La souscription d`un contrat d`assurance-vie par une

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La souscription d`un contrat d`assurance-vie par une
ETUDES ET COMMENTAIRES
La souscription d’un contrat
d’assurance-vie par une personne
vulnérable après les lois des
5 mars et 7 décembre 2007
Une étude réalisée par Nathalie Gaulon
L’actualité de la matière de l’assurance vie et des personnes vulnérables est importante à double titre :
d’une part, la loi n°2007-308 du 5 mars 2007(1) a en effet réformé les régimes de protection des majeurs;
d’autre part, la loi n°2007-1775 du 17 décembre 20072, permettant la recherche des bénéficiaires des
contrats d’assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés, facilite la recherche
des bénéficiaires en créant une obligation de recherche à la charge des assureurs ; mais le texte va
beaucoup plus loin en réformant l’acceptation du bénéfice du contrat d’assurance-vie, et en prévoyant
l’entrée en vigueur immédiate des dispositions relatives à l’assurance-vie figurant dans la loi du 5 mars
2007, qui n’étaient applicables qu’au 1er janvier 2009. Ainsi, passée inaperçue dans le paysage juridique
de la fin de l’année 2007 et applicable dès le 18 décembre 2007 aux contrats en cours non dénoués à
cette date, le texte réforme en profondeur la matière, et règle bon nombre de difficultés liée à la souscription de contrats d’assurance-vie par ou au profit de personnes vulnérables.
Jusqu’à ces deux réformes, en l’absence de disposition spécifique régissant le contrat d’assurance-vie
souscrit par une personne vulnérable, le droit commun s’appliquait, sans manquer de poser certaines
difficultés. Les professionnels attendaient donc une clarification du régime de souscription du contrat
d’assurance-vie par la personne vulnérable, notamment lorsqu’elle est placée sous un régime de
protection juridique. Cette attente est pour partie satisfaite ; mais subsistent des doutes, notamment sur
la conciliation des dispositions générales du code civil, avec celle spéciales insérées dans le code des
assurances, par ces réformes.
Afin de donner une idée de l’état du droit désormais applicable à la souscription par une personne
vulnérable d’un contrat d’assurance-vie, il convient de se rappeler que l’opération de souscription du
contrat d’assurance-vie se dédouble en réalité en deux actes : la souscription elle-même stricto sensu,
et la désignation bénéficiaire. Chacun de ces actes doit être appréhendé séparément, afin de préciser
leurs régimes lorsque le souscripteur est une personne vulnérable. Nous envisagerons donc successivement la souscription proprement dite du contrat d’assurance-vie par une personne vulnérable (I),
avant de nous intéresser à la désignation bénéficiaire effectuée par le souscripteur, personne vulnérable (II).
I - LA SOUSCRIPTION PROPREMENT DITE DU CONTRAT D’ASSURANCE-VIE PAR LA PERSONNE
VULNÉRABLE
Si les réformes de 2007 concernent uniquement les souscriptions effectuées par les majeurs vulnérables,
il convient, afin d’être complet, d’envisager également les souscriptions effectuées au nom du mineur.
Nous nous attacherons donc successivement à préciser le régime de la souscription proprement dite au
nom des mineurs puis des majeurs vulnérables.
A - LE SOUSCRIPTEUR EST MINEUR
Lorsque le souscripteur est mineur, il convient traditionnellement de qualifier l’acte de souscription pour
déterminer l’organe qui a la capacité de le conclure.
a - La qualification de l’acte de souscription
Le droit des incapacités distingue trois catégories d’actes juridiques : les actes conservatoires,
d’administration et de disposition. A laquelle de ces catégories appartient la souscription du contrat
d’assurance sur la vie ? On écartera tout d’abord la catégorie des actes conservatoires, qui ne visent qu’à
assurer la sauvegarde du patrimoine de la personne protégée(3) , pour se concentrer sur les actes
d’administration et de disposition.
(1) J.O. 7 mars 2007.
(2) J.O. 18 décembre 2007
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(3) Entre notamment dans cette catégorie la souscription de contrats d’assurance de choses.
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On sait que l’acte d’administration peut être défini comme celui qui permet de gérer un patrimoine ; quant à l’acte de
disposition, c’est l’acte qui porte atteinte ou risque de porter atteinte à la substance du patrimoine de la personne protégée. Mais la frontière entre ces deux catégories d’actes doit être précisée. La majorité de la doctrine reconnaît une
valeur certaine au critère de l’importance des sommes investies. Cependant, ce critère peut parfois s’avérer insuffisant,
c’est pourquoi nous nous attacherons à un critère complémentaire : le risque de l’opération.
