La couleur et le vitrail - TRAN-B-300: Technologie de l`information

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La couleur et le vitrail - TRAN-B-300: Technologie de l`information
Madame Françoise Perrot
La couleur et le vitrail
In: Cahiers de civilisation médiévale. 39e année (n°155), Juillet-septembre 1996. pp. 211-215.
Résumé
Cette note a pour but de rappeler les rapports que le vitrail entretient avec la couleur et, à partir des travaux antérieurs et plus
récents, d'ouvrir le champ d'investigation : relecture des textes du XIIe s. concernant la lumière et des grands recueils de
recettes, recherches techniques sur la transmission de la lumière.
Abstract
In this short note, the A. recalls previous works on the ties between colour and stained glass and wishes to call new ways of
research, based on a reexamination of XIIlth c. texts on light, an analysis of recipes, scientific research on light transmission.
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Perrot Françoise. La couleur et le vitrail. In: Cahiers de civilisation médiévale. 39e année (n°155), Juillet-septembre 1996. pp.
211-215.
doi : 10.3406/ccmed.1996.2650
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1996_num_39_155_2650
Françoise PERROT
La couleur et le vitrail
RÉSUMÉ
Cette note a pour but de rappeler les rapports que le vitrail entretient avec la couleur et, à partir des
travaux antérieurs et plus récents, d'ouvrir le champ d'investigation : relecture des textes du xne s. concernant
la lumière et des grands recueils de recettes, recherches techniques sur la transmission de la lumière.
Abstract
In this short note, the A. recalls previous works on the ties between colour and stained glass and wishes
to call new ways of research, based on a reexamination of Xllth c. texts on light, an analysis of recipes,
scientific research on light transmission.
Les remarques qui vont suivre résultent d'une tentative de mise en forme de quelques problèmes
touchant les rapports que le vitrail entretient avec la couleur, et vice versa *. La prudence de
cette introduction liminaire tient à ce que, en restant dans le domaine de l'histoire et de l'histoire
de l'art, le champ d'investigation ayant la couleur pour centre s'est considérablement accru et a
fait l'objet d'études de plus en plus nombreuses ces années dernières x. Comme nous le verrons
ci-après, le vitrail a déjà fait l'objet d'analyses dans ses rapports avec la couleur, mais depuis
celles de Viollet-le-Duc et, plus récemment, de L. Grodecki, l'approche du phénomène coloré dans
le monde médiéval a largement évolué.
L'histoire des mentalités a sa part de responsabilité dans cette évolution.
Parmi les données matérielles qui ont influé sur ce changement d'approche, les méthodes de
restauration plus attentives ont entraîné la découverte de très nombreuses traces de polychromie
dans les édifices médiévaux que ce soit sous des formes bien connues, comme la peinture murale 2,
ou plus inattendues, comme la pâte de verre au tympan de Saint-Trophime d'Arles 3. Ceci a
entraîné une révision — dans tous les sens du terme — de l'édifice médiéval, où la place du
vitrail doit être réexaminée.
:
* Ce fut le thème de ma leçon donnée au C.E.S. CM. lors de la session de septembre 1994.
1. Il est impossible de citer tous les titres. Je retiendrai, avec un arbitraire certain, M. Pastoureau, « L'Église et la
couleur des origines à la Réforme », Bibliothèque de l'École des Chartes, 147, 1989, p. 203-230. M. Pastoureau mène ses
recherches principalement autour de la couleur et ses publications sur le sujet sont donc très nombreuses; il signe
également l'introduction aux actes du colloque Pigments et colorants de l'Antiquité et du moyen âge. Teinture, peinture,
enluminure, études historiques et physico-chimiques, Paris, C.N.R.S., 1990; — J. Gage, Colour and Culture. Practice and
Meaning from Antiquity to Abstraction, Londres, 1993.
2. Voir les actes du colloque organisé à Amiens, en 1989, par la Direction du Patrimoine du Ministère de la Culture
Architecture et décors peints, Paris, 1990. La chronique du Bulletin monumental rend compte régulièrement de ces découvertes.
3. Cf. A. Hartmann-Virnich, « Les découvertes archéologiques », Monumental, 10-11, 1995, p. 42-43. La pâte de verre
était déjà bien connue au jubé de la cathédrale de Bourges (avant 1237) ou dans les médaillons des saints martyrs de la
Sainte-Chapelle de Paris (avant 1248).
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C'est dans ce contexte que nous inscrivons ces remarques. Après avoir rappelé les grands moments
de l'histoire du vitrail considérés sous l'angle de la couleur, puis l'interprétation qui a pu en être
faite, nous présenterons quelques directions de recherche.
