commentaire - page d`accue

Transcription

commentaire - page d`accue
DEVOIR n°1
Tronc commun ES/L/S
CORRECTION DU COMMENTAIRE
PLAN puis commentaire intégral rédigé
Plan détaillé :
I/ Le courtisan dévalorisé
1) L’insulte franche et directe qui donne le ton
2) La mise en accusation grave: la part de fatalité du comportement des courtisans
II/ Une cible de plus en plus disqualifiée : le courtisan franchement méprisé
1) L’utilisation stratégique du sonnet dans l’entreprise critique
2) Un propos subtilement et irrémédiablement méprisant à l’égard des courtisans
III/ Un lecteur forcément associé à l’entreprise critique
1) Un rythme entrainant
2) Un propos convaincant car universel
1/4
Joachim du Bellay est volontiers réduit à son statut de cour, destin injuste qui a frappé aussi
Marot et Ronsard ses contemporains. En vérité le poète humaniste incarne toute la complexité de la
Renaissance : grammairien militant pour un usage conscient et entretenu de la nouvelle langue
nationale, poète proche des Grands mais rebuté par leurs manœuvres mondaines, voyageur n’aimant
rien d’autre que sa terre natale, il a conjugué tout au long de sa carrière inspirations lyriques,
épanchements élégiaques et, comme ici, art de la satire.
Le poème que nous avons ici, extrait de son second recueil Les regrets, constitue l’un des
nombreux sonnets du poète angevin, auquel on doit justement un certain renouvellement de cette
forme incontournable de la poésie occidentale.
Comment Du Bellay fait-il d’un poème en apparence anecdotique un poème puissamment
critique ?
Pour examiner ce renversement sûr et implacable de la perspective, étudions d’abord comment le
poète s’impose dans le poème, puis comment la cible que sont les courtisans est parallèlement peu à
peu évacuée et enfin comment pour parachever cette mise à mort en règle, Du Bellay fait peu à peu
émerger d’opportuns opportuns complices : les lecteurs.
Le poème faussement anecdotique et véritablement critique procède d’une double logique ;
tout en disqualifiant les courtisans, cibles évidentes du sonnet, le poème valorise le poète qui se place
en juge suprême des bons et mauvais tempéraments humains. Du Bellay met son sonnet au service de
l’entreprise satirique et d’abord tout simplement épidictique, en passant par le blâme pur et simple.
Pour cela il n’hésite pas, dès le premier vers à installer un climat critique, avec la négation (« je ne
saurais ») au vers liminaire, relayé par l’expression « ces vieux singes de cour », qui cumule en un
groupe nominal les procédés de dévalorisation : désignation dédaigneuse avec la valeur dépréciative
du démonstratif , l’hypocoristique « vieux » qui enlaidit l’image des courtisans et surtout l’expression
« singes de cour » qui ajoute au processus de déshumanisation ( jusqu’à l’ animalisation, et même une
animalisation basique, puisque le terme employé est le plus général possible - « singe »-) la
dénonciation de cette vie de servitude à laquelle se condamnent les courtisans, réduits à ne vivre
toujours et exclusivement à la faveur d’une cour dont ils dépendent jusque dans la grammaire. Le
complément « de cour » semble les limiter à un espace, hors duquel ils n’ont aucune existence.
Ce que Du Bellay fustige, ce n’est pas seulement la veulerie et la bassesse des courtisans c’est le destin
auquel ils se tiennent, répétitif et en cela, tragique. La métaphore filée du singe qui se définit comme
un pâle simili d’humain prend tout son sens sur la durée : le champ lexical de l’imitation couvre tout le
poème (« contrefaire », « comme » au premier quatrain, « pareil » au second quatrain et « hypocrite »
au second tercet) et cette constance dans le défaut apparaît comme une fatalité. La servitude
volontaire inexorable à laquelle ils se condamnent explique le retour, en boucle, du même constat
terrible d’ignorance, dressé au second vers (« qui ne savent ») et auquel on revient au vers de clôture :
« et ne savent pourquoi ». La négation ajoutée à la reprise, sans aucune variation ni ajout du verbe
« savoir » témoigne de leur comportement pour le moins caricatural puisque mécaniquement
programmé pour reproduire à l’identique, pas seulement les attitudes de leurs idoles, mais aussi leurs
propres automatismes.