• Le montant des sommes investies
Classiquement, la doctrine admet, en matière de droit des incapacités, que la qualification de l’acte doit être effectuée en
tenant compte des revenus de la personne protégée : ainsi, il faudra distinguer suivant que les primes versées en
application d’un contrat d’assurance-vie sont financées par l’emploi de revenus, ou par prélèvement sur le capital.
Si les primes sont financées au moyen de revenus, il s’agira d’un simple acte d’administration ; en revanche, si elles sont
financées par un emploi de capitaux, il s’agira d’un acte de disposition.
• Le risque encouru par le souscripteur
L’opération d’assurance-vie est une opération d’investissement. S’il ne peut y avoir de contrat d’assurance-vie sans aléa,
celui-ci peut être plus ou moins fort selon le contrat envisagé, et notamment suivant son support. Il serait anormal que
la souscription d’un contrat, même si elle se limite à l’investissement de revenus de la personne protégée, soit analysée
en un acte d’administration, alors que les sommes investies courent un risque très prononcé, tandis qu’un contrat très
« sécuritaire », mais investissant une partie du capital de la personne protégée, serait qualifié d’acte de disposition.
Comme l’a suggéré un auteur(4), le danger représenté par l’investissement pour le patrimoine de la personne protégée
doit servir de critère à la qualification du contrat en acte d’administration ou de disposition.
Au premier chef, le support du contrat souscrit constitue un critère pertinent d’appréciation du danger de l’opération : si
le contrat est libellé en euros, on considérera qu’il est plus sécuritaire que s’il est libellé en unités de comptes. Dans le
premier cas, la souscription pourra être qualifiée d’acte d’administration ; dans le second, elle sera qualifiée d’acte de
disposition.
Les critères dégagés par la pratique ne sont pas absolus ; la qualification de l’acte sera le cas échéant contrôlée par le
juge. C’est pourquoi, comme l’y invitait déjà Monsieur CHARLIN(5), on pourra conseiller utilement en cas de doute sur la
qualification du contrat envisagé, de considérer qu’il constitue un acte de disposition, afin de protéger au mieux le
souscripteur.
b - Le régime de l’acte de souscription
Selon que le contrat d’assurance-vie sera qualifié d’acte d’administration ou de disposition, il conviendra d’appliquer les
règles propres à chaque régime de protection.
La souscription d’un contrat d’assurance-vie pour le compte d’un mineur sous administration légale pure et simple
supposera l’intervention de l’un ou l’autre de ses parents si le contrat est analysé en un acte d’administration, en
application du principe de gestion concurrente qui régit cette catégorie d’acte(6). Ce sera notamment le cas si le mineur
perçoit des revenus suffisants et peut dégager une épargne, que ses parents souhaitent placer sur un contrat d’assurance-vie libellé en euros, pour assurer par exemple le financement de ses études. En revanche, s’il s’agit d’un acte de
disposition, l’accord des deux parents sera nécessaire(7) : ce sera le cas toutes les fois que la souscription du contrat
suppose un emploi de capitaux.
Dans le cadre de l’administration sous contrôle judiciaire, le contrat d’assurance-vie pourra être souscrit au nom du
mineur par le parent administrateur seul s’il s’agit d’un acte d’administration, tandis que l’autorisation du juge des
tutelles devra être obtenue s’il s’agit d’un acte de disposition.
Enfin, dans le cadre de la tutelle, de même que l’administrateur sous contrôle judiciaire, le tuteur pourra accomplir seul
un acte d’administration, mais devra solliciter l’autorisation du conseil de famille s’il a été constitué, ou à défaut du juge
des tutelles, pour conclure un acte de disposition.
B - LE SOUSCRIPTEUR EST MAJEUR
C’est ici que se situe l’actualité importante de la matière. Sous l’empire du droit antérieur aux réformes de 2007, la
détermination du régime applicable à la souscription par le majeur protégé reposait sur l’exercice de qualification
d’acte d’administration ou de disposition rappelé ci-dessus.
