de ces règles
d’usage vis-à-vis des collectivités qui les dictent. Par exemple, la mise
en place d’une redevance déchets avec sanction renvoie clairement
la question du respect des consignes de tri à la responsabilité de la
copropriété.
Comme le montrent de nombreuses recherches et expériences depuis plusieurs années, ces problèmes ne peuvent être fondamentalement traités par
l’aggravation des restrictions et par un contrôle accru des individus car ils ne
tiennent pas aux règles d’usage mêmes ni au profil intrinsèque des usagers.
Les explications et donc les solutions se situent dans l’écart entre les usages
attendus et/ou souhaités et les espaces proposés au sein des copropriétés.
Comme il n’y a pas de déterminisme juridique ou technique (les mêmes outils
provoquant les mêmes problèmes), il n’y a pas de déterminisme social (les
mêmes profils sociaux ne reproduisent pas les mêmes usages ou les mêmes
inerties de pratiques).
L’illustration peut être ici aussi donnée par la question des déchets. Ces
derniers sont désormais considérés non plus comme des objets inutiles dont
le rejet au plus loin des lieux de vie est recherché. Ils sont présentés comme
des biens ayant une valeur pour la société par leur réutilisation, recyclage
et la réduction de leur pollution sur nos environnements de vie. Au nom de
cette nouvelle valeur attribuée aux déchets, il est demandé aux habitants de
les trier, de les stocker, de les entreposer dans les bons containers et de les
amener aux bons endroits pour qu’ils continuent à faire la richesse de nos
sociétés. Toutefois, face à cette nouvelle représentation et valeur, très peu
de changements sont apportés à la conception des espaces privés et des
espaces communs dans les immeubles pour faire place à des déchets investis
de cette nouvelle valeur. Dans les logements, les cuisines et leurs équipements
demeurent minimes, voire encore plus réduits. Les espaces pour trier, stocker, déplacer sont tout simplement impensés par les concepteurs. En conséquence, les habitants bricolent des solutions entre leur balcon, leur loggia ou
encore leur garage sinon abandonnent tout
tri. On les invite à utiliser les bons containers
du local-poubelles pour les trois types de
déchets alors que ce local commun demeure
petit au point de ne pouvoir accueillir tous
les bacs. Local sombre, il pousse les habitants à se débarrasser de leurs sacs en toute
hâte. Mal localisé (en sous-sol), il complique
le travail des agents de nettoyage. A Bonne
(Grenoble), la question a été mieux anticipée et le résultat probant. La solution ne
tenait pas en un travail révolutionnaire pour
la conception : les locaux pour les poubelles
étaient plus grands, éclairés naturellement
et situés au rez-de-chaussée. Ainsi, ils facilitaient à la fois les gestes des usagers et le
travail des agents.
Les questions posées par les copropriétés
durables renforcent l’invitation à anticiper
davantage les questions d’usages dans les
processus de conception des espaces et du
bâti. L’effort n’est pas nécessairement spectaculaire puisqu’il s’agit souvent d’apporter
une attention à de très nombreux détails qui
conditionnent et facilitent la vie de la copropriété. Il s’agit parfois d’anticiper des usages
attendus et connus et d’autres fois de laisser
quelques marges d’ajustement et de réappropriation des espaces par les habitants. Les
enquêtes montrent régulièrement que certains
prennent l’initiative d’organiser des solutions
sans recourir aux moyens de la copropriété
ni en alourdir le fonctionnement. La conception de l’espace devrait éviter d’interdire
ces pratiques qui contribuent à réaliser les
objectifs visés en s’appuyant sur des usages
propres et spontanés des résidents. C’est
le cas pour le compostage. Il est régulièrement souhaité par des habitants et aiderait
à réduire les déchets à gérer par la copropriété et par la collectivité. Toutefois, il ne
trouve pas place. Plus précisément, le dessin
des logements et des parties communes sont
faits de manière à interdire toute action ou
utilisation des espaces sortant de ce qui est
strictement prévu, alors qu’une possibilité de
réajustement permettrait de donner une possibilité à des usages collectivement acceptés
et décidés.