2/4
Mais critiquer en se contentant d’insulter les courtisans pourrait être perçu, même si dans un
premier temps l’attaque directe peut se révéler efficace pour discréditer l’ennemi, comme immature
voire injuste. Du Bellay décoche alors un second ensemble de flèche à l’encontre des courtisans,
flèches autrement plus subtiles. Une fois le stade l’injure (qui s’impose dès le début mais risque de vite
s’épuiser après avoir fait son petit effet) passé, le poète joue également sur la dépréciation par le
mépris, et là sa critique franchit un cran dans la subtilité (ce qui lui permet du coup de se valoriser aussi
au passage, puisqu’il apparaît comme l’esprit supérieur, capable de plus que de simples injures). Ainsi
le choix paradoxal du sonnet (traditionnellement rattaché aux traditions lyrique et élégiaque depuis
l’Ecole lyonnaise, ce que la Pléiade à laquelle appartient Du Bellay exploite encore) est-il à voir comme
la volonté de donner à la critique toute sa puissance, puisque le sonnet, forme fixe resserrée et codifiée
en quatorze vers, en même temps qu’il impose (comme à la cour) des règles strictes et contraignantes
(dans la gestion des rimes, par exemple), exige de la condensation mais permet du coup, de l’efficacité
dans la méchanceté. Le trait est forcément efficace et douloureux pour la cible. Régler leurs comptes
aux courtisans en quatorze vers est en soi une disqualification : ils ne méritent pas davantage.
De la même façon, à l’échelle du lexique employé, la simplicité de la désignation des courtisans et le
manque de variation dans le choix des termes est significatif et vaut pour gifle magistrale. Les
courtisans ne sont désignés par un groupe nominal, insultant, des vers 2 au vers 5 (comme si on
n’arrivait pas à s’en défaire) : « ces vieux singes de cour, qui ne savent rien faire […] d’un pompeux
appareil. » La longueur du groupe (nom et expansions du nom diverses) veut exprimer la pesanteur
que ces personnages expriment : leur obséquiosité, l’évidence de leurs manières, le caractère
irrémédiablement exagéré de leurs façons est alors mieux ressenti par le lecteur puisque ce dernier ne
peut s’empêcher, en ne voyant plus la fin du groupe nominal venir, de ressentir, comme du Joachim
Du Bellay un effet de lassitude à l’égard de ces tristes individus. Mais surtout, Du Bellay, après avoir
comme « dégoûté » le lecteur des courtisans, prend soin de ne surtout plus les nommer de tout le
poème : leur capacité à se mettre aveuglément et sans vergogne au service de n’importe quel puissant,
et de vendre leur âme au plus offrant, les prive évidemment de tout intérêt autonome, et les
dépersonnalise, comme on le voit dans la pléthore des pronoms « ils » qui les désigne par la suite tout
au long du poème. Ils se réduisent à n’être que des fantômes, de vagues présences subalternes et Du
Bellay ne prend la peine de chercher à savoir qui ils sont. Le pronom personnel « ils » (ou « eux » en
complément) dans sa plus simple expression leur suffit, et revient aux vers 5, 6, 9, 10, 11, 12 et 14).
La charge conte les courtisans prend d’autant plus de force que le poète exprime son mépris
en prenant les lecteurs à témoin : lecteurs sont amenés à se liguer contre les courtisans, ce qui garantit
à Du Bellay d’avoir le dessus sur ses cibles. Isolées, ces dernières achèvent de perdre tout crédit.