Au moyen âge comme à la Renaissance, le vitrail est une composition translucide, destinée à la
fermeture d'une baie et faite de pièces de verre coloré ou non, peintes ou non, serties dans un
réseau de plomb. C'est la lumière qui révèle le vitrail. La lecture d'un vitrail se faisant par
transparence, c'est-à-dire en contrejour, deux éléments jouent un rôle prédominant. D'abord le
réseau de plomb qui apparaît en noir et, en cernant le contour des formes, peut, à lui seul,
indiquer le sens général de la représentation 4 — c'est le cas, en particulier, de certaines vitreries
décoratives, comme les vitreries cisterciennes en France au xne et au début du xme s., où les motifs
géométriques ou floraux sont découpés dans du verre incolore et cernés par les liens de plomb.
Ensuite la peinture, appelée grisaille, qui est une sorte d'émail à base d'oxyde métallique (fer ou
cuivre) fixé par la cuisson, avec laquelle le peintre-verrier fait naître les formes sur les pièces de
verre (rendu des visages, des drapés et autres accessoires, modelé). À ceci s'ajoute éventuellement
la couleur donnée d'abord par le verre teint dans la masse et, après 1300 environ, par d'autres
formes de peinture (jaune d'argent, puis sanguine, émaux de couleur), qui viennent jouer avec le
réseau de plomb et avec la grisaille.
La combinaison de ces trois éléments caractérise l'évolution du vitrail selon les périodes. Dans
un premier temps, nous allons examiner les temps forts de ce parcours, en commençant par
quelques remarques sur ce que les fouilles nous apprennent sur les vitraux colorés avant l'an mil
et la montée en puissance de l'architecture romane, même s'ils sont malheureusement coupés de
leur contexte architectural.
Nous nous en tiendrons à trois ensembles, sensiblement contemporains (première moitié du ixe s.),
fouillés récemment : le groupe cathédral au flanc sud de la cathédrale de Rouen 5, l'abbaye de
San Vincenzo al Volturno dans le Bénévent 6 et l'abbaye de Farfa 7. À Rouen, le seul de nos
exemples à présenter des verres peints, Jacques Le Maho a relevé que « la couleur est verte ou,
très exceptionnellement, bleue ou rouge». A San Vincenzo, où plus de 7000 fragments de verre
plat ont été exhumés, 85 % sont de couleur verte, 11 % de couleur bleue, 1 % de verre incolore,
3 % de rouge et vert avec des veines colorées. À Farfa, le vert domine également avec 35 %
des 224 fragments de verre plat retrouvés, contre 14 % de bleu et 8 % incolore. Donc pour
cette époque carolingienne — et dans l'état actuel de nos connaissances — , une gamme restreinte
à trois ou quatre couleurs où le vert domine nettement.
Passons maintenant au vitrail in situ, qui se laisse appréhender à partir de la fin du xie ou du
début du xiie s., pour faire ressortir les caractéristiques de coloration selon les époques. On peut
penser que l'architecture romane, généralement massive, attend du vitrail, outre sa fonction
symbolique et figurative, un véritable éclairage 8. La gamme colorée est peu étendue avec, en
France, principalement du rouge, du bleu et du jaune, qui peuvent donner une tonalité majeure
à un vitrail. Ainsi dans les trois verrières du milieu du xne s. à la façade occidentale de la
cathédrale de Chartres, V Arbre de Jessé et VEnfance donnent-ils un accord rouge/bleu, tandis que
le jaune domine dans la Passion. Le bleu rendu par un verre parfaitement conservé, riche en
silice, coloré au cobalt et au cuivre transmet bien les longueurs d'ondes situées dans le domaine
du rouge; la lumière transmise, plus chaude, explique le rayonnement exceptionnel, par exemple,
4. Voir Panneaux de vitres-vitraux, mises en plomb xif-xix? s., Paris, Centre de recherches sur les Monuments
Historiques, 1996, nouv. éd. par J. Mayer, avec introd. de F. Perrot.
5. J. Le Maho, « Les fragments de vitraux carolingiens de la cathédrale de Rouen », Bull, des Amis des Monuments
Rouennais, 1992/93, p. 39-43.
6. R. Hodges, « A Fetishism for Commodities : Ninth-Cent. Glass-Making at San Vincenzo al Volturno », Archeologia
e storia délia produzione del vetro preindustriale, dir. Marja Mendera, Florence, 1991, p. 67-90. Je suis très reconnaissante
à John Mitchell, un des responsables de ce chantier, d'avoir mis à ma disposition toutes ces publications.