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EN CONCLUSION
L
es copropriétés en éco quartiers voient la mise en place de solutions techniques allant,
pour résumer, vers la mutualisation des équipements entre plusieurs immeubles et îlots
pour répondre aux exigences environnementales de l’État et des collectivités mais aussi
pour satisfaire une partie des attentes des habitants. Ces derniers peuvent ainsi bénéficier
de jardins partagés en cœur d’îlot ou encore de chaleur « propre » à moindre frais théoriquement. Ces solutions techniques et leur mutualisation sont mises en place parfois en utilisant
des montages spécifiques : ASL, AFUL… Par ailleurs, elles ouvrent sur une gestion financière
ad hoc.
Tous ces outils techniques, juridiques et financiers provoquent la crainte des professionnels
de l’immobilier car ils ont toutes les apparences des solutions que l’on retrouve aujourd’hui
dans les copropriétés en difficultés ou en dégradation avancée. L’examen plus affiné montre
d’abord que ces solutions, malgré les apparences, sont en grande partie différentes. Il
montre ensuite et surtout que cette conception déterministe détourne l’attention des origines
précises des problèmes pouvant se profiler avec ces nouvelles réalisations. Les solutions
techniques similaires ne conduisent pas automatiquement aux mêmes problèmes comme en
atteste la grande majorité des copropriétés qui partagent des chaufferies, des jardins ou des
parkings. Les outils juridiques et financiers ne recèlent pas plus de mécanismes immuables en
tout temps et en toute situation.
L’examen des premières années de vie de ces immeubles en éco quartiers montre trois pistes
(ou précautions) :
• définir les solutions adaptées (à la copropriété, sa dimension, ses utilisations) et
pertinentes dans le contexte urbain et socio-économique. Nul besoin de faire une
division en volumes pour partager un réseau de chaleur entre trois copropriétés de
20 lots chacune ;
• concevoir des solutions spatiales, techniques, juridiques et financières qui ne soient
pas verrouillées et qui permettent d’être défaites partiellement. L’analyse montre en
effet que les pathologies dans les copropriétés sont également liées à la grande
difficulté de réajuster dans le temps ces dispositifs. En sortir passe par une mise
en crise grave qui justifie alors une intervention de grande ampleur pour défaire
physiquement les bâtiments et leurs équipements (désolidariser) et déconstruire
complétement les interdépendances juridiques et financières. Laisser la possibilité à
des copropriétés de sortir par exemple d'une convention commune d’exploitation
d’un local ou d’un jardin en précisant les conditions de cette sortie d’une
manière raisonnable évite que cette sortie se fasse par des conflits et des ruptures
dommageables pour l’ensemble des entités solidaires ;
• mettre en place ces solutions en prenant en compte dès l’amont de leur conception
une partie des attentes et des représentations des copropriétaires notamment en
matière d’usages. Il s’y joue à la fois l’ajustement et l’appropriation par ces acteurs
de ce qui fait la copropriété.
Tout cela suppose un investissement important en temps et en ingénierie pour concevoir
ces copropriétés durables. Sans un tel investissement, on risque de revenir vers les solutions
connues et habituelles, vers la reproduction des dispositifs génériques donc ni adaptés et
pertinents, ni modifiables et appropriables par les copropriétaires. La confrontation au développement durable accentue cette exigence et souligne les négligences passées.
Cet effort nécessaire ne sera pas suffisant. Les premières explorations éclairent également
des contradictions plus fondamentales que le travail de conception ne suffira pas à résoudre.
Ces contradictions sont inscrites dans les lois et il revient au législateur de les résoudre : choisir entre une copropriété comme une entité spatiale et juridique fermée devant surtout assurer
les droits ou en faire une entité de gestion qui participe à la vie urbaine et met à profit ses
aménités notamment par la mutualisation. 
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
© Forum des politiques de l’habitat privé 2015
Les RENCONTRES
Rédaction : Taoufik SOUAMI
Conception, direction et réalisation : Véronique GUILLAUMIN
Forum des Politiques de l’habitat privé,
un collectif de 14 membres
www.forumhabitatprive.org
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