Tout est fait pour rendre la critique accessible et permettre l’assentiment autant dire le
ralliement aisé du lecteur. Le rythme binaire couvre tout le poème en s’autorisant quelques variations
significatives mettant en valeur la versatilité des courtisans (le renversement du vers 8 en chiasme « La
lune en plein midi/à minuit le soleil) et Du Bellay prend soin de marquer ses hémistiches avec une
virgule médiane à quasiment chaque vers. Les courtisans sont brocardés pour leur obéissance
mécanique, mimée par le systématisme de l’alexandrin mais cette discipline dans l’alexandrin et son
rythme binaire, cette mécanique bien huilée facilitent aussi du point du vue du lecteur, la
compréhension d’images simples (par exemple, l’opposition jour/nuit mentionnée plus haut).
Impossible pour le lecteur de ne pas adhérer au propos de Du Bellay, rendu universel grâce à
la parole incontestable, celle qui s’exprime sous forme de généralités autant dire de lois : « ils ne savent
3/4
rien faire », « quelques fois me dépite » etc. relèvent de présents d’habitude ou de vérité générale qui
font accéder la critique anecdotique que l’on pourrait penser subjective au rang de satire de tout un
groupe au sein de toute une époque. Ce sérieux que le texte argumentatif veut se donner afin de mieux
entraîner ses lecteurs se retrouve dans le mouvement de texte, qui glisse de la première à la dernière
strophe d’un lexique futile (avec le champ lexical de la posture, qui caractérise les courtisans :
« marcher », « vêtir », « appareil ») à un lexique plus grave, celui du jugement moral : « « bon »,
« mauvais », « dépite », et « hypocrite » dans les tercets.
Le sonnet s’avère, avec Du Bellay bien autre chose qu’une adresse lyrique. Bien au contraire,
il sert un projet polémique, épidictique et satirique, qui gagne en épaisseur, allant de l’insulte au
complot massif contre les courtisans toujours plus disqualifiés : insultés puis méprisés et enfin, isolés.
Pourtant, le sonnet prend une tournure étonnante (comme sait le faire un sonnet dont le
moment attendu est l’envoi final) : comme un ironique pied de nez (et envers ceux qui s’y attendent
le moins), Du Bellay consacre peu à peu, en quatorze vers, sa position de pourfendeur des courtisans
en s’attirant un public de lecteurs favorables, autant dire… une seconde cour. Et si les lecteurs si
heureux d’être dans le camp des braves, si soulagés d’avoir été épargnés dans la charge satirique, si
bien flattés d’être au nombre des moqueurs plutôt que des moqués, étaient à leur tour pris en flagrant
délit d’assentiment mécanique, autrement dit et s’ils étaient finalement eux-aussi tombés dans le
piège de l’agrément servile ?
Ce ne serait pas une première dans la littérature du XVIe siècle que d’oser après s’en être fait des amis,
dénoncer la docilité de son propre public. Quand Montaigne écrit son chapitre des « Cannibales »
(Essais, I, 31), c’est à contre-courant de ses propres contemporains et lorsque La Boétie dénonce la
capacité que les peuples ont à s’illusionner sur les vraies responsabilités de leur mise au pas dans son
Discours sur la servitude volontaire, il libère ses lecteurs pour mieux les renvoyer aussi à leurs propres
fautes. C’est un courant très minoritaire de la littérature que celui qui fait de son propre discours à la
fois le porteur de la thèse, de l’argument et de l’exemple, mais on en retient quelques exemples
fameux. Cela ira jusqu’aux apostrophes dérangeantes d’un Diderot au lecteur dans Jacques le fataliste.
C’est bien entendu très déstabilisant, mais le lecteur peut aussi le prendre comme le test par
excellence de sa bonne compréhension. Du Bellay, parmi les premiers, a assumé ce risque de perdre
ses lecteurs : s’ils ne comprennent pas tout, c’est Du Bellay qui ne les reconnaîtra pas. Si les lecteurs
comprennent trop bien, Du Bellay prend le risque de les éloigner. Au fond la relation est tout sauf une
relation de cour, cela se révèle même heureusement l’inverse : le lecteur est finalement libre de choisir
quelle relation il veut bien avoir avec son auteur. Adhérer aveuglement et se conformer, ou bien
comprendre lucidement et s’émanciper.
4/4