Les lois des 5 mars et 17 décembre 2007, introduisant un texte spécifique à la souscription du contrat d’assurance-vie par
un majeur protégé au sein du code des assurances, rompent avec cette distinction traditionnelle des actes d’administration et de disposition. Mais le législateur ne se contente pas de protéger le souscripteur placé sous un régime de
protection lors de la souscription ; il va plus loin en protégeant a posteriori la personne vulnérable souscripteur qui serait
placé dans les deux ans suivant la souscription, sous un régime légal de protection.
(4) F. FRESNEL, « L’intérêt de la qualification de l’acte dans le cadre d’une mesure de protection juridique », RJPF 2001, n°4
(5) J. CHARLIN, « Assurance et incapacité », JCP N 1995, n°14, p. 561
(6) Art. 389-4 et 456 C. Civ.
(7)Art. 389-5 et 457 C. Civ
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a - L’abandon de la distinction entre acte d’administration et de disposition
Nous présenterons successivement les situations du majeur sous tutelle et sous curatelle, qui n’ont pas
été élaborées de la même façon par notre législateur.
• Le majeur sous tutelle
Concernant les souscriptions effectuées au nom du majeur en tutelle, l’article L. 132-4-1 du Code des assurances, issu de la loi du 17 décembre 2007, reprend intégralement les dispositions de l’article L. 132-3 du
même code issu de la loi du 5 mars 2007, consacrant les solutions dégagées antérieurement par la
pratique et la jurisprudence.
L’article L. 132-4-1, alinéa 1, dispose : « Lorsqu’une tutelle a été ouverte à l’égard du stipulant, la
souscription (…) d’un contrat d’assurance sur la vie (…) ne [peut] être accomplie qu’avec l’autorisation
du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué ».
Le texte ne distingue pas selon que le contrat d’assurance-vie s’analyse en un acte d’administration ou
de disposition. Cette solution unique a le mérite de la clarté : désormais, peu importera que les sommes
investies consistent en des revenus de la personne protégée ou en du capital, l’autorisation du juge des
tutelles ou du conseil de famille sera nécessaire. On objectera certainement que cette disposition ne
contribuera pas à alléger la charge des juges des tutelles; cependant, c’est la protection de la personne
vulnérable qui s’en trouve renforcée.
La nécessité d’obtenir l’accord du conseil de famille ou du juge rappelle le régime applicable aux libéralités : on se souvient en effet que sous l’empire des textes antérieurs à la loi du 5 mars 2007, les
donations consenties par le majeur sous tutelle pouvaient être réalisées en son nom par le tuteur, avec
l’autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles. On ne peut donc manquer de noter l’alignement du contrat d’assurance-vie sur les donations.
Cependant, cette observation mérite d’être nuancée à la lumière du nouvel article 476 du Code civil, issu
de la loi du 5 mars 2007, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2009 : régissant les donations effectuées
par le majeur en tutelle, ce texte prévoit en effet que « La personne en tutelle peut, avec l’autorisation
du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, être assistée ou au besoin représentée par le tuteur
pour faire des donations ». Ce texte prévoit expressément que le majeur sous tutelle pourra agir
personnellement pour consentir une donation, « assisté ou au besoin représenté par le tuteur ». Or, cette
possibilité n’est pas prévue expressément pour la souscription du contrat d’assurance-vie : l’article L. 1324-1 du Code des assurances ne précise d’ailleurs pas que c’est le tuteur qui souscrit le contrat. Dès lors,
peut-on imaginer que la personne protégée agisse elle-même, assistée par son tuteur? La négative
reviendrait à soumettre l’assurance-vie à un régime plus strict que les donations. Mais il nous semble que,
puisqu’une autorisation du conseil de famille ou du juge sera nécessaire pour conclure le contrat
d’assurance-vie, ceux-ci pourront, suivant l’état de santé de la personne protégée, soit l’autoriser à
souscrire le contrat assistée de son tuteur, soit autoriser le tuteur à souscrire seul le contrat. Dès lors,
l’alignement du régime du contrat d’assurance-vie et de la donation paraît être totale au stade de la
souscription.
• Le majeur sous curatelle
La réglementation applicable à la souscription effectuée par le majeur en curatelle a été élaborée par le
législateur en deux étapes : si dans le cas de la tutelle, le législateur a repris purement et simplement le
texte issu de la loi du 5 mars 2007 dans le nouvel article L. 132-4-1 du Code des assurances issu de la loi
du 17 décembre 2007, le cas de la curatelle a été retouché dans la loi du 17 décembre 2007. Nous nous
intéresserons successivement aux deux textes, afin de mettre en évidence d’une part les raisons qui ont
conduit le législateur à modifier le texte initial, et d’autre part les solutions apportées par le texte
nouveau.