7. M. Newby, « Médiéval Glass from Farfa », Annales du 10e congrès de l'Association internationale pour l'histoire du
verre, Amsterdam, 1987, p. 257-266.
8. Voir L. Grodecki, « Le vitrail et l'architecture au xne et au xme s. », Gazette des Beaux-Arts, 1949, repris dans Le
moyen âge retrouvé, t. II, Paris, 1991, p. 131-138.
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de ces trois verrières de la façade occidentale de la cathédrale de Chartres, surtout au soleil
couchant plus riche en lumière rouge 9. La vision en négatif des restaurations a modifié l'aspect
initial. Cependant, il ne faut pas trop généraliser. En effet, dans les deux petits panneaux du
xne s. conservés à Saint-Denis-de-Jouhet (Indre), le vert domine nettement et le verre bleu est
absent. Dans les scènes de Chenu remontées à Rivenhall, le bleu n'est pas exclu, mais le vert
est très présent 10.
Avec le développement de l'architecture gothique — dès le milieu du xne s. en Ile-de-France,
mais les dates varient selon les régions, c'est pourquoi il me paraît plus approprié de prendre le
système de construction pour référence, plutôt que la chronologie — , la dimension des baies
devient très étendue et c'est le vitrail qui, en remplaçant la maçonnerie, devient un mur de
lumière. Ceci correspond à la vision de l'église comme le reflet terrestre de la Jérusalem céleste.
La gamme colorée est alors très saturée; le bleu en particulier a une tonalité violacée due à une
plus faible teneur en cuivre que les verres du xne s.
Au cours de la seconde moitié du xme s., la coloration générale va changer ; les recherches
s'orientent vers plus de clarté : association de panneaux colorés et de grisailles décoratives
(blanches) n, alternance de verrières (ou de lancettes) 12 de pleine couleur et de grisailles
décoratives. Ces essais vont déboucher sur un type de composition en litre — un registre de
pleine couleur entre deux registres de grisaille décorative — , qui sera repris de façon quasi
générale. Le premier exemple, abouti, se voit à Saint-Urbain de Troyes (vers 1270) et à l'abbatiale
Saint-Ouen de Rouen, ce sont toutes les verrières de l'étage inférieur qui suivront ce parti adopté
dans le premier tiers du xive s. et suivi jusqu'à la fin des travaux au milieu du xvie s.
Vers 1300, on assiste à une véritable révolution 13 : le verre, de translucide qu'il était jusque-là,
devient vraiment transparent, ce qui est sensible non seulement pour le verre blanc mais pour les
verres colorés dont les nuances sont plus variées; la règle qui voulait que chaque couleur soit
séparée par un plomb est transgressée : l'invention du jaune d'argent (un sel d'argent qui agit
par cémentation) permet de colorer tout ou partie d'une pièce de verre blanc en jaune sans le
recours au plomb séparateur, ce qui entraîne une autre fragmentation de la couleur que celle
donnée par la découpe des pièces de verre mises en œuvre; la découpe elle-même devient
beaucoup plus large qu'aux siècles précédents, ce qui a pour effet de changer l'échelle des
représentations, figuratives ou décoratives. Ainsi, à partir de ce début du xive et jusqu'à la fin
du xvie s., la distribution des couleurs, plus nombreuses, à la fois en plages plus larges mais aussi
éventuellement très morcelées par le biais des rehauts de jaune d'argent, de l'utilisation, à partir
de la fin du xive s., de la sanguine (un émail ? à base d'hématite), et aussi de la gravure du verre
plaqué, obéit-elle à des règles radicalement différentes de celles des deux siècles précédents.
Ce rappel était nécessaire pour comprendre comment les auteurs qui se sont intéressés au(x)
rapport(s) que la couleur entretenait avec le vitrail, ont abordé la question.
Dans l'article Vitrail du Dictionnaire raisonné de l'architecture française (vol. IX, 1868, p. 390),
E. Viollet-le-Duc s'est attaché à retrouver ce qu'il considérait comme les principes élémentaires
d'organisation des couleurs dans les vitraux des xne et xme s., selon lui l'âge d'or du vitrail qui
sombre ensuite dans la décadence. Il s'agit de comprendre l'organisation colorée en fonction de
l'effet général produit. «... Mais il faut dire que les rayonnements des couleurs translucides ont
des valeurs très différentes. Ainsi en ne prenant que les trois couleurs fondamentales, celles du
prisme, le bleu, le jaune et le rouge, ces trois couleurs appliquées sur des verres, et translucides
:
9. Cf. J.-M. Bettembourg, « Problèmes de la conservation des vitraux de la façade occidentale de la cathédrale de
Chartres », Les Monuments historiques de la France, 1977, n. 1, p. 8-9.
