COPROPRIÉTÉS EN ECOQUARTIERS : FAUT-IL S`INQUIÉTER ?
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COPROPRIÉTÉS EN ECOQUARTIERS : FAUT-IL S`INQUIÉTER ?
COPROPRIÉTÉS EN ECOQUARTIERS : FAUT-IL S’INQUIÉTER ? 2015 10 avril 2015 TAOUFIK SOUAMI, PROFESSEUR Taoufik SOUAMI, Professeur École d’Urbanisme de Paris - Université Paris Est - LATTS - École des Ponts ParisTech L e développement durable a connu plusieurs tentatives de traduction dans le domaine de l’habitat et de l’urbanisme, parmi lesquelles les quartiers durables ou éco quartiers. Ces derniers, construits ou en cours de construction, offrent la possibilité d’interroger les conséquences de l’introduction du développement durable urbain dans les copropriétés. Ils permettent de vérifier si les interrogations, voire les craintes, de certains professionnels de l’immobilier sont justifiées : la « conversion » des copropriétés au développement durable reproduit-elle les risques de dérives connues ? Ces dérives passées désignent-elles vraiment les questions que posent désormais les copropriétés soumises aux nouvelles exigences et attentes du développement durable ? L’inscription des copropriétés dans les éco quartiers ou quartiers durables les confrontent à quatre ensembles de changements qui touchent à la manière de les fabriquer, gérer et vivre : 1. des changements techniques, 2. des changements économiques et financiers, 3. des changements juridiques et organisationnels, 4. des changements sociaux et de conception des espaces. Examinons-les de plus près pour comprendre les questions qu’ils posent. • d’une manière encore plus systématique, les copropriétés sont obligées ou très fortement incitées à se brancher aux réseaux de chaleur puisque souvent les nouveaux quartiers et désormais les anciens en rénovation adoptent cette solution. Il s’agit de réseaux de chaleur desservant quelques milliers d’immeubles ou de petits réseaux fonctionnant avec une chaufferie propre au quartier. Dans tous les cas, la finalité est de desservir ces propriétés avec une énergie « propre » puisque principalement renouvelable. Pour les collectivités, c’est un moyen de prendre la main sur le mix énergétique des consommations des immeubles. Dans certains cas, le réseau concerne seulement deux ou trois copropriétés, une copropriété et un immeuble de bureaux, deux copropriétés et un immeuble de logements sociaux qui partagent ainsi la chaufferie et le réseau de distribution. Dès que possible, les panneaux solaires et les cogénérations des immeubles sont intégrés dans les réseaux de chaleur comme points de production. 1. CHANGEMENTS TECHNIQUES : MUTUALISATION À L’ÉCHELLE URBAINE H ormis les obligations qui pèsent sur les bâtiments au titre des règlements nationaux, les règles d’urbanisme et les cahiers des charges urbains propres aux quartiers durables introduisent des modifications profondes allant pour la plupart vers la mutualisation des installations techniques à l’échelle d’un ilot entier (soit plusieurs copropriétés), de plusieurs ilots, voire d’un quartier. Trois exemples illustrent cela : • dans les projets de nouveaux quartiers, les collectivités et les aménageurs veulent créer des cœurs d’îlots totalement végétalisés, de préférence en pleine terre. Pour cela, ils exigent que les fonds de parcelles soient réunis pour constituer une sorte de jardin commun même si les parcelles sont séparées par des grilles ; • de même, les opérateurs des collectivités prévoient une mutualisation du stationnement entre plusieurs îlots dans le but de réduire le nombre d’emplacements puisque les études montrent qu’ils sont sous-utilisés. Ainsi, des parkings communs sont réalisés dans les sous-sols partagés de plusieurs propriétés et copropriétés (Fig. 1); FIG 1 Parking mutualisé – Exemple Ile de Nantes Taoufik SOUAMI Copropriétés en écoquartiers//FORUM//2015 1 Ces dispositifs ne répondent pas seulement à des exigences technico-environnementales prescrites par les collectivités et l’État pour « une vie plus saine et impactant moins l’environnement en général ». Ils sont choisis pour réaliser également les attentes des habitants dans un certain nombre de domaines. Leur finalité est d’offrir un cadre de vie de qualité avec ces jardins en cœur d’ilot. Par exemple, à l’île de Nantes, la création de ces cœurs d’îlot sous forme de jardins appartenant chacun à une copropriété mais créant un ensemble vert continu répond aux demandes des habitants d’espaces naturels proches et accessibles dépassant les alignements d’arbres ou quelques plantations ponctuelles. La réduction du nombre de véhicules doit diminuer les surfaces qu’ils occupent par le stationnement et les voies de circulation. Les usagers des villes veulent des espaces plus favorables aux piétons et plus sécurisés. Les