• La réglementation instituée par la loi du 5 mars 2007
L’article L. 132-3 du Code des assurances, tel qu’issu de la loi du 5 mars 2007 prévoyait qu’à compter du
1er janvier 2009, le régime de la souscription et de la désignation bénéficiaire serait identique, que le
souscripteur soir sous tutelle ou sous curatelle, puisque ce texte disposait : « Lorsqu’une curatelle ou
une tutelle a été ouverte à l’égard du stipulant, la souscription ou (…) la désignation (…) du bénéficiaire ne peuvent être accomplis qu’avec l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a
été constitué ».
Ainsi, le curateur ne pourrait plus se contenter d’assister le majeur sous curatelle pour la conclusion du
contrat d’assurance-vie, il devrait d’abord obtenir l’autorisation du juge des tutelles. Cette disposition
était surprenante, puisqu’elle conduisait à réglementer plus rigoureusement la souscription d’un contrat
d’assurance-vie que la réalisation d’une donation. En effet, le principe, avant comme après la loi du 6
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5 mars 2007, reste que le majeur en curatelle peut réaliser des transmissions à titre gratuit sans qu’il soit
besoin de solliciter une autorisation du juge des tutelles : le curatélaire peut librement tester(8) ; il peut
également faire une donation, avec l’assistance de son curateur(9).
La soumission de la souscription du contrat d’assurance-vie à une exigence plus rigoureuse que les
libéralités réalisées par le curatélaire semblait excessive(10). C’est pourquoi la loi du 17 décembre 2007
toilette le texte initial, s’inspirant du régime des donations consenties par le curatélaire.
• Les modifications apportées par la loi du 17 décembre 2007
L’article L. 132-4-1 du Code des assurances issu de la loi du 17 décembre 2007 ne fait désormais plus
référence dans le début de son premier alinéa à la curatelle. Une phrase est ajoutée à la fin du premier
alinéa qui concerne jusque là la tutelle : « Après l’ouverture d’une curatelle, ces mêmes actes ne
peuvent être accomplis qu’avec l’assistance du curateur ».
Le législateur revient donc sur l’autorisation du juge des tutelles : la souscription est désormais soumise à la seule assistance du curateur, au même titre que les donations(11).
La nouvelle réglementation mise en place avait pour objectif de renforcer la protection des personnes
frappées d’une mesure d’incapacité, notamment lors de la conclusion du contrat d’assurance-vie ; force
est de constater que ce but est atteint par le rapprochement opéré avec la réglementation applicable aux
donations.
Mais le législateur va encore plus loin : après avoir légalement encadré la souscription du contrat
d’assurance-vie par un majeur protégé, il va jusqu’à appréhender les souscriptions qui ont pu être
faites par une personne vulnérable, mais non encore protégée, qui se verrait placée sous régime de
protection dans les deux ans de la souscription.
b - La faculté nouvelle de remise en cause de la souscription effectuée avant la mise en place du
régime de protection
La loi 5 mars 2007(12) portant réforme de la protection juridique des majeurs, a instauré dans le code civil
et le code des assurances un mécanisme proche de celui de la période suspecte retenu en droit des
procédures collectives.
Le nouvel article 464 du code civil(13), applicable au 1er janvier 2009, prévoit que sous certaines
conditions, les actes accomplis par la personne protégée dans les deux ans précédant la publicité du
jugement d’ouverture de la mesure de protection pourront être réduits ou annulés.
Quant au champ d’application de la protection, le texte vise indifféremment les « actes accomplis par la
personne protégée ». Il pourra donc s’appliquer à la souscription du contrat d’assurance-vie (mais
également aux opérations de rachat, d’avance ou encore à la modification de la clause bénéficiaire).
En tout état de cause, les actes attaqués devront avoir été conclus « moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection ». Le texte enferme l’action dans un délai assez
court, puisqu’elle devra être introduite dans les cinq ans suivant le jugement d’ouverture(14).
Si le champ d’application du texte est prometteur, les conditions de sa mise en oeuvre sont rigoureuses.
Il faut distinguer l’action en réduction pour excès de l’action en nullité.