10. Voir en dernier lieu A. Granboulan, « De la paroisse à la cathédrale une approche renouvelée du vitrail roman
dans l'ouest », Revue de l'art, 103, 1994, p. 42-52.
11. Un des premiers exemples se voit à la cathédrale Saint-Étienne d'Auxerre, dans la chapelle de la Vierge, et date
du début du xme s.
12. Voir le cas de Saint-Pierre de Chartres, vers le milieu du xnie s.
13. F. Perrot, « Observations sur l'évolution du vitrail autour de 1300 », dans Europâische Kunst um 1300, Akten des
XXV. internationalen Kongresses fur Kunstgeschichte, Wien, 1983, Vienne/Cologne/Graz, 1986, p. 39-44.
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par conséquent, rayonnent plus ou moins. Le bleu est la couleur qui rayonne le plus, le rouge
rayonne mal, le jaune pas du tout s'il titre vers l'orangé, un peu s'il est paille ». Pour trouver un
bon équilibre entre ces couleurs, étant admis que « dans les vitraux, plus encore que dans la
peinture, chaque ton n'acquiert une valeur que par l'opposition d'un autre ton », les verriers ont
su insérer entre les tons forts, le bleu et le rouge, un ton clair dont la vivacité était atténuée par
de la peinture. Cette règle serait particulièrement bien respectée dans les mosaïques de fond, ces
champs décoratifs sur lesquels se détachent les compartiments figurés dans les vitraux du
xme s. surtout.
La seule critique opposée à Viollet-le-Duc a été celle de James R. Johnson 14, encore ne porte-t-elle
pas réellement sur la couleur, mais sur le raisonnement faussement scientifique de l'archéologue,
qui « vise à imposer sa vision d'une époque sur l'art d'une autre époque ».
Cette argumentation a été écartée, sans véritable discussion, par L. Grodecki qui avait écrit un
article sur « La couleur dans le vitrail du xne au xvie s. » 15, fondé précisément sur les données
de Viollet-le-Duc. Il n'est pas possible d'analyser ici les arguments des deux parties, qui se sont
surtout intéressées à la vision d'ensemble d'une verrière.
Depuis, d'autres chercheurs ont engagé la recherche dans un contexte élargi. Ainsi John Gage,
dans son monumental ouvrage 16 sur la couleur dont le sous-titre Mise en œuvre et signification
de la couleur annonce l'extension qu'il donne au sujet, s'est-il penché sur le vitrail du xne s., et
plus précisément de Saint-Denis. Il rappelle d'abord la place, dans la pensée de cette époque, de
la lumière à laquelle renvoyaient deux termes : lux, en quelque sorte la lumière primordiale,
divine, dont lumen était la manifestation sensible; la couleur était un attribut secondaire de lumen.
Dans son De consecratione, Suger insiste sur la lumière qui baigne le déambulatoire et, face à
cette insistance renchérie par les commentateurs modernes, J. Gage exprime un certain scepticisme.
En effet, les vitraux commandés par l'abbé de Saint-Denis sont très colorés et très chargés de
peinture, même lorsqu'ils mettent en œuvre une majorité de verre blanc comme les grisailles
décoratives aux griffons. Ils retiennent donc beaucoup la lumière, en particulier si on les compare
aux vitreries cisterciennes contemporaines. En conséquence, J. Gage conclut que la luminosité
n'était pas le souci premier des peintres verriers. Il en apporte la démonstration à travers son
interprétation des théories néo-platoniciennes développées dans les écrits du Pseudo-Denys, où
« l'ignorance mystique était la clé de voûte de la pensée dyonisienne qui présentait une expérience
du divin, à deux faces, l'une négative, l'autre positive » 17 ; pour le Pseudo-Denys, le négatif l'aurait
emporté sur le positif.
Cette analyse, qui prend le contrepied de ce qui était admis jusqu'ici, mériterait autre chose qu'une
simple allusion. Nous y voyons l'invitation à une lecture renouvelée des textes néo-platoniciens du
xiie s., qu'il faudrait confronter à celle du Traité sur l'âme d'Aristote 18. Voici donc une de ces
nouvelles voies pour la recherche sur le sujet qui nous intéresse.