parents préfèrent un voisinage où leur progéniture peut circuler sans trop de risques d’accident ; les séniors ont une préférence pour un voisinage moins dépendant du déplacement en voiture. Ces dispositifs sont également recherchés pour amoindrir les coûts et in fine baisser les charges pour les habitants. Aux Docks de Saint-Ouen, la mutualisation des stationnements permet potentiellement d’économiser d'un tiers les coûts des infrastructures liées à la voiture. A Limeil-Brévannes, l’éco quartier des Quatre Temps induirait une réduction potentielle d’environ 20% du coût des installations énergétiques en utilisant le réseau commun à la place d’une chaufferie unique par copropriété. Bref, la mutualisation ouvrirait sur le partage des coûts et au final sur la réduction des charges dont se plaignent tant les copropriétaires. Le tableau n’est évidemment pas aussi « positif ». Ces configurations des matériels posent au moins deux types de problèmes techniques : • une plus grande complexité et sophistication de l’entretien et de la maintenance car les installations sont plus atypiques et parfois totalement nouvelles pour le monde des copropriétés. Au-delà de la sophistication des matériels, les complexités tiennent à des détails. Par exemple, à Limeil-Brévannes, s’est posé le problème de l’accès aux panneaux solaires placés sur les toits des copropriétés alors qu’ils appartiennent au gestionnaire de l’énergétique du quartier ; • une réduction des possibilités d’adaptations techniques en cas d’incident ou de volontés de changement. La dépendance à des systèmes techniques plus larges, déployés à l’échelle d’un îlot ou d’un quartier, fait que la copropriété ne dispose pas de la maîtrise totale de son matériel. Quand une chaufferie propre à une copropriété tombe en panne, elle peut être réparée ou changée en toute indépendance. La copropriété peut également choisir d’adopter une solution plus efficace ou encore réduire sa puissance suite à des travaux d’amélioration énergétique... Pris dans un réseau, l'adaptabilité et la résilience de ces systèmes techniques sont plus faibles. Pour bénéficier de toutes ces qualités promises tout en évitant les inconvénients de ces interdépendances techniques et spatiales, les copropriétés et surtout leurs concepteurs sont face au défi d’un renouvellement important de leurs conceptions des choix des matériels. Plus précisément, une piste se profile envisagée par quelques aménageurs et collectivités : concevoir des systèmes techniques plus flexibles à l’échelle urbaine. Les copropriétés ne peuvent seules porter une telle révolution dans le monde de l’ingénierie, mais elles peuvent y encourager très fortement en remontant à l’amont de la fabrique urbaine pour alerter sur les risques d’une trop grande rigidité de systèmes qui se déploieraient à l’échelle de plusieurs copropriétés. 2. CHANGEMENTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS : INVESTIR PLUS POUR PAYER MOINS ? A vec ces nouvelles exigences et leur lot de nouvelles installations techniques, des transformations se font jour dans le fonctionnement financier des copropriétés. Elles touchent à trois aspects : 1. Les investissements subiraient des modifications mais dans directions différentes selon le type de matériel et son rôle. Les équipements propres aux copropriétés et non mutualisés à l’échelle des îlots conduiraient à une augmentation des coûts. Les promoteurs parlent de surcoûts. Les collectivités et les BET spécialisés affirment qu’ils donnent lieu à terme à une réduction des charges et des coûts de gestion pour les copropriétés. Autrement dit, il s’agirait de surinvestissements dont l’amortissement serait assuré par une réduction des montants finaux consacrés à l’entretien et aux consommations. La vérification de ces considérations n’est pas faite. Nous avons aujourd’hui quelques retours d’informations mais elles sont encore insuffisantes pour confirmer ou infirmer. Les équipements mis en commun à l’échelle d’îlot ou du quartier aideraient à réduire, pour chaque copropriété, les immobilisations nécessaires pour l’investissement. Ils constitueraient une externalisation des investissements pour la copropriété. Cette réduction vérifiée bénéficie surtout aux promoteurs qui voient ainsi leur bilan d’opération soulagé partiellement. Ainsi, ils peuvent afficher des prix de vente plus faibles : ils en deviennent plus attractifs et répondent en partie à la demande de maîtrise des prix de sortie par les collectivités. Toutefois, nous manquons de visibilité sur les coûts réels d’entretien et de consommation liés à ces installations mutualisées. Plusieurs copropriétés craignent que la réduction des prix d’achat cache au final des charges plus importantes à travers les contributions