L’action en réduction pour excès supposera que le souscripteur apporte la preuve, soit de la notoriété
de son inaptitude à défendre ses intérêts, soit de la connaissance qu’avait son cocontractant de cette
incapacité au moment de la conclusion de l’acte. Pourront ainsi être réduites les souscriptions effectuées
par une personne qui aurait placé l’intégralité de son patrimoine sur un contrat d’assurance-vie.
Quant à l’action en nullité, elle supposera en outre que soit prouvé un préjudice subi par le demandeur
à l’action. C’est sur ce dernier point qu’il faut constater les limites de la protection instituée dans le cadre
de la souscription du contrat d’assurance-vie. En effet, le préjudice du souscripteur sera difficile à
prouver : on voit mal, quand bien même le souscripteur aurait placé l’intégralité de ses ressources en
(8) Art. 513, al. 1er C. Civ. actuel ; art. 470, al. 1er C. Civ. applicable à compter
du 1er janvier 2009
(9)Art. 513, al. 2 C. Civ. actuel ; art. 470, al. 2 C. Civ. applicable à compter du
1er janvier 2009
(10)En ce sens, Rapport du Sénat sur la proposition de loi de l’Assemblée
Nationale n°40 (2007-2008) permettant la recherche des bénéficiaires de
contrats d’assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés, adoptée par l’Assemblée nationale le 11 octobre 2007, p. 36.
(11) Là encore, on ne posera plus la question de savoir si le contrat d’assurance-vie constitue un acte d’administration ou de disposition ; par principe,
la conclusion d’un contrat d’assurance-vie est trop dangereuse pour être abandonnée au seul curatélaire.
(12) Journal Officiel du 7 mars 2007.
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(13) « Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée
moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure
de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à
défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était
notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés«
Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s’il est justifié d’un
préjudice subi par la personne protégée.
« Par dérogation à l’article 2252, l’action doit être introduite dans les cinq ans
de la date du jugement d’ouverture de la mesure. »
(14) Art. 464, al.3 nouveau. Le législateur rompt ici avec la suspension de la
prescription, prévue par l’article 2252 du code civil, à l’égard du majeur en
tutelle, au profit de la sécurité des transactions.
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assurance-vie, quel pourra être son préjudice. A notre sens, l’acte pourra alors seulement être réduit.
Ce nouveau mécanisme témoigne du souci du législateur de ne plus seulement protéger les personnes placées
sous un régime de protection, mais de consacrer sans les nommer la protection des personnes vulnérables.
II – LA DÉSIGNATION BÉNÉFICIAIRE EFFECTUÉE PAR LA PERSONNE VULNÉRABLE
La désignation d’un bénéficiaire au contrat d’assurance-vie ne constitue par une obligation pour le souscripteur(15). Faute d’effectuer cette désignation, le Code des assurances prévoir en effet que lors du dénouement du
contrat, l’indemnité d’assurance revient au souscripteur ou à sa succession(16).
La dimension personnelle de la désignation bénéficiaire justifie un régime distinct de celui de la souscription du
contrat d’assurance-vie ; si la souscription du contrat d’assurance-vie peut être envisagée comme un acte à
caractère patrimonial, la désignation bénéficiaire conserve quant à elle en toute circonstance un caractère
strictement personnel. Après avoir rappelé les difficultés mises en évidence par la pratique et la jurisprudence
sous l’empire des textes antérieurs, nous nous attacherons à exposer la réglementation issue des réformes de
2007, propres aux majeurs protégés.
A - LES DIFFICULTÉS SUSCITÉES PAR LE CARACTÈRE STRICTEMENT PERSONNEL DE LA DÉSIGNATION
BÉNÉFICIAIRE
La difficulté réside ici dans le caractère strictement personnel de la faculté de désigner un bénéficiaire pour le
souscripteur(17), qui exclut toute idée de représentation. De plus, on peut rapprocher la capacité de désigner un
bénéficiaire de celle de disposer à titre gratuit. Cette capacité de disposer à titre gratuit différant sensiblement
entre mineur et majeur protégé, nous distinguerons selon la qualité du souscripteur.
a - Le souscripteur est mineur
Après avoir rappelé l’incapacité de principe de disposer à titre gratuit du mineur, nous préciserons la marge de
manoeuvre de ses représentants dans la désignation bénéficiaire.
• L’incapacité de principe de disposer à titre gratuit du mineur
Le mineur de moins de seize ans ne peut disposer de ses biens, entre vifs ou par testament(18). Quant au mineur
de seize ans, il peut tester dans la limite de la moitié de la quotité disponible(19).