Outre ces textes, les livres de recettes et leurs copies successives peuvent apporter des enseignements
non seulement sur la technique, mais aussi sur la façon d'envisager la transparence. Citons d'abord
la Mappae clavicula, traduction d'un traité grec d'alchimie Kleidion cheirokmeton ou Petite clé des
tours de main 19, connue par un manuscrit du Xe s. Dans le livre II de son traité, De diversis
artibus schedula, rédigé autour de 1100, Théophile consacre quatre chapitres à la fabrication de
verres de couleur et deux chapitres à la peinture pour laquelle il utilise également le terme color.
Le recollement de ces textes et leur confrontation devraient enrichir le débat.
14. « The Stained Glass Théories of Viollet-le-Duc », The Art Bulletin, XLV, 1963, p. 121-134.
15. Paru dans Problèmes de la couleur, colloque du Centre de Recherches de Psychologie comparative, 18-20 mai
1954, Paris, 1957, p. 183-201. La critique de l'article J.R. Johnson est parue dans le Bulletin monumental, 122, 1964, p. 108-109.
16. John Gage, Colour (voir n. 1).
17. Ibid., p. 71a.
18. Voir Anca Vassiliu, « Le mot et le verre. Une définition médiévale du Diaphane », Journal des savants, janv.-juin
1994, p. 135-162.
19. Cf. R. Halleux, « Pigments et colorants dans la Mappae Clavicula », dans Pigments et colorants de l'Antiquité et
du moyen âge (voir n. 1), p. 173-180.
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Cette deuxième voie a pour complément naturel l'analyse scientifique des verres. Les méthodes
scientifiques ont rendu possibles des analyses plus précises sur les compositions des verres 20 et
des mesures en particulier celles de la transmission lumineuse. La provenance des colorants et le
commerce auquel ils ont donné lieu devraient également être examinés 21.
Enfin, à une époque où les recherches sur la place de la couleur dans l'édifice religieux et, d'une
façon plus générale, dans la société médiévale, sont en cours 22, il serait intéressant de confronter
le vitrail avec les résultats obtenus dans d'autres domaines. Par exemple, le vitrail a transcrit le
noir par le bleu jusqu'au xves. : quel sens donner à cettre transposition qui a peut-être son
équivalent dans d'autres supports ? La symbolique des couleurs que les travaux de M. Pastoureau
tentent de préciser est-elle applicable au vitrail ?
Comment les peintres verriers ont-ils utilisé les couleurs pour noter l'espace ? Nos observations
sont encore trop limitées pour en tirer des leçons, mais l'analyse de certaines scènes montre
qu'elles sont entièrement construites sur le jeu des couleurs. Prenons par exemple la Rencontre
du Christ et des Pèlerins d'Emmaus dans la verrière de la Passion, à la Sainte-Chapelle de Paris
(vers 1244/48) : dans un compartiment carré, le Christ est assis entre les deux pèlerins, devant
une table qui forme une large horizontale blanche d'un bord à l'autre du panneau; le fond
général est bleu, sauf qu'une ondulation blanche, figurant la nuée, isole le buste du Christ qui se
détache sur un fond rouge, tout comme ses pieds sous la table; cependant les mains divines, qui
rompent le pain, se trouvent sous la nuée et appartiennent au registre terrestre à fond bleu.
Pouvait-on imaginer artifice plus subtil pour figurer la double nature du Christ ?
L'éventail des questions est assez large. Dans cette note, nous avons seulement souhaité attirer
l'attention sur la nécessité d'une approche renouvelée des rapports que le vitrail entretient avec
la couleur.
Françoise Perrot
Centre d'Études Supérieures de Civilisation Médiévale
24, rue de la Chaîne
F-86022 POITIERS
20. Cf. C. Coupry, G. Sagon et A. Lautié, « Contribution par spectrométrie Raman à la connaissance des vitraux »,
dans Conservation commune d'un patrimoine commun. Programme franco-allemand de recherche pour la conservation des
monuments historiques, Ier colloque, Karlsruhe, 24-25 mars 1993, p. 245-249. La « carte d'identité » des verres dressée ici
pour l'analyse de la corrosion pourrait être utilisée pour l'étude de la couleur.
21. Ce travail est amorcé; voir B. Gratuze, I. Soulier, J.-N. Barrandon et D. Foy, «De l'origine du cobalt dans
les verres », Revue d'archéométrie, 16, 1992.
22. Voir. M. Pastoureau, Figures et couleurs. Étude sur la symbolique et la sensibilité médiévales, Paris, 1986 et du
même, «L'Église et la couleur des origines à la Réforme» (voir n. 1).

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