demandées pour l’entretien de ces « communs ». Là encore, les retours d’informations sont insuffisants pour confirmer ou infirmer ces craintes. Les incertitudes sur ce sujet sont également liées à la méconnaissance des contributions publiques pour Taoufik SOUAMI Copropriétés en écoquartiers//FORUM//2015 2 réaliser ces investissements. En effet, pour encourager les mutualisations, les collectivités locales apportent parfois leur soutien par la prise en charge directe des équipements communs. C’est par exemple le cas des parkings mutualisés à Saint-Ouen ou encore le réseau de chaleur à Lyon-Confluence. Dans d’autres cas, la collectivité apporte un appui à travers des subventions et des aides, ou encore par le biais de ses organismes opérationnels (régies, offices HLM, opérateurs subventionnés…). Par exemple, le syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux de communication a constitué une SEM qui doit mettre en œuvre les moyens de productions locales au sein des quartiers franciliens. Dans tous les cas, les collectivités attendent un retour sur ces investissements à travers les abonnements, les règlements de consommations et parfois les redevances. 2. Les frais de gestion et d’entretien des copropriétés dans les éco quartiers sont également l’objet d’attention. La première interrogation concerne leur éventuelle augmentation. Les observations préliminaires réalisées à Bonne (Grenoble) et aux Brichères (Auxerre) indiquent une augmentation durant les premières années d’occupation aussi bien pour les parties communes que pour les parties privées. Ces augmentations sont pour beaucoup liées aux problèmes de démarrage, de réglages et d’apprentissage des nouvelles installations. Les interventions techniques sont souvent plus importantes pour régler, parfois modifier et d’autres fois apporter des explications. Ces frais semblent baisser pour certaines copropriétés les années suivantes. Comme pour les investissements, les données manquent afin de confirmer ou d’infirmer cette évolution. Une analyse plus large de cas et surtout plus fine est nécessaire. Une seconde conséquence de l’inscription des copropriétés dans les éco quartiers est la transformation des circuits financiers qui deviennent plus complexes. Les copropriétés doivent verser leurs contributions aux entités en charge des installations ou des réseaux mutualisés après les avoir prélevées auprès de propriétaires. Ces entités font régulièrement appel à des sociétés de gestion et d’entretien technique… Par exemple, la mutualisation des parkings entraine des versements par chaque copropriété à l’entité en charge de leur gestion. Cette dernière doit également collecter les contributions des bureaux et des commerces concernés… La mutualisation fait de la copropriété un co-financeur qui doit décider avec d’autres des choix en matière budgétaire. Par exemple, il faut engager en concertation avec les autres copropriétés et immeubles les dépenses concernant la chaufferie commune et son réseau de distribution. En cas de problème non routinier, la cohérence budgétaire suppose un effort particulier. 3. Les charges individuelles sont l’objet des plus grandes attentions dans les copropriétés en quartier durable. Dans certains cas, elles augmentent et, dans d’autres, elles diminuent. Le recul est insuffisant et les études systématiques et fines manquent pour donner des conclusions définitives. En revanche, durant ces premières années de vie des copropriétés en éco quartier, le problème prioritaire lié à ces mutualisations est la lisibilité des charges. Dans l’éco quartier de Bonne à Grenoble, trois ans après leur emménagement, les copropriétaires ne connaissaient toujours pas leurs consommations réelles en chauffage car les compteurs individuels n’étaient pas installés. La répartition des consommations de chaleur et d’eau chaude se faisaient toujours aux tantièmes alors que les copropriétés devaient effectuer cette répartition en fonction des consommations réelles des logements. La réalité des charges s’en trouvait encore plus embrouillée. A Limeil-Brévannes, les nouveaux résidents ont eu des difficultés pour comprendre leurs charges concernant le chauffage et l’eau chaude sanitaire parce que les promoteurs et l’opérateur du réseau étaient en désaccord sur le prix du KWh. Il faut ajouter à cela l’utilisation d’une chaudière fuel classique durant les deux premières années à la place de la chaufferie biomasse prévue pour comprendre le mécontentement des premiers résidents concernant la lisibilité de leurs charges. Dans les copropriétés d’éco quartiers, l’attente en matière de lisibilité des charges semblent encore plus forte qu’en situation ordinaire. L’annonce d’un quartier permettant par ses équipements mutualisés de réduire les