Il faudrait en déduire, par assimilation de la désignation bénéficiaire à une libéralité, qu’aucun bénéficiaire ne
pourrait être désigné au contrat d’assurance-vie dès lors que le souscripteur est âgé de moins de seize ans.
Le droit de désigner un bénéficiaire n’appartiendra alors qu’au mineur de plus de seize ans, dans les conditions
de l’article 904 du Code civil, si l’on considère que cette désignation se rapproche de la faculté de tester. Ainsi,
assurément, le mineur de seize ans pourra désigner par testament un bénéficiaire, sous réserve du respect de
l’article 904 du Code civil.
• Le contenu autorisé de la clause bénéficiaire
Au vu de l’incapacité du mineur de disposer de ses biens à titre gratuit, ses représentants pourraient donc
conclure le contrat d’assurance-vie, mais non désigner un bénéficiaire. Cette faculté sera réservée au mineur de
plus de seize ans, par testament ou par simple avenant si l’on admet que la désignation bénéficiaire s’apparente
à la confection d’un testament. En l’absence de solution établie en jurisprudence, on recommandera la prudence en conseillant de réaliser la désignation bénéficiaire par testament dès lors que celle-ci sera possible.
Enfin, on pourrait se demander s’il y a réellement désignation de bénéficiaire lorsque la clause ne désigne que
les héritiers ab intestat du souscripteur. Une partie de la doctrine(20) soutient que les parents pourraient
effectuer une telle désignation bénéficiaire. Mais on pourra objecter deux arguments : d’une part, l’incapacité
d’exercice du mineur de moins de seize ans est absolue. Tandis que le majeur sous tutelle peut réaliser une
donation au profit de certains de ses héritiers(21) , aucune exception n’est prévue au profit du mineur. D’autre
part, n’y aurait-il pas alors conflit d’intérêts, les parents souscrivant au nom de leur enfant mineur, stipulant à
leur profit ? Ils sont en effet héritiers ab intestat de leur enfant. Il nous semble qu’il faut y voir une opposition
d’intérêts, supposant la nomination d’un administrateur ad hoc.
Cette question n’a jamais été soumise au juge. Il faut reconnaître que la portée de cette question est relativement restreinte : si les parents souscrivent un contrat d’assurance-vie au nom de leur enfant mineur en
désignant comme bénéficiaire ses héritiers ab intestat, en supposant que cette désignation soit illégale, car (15) Lecture a contrario de l’article 1122 C. Civ : « On est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants-cause, à moins que le
contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature de la convention. »
(16) Art. L. 132-11 C. Ass.
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(17) Cass. Civ., 22 février 1893, D. 1893, I, p. 401, note Planiol.
(18) Art. 903 C. Civ.
(19) Art. 904 C. Civ.
(20) J. CHARLIN, op. cit. n°38.
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contraire à l’incapacité de disposer à titre gratuit du mineur, quelle serait la sanction de cette illégalité ?
La désignation bénéficiaire serait nulle, mais le contrat subsisterait. De deux choses l’une : soit le contrat
est dénoué et, en l’absence de clause bénéficiaire valable, l’indemnité d’assurance échoit au souscripteur
; soit le contrat ne se dénoue pas avant la majorité du souscripteur, et celui-ci pourra toujours désigner
un bénéficiaire lorsqu’il disposera de sa pleine capacité de disposer à titre gratuit.
b - Le souscripteur est majeur
Dans l’état du droit antérieur aux lois de 2007, en l’absence de disposition spécifique, il convenait de
rechercher la qualification de l’acte de désignation bénéficiaire , pour en dégager le régime.
Nous envisagerons successivement les situations du souscripteur majeur sous curatelle et sous tutelle, la
situation du majeur sous sauvegarde de justice ne posant aucune difficulté(22) .
• Le majeur sous curatelle
Le majeur placé sous curatelle n’est pas frappé d’une incapacité de principe de disposer à titre gratuit.
Il peut librement tester, et peut donner avec l’assistance de son curateur.
Si la souscription du contrat d’assurance-vie s’analysait en un acte d’administration, le majeur sous
curatelle pouvait le conclure seul, sauf l’hypothèse d’une curatelle renforcée ; quant à la désignation
bénéficiaire, elle aurait dû pouvoir être effectuée par le curatélaire seul, s’agissant d’un droit personnel.
Mais cette solution aurait été en contradiction avec l’exigence de l’assistance du curateur pour consentir
une donation. C’est pourquoi on admettait que le curateur devait assister la personne vulnérable non
pour la souscription mais pour la désignation bénéficiaire(23) . Son intervention était donc nécessaire(24).
Quant au cas où le contrat d’assurance-vie était un acte de disposition, le curateur devait assister la
personne vulnérable tant pour la souscription que pour la désignation bénéficiaire.
Enfin, ces règles se limitaient au cas où la désignation bénéficiaire était contenue dans le contrat
d’assurance-vie lui-même ; on pouvait alors conseiller de prévoir une désignation testamentaire du
bénéficiaire, la faculté de tester du majeur sous curatelle étant libre.
• Le majeur sous tutelle
Quant au majeur sous tutelle, son incapacité de disposer à titre gratuit n’est pas absolue : son
représentant peut consentir des donations entre vifs à condition d’y avoir été autorisé(25) . Cependant,
cette disposition ne visait que les donations, et n’autorisait le représentant à agir qu’avec autorisation.
Ainsi, elle ne pouvait s’appliquer à la désignation bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, qui est un
droit personnel. Il fallait en déduire que le tuteur pouvait souscrire le contrat – avec le cas échéant,
l’autorisation du conseil de famille ou du juge si elle était nécessaire – mais ne pouvait désigner un bénéficiaire, cette faculté ne pouvant être exercée que par le majeur protégé, lequel ne pouvait agir en
l’absence de disposition spéciale l’y autorisant.
Si l’incapacité de tester du majeur sous tutelle était (et demeure aujourd’hui) le principe(26) , elle était
déjà sous l’empire de la loi antérieure assortie d’une exception : le majeur sous tutelle pouvait tester
avec l’autorisation préalable du conseil de famille. En l’état du droit antérieur à la loi du 5 mars 2007,
l’article 504 du Code civil issu de la loi du 23 juin 2006 imposait alors l’assistance du tuteur(27), tout en
excluant en son deuxième alinéa, s’agissant d’un acte personnel, la faculté pour le tuteur de représenter
son protégé. La voie de la désignation bénéficiaire testamentaire restait donc ouverte au majeur sous
tutelle.
Malgré l’absence de dispositions spécifiques régissant la conclusion du contrat d’assurance-vie par une
personne protégée, la pratique avait donc réussi à adapter les règles issues du code civil pour dégager
des solutions assez stables, même si certaines incertitudes méritaient encore d’être levées. La loi du 5
mars 2007 y contribue en partie.
B - L’ALIGNEMENT DU RÉGIME DE LA DÉSIGNATION BÉNÉFICIAIRE SUR CELUI DE LA RÉALISATION D’UN
TESTAMENT
Notre propos sera ici limité au souscripteur majeur placé sous un régime de protection, les lois des 5
mars 2007 et 17 décembre 2007 n’ayant pas évoqué la souscription effectuée au nom du mineur.
(21) Art. 505 C. Civ
(22) De même qu’il peut souscrire seul de contrat d’assurance-vie, il peut
en désigner le bénéficiaire, sous réserve des facultés de remise en cause de
ses actes rappelés ci-dessus.
(23) En ce sens, 102ème Congrès des Notaires de France, Rapport de la
3ème Commission, n°3259
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(24) En ce sens, J. CHARLIN, op. cit. n°45.
(25) Cette faculté a été élargie par les lois du 23 juin 2006 et du 5 mars
2007
(26) Art. 504, al. 1 C.Civ
(27)Texte modifié par la loi du 5 mars 2007, qui exclut désormais toute
assistance, cf. infra. Section 2
La Revue des Notaires
Octobre 2008
a - Le souscripteur est placé sous tutelle
La désignation du bénéficiaire du contrat est envisagée par le nouvel article L. 132-4-1 du Code des
assurances, au même titre que la souscription elle-même. Dès lors, la décision du conseil de famille ou du juge
des tutelles autorisant la souscription du contrat pourra également autoriser la désignation d’un
bénéficiaire.
Cette précision législative met fin aux situations de blocage nées du régime antérieur : le majeur sous tutelle ne
pouvait désigner seul un bénéficiaire, puisqu’il n’avait pas la capacité d’exercer ce droit strictement personnel
; quant au tuteur, il ne pouvait exercer un droit strictement personnel au souscripteur. Dorénavant, c’est la décision du conseil de famille ou du juge qui autorisera le tuteur ou le souscripteur à désigner un bénéficiaire.