consommations et les charges conduit les copropriétaires à y porter une plus grande attention. Cette lisibilité n’est pas au rendezvous dans les cas observés pour des raisons conjoncturelles (retards dans les installations et les systèmes de gestion…) et d’autres plus structurelles. L’appréhension même des charges tend à être transformée par l’annonce du développement durable et appelle donc à anticiper les attentes des copropriétaires en la matière. La conception classique de la copropriété a tendance à rapporter les consommations et les charges aux caractéristiques du logement, en particulier sa surface. La traduction de la durabilité pour les copropriétés pousse à considérer les usages et les consommations indépendamment de la dimension et des qualités du logement (étage, surface…) en tentant de les mesurer directement. Autrement dit, la copropriété classique affecte les charges en fonction de la dimension du logement alors que la copropriété durable tend à les considérer en fonction des pratiques et des usages des occupants. Cela signifie qu’avant même de mesurer les charges et leur éventuelle variation pour cause de « durabilité », il faut commencer par travailler à leur lisibilité dans une perception fondamentalement changée. Taoufik SOUAMI Copropriétés en écoquartiers//FORUM//2015 3 3. CHANGEMENTS JURIDIQUES ET ORGANISATIONNELS L a mise en place de ces dispositifs de mutualisation et de mise en commun entraine aussi des questionnements sur les modalités d’organisation des copropriétés et leur cadre juridique. Ces changements inquiètent les professionnels de l’immobilier et provoquent les alertes des spécialistes des copropriétés dégradées. Ces derniers voient dans les choix d’organisation juridique qui se profilent la reproduction des choix opérés par le passé qui, pour eux, constituent l’origine des problèmes rencontrés aujourd’hui. Qu’en est-il ? Cadre juridique de la copropriété et durabilité : une incompatibilité de fond ? Les lois traitant des copropriétés ont souvent eu pour principales préoccupations de préciser les rôles et les responsabilités, obliger aux décisions collectives, protéger les copropriétés des dérives liées à la multiplication des intermédiaires et gérants indélicats. Autrement dit, elles tentent de faire de la copropriété une « boite » solide et cohérente, la moins soumise possible aux aléas extérieurs (les difficultés et défaillances individuelles étant également considérées comme exogènes). Cette architecture juridique tend à apparaître pour les promoteurs et développeurs des nouvelles solutions en éco quartiers comme des obstacles à la mutualisation. La loi de 1965 et ses ajustements tendent à consolider les capacités de décision en autonomie des copropriétés alors que la mutualisation suppose des entités juridiques plus ouvertes. Par exemple, la gestion commune d’un jardin conduit à ajouter une convention entre copropriétés et apporter un appendice juridique dans le fonctionnement de la copropriété. Ces compléments juridiques successifs introduisent des failles dans le système visé par le législateur où idéalement les décisions sont centrées sur la seule l’assemblée générale de la copropriété et son conseil syndical. Sur le plan pratique, les finalités sont bien différentes. Dans la vision classique de la copropriété, l’objectif est de réduire au maximum les risques en ordonnant avec la plus grande précision possible les instances de décision, les modalités de décision (vote selon les articles 24, 25 et 26) et l’objet de ces décisions. Pour les défenseurs de cette vision, les contrats ou les instances ad hoc (copropriétés principales, ASL, AFUL…) qui se greffent pour partager des équipements dans un éco quartier viennent introduire des risques et les augmenter. Dans ce cas, les choix ne dépendent en effet plus de la seule assemblée générale mais également des actes juridiques réalisés par ces autres instances. Pour les porteurs de ces mutualisations, il ne s’agit pas de risques mais au contraire de la formalisation juridique de liens offrant la possibilité aux copropriétés de réduire leur responsabilité juridique en la partageant justement avec d’autres. Autrement dit, les risques seraient fixes mais partagés et donc réduits pour chacune des copropriétés. Il y a une divergence fondamentale entre ces deux conceptions juridiques que le législateur devra résoudre : d’un côté une copropriété focalisée sur son bon fonctionnement et sa viabilité, d’un autre côté, une copropriété considérée comme actrice de la fabrication d’équipements et d’espaces communs à l’échelle urbaine. Des outils juridiques : vers des solutions complexes ? Pour mettre en place ces mutualisations, il est fait appel à une multiplicité de solutions juridiques connues ou renouvelées : ASL, découpages en volumes, société de gestion commune, AFUL... Par exemple aux Docks de Ris (Ris Orangis), l’aménageur a créé une AFUL pour encadrer dans un premier temps la réalisation et la mise en fonctionnement du réseau de chaleur biomasse. Il est prévu qu’il se retire de cette AFUL au bénéfice des copropriétés au fur et à mesure de leur mise en place. Ces montages juridiques suscitent les craintes des gestionnaires et de ceux aujourd’hui en charge du traitement des copropriétés en difficultés. Ces solutions portent pour eux les germes des difficultés à venir : la multiplication des décideurs, la complexification des comptes, la superposition des missions (… ) dans ces contrats où entités ad hoc entraineraient nécessairement des mises en danger des copropriétés. Le déterminisme affirmé ici entre forme juridique et problèmes de gestion n’est pas vérifié puisque nombre de copropriétés continuent à fonctionner correctement tout en étant associées de la sorte. L’affinement de l’analyse montre que les difficultés ne tiennent pas intrinsèquement à ces solutions juridiques particulières mais à deux ensembles de raisons : • l’inadéquation de certaines solutions génériques aux ressorts de fonctionnement des copropriétés : les ASL sont basées sur un système de décision fermé qui ne permet pas le jeu de rectification et de correction sauf à les démonter. Face aux ASL, la décision démocratique - règle incontournable en copropriété - en devient tout simplement impossible ; • l’inadaptation entre les solutions juridiques et les particularités des copropriétés. Par exemple, la mise en place d’une division par volumes ne se justifie que dans des cas précis. Son utilisation pour « soulager » les commerces ou les bureaux des obligations de la copropriété au sein d’un immeuble simple (une cage d’escalier et 40 lots) n’est pas pertinente. La mise en place de ces solutions juridiques surdimensionnées pour les questions à traiter peut en effet conduire à des difficultés car la copropriété s’en trouve noyée sous ses lourdeurs. Dans les éco quartiers, la tentation est forte de recourir à ces solutions en ne prenant pas en compte la particularité des copropriétés. L’ajustement est pourtant possible. A Kreuzberg (Berlin), la mise en place de Taoufik SOUAMI Copropriétés en écoquartiers//FORUM//2015 4 deux chaufferies communes à l’échelle de tout un îlot n’a pas donné lieu à une division en volumes complexe avec création d’une entité de gestion particulière. Les copropriétés ont passé une convention enregistrée auprès du notaire indiquant les obligations réciproques : l’accueil des chaufferies dans les sous-sols des deux bâtiments adaptés, le reversement des droits pour ces dernières, les puissances consommées par chaque bâtiment et une clé simple de répartition des charges. Par ailleurs, les conditions éventuelles de sortie de la convention étaient précisées. Cette convention remplissait toutes les exigences pour assurer le bon fonctionnement de ce mini-réseau entre plusieurs copropriétés simples : lisibilité (convention accessible et lisible) et adaptabilité (les copropriétés pouvaient se retirer de ce système contre indemnisation en fonction de l’amortissement). L’ensemble est toujours en fonctionnement plus de 15 ans après et aucune copropriété n’est aujourd’hui en difficultés alors que la majorité des habitants demeurent plutôt modestes. La question est donc moins l’outil juridique en soi, qui serait porteur d’un « virus » produisant son effet à retardement que de trouver la solution juridique la plus ajustée aux situations. Rappelons à cette occasion que les outils juridiques servent d’abord à formaliser les accords et les principes de fonctionnements convenus entre les différents acteurs. Ils donnent forme à ces accords et à la confiance entre les protagonistes, en particulier pour procéder à des actes de gestion dans la durée et pas seulement pour réaliser une transaction ponctuelle. Les outils juridiques n’instituent pas ces accords et ne créent pas la confiance dont ils ne sont que l’armature juridique. En entrant en copropriété, on est supposé accepter ces accords et adhérer à la base minimale de confiance. Autrement dit, les meilleurs outils juridiques ne peuvent remédier en euxmêmes à l’absence d’accord et à la généralisation de la défiance dans une copropriété. Ils sont les moyens, quasiment le prétexte, pour retravailler cette confiance et pour renouer les liens entre les décideurs de la même copropriété quand celle-ci connaît une dérive. La question est dès lors de savoir quels sont les outils juridiques pertinents. Le recours à certaines solutions ad hoc, appendices de la copropriété, montrent, particulièrement en éco quartier, que l’outil central et classique est insuffisant : le