On peut néanmoins se demander si le souscripteur en tutelle pourrait être autorisé à procéder seul à la
désignation bénéficiaire. On pourrait l’admettre en s’appuyant sur le nouvel article 476, alinéa 2, qui
permettra au majeur sous tutelle, à compter du 1er janvier 2009, autorisé par le conseil de famille ou le juge
des tutelles, de faire seul son testament. Cependant, on se souvient que la jurisprudence avait refusé
d’appliquer au contrat d’assurance-vie une disposition propre au testament du majeur sous tutelle(28) . Il est
donc incertain qu’elle l’accepte sous l’empire de la loi nouvelle.
b - Le souscripteur est placé sous curatelle
Tout comme pour la souscription du contrat d’assurance-vie par le curatélaire, le législateur a ici
procédé en deux étapes, le texte de la loi du 5 mars 2007 ayant été retouché par la loi du 17 décembre 2007.
L’article L. 132-3 du Code des Assurances, dans sa rédaction issue de la loi du 5 mars 2007, soumettait la
désignation bénéficiaire, au même titre que la souscription elle-même du contrat, à l’autorisation du juge des
tutelles ou du conseil de famille s’il était constitué.
Cette solution était surprenante, dans la mesure où la désignation bénéficiaire est un acte strictement
personnel au souscripteur.
C’est pourquoi la loi du 17 décembre 2007 revient sur cette exigence de l’autorisation du juge des
tutelles : la désignation bénéficiaire, comme la souscription elle-même, sont désormais soumises à la seule
assistance du curateur, au même titre que les donations(29) .
Mais si la solution se justifie pour la conclusion du contrat lui-même, elle est plus difficile à admettre concernant la désignation bénéficiaire. Il s’agit d’un acte personnel, qui exclut en principe l’assistance. Le législateur
préfère faire prévaloir l’aspect patrimonial du contrat d’assurance-vie, l’assimilant complètement à une
donation. Dès lors, la seule possibilité offerte au majeur sous curatelle pour préserver sa liberté de désignation
bénéficiaire est de recourir à la désignation testamentaire, puisque sa faculté de tester demeure totale.
La nouvelle réglementation mise en place avait pour objectif de renforcer la protection des personnes frappées
d’une mesure d’incapacité, notamment lors de la conclusion du contrat d’assurance-vie ; force est de constater
que ce but est atteint par le rapprochement opéré avec la réglementation applicable aux donations. On peut
seulement se demander si la protection mise en place pour la curatelle n’est pas excessive concernant la
désignation bénéficiaire ; à travers cet excès, le caractère personnel de la désignation bénéficiaire est écorné.
De plus, si les régimes de la souscription et de la désignation bénéficiaire sortent apparemment clarifiés de ces
réformes, cette clarification risque fort de ne se révéler qu’apparente. En effet, on peut s’interroger sur le point
de savoir si la mise en place de règles propres au contrat d’assurance-vie trouvant leur siège dans le code des
assurances va pour autant supprimer tout risque de conflit entre ces règles particulières et les règles générales
du droit des incapacités. Nous ne le pensons pas.
Ainsi, si le recours au testament doit selon nous être encouragé en tant que support de la désignation
bénéficiaire, ne pourra-t-on pas nous objecter que le recours au testament, soumis au droit commun du droit
des incapacités, contournera la réglementation spéciale au contrat d’assurance-vie issue des lois des 5 mars et
17 décembre 2007 ? Nul doute que le juge aura un jour l'occasion de se prononcer sur ce point. Si les
praticiens dénonçaient l’absence de réglementation propre à la conclusion d’un contrat d’assurance-vie par les
personnes vulnérables, ils risquent fort désormais de dénoncer une nouvelle difficulté : la conciliation de cette
réglementation propre avec le droit commun des régimes de protection. (28) Cass. Civ. 1ère, 11 juin 1996, Bull. civ. I, n° 249, D. 1998, Jur. 20, note
DELMAS SAINT-HILAIRE, RTD civ. 1996, 877, obs. HAUSER
(29) Là encore, on ne posera plus la question de savoir si le contrat d’assurance-vie constitue un acte d’administration ou de disposition ; par prin-
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Octobre 2008
cipe, la conclusion d’un contrat d’assurance-vie est trop dangereuse pour
être abandonnée au seul curatélaire
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