règlement de copropriété ne permet pas de mettre à profit certaines opportunités, alors on recourt à des montages spécifiques. Ces limites ne concernent pas les seules questions de mutualisation mais un panel plus large de sujets induits par les enjeux de développement durable. La revente d’électricité produite par cogénération, l’exploitation de toits et terrasses pour les producteurs d’énergie ou d’agriculture urbaine, le remembrement de parties communes pour faciliter de nouveaux usages(…) sont particulièrement difficiles à mettre en place avec la conception actuelle du règlement de copropriété qui, de plus, est souvent considéré comme immuable. Ce constat appelle au moins deux transformations : • consacrer à la mise en place des règlements de copropriétés une attention plus importante. Souvent, les promoteurs y réservent peu de temps réutilisant des modèles types et intégrant des règles générales peu adaptées, d’une part, aux spécificités des immeubles construits, d’autre part, aux exigences en matière de développement durable. Ce moment clé devrait faire l’objet d’un investissement conséquent en temps et en ingénierie pour aboutir à un document adapté ; • associer bien plus tôt dans sa rédaction les copropriétaires et les gestionnaires effectifs de l’ensemble immobilier concerné. Les règlements actuels sont souvent la reproduction de modèles qui sont ajustés à la marge, traitant d’aspects génériques. Les copropriétaires, y compris les acquéreurs dans le neuf, le considèrent comme extérieur à eux, comme un ensemble de « lois » qui leur sont imposées par d’autres. Ils ne l’appréhendent donc pas comme le leur et tendent par conséquent à l’estimer comme hors de portée de leur influence. Ceci ne facilite pas son utilisation et son éventuelle adaptation. Au-delà du règlement, la question se pose d’équiper les copropriétés de réels outils de gestion. Difficile de faire du management avec des règlements. Ces outils juridiques de gestion concernent en premier lieu le statut même des copropriétés qui ne permet pas d’agir totalement comme une personne morale en charge de la gestion, telle une entreprise ou une régie. Les outils comptables améliorés par les réformes ne résolvent pas totalement la distorsion entre les deux fonctions affectées aux copropriétés : garante du respect des droits dans la durée et gestionnaire de travaux et de relations commerciales avec des intervenants ou des partenaires. Dans la continuité, les interrogations concernent l’organisation de la décision au sein des copropriétés. Assemblée générale annuelle, conseil syndical et syndic constituent un maillage trop lâche pour la gestion durable de deux points de vue au moins. Ils tendent à diluer les responsabilités et les instances de décision. Ils posent des délais trop éloignés entre les décisions de gestion qui exigent des rythmes bien plus soutenus. Certains en arrivent à proposer l’équivalent de conseils d’administration de manière à faire glisser les principes de décision d’un format associatif et volontaire vers un format plus professionnel, responsabilisant et plus resserré dans le temps. C’est par exemple le choix opéré par un ensemble d’habitants de Clairlieu (Nancy) qui, pour mener la réhabilitation de leur lotissement de 1 300 pavillons, a préféré la constitution d’une société coopérative avec son conseil d’administration, au syndic de lotissement ou à la constitution d’une copropriété. Cette organisation de la décision par un conseil d’administration permet, pour eux, de faciliter la gestion des relations contractuelles avec l’extérieur et d’instituer d’autres formes de travail entre propriétaires plus claires et rationnelles. Dans ce cas, c’est bien la société coopérative qui se propose de réaliser un réseau énergétique utilisant les panneaux solaires sur les toits pour en réduire les coûts pour chacun. Même si les actionnaires de cette société sont bien les propriétaires et les porteurs de projets, les relations sont bien établies entre chaque propriété et cette entreprise. Taoufik SOUAMI Copropriétés en écoquartiers//FORUM//2015 5 4. CHANGEMENTS SOCIAUX ET DE CONCEPTION DES ESPACES L es nouveaux dispositifs techniques appellent en partie des changements de comportements individuels et collectifs. Aux dispositifs techniques mêmes, s’ajoutent également des règles et des instructions d’usages données par les collectivités ou leurs gestionnaires afin d’assurer le fonctionnement des quartiers. Par exemple, du tri sélectif classique on passe à un tri plus sophistiqué supposant l’utilisation de plusieurs lieux de dépôt pour certains dans l’immeuble, pour d’autres situés dans l’espace public. Autrement dit, les propriétaires, comme individus, et la copropriété, comme collectif social, se voient dans l’obligation de reconsidérer les principes d’usages qui règlent la vie commune de leur immeuble. Certains habitants, copropriétaires ou pas, se réapproprient ces nouvelles règles, parfois les accentuent, d’autres fois se considèrent garants de leur respect. D’autres propriétaires rejettent ces nouvelles règles et remettent en cause leur validité. Les gestionnaires redoutent ce dernier cas de figure car les conséquences peuvent être relativement importantes : • les éventuelles dégradations de l’environnement et des locaux des copropriétés. On constate alors leur accumulation d’une manière désordonnée dans et hors des espaces qui leur sont réservés avec les conséquences sur l’hygiène. • les augmentations des coûts pour la copropriété. Cette dernière doit non seulement remédier à des dysfonctionnements, mais se retrouve financièrement responsable de l’absence de respect de ces règles d’usage vis-à-vis des collectivités qui les dictent. Par exemple, la mise en place d’une redevance déchets avec sanction renvoie clairement la question du respect des consignes de tri à la responsabilité de la copropriété. Comme le montrent de nombreuses recherches et expériences depuis plusieurs années, ces problèmes ne peuvent être fondamentalement traités par l’aggravation des restrictions et par un contrôle accru des individus car ils ne tiennent pas aux règles d’usage mêmes ni au profil intrinsèque des usagers. Les explications et donc les solutions se situent dans l’écart entre les usages attendus et/ou souhaités et les espaces proposés au sein des copropriétés. Comme il n’y a pas de déterminisme juridique ou technique (les mêmes outils provoquant les mêmes problèmes), il n’y a pas de déterminisme social (les mêmes profils sociaux ne reproduisent pas les mêmes usages ou les mêmes inerties de pratiques). L’illustration peut être ici aussi donnée par la question des déchets. Ces derniers sont désormais considérés non plus comme des objets inutiles dont le rejet au plus loin des lieux de vie est recherché. Ils sont présentés comme des biens ayant une valeur pour la société par leur réutilisation, recyclage et la réduction de leur pollution sur nos environnements de vie. Au nom de cette nouvelle valeur attribuée aux déchets, il est demandé aux habitants de les trier, de les stocker, de les entreposer dans les bons containers et de les amener aux bons endroits pour qu’ils continuent à faire la richesse de nos sociétés. Toutefois, face à cette nouvelle représentation et valeur, très peu de changements sont apportés à la conception des espaces privés et des espaces communs dans les immeubles pour faire place à des déchets investis de cette nouvelle valeur. Dans les logements, les cuisines et leurs équipements demeurent minimes, voire encore plus réduits. Les espaces pour trier, stocker, déplacer sont tout simplement impensés par les concepteurs. En conséquence, les habitants bricolent des solutions entre leur balcon, leur loggia ou encore leur garage sinon abandonnent tout tri. On les invite à utiliser les bons containers du local-poubelles pour les trois types de déchets alors que ce local commun demeure petit au point de ne pouvoir accueillir tous les bacs. Local sombre, il pousse les habitants à se débarrasser de leurs sacs en toute hâte. Mal localisé (en sous-sol), il complique le travail des agents de nettoyage. A Bonne (Grenoble), la question a été mieux anticipée et le résultat probant. La solution ne tenait pas en un travail révolutionnaire pour la conception : les locaux pour les poubelles étaient plus grands, éclairés naturellement et situés au rez-de-chaussée. Ainsi, ils facilitaient à la fois les gestes des usagers et le travail des agents. Les questions posées par les copropriétés durables renforcent l’invitation à anticiper davantage les questions d’usages dans les processus de conception des espaces et du bâti. L’effort n’est pas nécessairement spectaculaire puisqu’il s’agit souvent d’apporter une attention à de très nombreux détails qui conditionnent et facilitent la vie de la copropriété. Il s’agit parfois d’anticiper des usages attendus et connus et d’autres fois de laisser quelques marges d’ajustement et de réappropriation des espaces par les habitants. Les enquêtes montrent régulièrement que certains prennent l’initiative d’organiser des solutions sans recourir aux moyens de la copropriété ni en alourdir le fonctionnement. La conception de l’espace devrait éviter d’interdire ces pratiques qui contribuent à réaliser les objectifs visés en s’appuyant sur des usages propres et spontanés des résidents. C’est le cas pour le compostage. Il est régulièrement souhaité par des habitants et aiderait à réduire les déchets à gérer par la copropriété et par la collectivité. Toutefois, il ne trouve pas place. Plus précisément, le dessin des logements et des parties communes sont faits de manière à interdire toute action ou utilisation des espaces sortant de ce qui est strictement prévu, alors qu’une possibilité de réajustement permettrait de donner une possibilité à des usages collectivement acceptés et décidés. Taoufik SOUAMI Copropriétés en écoquartiers//FORUM//2015 6 EN CONCLUSION L es copropriétés en éco quartiers voient la mise en place de solutions techniques allant, pour résumer, vers la mutualisation des équipements entre plusieurs immeubles et îlots pour répondre aux exigences environnementales de l’État et des collectivités mais aussi pour satisfaire une partie des attentes des habitants. Ces derniers peuvent ainsi bénéficier de jardins partagés en cœur d’îlot ou encore de chaleur « propre » à moindre frais théoriquement. Ces solutions techniques et leur mutualisation sont mises en place parfois en utilisant des montages spécifiques : ASL, AFUL… Par ailleurs, elles ouvrent sur une gestion financière ad hoc. Tous ces outils techniques, juridiques et financiers provoquent la crainte des professionnels de l’immobilier car ils ont toutes les apparences des solutions que l’on retrouve aujourd’hui dans les copropriétés en difficultés ou en dégradation avancée. L’examen plus affiné montre d’abord que ces solutions, malgré les apparences, sont en grande partie différentes. Il montre ensuite et surtout que cette conception déterministe détourne l’attention des origines précises des problèmes pouvant se profiler avec ces nouvelles réalisations. Les solutions techniques similaires ne conduisent pas automatiquement aux mêmes problèmes comme en atteste la grande majorité des copropriétés qui partagent des chaufferies, des jardins ou des parkings. Les outils juridiques et financiers ne recèlent pas plus de mécanismes immuables en tout temps et en toute situation. L’examen des premières années de vie de ces immeubles en éco quartiers montre trois pistes (ou précautions) : • définir les solutions adaptées (à la copropriété, sa dimension, ses utilisations) et pertinentes dans le contexte urbain et socio-économique. Nul besoin de faire une division en volumes pour partager un réseau de chaleur entre trois copropriétés de 20 lots chacune ; • concevoir des solutions spatiales, techniques, juridiques et financières qui ne soient pas verrouillées et qui permettent d’être défaites partiellement. L’analyse montre en effet que les pathologies dans les copropriétés sont également liées à la grande difficulté de réajuster dans le temps ces dispositifs. En sortir passe par une mise en crise grave qui justifie alors une intervention de grande ampleur pour défaire physiquement les bâtiments et leurs équipements (désolidariser) et déconstruire complétement les interdépendances juridiques et financières. Laisser la possibilité à des copropriétés de sortir par exemple d'une convention commune d’exploitation d’un local ou d’un jardin en précisant les conditions de cette sortie d’une manière raisonnable évite que cette sortie se fasse par des conflits et des ruptures dommageables pour l’ensemble des entités solidaires ; • mettre en place ces solutions en prenant en compte dès l’amont de leur conception une partie des attentes et des représentations des copropriétaires notamment en matière d’usages. Il s’y joue à la fois l’ajustement et l’appropriation par ces acteurs de ce qui fait la copropriété. Tout cela suppose un investissement important en temps et en ingénierie pour concevoir ces copropriétés durables. Sans un tel investissement, on risque de revenir vers les solutions connues et habituelles, vers la reproduction des dispositifs génériques donc ni adaptés et pertinents, ni modifiables et appropriables par les copropriétaires. La confrontation au développement durable accentue cette exigence et souligne les négligences passées. Cet effort nécessaire ne sera pas suffisant. Les premières explorations éclairent également des contradictions plus fondamentales que le travail de conception ne suffira pas à résoudre. Ces contradictions sont inscrites dans les lois et il revient au législateur de les résoudre : choisir entre une copropriété comme une entité spatiale et juridique fermée devant surtout assurer les droits ou en faire une entité de gestion qui participe à la vie urbaine et met à profit ses aménités notamment par la mutualisation. Taoufik SOUAMI Copropriétés en écoquartiers//FORUM//2015 7 © Forum des politiques de l’habitat privé 2015 Les RENCONTRES Rédaction : Taoufik SOUAMI Conception, direction et réalisation : Véronique GUILLAUMIN Forum des Politiques de l’habitat privé, un collectif de 14 membres www.forumhabitatprive.org Taoufik SOUAMI Copropriétés en écoquartiers//FORUM//2015 8